Mayotte Hebdo n°956

Page 1


CONTINUER À SOUTENIR CELLES ET CEUX QUI NE S’ARRÊTENT JAMAIS www.credit-agricole.fr/ca-reunion Édité par CAISSE RÉGIONALE DE CRÉDIT AGRICOLE MUTUEL DE LA RÉUNION Société coopérative à capital variable, agréée en tant qu’établissement de crédit, 312 617 046 RCS SAINT-DENIS (LA RÉUNION). Siège social : Parc Jean de Cambiaire - Cité des lauriers - BP 84 - 97462 Saint-Denis Cedex. Société de courtage d’assurance immatriculée au Registre des Intermédiaires en Assurance sous le n° 07 023 120. www.credit-agricole.fr/ca-reunion


LE MOT DE LA RÉDACTION

LE CAS DES CASES Le mois dernier, 48 cases en tôle ont été détruites à Labattoir ; en mars, 200 à Koungou ; en février, 120 à Dzoumogné. Particulièrement depuis la fin de l'année dernière, la préfecture affirme sa volonté de résorber à vive allure l'habitat illégal, à travers des opérations prévues dans le cadre de la loi Elan. Ce même texte qui oblige l'État à reloger provisoirement les personnes décasées, y compris lorsqu'elles sont en situation irrégulière. Et ce au nom du respect de la dignité humaine. Mais à Mayotte où les logements dédiés apparaissent dérisoires face à l'importance de la population concernée, de nombreux dysfonctionnements émergent, systématiquement, comme l'a encore démontré la destruction du quartier Jamaïque. Pour autant, les décasages se poursuivent afin de "rétablir l'état de droit", comme insiste la préfecture. Mais à la veille d'une nouvelle opération prévue à Miréréni, où vivent au moins 250 personnes sur un terrain communal, cet "état de droit" prend un tout autre sens. Demain, ils seront des dizaines à dormir dans la rue, avant de repartir s'installer clandestinement ailleurs, d'où ils seront chassés de nouveau. Demain, ils seront des dizaines à s'enfoncer un peu plus dans la précarité et l'insalubrité. Demain ne sera finalement qu'un jour de plus. Bonne lecture à toutes et à tous.

TOUTE L’ACTUALITÉ DE MAYOTTE AU QUOTIDIEN

Lu par près de 20.000 personnes chaque semaine (enquête Ipsos juillet 2009), ce quotidien vous permet de suivre l’actualité mahoraise (politique, société, culture, sport, économie, etc.) et vous offre également un aperçu de l’actualité de l’Océan Indien et des Outremers.

tidien

er quo otteL e-Mai de May sé par nt

Le 1

diffu

Diffu

Diffu

nEME

Sur Abon

0 04.fr anadoo 0269 61 2 fos@w

flash-in

tiDiEn

Er quo ottEL E-MAi DE MAy SÉ PAr nt

LE 1

nEME

Sur Abon

0 04.fr anadoo 0269 61 2 fos@w

0 04.fr anadoo 0269 61 2 fos@w

flash-in

flash-in

FI n°3839 Lundi 7 mars 2016 St Félicie

tiDiEn

Er quo ottEL E-MAi DE MAy SÉ PAr nt

LE 1

0269 61 63 55

Fax : 0269 61 63 00

Diffu

nEME

Sur Abon

0 04.fr anadoo 0269 61 2 fos@w

VERRES À VIN, COCKTAIL, COUPE À GLACE...

BP 263 - ZI Kawéni - 97600 Mamoudzou - email : hd.mayotte@wanadoo.fr

flash-in

FI n°3822 Jeudi 11 février 2016 Ste Héloïse

à partir de

9€

RENSEIGNEMENTS Tél : 0639 67 04 07 | Mail : contact@mayotte-e-velos.yt

FI n°3818 Vendredi 5 février 2016 Ste Agathe

marine le Pen

environnement

Port de Longoni

ConSeil départeMental

Quel accueil se prépare pour la présiDente Du Fn ?

Le Lagon au patrimoine mondiaL de L'unesCo ?

la dsP sur la sEllEttE

pas de changement sUr l’octroi de mer

© Jonny CHADULI

Grève à Panima

TéléThon 2016

Des propositions mais toujours pas D'issue

DemanDez le programme

première parution : juillet 1999 - siret 02406197000018 - édition somapresse - n° Cppap : 0921 y 93207 - dir. publication : Laurent Canavate - red. chef : Gauthier dupraz - http://flash-infos.somapresse.com

4100% numérique

tiDiEn

Er quo ottEL E-MAi DE MAy SÉ PAr nt

LE 1

neMe

sur abon

FI n°3997 mercredi 30 novembre 2016 St André

© CR: Gauthier Bouchet

Diffusé du lundi au vendredi, Flash Infos a été créé en 1999 et s’est depuis hissé au rang de 1er quotidien de l’île.

1

Économie

SÉcuritÉ

Les appeLs à projets de L'europe

Couvre-feu pour Les mineurs

Première parution : juillet 1999 - Siret 02406197000018 - APE 5813Z - Édité par la Somapresse - Directeur de publication : Laurent Canavate - http://flash-infos.somapresse.com

OUI, je m’abonne

1

Musique

Faits divers

Edmond BéBé nous a quitté

ViolEncE En cascadE

Première parution : juillet 1999 - Siret 02406197000018 - APE 5813Z - Édité par la Somapresse - Directeur de publication : Laurent Canavate - http://flash-infos.somapresse.com

1

MCG VS SMart

ViCe-reCtorat

UltimatUm oU véritable main tendUe ?

l’institUtion répond aUx critiqUes

Première parution : juillet 1999 - Siret 02406197000018 - APE 5813Z - Édité par la Somapresse - Directeur de publication : Laurent Canavate - http://flash-infos.somapresse.com

1

Pour une formule multiposte, nous demander un devis.

Bulletin d’abonnement

180 € par an g Pour vous abonner, il suffit de nous transmettre ce bon de commande, accompagné d’un virement ou d’un chèque à l’ordre de la Somapresse.

Nom : …………………………….…..…….………Prénom : ………………………..……..………………….…………. Société - Service : ……………………………………………….……….……………..….….….….……...…..…………. Adresse : ……………………………………………………….………….……………….….….….….….…..…………. Code postal : ……………….….….….….… Ville - Pays : ……………….………….……………….…….....…………. N° de téléphone : ………………….………………..E-mail :…………..….….….….…....………….……….…………….. Règlement :

c Chèque à l’ordre de SOMAPRESSE

c Virement

IBAN : FR76 1871 9000 9200 9206 6620 023 / BIC : BFCOYTYTXXX Signature, date (et cachet) : Abonnement d’un an renouvelable par tacite reconduction. Il pourra être dénoncé par simple courrier au moins un mois avant la date d’échéance.

Vous pouvez également vous abonner en ligne en vous rendant sur notre site internet à l’adresse www.mayottehebdo.com/abonnements pour la version numérique. Pour toute demande, contactez-nous : contact@mayottehebdo.com

A retourner à : SOMAPRESSE - BP.60 - 7 rue Salamani - 97600 Mamoudzou

3

• M ay o t t e H e b d o • N ° 9 5 6 • 1 4 / 0 5 / 2 0 2 1


TCHAKS

L'ACTION

LE CHIFFRE

La Cadema modifie le PLU de Mamoudzou pour construire un hôtel trois étoiles

Un ventre ! C’est la quantité de nourriture en kg/jour que peut ingurgiter le dugong. Plus précisément, entre 30 à 40 kilogrammes pour un animal pouvant mesurer 2.50 mètres de long. Vendredi, les plongeurs du Nyamba Club ont rencontré l’un de ces mammifères marins dans les eaux cristallines de la Passe en S. Autrefois, les dugongs vivaient nombreux à Mayotte. Cette espèce, appartenant comme son cousin le lamentin à la famille des siréniens, peuple les eaux de l’océan Indien. Il est presque exclusivement herbivore et apprécie les herbiers marins de l’île aux parfums. Aujourd’hui, à cause de la surpêche et de la destruction de leur habitat, les dugongs sont moins d’une dizaine à Mayotte. De fait, le dugong a rejoint la liste des espèces protégées. Malheureusement, l’animal, longtemps pêché pour sa chair, arrive encore à tomber dans les filets de pêcheurs peu scrupuleux… La poisse.

