Le Scouëzec l'Amant de l'Afrique

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1881 - 1940

GALERIE LES MONTPARNOS



« Ah ! Soudan aux forêts impénétrables, aux animaux bizarres, aux fleurs étranges, aux beautés grandioses, quand donc serai-je près de toi ? Quand donc vivrai-je de ton air infesté de moustiques et de miasmes fiévreux, dysentériques, pestilentiels, cholériques... Quand donc vivrai-je de ton eau putride, fangeuse ? Quand donc vivrai-je de tes animaux dangereux et terribles aux griffes acérées, à la dent meurtrière, à l'oeil fascinateur comme ces immenses serpents dont parlent les explorateurs ? Quand donc verrai-je toutes ces choses grandes et terribles, belles et horribles tout à la fois ? Quand donc serai-je seul, seul et libre ? Libre, oh ! ce mot ! Que ce doit être beau d'être libre ainsi que je l'entends, être le maître, n'avoir rien au-dessus de soi et faire ce qu'il vous plaît ! Être le maître, le seul et unique ... » /

Maurice Le Scouëzec, Hyères (Var), Café de l'Univers, 15 février 1905



1881 - 1940

Collection Françoise et Philippe de Brugada, Petits-enfants de Robert Boudry (1893-1958) Ami du peintre Maurice Le Scouëzec Gouverneur de Madagascar (1946) Écrivain, poète, peintre et haut fonctionnaire Français et collections privées

GALERIE LES MONTPARNOS


Robert BOUDRY 1893 Taverny - 1958 Vescous

Robert Boudry fait de brillantes études au Lycée Henri IV, à la Sorbonne et à la Faculté de Droit où il obtient licences ès lettres et en droit. Adolescent, il est attiré par les arts. Il admire Guillaume Apollinaire. Il peint, dessine, écrit. Aspirant durant la Grande Guerre, il est grièvement blessé et perd l’usage de sa main gauche. Il reçoit la Croix de guerre et la médaille militaire. Après la guerre, il épouse Denise Virebayre et entre dans l’Administration des finances. En 1930, il est envoyé à Madagascar comme directeur du Contrôle Financier. Il fait, à ce moment-là, la connaissance du peintre Maurice Le Scouëzec, avec qui il noue de profonds liens artistiques et amicaux. Et c’est au contact du peintre du Montparnasse que son œuvre picturale personnelle parviendra à capter et saisir l’atmosphère vibrante, l’intimité et l’émotion de l’âme de la Grande Île. Passionné par l’art, la littérature et les traditions malgaches, il écrit de nombreux articles dans des revues. Il devient membre de l’Académie Malgache en 1935. Il rencontre à cette époque le poète Jean-Joseph Rabearivelo, dont il sera le plus fidèle ami et l’exécuteur testamentaire, puis l’auteur du si remarquable essai : « Rabearivelo et la mort ». Révoqué par Vichy comme Gaulliste en 1940, il rentre en France, s’installe à Nice et entre dans la Résistance. Après la Libération, il est nommé Gouverneur et affecté à Madagascar comme secrétaire général. Il y restera en fonction de 1945 à 1946. En 1947, il retourne à Madagascar pour témoigner et défendre les parlementaires malgaches lors de leur procès. Puis il rentre définitivement en France, où il deviendra co-directeur du journal Libération. Il continue à écrire, à peindre, à lutter pour les droits de l’homme jusqu’à sa mort en 1958, d’une crise cardiaque. Il peint partout où il va, où il vit. Mais, c’est surtout l’Île Rouge, Madagascar, qui l’inspirera le plus et dont il dépeindra - ainsi que dans ses écrits - au mieux l’atmosphère, les couleurs, la vie. Françoise de Brugada

Petite-fille de Robert Boudry ///

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robert Boudry Église d'Ambalavo Route d'Antsirabé, Madagascar huile sur toile signée et datée 1935 en bas à droite 60 x 81 cm

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robert Boudry Baobabs à Mouroundave Madagascar huile sur toile signée et titrée au dos 50 x 65 cm


robert Boudry Repos sous le palmier Andévourante, Madagascar huile sur toile signée et datée 1932 en bas à droite 55,5 x 46 cm

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Chapitre I


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’intuition de l’Afrique s’est révélée très tôt chez Maurice Le Scouëzec, bien avant son arrivée à Montparnasse. Nul doute que ses interminables tours du monde sur les grands voiliers en tant que pilotin creusèrent les sillons de cet attrait pour la vaste terre. On sait que sa vocation de peintre naquit grâce aux dessins réalisés lors des longues journées de traversées en mer à croquer le quotidien des marins à bord et les paysages rencontrés. Toujours pour lutter contre l’ennui qui le consume, il ébauche sur des petits carnets ses souvenirs d’enfance dans ce Versailles qu’il avait tant aimé. À bord de l’Ernest-Siegfried en route vers Nouméa, la mer se révèla être une épreuve d’attente insupportable pour le futur peintre âgé de 19 ans. Du grand esquif aux toutes premières esquisses, l’ennui pour point de départ... L’incessant roulis durant des mois perdus au milieu de l’océan permettant aux premiers traits du dessin d’apparaître. Pour lui l’important est alors « d’attraper la ressemblance ». L’âme face aux lames du Horn. Puis chaque jour guetter la promesse de la terre, ce mot devenu synonyme de délivrance, la voir enfin surgir du bleu et sortir de cette embarcation, de la promiscuité avec les hommes d’équipage... Afrique, une terre dont il ne soupçonne pas encore l’étendue mais qui semble l’appeler secrètement. Quelques dessins en guise de bouée de sauvetage afin d’échapper à cette infernale, molle et lancinante monotonie de la mer et l’espérance d’atteindre un jour cet horizon sans limite. « Homme libre toujours tu chériras la mer, la mer est ton miroir et tu contemples ton âme ».

