Mayotte Hebdo n°1072

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LE MOT DE LA RÉDACTION

L’EAU FAIT SA RENTRÉE Lundi, les élèves ont fait leur rentrée à l’école. L’eau, elle, a fait la sienne dans nos foyers. Les pluies de ces derniers jours en témoignent : l’eau semble bel et bien de retour à Mayotte. Si la crise n’est pas encore derrière nous, depuis le début de la semaine, nous avons de nouveau de l’eau chaque jour au robinet, même si nous devons encore subir des coupures de vingt-quatre heures. Chaque jour, enfin, pouvoir prendre une douche, faire une lessive, cuisiner sans trop se soucier de l’organisation de la vaisselle… Mais est-il normal de ressentir de la joie face à de l’eau qui coule dans un lavabo sur un territoire français ? Comment en est-on arrivé là ? Il faudra rendre des comptes aux Mahorais et aux Mahoraises. Certains ont déjà commencé à les demander devant la justice. En attendant, si le flux d’eau augmente dans nos maisons, il faut espérer qu’avec le retour de vacances, le flot de violence n’en fasse pas de même dans nos rues. Marine Gachet

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tchaks La visite de la présidente de l'Assemblée nationale, l'espoir d'un soutien Le programme de Yaël Braun-Pivet, présidente de l'Assemblée nationale, en visite sur l'île entre mercredi 10 janvier et samedi 13 janvier, dans le cadre d'un tour de France des territoires, était chargé. Elle y a rencontré élus et citoyens. Ceux-là, lui ont présenté l'intérêt d'intégrer Mayotte au projet gazier de Total au Mozambique, expliqué le déroulement de la distribution de bouteilles d'eau, évoqué les problématiques d'insécurité et de gestion de l'immigration clandestine… Espérant surtout de sa part un soutien lorsque la loi Mayotte, promise dans quelques semaines, sera rédigée à Paris. Le maire de de Mamoudzou, Ambdilwahedou Soumaila, qui, lors de ses voeux, a rappelé que le "sang bleu blanc rouge coule dans nos veines", y voit un moyen d'assurer "l'essor éconimique, social et sécuritaire" de l'île. Sans donner de garantie, Yaël Braun-Pivet a reconnu la nécessité d'un "projet de loi abouti" afin "de ne pas répéter les erreurs du passé", et ainsi éviter le rejet du projet par le conseil départemental de Mayotte et des élus locaux.

Affrontements au stade Cavani entre jeunes, riverains et réfugiés Jets de pierres et tirs de grenades lacrymogènes encore ce mercredi, menaces… La tension ne fait que monter au stade Cavani, transformé en camp de fortune pour des centaines de migrants originaires, en grande partie, d'Afrique des Grands lacs. Dimanche, l'arrivée d'une soixantaine de demandeurs d'asile, surtout issus de Somalie, y a ajouté un cran. Des jeunes, rejoints par des habitants du quartier, s'étaient alors interposés afin de les empêcher de s'y installer. Les affrontements avaient fait 18 blessés. Lundi, les policiers ont dû lancer des grenades lacrymogènes pour disperser les groupes de jeunes qui souhaitaient en découdre avec les occupants illégaux et un jeune homme de 23 ans a été transporté d'urgence au Centre hospitalier de Mayotte. Le même jour, les principales administrations de la capitale ont été bloquées par les riverains du stade. Dans un courrier adressé à la mairie de Mamoudzou, des habitants excédés ont même menacé d'incendier les habitations précaires. Alors que la nouvelle version du stade doit normalement sortir de terre au cours des prochains mois, le Département a saisi le conseil d'Etat, après une première tentative auprès du tribunal administratif, pour évacuer la zone.

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Une issue sans surprise aux élections comoriennes Azali Assoumani est réélu avec 62% des suffrages exprimés. Il rempile donc pour un troisième mandat. Les résultats ont été annoncés le 16 janvier par la CENI (la commission électorale nationale indépendante), 48h après le jour des votes. Le taux de participation est de 16%. Ce sont des chiffres provisoires qui doivent être confirmés par la cour suprême de l’Union des Comores.