La communauté d’agglomération de Dembéni-Mamoudzou s’engage dans la modification d’une partie du plan local d’urbanisme de la ville chef-lieu. La construction d’un hôtel trois étoiles à la Convalescence et la suppression d’un emplacement réservé à Passamainty étaient à l’ordre du jour mardi dernier lors d’une consultation publique. Le premier point correspond à la réglementation de la construction d’un hôtel trois étoiles. Situé dans la rue de la Convalescence, l’établissement doit comptabiliser 48 chambres, dont trois suites. Mais les normes établies par l’ancien PLU de la ville ne répondaient pas aux critères de celui de l’intercommunalité. Le deuxième aspect évoqué lors de cette consultation publique concerne la suppression de la réservation d’un emplacement à Passamaïnty à un particulier. Celui-ci devait en premier lieu consulter la ville s’il souhaitait vendre. Mais l’intéressé, pas plus d’ailleurs que le reste des habitants invités à participer à cette consultation, n’a pas moufté...

40

LA PHRASE

“Ils mériteraient d’être intégrés à la liste des "héros"" La député Mansour Kamardine a écrit à Emmanuel Macron pour défendre la cause des “héros” mahorais. A l’occasion du 150ème anniversaire de la République, le chef de l'Etat avait mis à l’honneur des héros français issus de la diversité. Il avait souhaité qu’une liste de 300 à 500 personnes issues des Outre-mer, des anciennes colonies ou de l’immigration soit établie. “Il semble qu’une première liste de 328 “héros” ait déjà été établie. Or, à ma connaissance, aucune personnalité mahoraise n’en fait partie”, déplore Mansour Kamardine. Et de citer le sultan de Mayotte Andrianatsouli, Georges Nahouda, mais aussi les “chatouilleuses”, Zaïna M’Dere, Boueni Mtiti, Moinechat Ali Combo, Fatima Ali, Zaïna Meresse, Zaki Madi, et enfin Marcel Henry, Younousa Bamana, Zoubert Adinani, Younoussa Ben Ali et Abdallah Houmadi qui “ont été des acteurs incontournables de l’ancrage définitif de Mayotte à la France”. “Ils mériteraient, à mon sens, d’être intégrés à la liste des "héros"”, signe le parlementaire.

ILS FONT L’ACTU Rencontre de peuples et de civilisations : la première bande dessinée sur l’Histoire de Mayotte Samedi dernier a eu lieu le lancement des ventes de la bande dessinée sur l’histoire de Mayotte, notamment écrite par l’auteur Nassur Attoumani, à la Maison des livres de Mamoudzou. “Cet ouvrage redonne vie, grâce aux images, à un passé jusqu’alors réduit aux mots”, affirme Soibahadine Ibrahim Ramadani, le président du Département. En effet, grâce à cette bande dessinée, chacun pourra découvrir de manière ludique la grande histoire de ce petit territoire, le tout édité en français et en shimaore. De 9h à 13h, le dessinateur, Yann SougeyFils, a dédicacé les quelque 140 exemplaires (70 en français et 70 en shimaore) apportés pour l’occasion et qui retracent le long chemin de l’île aux parfums, du sultanat à la départementalisation.

4•

M ay o t t e H e b d o • N ° 9 5 6 • 1 4 / 0 5 / 2 0 2 1


LU DANS LA PRESSE

Chaque semaine, découvrez le regard porté sur l’actualité locale à travers la presse nationale ou régionale

LA RÉUNION, MAYOTTE ET LES TAAF AU CŒUR DE LA STRATÉGIE MARITIME FRANÇAISE DANS L’OCÉAN INDIEN Le 16 mai 2021, par P.M pour Outremer 360

À la fin juin 2021, la France prendra pour deux ans la présidence du Forum maritime de l’océan Indien (IONS, Indian Ocean Naval Symposium), succédant ainsi à l’Iran. Cette édition se déroulera à La Réunion, qui abrite le troisième port militaire français. Pour cette occasion, le magazine « Cols bleus » de la Marine nationale a fait le point, dans son numéro de mai, sur la vision stratégique française. Avec ses 1,1 million de ressortissants et une Zone économique exclusive (ZEE) de 3,1 millions de km2 (soit plus du quart de la totalité de ses ZEE), allant de Mayotte aux mers australes en passant par le canal du Mozambique, la France est un acteur incontournable de l’océan Indien. Le ministère des Armées souligne qu’« elle y déploie une capacité militaire et navale permanente grâce notamment aux commandements interarmées et aux forces prépositionnées, qui perpétuent une présence vieille de plusieurs siècles ». Au sein de ce carrefour stratégique opèrent actuellement 2600 marins français du groupe aéronaval, qui luttent en particulier contre les trafics de stupéfiants et de migrants, les velléités terroristes et la pêche illicite. Rappelons quelques données pour mieux comprendre les enjeux. Avec une superficie de 75 millions de km2, la zone de l’océan Indien représente 25% du trafic maritime international, 40% du transit mondial de pétrole, et 75% des exportations de l’Union européennes y transitent. Dans cette configuration, La Réunion, Mayotte et les Terres australes et antarctiques françaises (TAAF) constituent des points d’appui essentiels pour la Marine nationale. C’est d’ailleurs à La Réunion que va se tenir à la fin juin l’édition 2021 du Forum maritime de l’océan Indien (IONS), qui a lieu tous les deux ans. Créé en 2008 à l’initiative de l’Inde, l’IONS rassemble 25 pays membres (plus huit pays observateurs) et les chefs d’état-major de leur marine autour des grands enjeux de la zone, notamment les questions de sécurité. Cette année, selon la France, une attention particulière va être apportée au thème de la sécurité environnementale.

bleus » : « apparition de nouvelles routes maritimes, émergence de nouveaux conflits... Ce qui la conduira à devoir adapter ses missions. La France entend peser de tout son poids pour sensibiliser les autres États membres de l’IONS à ces problématiques ». Les défis qui se présentent sont nombreux, relèvent les auteurs. « Environnementaux, d’abord, avec des phénomènes que constatent tous les jours les marins : la réduction de la biodiversité, la montée des eaux, l’évolution des courants... Géopolitique, ensuite, avec l’augmentation de la pêche illicite face à la raréfaction des ressources halieutiques ou encore l’accès à de nouvelles ressources en hydrocarbures pouvant potentiellement provoquer le retour de confrontations en mer ». Au niveau logistique et opérationnel, la Marine française, comme ses homologues des autres pays de la zone, devra également adapter ses bases navales face à la modification du littoral, ainsi que ses programmes pour tenir compte du réchauffement des mers, des modifications de la faune et de la flore marines, en particulier de la prolifération des algues, et se conformer à des normes environnementales plus strictes (logique de recyclage lors du démantèlement des navires, label récompensant la gestion des déchets...) « Enfin, la multiplication des catastrophes naturelles augmentera, de fait, les opérations de soutien aux populations ». « Autant de problèmes de sécurité environnementale auxquels sont déjà et seront, de plus en plus, confrontés les pays riverains de l’océan Indien. L’objectif de l’IONS face à ces problématiques est clair : apporter une réponse commune », conclut la Marine nationale.

