galerie les montparnos
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Les poses du temps
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Les poses du temps C’est un atelier de banlieue. On est loin de la grande ville et de ses centres. Une maison, un jardin clos, l’atelier et ses trois fenêtres. Un tableau… Serait-ce les eaux dormantes d’une rivière amarrées à la rouille des péniches ? Un nu de femme dans la lumière tamisée du soir ? Un ami venu pour poser ? Ou peut-être encore le tableau d’un paysage, un coin paisible et vert où l’on peut se recueillir sous les ombres du soleil ? Un tableau sur la saveur du temps qui passe, qui longe les bordures du chemin d’à-côté, loin du bruit et de ses actualités filantes. À y surprendre parfois, un instant, les lentes heures engourdies du modèle qui patiente sous la lumière descendante d’une fin d’aprèsmidi. Une heure suspendue où l’horloge tient la pose. Par l’une des trois fenêtres entrent les derniers rayons du ciel qui viennent caresser les visages et frôler les chairs nues. La fixité pensive du modèle semble ralentir chaque instant des aiguilles du cadran. C’est un nu d’une pudeur sensuelle, le désir est là sans y être, comme s’il était lui aussi un peu en marge, à la fois dedans et dehors, comme flottant dans l’atmosphère. C’est le soir à présent, la lumière du jour a laissé place à celle chaude d’une lampe. Elle éclaire différemment, d’une façon plus intime, plus enfouie, en secret. Un peu comme ces peintres d’autrefois qui peignaient à la bougie. La lumière semblait alors provenir de l’intérieur des corps et des choses. C’est un atelier de banlieue. On est loin de la grande ville et de ses centres. Une maison, un jardin clos, l’atelier et ses trois fenêtres. Du dehors au dedans, du bruit au silence, de l’agitation au calme, de la vitesse à l’immobilité, de la foule à la quiétude. 6
Le silence est épais, si dense que c’en est une matière tactile, qu’on l’entend jusqu’en sa discrétion. Quand tout se tait, la peinture est là qui apparaît enfin. Est-ce la saisie de l’immobilité qui crée ce silence, ou l’inverse ? La peinture doit-elle être parlante ? Sa condition nécessaire se situerait-elle dans ce retrait, ce dépouillement ? S’abstraire des mots ; taire les heures… Un bruit, un claquement de porte, des bribes extérieures venues du grand blabla… et l’œuvre s’en va. Rien ne doit heurter le calme et la fixité de la pose. Dans la paix de l’atelier ou sur le motif, le peintre se défait en lui-même du vacarme qui étouffe afin que puisse surgir de quelque profondeur l’œuvre telle libérée... Mais revenons à cette peinture, toute de tendresse et de sensualité, comme une confidence accordée à nos yeux par la volupté ellemême. Sage. Sage ? Les nus aux postures inventées et sensuelles s’étendent dans une pudeur et une aise naturelle et entière. Sur les toiles, s’épanouissent des enfants, des maternités, à l’abri tout contre du châssis. La peinture et l’atelier devenant ce jardin clos pareil à celui de l’Eden qu’entourent les souvenirs. D’autres figures et personnages se reposent recroquevillés, en position fœtale, pour ébaucher un sentiment de confiance, de protection, que garantit cette demeure qu’est la peinture. Un lieu, celui de l’espace de la toile où tout est préservé du secret confié. Pas un mot mais un vis-à-vis sur l’intériorité du peintre. Une barque abandonnée repose sous les arbres du canal. Ce sont des verts, des mauves et des bleus d’été. Les paysages sont harmonieusement ordonnés et maîtrisés assurant un refuge à celui qui y entre par le regard. Une paix que nul ne saurait troubler. L’œuvre dompte le sauvage, le tient. Il est resté en laisse à la porte d’entrée. Nulle autre force que celle de la chaleur des couleurs. La brutalité est bannie. Les orangés, les rouges, les jaunes et les pourpres se dressent en rempart contre les assauts de la virulence. Bruit, brutalité, comme ces deux mots se ressemblent. Sur la toile ou sur le papier, seul s’entend la vibration des textures qui murmure à nos yeux : « la peinture est la terre des vivants ».
