Mayotte Hebdo n°749 (aperçu gratuit)

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CE QUE J’EN PENSE Mayotte-Comores : un différend à régler pour envisager un avenir plus serein La situation de ces derniers jours, et des prochains, dans les quartiers, les villages de Mayotte, me parait tendue, dangereuse, explosive. L’État français, les élus locaux, la population, les autorités comoriennes, tout le monde a laissé faire, laissé passer depuis 20 ans, chacun y trouvant son compte. Aujourd’hui le vase déborde. La “bombe à retardement”, évoquée par Mansour Kamardine alors qu’il était député, explose, et la “guerre civile”, plus récemment relayée dans un quotidien national, semble à nos portes. Aujourd’hui la population mahoraise est excédée de la situation, des terrains squattés, des écoles saturées, de l’hôpital à l’agonie, de l’environnement pillé, de l’image de l’île particulièrement dégradée à travers le monde, de l’exode de beaucoup à cause de tout ça, et de l’insécurité devenue intolérable. On peut compter les morts, se raconter les faits divers en direct, évoquer cette escalade de la violence au quotidien, cette vie en prison sur une île si belle… Certains s’en félicitent plus ou moins ouvertement, et en profitent pour mettre cela sur le dos de la départementalisation, essayant de faire regretter aux Mahorais leur choix, alors qu’elle constitue une boîte à outils qu’il suffirait d’utiliser. Au moins 100 000 personnes vivent en situation irrégulière sur l’île, 40 % de la population, sans droit, sans devoir, dans des conditions de vie indignes, sans moyen de manger, avec la peur quotidienne de se faire embarquer et de devoir risquer sa vie pour revenir. Une telle situation aurait explosé il y a bien longtemps ailleurs. L’hospitalité mahoraise, la tradition musulmane, la proximité culturelle ont sûrement permis d’accepter cet afflux massif, mais la taille de l’île n’est pas extensible et nous sommes clairement passés en situation d’urgence humanitaire et sécuritaire. Les Mahorais ne peuvent plus accepter que les efforts qui leurs sont demandés, que les efforts de l’Etat pour développer Mayotte soient étouffés par cette immigration clandestine massive. Avec plus de 650 habitants/km2, avec des ressources financières tendues, et alors que l’île essaye de rattraper ses retards, Mayotte étouffe. Je pense qu’il est possible de le comprendre, même pour les plus “humanistes” ou humanitaires d’entre nous. J’ai pour habitude de chercher des solutions aux problèmes en amont, plutôt que de perdre du temps à essayer d’arranger les conséquences sans fin. Courir derrière les clandestins fatigue, ne règle pas le problème et coûte cher. Mais si on cherche les causes en amont, on arrive directement à l’État comorien qui n’offre pas des conditions de vie dignes à sa population, qui la maintient dans des conditions de survie certainement inhumaines pour que tant soient prêts à risquer leur vie pour fuir leur pays, qui n’est pourtant pas en guerre. Pas de santé, pas d’éducation, pas de travail… Il y a là-bas aussi beaucoup de chantiers à mener… Même si les autorités comoriennes sont muettes sur le drame de leurs concitoyens qui les fuient. Les associations humanitaires ne seraient-elles alors pas plus efficaces à chercher des solutions en amont, à faire pression sur le gouvernement comorien, pour que le problème cesse, ou cela constitue-t-il leur fonds de commerce qu’il convient de conserver précieusement ?... À un moment donné il faut être honnête. Tout le monde a-t-il vraiment envie que la situation s’arrange pour cette population clandestine ? Faut-il maintenir les clandestins à Mayotte et essayer de rendre leur vie quotidienne moins difficile, ou faut-il leur permettre de vivre dignement, aux parents de disposer d’un travail pour nourrir leur famille et éduquer leurs enfants ? Dans ce cas il faut voir au-delà des bidonvilles de Kawéni et regarder vers Anjouan. Que peut-on faire ? Que doit-on essayer de faire ? Une coopération active, efficace, directe ne serait-elle pas efficace ? Les dirigeants français et comoriens y gagneraient à de très nombreux titres, plutôt que de laisser leurs populations souffrir ainsi. Le Quai d’Orsay doit être activé. Les négociations doivent être engagées sincèrement, honnêtement, dans le seul objectif d’améliorer le sort des populations. Chacun doit y apporter ses idées, ses demandes, ses limites. Beaucoup de Comoriens, disposant de la nationalité française, vivant souvent en Métropole, se font donneurs de leçons, souvent cachés derrière leurs écrans et leurs pseudonymes, et déplorent les conditions de vie de leurs compatriotes vivant à Mayotte… Mais pourquoi ne s’intéressent-ils pas plus aux conditions de vie aux Comores, dans le Nyoumakélé ? Pourquoi ne reviennent-ils pas vivre dans leur pays, pour participer à son décollage ? Il y a tant d’opportunités à saisir. S’ils ont pu bénéficier du système scolaire français, s’ils ont pu faire des études - tant mieux -, s’ils ont pu mettre de côté des capitaux pour investir (et pas seulement faire leur grand mariage et construire des “palais” inoccupés), mais pourquoi ne s’attellent-ils pas au développement de ces îles voisines ? Ils préfèrent hypocritement laisser la misère chez eux et pleurer sur le sort de ceux qui en souffrent et vivent traqués, ceux qui risquent leur vie en kwassa… C’est tellement plus facile et ça demande tellement moins de courage. Ils préfèrent taper sur les méchants mzoungous, sur les méchants Mahorais, sur tous ces “racistes”, plutôt que sur leurs dirigeants qui pillent leur pays depuis des décennies et provoquent cette misère et cet exode. Pourquoi n’essayent-ils pas de trouver des solutions, de voir s’il y aurait moyen de travailler intelligemment avec la France, avec Mayotte, ou d’autres, pour que notre région s’arrange, au bénéfice de tous ? Je l’ai plusieurs fois évoqué dans ces colonnes. La solution à la situation dramatique que vivent Mayotte et les Comores viendra des dirigeants comoriens. Tant que les dirigeants comoriens ne respecteront pas le choix des Mahorais, tant qu’ils mentiront honteusement à leur peuple maintenu dans l’ignorance, tant qu’ils se serviront de Mayotte pour cacher leur incapacité à faire décoller leur pays, la situation ne bougera pas. Peut-être se satisfont-ils tout à fait de la situation, avec leurs passeports français, leurs enfants qui étudient en France, eux qui vont s’y faire soigner, avec l’argent qui aurait pu servir à améliorer la situation de la population ? Tant qu’ils répèteront en boucle que Mayotte est comorienne pour haranguer les foules dans leurs meetings électoraux, la situation s’aggravera, car aucune négociation ne pourra avoir lieu. Et ce sont les populations ici qui en souffriront. Des frères et des sœurs ne sont pas obligés de vivre dans la même maison quand ils grandissent. Cela n’empêche pas les relations familiales, les relations de bon voisinage. Et il y a beaucoup à faire. Je pense que Mayotte, mais peut-être plus encore les Comores ont beaucoup à gagner en pacifiant leurs relations. Je pense que tous ceux qui veulent vraiment sortir du drame que nous vivons devraient mobiliser leurs énergies dans ce sens. Plutôt que de s’insulter, se menacer, chacun devrait essayer d’imaginer tout ce que l’on aurait à gagner à engager des relations saines et sereines entre les Comores et Mayotte. Laurent Canavate