Le nouveau gouvernement enfin connu Jeudi dernier, le nouveau Premier ministre Gabriel Attal a présenté le gouvernement qu’il a nommé. Rachida Dati fait une arrivée surprise au ministère de la Culture. Le ministère de l’Europe et des Affaires étrangères échoit à un fidèle du chef de l’État, Stéphane Séjourné. Côté Éducation nationale, le ministère est repris par Amélie Oudéa-Castéra, qui l’ajoute à sa casquette de ministre de la Jeunesse, des Sports, des Jeux olympiques et paralympiques. Le Travail, de la Santé et des Solidarités ont été confiés à Catherine Vautrin, du parti Horizons. Aurore Bergé devient ministre déléguée chargée de l’Égalité entre les femmes et les hommes et de la Lutte contre les discriminations. Bruno Lemaire (Économie), Sébastien Lecornu (Armées), Marc Fesneau (Agriculture), Éric Dupond-Moretti (Justice), Christophe Béchu (Transition écologique et de la Cohésion des territoires) et Sylvie Retailleau (Enseignement supérieur et de la Recherche) sont toujours là. Gérald Darmanin, un temps vu comme Premier ministre, est conforté à la tête de l’Intérieur et de l’Outre-mer. En revanche, celui qui devrait remplacer Philippe Vigier n’est pas connu.

L’eau de retour au robinet un jour sur deux Depuis lundi, le rythme des tours d’eau est passé d’un jour avec de l’eau sur trois à un jour sur deux. Dans les faits, il n’y a donc plus de jours entiers sans une seule goutte au robinet. Il y a de l’eau au moins soit le soir soit le matin, puisque les coupures ou les retours de l’eau interviennent dans l’après-midi ou en début de soirée. Les trois premiers secteurs ont été fondus pour n’en faire que deux. Le troisième (anciennement le quatrième) est désormais celui de la zone industrielle de Kawéni qui reste abonnée aux coupures nocturnes. Comme les retenues collinaires de Dzoumogné (30% de ses capacités) et Combani (14%) sont encore loin d’être remplies, ne faut-il pas attendre qu’elles se remplissent davantage avant de changer de rythme ? En réalité, celles-ci doivent servir d’ajustement pendant la saison sèche. En période de pluies, les rivières, les forages, ainsi que l’usine de dessalement de Petite-Terre permettent d’assurer une production (presque) suffisante de la ressource. La consommation, même si elle augmente avec le retour de l’eau un jour sur deux, devrait être donc assurée sans prélèvements dans les retenues.


LU DANS LA PRESSE

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CRISE DE L’EAU À MAYOTTE : COUPURES RAMENÉES À UN JOUR SUR DEUX CONTRE DEUX SUR TROIS Par Théo Bourrieau, publié sur L’Humanité le 15/01/24

La préfecture de Mayotte a annoncé un allègement des coupures d’eau à partir du lundi 15 janvier, ramenées à un jour sur deux contre deux sur trois auparavant, grâce aux précipitations qui ont touché l’archipel de l’océan indien. À partir de ce lundi 15 janvier, « l’eau sera désormais distribuée au robinet un jour sur deux dans l’ensemble du département », a annoncé mercredi 10 janvier la préfecture de Mayotte dans un communiqué. Auparavant, l’eau était coupée deux jours sur trois. « L’amélioration météorologique et (…) la vigilance quant à la ressource ont permis de stabiliser les ressources en eau, qui avaient atteint un niveau critique », a ajouté la préfecture, tout en appelant la population à « poursuivre ses efforts et veiller à ses consommations ». Allègement des restrictions, mais situation toujours intolérable Depuis 2016, Mayotte connaît des difficultés récurrentes d’approvisionnement en eau potable, liées aux organisations chargées par l’État de la gestion de l’eau sur l’île. En raison d’une importante sécheresse, cette crise s’est aggravée depuis près de neuf mois, privant le territoire d’eau courante au moins deux jours sur trois, jusqu’à ce lundi. Des habitants du département ont porté plainte début janvier contre le Syndicat intercommunal d’eau et d’assainissement de Mayotte (SIEAM) et son délégataire, la Société Mahoraise des Eaux (SMAE), une filiale de Vinci. Dans cette plainte, déposée au parquet de Mamoudzou le 28 décembre, ils affirment notamment ne pas pouvoir se laver de manière satisfaisante et souffrir de maladies gastriques. En novembre, les associations Notre Affaire à tous, Mayotte a soif ainsi que quinze victimes avaient déjà déposé un recours contre l’État pour l’accès à l’eau des habitants du territoire. Dans un référé liberté, elles demandaient notamment au tribunal administratif de Paris de « reconnaître

l’impact de la crise sur les droits fondamentaux et la réponse insuffisante de l’État ». Les associations estiment que la situation à Mayotte est le résultat de « plusieurs années d’un désengagement de l’État sur ces questions » et d’une « inadaptation discriminatoire des politiques publiques déployées ». Elles espèrent enfin que ce référé permettra « d’ordonner en urgence à l’État de prendre des mesures de sortie de crise équitables, à la hauteur du drame sanitaire et humain qui se déroule sur l’île ».