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À observer chaque modèle ou personnages de ces tableaux, on les sent absorbés dans leurs pensées. Le temps paraît attendre et les choses en lui font une pause. À quoi songent-ils donc ? Rêvent-ils éveillés ? Est-ce une sorte de spleen ? Ou sont-ils, timides, tout de l’étonnement devant les absurdités ? La peinture quant à elle ouvre un passage, dirait-on, vers la beauté à nouveau osée. Des tableaux où la pensée du peintre s’efface dans l’œuvre ellemême laissant affleurer au regard des reflets de mystère et de poésie. Si toute œuvre d’artiste in fine se donne à découvrir dans son ensemble comme un unique chemin-vers… comment serait-il possible, toile après toile, de lire celui d’Assunta Genovesio ? Assunta Genovesio… ? Assunta… l’Assomption. Et s’il s’agissait de voir le peintre avancer d’une œuvre à l’autre vers la découverte de son propre nom (prénom) ? « Devenir son nom », n’est-ce pas d’ailleurs la quête qu’évoquent les grandes traditions… Assomption : l’adjonction… « S’adjoindre » ou « être transporté vers », dit la racine latine. L’Assomption : celle de la Vierge Marie, bien-sûr, adjointe à l’éternité. L’adjonction du temps à l’éternité au désespoir de la mort elle-même. Assunta Genovesio… une adjonction au haut silence par les couleurs ; à la présence par ces corps, le visage de ces portraits ; à la paix par ces paysages, ces vues d’intérieurs. Et qui sait ? – peut-être – une adjonction à la beauté elle-même, retrouvée, par la peinture dont chaque geste serait celui, posé sur la toile, du retirement. Assomption, être transporté vers… Une œuvre de passion et de retenue, à la lumière intérieure d’un feu charmé, une flamme qui éclaire mais ne brûle. C’est un atelier de banlieue. On est loin de la grande ville et de ses centres. Une maison, un jardin clos, l’atelier et ses trois fenêtres. Pour accueillir et fêter l’été, la galerie Les Montparnos est très heureuse de vous inviter à découvrir l’exposition consacrée au peintre Assunta Genovesio qui se tiendra du mercredi 16 mai au mercredi 27 juin 2018. À l’Art Vivant ! t Mathyeu Le Bal 9
Nu allongĂŠ 2010 - aquarelle et plume sur papier 23 x 31 cm
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entretien Entretien avec la peintre Assunta Genovesio et Mathyeu Le Bal – Galerie Les Montparnos - Avril 2018
MLB : Quel enfant étiez-vous ?
AG : À 8 ans j’allais le samedi aux séances de modèles que mes parents faisaient avec
AG : À la campagne, je me souviens d’une
leurs amis peintres. Ça a développé mon goût
bagarre avec mon frère, du sang dans la neige,
pour le dessin d’après nature. L’ambiance
jusqu’au passage d’une biche et d’un cerf qui
était studieuse et gaie. Quand je regardais
ont détourné notre attention. C’était une vision
les livres de peintures, celles du Caravage
magnifique.
me fascinaient, mon père m’apprenait des
Puis de journées entières passées à dessiner
techniques pour les copier à l’huile sur bois
avec un grand plaisir à être dans la nature.
ou carton. Je ne me suis jamais dit « je serai
Elle était un refuge, une joie dont je jouissais
peintre » c’est le chemin que j’ai pris sans m’en
seule. J’étais indépendante et solitaire.
rendre compte, la graine était là.