La Marine nationale dans la partie française de l’océan Indien La Marine est déjà confrontée aux conséquences du réchauffement climatique, précise le dossier de « Cols

5

• M ay o t t e H e b d o • N ° 9 5 6 • 1 4 / 0 5 / 2 0 2 1


DOSSIER

DÉCASAGE

LE GRAND NETTOYAGE

Depuis des mois, la préfecture décase à tour de bras. Au point qu'entre janvier et avril, 600 logements de fortune ont déjà été détruits à travers l'île. Si l'exercice semble être devenu routinier, de lourds dysfonctionnements subsistent dans la prise en charge des personnes délogées de leurs quartiers clandestins. Et l'opération prévue à Miréréni ce 19 mai risque de ne pas échapper à la règle.

6•

M ay o t t e H e b d o • N ° 9 5 6 • 1 4 / 0 5 / 2 0 2 1


7

• M ay o t t e H e b d o • N ° 9 5 6 • 1 4 / 0 5 / 2 0 2 1


DOSSIER

C.D

TÉMOIGNAGES

POUR LES DÉCASÉS DE KOUNGOU, UN PARCOURS SEMÉ D'EMBÛCHES

NOUS AVONS RETROUVÉ TROIS FAMILLES DONT LES MAISONS AVAIENT ÉTÉ DÉTRUITES LORS DE L’OPÉRATION DE RÉSORPTION DE L’HABITAT INSALUBRE DU 8 MARS DERNIER. CES HABITANTS QUI ONT PRÉFÉRÉ RESTER DANS LA COMMUNE, OÙ LEURS ENFANTS SONT NÉS, ONT GRANDI ET VONT À L’ÉCOLE, PLUTÔT QUE D’ACCEPTER DES HÉBERGEMENTS D’URGENCE LOIN DE LEUR QUARTIER D’ORIGINE, ONT DÛ FAIRE DES PIEDS ET DES MAINS POUR RETROUVER UN SEMBLANT DE VIE NORMALE. ILS RACONTENT LEUR VIE, DEUX MOIS APRÈS LE PASSAGE DES BULLDOZERS.

Tic tac tic tac… Plus que cinq jours avant le début des examens. Bacar* triture le cordon de son enceinte rouge assortie à sa chemise, à l’ombre d’un abri sur la route principale de Koungou. Pas franchement du genre bavard, le jeune étudiant en BTS Etudes et économie de la construction n’en cache pas moins son stress, entre deux bribes quasi monosyllabiques énoncées d’une voix timide. “Faut que je révise, il y a encore une matière où j’ai du mal…” Pour espérer en savoir plus, il faut un peu lui tirer les vers du nez. “C’est études techniques, il y a pas mal de maths et il faut faire ses propres formules”,

répond-il finalement. Pas de quoi se faire trop de mouron... Mais depuis que les bulldozers sont venus détruire sa maison en mars dernier, Bacar doit jongler entre son algèbre, la construction d’une autre case, ou encore les frais d’avocat, pour sa mère, envoyée au CRA après une traversée périlleuse depuis Anjouan… “L’avocat a réussi mais j’ai dû sortir tout mon argent que je voulais utiliser en France concernant mes études.” Sacrée équation pour sûr ! C’était le 8 mars. Ce lundi, de très bonne heure, Bacar contemple du haut d’une petite butte les engins occupés à écraser

8•

M ay o t t e H e b d o • N ° 9 5 6 • 1 4 / 0 5 / 2 0 2 1


les tôles de ces habitats informels. Depuis la dernière intervention de gendarmerie dans ce quartier de la Jamaïque, en amont de la quatrième opération loi Elan, le jeune homme de 21 ans se retrouve seul avec toute la fratrie de 8 enfants sur les bras. Sa mère, sans titre de séjour, a été renvoyée à Anjouan, et son père ne vit pas vraiment avec eux. Après le passage des dents d’acier, la petite famille a bien tenté d’obtenir une solution pour se reloger. “Quand j’étais allé à la mairie, j’ai trouvé personne pour m’aider, alors mon père est allé acheter une petite parcelle”, résume l’aîné, toujours laconique. Et sa mère ? Au bout d’un moment, elle a réussi à revenir. Non sans houle. “Il y avait beaucoup de personnes dans le même bateau et le pilote ne voulait pas

s’arrêter quand il a vu les gendarmes, alors les gendarmes ont cassé le bateau en deux.” Direction le CHM pour la passagère, qui ne savait pas nager… Et c’est aussi là qu’elle sera récupérée, pour un petit séjour au centre de rétention administrative. L’histoire de Bacar n’a rien d’une exception. Sur les 450 habitants visés par la destruction des 230 cases en tôle du quartier de la Jamaïque, rares sont ceux qui ont pu obtenir un nouveau logement, qui plus est durable. A l’époque, la préfecture chiffrait à une trentaine le nombre de personnes qui avaient accepté un hébergement d’urgence, pour 21 jours. Tandis que 120 à 200 décasés avaient “trouvé des solutions par eux-

9

• M ay o t t e H e b d o • N ° 9 5 6 • 1 4 / 0 5 / 2 0 2 1


DOSSIER

mêmes”. Une formule passe partout qui cache en réalité un bilan peu reluisant... “On a dû passer deux semaines dans la rue à côté de notre ancien quartier, au début. Les gens nous apportaient un peu à manger, de l’aide”, retrace Nassim Bacari, le père d’une famille de 11 enfants, qui n’avait pas obtenu de solution adéquate de la part des travailleurs sociaux. Comme son voisin, le patriarche a fini par obtenir un bout de terrain, grâce à son grand-père, propriétaire de ce champ d’environ 5 hectares qui jouxte l’ex-quartier de la

Jamaïque. Pas eu besoin donc, pour les Bacari tout du moins, d’emporter leurs vieilles tôles froissées jusqu’à Vahibé, Sada, ou Petite-Terre, choix d’une partie des décasés de Koungou, qui avait fait grand bruit à l’époque. En revanche, il a fallu faire chauffer le porte-monnaie. Environ 3.500 euros pour reconstruire, évalue la mère de Maira, jeune écolière de Koungou qui a tout perdu ou presque au moment de la destruction. “Ils ont même détruit nos

10•

M ay o t t e H e b d o • N ° 9 5 6 • 1 4 / 0 5 / 2 0 2 1


panneaux solaires !”, rapporte avec assurance la gamine, hébergée chez sa tante, avec le peu d’affaires qu’ils ont pu emporter. “D’ailleurs, si quelqu’un veut nous aider, on a besoin de meubles pour aménager la maison”, lance sa maman, l’air las. “Pour les tôles neuves et le bois, j’ai dû en avoir pour 1.200 euros, voire plus”, compte pour sa part Nassim, à l’ombre de sa grande case qui compte quatre chambres. La porte d’entrée avec les graffitis des enfants, héritée de l’ancienne case, fait l’effet d’une relique, accrochée de la sorte à côté de la peinture orange de la nouvelle maison, sans une trace d’écaille. Le fruit d’un travail de deux semaines, pendant lesquelles la famille a

encore dû compter sur les bonnes âmes et les petits boulots de mécano du père. “C’est là qu’on dormait, on avait une tôle sur ces deux bouts de bois”, désigne-t-il en montrant d’un coup de tête un petit emplacement entre deux arbres, à côté de la nouvelle maison. Une logique de la débrouille à toute épreuve, même quand il s’agit de bricoler une antenne télé avec une vieille roue de vélo fixée sur le toit. “On capte Mayotte la 1ère !”, s’enorgueillit le chef des travaux. Tant que leur maison ne fait plus la une du journal télé… • * Les prénoms ont été modifiés.