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Des habitants d’un quartier précaire viennent s’approvisionner en eau à une rampe de robinets installée lors de la crise de Covid, à Mutsamudu, dans le sud de l’île de Mayotte, le 27 octobre 2023. ©️Gregoire Merot/ABACAPRESS.COM

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DOSSIER

LE PATRIMOINE CULTUREL MAHORAIS ENTRE DE BONNES MAINS “SAUVEGARDER LE PATRIMOINE CULTUREL MAHORAIS.” CETTE INJONCTION REVIENT SOUVENT À L’ÉCOUTE DES DIFFÉRENTS ACTEURS CULTURELS DU TERRITOIRE. DOITON COMPRENDRE QUE CE PATRIMOINE EST EN DANGER ? DIRECTEUR DE MUSÉE, FABRICANT DE LAKA, DANSEUSES TRADITIONNELLES, VENDEUSES DE SALOUVA, PROFESSEUR DE SHIMAORÉ, COLLECTIONNEUSE D’OBJETS ANCIENS… NOUS SOMMES ALLÉS À LA RENCONTRE DE CES GARDIENS DE LA TRADITION. SI DE NOMBREUSES PRATIQUES ONT ÉVOLUÉ AVEC LE DÉVELOPPEMENT RAPIDE DE L’ÎLE DURANT CES DERNIÈRES DÉCENNIES, ELLES ONT DE BEAUX, VOIRE NOUVEAUX JOURS DEVANT ELLES. 8 • M ay o t t e H e b d o • N ° 1 0 7 2 • 1 9 / 0 1 / 2 0 2 4


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DOSSIER

Marine Gachet

DÉCRYPTAGE

OÙ EN EST LE PATRIMOINE CULTUREL MAHORAIS ? SÉPARATION DU RESTE DE L’ARCHIPEL DES COMORES, DÉVELOPPEMENT DES INSTITUTIONS FRAN-ÇAISES, ESSOR DE L’ÉCONOMIE, DÉPARTEMENTALISATION… L’HISTOIRE DE MAYOTTE A CONNU PLUSIEURS BOULEVERSEMENTS CES DERNIÈRES DÉCENNIES. LOIN DE S’ÊTRE PERDU AU MILIEU DE CES CHANGEMENTS DE SOCIÉTÉ, LE PATRIMOINE CULTUREL MAHORAIS A ÉVOLUÉ POUR S’ADAPTER AUX NOUVEAUX BESOINS DES HABITANTS DE L’ÎLE. des gens qui les pratiquent », explique Elena Bertuzzi, chorégraphe et anthropologue, qui a produit plusieurs travaux sur les danses ma-horaises. Dernièrement, elle a rédigé une fiche sur le mbiwi, mélange de musique et de danse pratiqué par les femmes lors des mariages, dans le cadre de l’entrée de cet art à l’inventaire national du patrimoine culturel immatériel en juin 2023. Si cette danse a évolué, avec par exemple de nouvelles variations rythmiques, sa pratique est loin de s’amenuiser. “Au con-traire, moi je trouve que c’est très vivant. Les femmes sont très engagées dans la sauve-garde de leurs traditions et les mettent au goût du jour. On ne peut pas dire que ça se perd”, décrit l’anthropologue. Le Mawlida shenge a été inscrit à l’inventaire du patrimoine culturel immatériel natio-nal en 2022. Crédit Photo : Musée de Mayotte.

Un duka était un lieu de vie, qui se trouvait au centre de la vie sociale. Il permettait d’acheter, de consommer mais on allait aussi y chercher les informations sur la communauté, voire des conseils si l’homme qui le tenait était âgé”, explique le directeur du musée de Mayotte, Ab-doul-Karim Ben Said, qui a consacré une exposition sur l’art de consommation et les valeurs autour du duka traditionnel mahorais. Aujourd’hui, force est de constater que les emplettes anonymes au supermarché ou en supérette concurrencent largement cette pratique. Ainsi, en 2018, l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee) relevait que les duka indépendants ne détenaient que 12% des parts du marché alimentaire. “La tradition n’est jamais quelque chose de figé. N’importe quelle tradition évolue dans le temps en fonction des besoins et des envies

“UNE RÉSISTANCE POUR AFFIRMER SES TRADITIONS” Certaines traditions, qui auraient pu faiblir avec les changements de société qui ont eu lieu ces dernières décennies à Mayotte, se sont, au contraire, renforcées. Sophie Blanchy, an-thropologue au laboratoire d'ethnologie et de sociologie comparative du Centre national de la recherche scientifique (CNRS), donne pour exemple les célébrations du grand mariage ma-horais, les manzaraka, qui ont changé à cause du développement des institutions françaises et de l’enrichissement des familles. “Pas seulement dans le sens d’une occidentalisation, mais principalement dans le sens d’une résistance pour affirmer ses traditions. Il y a un mé-lange entre le fait d’intégrer des éléments occidentaux, comme la robe blanche de la mariée dans une des fêtes, et de récupérer des manières de faire qui affirment l’identité musulmane et qui expriment les nouvelles hiérarchies sociales”, détaille-t-elle.