Je suis née à Paris 15e en 1972 de père et mère
MLB : Parlez-nous de cette graine. Vous fait-elle parfois des confidences ?
restaurateurs de tableaux et peintres. Mon père est originaire du Sud-Ouest de la France d’une famille d’immigrés italiens et ma mère
AG : Cette «graine» serait un matériau, une
est née à Marseille. Tous deux amoureux de
toile de lin vierge ou un pinceau, l’odeur de la
la peinture classique, m’ont transmis leur
peinture, quelque chose de physique. Ensuite
passion. C’est dans leur atelier de restauration
il y a eu le désir qui fait que d’aimer dessiner,
(qui recevait à l’époque 400 tableaux par mois)
je me suis tournée vers la peinture plutôt
au contact de peintures anciennes, que mon
que vers la bande dessinée ou la décoration.
goût s’est développé. J’ai même contribué à
Comprendre qu’il y a par là, quelque chose à
dévernir des toiles dès l’âge de six ans.
chercher qui dépasse le fait de raconter des histoires, qui se passe de mots, qui s’attache
MLB : Une enfance avec le dessin, les œuvres… Avez-vous en mémoire le moment où vous vous dites « je serai peintre » ? Y a-t-il eu un événement déclencheur, voire un choc fondateur ?
à la gratuité de l’acte qui consiste à chercher des formes et à créer un espace qui vive de lui-même.
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MLB : Quel a été votre parcours par la suite ?
paysages en extérieur. Ces paysages ont séduit un marchand d’art américain qui a
AG : Aux Arts Déco (EnsAD Paris), après une
vendu mes toiles au Costa Rica et à Panama
année de gravure, j’ai été attirée par l’atelier
pendant une dizaine d’années. Puis sous-
de peinture expérimentale en marge de l’esprit
location d’un nouvel atelier à la Sernam
« arts appliqués » de l’école. On y découvrait
de Pantin. J’ai participé à des expositions
le plaisir de peindre avec des pigments
collectives et rencontré les galeristes de la
et de l’huile grossièrement mélangés, sur
Galerie l’Escarpolette qui m’exposent depuis
de grandes toiles ou cartons d’emballage.
en permanence. J’ai crée les décors de 300
Cet atelier était vaste, chacun laissait son
pièces en porcelaine pour une exposition en
matériel, ses charognes, ses esquisses, des
collaboration avec un céramiste. Ensuite j’ai
modèles posaient, parfois des poules. On nous
quitté ma cabane de Pantin pour un grand
lisait Baudelaire ou des passages de l’Ancien
atelier à Aubervilliers et commencé à exposer
Testament. Mais j’étais assez méfiante et
à la Galerie Greenflowersart. À la naissance
rebelle aux conseils de mes profs, préférant
de ma deuxième fille, aménagement de mon
faire par moi-même l’expérience de la matière.
atelier à Neuilly-sur-Marne, où je vis et travaille
Quitte à me vautrer littéralement. Ma première
depuis 2007. En 2015 j’ai fait une formation de
fille est née l’année de mon diplôme et a
gravure et lithographie et joui d’un magnifique
assisté au dernier trimestre de cours depuis
atelier dans l’ancien Hôpital Maison Blanche
son couffin.
à Neuilly-sur-Marne. En marge de la peinture
À 23 ans, avec une famille, il me fallait de
je participe à la création de peintures murales
l’espace et du temps pour continuer à
pour des particuliers et j’ai créé et réalisé des
peindre. Nous sommes partis dans le Gard
peintures pour un décor d’opéra.
pour aménager un ancien bâtiment agricole de 200 m2, en pleine garrigue au milieu des chevaux. J’y ai découvert des sensations et une
MLB : Selon vous, qu’est-ce qu’un artiste ?
liberté inédite. L’air y était parfumé, l’horizon distant, le ciel immense et le temps était
AG : L’artiste est un instinctif. Un architecte du
devenu élastique.
sensible, il incarne l’esprit dans la matière.
Mais partie sans garde-fous ni réseaux,
MLB : Et « être peintre » ?
comme peuvent en bénéficier les élèves des Beaux-arts, je me suis retrouvée très isolée et
AG : Être peintre c’est créer avec de la matière
démunie. Alors après quelques années, je suis
des espaces lumineux et colorés sur une
rentrée à Paris pour exposer et tenter de vivre
surface plane. Composer avec masses et
de ma peinture. J’ai loué un premier atelier
volumes un ensemble cohérent.
