Galerie Les Montparnos
Pierre Bancharel 1937 - 2018
Le bonheur du temps
Mars - Mai 2022
Pierre Bancharel
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Le bonheur du temps Avoir été de la ville, de son agitation, de ses espérances et de l’ivresse de ses lumières, et… Avoir été de Montparnasse, de ce mythe pour toujours gravé dans le macadam, où se sont faits les noms, et… Dans ce Paris de l’après Seconde Guerre mondiale, celui des années 1950/60, on pouvait sentir ce parfum des légendes d’un autrefois pas si lointain. La mémoire encore chaude témoignait des heures de l’aventure. Les esprits veillaient sur les bancs de l’Académie de la Grande Chaumière ou accoudés au zinc des cafés du Dôme, de la Coupole, de la Rotonde ou du Sélect. L’atmosphère embuée d’alors y demeurait, s’accrochant comme peut, avant d’avoir à se dissiper complètement dans la poussière de chantiers de grandes tours. Un monde s’éveillait ouvrant un œil sur la ville aux règles nouvelles. Ce qui était n’est plus, inutile d’être nostalgique. Au fur et à mesure, les peintres furent chassés en douceur. Implacable, cette époque artistique autre proclamait le règne de l’abstraction, de l’idée et du coûte-que-coûte du moi seul. Sans visage. Peu à peu, sans que l’on s’en rende compte alors, s’imposa un diktat, celui du « in », condamnant celui qui ne s’y pliait au statut de « has been ». Dans un embouteillage d’actualités et de modes défilantes, la peinture devenue orpheline, était mise au ban. La représentation de la figure humaine, considérée comme hors sujet, n’avait plus à faire partie du propos. Au point qu’imperceptiblement, c’est la peinture elle-même qui fut invitée à quitter le domaine des arts, et tout un petit monde finit par dire d’elle sur un air d’ « enfin ! » : « elle est morte, elle est morte ! ». 5
Les deux poissons 1958 - huile sur toile 54 x 72 cm
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Pierre Bancharel s’est retrouvé dans ce Paris du vacarme qui n’était plus celui de la peinture. Il cherchait à retrouver le parfum de cet avant qui s’évanouissait, à en entendre l’écho. Sans doute fut-il surpris. Lui qui venait des coteaux au pied des Pyrénées s’était présenté naturellement au pied de Montparnasse, la montagne des poètes. « Alpinisme pour alpinisme » disait Guillaume Apollinaire. Il y passe alors ses jeunes années de formation entre les BeauxArts, la Grande Chaumière et surtout ses visites au Louvre. Le jeune peintre comprend là rapidement que comme d’autres il n’est plus le bienvenu dans cette capitale qui a laissé New-York lui ravir le titre de centre mondial de l’expression. Aussi rentre-t-il fréquemment chez lui pour retrouver ses montagnes et Pau la ville de sa naissance. Dans ses bagages, il rapporte la découverte des œuvres de Courbet, Rembrandt, Chardin ou Soutine…
L’atelier face au cadran Chez lui, il installe un atelier, son lieu, refuge au plus près des hauteurs de l’enfance. Ici, dans son élément, Pierre Bancharel se retrouve face à un temps aux heures intemporelles dont il va faire sa matière. Le voici à saisir l’épaisseur du silence et heureux de voir s’écouler chaque heure de ce face à face. Les couleurs résonnent de cette volonté de contempler le rythme des levers et couchers de soleil qui ne cessent d’apparaître et de disparaître lentement sur le flanc de la montagne. Le son de l’horloge pose tel ou tel ton de rouge ou de bleu sur la toile. Le peintre est là, devant cette surface où sans fin se reflète la création du monde. Qui a dit ou écrit que les tic-tacs d’un atelier donnaient parfois à entendre le silence sur châssis de l’éternité ?
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Je souhaite dans ma maison : Une femme ayant sa raison, Un chat passant parmi les livres, Des amis en toute saison, Sans lesquels je ne peux pas vivre.
Guillaume Apollinaire, Le Chat, Le Bestiaire ou Cortège d’Orphée, 1911.
