LE MOT DE LA RÉDACTION ROULENT LES TÊTES Make Elizabeth the last, « Faire d’Elizabeth la dernière » en français, est ce que nos lointains voisins britanniques peuvent lire sur des affiches en ce moment. Selon un récent sondage, 25% des habitants du Royaume-Uni, et 37% des jeunes, souhaiteraient abolir la monarchie. Même si celle-ci est parlementaire outre-Manche, cette affaire nous rappelle encore la chance que nous avons de voter pour nos représentants. L’enjeu des élections législatives des 12 et 19 juin 2022 est de taille, tant le gouvernement craint de perdre sa majorité sur les bancs de l’Assemblée nationale, et dire qu’elles ne sont que le « troisième tour » du suffrage présidentiel serait les minimiser. Mayotte, comme les autres territoires d’outre-mer d’ailleurs, devrait en effet privilégier les oppositions, comme lors des précédentes élections. Mais l’équation n’est pas si simple, tant le contexte local s’y immisce, mettant sur la table les troubles chroniques dont souffre l’île aux parfums. Insécurité, éducation, santé, immigration, pouvoir d’achat, environnement… Tous ces sujets ont été abordés avec nos candidates et candidats, qui redoublent de motivation pour convaincre un électorat mahorais sceptique, vis-à-vis de l’État français, mais aussi de ses élus locaux. Celui ou celle qui parviendra à faire corps avec le peuple sera élu·e, pari somme toute logique dans notre Res Publica – chose publique – démocratique, accordant le pouvoir au peuple. Bonne lecture à toutes et à tous.
Axel Nodinot
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C’est le nombre de scènes proposées par la 7ème édition du festival Kariboom, qui aura lieu le samedi 4 et le dimanche 5 juin à M’tsangabeach. Plus d’une trentaine d’artistes se reproduiront en outre lors des deux jours et des nuits de l’événement. Pour organiser ce rendez-vous festif et familial, l’équipe de l’association Atomix a mobilisé 70 bénévoles, et proposera de nombreuses activités aux petits et aux grands : initiation aux percussions, jonglage, DJing, spectacles de danse africaine, de tissu aérien, de breakdance, de capoeira. Tout ceci sans perdre l’identité électro des événements Atomix habituels, comme le déclare Jean-Philippe Moya, président de l’association, à Flash Infos : « Dès le début, nous avons voulu associer les animations pour enfants afin de démocratiser l’accès à la musique électronique et de nous ouvrir au public familial et mahorais ».
L'ACTION
Un Bachelor RH dès la rentrée 2022 Désespérément en demande d’une offre de formation plus diversifiée, Mayotte pourra dès cette année voir grandir des chargés de ressources humaines sur son sol. Totalement prise en charge par AKTO et LADOM, la formation en alternance d’un an se déroulera en trois phases : en entreprise à Mayotte en septembre et octobre 2022, puis en formation à Poitiers d’octobre 2022 à février 2023, avant de revenir dans une entreprise mahoraise jusqu’en octobre 2023. La création de ce Bachelor tient à l’initiative de la CRESS, déjà à l’origine d’un Bachelor ESS l’année dernière. Mais la Chambre régionale de l’économie sociale et solidaire de Mayotte est accompagnée de nombreux partenaires pour ce lancement : le Conseil départemental, AKTO, LADOM, Pôle Emploi, Action Logement et Talis Business School sont notamment de la partie. Pour s’inscrire à cette formation, les candidats doivent envoyer un mail à bachelor-rh-ess@cress-mayotte.odoo. com
LA PHRASE
« Nous sommes face à un échec éducatif » Cet amer constat, fait par un membre du collectif des personnels du lycée de Kahani, est malheureusement à la hauteur des événements ayant émaillé les abords de l’établissement ces derniers temps. Mardi dernier, les professeurs, le personnel médico-social et les assistants d’éducation de Kahani ont donc profité de la grève nationale de l’éducation pour exposer leurs revendications. Et ces dernières sont nombreuses. Le personnel demande en effet une visibilité sur la prochaine rentrée, sachant que le proviseur actuel ne l’assurera pas. Mais aussi plus de sécurité, le passage en REP+ de tous les établissements, des constructions, une hausse du nombre de classes, le renouvellement des personnes compétentes, et une meilleure communication avec le rectorat. À Kahani comme à Mayotte, le chantier de l’éducation reste donc titanesque.
ELLES FONT L'ACTU Les collégiens de Bandrélé honorés au Festival de l’Image sous-marine Dimanche dernier avait lieu la désormais traditionnelle cérémonie de remise des trophées du festival de l’image sous-marine de Mayotte. Pour cette 27ème édition du festival, plusieurs Mahoraises et Mahorais ont été récompensés. Ainsi en est-il de Serge Melesan, vainqueur du prix spécial dans la catégorie film avec son « Sea blue safarie whales and orcas », ou de CannelleLou Naouirdine, qui rafle le prix du meilleur dessin. Quant aux collégiens de Bandrélé, ils remportent l’Hippocampe d’or du film scolaire pour leur « Projet Lagon 5 ». Organisé par l’agence Angalia, bien aidé par une batterie de partenaires parmi lesquels le Parc naturel marin de Mayotte, le festival de l’image sousmarine ne cesse de se développer avec les années, offrant un coup de projecteur sur les preneurs de vues ultramarins.
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LU DANS LA PRESSE
Chaque semaine, découvrez le regard porté sur l’actualité locale à travers la presse nationale ou régionale
MAYOTTE : LES DERNIÈRES PAGES D’UN ROMAN NOIR POUR LONGONI Le lundi 30 mai, par Vincent Calabrèse pour l’Antenne.
À Mayotte, la communauté portuaire de Longoni, qui regrette de souffrir depuis si longtemps de la gestion délétère assurée par la société Mayotte Channel Gateway (MCG), attend la fin de la DSP actuelle pour entrer dans une période transitoire où Edeis, le gestionnaire de l'aéroport, pourrait prendre les rênes. Les membres de l'Union maritime de Mayotte (UMM) se sont déclarés bien déçus à l'issue du dernier conseil portuaire qui s'est tenu le vendredi 22 avril. Car aucune décision n'a été prise lors de cette réunion concernant la résiliation de la délégation de service public (DSP) de gestion du port occupée par Mayotte Channel Gateway (MCG), filiale de Société Nel Import-Export (SNIE), depuis maintenant neuf ans. Norbert Martinez, le président de l'UMM, indique que "la question portant sur la possibilité de la résilier cette DSP" a été seulement abordée. Une charge pour laquelle Ida Nel, à la tête de ces entreprises, est accusée de mauvaises pratiques de la part de la communauté portuaire mahoraise, du Conseil départemental ainsi que de la Cour des Comptes. Mauvaise gestion, horaires trop stricts pour permettre la fluidité de l'activité sur les quais de Longoni, investissements réalisés sans l'approbation du conseil portuaire… la liste des reproches est longue. En outre, la société MCG et sa holding, en situation de monopole sur le port, ont rencontré une embûche de taille en étant sanctionnées par la Direction générale de
la concurrence. Elles ont été condamnées à verser une amende de 100.000 euros en décembre 2021. La gouvernance, une question demeurant sans réponse Si Norbert Martinez se réjouit d'avoir vu le Sénat s'interroger, dans son rapport sur l'Outre-mer, sur la nécessité pour le Port autonome mahorais de changer de statut pour devenir Grand Port maritime, il regrette de constater que la gouvernance est un sujet échappant également au Conseil portuaire. Selon les membres de l'UMM, le Conseil du port ne peut pas endosser une telle décision. Ses prérogatives ne l'y autorisent pas. Pas plus que le Conseil départemental ne peut se permettre de mettre fin à la DSP actuelle de gestion du port, redoutant de devoir verser des indemnités à la société MCG. Le président de l'Union maritime s'interroge sur les raisons pour lesquelles Ida Nel, la patronne de MCG, s'accroche ainsi à cette DSP depuis presque dix ans. D'ici la fin de l'année, après le départ de MCG, la gestion du port pourrait être confiée à une autre entité pendant une période transitoire qui ne sera pas placée dans le cadre d'une DSP mais d'un régime similaire, selon les estimations de Norbert Martinez. Le président de l'UMM, qui a pris en mars la barre du tout nouveau Cluster maritime d'Outre-mer de Mayotte, entend parler d'Edeis, le gestionnaire de l'aéroport. Une nouvelle DSP devrait être mise en place à la suite cette période transitoire.
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DOSSIER
Législatives 2022
AU NORD, C’EST LES ÉLECTIONS
Les dimanches 12 et 19 juin prochains se tiendront les élections législatives 2022, qui auront pour but de renouveler les 577 députés de l’Assemblée nationale. Sur la totalité du territoire français, elles et ils sont 6293 à vouloir intégrer la chambre basse du Parlement français. À Mayotte, qui ne comporte que deux circonscriptions, les candidats sont au nombre de 21. Et ils seront tous dans nos pages, en commençant par les 10 personnalités qui se présentent au Nord. La 1ère circonscription est peut-être la plus intéressante, tant la concurrence y est relevée. Ramlati Ali, la députée sortante, devra en effet faire face à la dissidence de Mohamed Moindjié, mais aussi aux poids lourds politiques que sont Elad Chakrina et Issihaka Abdillah, aux fortes têtes Théophane Narayanin et Estelle Youssouffa, sans oublier Yasmina Aouny, soutenue par le MDM et la NUPES. Malgré nos multiples sollicitations, le candidat Antoine Autran n'a pas pu s'exprimer et répondre à nos questions.
M’tsahara M’tsangamboi Mtsamboro Acoua
Bandraboua Koungou Mamoudzou M’tsapéré
Dzaoudzi
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M’tsahara M’tsangamboi Mtsamboro
Bandraboua
Acoua
Koungou Mamoudzou M’tsapéré
Dzaoudzi
ENTRETIEN
Propos recueillis par Siak
MOHAMED MOINDJIÉ « REPLACER L’HUMAIN ET L’EMPLOI AU CŒUR D’UN VRAI PROJET DE DÉVELOPPEMENT ÉCONOMIQUE » PARMI LES 10 CANDIDATS DE LA 1ÈRE CIRCONSCRIPTION DE MAYOTTE, IL Y A MOHAMED MOINDJIÉ, NATIF DE M’TSAPÉRÉ, TRÈS CONNU POUR SA TRÈS GRANDE IMPLICATION DANS LES MILIEUX ASSOCIATIFS LOCAUX, SON PASSÉ D’ÉLU DANS LA COMMUNE DE MAMOUDZOU, AINSI QUE SON PARCOURS PROFESSIONNEL DE CADRE SUPÉRIEUR DANS L’ADMINISTRATION TERRITORIALE. IL EXERCE ACTUELLEMENT LES FONCTIONS DE DIRECTEUR GÉNÉRAL DES SERVICES AU SEIN DE L’ASSOCIATION DES MAIRES DE MAYOTTE. DE PAR CES DIFFÉRENTES CASQUETTES PORTÉES AU SERVICE DES AUTRES, IL S’ESTIME SUFFISAMMENT PRÉPARÉ À DEVENIR PARLEMENTAIRE.