Villa des Arts, puis obtenu une résidence de
Quand on peint d’après nature il faut faire
deux ans à la Cité internationale des arts. Mes
des choix, il faut mettre de l’ordre dans la
portraits et paysages ont été exposés Galerie
perception pour la rendre compréhensible.
VRG rue Jacob à Paris puis Galerie de l’Olympe
Si la composition est solide et personnelle,
à Perpignan. À l’issu de cette résidence je
elle a des chances de passer avec bonheur
suis restée un an sans atelier et j’ai peint des
l’épreuve du temps et faire que l’esprit du peintre perdure.
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Une fois la composition posée je suis les
nature a été un puissant remède contre les
fluctuations de la lumière sur le paysage ou
scléroses académiques. Elle régénère, enrichit
le modèle. Le tableau est la somme de ces
et nourrit la vision. Aujourd’hui les formes de
variations.
l’académisme ont changé : il faut se soumettre à la dictature du concept, ou à la platitude de
MLB : Il y a dans votre œuvre une grande richesse et variété des motifs. Quels sont les sujets qui vous inspirent et pourquoi ?
l’image photographique, on peine à en sortir.
AG : Oui je fais feu de tout bois : mes enfants,
MLB : Dans l’esprit commun, on associe généralement création et féminité. Mais qu’en est-il de l’acte créateur lui-même ? Ne se pose-t-il pas d’emblée comme l’expression d’une virilité ?
le coin de la rue, un quignon de pain sur la table. C’est une peinture du quotidien. Je prends aussi des modèles car le nu est une sorte de tradition dans la peinture, c’est un
La nature c’est aussi ce qui est immuable chez l’homme, c’est le contraire de la mode. La mode empêche de voir ce qui est éternel.
défi. Faire que ce soit naturel alors que c’est l’artifice par excellence. Rubens disait : « Dans
AG : L’acte créateur est-il doté d’un genre ?
la forme de l’homme sont toutes choses et tout
J’en doute, car s’il s’agissait de virilité par
les mondes parce qu’il est un microcosme ».
exemple… il y aurait beaucoup d’eunuques ! !
Lui qui a si bien exalté la forme !!
Je pense plutôt qu’il s’agit de sensibilité,
L’articulation des volumes d’une femme nue
d’instinct, de détermination. Enlevez à une
révélée par l’ombre et la lumière est si belle et
femme celui de pourvoir à la survie et à la
stimulante pour l’œil.
protection de ses enfants et son intérêt viscéral
Mais un homme nu ferait aussi bien l’affaire,
pourra se tourner vers l’art.
le sujet est au fond un prétexte.
MLB : Vous évoquez souvent le terme de nature, que représente-t-elle pour vous ? AG : Tout d’abord la nature c’est la création dans toute sa merveilleuse mécanique chimique. De ce point de vue nous sommes
MLB : Alors dites m’en plus sur cette détermination, parlez-moi de ce qu’elle suppose dans le rapport initial à la toile blanche. Et quand j’écris initial, je ne peux m’empêcher de penser à inaugural. (in-augural, sans augure possible, par de-là toute prévision pensable).
des chefs-d’œuvre inégalés ! Lorsque l’on observe les lignes d’un visage, ses grands
AG : Oui sans augure, c’est-à-dire neuf à
volumes et ses détails, comme l’ouverture de
chaque fois. J’ai sûrement des habitudes mais
l’œil qui s’épanouit entre le nez et l’arcade
pas vraiment de recette pour commencer
sourcilière, on découvre un monde quasi
une toile. Une technique basique, j’utilise
géologique. Il s’agit d’en montrer le caractère,
le même médium depuis toujours. La reine,
de trouver la rareté de ses proportions, leur
c’est la sensation, c’est elle qui dirige ; et le
grâce, leur grandeur. D’ailleurs en art, à toute
cœur. Aucun savoir faire ne peut remplacer la
époque, le retour à l’étude directe d’après
fraîcheur de l’observation, car d’un modèle à
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LĂŚtitia 1999 - huile sur papier 63 X 48 cm
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l’autre la carnation est tellement différente que les couleurs utilisées pour l’un seront fausses pour l’autre.
