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S23 SEPTEMBRE O M 2016 M A I R E 763 6/7 ÉVÉNEMENT 66 % DE LA POPULATION IGNORE TOUJOURS LE RECYCLAGE 10/13 ENQUÊTE L’ISLAM : MAYOTTE, UN EXEMPLE POUR LA FRANCE 14/15 TÉMOIGNAGES CONSEIL DÉPARTEMENTAL : COMPLAINTES DEPUIS LE FOND DU PLACARD 16/17 MAG JARDIN BOTANIQUE DE COCONI 18/19 AUTO-MOTO À MOTO OU EN SCOOTER, LE PORT DES GANTS DEVIENT OBLIGATOIRE 21/23 MAYOTTE ÉCO COMMERCE/EMPLOI/PORTRAIT 26/29 TOUNDA PORTRAIT/JEUX 30/34 SPORT INTERVIEW/RÉSULTATS/PROGRAMME www.mayottehebdo.com r 09/2016 r Mayotte Hebdo N°763
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CE QUE VOUS EN DITES
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CHRONIQUE
Le jour d’après ? Mais où va donc Mayotte ? Jeune département français, fatigué mais aux prétentions toujours nationales, quand bien même la globalisation et les vagues mutations fissurent son modèle économique et social ? Ou bien parfaite succursale de l’île de La Réunion ? Mais où va donc Mayotte ? L’invective deviendrait-elle le fondement de nos débats et la seule posture dans nos échanges ? Mais où va donc Mayotte ? Subrepticement, les observateurs internationaux se posent la question et depuis quatre ans - élections après élections, grèves après grèves, agressions après violences physiques sur autrui, les Mahorais aussi. Ecartelés entre souverainistes et régionalistes, communautaristes et individualistes, défaitistes et utopistes, partisans du tout État et libéraux, les partis comme la société mahoraise paraissent choisir… de ne pas choisir. Mais où va donc Mayotte ? Notre 101ème
département français est désormais à sa croisée des chemins, là où se joue le destin des nations et des hommes. Lorsque j’ai publié en 2011 « Mayotte, le 101ème français. Et après ?» (Édition l’Harmattan), j’ai défendu la thèse selon laquelle l’élévation de Mayotte au rang de département français a été mal préparée et a été érigée avec une certaine improvisation manifeste. À coup sûr, nos gestionnaires des affaires publiques n’ont que peu ou prou mené un questionnement abouti sur la façon de gérer les affaires publiques dans l’après-départementalisation. Événement fondateur, forme originale d’une décolonisation intra-française selon l’expression d’Yvan Combeau, le passage au statut de départementalisation d’outre-mer a transformé Mayotte. En accédant à ce statut, l’île allait ainsi être construite autour des thèmes de l’assimilation, de l’intégration et de l’exigence de l’égalité sociale (sinon d’égalité réelle) afin de sortir de la misère post-coloniale. En effet, être département français n’est
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pas un vain mot. Ce n’est pas juste un dessein ni une fin en soi. Etre département français c’est, selon Aimé Césaire, alors jeune député de 33 ans en 1946 et rapporteur du projet de loi au nom de la Commission des territoires d’Outremer, sortir de « la doctrine réactionnaire de discrimination et accéder à toute la doctrine républicaine de l’intégration, qui passe par un processus d’assimilation ». Or, pendant des années les débats identitaires et institutionnels de l’après-départementalisation ont médiocrement relégué l’économie mahoraise au second plan. Si l’on lit attentivement les comptes rendus des débats publics et des rapports officiels (en particulier celui-ci intitulé « LA DÉPARTEMENTALISATION DE MAYOTTE. Une réforme mal préparée, des actions prioritaires à conduire », Cour des Comptes, janvier 2016), on s’aperçoit qu’il est fort peu de question d’économie, du moins sur l’angle de création de richesses, d’emplois et de développement du territoire. Les gestionnaires des affaires publiques dénoncent un système « capitaliste postcolonial » mais ne proposent rien, sinon des modèles opérationnels comme paradigme de substitution. Constater que nous sommes à la croisée des chemins ne suffit pas, encore faut-il être force de propositions. Encore faut-il éclairer l’avenir en mettant à disposition une plateforme - papier et numérique. Car il semble bien qu’avant 2011, se poser de telles questions était presque suranné. Une tragédie dans cette île ! Pendant des années, en effet, Mayotte a continué de vivre dans un statut à mi-chemin entre colonie et département à accumuler les retards économiques et sociaux. À présent Mayotte-département demeure désespérément un territoire abandonné, où les politiques publiques ne donnent guère de résultats et d’espoir. Il est temps que chacun s’interroge sur ce que doit être la trajectoire susceptible de faire franchir à ce 101ème département français une nouvelle étape de son développement. Si l’on a pu lire ça et là que l’activité économique du pays sur l’année 2015 est resté soutenue par l’activité bancaire, « avec comme principaux pôles de croissance les crédits à la consommation et ceux de l’habitat », les économistes de l’IEDOM (Institut d’Emission des Départements d’Outremer) toussent puisque, préviennent-ils, un tel modèle macro-économique ne permet pas « relancer le défi d’un développement durable et pourvoyeur d’emplois ». Pire, la plupart de ses secteurs d’activité «soulignent une activité en retrait», dixit l’Institut. D’ores et déjà l’année 2016 montre de nombreux signes d’effritements. Pour preuve, de nombreuses TPE-PME « vont devoir stopper leur business et licencier leur personnel à la fin de cette année », prévient, en off, le président de la CGPME Mayotte.