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Mayotte Hebdo : Vous êtes candidat à la députation de Mayotte dans la circonscription 1, pouvez-vous brièvement vous présenter à vos futurs électeurs ? Mohamed Moindjié : Je suis un père de famille qui essaie de donner la meilleure éducation possible à ses enfants, dans un contexte difficile de croissance démographique très forte, de violence, aux abords et à l’extérieur des établissements. Chaque jour que mes enfants rentrent à la maison, sains et saufs, est une journée de gagnée. Deuxièmement, je suis aussi un serviteur de la chose publique, au service des autres et de l’intérêt général, cadre supérieur de la fonction publique territoriale et ancien élu local. De cette double expérience au service des gens, je pense être l’homme de la situation. En effet, j’ai beaucoup appris aux côtés et au service des autres, pour être prêt aujourd’hui à occuper cette fonction de député de la Maison France, député de Mayotte. J’ai une suppléante, Dharina-Hyati-Attoumani de Majicavo, commune de Koungou, institutrice et présidente d’association, impliquée pour les gens, pour son village, et qui défend une cause juste, l’autisme, que nous allons porter à l’Assemblée nationale. Une femme engagée au service des autres, des enfants, de ses enfants. M. H. : L’immigration clandestine en provenance des îles et d’ailleurs est un sujet central dans les préoccupations quotidiennes des Mahorais. Quel est votre regard sur cette problématique ? Que préconisez-vous comme solution durable si vous parvenez à l’Assemblée nationale ? M. M. : Nous faisons face ici à une immigration clandestine massive, un sous-développement chronique avec un chômage structurel, une démographie galopante, des étrangers en situation régulière parqués sur le territoire et des réfugiés illégaux livrés à eux-mêmes. Le tout fait de Mayotte un territoire singulier dans la République, une cocotte-minute bouillonnante qui peut exploser à tout moment. Sur le plan interne, cela implique plus de gendarmes, plus de policiers, plus de surveillance de nos côtes (recrutement de surveillants des côtes en liens avec les communes), plus d’interpellations sur le terrain, plus de reconduites à la frontière, une surveillance aérienne efficace, etc… C’est également une meilleure application du droit en lien avec les collectivités locale sur l’éradication des bidonvilles, de l’économie informelle, de la lutte
contre les reconnaissances frauduleuses, agir sur le droit du sol. Sur le plan externe, notre diplomatie doit trouver le moyen de travailler efficacement avec les Comores en tant qu’État, des organisations telles que l’Union africaine et autres, des organismes comme l’AFD (agence française de développement) pour favoriser une meilleure situation économique dans l’archipel qui permette à toutes ces populations d’avoir des activités économiques rémunérées à la fin du mois et les fixer chez elles. Il nous faut être réalistes, nous ne pouvons pas faire bombarder des kwassa-kwassa en mer avec à leurs bords des femmes et des enfants. Nous ne pouvons pas non plus faire encercler l’île avec des barbelés. Il faudra donc davantage de coopération économique avec les pays de la région, sources de cette immigration clandestine, par exemple des accords de production sur place de certaines denrées agricoles, de transformations de produits fortement consommés à Mayotte. Il faut également mettre un terme à ces titres de séjours d’exception, à la route des trafics d’êtres humains, des réseaux organisés depuis les pays « des grands lacs ». M. H. : L’insécurité a chamboulé la vie quotidienne, autrefois paisible des Mahoraises et Mahorais, comment y remédier selon vous ? Et avec quels moyens pour y parvenir ? M. M. : Cette question me fait penser au jour où un jeune lycéen de 17 ans a été tué près de mon lieu de travail par un coup de tournevis. J’ai pensé à mon fils du même âge qui est scolarisé au lycée Younoussa Bamana à Mamoudzou. La réaction de peur et le stress quand un garçon de 11 ans a été poignardé au collège de M’Gombani, établissement que fréquente mon autre fils qui est en 6ème. Nous avons encore besoin ici de l’État de droit, avec une justice forte, qui a les moyens de rendre justice, en effectifs, en places de prison, en centres éducatifs fermés, en policiers et gendarmes, une justice non assujettie à une politique de mutualisation de moyens avec La Réunion… Des policiers et gendarmes qui connaissent bien le territoire et qui bénéficieraient sur place de toutes les formations qui leurs sont nécessaires, en facilitant notamment le retour sur l’île des Mahorais vivant en métropole. Il faut mieux sécuriser nos établissements scolaires et nos bus, avec des brigades spécialisées et pas seulement avec des agents des services civiques.
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M. H. : Quel regard portez-vous sur l’éducation, cet autre enjeu majeur pour l’avenir de Mayotte ? Quelles sont les perspectives pour les nouvelles générations ? M. M. : La situation est exceptionnelle compte tenu de la croissance démographique, de l’immigration clandestine. L’État a consenti un effort considérable en matière de constructions scolaires. Il doit désormais continuer à investir dans la qualité et l’excellence partout sur le territoire et non pas seulement à certains endroits, faciliter l’accès aux grandes écoles (ENA et autres), multiplier à Mayotte les classes préparatoires et préparer le capital humain à mieux affronter un avenir incertain, de l’inattendu. Il faut aussi mieux s’insérer dans les programmes de mobilité européens pour forger notre jeunesse. Il faut faire rouvrir sur ce territoire les CFA, en nombre, ainsi que toutes les structures susceptibles de favoriser l’apprentissage des métiers manuels et donner leurs chances à tous les jeunes qui ne peuvent pas faire de longues études. La fermeture de l’ancien CFA est un « crime » à mes yeux. Je ne comprends toujours pas comment certains ont pu faire cela. L’Éducation nationale doit créer l’Institut des langues régionales dont on parle depuis de longues années, il faut enseigner le « kibushi » et le « shimaoré » aux jeunes générations et éviter qu’ils ne disparaissent, de même qu’il faut développer l’enseignement universitaire sur l’île avec une université autonome disposant de tous les instruments comme le CROUS, le resto U, etc. M. H. : En matière de développement économique, quels seront les axes de défense du futur député que vous serez ? Et plus spécifiquement, comment impulser un décollage réaliste et durable de ce secteur ? M. M. : J’espère obtenir la confiance et le suffrage des électeurs de la circonscription n°1 pour porter un projet économique véritable et ambitieux qui doit nous permettre de sortir Mayotte du sousdéveloppement, de la dépendance de l’extérieur, de la pauvreté chronique, du chômage de masse… J’entends par là encourager l’activité économique par une politique volontariste de grands travaux d’infrastructures tels que l’aéroport, le port, le
transport en commun, les voies de contournement de l’agglomération de Mamoudzou, et autres routes, et puis il faudra bien arriver un jour à la construction du pont reliant la Petite et la GrandeTerre. Nous faisons ici à la fois du développement urbain, de l’économique et de l’environnemental. Transports en site propre, transports maritimes, tramway, téléphérique : nous devons repenser les déplacements du futur car le tout véhicule sans alternative risque d’asphyxier nos villes et villages et de polluer l’urbain. M. H. : À Mayotte également la question du pouvoir d’achat est au centre du débat de ces législatives de 2022. Quelles sont vos préconisations pour remédier à la situation actuelle ? M. M. : Je me rappelle que nous avons élus ici un député, il y a quelques années, avec la mission première de lutter contre la vie chère, surnommé le « député mabawas ». Malheureusement, nous avons eu droit à l’inverse, des prix de produits de première nécessité encore toujours plus élevés, malgré certains dispositifs de la loi Lurel qui a institué un bouclier de prix pour certains produits. Le pouvoir d’achat viendra de toutes les mesures de développement économique que j’ai cité précédemment et non d’un assistanat généralisé par l’État. Les prix sont trop élevés parce que notre économie est beaucoup trop dépendante des importations donc la promotion de l’emploi local fait partie des solutions. D’autres mesures peuvent venir s’y greffer au moyen, par exemple, de l’égalité sociale. Tous les dispositifs nationaux d’aides aux plus nécessiteux d’entre nous doivent être élargis à Mayotte et non pas seulement le RSA. Par rapport aux prix trop élevés, une lutte acharnée doit être engagée contre les monopoles et les ententes. Un soutien à des groupements locaux, notamment dans de grands projets d’investissement de plus de 50 millions d’euros. M. H. : La problématique du logement est aussi une très grande préoccupation du Mahorais actuellement, quelle est votre approche sur ce sujet ? Et comment selon vous, peut-on restituer ce secteur stratégique dans le développement économique de l’île ? M. M. : Pour ce qui est du logement, il fait partie des éléments structurants du projet économique
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que j’ai déjà développé un peu plus haut, lequel s’appuie entre autres des filières agricoles, de la pêche, de l’aquaculture, du médical, du médicosocial, du social, de la petite enfance, du BTP, de l’informatique et de la transition écologique. Une nécessité de raser tous les bidonvilles à l’échéance d’un mandat, de loger dignement les Mahorais, de régler la question foncière en renforçant notamment la commission d’urgence foncière (CUF chargée de l’indivision et de la titrisation) avec plus de moyens financiers et humains, de multiplier
les opérateurs dans le domaine du logement et enfin, de permettre aux Mahorais de devenir des promoteurs immédiats. De l’activité et du progrès humain et social pour les gens. Pour contourner les contraintes et les freins, une solution qui serait de s’appuyer sur des Mahorais déjà propriétaires avec des aides spécifiques pour la mise en location de leur logement. La dynamique économique est là compte tenu des besoins énormes de logement digne. La pleine citoyenneté passe par un toit.
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M’tsahara M’tsangamboi Mtsamboro Acoua
Bandraboua Koungou Mamoudzou M’tsapéré
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ENTRETIEN
Propos recueillis par Axel Nodinot
YASMINA AOUNY PRÔNE UN ENGAGEMENT DE L’ÉTAT À MAYOTTE ENSEIGNANTE AU MALFAMÉ LYCÉE DE KAHANI ET DIRIGEANTE DU CLUB DE FOOTBALL DE MTSAMBORO, SA VILLE DE CŒUR, YASMINA AOUNY EST AUSSI UNE ROMANCIÈRE, AUTEURE DU LIVRE « LES CHATOUILLEUSES » RÉCEMMENT PARU. UN PAN DE L’HISTOIRE MAHORAISE FÉMININ ET FÉMINISTE, QUI CORRESPOND PARFAITEMENT AUX VALEURS SOCIALES DE LA CANDIDATE À LA DÉPUTATION DANS LA 1ÈRE CIRCONSCRIPTION DE L’ÎLE. INVESTIE PAR LE MDM (MOUVEMENT POUR LE DÉVELOPPEMENT DE MAYOTTE) ET LA NUPES (NOUVELLE UNION POPULAIRE ÉCOLOGIQUE ET SOCIALE), LA NORDISTE AXE SON PROGRAMME SUR L’AMÉLIORATION DES CONDITIONS DE VIE DE LA POPULATION, SANS NÉANMOINS SE VOILER LA FACE SUR LES QUESTIONS D’IMMIGRATION.
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Mayotte Hebdo : Brièvement, pourquoi vous lancer dans la campagne des législatives ? Yasmina Aouny : Servir le peuple est ma passion et ma vocation, selon moi. Et quels que soient les résultats de ces échéances, je continuerai de servir mon peuple. M. H. : Dans l’imaginaire collectif, la gauche française défend une immigration non-régulée. Vous députée, au sein du groupe de la Nouvelle union populaire, que ferez-vous au sujet de la crise migratoire frappant Mayotte depuis plusieurs décennies ? Y. A. : Il me semble important de commencer par comprendre ce qu’est cette crise. La France est une puissance mondiale, nous le voyons en ce moment avec des déblocages d’argent lorsqu’elle a un problème, et lorsqu’elle en a la volonté. Pourquoi une telle puissance, qui a le moyen de protéger les frontières, les a-t-elle laissées accessibles à l’immigration clandestine ? La question est là. Je pense qu’avec les technologies, comme les drones par exemple, nous avons largement les moyens de contrôler nos frontières, car ceux qui sont chargés de le faire ont peu de moyens. En tant que députée, je mettrai un point d’honneur à me battre pour qu’enfin, la France contrôle dignement nos frontières. Si vous laissez votre porte ouverte, puis que vous vous plaignez que n’importe qui y entre, est-ce de la faute de ceux qui entrent, ou est-ce de votre faute ? Une personne qui a faim, soif, qui souffre, et qui voit un abri, elle y entrera pour se protéger et manger à sa faim. Il y a beaucoup d’effets pervers de l’immigration clandestine. C’est un phénomène qui déstabilise complètement notre société. Mais dresser la communauté des immigrés contre la communauté mahoraise est un piège très dangereux qui peut avoir des conséquences assez dramatiques. M. H. : Vous semblez pointer du doigt un certain désengagement de l’État français, terme qui irrite les autorités mahoraises telles que le préfet. Emploieriez-vous malgré tout ce mot ? Y. A. : Bien sûr ! Nous sommes Français depuis 1841. Trouvez-vous normal que, jusqu’à ce jour, nous n’ayons même pas d’université digne de ce nom ? Comment un territoire peut-il se développer si l’on n’investit pas dans son capital humain ?
C’est pourtant ce qu’il se passe ici. Le Mahorais n’est pas vraiment pris en compte, ce sont juste les intérêts géostratégiques qui sont mis en avant. L’État français sait très bien que l’ouverture des frontières provoque une surpopulation du territoire, un manque de logement… Aujourd’hui, on peut dire qu’il y a une question sociale mahoraise, des zones d’extrême pauvreté et de non-droit qui se sont développées, où la drogue et l’alcool sévissent. On ne peut pas faire porter le chapeau qu’à ceux qui ne sont arrivés il y a un ou deux ans. M. H. : Vous êtes enseignante, et savez donc que des demi-journées sont mises en place, que le territoire souffre d’un manque d’établissements et de personnel… Comment une députée peutelle engager le chantier éducatif mahorais à l’Assemblée nationale ? Y. A. : Au niveau national, il y a environ un lycée par quartier. Ici, on n’a même pas un lycée par commune. On a donc une surpopulation scolaire sur notre territoire, une situation qui entraîne des tensions entre élèves mais aussi vis-à-vis du personnel, puisqu’elle demande beaucoup de travail. Moi qui suis affectée à Kahani, un lycée professionnel, technologique et général, je vois que nous recevons des jeunes issus de toute l’île. Quand ils ont des conflits, ils les règlent donc là-bas. Il faut un lycée pour chaque commune, mais ça ne suffit pas. Il faut également être au plus près de la jeunesse, l’accompagner, la sensibiliser, pour lutter contre les violences qui font des ravages et parfois des morts parmi nos élèves. M. H. : À propos de sécurité justement, les Mahoraises et Mahorais n’aspirent qu’à vivre leur vie paisiblement, comme c’était le cas auparavant. Aujourd’hui, la population s’empêche de sortir dans certaines zones après 18 heures, ou du moins avec la peur au ventre. Quelles sont vos solutions pour rétablir la paix ? Y. A. : Tant qu’il y aura des zones échappant au contrôle des autorités, elles nous exposeront à une insécurité, qu’on le veuille ou non. Il nous faut lutter contre le développement des bidonvilles, qui sont des zones de non-droit et de production d’individus potentiellement violents. La promiscuité, le manque d’eau et d’électricité, ce ne sont pas des conditions propices à l’émergence d’individus aptes à évoluer convenablement dans notre société. Même pour la dignité humaine, notre État ne doit pas accepter
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que des conditions de vie pareilles subsistent ici à Mayotte. L’insécurité est le résultat d’une anarchie dans l’occupation de notre territoire, mais aussi de moyens insuffisants en termes de police et de gendarmerie. On nous dit que, sous le quinquennat Macron, il y a eu une hausse de 40% de forces de l’ordre, mais quand bien même le chiffre est vrai, n’aurait-il pas fallu qu’il soit plus haut ? M. H. : C’est un discours de droite que vous tenez là. Y. A. : Je sais (rires). Mais, malheureusement, c’est la réalité de Mayotte. C’est compliqué de parler des bidonvilles ici, car j’ai vu beaucoup d’élèves qui en étaient issus et qui ont eu un parcours formidable, comme dans les quartiers Nord de Marseille, mais ce sont malheureusement des exceptions. La règle, c’est qu’il y ait peu d’espoirs de réussite lorsque l’on vient de ces endroits, rien qu’avec les démarches administratives.