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Charles Baudelaire - L'homme et la mer

Quel paysage de l’âme avait-il épié en lui ? Quelle brousse ocre de soleils intérieurs avait-il vu jaillir des mornes bleus de l’océan? Un face à face qui le révéla, la mer accouchait d’un artiste. Sans compter que cette quête de l’Afrique interviendra juste après la rupture avec « Lulu » son amour de jeunesse. Ne parvenant pas à obtenir l’amour de cette femme, Le Scouëzec trouvera en ce continent une maîtresse à la hauteur de son inspiration. D’une brûlure, l’autre…

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Cargo à Suez Égypte, Suez, 1930 aquarelle sur papier située en bas à droite 50 x 65 cm répertoriée au catalogue des oeuvres du peintre sous le N. 378

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L’année 1905 marque un tournant dans la vie de Le Scouëzec, les choses semblent se préciser clairement dans son esprit. Après quatre ans passés dans l’armée, il écrit le 8 mars 1905 son journal sur du papier à lettre, installé à une table du Café de l’Univers à Hyères dans le Var : « Encore quatre mois, mais même : après que ferai-je ? Où irai-je (that is the question). Je n'ai qu'une seule issue, c'est l'Afrique ? Et maintenant, ce n'est pas seulement parce que je t'aime, beau et grand continent, mais c'est aussi que j'ai besoin de toi. Non seulement j'aime tes grandes et immenses forêts, non seulement j'aime ta forte et dangereuse faune, non seulement j'aime ta terrible et toxique flore, mais aussi j'ai besoin d'eux, il faut que je les affronte, non pas par plaisir, mais parce qu'il le faut. Oui, il le faut. Il le faut : c'est terrible de se répéter ces trois mots qui ainsi qu'une épée de Damoclès, sont suspendus au-dessus de moi. Il le faut. Et pardieu qu'il le faut ! Il le faut parce que l'on me croît avec une position. Il le faut parce que je m'ennuie de ses forêts. Il le faut parce que j'ai soif de liberté. Il le faut parce que la société m'horripile et me dégoûte souverainement. Enfin il le faut parce que ma destinée est de courir les grands bois, de voir devant moi les grands espaces, les grandes prairies, la grande et immense divine liberté (et dire qu'il s'est trouvé un imbécile pour dire que tu n'étais qu'un mot ?). Il le faut encore parce que j'ai besoin de ton or, de tes diamants, de ton ivoire, parce que non seulement j'en ai besoin, mais parce que je les veux toutes ces richesses que tu enfermes dans ton sein, oui, je les veux et je les aurai ou bien j'y mourrai. »

Le peintre va effectuer au cours de sa vie quatre voyages en Afrique. ///

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Le village de Douna Soudan, mars 1928 huile sur papier marouflé sur toile signée, située et datée en bas à droite 57 x 90,5 cm

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« Étrange figure que celle de Le Scouëzec, matelot, globe-trotter sans argent, juif errant des tropiques. On trouverait sur tous les sentiers qui longent le Chari la trace de ses bottes ferrées, de ses bottes dans lesquelles se sont échauffés ses durs pieds que les tiques faisaient saigner. L'Afrique, la vraie, ne garde pas d'amant. Elle est tuante, avec ses corps de suie dont la peau, dans les creux se fendille - brûlure ou dartre ? - ; avec ses palus infinis où les plantes et les bêtes ont une écoeurante odeur tiède, une écoeurante couleur de boue. Elle est telle, la vieille Afrique bestiale, cruelle, calcinée, dont les paysages font germer sous le casque de liège, la soudanite et le désespoir. Elle ne garde pas d'amant ; si, un : Le Scouëzec. Il ramène des lointains Oubanghi, des équivoques Tchad, des peintures sur papier, sur toile à sac, sur n'importe quoi, avec des mouches tsé-tsé écrasées dans les plis. Ce n'est point du documentaire. Il a vu les harmonies de ces êtres dont les os ou les viscères pointent ou ballonnent ; les jeux plastiques des ombres qui changent de couleur au gré des formes. Son oeil de peintre éprouva les grandeurs architecturales, les majestés à angle droit de ces anthropoïdes qui procréent et qu'on tue, en si grande quantité, avec tant d'aisance, depuis des millénaires, sur l'antique Terre de servitude. On avait dit l'Orient et les Antilles; la Chine et les îles australes. Mais on n'avait pas encore osé peindre l'Afrique toute nue. Le Scouëzec l'a fait. Il retournera vers la noire maîtresse et mourra, loin, dans ses silencieux, dans ses épouvantables bras. »

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Robert Rey - Préface de l'exposition Le Scouëzec, Galerie « Le Vermillon », octobre 1925.


La gare de Bamako Soudan, 1928 aquarelle sur papier située et datée en bas à droite 43,5 x 57 cm répertoriée au catalogue des oeuvres du peintre sous le N.474

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« Le Scouëzec a roulé sa bosse dans tous les pays du monde ; il connaît les voyages, il a eu les fièvres, il sait ce que c'est. On peut être sûr qu'envoyé au diable pour peindre, il y peindra... Ces toiles ont un caractère très puissant, c'est un art sobre, sans éclat, mais on sent qu'elles sont peintes par un homme. »

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André Warnod - Comoedia, 18 octobre 1925.