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Le shioni, qu’on peut désigner comme l’école coranique, était au cœur d’une des expositions du musée de Mayotte avant que les locaux de ce dernier ne ferment en 2020, suite au tremblement de terre en 2018. Crédit Photo : Musée de Mayotte.

Abdoul-Karim Ben Said est le directeur du Musée de Mayotte, qui continue ses activi-tés hors les murs. Image d’archive.

Sophie Blanchy est anthropologue au laboratoire d'ethnologie et de sociologie comparative du CNRS. Crédit Photo : Sophie Blanchy.

Les traditions et pratiques culturelles incarnent un patrimoine immatériel qui s'adapte aux modes de vie de la population. Abdoul-Karim Ben Said, dont le musée a dédié des expositions sur le debaa (mélange de musique et de danse traditionnelle réservé aux femmes), la chaîne de production du sel de Bandrélé ou encore l’école coranique, constate lui aussi que ces pra-tiques évoluent. “Dans les années 1970, le debaa se pratiquait sous un chapiteau traditionnel, construit solidairement par les hommes du village. Aujourd’hui on paye un prestataire qui ins-talle le chapiteau. Certains artistes monnayent aussi leurs prestations”, constate le directeur du musée de Mayotte, qui explique cette monétisation grandissante par le fait qu’avec la mo-dernisation et le temps passé au travail aujourd’hui, les personnes ne peuvent plus être présentes systématiquement.

VERS UNE PATRIMONIALISATION DES PRATIQUES CULTURELLES Ces dernières années, il a remarqué un engouement pour la sauvegarde du patrimoine cultu-rel mahorais :

“Il y a une espèce de réveil, de regain pour le patrimoine, parce qu’on se rend compte que beaucoup de choses changent, et cette évolution des choses fait qu’on risque de perdre beaucoup sur la connaissance du passé et ce qui fait notre identité.” La création du musée en 2015 témoigne de cet élan, tout comme l’inscription du Mawlida shenge (chant dansé emprunté à la tradition soufie) au patrimoine culturel immatériel national en 2022, ou le fait que le debaa et le sel de Bandrélé y soient en cours d’inclusion. « L’idée ce n’est pas de muséifier et que les choses ne changent pas. On sait que le patri-moine est vivant et qu’il est amené à évoluer. Ce sont les communautés qui doivent être ga-rantes de ce qui doit changer ou non”, affirme Abdoul-Karim Ben Said. De son côté, l'anthro-pologue Elena Bertuzzi insiste également sur l’importance de laisser évoluer les pratiques. « Quand on fige une tradition, cela devient du folklore. Cela veut dire qu’on essaye de refaire ce qui était fait avant, et, en général, les gens ne sont, ensuite, pas vraiment intéressés. Une tradition est vivante quand elle répond à des exigences de la population qui la pratique. »

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DOSSIER

Audrey Margerie

REPORTAGE

LE MBIWI, « NOTRE MANIÈRE À NOUS DE NOUS EXPRIMER »

DES CHANTS ET DES DANSES AU RYTHME DU BAMBOU… LA TRADITION DU MBIWI, PRATIQUE RÉSERVÉE AUX FEMMES, PERDURE. L’ASSOCIATION CHOK CHOK DE CHICONI NOUS INVITE POUR UNE RÉPÉTITION.

Chacune des femmes entrechoquent ces morceaux de bambou. Il existe trois tonalités différentes.

Chaussures laissées devant la porte de la Maison de la jeunesse et de la culture (MJC) de Chiconi, les femmes de l’association Chok Chok s’installent en rond sur des tapis. En ce mardi 16 janvier, jour de répétition du mbiwi, les décibels du claquement de deux bambous et les voix des chanteuses s’apprêtent à résonner. Il suffit que l’une des quatre chanteuses entonne une chanson pour que le groupe, assis autour de l’une d’entre elles, s’engouffre dans le rythme. À la manière d’une chorale, les chœurs suivent, certaines avec le sourire, d’autres les yeux fermés, tandis que les mains s’agitent. Les morceaux de bambous

s’entrechoquent dans une puissante frénésie autour de trois tonalités différentes. Quelques-unes se lèvent pour entamer des mouvements de bassin. La compilation de deux chansons achevée, c’est une séance de sport qui semble prendre fin. « On est obligées de répéter ! Sinon on ne tiendrait pas les 3 à 4 heures d’animations », commente la présidente, Antuat Mohamed. Depuis 2014, l’association est sollicitée pour intervenir dans des mariages, en salouva, pour le mbiwi traditionnel. Sec (mbiwi bambou) ou à la guitare et accompagné d’autres instruments (mbiwi guitare), il complète, à l’origine, le mchangouro, la