« AUJOURD’HUI, ON PEUT DIRE QU’IL Y A UNE QUESTION SOCIALE MAHORAISE » 14•
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M. H. : Mayotte est l’un des plus arides déserts médicaux de France, avec notamment un manque de praticiens et un second hôpital dont le chantier ne débutera qu’en 2025. Que pourrez-vous faire, sur les bancs de l’Assemblée, pour aider les Mahorais qui souffrent maintenant ? Y. A. : Pour avoir expérimenté personnellement notre système de santé, je pense qu’il y a effectivement beaucoup à faire. Lorsqu’on souffre d’une grave maladie, c’est la double peine : on doit d’abord subir la maladie, mais aussi partir en exil, soit en métropole, soit à La Réunion. Si on est chanceux, on est évasané. Si on l’est moins, on doit partir par ses propres moyens. Cela doit cesser. Il faut que, sur notre territoire, les malades de cancers puissent avoir accès à la radiothérapie, et sur le long terme, pourquoi ne pas envisager que les chirurgies puissent se faire directement sur place ? Mon combat en matière de santé, c’est que notre île soit suffisamment bien dotée pour qu’un
Mahorais malade puisse bénéficier de ces soins, mais entouré de ses proches, comme cela se passe chez nos compatriotes de France et de Navarre. Je trouve complètement injuste le fait que nous ne puissions pas bénéficier de la même chose. Comme la plupart de nos services publics, celui de santé est complètement surchargé. C’est le résultat direct de l’immigration clandestine, puisque l’on sait qu’au sein de cette dernière, une proportion importante de personnes viennent pour bénéficier de soins qui n’existent pas chez elles, ou qui leur sont inaccessibles. Une politique de coopération régionale serait donc à envisager sur ce volet également, puisqu’elle permettrait à nos voisins comoriens d’accéder à une offre de soins de qualité, ce qui contribuera forcément à désengorger nos hôpitaux.
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Bandraboua
Acoua
Koungou Mamoudzou M’tsapéré
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ENTRETIEN
THÉOPHANE NARAYANIN CONFIRME SA CANDIDATURE À SES EMPLOYÉS Alexis Duclos
IL AVAIT COMMENCÉ À TÂTER LE TERRAIN EN DÉCEMBRE 2021 QUAND IL ÉTAIT MONTÉ AU CRÉNEAU POUR DÉNONCER LE PRIX DE L’EAU. THÉOPHANE « GUITO » NARAYANIN, LE PATRON D’IBS, SE LANCE COMPLÈTEMENT DANS LA CAMPAGNE DES LÉGISLATIVES ET À L’ASSAUT DE LA CIRCONSCRIPTION DU NORD. IL L’A ANNONCÉ, CE JEUDI APRÈS-MIDI, À SES SALARIÉS, TOUT EN DEMANDANT LEUR APPROBATION.
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« Guito ! Député ! Guito ! Député ! » scandent les salariés d’IBS, ce jeudi. Sous le vieil arbre planté sur le site de l’entreprise de BTP à Kangani, Théophane « Guito » Narayanin tient son premier discours de campagne pour les législatives. Un lieu qui n’a rien d’anodin pour le Réunionnais de 67 ans, puisqu’avant de se présenter, il souhaitait entendre l’avis de ses 350 employés, avant de les inviter à rentrer chez eux. Les applaudissements ont rassuré le Réunionnais. « Ma force a toujours été dans mes employés », raconte le président d’un groupe présent à Mayotte, Madagascar, Maurice et La Réunion. Semblant à l’aise au cours de ce premier meeting, il a déroulé une esquisse de programme en s’appuyant sur son expérience de chef d’entreprise arrivé à Mayotte en 1981. « Je les vis au quotidien les difficultés de Mayotte. Je les supporte avec les Mahorais à notre échelle. Car quand le chantier n’a pas d’eau et mes gars n’ont rien à boire, c’est une catastrophe. Et quand on voit des gens qui sont payés des millions pour approvisionner de l’eau et qui ne font pas le boulot, ça s’est grave », prend-il comme exemple. Le néocandidat fait déjà part de sa volonté de passer Mayotte entièrement en « zone franche globale. Un outil qui permet d’atténuer la misère ». Concernant le pouvoir d’achat, il rappelle que les carburants et l’eau sont plus chers à Mayotte qu’à La Réunion, « trois fois plus » pour l’eau. Il en appelle aussi au développement de la formation, au renforcement de l’éducation et de l’accès aux soins. Sur le volet économique, il a un discours plus libéral et fait régulièrement référence à une intégration « par le travail », « pas l’assistanat ». Sur l’insécurité, « à partir du moment où les gens ont faim ou soif, on perd le contrôle de la sécurité », estime-t-il. En termes d’immigration aussi, le chef
d’entreprise recommande d’aider les Comores y en créant directement sur place un hôpital et des écoles. « Il ne faut pas s’étonner qu’il y ait un flux permanent d’Anjouan. Pourquoi les gens veulent venir à Mayotte. Ce n’est pas pour manger, c’est pour l’éducation, les médecins, le plateau médical », récapitule-t-il, après avoir demandé à ne plus « donner de l’argent au gouvernement comorien. Quatre ou cinq ministres bouffent tout ».
PAS COMPLÈTEMENT NOVICE EN POLITIQUE Avant d’y aller pleinement, « Guito » a fait comme de nombreux dirigeants de sociétés mahoraises. Il a soutenu des politiciens locaux. Certains d’entre eux l’ont même rencontré pour lui faire de son inquiétude dernièrement. Mais le Réunionnais est catégorique. « Déçu » par eux, il préfère défendre dorénavant lui-même sa vision. « Une fois que les gens ont le pouvoir, ils oublient tout », constate-il. Quelques minutes avant, sur l’estrade improvisé, il tenait le même discours à ses salariés. Les bilans de nos politiques sont connus, je n’ai ni éloges ni critiques à formuler. Parce que je ne suis pas un politique, je suis un chef d’entreprise. Mais si c’était bien, je ne serai pas là », fait-il remarquer. La politique et les affaires ne faisant parfois pas bon ménage, il coupe : « Le conflit d’intérêt, je sais ce que c’est. Je ne ferais pas de loi pour avantager mon entreprise », confirmant que c’est bien son fils et le secrétaire général d’IBS qui seront aux manettes le temps de l’aventure politique. Parce que si ses idées ne remportaient pas l’adhésion, le néo-candidat a déjà prévenu qu’il reviendrait dans son bureau de Kangani.
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Bandraboua Koungou Mamoudzou M’tsapéré
Dzaoudzi
ENTRETIEN
Propos recueillis par Raïnat Aliloiffa
ELAD CHAKRINA « CANDIDAT POUR DÉFENDRE LES MAHORAIS À L’ASSEMBLÉE NATIONALE » AVOCAT DE PROFESSION, ELAD CHAKRINA SOUHAITE ÉLARGIR SON DOMAINE DE COMPÉTENCES EN DEVENANT DÉPUTÉ. CE CANDIDAT DE LA CIRCONSCRIPTION UNE N’EN EST PAS À SA PREMIÈRE TENTATIVE. IL SE PRÉSENTE À NOUVEAU CETTE FOIS-CI, AVEC PLUS DE SÉRÉNITÉ ET PLUS D’AMBITIONS POUR MAYOTTE. ELAD CHAKRINA VEUT ÊTRE LE DÉPUTÉ QUI PORTE LES COMBATS DE MAYOTTE À L’ASSEMBLÉE NATIONALE.
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Mayotte Hebdo : Pourquoi voulez-vous être député ?
faudrait le multiplier par quatre pour pouvoir accueillir les 6000 étudiants potentiels.
Elad Chakrina : Je suis candidat pour défendre les Mahorais à l’Assemblée nationale, défendre les Mahorais auprès du gouvernement, défendre les Mahorais pour qu’il y ait un rattrapage économique et social, défendre les Mahorais pour que notre département puisse réellement avoir des moyens nécessaires et développer les infrastructures. Je veux être le député du pouvoir d’achat, celui qui permettra aux Mahorais de pouvoir augmenter leur prime d’activité. Je veux être le député qui fera en sorte d’avoir une égalité sociale, une retraite qui soit au même niveau qu’en métropole. Le député des grands travaux de Mayotte. Je veux que Mayotte puisse avoir un budget d’un milliard d’euros, puisque nous avons des compétences départementales et régionales, l’aspect régional doit aussi avoir le budget nécessaire. Je veux aussi être le député qui luttera contre l’insécurité, le plus gros fléau de l’île qui fait que le territoire n’est pas du tout attractif.
Pour ce qui est des établissements secondaires et primaires, il faudrait que l’on en construise plus, je pense notamment à mettre un lycée dans le nord entre Dzoumogné et Acoua. Et puis il faut bien sûr rénover les écoles primaires. On doit aussi avoir une école de la deuxième chance pour tous les enfants qui n’ont pas pu poursuivre leur scolarité. Il est aussi important de valoriser les enseignants, que l’on puisse augmenter leur prime d’activité qui est actuellement de 276€. Si les Mahorais me font confiance je m’assurerai qu’elle soit doublée. Et il faut combattre ardemment l’insécurité dans les établissements scolaires, en faisant en sorte qu’il y ait une plus grande fermeté au niveau de la justice, qu’il y ait de l’emprisonnement et que les établissements difficiles puissent être classés en zone d’éducation prioritaire.
M. H. : C’est la deuxième fois que vous vous présentez aux élections législatives, dans quel état d’esprit est-ce que vous vous trouvez ? E. C. : Je suis serein. Je suis aussi épuisé parce qu’une campagne est toujours difficile quand on est sur le terrain, mais j’aime le contact avec les gens. La population me fait part de ses doléances, elle me fait part de son attachement envers des valeurs que je défends également. Je vois une facette de Mayotte que je n’avais pas forcément vue, des gens qui ouvrent leur coeur et croient au projet que je porte. M. H. : Dans votre programme, quelles sont vos propositions en matière d’éducation ? E. C. : Tout d’abord il va falloir permettre à tous ceux qui sont devenus bacheliers d’aller faire leurs études en métropole s’ils le souhaitent. Il faut aussi agrandir le centre universitaire de Dembeni. Actuellement il ne peut accueillir que 1500 étudiants, il faudrait que l’on multiplie ce chiffre par quatre et que l’on passe à 6000 étudiants. Cela diminuerait aussi les échecs en première année des étudiants qui partent en métropole. Pour cela on doit augmenter le budget du CUFR. Actuellement il est de 2,6 millions d’euros, il
IMPORTER LES PRODUITS AGRICOLES DES COMORES M. H. : En tant que député, que ferez-vous pour mieux gérer l’immigration à Mayotte ? E. C. : Cela fait des années que nous parlons de l’immigration clandestine sans réellement apporter de solutions sur le long terme. Premièrement, je demande qu’on autorise les personnes qui détiennent un titre de séjour à partir de Mayotte. Il faut aussi une coopération commerciale qui permettra de lutter contre la pauvreté à l’échelle de l’océan Indien. Une division régionale du travail pourrait être mise en place. Il y a des produits agricoles à Anjouan, Grande Comore et Mohéli, et à Mayotte nous avons les moyens financiers alors nous pouvons importer ces produits pour développer l’industrie agroalimentaire. Cela leur permettra d’avoir des revenus et chez nous on peut transformer ces produits et avoir une production industrielle moins cher. On pourra manger des produits plus frais et à bas coût. Enfin sur la question de l’entrée sur le territoire, je pense qu’il faut augmenter d’avantage les moyens de surveillance pour que les frontières soient mieux surveillées. M. H. : Selon vous, comment peut-on rétablir un climat sécuritaire paisible à Mayotte ?