Chapitre II

Premier voyage Octobre 1905 Ã Juin 1906


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e Scouëzec est à Zanzibar en Tanzanie sur la côte sud-est du continent, il a 24 ans. C’est le début du périple pour le futur peintre, il est recueilli à moitié mort au bord du lac Tanganyka par des chercheurs d’or belges qui l’avaient ramassé perdu tout seul dans un nulle-part. Lors de ce voyage il passera par Dar-es-Salam, les ruines du Zimbabwé, les chutes Victoria et descendra jusqu’aux mines d’or de Johannesburg en Afrique du Sud. Il faut l’imaginer entreprenant cette marche à pied insensée descendant par la côte tout le flanc est de l’Afrique. À y apercevoir de l’autre côté par delà le canal du Mozambique, 400 km de mer plus loin, l’Île Rouge qui se dessine au loin et trace déjà les contours du plus tard : Madagascar. Le Scouëzec ne peint pas, la peinture est absente de ce voyage, elle ne s’est pas encore révélée pleinement à lui, on le sent déambuler au gré d’un chemin informel que lui seul connaît et sait, en son for intérieur, être un itinéraire. Les premiers pas sont à présent derrière lui, il avance maintenant cherchant coûte que coûte le moyen de se tenir face à cet absolu qui l’affame tant. Voir et se jeter à corps perdu dans les situations les plus dangereuses. C’est un voyage d’errance et d’exploration. Le Scouëzec, « le chercheur de couleur ». Peu de témoignage donc de ce premier séjour, ni écrits, ni œuvres. Reste son certificat d’hospitalisation à Zanzibar émanant du Sultan, en date de « may 1906 », pour sa dysentrie contractée au lac Tanganyka. Cette immersion au cœur du continent reflète l’ardeur et la quête du vrai du futur grand peintre. Il fait preuve d’acharnement, d’une soif de voir et d’un désir violent de comprendre le sens de sa présence au monde. Aussi, choisit-il la voie la plus aride qui soit, en s’engouffrant dans les profondeurs de la férocité. La sueur d’une fureur panique de vivre, d’où ses provocations multiples face à la mort, la recherche d’un déboussolement... Tout en lui dit le corps à corps avec la témérité d’être. De cet exil volontaire, nécessaire, la peinture sera bientôt l’infini de la seule demeure. Son château, ou plutôt sa masure, sa case de l’âme. Et de la fenêtre sans cesse ouverte, là, devant lui, l’infini tant espéré, l’horizon à sentir au bout des doigts et à prendre dans la main. « Je n'ai eu qu'un courage dans ma vie, c'est vouloir être peintre et je ne l'ai été qu'à cette date, c'est-à-dire vers 1912, parce que j'ai tout nié ce qui n'était pas cela. » /

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5 mars 1917, Brasserie Lutétia, 27 rue de Sèvres, Paris.


La préparation du repas San, Soudan, 1928 aquarelle sur papier signée en bas à droite, située en haut à droite 35 x 45 cm

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Les pileuses de mil Bobo-Dioulasso, Haute-Volta, 1928 aquarelle sur papier signée et située en bas à droite 35 x 33,5 cm répertoriée au catalogue des oeuvres du peintre sous le N. 3513

Travail dans les rizières Bobo-Dioulasso, Haute-Volta aquarelle sur papier située en bas à droite 43 x 35 cm


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Chapitre III

Deuxième voyage Février à Juin 1925


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ans ont passé depuis son premier séjour, 19 ans durant lesquels il connaîtra le Mexique, la prison, la guerre, la maladie, les voyages en Europe, ses allers-retours en Bretagne, la terre de ses ancêtres et surtout Montparnasse, comme autant d’escales, ce Montparnasse des années 19181925, cœur battant du Paris enfiévré de l’art moderne, du Paris qui est alors la capitale mondiale de l’art. Sa réputation est faite, sa figure fait partie du décor de cette période enflammée de ce qu’on appelle maintenant l’École de Paris et des heures chaudes des rues et boulevards du carrefour Vavin. Mais le monde de l’art semble étouffer à ses yeux sous la constriction du monde. Sa demeure n’est pas ici. La lassitude des corruptions humaines, des mœurs soumises aux petits arrangements et des bassesses de la banalité, ainsi, sûrement, que ses propres symptômes de « délire ambulatoire », tout le pousse à ce deuxième voyage. Il faut, il lui faut fuir le mensonge. Pour financer ce périple, le peintre obtient une bourse de voyage de l’A.-O. F. (Afrique-Occidentale française) octroyée par le Salon d’Automne et la Société Coloniale des Artistes Français. Mais on ne suit pas Le Scouëzec en Afrique sans être un pisteur à la manière d’un sioux, un éclaireur au cœur de la savane. À peine signalé dans un pays ou une ville, il se retrouve le quasi lendemain dans une autre contrée en pleine brousse, tout en ayant réalisé 300 tableaux et aquarelles. C’est à pas de géant et la main en ouvre-chemin qu’il pénètre de tout son être dans l’immense. Cette fois-ci, il explorera l’Afrique Occidentale après être passé par la Corogne en Espagne puis le Portugal, où il laisse de nombreuses aquarelles et dessins de la traversée : rivages de l’Espagne, passagers sur le pont, épaves submergées dont la fixité envasée et morte écrit toute une poésie. Des œuvres aérées, plaisantes de cette descente vers l’Afrique comme un souffle pris, à pleine bouffée avant d’affronter bientôt le continent brûlant. Il arrive à Dakar au Sénégal. Le Scouëzec n’est plus le même, il sait précisément ce qu’il veut. Il cherche, odorat des visions, les paysages d’une terre qui a pour nom peinture. Tel un chasseur fauve dans le sauvage nouveau il traque le motif, il suit pas à pas la trace de l’apparition. Déjà à Paris, André Salmon le surnommait : « l’arpenteur du Montparnasse »… À cette époque, il s’agissait de l’Afrique-Occidentale française (A.-O. F.), c’était une fédération comptant huit colonies françaises située à l’Ouest du continent qui comprenait le Niger, Le Soudan Français (Mali), le Sénégal, la Haute-Volta (aujourd’hui le Burkina Faso), La Mauritanie, le Togo, le Dahomey (devenu le Benin) et la Guinée. La capitale était Dakar.