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La danse s’invite également, bras en l’air et rotation du bassin en guise de mouvements.

danse des hommes, pour escorter le marié vers le foyer. « C’est sportif mais quand on est dedans, avec l’adrénaline, le groupe, on a encore plus d’énergie. »

« C’EST EN NOUS DEPUIS DES GÉNÉRATIONS »

L’important, c’est l’écoute, l’éducation par l’oreille. « Je ne me souviens même pas que quelqu’un nous l’a expliqué », réfléchit Hifadhi Toibib, vice-présidente de l’association. « On connaissait le mbiwi petites. C’est en nous depuis des générations. » Aucune des treize femmes rassemblées ce soir, sur la trentaine que compte la troupe, ne sait se souvenir d’un apprentissage. « Mais il ne suffit pas de taper, il faut écouter », détaille la présidente. Les chants parlent d’amour, de joie, mais aussi de la vie de tous les jours. « La colère, les rivales… De beaucoup de choses ! », rigole Antuat Mohamed. Comme les hauts et les bas d’une relation amoureuse, et de toutes « les mauvaises choses » prononcées lors de ces querelles à « mettre dans un bateau vers l’Afrique ». Certaines paroles

sont en shimaoré, d’autres en malgache, kibushi (dialecte parlé à Chiconi) et même en français. « C’est notre manière à nous de nous exprimer, de nous défouler », déroule la présidente. Ce soir, pendant les mariages, dans les foyers… « À tout moment. » Elle reprend : « Dans toutes les communes, il y a des associations de mbiwi. Nos mères, nos grands-mères le pratiquent, et nous, on transmet à nos enfants. » D’ailleurs, la plupart des membres, dont la plus jeune a 22 ans, ne restent pas campées à cet art. Elles pratiquent également d’autres danses et chants traditionnels tels que le debaa, qu’elles décrivent comme étant plus religieux. Tandis que le mbiwi, lui, se rangerait plutôt dans la case « profane ». « Aujourd’hui, ça peut être mal vu par les musulmans qui peuvent penser que c’est haram (interdit en arabe). Certains partent des mariages quand on commence à danser le mbiwi. Mais nous, on adore, c’est notre culture, on fait ! » « Il n’y a rien de haram ! », lance véhément une danseuse. « On vient s’amuser », renforce Fahouza, 30 ans. « Je pratique le mbiwi, comme si j’allais au foot ! »

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DOSSIER

Karama Youssouf

REPORTAGE

LE SALOUVA TISSÉ PAR LES GÉNÉRATIONS

TENUE TRADITIONNELLE LOCALE, LE SALOUVA INCARNE L’ÉLÉGANCE DE LA FEMME MAHORAISE. AVEC L’OCCIDENTALISATION DE LA SOCIÉTÉ, L’HABIT CULTUREL SEMBLE PERDRE DU TERRAIN SUR L’ÎLE AUX PARFUMS.

Un salouva de couleurs vives, aux broderies luxueuses, dans la boutique de Maïssara Houmadi, commerçante à Majicavo-Koropa.

« C’est la tenue de la pudeur, de l’honneur et de l’élégance à Mayotte », déclare Tambati Moussa, fondatrice de l’association Ouzouri wa Mtroumche (la beauté de la femme). Le salouva désigne un ensemble de deux pièces. La principale est un ample tissu souvent avec des motifs, cousu sur le côté. La seconde, le kishali, est une large étoffe cousue au niveau des extrémités. Au fil des ans, elle est de moins en moins présente, dans la vie quotidienne des femmes mahoraises. L’influence des modes vestimentaires occidentales a contribué à reléguer cet habit traditionnel au rang de vêtement festif plutôt que d’usage quotidien. Maïssara Houmadi,

commerçante depuis 2020, constate que « les gens n’achètent que pendant la période de manzaraka (grand mariage mahorais), c’est-àdire aux mois de juin, juillet, août ». Pour s’accoutrer, c’est tout un art. Les accessoires, chaussures, bijoux et le body doivent être assortis aux couleurs du tissu choisi. Le kishali, se pose sur la tête ou sur l’épaule. « Une femme mariée doit absolument porter son salouva au niveau de la poitrine. Mais aujourd’hui, c’est devenu une mode de le porter au niveau de la taille », nous dit Hanafi Charfati, présidente de l’association organisatrice du concours de Miss Salouva.