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E. C. : L’insécurité à Mayotte a la particularité d’être surtout causée par une délinquance juvénile. Il y a sur notre territoire des mineurs isolés étrangers, ils sont d’un nombre conséquent. Dans toute la France les chiffres indiquent qu’il y a 6000 mineurs isolés étrangers, Mayotte à elle seule en compte 3000 si ce n’est plus. Il faut que dans un premier temps on mette en application la circulaire Taubira qui prévoit une mise à l’abri du jeune, une évaluation de l’isolement et ensuite une prise en charge. Une fois que tout cela a été fait, il faut faire jouer la solidarité interdépartementale et nationale. C’est à dire que les mineurs isolés qui sont à Mayotte doivent pouvoir être placés ailleurs sur le territoire français. Il faut aussi faire en sorte pour qu’il y ait rapidement une deuxième prison. Le centre pénitentiaire de Majicavo n’a que 278 places et les prisonniers sont plus de 400 actuellement. La deuxième prison est une priorité. Et enfin, il faut un établissement pénitentiaire pour les mineurs. La différence avec
le centre éducatif fermé dont on parle souvent c’est que le centre est une résidence surveillée mais ce n’est absolument pas une sanction pénale lorsqu’un mineur commet un acte délictueux. Il y a seulement six établissements pénitentiaires pour mineurs en France mais comme Mayotte est le département le plus violent de France il faudrait qu’il y ait un septième sur notre territoire. Il y a aussi un élément très important, c’est l’article 122-5 du code pénal sur la légitime défense. Quand on fait infraction chez vous, on vous dit qu’il ne faut pas que votre moyen de défense soit disproportionné par rapport à la gravité de la menace, sauf que vous n’avez pas le temps de réfléchir à tout cela lorsque ça arrive. Il faut donc réformer cet article et permettre à ce qu’il y ait une présomption de légitime défense pour que lorsqu’il y a une entrée par infraction chez vous, vous puissiez vous défendre sans que l’on regarde si oui ou non il y a une disproportion.
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M. H. : On le sait, Mayotte est un désert médical, on manque de professionnels de santé et d’hôpitaux, que faudrait-il faire pour rattraper le retard à ce niveau ? E. C. : Ce que je préconise c’est qu’il puisse avoir un autre centre hospitalier du côté de la circonscription une. Mais en parallèle il faut une alternative avec une clinique privée qui peut être créée beaucoup plus vite qu’un hôpital. Il faut aussi procéder à des exonérations fiscales des médecins qui s’installeraient ici. Exonérer aussi le matériel qui serait importé pour que les personnels soignants puissent s’installer et travailler dans de bonnes conditions. Enfin, il faut aussi former nos jeunes. On doit leur donner les bourses nécessaires, le département doit leur attribuer une bourse plus conséquente afin qu’ils aient 900€ par mois. En échange, les étudiants devront signer une convention avec le département où ils s’engagent à revenir sur l’île à la fin de leurs études. Et puis le centre universitaire
de Mayotte doit augmenter ses moyens afin d’avoir les capacité de former nos jeunes dans le secteur médical. M. H. : Quelle place à l’environnement dans votre programme ? E. C. : Il faut que Mayotte soit propre parce que Mayotte est sale. Il faut mettre le budget pour acheter les machines qui pourront nettoyer notre territoire. Nous avons aussi besoin d’une brigade qui sanctionnerait toute personne qui porterait atteinte à l’environnement. Il ne faut pas oublier le réchauffement climatique et à Mayotte nous avons un déboisement assez important donc il va falloir reboiser l’île et préserver la faune et la flore parce que nous avons des espèces rares qui risquent de disparaître. Enfin je pense qu’il est important d’inscrire notre lagon dans le patrimoine mondial de l’Unesco.
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ISMAÏLA DJAZA « METTRE EN PLACE LA RÉGION MAYOTTE » Propos recueillis par Siak
À SEULEMENT 48 HEURES DE LA DATE LIMITE DE DÉPÔT DE CANDIDATURES AUX ÉLECTIONS LÉGISLATIVES 2022, ISMAÏLA DJAZA CRÉE LA SURPRISE AUPRÈS DE SES PROCHES EN SE JETANT LUI AUSSI DANS LA BATAILLE POUR LE FAUTEUIL DE DÉPUTÉ. IL APPORTE UN COUP DE JEUNESSE DANS CETTE COHORTE DE 10 PRÉTENDANTS À LA DÉFENSE DES INTÉRÊTS DE NOTRE DÉPARTEMENT À PARIS. IL PRÔNE LA MISE EN PLACE CONCRÈTE D’UNE RÉGION MAYOTTE, LA CONCRÉTISATION DES INNOMBRABLES PROJETS ANNONCÉS DANS LE PASSÉ MAIS QUI N’ONT TOUJOURS PAS ENCORE VU LE JOUR, OU ENCORE LA CRÉATION D’UN COMITÉ DE SÉCURITÉ SUR LA DÉLINQUANCE ET L’IMMIGRATION CLANDESTINE.
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Mayotte Hebdo : Votre candidature en a surpris plus d’un compte tenu de votre jeune âge et du fait que vous ne vous êtes jamais intéressé à la politique auparavant. Comment expliquezvous une telle décision ? Ismaïla Djaza : Vous avez parfaitement raison, jusque là je n’avais pas d’antécédents politiques et beaucoup de mes proches n’avaient pas connaissance de ma décision. Ce qui m’a poussé vers cette candidature, c’est avant tout mon amour pour Mayotte et ses habitants, les nombreux défis qui attendent d’être relevés tels que l’économie, l’innovation, le social, notamment la mise en place de nouvelles prestations comme le Complément de Libre Choix de Mode de Garde (CMG) qui et une aide destinée aux individus souhaitant faire garder leurs enfants. C’est aussi la conviction que les grands projets structurants que sont le port et la piste longue, le nouvel hôpital, l’université de plein exercice sont des enjeux vitaux pour notre territoire qu’il convient de planifier et réaliser dans les meilleurs délais. C’est également, le besoin de voir se réaliser un jour prochain la tenue des jeux des îles de l’Océan Indien ici à Mayotte, sans contrainte aucune, juste dans un esprit fraternel, convivial et sportif, avec le drapeau français et la Marseillaise, notre hymne national, raisonnant au moment du passage et des victoires de la délégation mahoraise. À ce sujet, je constate que cette fois-ci nous avons du temps et cinq ans pour tout mettre en place, et que nous n’avons absolument aucun droit à l’erreur cette fois-ci. M. H. : Quel projet politique portez-vous pour ces législatives de 2022 ? Quel en est son socle ? I. D. : Mon projet politique se veut à la fois ambitieux et pragmatique, il repose sur 8 points essentiels : économie et pouvoir d’achat, innovation, institutions (avec un accompagnement de la mise en place d’une vraie Région ultramarine de Mayotte), insécurité et immigration clandestine, éducation et eau, etc… M. H. : Pour être concrets Monsieur Djaza, c’est quoi exactement votre projet économique pour cette législature qui s’annonce ? I. D. : En tant que député de Mayotte, mes efforts se porteront en priorité sur la construction de la piste longue. Désormais, il faudra parler de la nouvelle
« JE NE PARTAGE PAS DU TOUT L’IDÉE DE TRANSFORMER L’ENSEMBLE DE NOTRE ÎLE EN UNE ZONE FRANCHE GLOBALE » piste convergente. Voyez-vous, le temps, trop long, passé sur cette piste longue a fait apparaître au grand jour de problèmes nouveaux, les nuisances consécutives à l’usage de la première piste d’aviation. Il faut savoir que les familles vivant aux abords de l’aéroport de Pamandzi connaissent un cauchemar quotidien inhérent aux effets produits par les aéronefs à leur arrivée et décollage, qu’ils soient sonores, environnementaux ou sanitaires. Il y a également le port de Longoni, le 2ème levier du développement économique de l’île. J’entends par là qu’il va falloir revoir la DSP (Délégation de Service Public) en cours, non pas pour l’interrompre mais plutôt faire le point pour savoir avec exactitude ce qui en résulte en termes d’avantages et d’inconvénients. Il va également falloir assainir les relations au sein de cet outil car le nombre élevé de conflits sociaux dans l’année nuit considérablement à son efficacité, de même que la politique de fixation des prix pratiqués sur le port. Cet assainissement est très important car il conditionne le bon fonctionnement et la compétitivité de l’infrastructure.
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Mon projet économique c’est également la relocalisation de la zone industrielle de Kawéni, justement vers le port de Longoni. Actuellement elle se trouve englobée dans une zone résidentielle dense qui ne fait pas suffisamment la part aux habitations et les riverains n’arrivent plus à profiter suffisamment de leur ville. M. H. : La quasi-totalité de vos concurrents à ce scrutin s’accorde sur la nécessité de transformer Mayotte en une zone franche globale pour favoriser le plein emploi et l’investissement, partagez-vous cette vision ? I. D. : Pas du tout. À l’inverse de certains de mes challengers, je ne partage pas du tout l’idée de transformer l’ensemble de notre île en une zone franche globale. Avant que nous puissions parvenir à ce stade, je m’inquiète pour ma part des conséquences connexes de cette transformation et leurs impactes sur notre société. En effet, qui dit zones franches d’activités parle forcément de d’exonération de charges patronales et sociales. Donc le risque de voir une telle mesure déviée de son objectif initial est très élevé, ce qui constituera un manque à gagner conséquent pour l’ensemble de la population avec, à la clé, des lendemains qui déchantent. Je plaide donc pour la création de zones franches d’activités dans des endroits choisis, par exemple en raison de leur taux élevé d’insécurité pour justement favoriser la création d’emplois et attirer suffisamment d’investissements pour permettre de financer le développement d’infrastructures et la revitalisation dans ces quartiers. C’est dans ces zones choisies qu’il faudra donner une assise au principe de « l’Excellence » mahoraise profitable à l’ensemble de Mayotte. M. H. : Vous avez évoqué la nécessité de mettre en place la Région Mayotte sur le plan institutionnel, pouvez-vous nous apporter un éclaircissement à ce sujet ? I. D. : Au niveau juridique Mayotte est à la fois un Département d’Outre-mer et une Région même si elle est dotée d’une assemblée unique. Dans la pratique, on constate que l’aspect régional est complètement absent et qu’il peine à s’assoir dans les mentalités. L’absence d’une administration et services propres se fait très fortement sentir,
aucun projet à portée régional n’émerge. Résultat, le côté département stagne depuis un moment et l’activité qu’aurait dû générer la Région n’est pas au rendez-vous. Cela est visible tant au niveau de l’économique, que des emplois et des formations. Si je suis élu député je vais m’employer à faire évoluer cette situation pour le plus grand bénéfice des Mahoraises et des Mahorais. En plus de générer de nouveaux gisements d’emplois, la Région Mayotte permettra également de décentraliser la formation professionnelle, avec des pôles dans différents endroits de l’île. M. H. : L’immigration clandestine est omniprésente dans les débats en raison de l’insécurité inédite qui frappe notre territoire ces dernières années, quel est votre avis sur ce sujet ? Quelles sont vos solutions à vous pour endiguer ce fléau ? I.D. : Sans détour, je dirai qu’une situation exceptionnelle exige de mesures exceptionnelles. Si j’obtiens la confiance des Mahoraises et des Mahorais à l’issue de ce scrutin, la principale mesure de ma mandature sera de faire voter une loi migratoire. Celle-ci permettra de donner au préfet et aux maires un cadre juridique officiel pour prendre des mesures spécifiques à notre département afin de lutter efficacement contre l’immigration clandestine, en utilisant leurs polices municipales. De même, le préfet pourrait être autorisé à refuser l’attribution de titres de séjours d’exception, simplifier les mesures de reconduites aux frontières, légalement, mais en dehors du champ actuel d’application de la loi. De la même manière, il faudra permettre à nos forces de police, toutes catégories confondues, de reconquérir l’espace public grignoté par les délinquants pour devenir des polices de proximité qui dialoguent avec nos jeunes, y compris les délinquants juvéniles souvent abandonnés par leurs familles et livrés à eux-mêmes dans la rue. Ceux-ci devraient bénéficier d’un encadrement spécifique dispensé par des éducateurs spécialisés. Bien entendu il faut les distinguer des « vrais délinquants », ceux dont les actes relèvent des compétences des tribunaux, ceux qui jettent des cailloux aux forces de l’ordre, aux bus des transports scolaires et ceux qui agressent les gens avec des armes blanches. Je préconise même la mise en place d’un « Comité de sécurité » qui
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regroupera certaines autorités dans le but de statuer sur les mesures les plus adéquates qu’il faut prendre à chaque fois que des actes de ce type seront constatés. Il faut en finir avec le sentiment d’impunité qui prévaut chez ces voyous.
retraite. Il importe de leur ouvrir une carrière pour leur éviter de continuer à se faire prélever des cotisations obligatoires sans qu’ils ne puissent, à nouveau, prétendre à des droits. Ce système de carrière est en lien direct avec le smic horaire.