MLB : Si vous pouviez raconter en quelques mots comment se passe une séance de pose à l’atelier avec le modèle ? Est-ce que vous choisissez vos modèles, selon quels critères ? Y a-t-il une atmosphère particulière, une complicité, des rituels à respecter pour vous mettre au travail ? Ecoutezvous de la musique ?
Avez-vous une idée à l’esprit avant d’attaquer la toile blanche et comment savez-vous si elle est finie ou non ? Qu’est ce qui vous fait arrêter ? AG : Aucune idée avant de commencer, tout vient du modèle ou du paysage. Rodin exprime très bien cela : « Je déclare nettement
que je n’ai aucune idée lorsque je n’ai pas quelque chose à copier ; mais quand je vois la nature me montrer des formes, je trouve de suite quelque chose qui vaut la peine d’être dit et même développé ; quelque fois, chez un modèle, on ne croit rien trouver ; puis
AG : Une séance commence par le dessin, en
tout à coup, un peu de nature se montre, une
silence, à la lumière du jour. Le modèle prend
bande de chair apparait et ce lambeau de
des poses différentes, je le guide un peu vers
vérité donne la vérité toute entière, et permet
ce qui me plaît. Et quand une pose réclame
de s’élever d’un bond jusqu’au principe
un tableau et que par chance j’ai une toile du
absolu des choses ». Il existe plusieurs stades
format qui correspond à ma vision, je démarre
à l’issu desquels la peinture peut s’arrêter.
la peinture.
Je peux m’arrêter après la première séance
La générosité du modèle fait tout. Quand une
si la peinture me plaît vraiment comme elle
osmose silencieuse se produit entre lui et moi,
est. Sinon je continue, et là, les complications
une empathie, une grâce, qu’il ne bouge pas,
arrivent car je ne suis pas vraiment préparée
qu’il me donne l’impression que le temps ne
au travail méthodique de la peinture à l’huile
compte pas, les séances peuvent durer cinq
qui permet d’en sublimer la matière et les
ou six heures. Et plusieurs mois, voir plusieurs
couleurs. Il arrive souvent des catastrophes et
années avec la même personne. C’est souvent
de temps en temps, trop rarement, un miracle.
des femmes pour ces mêmes raisons de complicité que je n’ai pas encore trouvé avec un modèle professionnel homme.
MLB : Vous parlez de complicité, puis-je rebondir sur le mot, et vous demander de quel type de complicité il s’agit ? Celle du modèle vis-à-vis du peintre ?
MLB : Selon vous qu’est-ce qu’un «bon» tableau ? AG : Quand un tableau vient tout seul parce que ma vision était claire au départ et que j’ai placé les grandes masses avec justesse dans un jeu d’équilibre miraculeux du dessin et des valeurs. Mais de manière générale, un bon
AG : Oui, et il faut que je l’aime bien. Sinon ça
tableau est un tableau qui ouvre un espace
ne marche pas.
profond où vit la lumière dans une harmonie globale, que les détails sont subordonnés voir
MLB : Racontez-nous le moment du commencement et celui de la fin... 16
sacrifiés à l’ensemble et qui trahit une émotion vraie, une vision personnelle, qui est vivant.
Bain 2009 - aquarelle sur papier 34 X 41 cm
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Les peintures qui me touchent le plus sont
est à nouveau « tolérée » mais c’est un
celles qui sont le fruit de la contemplation de
champ de ruines. À regarder la plupart des
la vie extérieure.
productions qui sortent des Beaux-arts, je vois qu’on privilégie « l’effet », il est pris comme
MLB : À observer vos œuvres on constate qu’il y a dans votre matière quelque chose qui est à la fois de l’ordre de l’éclat mais aussi de l’enfoui. J’ai presque l’envie ici de parler de mystère. Votre chemin de peintre pourrait-il se penser comme celui d’aller vers ce mystère ?