Ce que vous en dites CHRONIQUE Contre nous de la tyrannie Le premier tir de semonce, à mon sens, remonte à 2008 lors de l'affaire Mohamed Bacar. C'était le tyran, le traitre qui allait demander refuge chez l'ennemi, le Louis XVI en cavale dont certains voulaient la tête pour l’accrocher sur la place publique. Il n'en reste pas moins, et c'est notre grand drame, que ce dernier a importé et répandu les semences d’une violence sans précédent qui allait gangrener notre île. C'est de ce conflit qui ne nous concernait ni de près, ni de loin, que jaillit une protorébellion dont le langage, les tenants et les aboutissants étaient difficilement déchiffrables. De plus, le discours grandiloquent de vivre-ensemble et de communauté intégrée allait être largement mis à mal. Certains membres de la communauté comorienne présente sur l’île décidaient de laver leur linge sale sur notre territoire tout en profitant de l'occasion pour s'attaquer à tout ce qui peut rappeler la France. C’est bien la première fois sur notre île que des personnes se sont fait maltraiter, agresser, violenter parce qu’elles avaient le malheur d’être « blanches » et françaises. Les Mahorais, horrifiés, ont protégé leurs compatriotes avec véhémence comme ils ont pu. Nous n’avons pas à cette époque lu de tribune des pseudo-humanistes, nous n’avons pas entendu leur indignation face à cette situation. Nous n’avons pas lu de courrier de nos frères Mlaili Condro et consort appelant à s’insurger contre ces violences « ethniques ». Certains membres de la communauté comorienne se sont rendu compte de la facilité déconcertante avec laquelle on peut déstabiliser cette île, la terroriser, tout en défiant avec sarcasme l’autorité française chez elle. Elle s'attaquait à la France à cause de ses principes humanistes, ceux qui font qu'on protège d'abord l'humain, qu'il soit dictateur, boulanger ou étranger car nous sommes dans un pays de Droit, nous sommes loin de Saint-Just qui, pour livrer Louis XVI en pâture au peuple assoiffé de sang, déclarait que "Le droit du peuple contre la tyrannie est un droit personnel". Mais pendant que certains membres violents de cette communauté s'insurgeaient contre