M. H. : Passons au social, un autre sujet dominant dans ces législatives 2022, comment envisagez-vous redonner du pouvoir d’achat aux Mahorais ? I. D. : Je constate que tout est absolument cher à Mayotte, que nous nous trouvions ou pas en période de crise. À l’inverse de la métropole, ici, il n’y a pas une culture de la marque, ce qui fait que quand on entre dans un magasin, on a ce sentiment que les prix des produits sont les mêmes. Pour redonner du pouvoir d’achat aux ménages locaux, il faut lutter contre les situations de monopole et rehausser le smic horaire. Sur ce dernier point, nous manquons de visibilité depuis de nombreuses années faute d’un calendrier clair de rattrapage vis-à-vis de l’hexagone. Si je suis élu député, l’une de premières mesures que je défendrai sera d’obtenir des autorités compétentes un agenda clair pour redonner de l’espoir aux travailleurs Mahorais. Les retraites dispensées sur le territoire sont tellement modiques qu’il nous faut tirer la sonnette d’alarme car, paradoxalement, les caisses sont excédentaires. Il est donc normal que l’on demande un rehaussement du seuil minimal de retraite et que l’on revoie les paramètres de calcul de la retraite à Mayotte pour les aligner avec ceux de la métropole. Il y a une autre réalité à corriger rapidement, ce sont les personnes qui continuent à travailler après l’âge légal de la
M. H. : Quel est votre opinion sur le niveau et la qualité de l’enseignement dispensé dans notre Département actuellement ? I. D. : Il faut ouvrir un vrai débat sur l’enseignement à Mayotte, autrement nous n’arriverons pas à relever les défis qui se présentent, notamment, la nécessité de scolariser les enfants dès l’âge de 3 ans. Il est nécessaire de rénover le parc d’écoles primaires existant, dans le cadre d’une vraie politique de long terme et non du coup par coup. L’impact du flux migratoire est réel dans ce domaine, les établissements débordent à tous les niveaux, malgré la mise en place d’un système de rotation. Il y a une obligation légale de scolarisation de tous les enfants présents sur ce territoire jusqu’à l’âge de 16 ans, la loi doit être respectée, mais il faut que nous nous donnions les moyens de le faire en tenant compte des vrais chiffres des personnes présentent dans l’île. Autrement, le résultat sera toujours faussé et le problème jamais résolu de façon pérenne. De passage dans le Département, le Président Emmanuel Macron a promis des classes comptant un maximum de 12 élèves. Nous sommes encore très loin de ce compte avec 30 élèves par classe et le risque de déboucher à un enseignement à plusieurs échelles.
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Dzaoudzi
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AHAMADI BOURA « IRA À L’ASSEMBLÉE AVEC LES IDÉES DES MAHORAIS » Propos recueillis par Raïnat Aliloiffa
CANDIDAT DANS LA CIRCONSCRIPTION UNE, AHAMADI BOURA SE PRÉSENTE AUX ÉLECTIONS LÉGISLATIVES AVEC LAÏNI ABDALLAH BOINA EN TANT QUE SUPPLÉANTE. LE CANDIDAT SANS ÉTIQUETTE PROMET D’ÊTRE CELUI QUI RASSEMBLERA TOUS LES MAHORAIS S’IL EST ÉLU DÉPUTÉ, CELUI QUI FERA EN SORTE QUE MAYOTTE SOIT CONSIDÉRÉE AU MÊME TITRE QUE LES AUTRES DÉPARTEMENTS ET RÉGIONS DE FRANCE.
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Mayotte Hebdo : Pour quelles raisons voulezvous être député ?
gouvernement. C’est la population de Mayotte qui doit définir son avenir.
Ahamadi Boura : Je me suis rendu compte que depuis la retraite politique de nos anciens et la reprise en main par notre génération, Mayotte est de plus en plus difficulté. Mayotte sombre, Mayotte est malade, Mayotte est à genoux. C’est dû au fait que notre génération est orgueilleuse, chacun se croit supérieur à l’autre. On n’arrive pas à s’unir. Mon objectif est de faire en sorte pour que Mayotte parle d’une même voix. Je ne demande pas que l’on fasse un parti unique, mais on doit tous être sur la même longueur d’ondes pour être entendus à Paris. Pour y arriver, je veux que l’on puisse faire un document spécifique pour Mayotte. Il ne faut pas attendre les projets du gouvernement. Le dernier projet de loi a été rejeté parce que c’était un projet du gouvernement. S’il avait été initié par nous Mahorais, il n’y aurait pas eu ce rejet. L’initiative doit venir de nous.
M. H. : Dans votre programme, quelles sont vos propositions en matière d’éducation ?
M. H. : Qu’y aurait-il dans ce document ?
M. H. : En tant que député, que ferez-vous pour mieux gérer l’immigration à Mayotte ?
A. B. : Tout ce dont les Mahorais ont besoin. Des professionnels et des experts de chaque domaine feront des propositions. Mais j’insiste, il doit être élaboré par les Mahorais et non pas par le
« ON A LES MÊMES DEVOIRS MAIS PAS LES MÊMES DROITS »
A. B. : Il faut d’abord encourager l’enseignement des langues locales à Mayotte, le shimaoré et shibushi. Nous devons également enseigner à nos enfants la culture locale parce que si on ne le fait pas, ils risquent de perdre leur identité. Par ailleurs, le gouvernement doit accélérer la construction d’établissements scolaires, et augmenter le nombre de classes chez nous. Cela permettra d’embaucher plus d’enseignants. Ces derniers doivent être écoutés et être encouragés, et je pense qu’il faut augmenter l’indexation à 50% pour eux. On doit aussi créer notre université de plein exercice pour que l’on puisse former localement, c’est primordial. Enfin, il nous faut plus de cantines scolaires, parce que les élèves doivent manger des repas chauds.
A. B. : L’immigration est une maladie à Mayotte. C’est une mission régalienne, mais c’est l’affaire de tout le monde. On sait qu’il y a souvent des discussions entre la France et l’Union des Comores, alors je propose qu’il y ait des Mahorais à chaque fois qu’il y aura ces discussions. Il faut aussi nous doter de plus de moyens matériels et humains. Je parle d’intercepteurs, mais aussi plus de policiers, plus de gendarmes mahorais. Des gens qui connaissent leur île, au lieu d’envoyer des métropolitains qui ne restent là que quelques mois et qui ne connaissent pas le territoire. Il faut aussi faire quelque chose pour les immigrés qui sont déjà à Mayotte. Nous devons lutter contre les quartiers informels, on doit les éradiquer. Mais attention, il ne faut pas oublier que ce sont des humains et on ne peut pas les déloger sans les reloger. Pour mieux lutter contre l’immigration, il serait judicieux d’y associer la justice. Chez nous elle est sous-dotée. Il nous faut plus de magistrats, plus de greffiers, plus de professionnels. Je voudrais que Mayotte soit indépendant de la Réunion. Je voudrais qu’il y ait une cour d’appel à Mayotte. Il est inadmissible qu’un magistrat soit à la Réunion et qu’il prenne des décisions pour Mayotte. Notre département n’est pas une sous-région réunionnaise.
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M. H. : Selon vous, comment peut-on rétablir un climat sécuritaire apaisant à Mayotte ? A. B. : Tout le monde le sait, l’insécurité est liée à l’immigration clandestine. Une fois que l’immigration clandestine sera arrêtée, l’insécurité le sera aussi. Si on arrive à stopper l’immigration, on pourra cadrer les jeunes qui sont à Mayotte parce que l’on n’aura pas des milliers de personnes qui entrent tous les ans sur le territoire. On doit aussi augmenter la capacité d’accueil du centre pénitentiaire de Majicavo et ouvrir un centre d’éducation fermé pour les mineurs. M. H. : On le sait, Mayotte est un désert médical, on manque de professionnels de santé et d’hôpitaux, que faudrait-il faire pour rattraper le retard à ce niveau ? A. B. : Premièrement il faut former localement. L’université de plein exercice que l’on veut doit pouvoir former des médecins, des sage-femmes, des kinésithérapeutes. Du moins les premières années avant qu’ils aillent ailleurs finir leurs
études. Nous avons besoin d’une politique locale qui va dans ce sens pour que dans 10 à 15 ans nous ayons 200 à 300 médecins mahorais. En attendant de les avoir, on doit attirer plus de médecins. On peut leur proposer un salaire plus élevé pour qu’ils acceptent de venir à Mayotte. On pourrait peut-être aussi diminuer leurs impôts. Et leur assurer une sécurité et une bonne éducation pour leurs enfants. Parce que personne ne viendra ici s’il n’est pas sûr d’être en sécurité, s’il n’a pas le meilleur pour ses enfants. Il faut aussi que l’aide médicale de l’État soit appliquée à Mayotte parce que ça générera de l’argent au Centre hospitalier de Mayotte. Enfin, nous avons absolument besoin de construire le deuxième hôpital rapidement. Il doit prendre la forme d’un centre hospitalier universitaire et ne pas faire comme celui de Pamandzi. M. H. : Quelle place à l’environnement dans votre programme ? A. B. : L’environnement fait partie de mes préoccupations. On a une belle île mais elle
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est fragile. On le voit quand il pleut, le lagon est plein de boue. Je veux que les associations environnementales soient mieux aidées pour qu’elles puissent protéger notre lagon. Mais cela ne veut pas dire que je ne veux pas que l’on prolonge la piste. Au contraire il faut le faire. C’est le gouvernement qui nous met ces freins en évoquant la protection de l’environnement pour ne pas faire la piste longue. Moi je veux enlever tous ces freins. Il y a pleins d’aéroports qui sont au bord de la mer alors ce n’est pas en augmentant de quelques mètres que l’on va détruire la nature à Mayotte. La piste longue doit être faite et rapidement. M. H. : Dans vos prises de paroles, vous évoquez souvent l’égalité républicaine. Que comptezvous faire pour qu’elle soit réelle à Mayotte ? A. B. : Mayotte doit être considérée comme tous les départements et régions d’Outre-mer. Les Mahorais doivent être traités comme tous les autres Français. Il est inadmissible qu’à Mayotte les prestations sociales ne soient pas alignées
avec l’ensemble du territoire français. On a les mêmes devoirs mais pas les mêmes droits, il y a une discrimination fonctionnelle. Si je suis élu, je me battrai pour que tout soit aligné avec les autres territoires de France dans un délais raisonnable. Je n’irai pas à l’assemblée avec mes idées personnelles, je serai le député qui irai à l’assemblée avec les idées des Mahorais. M. H. : Vous êtes candidat sans étiquette, est-ce un handicap ou un avantage ? A. B. : Le fait d’être sans étiquette me rapportera beaucoup plus parce que ma candidature a beaucoup de soutien. Je serai le député qui réunira tout le monde. J’ai déjà à mes côtés les maires de Pamandzi, Dzaoudzi-Labattoir, Koungou, Bandraboua j’ai aussi la conseillère départementale de Mamoudzou 2 qui est ma suppléante. Et bien d’autres ! Le fait de me présenter sans étiquette m’a avantagé parce que j’ai réussi à réunir tout ce monde alors que nous ne sommes pas du même bord politique
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M’tsahara M’tsangamboi Mtsamboro
Bandraboua
Acoua
Koungou Mamoudzou M’tsapéré
Dzaoudzi
ENTRETIEN
Propos recueillis par Siak
ISSIHAKA ABDILLAH « RÉTABLIR LA CONFIANCE AVEC LE NOUVEAU GOUVERNEMENT » INVESTI PAR LA FÉDÉRATION DÉPARTEMENTALE DU PARTI « LES RÉPUBLICAINS », ISSIHAKA ABDILLAH (SUPPLÉÉ DE HALIMA HOUZALI) BAT LE PAVÉ DANS LA 1ÈRE CIRCONSCRIPTION LÉGISLATIVE DE MAYOTTE. CONTRE LES DIFFICULTÉS CHRONIQUES (SUR NOTRE TERRITOIRE) QUE SONT LE POUVOIR D’ACHAT, L’INSÉCURITÉ ET L’IMMIGRATION CLANDESTINE, IL PROPOSE DES SOLUTIONS NOVATRICES, INATTENDUES, MAIS QUI MÉRITENT TOUTE L’ATTENTION DES MAHORAISES ET DES MAHORAIS.