marque de personnalité, alors qu’il n’est que l’apparence des choses. La peinture est ironisée comme si elle ne pouvait se suffire à elle même en tant qu’entité poétique. Certains ont des recherches intéressantes sur le rendu de l’espace et la composition, mais les moyens plastiques restent pauvres en couleur, volume, profondeur. Très peu se ressourcent en étudiant
AG : Le mystère est ce quelque chose dont
directement ce qu’ils voient car les profs les
nous ne savons rien et qui nous échappe, il est
en découragent. Leur discours incultes sur la
sacré. Et c’est très bien comme ça. C’est même
nature profonde de la peinture auraient trop
précieux à notre époque où on veut tout
à perdre si les jeunes se mettaient à courir à
analyser et classifier. En peinture, aller vers ce
travers champs pour sentir par eux-mêmes,
mystère de manière consciente est contraire
sans qu’on leur explique ce qu’il faut peindre,
à ma religion. Je suis un artisan, un témoin,
de quelle manière et pourquoi. Il faudrait que
je cherche à améliorer ma vision, à parfaire
les écoles d’art ne dispensent que des cours
mes moyens, et la grâce adviendra ou pas.
techniques et historiques.
MLB : Quel est votre regard sur la peinture actuelle ?
manquent souvent de moyens et de temps
Il y a bien des peintres, mais ils sont isolés et qui permettrait à leur art de se développer pleinement. AG : En France, la peinture et les peintres ont été ostracisés et méprisés durant une cinquantaine d’années par la nouvelle académie qu’on appelle art contemporain, qui fixe les règles de l’art et déploie de puissants moyens d’intimidation contre ce qui ne se soumet pas à son idéologie. Ce qui a occasionné des dégâts considérables, dégoûté des milliers d’élèves de la pratique de la peinture dans la plupart des écoles d’art publiques du pays, provoqué le repli sur soi de centaines de peintres. Je ne vois pas souvent de choses qui me plaisent vraiment. Depuis une quinzaine d’années la peinture
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MLB : Très souvent chez les artistes d’aujourd’hui on constate qu’ils sont perméables aux actualités, leurs travaux devenant souvent le reflet de leurs opinions, une chronique enchaînée du temps qui passe... Comme si une sorte de chute spirituelle propre à notre époque conduisait et enfermait leurs regards derrière le mur d’un incessant bavardage. La peinture et le peintre doivent-ils être libérés de l’air du temps ?
La Marne au Perreux 2017 - huile sur toile - 81 X 60 cm
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Paloma 2010 - huile sur bois 22,5 X 18 cm
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MaternitĂŠ 2017 - huile sur papier marouflĂŠ sur toile 64 X 46 cm
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AG : Tout est possible. On peut faire une
AG : La grâce est quand l’esprit directement
peinture idéaliste, comme une peinture
relié à l’espace lumineux nous traverse, on est
directement inspirée du réel. À l’époque
juste un conducteur, un automate avec une
du développement du train à vapeur et
tête un cœur un bras et un pinceau au bout.
des débuts de l’industrialisation en région
On ne peut jamais expliquer comment ça
parisienne, certains peintres ont continué à
advient et heureusement sinon on se mettrait
représenter une campagne vierge des progrès
à chercher artificiellement les conditions qui
techniques, comme Corot ou Seurat un
la favorisent. Elle a un rapport je pense avec
peu plus tard. Par contre Monet, Van Gogh,
la pleine présence.