DOSSIER

C.D

REPORTAGE

30 LOGEMENTS TÉMOINS LIVRÉS POUR DES FAMILLES DÉCASÉES À MAJICAVO MALGRÉ NOS TENTATIVES AUPRÈS DE L’ACFAV, L’ASSOCIATION MISSIONNÉE PAR LA PRÉFECTURE POUR PROPOSER DES SOLUTIONS D’HÉBERGEMENT OU DE RELOGEMENT AUX FAMILLES VISÉES PAR DES ARRÊTÉS LOI ELAN, NOUS N’AVONS PAS PU OBTENIR DE RENCONTRER LES PERSONNES ACCOMPAGNÉES APRÈS LES DESTRUCTIONS. NOUS REPRODUISONS DONC ICI UN ARTICLE PARU EN AVRIL SUR L’INAUGURATION DES MAISONS TÉMOINS DE MAJICAVO. ELLES DOIVENT ACCUEILLIR UNE TRENTAINE DE FOYERS, DÉLOGÉS IL Y A DEUX ANS. UNE OPÉRATION QUI S’INSCRIT DANS LE CADRE D’UNE POLITIQUE AMBITIEUSE DE LUTTE CONTRE L’HABITAT INDIGNE DANS LE 101ÈME DÉPARTEMENT.

12•

M ay o t t e H e b d o • N ° 9 5 6 • 1 4 / 0 5 / 2 0 2 1


13

• M ay o t t e H e b d o • N ° 9 5 6 • 1 4 / 0 5 / 2 0 2 1


DOSSIER

A l’endroit, à l’envers, dans un sens puis l’autre… Rien n’y fait ! Les mains tremblantes du petit homme de 80 ans ne parviennent pas à déverrouiller la porte de sa future nouvelle demeure. “Vous voulez que je vous aide, Monsieur ?”, lui glisse avec bienveillance le préfet Jean-François Colombet, reconverti le temps d’une visite en agent immobilier enchanté d’avoir conclu une nouvelle vente. “C’est la mauvaise clé !”, s’écrie-t-on alors, sous les rires amusés de la foule entassée pour assister à ce moment symbolique. Ouf, la porte de devant est ouverte et tout ce beau monde finit tant bien que mal par s’engouffrer dans la petite maison, correcte et fonctionnelle : une salle de bain et une cuisine équipée, une salle à vivre et même un deuxième étage pour la chambre avec vue sur le lagon. La classe ! Ce jeudi avait lieu l’inauguration en grande pompe des premières maisons témoins de l’opération de résorption d’habitat insalubre (RHI) expérimentale. En tout, ce sont trente logements de ce type qui doivent être livrés dans quelques jours pour des familles décasées qui vivaient sur cette butte en

haut de Majicavo-Dubaï. “Nous, ville de Koungou, voulions démontrer que le bidonville n’est pas une fatalité et que des solutions existent. Ici même, il y a moins de deux ans, des maisons menaçaient de glisser sur le talus”, a rappelé le maire de Koungou Assani Saindou Bamcolo. Il aura fallu un peu plus d’une année pour livrer ce chantier démarré en janvier 2019. “C’est dans votre commune que le renouvellement urbain va le plus vite et le plus loin, nous arrivons à consommer les crédits alors qu’ailleurs, les choses sont plus lentes à se mettre en place”, a d’ailleurs salué le préfet à l’attention de l’élu, immédiatement suivi par une salve d’applaudissements.

UN RESTE À CHARGE DE 100 EUROS L’objectif de l’opération, menée en lien avec la commune de Koungou, mais aussi la direction de l’environnement, de l’aménagement et du logement (DEAL), la direction de l’économie, de l’emploi, du travail et des solidarités (DEETS née récemment de la fusion DIECCTE/DJSCS), le conseil départemental et les services de l’agence nationale pour la rénovation

14•

M ay o t t e H e b d o • N ° 9 5 6 • 1 4 / 0 5 / 2 0 2 1


urbaine (ANRU) : livrer vite et bien, à un moindre coût (39.000 euros) des logements dignes, isolés, avec accès à l’eau et l’électricité. “Vous voyez ce toit ? On a mis un revêtement spécial, qui évite de faire chauffer la pièce”, indique-t-on. Et c’est vrai qu’il fait plutôt frais ! Les nouveaux locataires, comblés, enchaînent les “maharaba” et même une prière. Locataires, car le montage repose sur un dispositif d’intermédiation locative géré par SOLIHA et la fondation Abbé Pierre. A terme, le reste à charge pour les familles s’élèvera à une centaine d’euros seulement. “Nous allons être très compétitifs avec le marché du banga”, s’est enorgueilli Jean-François Colombet.

EQUILIBRE ET EFFACEMENT DES BIDONVILLES Des constructions qui s’inscrivent selon le délégué du gouvernement dans une politique volontariste de lutte contre l’habitat insalubre. “Depuis août, nous nous sommes engagés dans un plan ambitieux pour détruire 600 à 700 cases dans lesquelles vivent des gens de façon indigne”, a-t-il souligné. Or, pour reloger les familles ainsi délogées, les solutions en matière de logements font toujours défaut sur le territoire. Et la volonté de la SIM de construire 500 logements sociaux par an ne pourra pas suffir à “couvrir l’ensemble des besoins avec le développement que nous connaissons”. Ces constructions expérimentales et

reproductibles apportent donc une première pierre à l’édifice. “Je trouve que cette opération incarne l’équilibre que nous mettons en place sur l’effacement des bidonvilles”, a fait valoir le locataire de la Case Rocher. Un équilibre bien fragile, surtout au vu du rythme rapide et de l’ampleur des destructions… Sur le terrain inauguré ce jeudi vivaient auparavant une cinquantaine de familles dans des cases en tôle. Parmi elles, les trente heureuses élues qui vont recevoir les clés de leur nouveau logement en dur ont été accompagnées pendant toute la durée du chantier par l’association Acfav et dans les logements temporaires de Hamachaka. Les vingt restantes étaient soit en situation irrégulière ou bien ont trouvé des solutions de relogement par elles-mêmes. Depuis le 1er janvier, 496 cases ont déjà été détruites grâce aux arrêtés loi Elan publiés par la préfecture. Le dernier, en date du 2 avril 2021, prévoit la démolition d’une cinquantaine de cases dans un mois et huit jours, à Miréréni, sur un terrain de la commune de Chirongui. But de la manœuvre : construire (enfin !) un terrain de football, dans les cartons depuis 2005. Il pourra accueillir 22 joueurs. Sauf crise sanitaire majeure. •

15

• M ay o t t e H e b d o • N ° 9 5 6 • 1 4 / 0 5 / 2 0 2 1


DOSSIER

C.D

FOCUS

LE VILLAGE RELAIS DE TSOUNDZOU II, POINT DE PASSAGE POUR LES FUTURS DÉCASÉS

ALORS QUE MAYOTTE NE DISPOSE QUE DE 148 PLACES EN HÉBERGEMENT D’URGENCE, PARC LE PLUS SOLLICITÉ À CHAQUE OPÉRATION DE DESTRUCTION DE BIDONVILLE, LES INITIATIVES FLEURISSENT SUR LE TERRITOIRE POUR ACCOMPAGNER LES AYANT-DROITS VERS DES LOGEMENTS PÉRENNES. LA DERNIÈRE EN DATE, À TSOUNDZOU, DOIT POUVOIR ACCUEILLIR LES PREMIERS BÉNÉFICIAIRES À PARTIR DE JUILLET.