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Anziza Toumbou, candidate n°6 de l’élection Miss Salouva 2023, vêtue d’une tenue qu’elle a confectionné ellemême à partir de fleurs naturelles apposées sur du pipline.

Tout cela peut représenter un investissement financier. Afin de préserver les traditions, certains commerçants proposent des prix plus abordables. Naouirou Youssouf, tient un magasin dans la rue du Commerce de MajicavoKoropa. Son objectif est de permettre à toutes les femmes de se sentir belles peu importe leur niveau social : « J’ai différents types de textile et de body dans mon magasin, les prix varient de 5 euros à 150 euros ». Dans ce qui est plus connu sous le nom de « Majicavo-Dubaï », on est éblouis par la diversité des modèles, qui brillent de mille couleurs. Ces commerçants, soumis aux tendances plus que changeantes, ne s'en plaignent pas. « La femme mahoraise aime les nouveautés, donc chaque année, de nouvelles tendances évoluent. Actuellement, ce sont les broderies et le velours qui se portent le plus », nous explique Rahamatou Madi Assani, commerçante depuis 2010.

LES GARDIENNES DU SALOUVA Malgré ces défis, des voix s’élèvent pour défendre la préservation de cette tenue mahoraise. Hanafi Charfati

en veut pour preuve le concours de beauté qu’elle a créée : « L’idée, c’est de valoriser notre style vestimentaire. Les jeunes femmes qui se présentent ne portent que le salouva pendant le concours. Quand c’est une autre tenue, on essaye toujours de garder le tissu, pour confectionner des robes ou des pantalons ». Les objectifs de cette femme ambitieuse vont au-delà du territoire français. Elle souhaite qu’un jour l’habit mahorais soit inscrit au patrimoine mondial de l’Unesco. Au sud de l'île, à Bouéni, Tambati Moussa détient un trésor culturel. Gardienne de la culture mahoraise, elle nous raconte l’histoire de cette tenue en shimaoré : « Avant 1930, les gens portaient des sacs de riz. Au fil des années, différents types de tissus se sont succédés. Le nambawane (un tissu à base de coton) est arrivé dans les années 1969 ». Dans son petit musée, on retrouve plusieurs tissus soigneusement conservés. Engagée à préserver et à valoriser cette tenue, Tambati Moussa sera au salon de l’agriculture à Paris du 23 février au 4 mars.

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DOSSIER

Marine Gachet

TÉMOIGNAGES

REMETTRE LE LAKA À FLOT

UTILISÉ COMMUNÉMENT COMME MOYEN DE TRANSPORT IL Y A ENCORE QUELQUES DIZAINES D’ANNÉES À MAYOTTE, LE LAKA, LA PIROGUE TRADITIONNELLE MAHORAISE, SERT AUJOURD’HUI ESSENTIELLEMENT À DE LA NAVIGATION OU DE LA PÊCHE DE LOISIR. CERTAINS VEULENT NÉANMOINS OFFRIR UN NOUVEAU SOUFFLE À CETTE EMBARCATION EMBLÉMATIQUE DU PATRIMOINE CULTUREL MAHORAIS.

La famille de M’Colo Boinaidi Kolo se transmet le savoirfaire de la fabrication du laka de génération en génération.

« Quand j’étais enfant, mon père m’amenait à l’école en laka », se souvient M’Colo Boinaidi Kolo dont la famille s’est transmis les techniques de fabrication des pirogues de génération en génération. Il n’y a pas si longtemps, avant que la route bitumée entre Sada et Mamoudzou ne soit achevée dans les années 1970, les pirogues à voile et à rames peuplaient la baie de Bouéni. Les personnes vivant près des côtes et les pêcheurs se servaient des laka pour se déplacer, et les boutres, plus gros et profonds, assuraient la livraison des marchandises jusqu’au marché de Labattoir, en PetiteTerre. « C’était une vraie richesse d’avoir un laka

dans un village », explique celui plus connu sous le nom de Kolo. Pour visiter l’atelier du fundi qui fabriquait la pirogue, il fallait observer des règles strictes et ne toucher à rien, sous peine d’amende. Pour les finitions, le laka était transporté par l’ensemble des hommes du village jusqu’à la plage pendant que les femmes préparaient un repas de fête. Mais avec l’aménagement des routes, l’utilisation des laka s’est réduite, tandis que les pêcheurs ont commencé à privilégier des bateaux plus gros et à moteur pour voguer au large. « Aujourd’hui, le laka est surtout utilisé pour le loisir. Ce sont souvent des gens

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Kolo a fabriqué ces pagaies en bois de takamaka.

qui travaillent la semaine et qui ont le leur pour aller pêcher le week-end », décrit Kolo.