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Mayotte Hebdo : Votre investiture par les « LR » pour ces législatives en a surpris plus d’un… Comment expliquez-vous votre basculement politique à droite, vous qui avez été membre fondateur de la fédération socialiste à Mayotte en 1992 ? Issihaka Abdillah : L’adhésion à une formation politique n’est pas une condamnation à perpétuité. Le PS (Parti Socialiste) a fait son temps, dans l’Hexagone tout comme à Mayotte, il n’a pas su revoir son logiciel alors même que le monde évoluait entre-temps. Le communisme est tombé, le monde est devenu numérique, et Internet a depuis fait largement évoluer les mentalités. D’ailleurs, vous constaterez qu’à l’échelle nationale, il a cessé depuis longtemps d’être une formation de gouvernement. La plupart de ses ténors ont rejoint « La République en Marche » de l’actuel chef de l’État. Ma fidélité à Mayotte étant intacte, j’ai donc décidé d’intégrer le parti « Les Républicains », une formation dont les discours et les actes sont en rapport avec l’évolution de ce territoire et répondent aux besoins des Mahoraises et des Mahorais. Je ne suis pas le seul dans ce cas de figure, d’autres grandes figures du PS sont allées de l’autre côté sur le plan idéologique. Rappelez-vous, en 2002, j’ai été le seul à avoir soutenu Mansour Kamardine parce que j’estimais que les orientations qu’il défendait allaient dans le sens des intérêts de Mayotte. M. H. : Les maux qui gangrènent Mayotte sont connus de tous, nous allons donc droit au but : si vous remportez ce scrutin quelles seront vos priorités ? I. A. : Notre première action sera de rétablir la confiance entre le nouveau gouvernement et Mayotte. Le dernier projet de loi a laissé des séquelles, singulièrement avec les élus locaux. Il est indispensable que nous ayons un département ultramarin apaisé dans le bon sens du terme. Sur un plan plus politique, il nous faut des mesures exceptionnelles puisque nous vivons une situation exceptionnelle depuis de nombreuses années : transformation du département en zone franche pendant au moins dix ans. Bien sûr, avec des gardes fous pour éviter toutes dérives pouvant venir d’acteurs véreux. Nous parlons ici d’une zone franche globale laquelle nous permettra de faire venir ou revenir des investisseurs et donner la priorité aux créations d’emplois, en particulier
l’emploi des jeunes. Il faudra revenir aux préconisations du SAR (schéma d’aménagement régional) qui prévoit quatre zones d’activités (Nord, Sud, Centre et Petite-Terre) pour fluidifier les zones industrielles existantes. Il faut sans tarder s’attaquer à la problématique de l’eau. Nous entendons ici la construction d’infrastructures de traitement et stockage d’eau potable, mais aussi d’énergie. S’agissant de ce dernier point, il faut savoir que la réglementation française impose pour un territoire ultramarin comme le nôtre un stockage équivalent à 90 jours de consommation. Or, pour le moment, nous n’en sommes qu’à seulement 25 jours avec un ravitaillement tous les 15 jours. Cela signifie qu’en cas de conflit, notre économie se trouvera très rapidement en difficulté. Enfin, notre territoire a grand besoin d’une fluidité de mouvements aussi bien dans le domaine aérien que maritime ou terrestre. Il faut y aller très vite car avec 1.000 immatriculations de voitures neuves par an et plus de 1.000 en véhicules d’occasion, c’est déjà beaucoup trop. M. H. : Vous avez longtemps été enseignant sur cette île et vous connaissez tous les problèmes existants dans ce domaine, qu’est-ce qui manque selon vous pour améliorer la situation ? I. A. : Je dirai qu’il manque un peu de tout et partout. Ce sont 110.000 élèves qui sont scolarisés à Mayotte chaque année. Les effectifs globaux du lycée des Lumière (à Kawéni) et celui de Bamana (à Mamoudzou) sont supérieurs à ceux de l’ensemble des lycéens dans l’île de la Grande-Comore (Ngazidja), alors même que celle-ci compte plus d’habitants que notre département. Que faire avec une démographie aussi dynamique dans le second degré ? Selon moi, il faut gagner en qualité, en dehors des établissements scolaires, le « Français » n’est pas suffisamment divulgué dans les villages, il n’y a pas assez de bibliothèques. Dans notre projet politique, nous prévoyons de combler ce manque par la signature de conventions avec les communes et permettre ainsi aux villages les plus reculés de disposer de points bien fournis en livres et manuels divers afin de rompre la fracture numérique. Il faut que l’enfant mahorais ait constamment accès à la culture et au savoir où qu’il soit sur ce territoire.
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Tous les matins, plus de 60.000 jeunes rejoignent leurs établissements respectifs, en bus ou à pied. C’est un miracle que nous n’ayons pas enregistré d’accidents de ce côté-là. Ces élèves n’ont pas le même profil, beaucoup parmi eux vivent sous le seuil de pauvreté. Par conséquent, il est important de donner à chacun la chance de réussir ses études et c’est pour cela que notre formation politique propose la création « d’internats de socialisation » au sein de chaque lycée de Mayotte. Je ne parle pas de resocialisation, mais de « socialisation », en d’autres termes, l’apprentissage du vivre ensemble, l’harmonie entre élèves issus de milieux sociaux différents. C’est une notion importante lorsque nous avons que 15.000 de nos enfants prennent le bus ensemble tous les jours. Ils doivent apprendre à vivre ensemble et à se respecter. M. H. : Le domaine sanitaire a fait et va faire l’objet d’investissements importants. Pourtant, des insuffisances sont très rapidement pointées du doigt. Qu’est-ce qui fait vraiment défaut dans ce secteur ? I. A. : Il faut prendre en compte la dimension régionale, autrement le diagnostic sera toujours faussé. Beaucoup de jeunes d’origine comorienne et malgache scolarisés à Mayotte n’ont pas la possibilité d’aller poursuivre des études en métropole ou ailleurs après l’obtention du baccalauréat. On pourrait les former dans différentes professions qui les rendraient utiles à Mayotte et les inciter à retourner dans leur pays, les aider à se fixer sur place sans que ça ne coûte un centime au département. La coopération française et l’UE pourraient prendre en charge leurs salaires par le biais de certains programmes d’aide au développement et des ONG (organisations non gouvernementales), comme la Croix-Rouge française, pourraient superviser leur installation sur place et le versement de ses salaires. Bien entendu ce ne seraient pas des salaires de même niveau qu’à Mayotte, mais ils leur permettraient de vivre décemment dans leurs pays respectifs. Il ne faut pas se leurrer, si nous ne faisons rien, ça ne marchera pas ! Il nous faudra pour cela dépasser le cadre politique, ne pas s’ignorer et vivre en bons voisins. Et si ça marche bien,
associer les organisations intergouvernementales de la région comme la SDEC (communauté de développement d’Afrique australe), voire même certaines structures de l’Union africaine. M. H.: L’insécurité croissante est une des priorités d’action que la population attend de ses parlementaires dans cette nouvelle législature. Quelles solutions proposez-vous en la matière ? I. A. : C’est un sujet perçu à Mayotte comme une priorité, et ça en est une effectivement ! Il nous faut aussi être tranchant. Les jeunes délinquants sont connus par les forces de l’ordre et sont, pour certains, à la prison de Majicavo. Pour notre part, nous proposons une révision des accords bilatéraux en matière judiciaires afin qu’un jeune condamné par la justice dans notre département puisse être renvoyé dans son pays d’origine et y effectuer sa peine. Dans la mesure où un prisonnier coûte 150 euros par jour à l’État français, on peut imaginer que cette somme puisse être reversée au pays concerné pour assurer l’application de la peine et le suivi du condamné. Un représentant de l’ambassade de France s’assurerait régulièrement de la bonne marche de cette mesure. Pour les délinquants de nationalité française, nous proposons la création de centres éducatifs fermés au sein desquels les jeunes seraient accompagnés dans la construction de leurs vies en semi-liberté. Ils y apprendront les règles de vie en société, le respect des autres, des adultes en particulier. M. H. : En matière d’immigration clandestine, les Mahorais s’interrogent sur l’inefficacité des dispositifs mis en place par l’État pour lutter contre ce phénomène. Que faut-il faire selon vous pour inverser la tendance actuelle ? I. A. : Le vrai problème actuellement est que les moyens mis en place par l’État ne correspondent plus aux réalités. Les passeurs ont su anticiper et élaborer une stratégie consistant à débarquer en masse de sorte que les intercepteurs ne puissent poursuivre tous les « kwassas » à la fois. Pour mieux comprendre le phénomène, il importe de savoir
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que nous sommes en présence d’intercepteurs de 12 mètres de long nécessitant 800 litres de carburant pour trois heures d’autonomie à plein régime. En face, ils ont affaire à des embarcations équipées de deux moteurs de 20 litres chacun qu’ils ne sauraient poursuivre à ce rythme-là sans mise en danger des passagers. En conséquence, nous proposons que dans le cadre de la loi programme militaire 2019-2025, un patrouilleur de nouvelle génération soit affecté à la surveillance de nos frontières. Ce nouveau
type de navire dispose d’une autonomie en mer de 30 jours, d’un radar mobile, de 30 membres d’équipage, un personnel supplémentaire de 28 personnes et même d’un centre de rétention administratif. Il pourrait effectuer des missions diverses comme la lutte contre l’immigration clandestine et le trafic des êtres humains, la surveillance de notre zone économique exclusive (ZEE), la pêche illégale. C’est également, et surtout, une marque de la souveraineté française à Mayotte, un moyen d’augmenter nos services de renseignements sur le territoire.
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M’tsahara M’tsangamboi Mtsamboro
Bandraboua
Acoua
Koungou Mamoudzou M’tsapéré
Dzaoudzi
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RAMLATI ALI « J’AI DONNÉ LE MEILLEUR DE MOI-MÊME » Propos recueillis par N.G
DÉPUTÉE DE LA 1ÈRE CIRCONSCRIPTION DE MAYOTTE, RAMLATI ALI A TRANSMIS SON BILAN DE PARLEMENTAIRE À LA PRESSE, IL Y A QUELQUES MOIS. SI L’ENSEIGNANTE ESTIME « AVOIR DONNÉ LE MEILLEUR D’ELLEMÊME », ELLE A ÉVIDEMMENT FAIT AVANCER CERTAINS DOMAINES PLUS QUE D’AUTRES. INTERVIEW.
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Mayotte Hebdo : Dans quel secteur pensez-vous avoir fait avancer le plus de dossiers au cours de votre mandat ? Ramlati Ali : De par ma profession, j’ai beaucoup travaillé sur le secteur de la santé, un besoin fondamental à Mayotte qui se heurte à des difficultés d’ordre structurel. Je me suis battue pour la création de l’agence régionale de santé de plein exercice qui a finalement vu le jour en 2020 et je ne cesse de rappeler l’urgence de la construction du 2ème hôpital au centre de l’île. L’idéal serait que chaque personne ne se trouve pas à plus de 30 minutes d’un lieu de soin, ce qui n’est malheureusement pas le cas aujourd’hui même si la mise en place de l’hélicoptère du CHM a contribué à améliorer les choses. En termes de moyens humains, j’ai milité pour le développement de la formation médicale afin de créer un vivier de professionnels de santé sur le territoire. J’ai ainsi contribué à la création au centre universitaire de formation et de recherche en 2020 du parcours Licence Accès Santé. Par ailleurs, j’ai également fait en sorte de mettre en place le parcours de soins coordonné à Mayotte avec désignation d’un médecin traitant. Les médecins installés à Mayotte ont ainsi désormais les mêmes avantages que sur le territoire national, ce qui contribue à augmenter l’attractivité de l’île. Beaucoup de médecins du CHM se sont lancés dans le privé grâce à ce nouveau système, ce qui contribue à un meilleur maillage du territoire. Afin de lutter contre le désert médical, j’ai déposé des amendements tout au long de mon mandat pour introduire des activités de santé à Mayotte dans le champ des zones franches d’activités nouvelles générations afin d’encourager l’attractivité médicale. M. H. : Y a-t-il un domaine où vous auriez aimé faire plus ? R. A. : Le secteur qui me laisse « un goût de trop peu » est celui de l’agriculture. J’ai investi ce domaine en faisant adopter un amendement pour que tout soit informatisé et pour que les agriculteurs bénéficient d’une mutuelle fonctionnelle. J’ai également œuvré pour revaloriser leurs retraites. Cependant, l’agriculture à Mayotte est un domaine complexe qui se heurte au gros problème du manque de foncier. Les conditions de travail sont très difficiles et l’accès à l’eau sur les terrains pose problème. J’ai fait ce que j’ai pu, mais j’aurais
voulu en faire davantage car je suis très sensible au fait que les Mahorais puissent manger local et bio pour lutter contre le surpoids et tous les problèmes de santé que cela génère. M. H. : Vous avez sollicité 800.000 euros de budget supplémentaire pour renforcer la surveillance des frontières par drones et vous avez déposé plusieurs amendements pour mieux encadrer le droit du sol. Pourtant, les kwassas en provenance des Comores continuent d’affluer à Mayotte. Quel est selon vous le point de blocage ? R. A. : Le problème avec la lutte contre l’immigration clandestine est que nous n’avons pas toutes les billes en main. Nous dépendons de la bonne volonté des Comores. L’accord-cadre que nous avons signé avec ce pays en 2019 n’a malheureusement pas été entièrement respecté, mais nous avons pu constater que dès lors que les Comores acceptent de surveiller leurs côtés, les kwassas diminuent immédiatement. La solution réside donc dans la poursuite de la coopération régionale entre nos deux pays. Il faudrait aussi que les forces de l’ordre puissent aller plus loin dans l’océan afin d’arrêter les kwassas en amont sans que les guetteurs ne puissent se prévenir entre eux. Bref, le gouvernement continue de travailler sur la question. De mon côté, je n’ai eu de cesse de plaider pour une véritable insertion de Mayotte dans son bassin régional. J’œuvre également pour la reconnaissance internationale de Mayotte et appelle au soutien renforcé de l’État à réaffirmer la souveraineté française. M. H. : Qu’avez-vous fait au cours de votre mandat concernant la question de la délinquance juvénile ? R. A. : Je me suis mobilisée sur cette urgence sécuritaire de manière constante en alertant les autorités compétentes pour assurer le maintien de l’ordre public et en proposant des mesures complémentaires. Lors des Assises de la sécurité à Mayotte, j’ai notamment proposé l’accroissement de la capacité d’accueil en détention pour les mineurs à la prison de Majicavo et la création d’un établissement pénitentiaire pour mineurs. Je soutiens la proposition de déployer un plan Harpie à Mayotte à l’image de l’opération Harpie en Guyane contre l’orpaillage clandestin. La réponse
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de l’État doit être plus ferme pour endiguer ce fléau qui freine notre développement. M. H. : La transformation du port de Longoni en grand port maritime est une question qui vous tient à cœur. Quelles avancées avez-vous obtenues dans ce domaine ? R. A. : En effet, la question du port s’est imposée à moi dès le début de mon mandat avec la grève des dockers. J’ai aidé à calmer la crise en faisant intervenir Paris. J’ai permis de rendre applicable à Mayotte la convention collective nationale unifiée port et manutention (CCNU). Ainsi, les dockers mahorais peuvent désormais disposer des mêmes droits que leurs collègues ultramarins et hexagonaux. J’ai été interpelée par beaucoup de travailleurs qui m’ont fait part de nombreux dysfonctionnements au sein du port. Mayotte ne peut pas vivre sans importations et, en outre, le port de Longoni pourrait contribuer à développer le tourisme en accueillant des bateaux de croisière. Pour moi, il n’est donc pas bon qu’il soit tenu par un privé. J’ai alerté le gouvernement sur la nécessité de réformer son statut afin de le transformer en port d’État avec le statut de grand port maritime, à l’instar des autres départements d’Outre-mer. M. H. : Dans votre bilan, vous indiquez qu’une concertation est en cours avec Cédric O, secrétaire d’État en charge du numérique, pour installer le très haut débit à Mayotte. Le projet a-t-il avancé depuis ? R. A. : Lors du projet de loi finance pour 2022, j’ai en effet plaidé et déposé un amendement pour que Mayotte s’inscrive pleinement dans le Plan France Très Haut Débit (THD) en demandant une enveloppe financière dédiée. À l’origine, quatre millions d’euros seulement étaient fléchés pour Mayotte, car le ministère n’était pas conscient du retard de l’île en la matière. Or, nous avons tout particulièrement besoin de ce très haut débit, notamment pour permettre le développement de la télémédecine. J’ai donc fait en sorte d’augmenter cette enveloppe à 22 millions d’euros et Cédric O a d’ores et déjà promis de nous l’octroyer.