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Le Dimanche Huile sur bois - 1966 80 x 117 cm
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Jacqueline enceinte 1956 - huile sur toile 73 x 54 cm
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C’est une vie toute de continuité, sans biographie, ni date, ni période marquante, telle un cours d’eau vive sculptant lentement chaque obstacle en arronde de temps. « Pas de voyages, pas de vacances, pas de famille... Mais des compagnes, des amis et des dîners mémorables où il montrait ses talents culinaires en préparant des montagnes de spaghetti ou la garbure de son Béarn natal »
J. Lecat. Sur la toile, les nus s’étendent, sensuels, un chat observe nonchalamment, les enfants font une sieste. Dans cette nature morte, chaque objet vit, chaque ustensile est à sa place, bien ordonnée, le réveil posé sur le chevet marque 7 heures. à voir le cadran, c’est le temps qu’on entend. Au dehors la nature ébouriffée nous enivre de ses joies et nous affame de ses possibles. Il fait chaud. Tout le monde pose devant la carcasse de cette belle voiture blanche devenue la demeure d’un félin ronronnant. De ses aller-retours à Paris, sans quitter trop longtemps la ville des yeux, des gris et des ocres nous klaxonnent une autre réalité. Est-elle si réelle ? Pierre Bancharel a mis le monde de côté pour mieux le peindre. « J’étais à la fois dedans et dehors » écrivait Francis Scott Fitzgerald. La peinture a décidé pour lui. Il sera grâce à elle. Ici nulle ambition de carrière ni volonté de succès mais autre chose, celle de consacrer sa vie à incarner les couleurs. Le chat ronronne, le nu pose, le soleil se lève et caresse le flanc de la montagne, il est 7 heures. La Galerie Les Montparnos est heureuse de vous inviter à découvrir le peintre Pierre Bancharel (1937-2018). Les œuvres sortent de l’atelier et retrouvent Paris. D’un chat qui ronronne aux pieds des montagnes aux klaxons en bas d’une tour, une exposition témoignage d’époque… du 24 mars au 5 mai 2022. t à l’Art Vivant. Mathyeu Le Bal
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Atelier de Pau 1990-2018
La cuisine 1971 - huile sur toile 74 x 54 cm
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Rue de l’Aude Huile sur toile - 1999 32 x 50 cm
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Virginie en rouge Huile sur toile - 2000 37 x 24 cm
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Passage des Récollets 1999 - huile sur toile 20 x 29 cm
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Le réveil 1991 - huile sur toile 49 x 64 cm
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Pierre Bancharel devant le portrait de sa mère peint par Paolo Vallorz
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Pierre Bancharel 1937 - 2018
Pierre Bancharel est né à Pau, au cœur de ce Béarn luxuriant, dans une famille tournée vers les arts. Sa mère a appris le piano, son père a un don pour le dessin, et le père de ce dernier peignait en amateur. Très tôt, le jeune garçon dessine. Il dessine tout ce qu’il voit. Quand il sera adolescent, ses dessins de pin-ups seront très appréciés de ses camarades de classe et lui serviront de monnaie d’échange contre des devoirs de mathématiques. Tout jeune il dessine de lui-même, mais à l’âge de six ans, sa mère lui fait donner des cours de piano. Peu à peu il se dit que la musique est peut-être sa voie. Et pourtant, le dessin est toujours là. Il s’essaie à la gouache puis à l’aquarelle. Alors ses parents lui cherchent un professeur. Le premier pose devant lui un pichet et des pommes qu’il lui demande de reproduire. Il juge son élève très doué et ne lui apprend rien qu’il ne sache déjà. Très vite, le jeune Pierre s’ennuie. Un second professeur offre un enseignement un peu différent : il laisse son élève tout seul devant des fleurs ou un compotier, revient au bout d’une demi-heure et le félicite. L’élève attend un peu plus. Ses parents ne se découragent pas et font une dernière tentative. Cette fois encore l’élève a devant lui une carafe mais on ne lui demande pas de la reproduire, c’est le professeur lui-même qui se met au travail en disant : « Allez, on va lui faire cracher le morceau, on va voir ce qu’elle a dans le ventre ! » Et le miracle se produit. à coup de traits qui semblent tout d’abord être tracés dans tous les sens, une architecture apparaît. Lentement la carafe prend vie sur le papier, comme naissant et se développant de l’intérieur. C’est une révélation. à partir de là, le choix du jeune Pierre est fait : il ne fera pas de la musique son métier, elle restera un passe-temps agréable. 19