Maximilien Luce pour ne citer qu’eux, ont intégré à leurs paysages les ponts de chemin
Je ne sais pas ce qu’est l’art vivant. Je parlerais
de fer, trains, architectures métalliques, gares
plutôt de peinture vivante ; animée et
qui sont devenus des éléments constitutifs
incarnée.
de leurs compositions. Ce qui compte c’est la qualité de l’émotion et le monde harmonieux qui nous est offert à travers ces œuvres. Les portraits de Cézanne, « La dame en bleu »
MLB : Vous êtes peintre, la peinture est un monde de couleurs ; que pourriez-vous nous dire sur vos couleurs ?
ou « Le portrait de Gustave Geffroy » entre autres, sont des symphonies colorées où
AG : La couleur est venue petit à petit, au
chaque détail animé d’une vie propre est en
début je n’utilisais que des terres (ocres etc)
rapport avec le tout. Je crois en cette mission
ensuite j’ai fait des mélanges avec seulement
unificatrice de la peinture.
les primaires et maintenant c’est à chaque fois différent, parfois en camaïeu, avec des fonds
MLB : C’est quoi pour vous « l’Art Vivant » ?
colorés. Souvent je vais de l’ombre à la lumière puis retour dans l’ombre et hop de nouveau
AG : C’est l’art des gens qui vivent aujourd’hui,
la lumière, pour faire émerger les volumes.
non ?
MLB : Pas tout à fait... à mes yeux un Rembrandt, un Rubens sont 1000 fois plus dans l’Art Vivant qu’un Soulages ou un Warhol qui me semblent si… comment dire, intellectuels. Dans mes expositions je cherche l’esprit qui s’incarne plutôt qu’une idée sans chair (si en vogue aujourd’hui). Vous évoquiez la grâce, le mot-même se donne à entendre comme celui de poésie. Et par là, s’interroger à nouveau pour savoir ce que serait l’Art Vivant…
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MLB : Aujourd’hui quelles difficultés rencontrez-vous dans votre travail ? AG : Comme j’ai peu d’espace en ce moment je reprends souvent des toiles anciennes et donc le sujet n’est plus là et je suis seule face au tableau, c’est très dur de le mener à bien. De plus le résultat est souvent si inattendu que je ne sais même pas si c’est bon. En gros j’ai l’impression de patauger. Alors pour me détendre je sors faire une petite gouache…
le jardin 2017 - acrylique sur papier - 30 X 22 cm
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Vue d’atelier 2015 - huile sur papier marouflé sur toile 65 X 50 cm
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MLB : Le dimanche de la première visite que je devais faire de votre atelier de Neuilly-sur-Marne, vous m’aviez prévenu au téléphone de venir en tout début d’après-midi afin de voir les œuvres sous une certaine lumière. Quel lieu que votre atelier ! Il y a une âme particulière, avec le petit jardin qui le jouxte. La peintre pourrait-elle parler à celui qui en regarde les œuvres de cette lumière qui entre par les fenêtres et se dépose à l’intérieur jusqu’aux toiles qui se font. Quel dialogue entretenez-vous avec elle ?
ce que je ne fais pas. Peu portée vers l’analyse,
AG : Plus qu’un dialogue c’est une véritable
AG : La beauté non plus, je la vois mais je ne la
dévotion, comme les anciens égyptiens
cherche pas. Elle est le point de départ et non
avec Râ leur dieu solaire. D’ailleurs je vois la
la finalité. Elle donne l’impulsion qui permet
peinture comme un hommage à la lumière qui
d’exprimer, d’organiser des volumes dans une
révèle les formes. J’ai l’idée que c’est mieux
lumière.
je sens et je produis, voilà tout. J’aime que cela reste une pulsion. Elle en apprend certainement plus aux autres sur moi qu’à moi-même.
MLB : Attendre la grâce ? AG : Ce serait trop simple, non… faire comme si elle n’existait pas, faire du mieux possible.
MLB : Cherchez-vous la beauté ? À la retrouver ? À vivre en elle ?
de regarder une toile le jour, à la lumière qui a permis sa création. Mais la fin du jour est aussi
MLB : Ne pas perdre son émotion...
l’épreuve d’une toile. AG : Non, mais la transformer.
MLB : Il y a le travail d’observation du motif extérieur, du visible, mais qu’en est-il de votre observation du motif intérieur ? Qu’est-ce que la peinture vous donne à voir de vous-même ?