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Koungou Mamoudzou M’tsapéré
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Propos recueillis par Siak
ESTELLE YOUSSOUFFA « POUR ÊTRE AUDIBLE À PARIS, MAYOTTE DOIT PARLER D’UNE SEULE VOIX ! » CONNUE POUR SON ACTIVISME SOCIAL ET SES « PRISES DE BEC » AVEC LES AUTORITÉS LORS DE CERTAINES MANIFESTATIONS, Y COMPRIS LA VISITE OFFICIELLE D’EMMANUEL MACRON À MAYOTTE, ESTELLE YOUSSOUFFA A ÉTÉ DÉSIGNÉE PAR LES MEMBRES DE SON COLLECTIF POUR BRIGUER LE FAUTEUIL DE DÉPUTÉ DE LA CIRCONSCRIPTION DU NORD DE MAYOTTE. L’ANCIENNE JOURNALISTE D’AL JAZEERA, DEVENUE DEPUIS CONSULTANTE, DÉVOILE SES PRIORITÉS ET SA STRATÉGIE DE COMBAT DANS L’ÉVENTUALITÉ OÙ ELLE SERAIT CHOISIE PAR LES ÉLECTEURS MAHORAIS, LES 12 ET 19 JUIN PROCHAINS.
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Mayotte Hebdo : Qu’est-ce qui a motivé votre candidature à la députation dans la première circonscription de Mayotte ? Estelle Youssouffa : Ce qui a motivé ma candidature à la députation, c’est de voir que depuis le mouvement de 2018, à chacune de nos revendications et nos prises de parole dans l’espace public, la préfecture comme les élus locaux nous ont dit que nous n’étions pas légitimes, et que je n’étais pas légitime comme présidente du collectif des citoyens de Mayotte, à essayer de peser sur la discussion publique parce que je n’étais pas élue. Depuis 2018, on a vu la situation qui a empiré à Mayotte, aucune des promesses faites par le gouvernement n’a été tenue, aucune des revendications que toute la population a porté n’a abouti. Comme il n’y a pas eu de politiques pour prendre le relais de notre combat, nous avons décidé d’y aller nous-mêmes. J’essaie donc d’aller à l’Assemblée nationale pour porter nos combats à Paris. M. H. : Vous faisiez allusion au procès que le collectif a fait aux services de l’Etat à Mayotte durant la crise du Covid-19, comme une autre raison de votre candidature ? E. Y. : Effectivement, une des motivations à la candidature, c’est aussi le traitement de Mayotte pendant la crise sanitaire. Il a fallu que notre collectif aille au conseil d’Etat pour que le protocole national de lutte contre le Covid-19 s’applique au CHM qui était le principal cluster de Mayotte et pour protéger les services funéraires de Mayotte qui étaient très exposés au virus. Et nous avons constaté que l’Agence régionale de santé (ARS) et la préfecture ont bloqué les 4,2 tonnes d’aide humanitaire mobilisées par le collectif. Et puis, quand en juillet, il y a eu le Ségur de la Santé et Mayotte a eu la plus petite enveloppe d’aide nationale alors qu’on a été diagnostiqué « désert médical » par le défenseur des droits avant même la pandémie. On a constaté que 90 % des 67 millions d’euros qui ont été alloués à Mayotte ont été affectés à la santé périnatale alors que l’on dispose de seulement onze lits de réanimation pour notre île. Lors de la pandémie, on a subi dans notre chair tout l’échec de la politique « d’evasan », qui est la politique sanitaire mise en place par Dominique Voynet [N.D.L.R. l’ex-directrice de l’ARS].
M. H. : L’insécurité croissante est un sujet préoccupant pour tout le monde sur l’île. Vous qui aspirez à représenter Mayotte à l’Assemblée nationale, que pensez-vous de la situation actuelle ? E. Y. : Je pense que les questions de l’insécurité et de l’immigration sont indubitablement liées à Mayotte. C’est le ministre de la Justice, Eric Dupond-Moretti, qui a expliqué qu’il y avait 80 % de Comoriens en situation irrégulière à la prison de Majicavo. Donc voilà, il faut quand même regarder les choses en face. Par ailleurs, effectivement, l’incapacité de l’Etat à sécuriser 375 km² interroge, au bas mot. Nous sommes spectateurs des discussions sur la sécurité qui tournent en rond, sur les responsabilités de la police, la gendarmerie, c'est-à-dire, une dizaine de personnes qui sont incapables de travailler ensemble avec un bonhomme au Rocher qui est quand même sensé les coordonner. Tout ce beau monde qui n’arrive pas à trouver les quelques crapules qui se filment sur les réseaux sociaux en train de terroriser toute la population. Soit on a un problème d’ingénierie au niveau des forces de sécurité à Mayotte, ce dont je doute, soit on a de la mauvaise volonté politique au plus haut niveau. L’idée étant de transformer Mayotte en enfer que les Mahorais fuient. C’est cela mon combat, essayer de stopper l’hémorragie dans tous les sens du terme pour faire en sorte que Mayotte redevienne vivable et que nul n’ait besoin de s’expatrier pour aller se soigner, étudier ou vivre normalement. Aucun territoire ne peut supporter la pression migratoire que subit Mayotte. M. H. : Cette question de la pression migratoire comorienne sur Mayotte oppose depuis longtemps deux visions, celle du ministère de l’Intérieur en charge de la sécurité intérieure des Français et celle du ministère des Affaires Etrangères qui gère les relations avec l’Union des Comores. E. Y. : Moi, ma position est très claire, limpide et tout le monde la connait. Je refuse que Mayotte soit l’otage de la politique intérieure comorienne comme de la politique étrangère de la France visà-vis des Comores. C’est-à-dire que Mayotte ne peut plus continuer à être le ballon de football entre ces deux pays. L’un, la France, est le nôtre, qui ne se bat pas pour son propre territoire, et l’autre, les Comores, un pays étranger qui
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réclame sa souveraineté et qui envoie toute sa population pour nous coloniser. Nous on est au milieu, avec un visa d’exception concocté par les services des Affaires Etrangères pour fixer la population comorienne à Mayotte. Donc le sujet n’est pas de savoir ce que Moroni souhaite ou comment elle vit ou ne vit pas, ou quelle est la situation politique à Moroni … Moi, à Paris, ce qui se passe en Belgique ou en Suisse ne me touche que de manière secondaire. Je ne vois pas pourquoi à Mayotte on doit faire des Comores « l’Alpha et l’Oméga » de ce qui se passe chez nous. Je refuse de lier mon destin à un pays qui a pris son indépendance. « Chacun chez soi et Dieu pour tous ! », comme disait Younoussa Bamana [N.D.L.R. président du conseil général de Mayotte de 1977 à 2004]. M. H. : Les problèmes du traitement et de la distribution de l’eau à Mayotte deviennent des sujets majeurs. Comment y remédier ? E. Y. : Je constate, et c’est l’avis général, qu’on est à l’évidence à Mayotte en sous-capacité de
production d’eau potable par rapport aux besoins de la population. On a effectivement une hausse complètement délirante de la consommation. Autre phénomène, on a depuis de nombreuses années une inertie au niveau de la production d’eau potable. Donc, on a d’un côté plus de demandes, et de l’autre, une stagnation avec zéro investissement au niveau non seulement de la production mais aussi de l’acheminement puisque maintenant on nous explique que c’est le réseau qui est trop ancien et qu’il fuit, et blablabla. Face à cette situation, l’urgence est d’abord d’arriver à débloquer les investissements nécessaires pour la production d’eau potable, tant au niveau d’une nouvelle retenue collinaire que du fonctionnement de l’usine de désalinisation qui n’est toujours pas réparée et qui n’est pas fonctionnelle à hauteur de ce que le contribuable a payé. Par la suite, d’avoir, si ce n’est une libéralisation, casser le monopole de la distribution d’eau. Il y a aussi une question qui se pose sur le syndicat des eaux à Mayotte puisqu’il y a quand même des dizaines de millions d’euros qui se sont évaporés et comme ce n’est pas un phénomène très naturel avec
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l’argent, cela veut dire que des sommes ont été empochées par certains au lieu d’être investies pour l’adduction d’eau potable à Mayotte qui, je le rappelle, est un droit fondamental. Donc à un moment, l’Etat s’expose à des poursuites par rapport au fait que notre droit fondamental à l’eau potable n’est pas assuré. M. H. : Le logement est un des problèmes majeurs auxquels sont confrontés les Mahoraises et les Mahorais aujourd’hui, l’industrie du bâtiment implique différents paramètres qui ne vous échappent pas. Quel est votre regard sur ce sujet ? E. Y. : La question de l’immobilier donne lieu à deux dynamiques différentes, il faut distinguer la construction de logements à travers une commande publique, différente de celle initiée par le secteur privé. Le fond du sujet que vous abordez, c’est le foncier. Les acteurs privés de l’extérieur font un lobbying extrêmement important auprès des autorités pour dire qu’il faut du foncier pour investir. Et les élus, qui
sont à l’affut du moindre gisement d’emplois, sont tentés de mettre du foncier public à la disposition de ces privés pour construire tel projet magnifique ou complexe incroyable pour créer des emplois. Le foncier n’étant pas extensible sur notre territoire, une telle politique ne pourra pas perdurer. Nous connaissons tous des terrains qui ont plusieurs titres de propriété et toutes les affaires de corruption qu’il y a autour. La deuxième chose qu’on ne dit pas et toute l’industrie du bâtiment le sait, c’est que ce secteur est pourvoyeur d’emplois illégaux. Rares sont les Mahorais qui travaillent dans le bâtiment, la plupart des embauches concernent des étrangers, soit en situation régulière, soit des clandestins. Donc on est en train de construire sur les terres mahoraises des bâtiments construits par des travailleurs comoriens avec des capitaux venus de l’extérieur et l’île perd progressivement la maitrise de son foncier et de ses logements.
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L.G
QUATRE BRACONNIERS DE TORTUES INTERPELLÉS EN FLAGRANT DÉLIT La saison des pontes a commencé et avec elle celle des braconnages de tortues. Dans la nuit du 28 mai 2022, quatre braconniers ont été interpellés sur la plage de Titi Moya en Petite-Terre. Le résultat d’une collaboration étroite entre l’association Oulanga Na Nyamba et la gendarmerie nationale dans le cadre du pacte de sauvegarde des tortues marines. CTuée, découpée puis consommée, voilà le triste sort réservé aux tortues braconnées… Dans la nuit du samedi 28 mai 2022, quatre braconniers ont été observés en train d’en traîner une dans un coin sombre de la plage pour continuer leurs basses œuvres à l’abri des regards. Présents sur le terrain, les employés de l’association Oulanga Na Nyamba ont alors signalé sans attendre les faits aux forces de l’ordre. L’intervention coordonnée de la gendarmerie maritime, de la brigade de Pamandzi avec l’appui des gendarmes
mobiles a permis l’interpellation des quatre protagonistes, immédiatement placés en garde à vue. L’affaire a été jugée en comparution immédiate deux jours plus tard, au tribunal de grande instance de Mamoudzou. Les malfaiteurs ont été condamnés à huit mois de prison ferme avec mandat de dépôt pour trois d’entre eux, ainsi que 1.000 euros de dommages et intérêts par association partie civile ainsi que 300 euros pour le remboursement des frais d’avocat.