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Réunion près de l'arbre Dakar, Sénégal aquarelle sur papier signée et située en bas à droite 32 x 49 cm répertoriée au catalogue des oeuvres du peintre sous le N.3508

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Le Sénégal ne semble pas l’intéresser, d’instinct il file au Soudan (Soudan Français actuellement le Mali), s’arrête à Ségou ville sur les bords du Niger, il peint le Bani son affluent, la petite ville de San, les marchés, les gens du fleuve, ses rivages… C’est un voyage de repérage qui va lui servir pour son grand voyage du Soudan de 1928. En quelque sorte il prépare le terrain, comme on prépare ses couleurs. Du Soudan, il descend en Haute-Volta (Burkina Faso), « le pays des hommes intègres ». Territoire qui sera à la hauteur de ses espérances avec sa capitale Ouagadougou et Bobo-Dioulasso ancienne capitale coloniale. Les villes fortifiées et leurs murs infranchissables, la découverte des baobabs, ces mystérieux arbres solitaires qui résistent au désert. Stèles vivantes aux formes surréelles qui emplissent du chant muet de leur présence le silence des plaines. Vastes et immobiles bras de sève tendus vers le ciel nu. Et ce soleil écrasant les grands plateaux éperdus et les brousses bruissant jusqu’aux premières rues des villes… À chaque coin d’ombre les palabres des hommes et des femmes rassemblés. Le Scouëzec va à la rencontre des Bobos et des Peuls, peuples du fleuve Niger. Il peint le travail quotidien, les couleurs vives de leurs vêtements, les écailles du fleuve. Saisir les postures de l’Afrique, son humanité vraie, ses rythmes, ses gestes, ses chairs. Le Scouëzec, si accoutumé à descendre en rappel dans les excavations profondes de la nature humaine, rapportera des ocres abysses la lumière et la force nécessaires pour peindre l’Afrique. C’est qu’affronter sur la toile, l’àperte-de-vue de l’océan père et la vie des peuples qui en sont d’esprit la danse et le poème, demande une âme de feu et des yeux capables de s’égarer jusqu’à la douceur. Chez Le Scouëzec, l’artiste dompte dans la délicatesse la brutalité de l’homme, à moins que ce soit le contraire. Sur certains tableaux voir parfois s’évaporer du sol même de l’œuvre, les vapeurs de l’être qui remontent vers un ciel mauve marbré de noirs impalpables, telle se présente parfois la grâce sur un sol désertique. Le grand peintre sait ajuster la matière, juste ce qu’il faut ici, ce qui suffit là, tout est maîtrise et éclat, quand la conscience dicte à la main, à moins que ce soit le contraire. Le Scouëzec a trouvé l’emblème caché. « La viande » du paysage. Sa vérité profonde. Il sera difficile de peindre l’Afrique après lui. Il aura déjà déterré l’essentiel.

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Sénégalaises en conversation Dakar aquarelle sur papier signée et située en bas de l'oeuvre 41 x 30 cm répertoriée au catalogue des oeuvres du peintre sous le N.3504

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Par ce voyage se poursuit la métamorphose du peintre et de l’œuvre. C’est le commencement d’une esthétique nouvelle, la simplification. Les paysages deviennent nus et forment des blocs solides et compacts qui annoncent plus de dix ans avant ce que sera la peinture de Nicolas de Staël. Des paysages en ton sur ton qui disent tout quand il ne reste presque plus rien. Tout dans sa peinture évoque le mouvement et la suggestion. Les traits des visages disparaissent pour ne laisser qu’une forme cranienne ovale de laquelle surgissent des seuls jeux de matières, les nez, bouches, regards… Les corps ont des tailles de géants, à y voir des arbres, les bras comme des branches. L’expression des hommes se fait par les gestes, les postures, les attitudes ; les paysages parlent comme des visages de conteurs. Les arbres dressent leurs membres à venir y sécher des ciels bas épuisés et moites de soleil. Chez Modigliani, l’âme humaine était visible toute, dans les yeux, le regard ; avec les peintres expressionnistes allemands, elle était lisible dans les mains, les traits du visage, de la bouche et des yeux. Chez Le Scouëzec, l’âme est dans le corps, son tronc, à en toucher l’écorce vive. Les œuvres réalisées durant ce séjour furent toutes vendues à son retour lors de son exposition à la galerie Le Vermillon en 1925 et son exposition au Grand Palais de 1927. À Montparnasse, il est désormais le peintre de l’Afrique. Il présente pour le Salon d’Automne de 1926 un tableau qui fera scandale : « le Christ Noir ». Cette œuvre sera d’entrée refusée dans la salle réservée à l’art religieux. Aujourd’hui perdue, elle était destinée à une cathédrale du Niger. Ainsi ne se retiennent parfois les ciels trouvés. ///

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Repos au bord du fleuve Douna, Soudan, mars 1928 aquarelle sur papier marouflée sur toile située et datée en bas à droite 65 x 80 cm répertoriée au catalogue des oeuvres du peintre sous le N.2655

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Femme noire en rizière Soudan dessin à la mine de plomb sur papier cachet d'atelier en bas à droite 29,5 x 21 cm répertorié au catalogue des oeuvres du peintre sous le N. 1430

Sur un âne San, Soudan dessin à la mine de plomb sur papier situé en bas à droite 31 x 23,5 cm répertorié au catalogue des oeuvres du peintre sous le N. 1433

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Femme de Bamako Soudan, 1928 aquarelle sur papier située en bas à droite 30,5 x 23,5 cm répertoriée au catalogue des oeuvres du peintre sous le N. 1492