“FABRIQUER UN LAKA MAHORAIS, CE N’EST PAS DONNÉ À TOUT LE MONDE” Après être parti et avoir passé quelques années dans l’Hexagone, il est revenu en 2006 au village de Mbouini, dans la commune de Kani-Kéli, où il a grandi. Il a voulu retrouver ce qu’il connaissait enfant, alors il a d’abord commencé par proposer des sorties en laka aux touristes. Il y a neuf ans, il s’est donné pour mission de populariser davantage la pirogue traditionnelle mahoraise en créant une course de laka, à l’image de celles qui pouvaient exister à Dzaoudzi. En partenariat avec le Parc naturel marin de Mayotte, il organise une première course à vingt pirogues dans le Sud. « Aujourd’hui, ce sont quarante pirogues qui concourent. Il y a des familles qui viennent avec leurs enfants. Ça fait vraiment plaisir de voir cette évolution

», se réjouit celui qui a façonné une grande partie de la flotte utilisée pour cet événement annuel. C’est au même moment que l’association Laka de Mbouini 976 est créée. À travers elle, il souhaite promouvoir un savoir-faire qui s’est perdu selon lui. Il apprend à des scolaires et à des jeunes non seulement à naviguer, mais aussi à construire les pirogues : « Fabriquer un laka mahorais, avec ses formes, ses arêtes bien façonnées, ce n’est pas donné à tout le monde.» Transmettre les connaissances autour de cette facette du patrimoine mahorais, c’est également un but que s’est donné l’association des Apprentis d’Auteuil à travers un chantier d’insertion qui devrait voir le jour au courant de l’année 2024. Huit personnes éloignées de l’emploi auront comme travail de construire une flotte d’une dizaine de pirogues qui serviront ensuite pour une exploitation touristique. « C’est un enjeu important à Mayotte. Le but de ces sorties sera également de raconter l’histoire du laka et l’histoire maritime de l’île », explique

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DOSSIER

Les laka miniatures en bois côtoient les pirogues grandeur nature en résine dans l’atelier de Kolo, à Mbouini.

Sébastien Pardigon, qui travaille sur ce projet pour l’association.

D’OUTIL DE TRAVAIL À “ENGIN DE PLAGE”

Mais la transmission de ce savoir ancestral se heurte à plusieurs obstacles, outre le fait qu’ils sont désormais peu de fundi à détenir cette connaissance. Le laka de Mayotte se construit traditionnellement en sculptant directement dans une seule et même pièce de bois. Le manguier, le badamier ou encore le takamaka étaient des arbres particulièrement prisés par les fundis qui les fabriquaient. Or, dans une logique de lutte contre la déforestation, il est désormais interdit d’abattre un arbre sur l’île aux parfums. « On peut en récupérer quand il y en a un qui tombe à cause du vent ou de la pluie, ou bien quand un est abattu par les services

techniques d’une mairie. Mais il faut arriver à être le premier à le prendre et le transporter », regrette Kolo en nous montrant la rare pirogue qu’il a pu façonner de cette manière, dans son atelier à Mbouini. Il faut donc se rabattre sur la technique davantage utilisée à Madagascar, qui est d’assembler des planches de bois, qu’il est possible d’importer. Moins traditionnel encore à Mayotte, utiliser de la résine. « C’est facile, il suffit de mettre la résine dans un moule. On n’a pas vraiment le choix. Mais on ne peut pas transmettre le savoir-faire mahorais avec cette technique », déplore le coordinateur de projet de l’association Laka de Mbouini, qui tient à utiliser ses outils ancestraux lorsqu’il sculpte une pirogue, son balancier et ses pagaies. « En effet, on ne pourra pas faire des laka mahorais typiques à cause des problématiques autour du bois, mais on va s’adapter avec une autre

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technique », exprime de son côté Sébastien Pardigon, encore en réflexion sur le sujet. Autre épine dans la coque, un arrêté préfectoral du 28 juin 2018 qui limite la pêche traditionnelle en pirogue à 300 mètres de la côte. « Cela élimine les pirogues », estime la présidente de l’association Laka de Mbouini, Anfiati-Haoi Amada, qui pense que cette interdiction d’aller pêcher au-delà de cette distance freine l’intérêt des jeunes qui pourraient en avoir. La définition d’« engin de plage » auquel ce même arrêté fait référence suscite l’incompréhension chez Kolo, qui a grandi en considérant les laka comme des outils de travail. Des contraintes incompatibles avec la promotion de ce pan du patrimoine mahorais, selon lui.