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“Le braconnage ne reste pas impuni à Mayotte” Avec une équipe de terrain constituée de onze personnes formées et dédiée à la protection des plages de pontes, l’équipe d’Oulanga Na Nyamba réalise 350 missions par an avec pour moitié d’entre elles une présence nocturne sur les littoraux. Pour l’association, le pacte de sauvegarde des tortues marines proposé par Jean-François Colombet et signé en décembre 2020 par les acteurs concernés, a marqué le début d’une réelle prise en compte de l’importance de la lutte antibraconnage. “Les acteurs se sont engagés à défendre
ensemble et de manière coordonnée l’emblème du patrimoine naturel mahorais pour éviter sa disparition”, explique la directrice de l’association, Jeanne Wagner. À ce jour, la collaboration entre les acteurs a permis dix interpellations et huit condamnations. Résultat ? Sur les plages surveillées par Oulanga Na Nyamba, le braconnage a significativement diminué. Le parquet a quant à lui été sensibilisé à l’importance de la protection des tortues marines. “Les peines sont dissuasives et envoient un message fort : le braconnage ne reste pas impuni à Mayotte.” n
Tortue verte femelle retournée sur le dos par les braconniers (Photo d'archive ©Oulanga Na Nyamba)
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LITTÉRATURE
LISEZ MAYOTTE Abdou Salam Baco, Contes inédits de Mayotte, Archives départementales de Mayotte, 2010.
Abdou Salam Baco est né à Mzouazia. Après des études secondaires à Maoré et à la Réunion, il débarque à Saint-Etienne en 1983 pour poursuivre ses études supérieures. Titulaire d’un DEUG d’AES (Administration économique et sociale), il s’oriente vers les sciences économiques. Après avoir préparé un diplôme supérieur de conseil en développement, il entreprend des études doctorales sur l’histoire de Mayotte, qu’il clôt par la soutenance de sa thèse en avril 1993. C’est donc en Docteur ès Histoire Économique qu’il débarque à Mayotte en mai 1993 avec femme et enfant. Abdou S. Baco est l’auteur de trois romans – Brûlante est ma terre, Dans un cri silencieux et Coupeurs de tête – et de deux recueils de nouvelles : La Belle du jour et Cinq femmes. Il est également musicien, fondateur du groupe Mobissa à Mayotte. Il travaille dans le milieu culturel dans son pays.
QUI DIT CONTE DIT MORALE AGRÉGÉ DE LETTRES MODERNES ET DOCTEUR EN LITTÉRATURES FRANCOPHONES, CHRISTOPHE COSKER EST L’AUTEUR DE NOMBREUX OUVRAGES DE RÉFÉRENCE SUR LA LITTÉRATURE DE L’ÎLE AUX PARFUMS, NOTAMMENT UNE PETITE HISTOIRE DES LETTRES FRANCOPHONES À MAYOTTE (2015) DONT IL REPREND, APPROFONDIT ET ACTUALISE, DANS CETTE CHRONIQUE LITTÉRAIRE, LA MATIÈRE. Le sixième et dernier volume en français des Contes inédits de Mayotte (2010) a pour titre « Sagesse ». Et c’est en effet bien souvent ce que l’on attend des contes, à savoir l’enseignement d’une certaine sagesse. Quelle leçon se dégage donc des huit textes ici rassemblés sous les titres : « L’homme-serpent », « L’homme saint », « Yeux critiques », « Le prix de l’insolence », « La sagesse des Anciens », « Le pêcheur et la grosse caisse », « L’enfant voleur » et « Matanga Marou » ? Nous commencerons par indiquer au lecteur que le recueil commence et se termine par deux histoires similaires dans lesquelles une jeune fille demande à se marier avec un serpent qui se révèle être l’époux idéal. Nous précisons alors que, dans l’archipel des Comores, le serpent est plutôt un animal positif. Dans « L’hommeserpent », la fille du roi fait la cour au serpent qui ne redevient bel homme que lorsqu’ils sont seuls. Mais elle finit par jeter sa peau de serpent et le prince charmant est obligé de rester humain, sans autre forme de procès, la malédiction de sa naissance se trouvant abolie. Dans « Matanga Marou », une vieille femme, remplissant l’office pernicieux de la koko – vieille femme qui sème la zizanie -, apprend
à l’épouse que son époux n’est pas celui qu’elle croit. Cette révélation donne lieu à une scène réaliste mêlant le grotesque au sublime : « Le soir même, la jeune femme fit semblant de dormir profondément, elle ronflait même ; mais elle gardait discrètement un œil ouvert, et, du fond de son lit, elle ne ratait pas une miette de ce que son mari faisait : elle le vit se débarrasser de son accoutrement de serpent, puis elle le vit faire ses ablutions avant de s’installer confortablement sur la véranda pour lire le Coran jusqu’à très tard dans la nuit. Déjà, jusque-là, elle n’en croyait pas ses yeux ; elle était surtout éblouie par la beauté de cet homme qu’elle croyait être un serpent ; elle avait dit oui à sa proposition de mariage en désespoir de cause. » (p. 52-53) Grotesque de la femme qui ronfle la nuit versus sublime du bel homme qui lit le texte sacré jusque tard dans la nuit. Dans cette variante profane du premier conte, la transformation en serpent n’est plus liée à une malédiction, ni à la volonté d’Allah. Elle est un déguisement humain dont se sert le prétendant pour ne pas être vexé en cas de rejet par sa belle. Mais les causes du refus des autres prétendants et de l’acceptation de celui-là ne sont pas explicitées dans le texte.
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Le conte central du recueil reprend le terme éponyme et s’intitule « La Sagesse des aïeux », titre repris trois ans plus tard par Madi Haladi pour son recueil de proverbes : La Sagesse de mes aïeux (2013). C’est l’histoire d’un jeune garçon bien élevé par ses parents selon une tradition dont ils lui font le résumé avant de le quitter : « Tu es devenu presque un homme maintenant, il va falloir que tu te débrouilles tout seul ; cela veut dire qu’il te faudra creuser tes sillons tout seul, t’accrocher à la vie et surtout ne pas te perdre dans ce labyrinthe qu’est la vie. Nous sommes pauvres, comme tu le sais, nous n’avons donc pour ainsi dire rien à te donner en héritage, si ce ne sont les paroles suivantes, que nous tenons de nos anciens : ne jalouse pas ton prochain, car la jalousie encombre inutilement de méchanceté le cœur des hommes ; sois patient, car la patience est la mère de toutes les vertus ; quand quelqu’un te donne sa confiance, sois digne de cette confiance, car sinon ta vie ne sera plus qu’une succession de mensonges ; enfin, ne sois pas arrogant, car l’arrogance est un chemin qui mène vers la perdition. Écoute bien ces paroles de sagesse, et enregistre-les, car ce sont elles qui t’éviteront de te perdre dans les méandres inextricables de la vie ; maintenant va, et qu’Allah guide tes pas. » (p. 32)
un texte sur le même thème, en manière de boucle qui indique le mystère de la vie comme labyrinthe et méandre. La sagesse consiste donc à savoir comment se conduire dans l’existence et comment conduire son existence. Dans cette perspective, les conseils parentaux, hérités de la tradition, sont relativement simples : bannir la jalousie, manifester une patience à toute épreuve et se montrer digne de la confiance d’autrui.
Ce discours est construit autour d’une antépiphore – figure de style qui consiste à commencer et terminer
Le jeune homme, qui erre après la disparition de ses parents, est recueilli par un forgeron qu’il se met à assister et dont, finalement, il hérite en remerciement de ses bons et loyaux services. Nous terminerons cette chronique en méditant sur le lien entre sagesse et aïeux. En effet, dans la société de Mayotte, la tradition est une valeur forte. La bonne attitude consiste donc à se tourner vers le passé et les ancêtres pour trouver une boussole. Ici, la leçon des contes rejoint celle des proverbes et s’oppose à la modernité, ce qui constitue l’un des grands enjeux et conflits actuels de Mayotte, querelle de valeurs et conflit de générations. Christophe Cosker
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SPORT
Calendriers - classements - résultats
FOOTBALL
Equipe
Régional 1 Journée 1
Pts
J
G
N
P
Dif
1
Jumeaux de Mzouazia
3
1
1
0
0
+5
2
USCP Anteou
3
1
1
0
0
+3
AJ Kani Kéli 0–1 AS Bandraboua USCP Anteou 3–0 AS Sada FC Mtsapéré 1–0 Tchanga SC Diables noirs de Combani 2–1 AS Rosador ASC Kawéni 4–3 Bandrélé FC Jumeaux de Mzouazia 7–2 ASC Abeilles
3
ASC Kawéni
3
1
1
0
0
+1
4
Diables noirs de Combani
3
1
5
AS Bandraboua
3
1
1
0
0
6
FC Mtsapéré
3
1
1
0
0
Journée 2 – Samedi 4 juin à 15 heures
7
Bandrélé FC
0
1
0
0
1
-1
AS Bandraboua – USCP Anteou Tchanga SC – AJ Kani Kéli AS Sada – Diables noirs de Combani Bandrélé FC – FC Mtsapéré AS Rosador – Jumeaux de Mzouazia ASC Abeilles – ASC Kawéni
8
AS Rosador
0
1
0
0
1
-1
9
AJ Kani Kéli
0
1
0
0
1
-1
10
Tchanga SC
0
1
0
0
1
-1
11
AS Sada
0
1
0
0
1
-3
12
ASC Abeilles
0
1
0
0
1
-5
Pts
J
G
N
P
Dif
FOOTBALL Régional 2
Equipe
1
0
0
+1 +1
1
FC Dembéni
3
1
1
0
0
+2
2
FC Chiconi
3
1
1
0
0
+2
Journée 1
3
AS Neige de Malamani
3
1
1
0
0
+2
AS Neige de Malamani 2–0 FC Majicavo AJ Mtsahara 1–0 UCS de Sada FC Kani Bé 0–2 Foudre 2000 FC Chiconi 3–1 US Kavani Olympique Miréréni 0–2 ASJ Moinatrindri FC Dembéni 3–1 USCJ Koungou
4
Foudre 2000
3
1
5
ASJ Moinatrindri
3
1
1
0
0
+2
6
AJ Mtsahara
3
1
1
0
0
+1
7
UCS de Sada
0
1
0
0
1
-1
Journée 2 – Samedi 4 juin à 15 heures
8
USCJ Koungou
0
1
0
0
1
-2
FC Majicavo – AJ Mtsahara Foudre 2000 – AS Neige de Malamani UCS de Sada – FC Chiconi ASJ Moinatrindri – FC Kani Bé US Kavani – FC Dembéni USCJ Koungou – Olympique Miréréni
9
US Kavani
0
1
0
0
1
-2
10
Olympique Miréréni
0
1
0
0
1
-2
11
FC Kani Bé
0
1
0
0
1
-2
12
FC Majicavo
0
1
0
0
1
-2
46•
1
0
0
+2
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FOOTBALL Régional 1 féminines Journée 1 – Dimanche 5 juin à 15h30 Devils Pamandzi – ASJ Handréma Entente Miréréni / Tsingoni – AS Jumelles de Mzouazia USC Labattoir – Club Unicornis US Cavani – ASC Wahadi Olympique de Sada – FC Mtsapéré Exemptées : ASO Espoir de Chiconi
Equipe
Pts
J
G
N
P
Dif
1
ASC Wahadi
0
0
0
0
0
0
2
ASJ Handréma
0
0
0
0
0
0
3
AS Jumelles de Mzouazia
0
0
0
0
0
0
4
ASO Espoir de Chiconi
0
0
0
0
0
5
Devils Pamandzi
0
0
0
0
0
0
6
Entente Miréréni / Tsingoni
0
0
0
0
0
0
7
FC Mtsapéré
0
0
0
0
0
0
8
Olympique de Sada
0
0
0
0
0
0
0
9
Club Unicornis
0
0
0
0
0
0
10
USC Labattoir
0
0
0
0
0
0
11
US Cavani
0
0
0
0
0
0
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MAGAZINE D’INFORMATION NUMÉRIQUE HEBDOMADAIRE Edité par la SARL Somapresse au capital de 20 000 euros 7, rue Salamani Cavani M’tsapéré BP 60 - 97600 Mamoudzou Tél. : 0269 61 20 04 contact@mayottehebdo.com Directeur de la publication Laurent Canavate canavate.laurent@somapresse.com Directeur de la rédaction Mohamed El Mounir dit “Soldat” 0639 69 13 38 soldat@mayottehebdo.com Rédacteur en chef Axel Nodinot
# 1002
Couverture :
Législatives 2022
Journalistes Axel Nodinot Romain Guille Raïnat Aliloiffa Lise Gaeta Alexis Duclos Lhaimy Zoubert Ravoay Direction artistique Franco di Sangro Graphistes/Maquettistes Olivier Baron, Franco di Sangro Commerciaux Cédric Denaud, Murielle Turlan Comptabilité Catherine Chiggiato comptabilite@somapresse.com Première parution Vendredi 31 mars 2000 ISSN : 1288 - 1716 RCS : n° 9757/2000 N° de Siret : 024 061 970 000 18 N°CPPAP : 0121 I 92960 Site internet www.mayottehebdo.com