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« J'ai connu Le Scouëzec à Montparnasse. C'est ce grand garçon aux yeux perçants, au long nez, sous un plus large feutre, un feutre de planteur ou de conquérant espagnol. Une chemise khaki au col ouvert, aux manches retroussées sur ses bras nus et musclés, été comme hiver. Et des jambes de cavalier dans des pantalons de velours serrés jusqu'aux genoux dans des bottes lacées qu'il ne quitte ni quand il dort, ni quand il nage, ni même quand il peint. Car, vous pensez bien que Le Scouëzec est peintre. De lui, ces paysages africains sur lesquels pèse une atmosphère de plomb, dans une lumière d'ophtalmie, et que vous avez vus et admirés à la dernière exposition d'art colonial et dans d'autres Salons. Ces toiles, plus véridiques que celles de Gauguin, sans littérature, dénuées de tout pathétisme, ne vivent que par l'exacte vérité. »

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Michel Georges-Michel - « Mon Ami Le Scouëzec », Le Quotidien, 19 mars 1928


Les trois marcheurs Soudan, 1928 huile sur papier marouflé sur toile signée, située et datée en bas à droite 66 x 90 cm

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Chapitre IV

Troisième voyage Décembre 1927 à Juin 1928


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e Scouëzec a 46 ans. Il est de retour sur les pas de son voyage au Soudan de 1925. Il n’est plus seul, accompagné cette fois de celle qui deviendra sa femme en 1930 : Mathilde Merle. Rencontrés à Montparnasse en 1918, ils sont maintenant ensemble. Elle est enceinte de huit mois quand il arrive à Dakar. Le peintre et Mathilde ont choisi de faire naître l’enfant loin de la civilisation, ils lui ont déjà choisi un prénom : « Ouagadougou ». C’est par le petit train de Bamako que commence ce voyage pour le couple, ils remontent le Niger ensemble de Koulikoro jusqu’à Ségou. Un voyage à deux, une avancée au cœur des splendeurs. Le Scouëzec rencontre Terrasson, le gouverneur, et Marchand qui sera l’un de ses amis lors de ce séjour.

« 25 january 1928 - À sept heures moins le quart, Ouagadougou est né, mort. Pauvre petite chose. Il était beau, grand. Au moins 3 kg. Tué par la fièvre. Il doit être enterré maintenant avec les fièvres jaunes, près de la gare. Elle a du chagrin et ma foi, moi aussi, tous les gosses me donnent envie de pleurer. C'est drôle, j'étais attaché à cet enfant qui n'était pas né. » /

Extrait de son journal : L'Afrique, p.43. ed. Beltan.

La perte de ce premier enfant fut un choc dans la vie du peintre et de sa compagne, événement qui transformera à jamais sa peinture ; suivront d’innombrables scènes de maternité, le sujet de la femme noire et l’enfant, la mère donnant le sein ou portant l’enfant sur son dos témoigneront de cet état d’esprit de l’artiste. L’Afrique, la mère nue, portant toute l’humanité. Une divinité porteuse de cette vie que le peintre s’efforce d’insuffler dans ses œuvres, cette même vie qui semble l’avoir fui au cœur brûlé du drame de cet enfant mort-né. Les six premiers mois de l’année 1928, la peinture apparaît dans sa pleine puissance. L’artiste est à son sommet de force et enchaîne toiles, dessins et aquarelles d’une musculature et d’une épaisseur toute saisissante. Un semestre de souffle durant lequel il va réaliser près de 400 œuvres… Au cours de ce séjour, le peintre du Montparnasse, le peintre des nus, va se retrouver soudain face à la peinture elle-même qui se met à nu. D’ailleurs plusieurs de ses œuvres seront achevées rue Delambre dans son atelier du Montparnasse.

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Les arbres de Sikiné Soudan, mars 1928 huile sur papier marouflé sur toile signée, située et datée en bas à droite 57 x 90 cm répertoriée au catalogue des oeuvres du peintre sous le N. 2302

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La Vénus Africaine ou la femme au dos de cuivre Soudan, 1928 huile sur toile située et datée en bas à droite 120 x 79 cm répertoriée au catalogue des oeuvres du peintre sous le N. 2459

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La femme noire et l'enfant Soudan, décembre 1928 huile sur papier marouflé sur toile signée, située et datée en bas à droite 130 x 89 cm

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Les piroguiers Diolila, Soudan, Mai 1928 huile sur papier marouflé sur toile signée, située et datée en bas à droite 64,5 x 97 cm répertoriée au catalogue des oeuvres du peintre sous le N. 2276

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Parcourant Bamako, Sikiné, Dio, le Bar tenga Guellou, Bobo-Dioulasso, les puits du Doura, San, Bani, Nema et la Haute-Volta qu’il aime tant. Les sujets semblent comme sortir du lit du fleuve, les pileuses de mil, les porteuses de sel, cases et les piroguiers qui remontent le courant à l’aide de grands bâtons. La série des piroguiers fait partie sans aucun doute des œuvres les plus belles de l’artiste, tableaux fait de muscles tendus, de corps élancés, de matière, de rythmes statufiés et d’ossatures puissantes aux courbures élégantes et sveltes. Comme des passeurs mystérieux, ces hommes aux barques conduisent vers l’autre rive ou remontent le fleuve. Dans les anciennes coutumes la pirogue était un tombeau dans lequel on ensevelissait le défunt, sorte de sarcophage qui finit sous les eaux. Ce vrai qu’il cherchait tant, la peinture et le pays le lui donne tout entier, généreusement. Le vrai est nu. « Peut-on encore manger du vivant, en le digérant ? manger du sang chaud sans le cuire, sans attendre la non palpitation musculaire ? » /

Extrait de son journal : L'Afrique, p.62. ed. Beltan

Le peintre restera une semaine environ dans chaque lieu-dit. Ce voyage va permettre à Le Scouëzec d’entrevoir un nouveau passage d’une Afrique vers l’autre. Le Soudan et le Burkina Faso lui apportant la force. La route va s’ouvrir vers un voyage soudain jeune, peut-être insoupçonné chez Le Scouëzec, un voyage sans retour, celui vers l’absolu. ///

