Mayotte Hebdo n°761 (Aperçu gratuit)

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S O M M A I R E 761 9 SEPTEMBRE 2016

6/7 ÉVÉNEMENT GRÈVE DES AGENTS DU CONSEIL DÉPARTEMENTAL 10/15 LES DÉBATS DE MAYOTTE HEBDO SOMMES-NOUS DES SOUS-FRANÇAIS? 16/17 LE MAG 1…2…3…BALEINES ! 18/19 AUTO-MOTO ŠKODA KODIAQ LE SUV VENU DE L’EST 23/25 MAYOTTE ÉCO ENTREPRENEURIAT/CONSOMMATION/PORTRAIT 26/27 TOUNDA PORTRAIT/JEUX 32/36 SPORT INTERVIEW/RÉSULTATS/PROGRAMME

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TRIBUNE LIBRE

MAYOTTE :

UN DÉPARTEMENT À POPULATION MUSULMANE L’auteur et conférencier Salim Mouhoutar analyse les caractéristiques de l’Islam à Mayotte. Il s’interroge également sur le risque d’intégrisme sur l’île. Deux faits importants viennent de relancer, en des termes parfois polémiques, le débat sur la place de l’Islam en France : d’une part le port du « burkini » sur les plages, d’autre part, la création de la fondation pour l’Islam de France. Ces deux faits nous offrent l’occasion de rappeler notre position et nos commentaires mais aussi de poser la question centrale de l’Islam à Mayotte, et surtout de se demander si Mayotte est à l’abri des tentations d’intégrisme. Rappelons que les musulmans de Mayotte, associés à ceux issus des anciennes colonies françaises d’Afrique notamment du Maghreb, ont importé la religion musulmane en France. Et l’Islam est aujourd’hui la première religion des Mahorais mais aussi la religion de six millions des Français. Pour les tenants de l’extrême droite française et de toutes les pensées d’exclusion, l’Islam en général poserait des problèmes spécifiques. Et depuis quelque temps, on assiste à une confrontation mondiale entre les valeurs de l’universalité et les ressorts de l’identitarisme ethnicise, tribalisme, religiosité, intégrisme - qui prend de plus en plus les allures d’un conflit. Et les Français considèrent désormais que leur territoire est une sorte

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de terrain pour cette « guerre ». De glissements en débordements, de surenchères démagogiques en crimes racistes, par incompréhension mutuelle, on en vient à confondre Islam, islamisme, intégrisme et terrorisme. L’Islam mahorais Pendant ce temps la France dispose depuis le 31 mars 2011 d’un département peuplé en quasitotalité de musulmans. Il faut souligner qu’il s’agit d’un «Islam mahorais» sunnite, de rite musulman chaféite, pratiqué de manière ouverte et tolérante (Précisons qu’il y a quatre grands rites musulmans : Malékite, Hanafite, Chaféite et Hanbalite). Celui-ci a imprégné profondément la vie civile mahoraise des principes musulmans, a «habillé» à postériori certaines pratiques culturelles d’Islam, pour leur donner une nouvelle légitimité plus forte, a toléré certaines pratiques culturelles contraires à l’orthodoxie islamique, et a éloigné certaines fêtes de leur sens religieux pour se charger d’un sens social. Cet Islam n’a jamais été considéré comme une cause d’exclusion, ni de discrimination ou comme un outil de guerre mais bien comme une foi individuelle et une réalité sociale positive et gratifiante. Il est parvenu à cohabiter dans la proximité et dans la mixité et sans

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difficulté avec les autres groupes religieux musulmans ou chrétiens de l’île, à savoir les musulmans « Bohra » dont leurs pratiques religieuses regorgent des spécificités indiennes, les catholiques, les évangélistes, les protestants et les témoins de Jehova. C’est une réalité qu’il ne faut pas nier. Il faut également rappeler que l’Islam pratiqué à Mayotte ne dépend pas seulement de la foi individuelle mais aussi des signes - y compris matériels – qu’on en donne : les écoles coraniques et les madrasas (environ 350) qui se sont multipliées ; les mosquées (environ 800) qui croissent plus vite encore que la population ; les minarets sur les mosquées (Inexistants avant 1976, excepté celui de la grande mosquée de Chiconi, ils rivalisent désormais en hauteur et en élégance) ; la hausse du nombre de pèlerins à La Mecque depuis 40 ans. Selon l’Association des Pèlerins de Mayotte, on en dénombrait environ 20 en 1976, environ 50 en 1983 et plus de 500 depuis 2008. Qui a contribué à forger une identité mahoraise ? Au-delà du fait religieux, l’Islam à Mayotte est un fait social, qui a apporté aux Mahorais le statut civil personnel, qui est l’une des composantes les plus importantes de l’identité individuelle, inspiré pour l’essentiel des règles juridiques d’origine islamique et coutumière. Celui-ci régissait les règles relatives à l’âge du mariage, au régime matrimonial- (absence de communauté de biens entre époux) et à la succession (règles de partage des biens d’un défunt). Et concernant la dénomination, les Mahorais ont adopté le système onomastique porté par l’Islam, qui est principalement caractérisé par des noms à résonnance religieuse et plus précisément musulmane. Il s’agit de beaux noms, aux vocables valorisants, susceptibles de plaire à Dieu et d’attirer Sa Miséricorde, mais aussi de leurrer les esprits maléfiques. Qui a toléré certaines pratiques ? Alors que le « fiqh » (jurisprudence islamique) interdit le vacarme pendant les funérailles, la coutume étant plus forte, le cortège funéraire chante en chœur la formule de la profession de foi (il n’y a de Dieu qu’Allah et Mohamed est son prophète). De même qu’il recommande (mais n’oblige pas) d’arroser la tombe avec de l’eau, la coutume en fait une obligation très ritualisée lors du « lakini » (viatique). Et enfin, pour parvenir à accomplir les cérémonies funéraires coutumières, le cercle de ceux qui doivent supporter les frais « Tabaruku » s’élargit. L’argent collecté sert aux diverses prestations coutumières, dont l’achat d’un animal (zébu) qui sera sacrifié. Dans ces rites funéraires, la famille du défunt désobéit à la règle islamique qui