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MAYOTTE HEBDO N° 749 r 13 MAI 2016

le droit d'asile demandé par Mohamed Bacar, d’autres, appuyés à juste titre par des organisations humanitaires, le revendiquaient, en débarquant en masse sur l'île. Un nouveau discours, un nouveau rapport avait incontestablement fait surface: la peur devait changer dès lors de camp, il n'était par conséquence plus nécessaire de se camoufler. L'expression de la fierté comorienne qui se faisait en coulisse commença à gagner la rue, l’espace ouvert: les t-shirts "Je suis fier d'être comorien » ont commencé à être mis en avant, le port du shiromane, tissu par excellence politique que le Président Ali Soilihi avait tenté d'imposer dans tout l'archipel pour représenter la femme comorienne, était de mise. La minorité était à la lisière du visible, de l’allant-de-soi et la périphérie. En 2011, aidés par des organisations qui jouent entre l'humanitaire et la politique, et exploités par des cellules, les jeunes délinquants ont reproduit la forme de pression qu'ils avaient exercé en 2008. Certains avait compris qu’il y avait là un terreau, du pain béni pour soit exercer une pression sur l’Etat à des fins politiques, soit préparer quelque chose de plus dur, de plus organisé, qui pourrait aller dans le sens des indépendantistes, autonomistes frustrés. Il s’était agit de tester la capacité de réaction des autorités et son seuil de tolérance. Et les jeunes délinquants étaient chevronnés et encadrés dans l'exercice de leur violence. Ceci peut nous emmener à dire que s'il devait y avoir une guerre civile, elle ne serait pas spontanée. Ou bien

cette spontanéité ne serait qu’apparente car maîtrisée, orchestrée. Ce serait le fruit d'un travail souterrain, en amont, car une guerre civile exige une certaine logistique. Et ma foi, elle ne devrait pas être pour cette année, et si ce devait être le cas, ce serait une précipitation, un couac dans l’orchestration de cette horreur. Car au final, les problèmes actuels ne sont pas si compliqués à régler: on demande à tout un chacun de faire son travail, de vaquer à ses missions. Si les maires adressaient leurs arrêtés au procureur de la République pour expulser les personnes occupant illégalement une parcelle, les gendarmes pourraient faire leur travail et ainsi éviter à la population de se mettre dans cette situation. Si on était plus dur, et moins enclin à bavasser, à donner de leçon, si on s’occupait enfin de ces entrées illégales et qu’on mettait les moyens permettant de mieux gérer les flux, alors peut-être que le sentiment d’être envahi serait moindre. Et si, et là, il faudra le faire, on demandait des comptes, des bilans à ces associations censées s’occuper de la délinquance, des immigrés, si la Cimade, le Village d’Eva, Tama nous exposaient clairement ce qu’ils font de l’argent public, alors peut-être qu’on pourrait avoir le sentiment d’investir dans de l’utile. Et comme nous l'avons dit plus haut, cette violence viendra de l'extérieur, et sera exploitée par des éléments étrangers à l’intérieur de notre île. Il faut donc suivre de près ce qui se passe chez nos voisins. Il faut réellement réfléchir sur ce qui s’est passé de 2008 à aujourd’hui. Yazidou Maandhui