Son casque de chantier vissé sur le crâne, Yves-Michel Daunar déambule au milieu des ossatures métalliques en bombant le torse, la mine satisfaite. D’un côté de l’allée, une première rangée de maisons dispose déjà de son revêtement en bois, tandis qu’au fond, un ouvrier s’affaire même à installer une porte d’entrée. “A l’origine, il leur fallait trois semaines pour construire les deux trois premières structures. Maintenant, ils ont besoin de trois jours !”, sourit sous son masque le directeur de l’Epfam (Etablissement public

foncier et d’aménagement de Mayotte), maître d’ouvrage de ce chantier débuté sur les chapeaux de roue, en septembre 2020. Livraison prévue : fin du mois de juin, pour une première ouverture des places en juillet. La raison de sa fierté non feinte ? Un coup d'œil vers les ouvriers qui suent sous le soleil déjà chaud de ce début de matinée. En tout, ils sont environ une soixantaine de jeunes en insertion à avoir été recrutés via l’association Peps, pour sortir de terre ces trente maisons destinées à des publics très

16•

M ay o t t e H e b d o • N ° 9 5 6 • 1 4 / 0 5 / 2 0 2 1


précaires. “C’est un enjeu global. A travers ce projet, il y a la volonté d’agir sur le social à toutes les échelles”, se targue le chef de l’opération. Social, ce projet l’est aussi et surtout par sa vocation. Défini comme un “centre d’hébergement d’urgence” par le cahier des charges de la Direction de l’économie, de l’emploi, du travail et des solidarités de Mayotte (DEETS ex-DJSCS) à destination du futur opérateur du lieu, ce village relais “aura vocation à accueillir, héberger, alimenter et accompagner des ménages qui connaissent de graves difficultés, notamment économiques, familiales, de logement, de santé ou d’insertion, en vue de les aider à accéder ou recouvrer leur autonomie personnelle ou sociale”, peut-on lire. “C’est un dispositif hybride, entre le CHRS et l’hébergement d’urgence, qui n’existait pas complètement, et que nous expérimentons”, développe Patrick Bonfils, le directeur de la DEETS. En tout, 240 places supplémentaires, réparties dans ces 31 maisons de deux étages, vont donc venir gonfler les chiffres encore bien maigres du département : avec un unique CHRS de 16 places opéré par Mlézi Maoré, et les hébergements “en diffus”, c’est-à-dire des appartements

répartis sur le territoire et loué par des associations, notamment l’Acfav, Mayotte ne dispose aujourd’hui que de 148 places destinées à cet accueil d’urgence. Un parc insuffisant, surtout compte tenu des opérations de résorption de l’habitat insalubre menées au pas de course par la préfecture depuis bientôt un an, grâce à la loi Elan.

UN HÉBERGEMENT DE PASSAGE POUR 150 À 200 EUROS PAR MOIS Et c’est donc dans ce contexte que le village relais de Tsoundzou II vient apporter sa pierre. Coût de la construction : entre 50.000 et 80.000 euros par maison, en comptant l'aménagement. “On peut le qualifier plutôt d’hébergement de passage. Le principe : dans les zones d’habitat insalubre où les gens sont ayant droit soit Français soit avec autorisation de rester sur le territoire, ils sont enlevés de ces zones pour être mis dans ce village relais en attendant de construire des logements en dur”, schématise Patrick Bonfils. Le tout rythmé bien sûr par une action

17

• M ay o t t e H e b d o • N ° 9 5 6 • 1 4 / 0 5 / 2 0 2 1


DOSSIER

sociale tout au long de leur parcours, pour les aider à faire valoir leurs droits, et leur permettre de gagner en autonomie. Avec un reste à charge de 100 à 150 euros pour les familles, ces maisons, équipées de tout le confort de base, branchées à l’eau courante et à l’électricité viennent alors “concurrencer le marché du banga”, pour voler la formule préfectorale. L’accompagnement doit durer “le temps qu’il faut, en général entre trois et un an en fonction des familles”. Les premiers à pouvoir en bénéficier ? Des habitants du coin, identifiés sur des parcelles de 10 à 15 bangas dans le secteur de Tsoundzou. En effet, si le village relais est lié au calendrier des destructions dites “loi Elan”, “il dépend surtout de la proximité géographique”. Un enjeu de taille, pour ne pas déraciner des familles qui vivent dans le même quartier depuis parfois plusieurs dizaines d’années. “Il faut montrer que ce dispositif expérimental est viable sur le territoire et convaincre des élus d’autres

municipalités de céder du foncier pour pouvoir construire d’autres villages relais”, insiste le directeur de la cohésion sociale.

DÉJÀ DES DÉTRACTEURS Bonne chance à lui ! Car si sur le papier, tout est rose, les critiques fusent déjà contre ce chantier, accusé par certains de ses plus virulents détracteurs de détruire l’environnement. “Le site se trouve sur l’arrière-mangrove, or il s’agit d’un écosystème aussi important que la mangrove elle-même !”, rage Zaman Soilihi, le trésorier de la Fédération mahoraise des associations environnementales (FMAE). “C’est une zone où espèces animales et végétales vivent, où les oiseaux viennent se nicher. Non seulement on détruit cet habitat avec le village relais, mais quand il sera occupé, avec la lumière, les activités humaines, cela va faire fuir bon nombre d’animaux qui vivent là.” Une décision de

18•

M ay o t t e H e b d o • N ° 9 5 6 • 1 4 / 0 5 / 2 0 2 1


Photo : Franco di Sangro

19

• M ay o t t e H e b d o • N ° 9 5 6 • 1 4 / 0 5 / 2 0 2 1


DOSSIER

l’Autorité environnementale (AE), a bien jugé que le projet était “susceptible d’avoir des incidences notables sur l’environnement et sur la santé humaine au sens de l’annexe III de la directive susvisée n° 2014/52/UE du 16 avril 2014” et l’a donc soumis à une évaluation environnementale.

SAUVER LES CRABES, ET LES FAMILLES DÉCASÉES Mais Yves-Michel Daunar balaie ces inquiétudes d’un revers de la main : “La question environnementale fait partie des gènes de notre établissement”, martèle avec assurance le DG avant d’orienter la visite vers la station d’épuration, qui doit garantir l’assainissement du site. Au point de rejet de ces eaux, le maître d’ouvrage prévoit qui plus est une mesure compensatoire, pour

aménager une zone humide favorable aux crabes, précédents locataires des lieux. “Et puis, là vous voyez, cet arbre, nous avons fait en sorte de le garder en modifiant un peu le tracé. Nous avons pu en conserver quatre comme ça !”, se gargarise Yves-Michel Daunar, en arguant que le site était “de toute façon déjà cultivé avec des plantations”. De l’autre côté d’une petite ravine à sec, qui délimite la face sud du village, quelques bananiers tournés vers le soleil de plomb attestent en effet de cette occupation passée. “Aucun chantier de construction n’a en soit d’impact positif sur l’environnement”, nuance Victor Piolat, le responsable bâtiment construction de l’EPFAM. “Mais ces familles qui vont être relogées, elles vivaient dans des logements insalubres, sans possibilité de traiter leurs déchets ou leurs eaux usées. Il faut voir le projet dans sa globalité.” Pari gagnant ? •

20•

M ay o t t e H e b d o • N ° 9 5 6 • 1 4 / 0 5 / 2 0 2 1


21

• M ay o t t e H e b d o • N ° 9 5 6 • 1 4 / 0 5 / 2 0 2 1


DOSSIER

Propoos recueillis par S.P

ENTRETIEN : JÉRÔME MILLET, SOUS-PRÉFET ET COMMISSAIRE À LA LUTTE CONTRE LA PAUVRETÉ

"LA RÉSORPTION DE L'HABITAT ILLÉGAL EST L'UNE DE NOS PRIORITÉS" À CHAQUE OPÉRATION DE DESTRUCTION DE L'HABITAT ILLÉGAL, DES DIZAINES, VOIRE DES CENTAINES D'HOMMES, FEMMES, ENFANTS ET PERSONNES ÂGÉES SE RETROUVENT SANS ABRI, AU MILIEU DES DÉBRIS D'UN PAN DE LEUR VIE RASÉ SOUS LES LAMES DES BULLDOZERS. POURTANT AUX YEUX DE LA LOI, TOUT INDIVIDU, EN SITUATION RÉGULIÈRE OU NON, DOIT SE VOIR PROPOSER UNE ALTERNATIVE D'HÉBERGEMENT ET "Y DEMEURER JUSQU'À CE QU'UNE ORIENTATION LUI SOIT PROPOSÉE", COMME LE STIPULE LE CODE DE L'ACTION SOCIALE ET DES FAMILLES. UNE DISPOSITION PARTICULIÈREMENT DIFFICILE À APPLIQUER À MAYOTTE, OÙ L'OFFRE DISPONIBLE RESTE TROP FAIBLE FACE AUX BESOINS CONSTANTS DU TERRITOIRE. POUR MAYOTTE HEBDO, JÉRÔME MILLET, SOUS-PRÉFET ET COMMISSAIRE À LA LUTTE CONTRE LA PAUVRETÉ, REVIENT SUR CES OPÉRATIONS DÉLICATES Mayotte Hebdo : Quel bilan chiffré pouvezvous dresser concernant les opérations de destruction de l'habitat illégal, qui se multiplient intensément depuis ces derniers mois ?