TRIBUNE LIBRE interdit l’excès (7/31) et l’ostentation : « Ô fils d’Adam. […] ne commettez pas d’excès…» On observe également que les funérailles à Mayotte ont intégré des pratiques animistes antéislamiques telles que le rôle des femmes dans le maternage du mourant, les rites d’hommage à la vie (repas) ou le culte des esprits mêlant l’Islam à l’animisme. En effet, beaucoup de lieux de sépulture à Mayotte portent les traces d’offrandes de miel, d’œufs, de parfum à l’eau de rose, de piécettes. Qui a éloigné certaines fêtes de leur sens religieux Chaque année, le 25 décembre, de très nombreux Mahorais, mais aussi des Français métropolitains célèbrent la fête de Noël comme une réjouissance familiale et sociale, même s’ils ne sont pas catholiques ou musulmans. On peut en dire autant pour la Fête musulmane de l’Ide. Noël comme l’Ide el Fithr se sont éloignés de leur signification religieuse pour se charger d’un sens social. Pour l’année 2015, c’est le hasard heureux du calendrier qui a fait coïncider l’anniversaire de la naissance du Prophète du Christianisme à celui du Prophète de l’Islam. Le « maulid » ou « maoulida » en mahorais, qui consiste à raconter en psalmodiant la «sira»(biographie du prophète) au moyen du texte d’Al – Barzandgi (auteur), est de toutes les fêtes islamiques la plus importante. Car il célèbre la naissance du prophète, il est aussi donné comme prénom – Maoulida – aux enfants (filles et garçons) nés dans le même mois que le prophète. Dans l’histoire mahoraise récente, il n’y a jamais eu autant de débats sur le « maulid » que ces dix dernières années. Pour les adversaires de la pratique du « maulid », le célébrer est une invocation blâmable, car pour eux, ni le prophète, ni ses compagnons ne l’ont fait, alors qu’ils étaient les meilleurs des musulmans. Les opposants dénoncent aussi l’excès et le zèle. Pour les plus favorables, c’est un acte religieux « Ibada » (une bonne action). Cette position est motivée d’une part par le Hadith du Prophète qui dit que : « Quiconque prie une seule fois pour moi, Dieu priera cent fois sur lui ». Et, d’autre part par le verset coranique de la sourate Al – Ahzab (les coalisés) qui dit ceci : « Ô vous, croyants ! Priez pour lui et appelez sur lui le salut » (33/56). En tout cas pour la majorité des Mahorais, il ne leur viendrait jamais à l’esprit de ne pas célébrer le « maulid ». S’agissant de l’excès et du zèle, ils disent qu’ils pratiquent ce que le Coran indique : « Ceux qui honorent les rites où l’on glorifie Dieu font preuve d’une grande piété ».

Qui a «habillé» d’Islam certaines pratiques Un certain nombre de pratiques mahoraises ont été « habillées » à postériori par l’Islam pour leur donner une légitimité plus forte. Parmi ces pratiques, on peut rappeler par exemple la demande du pardon « utsaha raddhi », c’est à dire la subordination de l’individu mahorais à l’Être Divin, et donc à la conception qu’il doit avoir de la relation humaine et de la réconciliation «suluhu», procédure qui privilégie l’unité. Il serait donc intéressant de s’en inspirer pour élaborer de nouveaux modes de médiation sociale. Une manifestation de dérive intégriste en 2014 Même si l’Islam y est pratiqué de manière ouverte et tolérante, force est de constater que Mayotte n’est pas à l’abri de tentations de l’intégrisme religieux. On voit ainsi surgir certains signes récents dus à la montée du radicalisme identitaire des Mahorais les plus conservateurs, communément surnommés les «Djaoulas». Il s’agit d’une sorte de corporatisme religieux, rigoureux, pratiquant un islam très rigide par rapport à celui en vigueur traditionnellement – un islam tolérant aux pratiques animistes coutumières, associé à la contagion d’une dérive comorienne, seule réponse politique actuelle au sous-développement persistant aux Comores, et surtout à la crise d’identité que le développement de Mayotte induit dans certaines couches de la société mahoraise. On peut penser que l’émergence de ces «Djaoulas» est le fait de la formation de jeunes Mahorais dans les universités islamiques connues pour leurs positions très orthodoxes. Un fait important, dont il est nécessaire d’en rendre compte, vient illustrer à des termes parfois polémiques cette montée de l’intégrisme. Pendant qu’elle fêtait en 2014 le Nouvel An musulman (l’an 1436 - Muharram), la population mahoraise a assisté pour la première fois à une manifestation qualifiée de dérive intégriste, qui s’est déroulée dans les rues de Mamoudzou, où des enfants d’une «madrasa», en ordre militaire et presque en uniforme, ont défilé en effectuant le salut militaire et ont chanté l’hymne musulman « Allah Akbar » (Dieu est grand). Ce début d’intégrisme a été rapidement dénoncé par la population. Sans être grave, ce phénomène est d’ores et déjà préoccupant. Cette situation nous interroge sur l’évolution à venir des mentalités et de la pratique de la religion musulmane dans l’archipel. Salim MOUHOUTAR : Auteur et Conférencier

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