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Le piroguier Soudan, 1928 huile sur papier marouflé sur toile signée, située et datée en bas à droite 80 x 60 cm

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Soeur blanche et femmes noire Afrique gravure sur cuivre numérotée ½ - cachet d'atelier en bas à droite 20 x 15 cm répertoriée au catalogue des oeuvres du peintre sous le N. 2238

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La pirogue Afrique dessin à la mine de plomb sur papier cachet d'atelier en bas à droite 27 x 21 cm répertorié au catalogue des oeuvres du peintre sous le N. 1205

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Femme noire assise avec son enfant Afrique aquarelle sur papier située en bas au centre 30,5 x 23,5 cm répertoriée au catalogue des oeuvres du peintre sous le N. 1493


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Le Vautour Afrique gravure sur cuivre numérotée ½ - cachet d'atelier en bas à droite 20 x 15 cm répertoriée au catalogue des oeuvres du peintre sous le N. 2226

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Mère à l'enfant Bobo-dioulasso, Haute-Volta aquarelle sur papier signée et située en bas de l'oeuvre 53 x 41 cm répertoriée au catalogue des oeuvres du peintre sous le N. 3506

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« Il se fit remarquer, aux salons de gauche, par d'étranges compositions, extrêmement personnelles et assez peu dans le sentiment de l'époque. Des compositions profondément préparées, travaillées dans leurs dessous avec quelque chose d'inachevé. Des compositions vastes que réduisait un rien d'esprit documentaire. Mais ce n'était là qu'apparence. Retenu par un « instant », M. Le Scouëzec avait tout de même tenté de fixer cet instant selon de robustes principes. Quelle lassitude l'avait entraîné à rompre si vite, à abandonner, pour tout dire ? Néanmoins, on ne pouvais plus l'oublier. D'une visite au Salon, c'était de ce qui s'inscrivait dans la mémoire de l'oeil. On en était hanté... » /

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André Salmon - La Revue de France, 1er février 1926


Le châle orange Afrique aquarelle sur papier située en bas à droite 30,5 x 23,5 cm répertoriée au catalogue des oeuvres du peintre sous le N. 1513

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Palabre sous la case Soudan, 1928 huile sur toile signée, située et datée en bas à droite 72 x 97 cm

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La case à Sikiné Soudan, mars 1928 huile sur papier marouflé sur toile signée, située et datée en bas à droite 60 x 80 cm

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Chapitre V

Quatrième voyage Octobre 1930 à Juin 1931


L

e 11 novembre 1929, Gwenc’hlan Le Scouëzec, fils du peintre voit le jour à Plouescat dans le Finistère. Le 17 juin 1930, Maurice et Mathilde se marient, après douze ans de vie commune, dans la Mairie du XIVe arrondissement de Paris. Au même moment, il reçoit dans sa boîte aux lettres de l’atelier de la rue Delambre à Montparnasse, une lettre émanant de La Société Coloniale des Artistes Français qui lui attribue le prix de Madagascar ; il obtient une bourse et s’embarque pour la Grande Île. Le 2 octobre 1930 il prend le départ de Marseille sur le Leconte de Lisle, avec Gwenc’hlan et Mathilde, le peintre à 49 ans. Cette traversée sera une immersion dans la société coloniale et sa faune toute pimpante de certitudes bourgeoises, bavarde et comme toujours si sûre d’ellemême. La comédie des échelles sociales. Un grand nombre d’officiels et de hauts fonctionnaires sont à bord prêts à prendre leur affectation, un général, un médecin, un notaire, des gendarmes, des ingénieurs, le « gros ponte » et sa femme qui donnent à notre peintre des cours sur le marché de l’art, des légions d’honneur par paquets… Ça parle administratif, tout est respectabilité, l’ambiance est aux cocktails et aux robes longues. Le Scouëzec effaré par les usages de la « haute société » tels les concours de pets ou encore les championnats du plus gros mangeur de beefsteak va entrer, non sans souffrance, dans les conversations et se frayer dans ce monde une place d’observateur discret. La critique sera bientôt des plus cinglantes, l’œuvre d’art peut être aussi le reflet des abîmes. « C'est un pays de moustiques où le plus dangeureux est le fonctionnaire » /

Extrait de son journal : L'Afrique, p.98. ed. Beltan

Étrange paradoxe d’une traversée, d’une part le néant bruyant et la vulgarité des conversations et d’autre part les paysages sublimes des côtes africaines qui se dévoilent alors encore et toujours nouveau aux yeux du peintre. « Sans chiqué, ni smoking… » En quittant la Méditerranée, il croise Alexandrie, Mansourah et Port Saïd, l’entrée du Canal de Suez. Des lieux qu’il connaît, des souvenirs lointains. Cheikh-Saïd et le port de Djibouti avec son épave impassible, énigmatique, sublime, au milieu des eaux. Au large de la Somalie, le cap Gardafui (la tête de lion). Le Leconte de Lisle fait escale à Monbassa, Dar-es-Salam et Zanzibar. Madagascar se profile enfin, Moheli, Dzaoudzi, Nossi-Bé et Majunga. Le bateau descend les côtes dans une mer rouge, teintée des alluvions de latérites, s’arrête à Antsirane et accoste définitivement à Tamatave. 60


Les murs de Matsamadou Madagascar, 1931 aquarelle sur papier située en bas à droite 50 x 65 cm répertoriée au catalogue des oeuvres du peintre sous le N.452