CHRONIQUE En réalité le véritable risque réside sur quatre principales lectures : d’une part, dans la faiblesse des finances publiques des collectivités territoriales là où la commande publique se raréfie de façon consécutive depuis 2011. Une situation aggravée par la montée grandissante des violences urbaines. Au point que tels les tonneaux de Danaïdes, Bruxelles et Paris renâclent plus que jamais à injecter des fonds supplémentaires dans les paniers percés des collectivités mahoraises. D’autre part, la morosité des chefs d’entreprises, liée au manque de visibilité, est aggravée par le déficit de consommation en cours dans le cadre du programme CPER (Contrat de Projet État-Région) : « seulement 11 millions d’euros au titre du Contrat de projet 2015, quant il faudrait consommer 65 millions par an », tance l’AFD (Agence Française de Développement). Derechef, les effets d’annonces sur les fonds dithyrambiques débloqués par Bruxelles et par Paris ne résoudront en rien les incertitudes micro et macro-économiques dans ce département. En outre, on observe que les défaillances manifestes des politiques de l’emploi face au chômage en général, au chômage des jeunes en particulier, ne sont pas dues qu’à des carences dans les politiques publiques et de la part de ceux qui les mettent en œuvre. Elles découlent aussi des limites des théories actuelles du marché de travail mahorais et de l’employabilité. À l’évidence, lorsqu’on fait une approche de la segmentation du marché de travail, les insiders (ceux qui ont un emploi) baissent et les outsiders (ceux qui en cherchent désespérément) augmentent de façon mécanique. Enfin, le développement économique de Mayotte est artificiel sinon abscons. En effet bien que son taux de croissance reste le plus élevé de France, avoisinant les 7 % porté par la consommation des ménages et des administrations, son PIB demeure le plus faible des départements d’outre-mer, soit 8 000 euros par habitant, contre 15 000 euros en Guyane. Le taux de chômage à Mayotte est de 36,6 %, soit le plus élevé des DOM. Il ne peut pas y avoir un développement économique aux fins heureuses dans ce pays avec une croissance essentiellement mue par la consommation, et une économie fermée qui ne fait qu’importer. In fine, le modèle économique actuel ne peut pas être durable et à coup sûr va s’effondrer ! Une théorie qui trouve grâce à travers la bouche du Prix Nobel d’économie 2001 Joseph Stiglitz, expliquant dans une récente interview que « la dégringolade de l’économie grecque n’était pas une erreur mais un ajustement inévitable d’un train de vie artificiel s’appuyant sur les emprunts à celui qu’on peut entretenir sur l’économie » (In, Le POINT du 14/09/16).
Plusieurs questions cruciales appelleraient un «aggiornamento» théorique d’urgence au risque de devoir renoncer sans délai au statut de département français. Et à l’évidence, je pense tout d’abord en particulier que la première étape est de définir un nouveau modèle économique qui crée de la croissance et non qui fasse demeurer une forme d’assistanat. De prime abord, il nous faut créer des pôles de compétitivités dans cette île, en incluant les acteurs des entreprises, nos écoles d’enseignements et de formations professionnelles (CUFR de Dembéni, Ecole de gestion de Mayotte, les CFA, le BRSMA etc.), les collectivités territoriales et l’État. Ces pôles de compétitivités ont vocation à être installés dans des ZFA (Zones Franches d’Activités). En effet, les ZFA ont été mises en place dans les territoires ultramarins dans le cadre de la loi n° 2009-594 du 27 mai 2009 pour le développement économique des outremer (partout sauf à Mayotte). Ce dispositif permet aux entreprises installées dans ces zones de bénéficier d’aides fiscales sur la valeur ajoutée (abattement de 70 %), sur l’impôt sur les sociétés (abattement de 35 %) et sur la taxe foncière. Au total, ce sont 15 millions d’euros de fiscalités locales qui ne seront pas prélevés auprès des entreprises en 2017. A l’heure où les entreprises mahoraises cumulent les handicaps, la necessité de créer des ZFA à Mayotte n’a plus besoin d’être prouvée. Ensuite, la politique d’intervention économique de l’État sur ce territoire doit viser deux secteurs clés de l’économie : l’innovation et l’éducation. Enfin et surtout, la clé du succès à cette évolution institutionnelle et économique réside sur au moins deux autres points : primo sur la capacité de la Cité à se gouverner à long terme ; et segundo de la capacité qu’ont les citoyens à assumer leurs actes. La tâche s’avère ardue car les multiples retournement de vestes depuis 2011 a étiolé la capacité de la classe politique à gérer les affaires publiques à long terme. Marcel Gauchet y voit bien ici la conséquence d’un certain avilissement de la liberté moderne, en ce sens qu’on a « le culte du rebelle, on affectionne la posture oppositionnelle…et on ouvre une carrière sans limite à la surenchère démagogique ». Dans ces conditions, comment éviter de filer tout droit dans le mur ?
[ Madi Abdou N’tro, poète-essayiste
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