MLB : Quel est votre paysage préféré ? Décrivez-le nous, si vous pouviez le peindre avec des mots... AG : Le dernier que j’ai peint ou que je suis en
AG : Pour moi pas de différences entre le monde du dedans et du dehors, ils sont
train de peindre… Une route bordée d’arbres
en fleurs près de chez moi où pourpres, verts et
imbriqués, font écho l’un à l’autre. À force
roses pâles sont alternés de manière régulière
de chercher des rapports dans l’espace, de
avec en arrière plan une silhouette d’immeuble
scruter la lumière, je finis par trouver des liens
bleu ciel, dans la lumière du couchant.
de cause à effet dans la vie réelle qui s’avèrent souvent assez justes. La peinture me pousse à reconnaître les sujets qui me plaisent vraiment.
MLB : Et aujourd’hui, que sont devenus et la biche et le cerf ?
Car si je ne suis pas émue, ça ne marche pas. Il y a des sujets qui reviennent. C’est beaucoup
AG : Un désir de liberté.
t
l’affect. Le sens de ce que je fais est révélé par
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Nature morte à l’entonnoir 2010 - gouache sur papier 18 X 20 cm
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Au plateau 2016 - gouache sur papier 37 X 33 cm
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Sur l’herbe 2013 - huile sur toile 19 x 33 cm
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Les barques 2002 - huile sur toile 22 X 27 cm
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Chic 2016 - huile sur toile 41 X 33 cm
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Canal à Tourcoing 2017 - huile sur papier marouflé sur toile 27 X 35 cm
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Partie de pĂŞche 2012 - gouache sur papier 17 x 27 cm
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PĂŠniche sur la Marne 2009 - gouache sur papier 36 x 47 cm
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Portrait du Doc 2016 - huile sur toile 35 X 27 cm
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Dans les bois 1998 - huile sur bois 29 X 40 cm
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Dormeuse bleue 2010 - huile sur papier marouflĂŠ sur toile 46 X 55 cm
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Toilette 2012 - huile sur bois 28 x 23 cm
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Petit Ligéïa 2018 - huile sur toile 24 X 19 cm
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Nu 2018 - huile sur toile 50 x 61 cm
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La musicienne 2017 - huile sur toile 35 X 27 cm
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Riaba et sa sœur 2017 - huile sur bois 60 x 60 cm
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Plein air 2014 - huile sur toile 27 X 41 cm
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Pont sur la Marne 2017 - gouache sur carton 29 X 42 cm
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Vannary 2010 - huile sur toile 81 X 65 cm
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Étude 2017 - huile sur carton 44 X 51 cm
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Autoportrait 2016 - huile sur bois 40 x 30 cm
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Ania 2017 - huile sur papier marouflĂŠ sur toile 51 X 62 cm
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Hélène 2004 - huile sur toile 35 X 27 cm
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Reflet 2017 - huile sur bois 61 x 61 cm
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Anouk 2018 - huile sur toile 73 X 60 cm
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La croupe 2017 - huile sur bois 33 X 47 cm
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Garrigue et chevaux 1995 - huile sur bois 19,5 x 43 cm
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Étang des Sources 2016 - huile sur papier marouflé sur bois 17 X 30 cm
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La sieste 2017 - huile sur toile 50 X 61 cm
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LĂŚtitia 2016 - huile sur toile 100 X 65,5 cm
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Remerciements : Galerie de Bretagne, Quimper Monsieur Jean-Guy Le Floch, Armor-Lux Monsieur Philippe Baudoin, Monsieur Érick Petit, Monsieur Frédéric Jacquin et Monsieur Benjamin Bozonnet. Monsieur Patrice Maire, président du journal Monts 14. Aux collectionneurs et amis qui, par leur fidèle soutien, rendent possible cette si belle aventure.
Et à découvrir cet été en Bretagne à Quimper, l'exposition-événement consacrée à Assunta Genovesio du 27 juillet au 19 août 2018, à L'espace exposition Armor-Lux Kerdroniou Ouest, 21 rue Louison Bobet, 29556 Quimper
Conception Graphique / Tanguy Ferrand 2018 Portrait 2e de couverture / Riaba Boyer
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