Jérôme Millet : En 2020, nous avons détruit 161 cases et relogés 65 personnes. Là, depuis le début de l'année, nous en sommes à 600. La résorption de l’habitat illégal est clairement l’une des priorités du préfet et il y

22•

M ay o t t e H e b d o • N ° 9 5 6 • 1 4 / 0 5 / 2 0 2 1


a trois motivations à cela. D’abord, il s’agit de débloquer les projets de construction et d'aménagement qui ne peuvent avancer du fait de la présence de ces habitats, comme ce fut le cas à Passamaïnty où nous avions démoli 25 cases pour permettre à la SIM de continuer ses travaux de 70 logements sociaux. La deuxième raison, c’est la sécurité des personnes : l’opération qui a eu lieu récemment à Koungou concernait un quartier qui avait connu plusieurs glissements de terrain. L'un d'entre eux avait même coûté la vie à une mère et ses quatre enfants il y a trois ans… La troisième raison, c’est rétablir l’état de droit. On s’est rendu compte que certains quartiers, comme Cetam en Petite-Terre, étaient des refuges pour des fauteurs de troubles, donc l'enjeu était aussi de faire en sorte qu'ils ne puissent plus y sévir. M.H : Légalement, toutes les personnes décasées, y compris celles en situation irrégulière, doivent se voir proposer une solution d'hébergement. Pourtant, selon les enquêtes sociales réalisées à Miréréni, seule une centaine de personnes ont été interrogées, alors que la gendarmerie estime entre 250 et 350 le nombre d'habitant sur le site… J.M : On a un chiffre “noir” important parce qu’il y a quand même un grand nombre de personnes qui refusent de parler aux enquêteurs de l’Acfav (l'association d'aide

aux victimes tenue de réaliser les enquêtes sociales, ndlr), considérant qu’ainsi, ils n'auront pas à quitter leur logement. Mais on s’est aussi aperçu que les différentes administrations – Acfav, gendarmerie et ARS – ne comptaient pas la même chose. Certains comptent les familles, d’autres les bangas. Or, il y a souvent plusieurs bangas pour une seule et même famille et inversement. Aussi, il y a un certain nombre de bangas auxquels les enquêteurs ne parviennent pas accéder puisqu’il s’agit malgré tout de domiciles privés dans lesquels les enquêteurs ne peuvent légalement pas entrer sans y être invités. Donc tout ça mis bout à bout fait que tous les chiffres ne sont pas identiques. Cette semaine je suis allé à Koungou sur un site où la commune estimait à 200 ou 250 le nombre de bangas. Or, lorsque la DEAL y a envoyé un drone, il s’est avéré qu’il y en avait 300 à 350, donc une centaine de plus… Et c’est encore autre chose de savoir combien de personnes vivent à l’intérieur. Surtout que beaucoup de personnes en situation irrégulière ont tout intérêt à ne pas se déclarer aux enquêteurs. M.H : Indépendamment de ce recensement, comment expliquer la faible proportion de personnes relogées lors de chaque décasage ? J.M : Les ESI (étrangers en situation irrégulière) composent la majorité des quartiers que l'on détruit.

23

• M ay o t t e H e b d o • N ° 9 5 6 • 1 4 / 0 5 / 2 0 2 1


DOSSIER

Alors nous menons en amont des opérations d'interpellation sur place pour les interpeller avant de les conduire au CRA (centre de rétention administrative) en vue de leur expulsion. Restent ensuite des étrangers titrés et des Mahorais qui peuvent être hébergés, mais encore fautil qu’ils l’acceptent. Dans les faits, ils sont très peu à le faire pour des tas de raisons : certains ne croient pas vraiment que l’on va procéder à la démolition de leur case – même si les gens s'aperçoivent de plus en plus qu’on le fait bel et bien –, il y a aussi des gens qui estiment que l’hébergement qu’on leur propose n’est pas adapté, je pense par exemple à la scolarisation des enfants. Quand on décase à Koungou, il est plus simple pour nous de reloger sur place ou à proximité plutôt que quand on intervient à Kahani où la capacité de relogement dans le secteur est bien plus faible, et ce problème de distance peut motiver certains à refuser l’hébergement et essayer de chercher euxmêmes auprès de leur famille notamment.

Enfin, pour un certain nombre, il y a une difficulté à s’installer dans un logement qui serait plus aux standards métropolitains, car pour quelques-uns, le banga représente aussi une forme de tradition. Après, sur chaque opération, on a toujours quelques familles, dans un nombre restreint néanmoins, qui refusent d’accueillir les enquêteurs sociaux, ce qui leur empêche de proposer une solution d’hébergement. M.H : Selon le système intégré d'accueil et d'orientation, une centaine de places en hébergement d'urgence sont disponibles sur le territoire (dont seules une dizaine sont vacantes à la fin mars). S'agissant de l'hébergement d'insertion, auquel peuvent prétendre les personnes françaises ou régularisées uniquement, environ 200 places seraient aujourd'hui disponibles. En sachant que ces logements ne sont pas exclusivement réservés aux décasés, l'offre disponible est-elle suffisante ?

24•

M ay o t t e H e b d o • N ° 9 5 6 • 1 4 / 0 5 / 2 0 2 1


J.M : La capacité du parc de logements est faible, c’est clair, mais elle devrait doubler d’ici la fin de l’année. Pour autant, on n’a jamais été dépassé par la demande, même si on tutoie souvent les 100% de remplissage. Mais au-delà de la capacité, la première difficulté reste l’accord des personnes à être relogées. Sur une très grosse opération comme on en a eu à Kongou, au quartier dit de la Jamaïque, on avait mobilisé plusieurs opérateurs dont la Croix-Rouge pour pouvoir augmenter la capacité d’accueil au cas où et on en a finalement pas eu besoin. Ce que je sais en tout cas, c’est que lorsqu’il y a des personnes particulièrement vulnérables, handicapées ou très âgées, elles font l’objet d’une attention particulière. On aimerait sincèrement pouvoir héberger beaucoup plus. Le but est de faire passer des gens d’une situation illégale et indigne à une situation beaucoup plus acceptable à tous les niveaux. Et on y arrive, mais on a effectivement une marge de progrès. Notre but, c’est de basculer les personnes profitant d’un hébergement d’urgence, parfois pour plusieurs mois, vers des logements de droit commun, comme les logements sociaux, pour que les gens ne retournent pas dans des bangas… M.H : Autre difficulté, faute de places disponibles à proximité de leur lieu de vie d'origine, certaines personnes décasées sont relogées loin de leur lieu de travail ou du lieu de scolarisation de leurs enfants… J.M : Il y a là aussi une marge de progrès. Dans le cas de Kahani où la capacité de relogement était faible dans le secteur, on s’était aperçu que quelques familles avaient été relogées assez loin par rapport au lieu de scolarisation des enfants, et parfois la réinscription dans un autre établissement pouvait prendre plusieurs semaines. Nous travaillons donc avec le rectorat pour signaler les enfants concernés afin qu’ils puissent rapidement être pris en charge dans une école plus proche. C’est quelque chose qui doit être développé et nous y travaillons. Ce qui pèse aussi dans le choix ou non d’accepter une proposition de relogement, c’est la distance par rapport au lieu de travail, qui plus est n’est pas déclaré la plupart du temps… Notre objectif est de vider au maximum le site de ses habitants avant le jour J. Donc les propositions de relogement sont faites avant même que l’arrêté ne soit pris. À ce moment-là, on ne peut pas dire aux gens dans quelle rue et à quel numéro ils seront relogés, mais cela permet déjà de formuler un souhait.