Les cours avec Frédéric Jouanne, artiste-peintre né en Dordogne et qui a été administrateur du Salon des Artistes Indépendants de Bordeaux, dureront plusieurs années jusqu’au départ de Pierre pour Paris. Il enseigne à son élève non seulement le dessin mais aussi la composition et la façon de faire siens tous les supports et siennes toutes les techniques de la peinture. à chacun de ses retours à Pau, ils continueront à se voir et à travailler ensemble sur le motif, dans la campagne ou sur les pentes des hauteurs. Frédéric Jouanne fait participer son élève à une première exposition à Saint-Palais au pays basque. C’est un succès, les quatre toiles présentées sont vendues. L’année suivante, une exposition à Bordeaux avec des peintures surréalistes est une autre réussite et rassure ses parents, prêts à envoyer leur fils à Paris. Il quitte Pau à dix-neuf ans et intègre l’école des Beaux-Arts. Il fréquente les ateliers de la Grande Chaumière et le Louvre. Après une période surréaliste, il s’engage dans l’abstraction. Mais cela n’a qu’un temps. Il se libère progressivement de ces influences et s’engage dans la voie du réalisme. Si, au départ, il a une prédilection pour Matisse et Cézanne, il découvre à Paris les toiles de celui qui deviendra et restera son maître : Gustave Courbet, dont il aura toujours sous les yeux une reproduction de L’Atelier. à côté de Courbet, Rembrandt, Rubens, Delacroix, Chardin, Soutine. S’engager dans le réalisme figuratif dans les années soixante semble incongru. On le lui dit, on le lui répète. Le figuratif, cela ne se fait plus. Peu importe, il suit son intuition.
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Brigitte Retuerta 1980 - huile sur toile 32 x 28 cm
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Dimanche 2005 - huile sur toile 105 x 142 cm
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Arrivé à Paris en 1956, il y reste une dizaine d’années, mais il sent qu’il a besoin de revenir à Pau. Les coteaux des Pyrénées lui manquent. Alors il revient dans sa ville natale et enseigne pendant deux ans à l’école des Beaux-Arts ; mais si la vue des montagnes lui manquait quand il vivait dans la capitale, à présent, Paris lui manque. Période bénie, propice, où les appartements bon marché existaient encore et où il suffisait d’en trouver un pour s’y installer. La vie était douce aux artistes. Il vit de sa peinture, il parvient toujours à placer une toile ici ou là, parfois il organise chez des amis une exposition de peintures, d’aquarelles ou de dessins. Quand il essaie encore de se présenter dans une galerie ou une autre, le refrain bien connu se fait antienne, parfois sur un ton de commisération : « Non, non, le figuratif, plus personne n’en fait, et plus personne n’en fera jamais plus ! » Alors, il expose au Salon des Artistes Indépendants, histoire de voir sa peinture en cimaise. Sortie de l’atelier, une toile se révèle. S’il lui arrive, parfois, de peindre une nature morte ou de dessiner un paysage, son sujet de prédilection est la figure. Il aime représenter des scènes de la vie quotidienne. D’abord certainement influencé par Balthus ou Matisse, il s’en éloignera sans heurt. Il s’éloigne du dessin de Balthus et de la couleur de Matisse. Ses personnages se font de plus en plus expressifs, voire expressionnistes, il les dépouille insensiblement de l’attrait de la couleur. Seul, l’essentiel compte, le dessin avant tout. Peinture déroutante pour certains, extraordinaire pour d’autres. Si les galeries parisiennes ne veulent toujours pas de sa peinture, peu importe, il a son cercle de fidèles, qu’il reçoit dans son atelier. Aucun compromis, aucun désir d’abonder dans le sens de la mode. « La peinture est devenue de la « déco », qu’elle soit abstraite ou pas. Nouveau conformisme. »
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Virginie en bleu 2000 - huile sur toile 31 x 37 cm
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Les Vainqueurs 1986 - huile sur toile 66 x 90 cm
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atelier à Paris années 2000
atelier rue Perné t y, Paris 14 e années 1970