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De Tamatave jusqu’à Tananarive par le petit train. Il visite pendant deux mois la capitale et sa région. La présentation du pays se fait par l’intermédiaire de la Société Coloniale, il rencontre alors Robert Boudry, qui deviendra son ami en novembre 1930. Découvre avec Fénoarive, une petite cité fortifié aux murs oppressants, les murailles de Sazaïna qui lui rappellent les murs du cimetière de Landivisiau où repose sa mère. En compagnie de Robert Boudry et de sa famille, il visite la porte d’Ambohimanga. Il fait la connaissance du gouverneur Général de l’époque, Léon Cayla, qui va lui procurer une automobile avec chauffeur et financer en partie son voyage pour descendre vers Tuléar. Aller vers le sud, toujours, descendre… Là commencera véritablement ce voyage pictural qui durera plus de trois mois, avec la découverte des paysages situés entre Tananarive et Tuléar. Il part sans sa femme et son fils qui l’attendront à Antsirabé au sud de Tana. Il fuit le monde des blancs et ce qu’il appel « le royaume des fonctionnaires ». Ayant reçu une bourse de voyage de la Société Coloniale, il était cependant contraint à un minimum de diplomatie. Le Scouëzec demandera une augmentation de sa bourse auprès du gouverneur, qui refusera. Robert Boudry mieux implanté auprès des officiels sera chargé par le peintre d’être plus persuasif lors des dîners mondains à défendre sa cause. L’expédition en auto vers Tuléar empruntera les routes les plus dangeureuses et magnifiques qui soient. C’est la saison des pluies et les rivières débordent. Le Scouëzec se retrouve souvent bloqué dans les villages, à attendre. Il découvre les radiers, les cactus, les palmiers, « les arbres morts qui semblent libres », « les montagnes sacrées »… « Il est certain que le pays est rouge des pieds à la tête, de haut en bas, rouge et vert, brutalement parfois, même sans vert... on grimpe dans du rouge. » /

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Extrait de son journal : L'Afrique, p.111. ed. Beltan.


La porte d'Ambohimanga Madagascar, 1930 huile sur papier marouflé sur toile située et datée en bas à droite 53 x 79,5 cm répertoriée au catalogue des oeuvres du peintre sous le N.2742

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Ambohimanga, 12 décembre 1930. Sur la route, les rites, les mythes… Les Malgaches à leur travaux de chaque jour, magnifiés et anoblis. Les corps vidés des fausses certitudes, crus de beauté. Plus loin, les cris joyeux des enfants qui jouent. Le peintre est marqué du fait que ces enfants ne pleurent pas contrairement aux petits blancs. Le Scouëzec passe par Ihosy, le pays des mangues, les radiers de la Sakalave, les mines de grenat et Amjani. Le véhicule doit résister aux arrêts pour cause de peinture, aux inondations, aux crues soudaines et aux routes de caillasses trouées à chaque virage. Tout est sujet à peindre : insectes, fleurs, collines ou bancs de sable, villages de cases au rouges primitifs, rizières, passages de zébus… Les plus improbables sujets surgissent sans cesse, tel, instant rare et ultime, la Sakalamine à Ranovir, « un désert rouge et vert gris ». La route d’Ihosy à Tuléar avec ses montagnes de calcaire. Une terre et une mer de sang. Les aquarelles de Le Scouëzec ayant survécu aux inondations sont dépouillées, réalisées par l’eau du fleuve lui-même, il ne reste plus que quelques lignes, quelques taches indistinctes, restituant par leur dépouillement apparent la beauté brute et nue de la vie. L’essentiel se donne à voir au moment où il semble ne rester plus rien. Non pas une idée, mais l’être dans toute sa pleine simplicité qui rend l’œil à sa virginité. Les œuvres de cette année de 1931 témoignent de la rencontre avec l’invisible. De retour à Tananarive, le peintre retrouve l’univers des colonies et ses mensonges. Il peint le grand marché et la foule malgache. Le gouverneur choisit les œuvres du peintre pour son exposition du 12 avril 1931, qui sera préfacée par son ami Robert Boudry. Le voyage s’achève, sur le chemin du retour de Majunga à Marseille le bateau s’arrêtera en Égypte, Le Scouëzec en gardera à l’aquarelle les pyramides de Gizeh.

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La route d'Antsirabé, km 18 Madagascar, 1931 aquarelle sur papier située et datée en bas à droite 50 x 65 cm répertoriée au catalogue des oeuvres du peintre sous le N. 143

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Tous ces noms traversées sont autant de noms de couleurs : Moheli, Ihosy, Ambalavao, Toliara, Tangobary, Sakandra, Mahamas, Tranora, Sakalave, Mombasa, Antandroy, Ankaramena… Il fallait une âme immense pour peindre le continent africain et Madagascar, il fallait Le Scouëzec. Une peinture de premier ordre, des toiles montrant avec force le combat de l’esprit contre les fièvres, des œuvres incandescentes de liberté. En marge de ce qui se dit. À l’été 2014, Paris redécouvrait le Breton de la bande du carrefour Vavin à l’occasion de l’exposition : « Le Scouëzec – Montparnasse » à la Mairie du VIe arrondissement. Cet automne la galerie les Montparnos est absolument heureuse de vous accueillir, pour l’exposition Maurice Le Scouëzec, l’Amant de l’Afrique. Les murs de la galerie donneront à voir et à acquérir, oui, les œuvres de la Collection Robert Boudry, œuvres totalement inconnues du public, ainsi que les chefs-d’œuvre de la période africaine du peintre telle la femme au dos cuivré, que la critique aujourd’hui désigne sous le nom de la « Vénus africaine ». Exposition du jeudi 27 octobre au vendredi 23 décembre 2016. Vernissage le jeudi 27 octobre à partir de 18h30. Mathyeu Le Bal