Aussi, au moment du relogement, il y a toujours des bus qui viennent chercher les personnes pour les amener à leur nouveau logement. Au début, je faisais venir deux bus du Conseil départemental, mais ils n’étaient jamais remplis. Nous faisons également venir un déménageur pour la prise en charge des meubles qui sont ensuite restitués à la demande. M.H : 400 000 euros avaient été mobilisés dans le cadre de l'opération de destruction de 250 cases à Koungou en mars dernier. Quel est l'enveloppe totale consacrée aux décasages ? À titre de comparaison, quelle somme est réservée à la construction d'hébergement d'urgence et d'insertion ? J.M : Je n'ai pas le montant en tête pour les décasages, ce sont effectivement des opérations qui coûtent cher. Mais la sécurité n'a pas de prix, même si elle a un coup. Quoi qu'il en soit, ce coût n'est pas un frein. Concernant la création de logements d'urgence et de logements sociaux, le budget dédié est d'un milliard d'euros sur dix ans, qui court jusqu'à 2030. Preuve en est que nous mettons les moyens. M.H : Pourtant, régulièrement, des actions en justice sont intentées à l'encontre de la préfecture en lien avec des opérations de décasage. Ce fut encore récemment le cas après celle de Dzoumogné, où une trentaine de familles disaient s'être retrouvées à la rue alors que leurs maisons ne figuraient pas dans les plans délimités par l'arrêté. L'une d'entre elle a obtenu gain de cause dans le cadre d'un référé-liberté devant le tribunal administratif. Une décision dont la préfecture a fait appel… J.M : Les cases détruites à Dzoumogné ne l’ont pas été dans le cadre de l’opération menée par la préfecture sur la base de la loi Elan. On avait interjeté l’appel, sauf que l’État a été condamné non pas pour la destruction mais parce que la famille n’a pas été relogée, puisque nous n’avions pas été prévenu de la situation de cette famille, dont seuls les enfants avaient accepté d’être relogés. Le seul contentieux qu’on a eu concerne DzaoudziLabattoir, et nous avons gagné. Plusieurs propriétaires privés avaient contesté l’arrêté préfectoral d’expulsion au motif qu’il s’agissait de leur terrain. Il est vrai qu’à Mayotte, il y a une vraie difficulté à établir la propriété des parcelles, pour autant nous avons obtenu gain de cause, le juge administratif ayant estimé que les revendications du propriétaire, qui comptait deux bangas sur son terrain, n’était pas légitimes.

25

• M ay o t t e H e b d o • N ° 9 5 6 • 1 4 / 0 5 / 2 0 2 1


DOSSIER

S.P

REPORTAGE

À MIRÉRÉNI, LA PEUR AVANT LA TEMPÊTE

LE 19 MAI. DANS LE QUARTIER INFORMEL INSTALLÉ AUTOUR DE L'ANCIEN TERRAIN DE FOOT DE MIRÉRÉNI, CHACUN DES PRÈS DE 300 HABITANTS CLANDESTINS N'A PLUS QUE CETTE DATE À L'ESPRIT. L'OPÉRATION DE DESTRUCTION DES CASES EN TÔLE QUI Y SONT ÉRIGÉES COMMENCERA CE JOUR. ET AVEC ELLE, POUR NOMBRE D'ENTRE EUX, LE DÉBUT D'UNE ÉNIÈME EMBÛCHE SUR LE CHEMIN DE LA PRÉCARITÉ. POUR CAUSE, LA PLUPART DES CES HOMMES, FEMMES ET ENFANTS NE SERONT PAS RELOGÉS.

Depuis la route départementale qui traverse Miréréni, le soleil fait briller une mer de tôle, Depuis la route départementale qui traverse Miréréni, le soleil fait briller une mer de tôle, à peine dissimulée, aux abords de l'ancien terrain de foot. Jerricanes terreux à la main, le visage serré sous son masque en tissu blanc, un homme d'une quarantaine d'années s'aventure sur le mince chemin escarpé qui ceinture le quartier informel. Celui-là même où vit Yassim* depuis cinq ans, sans accès à l'eau courante ou à l'électricité, avec sa femme et son fils de trois ans. "Avant, j'habitais pas très loin", se souvient l'homme en situation irrégulière. "Mais un jour, les bulldozers sont venus et ils ont tout rasé". Un décasage qu'il s'apprête à revivre dans une poignée de jours, un arrêté préfectoral ayant été pris pour que le site, propriété de la commune de Chirongui qui prévoit d'y construire un complexe sportif, soit débarrassé de sa vie et de ses occupants le 19 mai prochain. Et après ? "On ne sait pas

quoi faire, on n'a pas de solution", reconnait le père de famille en se raclant la gorge, les yeux baissés vers le sol. Silence. Répartis dans une centaine de cases fragiles et insalubres, ils seraient, selon les forces de l'ordre, entre 250 et 350 à vivre ici, dont une large majorité d'enfants et de personnes âgées, considère cette fois l'Agence régionale de santé, chargée d'évaluer les risques sanitaires qui planent sur les lieux. Si la plupart de ces habitants sont en situation irrégulière, l'État, comme l'y contraint la loi Elan, reste tenu de proposer une solution d'hébergement à toute personne dont il ordonne la destruction du logement. Dans le cas des étrangers clandestins, ceux-ci ne peuvent prétendre qu'à un hébergement d'urgence à court terme "dans des conditions d'accueil conformes à la dignité de la personne humaine", stipule le code de l'action sociale et des familles. Les personnes titrées ou de nationalité française

26•

M ay o t t e H e b d o • N ° 9 5 6 • 1 4 / 0 5 / 2 0 2 1


peuvent faire appel au même dispositif, ou être placées en hébergement d'insertion, parfois jusqu'à plusieurs mois. Quoi qu'il en soit, l'accueil ne peut être interrompu avant que les personnes relogées n'aient trouvé une solution plus pérenne. Du moins, c'est ce que dit la loi. En pratique, le très faible nombre de places disponibles à Mayotte – moins de 200 concernant l'hébergement d'urgence – ne saurait suffire à éponger le flot continu de familles mises à la rue par les opérations de décasage. Depuis le mois de janvier, la préfecture affirme avoir détruit 600 abris de tôle à travers l'île. Et à Miréréni, moins d'un habitant sur deux s'est vu proposer une prise en charge. Parmi les 111 personnes enquêtées, 64 mineurs. Des chiffres dérisoires au regard de la population installée sur place.

"PERSONNE NE VA RIEN FAIRE POUR MOI" Assise devant le seuil de sa porte faite d'une plaque de contreplaqué usé, une vieille dame berce un nourrisson dans le creux de ses bras, à l'abri du soleil. Charifa* partage sa case d'une dizaine de mètres carrés avec ses filles et ses petits-enfants, dont le plus jeune a tout juste un an.