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Nu couché 2012 - huile sur toile 37 x 45 cm
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Céline et Virginie 2005 - huile sur toile 55 x 46 cm
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Il a connu les dernières années du Montparnasse : le Sélect, le Dôme, la Coupole, dont les terrasses étaient le rendez-vous de tous les artistes, peintres, sculpteurs, comédiens. Et un jour, plus rien. Le quartier n’appartenait plus aux artistes. Quels événements ont marqué sa vie ? à l’exception des deuils, événements auxquels on ne peut pas échapper, il n’a pas recherché les aventures, les divertissements, les voyages. Au contraire, s’enfermer à l’atelier, ne pas le quitter, havre qui le protège du monde. L’atelier, chaque jour de l’année. Se préserver à tout prix de la vie extérieure, cultiver son quant-à-soi, avoir le courage de son égoïsme, être entièrement maître de son destin. Pour que l’art soit un plaisir et un épanouissement, il faut d’abord en accepter la tyrannie. « Nulla dies sine linea. Nulla dies sine pictura .» Ne surtout pas attendre l’inspiration. Elle ne vient que le pinceau à la main. Sa façon de peindre ? Parfois, une seule heure pour couvrir une toile. Parfois, des semaines, voire des mois pour finir une peinture qui résiste. Peintre de la figure, il trouve ses modèles parmi ses proches le plus souvent. Il aurait pu aussi être peintre animalier, tellement il a peint ses chats. Il laisse une œuvre importante : dessins à la plume, gouaches, aquarelles, acryliques, mais surtout et avant tout, peintures à l’huile. t Marie-France Bancharel
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Rue de Paris 1999 - huile sur toile 21 x 36 cm
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PariS, rue Romain Rolland 1999 - huile sur toile 60 x 45 cm
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La souche 1975 - huile sur toile 91 x 64 cm
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Le Passager N° 1 2006 - huile sur toile 84 x 57 cm
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Place de Costa Rica 1999 - huile sur toile 24 x 33 cm
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1999 - huile sur toile 17 x 28 cm
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Le Passager N° 2 2006 - huile sur toile 94 x 63 cm
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Diane nue 1966 - huile sur toile 91 x 72 cm
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Des personnages dans leur vie quotidienne, rien d’autre. Mais dans ce « rien », tout un monde, aussi puissant que celui de Soutine ou Courbet. Telle est la filiation. De ce besoin insurmontable de peindre la figure humaine, loin de la mode et des modes, voilà une œuvre ô combien personnelle et originale.
Jean Dutourd
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Petit NU 2012 - huile sur toile 30 x 27 cm
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Petitou devant sa voiture 2005 - huile sur toile 31 x 36 cm
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Petitou et Marie-France 1991 - huile sur toile 33 x 13 cm
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Nu à la jambe repliée 2010 - huile sur toile 42 x 40 cm
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Le Rêve de Petitou 1995 - huile sur toile 89 x 106 cm
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Tête de femme 2015 - huile sur Toile 24 x 31 cm
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Nu sur fond orange 2010 - huile sur toile 31 x 29 cm
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Charlotte et Coquinette 2014 - huile sur Toile 50 x 61 cm
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La grand-mère et ses petits-enfants 2004 - huile sur toile 34 x 34 cm
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atelier à Pau 1990-2018
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L’Homme au chien 2003 - huile sur toile 50 x 30 cm
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La Bicyclette 2004 - huile sur toile 26 x 20 cm
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La galerie remercie bien chaleureusement Marie-France Bancharel qui a permis la réalisation de cette exposition. Ghizlaine Jahidi, Isabelle et Henry Le Bal.
photographies des oeuvres : Jean-louis Losi.
Conception Graphique / Tanguy Ferrand 2022
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