Directeur de la galerie Les Montparnos ///

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Prisonniers à la corvée Mahamas, Madagascar, 1931 aquarelle sur papier située et datée en bas à droite 50 x 65 cm répertoriée au catalogue des oeuvres du peintre sous le N. 134

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« Voyageur du monde entier, marin puisque breton, Maurice Le Scouëzec a vécu d'une existence mouvementée qui trempe le caractére d'un homme et nourrit le talent d'un artiste. La vie qui n'a pas été tendre pour lui, parce qu'il s'est toujours refusé à composer avec elle, lui a en revanche octroyé ce don inestimable, l'esprit d'indépendance. Le Scouëzec n'abdique rien de sa liberté d'artiste. Le caractère de l'homme se retrouve dans sa peinture qui est probe et va droit au but sans fadeur comme sans artifice. Ce qu'il faut à Le Scouëzec ce sont de grandes surfaces à peindre et de grands sujets qu'il synthétise : il est né peintre de fresque. Ses pérégrinations, d'Océanie au Mexique, de l'Inde au lac Victoria, ses deux voyages au coeur de l'A.O.F. lui ont révelé le sens des civilisations primitives. Le voici qui emporte de Madagascar une vision qui va loin dans la connaissance de l'homme et des choses. Nul ne sait mieux que lui fixer d'un trait le mouvement qui est l'expressionmême d'un homme, grouper les foules et les animer, créer en quelques tons l'atmosphère d'un pays. Son dessin est sobre et fougueux, son style, soucieux de la composition et des valeurs, oppose les noirs aux blancs, les rouges brique aux verts sombres pour les tempérer par des gris nuancés qui lui appartiennent en propre. En dehors des écoles et des coteries, Le Scouëzec poursuit son oeuvre qui ne doit rien à personne et qu'on recherche. Aujourd'hui à Madagascar, demain nul ne sait où, il porte à travers le monde une vision qu'influença la contemplation de la nature bretonne, âpre campagne et mer tragique, parfois parées de grâces douloureuses. »

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Robert Boudry - Préface de l'exposition Le Scouëzec, Tananarive, 12 avril 1931.

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Rue du Caire Égypte, 1931 aquarelle sur papier située et datée en bas à droite 50 x 65 cm répertoriée au catalogue des oeuvres du peintre sous le N. 314

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Maçons au travail Soudan, 1928 huile sur papier marouflé sur toile signée et située en bas à droite 62 x 81 cm

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Il est des pensées que fait jaillir la nuit, épaves de pirogue qui ne peuvent se dégager des flots ; il est des pensées qui n'arrivent pas à se hausser jusqu'aux lèvres et qui ne sont qu'intérieures. Épaves de pirogues perdues loin des bancs de sable, qui se charrient simplement près du golfe. Devant, l'on voit une terre désertique, et derrière, l'océan infini. Ô mes pensées, quand naît la lune, et que tout ce qui se voit paraît boire les étoiles ! Ô mes pensées, liées, enlacées, épaves d'une pirogue aventureuse qui n'a pas réussi, vous êtes suscitées en un moment suave puisque déjà se repose aux limites de la vue tout ce que nous croyons être l'univers, et qui est le prolongement d'Iarive-la-sereine ; en un moment de paix, en un moment de bonheur : il siérait bien que s'éleva du fond du coeur le plus beau chant, le chant qui dit la dernière élégie, la fin du sanglot.

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Jean-Joseph Rabéarivelo (1903-1937) Extrait des six poèmes en vers libre, 1931

Le marché à Bobo-Dioulasso Haute-Volta, 1928 huile sur papier marouflé sur toile signée, datée et située en bas à droite 89 x 64 cm

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Remerciements La galerie remercie chaleureusement Françoise et Philippe de Brugada, petitsenfants de Robert Boudry, sans qui la réalisation de cette exposition n’aurait pas été possible. À Mme Bernadette Le Scouëzec – Le Huche, à M. Philippe Baudoin et l’Association du Barbier à la bouteille bleue, à Mme Anne Gardair, pour leur fidèle et inestimable amitié. À M. Gérard Bonicel et son épouse Élisabeth , à M. Guy Gauthier et son épouse Claude, pour le partage de leurs connaissances approfondies de l’œuvre de Le Scouëzec. Nous ne saurions oublier les collectionneurs qui ont permis la reproduction de leurs œuvres, qui ont soutenu ce projet par l’ouverture de leurs archives et mis à notre disposition de rares et précieux documents. Aux photographes des œuvres : Thierry Bécouarn et Juliette Raynal. Les photographies anciennes de l’Afrique auraient été prises par Mathilde Merle (l’épouse du peintre) lors du Voyage au Soudan de 1928. (Sources : Gwenc’hlan Le Scouëzec, Journal de Maurice Le Scouëzec en Afrique, p.11, ed. Beltan, 1993).

/ Conception graphique : Tanguy Ferrand 2016 ///

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27 OCTOBRE - 23 DÉCEMBRE 2016

Ô monde en gestation, île rouge, Madagascar ! À l'appel de tes syllabes Montent de ton sol tourmenté dans la fumée des feux de brousse ton visage multiple et ton âme secrète. Je veux les assembler dans une même formule comme l'amulette que le sorcier prépare avec un peu de terre blanche, des perles et du bois râpé. Je veux brandir aux yeux des peuples l'idole aux yeux de béryl qui veille aux bords de la Mer des Indes, pour qu'ils sachent, ô Madagascar, ta grandeur et ta diversité. Je veux que rompant tes amarres, tu t'avances, pirogue, aux carrefours du monde, confiante en ta destinée, et prennes conscience de toi-même.

Robert Boudry - Chant malgache

GALERIE LES MONTPARNOS - MATHYEU LE BAL 5, RUE STANISLAS 75006 PARIS 06 33 38 95 25 - contact@galerielesmontparnos.com www.galerielesmontparnos.com


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