Derrière elle, de lourds sacs de riz et des bouteilles en plastique vides jonchent le sol, posés à côté de l'unique lit de la maisonnée sur lequel tombe une moustiquaire immaculée. "Avant on avait un puit un peu plus loin", articulet-elle dans un français maladroit. "Mais depuis plusieurs semaines, il n'y a plus d'eau alors on doit aller à la rivière". Les travailleurs sociaux de l'Acfav, chargé d'interroger les habitants pour leur proposer un relogement, Charifa ne les a jamais vus. Mais ne s'en étonne pas pour autant. "Vous savez, je n'ai pas les papiers…", souligne l'Anjouanaise, comme si sa situation administrative justifiait qu'elle soit privée de son droit à la dignité. À quelques pas de sa petite cour, une autre femme regarde des bambins jouer dans la poussière. Asma* dispose, elle, d'un titre de séjour pour une durée d'un an. Elle et ses deux enfants, dont l'un est français, ont bien rencontré les enquêteurs de l'Acfav, qui leur ont proposé un relogement à Tsimkoura. Une aubaine, sa fille étant scolarisée tout proche, à Chirongui. "Mais je n'ai pas encore accepté", corriget-elle immédiatement. En cause : l'hébergement proposé n'est, selon elle, mis à sa disposition que pour une durée

27

• M ay o t t e H e b d o • N ° 9 5 6 • 1 4 / 0 5 / 2 0 2 1


DOSSIER

de deux semaines. Bass. "Après, je vais devoir retourner vivre dans la rue." La rue, c'est aussi la plus grande crainte de Salima*. La lycéenne n'a pas encore 20 ans et pourtant, comme de nombreux autres ici, elle n'en est déjà plus à son premier décasage. Née française de parents étrangers et installés sur le territoire depuis plus de 30 ans, elle et sa famille se sont installés ici il y a sept ans, après que leur première case, construite illégalement dans le quartier Golf de Chirongui, ait été détruite. "En tant qu'enfant française, j'estime avoir des droits", lance-t-elle le cœur lourd. "J'ai fait toute ma scolarité à Mayotte, je vote à Mayotte mais on va me mettre à la rue et personne ne va rien faire pour moi, comme il y a sept ans." La première fois qu'elle est mise à la rue, la jeune fille fait l'interprète entre les travailleurs municipaux et ses parents. Elle se souvient : "Au début, on nous a dit de venir nous installer ici en attendant que la mairie construise des logements sociaux. Et maintenant, depuis deux ans et demi les élus nous harcèlent pour que l'on

parte et dans dix jours, ma famille, mes frères et sœurs, ma mère et moi allons devoir dormir dehors parce qu'il n'y a personne pour nous héberger." Elle réajuste le voile posé sur ses cheveux tressés. "Je ne demande pas qu'on nous remette encore dans un banga, je veux une maison stable, avec de l'eau, de l'électricité. Aujourd'hui, quand je veux faire mes devoirs, je suis obligée d'aller chez des gens pour charger mon ordinateur, je vis tous les jours comme ça et je ne sais plus quoi faire pour que quelqu'un m'entende." Selon Salima, sa famille avait accepté une proposition de relogement à Sada en 2019. Mais depuis, plus rien. "Je comprends qu'ils veuillent démolir le quartier, mais nous, qui comprend notre situation ?"

"TOUT EST DÉJÀ SATURÉ" Derrière elle, des travailleurs de la Cimade déambulent de case en case à la rencontre de leurs habitants. "Nous voulons voir ce qui a été proposé aux familles en termes de relogement", introduit Solène Dia, chargée de projet de l'association de solidarité envers les réfugiés, demandeurs d'asile et étrangers en situation irrégulière. "Certaines en ont accepté, mais à

28•

M ay o t t e H e b d o • N ° 9 5 6 • 1 4 / 0 5 / 2 0 2 1


La proposition d'hébergement signée d’une famille installée dans le quartier Cetam en Petite Terre, décasé en avril, sans aucune mention concernant l'emplacement, donc la potentielle distance avec le lieu de travail des parents ou de scolarisation des enfants.

quelques jours de l'opération de destruction, elles n'ont toujours pas reçu de confirmation… Les associations qui gèrent le parc d'hébergements le disent elles-mêmes : tout est déjà saturé." Selon la Cimade, déjà lors du décasage du quartier Cetam à Labattoir en avril dernier, plusieurs ménages en situation régulière avaient d'ailleurs signé des propositions d'hébergement sans n'avoir jamais été pris en charge après la destruction de leurs domiciles. Pourtant, aux yeux de la préfecture, le principal problème ne relève pas de la capacité d'hébergement, mais bel et bien du nombre important de refus reçus par les enquêteurs sociaux : "La capacité du parc est faible, c'est clair", concède le sous-préfet Jérôme Millet. "Pour autant, on n’a jamais été dépassé par la demande, même si on tutoie souvent les 100% de remplissage. Mais au-delà de la capacité, la première difficulté reste l’accord des personnes à être relogées, parce que l'endroit proposé est trop loin de leur lieu de travail par exemple, ou qu'ils préfèrent aller vivre chez de la famille." Parole contre parole, donc. Néanmoins, la préfecture assume sa stratégie sans détour : organiser des opérations d'interpellation massive en amont des décasages en amont, au sein même des quartiers informels, comme ce fut le cas à Koungou où 184 étrangers en situation irrégulière avaient été interpellés

quelques mois plus tôt. Ainsi, à une semaine du grand nettoyage prévu à Miréréni, une descente de la police aux frontières a été organisée près de l'ancien terrain de foot. Plusieurs dizaines de personnes ont alors été arrêtées et conduites au centre de rétention administrative, en vue de procéder à leur expulsion du territoire français. De quoi, pour les services de l'État, largement alléger le nombre d'habitants à reloger comme la loi les y oblige. Sur le papier, le procédé en tant que tel n'a rien d'illégal. Mais dans les faits, plusieurs témoins racontent avoir vu les agents forcer l'entrée de certaines cases pour pouvoir en arrêter les occupants. Des accusations de violation de domicile – qui vaut même pour des habitations clandestines – que nie en bloc la préfecture. La situation n'est pas sans rappeler la décision du tribunal judiciaire d'invalider l'arrestation de trois travailleurs clandestins sous le toit de la cinquième vice-présidente du conseil départemental, les fonctionnaires ayant procédé à leur interpellation au sein d'une habitation dans laquelle ils n'avaient aucunement le droit d'entrer... Dans le cas de Miréréni, reste désormais à savoir où ceux encore sur le site iront s'installer, et jusqu'à quand, une fois les bulldozers passés sur les vestiges de leurs salons et de leurs chambres à coucher. • * Les prénoms ont été modifiés.

29

• M ay o t t e H e b d o • N ° 9 5 6 • 1 4 / 0 5 / 2 0 2 1


MAGAZINE D’INFORMATION NUMÉRIQUE HEBDOMADAIRE Edité par la SARL Somapresse au capital de 20 000 euros 7, rue Salamani Cavani M’tsapéré BP 60 - 97600 Mamoudzou Tél. : 0269 61 20 04 contact@mayottehebdo.com Directeur de la publication Laurent Canavate canavate.laurent@mayottehebdo.com Directeur de la rédaction Mohamed El Mounir dit “Soldat” 0639 69 13 38 soldat@mayottehebdo.com Rédactrice en chef Solène Peillard

# 956

Couverture :

Décasage Le grand ménage

Journalistes Romain Guille Raïnat Aliloiffa Constance Daire Direction artistique Franco di Sangro Graphistes/Maquettistes Olivier Baron, Franco di Sangro Commerciaux Cédric Denaud, Murielle Turlan Thomas Lévy Comptabilité Catherine Chiggiato compta@mayottehebdo.com Secretariat Annabelle Mohamadi Première parution Vendredi 31 mars 2000 ISSN : 1288 - 1716 RCS : n° 9757/2000 N° de Siret : 024 061 970 000 18 N°CPPAP : 0121 I 92960 Site internet www.mayottehebdo.com

30•

M ay o t t e H e b d o • N ° 9 5 6 • 1 4 / 0 5 / 2 0 2 1


Turn static files into dynamic content formats.

Create a flipbook
Issuu converts static files into: digital portfolios, online yearbooks, online catalogs, digital photo albums and more. Sign up and create your flipbook.