contact@mayottehebdo.com LE COURRIER DE LA SEMAINE Délinquance Le Medef veut réglementer la possession de chombos "Il apparait que de plus en plus souvent l’usage de chombos est impliqué dans les actes de délinquance frappant nos entreprises et leurs collaborateurs. Nous avons tous croisé sur la voie publique des groupes d’adolescents (quand ce ne sont pas des enfants) se promenant avec un chombo à la main. Et lors des émeutes et affrontements entre bandes rivales de jeunes de villages en conflits ces chombos sont omniprésents. Ne pourrait-on imaginer un arrêté préfectoral limitant la vente de chombos à toute personne titulaire de papiers en règle et se livrant à une exploitation agricole ou ayant un terrain agricole ou un jardin en propriété ou location, imposant aux commerçants les commercialisant la tenue d’un registre avec les noms, prénoms, adresses, N° de pièce d’identité du client acquéreur. Il faudrait également imposer aux propriétaires

de chombos de faire une déclaration de possession de cette arme, car il s’agit bien d’une arme blanche sur un registre spécial auprès de leur commissariat ou gendarmerie de résidence. Enfin, il faut appliquer une sanction à toute personne contrôlée sur la voie publique en possession d’un chombo sans récépissé de déclaration. La sanction pouvant être à minima la confiscation en vue de destruction. Je pense sincèrement que la population et les entreprises ont besoin d’actes forts de ce type pour rétablir la sécurité du territoire. Si l’interdiction de chombos peut paraitre être une mesure extrême, une telle réglementation apparait comme une évidence. Car si on conçoit de voir un paysan avec un chombo à la campagne, qu’est-ce qui justifie que des adolescents ou même des enfants en aient un dans les rues de Mamoudzou […]?" Thierry Galarme, président du Medef Mayotte

Le poster de la semaine

Sondage (600 votants) Soutenez-vous les expulsions de la population étrangère par des collectifs d'habitants à Mayotte ? oui, la situation d'immigration non contrôlée l'exige

56,17 % non, je comprends le ras-le-bol des habitants, mais ce n'est pas la bonne méthode

21,17 % non, c'est à l'Etat de prendre ses responsabilités

12,67 % non, c'est inadmissible, ce sont des actes xénophobes

10,00 %

Le tweet de la semaine Découverte du jour: Une affiche du mouvement "Joue la comme Mayotte". Affiche vue Rue de Belleville (Paris). #Mayotte pic.twitter.com/ekxMhJ7lSb @Radio_Lagon_976 (Des militants d'extrême-gauche opposés au projet de loi travail El-Khomri ont tenté mardi de bloquer la voie express sur les quais de Seine du côté de Bercy. Mais l'action a échoué selon le site anticapitaliste paris-luttes.info)

Les commentaires sur la page Facebook (À propos des expulsions menées à Choungi) "Moi je ne connais pas de Mahorais qui font venir ces gens comme vous dites, car ils viennent de leur propre chef. Mais ce qui est sûr, c'est que je ne suis pas d'accord du tout avec ce qu'il se passe, car on a tous besoin d'un endroit pour vivre, même si ce sont des cases en tôle et ça ne se fait pas franchement. Ça me choque, car ce sont des êtres humains. Boueni Bambo (À propos de notre sondage sur les expulsions menées dans les lotissements de bangas) "Situation très difficile et délicate. C'est au gouvernement de proposer des solutions à ce problème crucial de Mayotte qui engendre les conflits, la délinquance et l'insécurité sur l'ile ! Alors que le gouvernement se BOUGE, nom d'une pipe !" Christine Jean-Guyader

Scène de vie quotidienne à Mayotte. À l'heure de la prière, les Mahorais se rendent à la mosquée. Le photograph e David Lemor immortalise ce rituel de manière très graphique est colorée, avec cet homme et son parapluie bleu, grim pant les marches et s'apprêtant à fran chir les grilles jaunes de l'édifice sain t.

(À propos de l'autopsie de Frédéric d'Achéry, qui n'a pas permis de lier son décès avec l'agression subie trois jours avant) "C'est peu être pas les coups de ses agresseurs, mais l'état de choc mental a sûrement fait basculer la vie de l'autre côté. Donc, pour moi il n'y a aucun doute. Ce sont des meurtriers. Point." Yruama Epuop


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