LE TAXI-LAKA CONTRE LES EMBOUTEILLAGES

Cela ne l’empêche pas d’avoir de grandes ambitions pour les pirogues. Depuis plusieurs années, il aménage au fur et à mesure le bout de plage où il fabrique et entrepose

les laka. L’idée est d’avoir un espace tourné autour de cet artisanat pour susciter des vocations et partager le savoir. Pour Kolo, cette transmission n’est possible qu’en adaptant l’embarcation aux besoins d’aujourd’hui. « Par exemple, avec le problème des embouteillages, on peut remettre en place le taxi-laka, en le modernisant avec des bâches et des assises plus larges et confortables », émet comme idée celui qui s’attache déjà à ajouter sa touche personnelle et à innover lorsqu’il a sa casquette d’artisan. L’espoir lui est permis : il est de plus en plus sollicité pour participer à l’organisation de courses de laka. Dernièrement, à celle de Mamoudzou, et prochainement, peut-être, dans le Nord. « Maintenant, la course de laka est diffusée en direct à la télévision sur Mayotte la 1ère. Qui aurait pu imaginer cela il y a quelques années ? », se félicite celui qui rêve de voir le laka devenir une discipline aux Jeux des Îles de l’océan Indien. Que ce dernier vœu se réalise ou non, la sauvegarde du laka s’est trouvé un allié en la personne de Kolo : « Je continuerais à donner des grands coups de pagaie pour cela. Je ne suis pas près de descendre de mon laka. »

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DOSSIER

Propos recueillis par Samuel Reffé

INTERVIEW

« LE SHIMAORÉ ET LE KIBOUSHI ONT VOCATION À ÊTRE ENSEIGNÉS AU SEIN DE L’ÉCOLE DE LA RÉPUBLIQUE » HOULAM HALADI, TRÉSORIER ADJOINT DE L’ASSOCIATION SHIMÉ (SHIMAORÉ MÉTHODIQUE) ET FORMATEUR/ANIMATEUR D’ATELIERS D’ÉCRITURE EN SHIMAORÉ ET KIBOUSHI, SOULIGNE QUE L’IMPLANTATION DES LANGUES RÉGIONALES DANS LE SYSTÈME ÉDUCATIF MAHORAIS EN EST ENCORE « À SES BALBUTIEMENTS ». UNE CONVENTION ENTRE L’ASSOCIATION ET L’ACADÉMIE DE MAYOTTE PROMETTAIT POURTANT DES AVANCÉES. Mayotte Hebdo : Vous militez pour que l’éducation accorde plus de place à l’enseignement des langues régionales mahoraises. Quel bilan en 2024 ? Houlam Haladi : L’association Shimé a été créée par des enseignants afin de faciliter la transmission et l’enseignement du shimaoré. Pendant très longtemps, on n’était pas en relation directe avec le système éducatif puisque la position générale du système d’enseignement était de dire que ce n’était pas son problème. Ils se servaient du fait qu’il n’y avait pas de législation concernant les langues mahoraises pour leur enseignement à l’école. C’était farfelu, en tant qu’argument, puisqu’il y a une disposition générale dans le code de l’éducation qui régit l’enseignement des langues et cultures régionales dans les écoles et l’ensemble du système éducatif. Cependant, aucun texte spécifique ne citait le shimaoré comme langue régionale au sein du système éducatif mahorais. M. H. : Cela a changé, mais est-ce que la prise en compte du shimaoré en tant que langue régionale a été effective ? H. H. : Oui, depuis trois ans maintenant, le code de l’éducation a changé. En réalité,

la position du rectorat est devenue encore plus hostile. Ils ont même travaillé à créer une ordonnance qui rendait cette nouvelle disposition du code de l’éducation inapplicable à Mayotte. L’article du code de l’éducation dit clairement que le shimaoré et le kiboushi sont des langues régionales qui ont vocation à être enseignées au sein de l’école de la République. Seulement, la mise en œuvre est un peu difficile. C’est-à-dire qu’à notre niveau nous avons une convention avec le conseil départemental et le rectorat pour travailler sur cet enseignement*. Mais, en termes d’actions, on en est vraiment aux balbutiements. Les enseignants ne sont pas encore formés en nombre suffisant pour faire ce travail-là. C’est principalement sur la base du volontariat. On est encore très loin de la généralisation de l’enseignement des langues régionales. Pour nous, c’est une condition pour permettre à l’enfant une ouverture cognitive nécessaire pour contrer ce qu’on appelle l’insécurité culturelle et linguistique. M. H. : Qu’est-ce qu’il reste à faire ? Peuton dire qu’il y a, a minima, un enseignant ou des enseignants à même d’enseigner les langues régionales de Mayotte dans chaque établissement scolaire de l’île ?

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Houlam Haladi, trésorier adjoint de l’association Shimé (Shimaoré Méthodique) et formateur/animateur d’ateliers d’écriture en shimaoré et kiboushi. Crédit photo : Mairie de Chirongui.

H. H. : On en est très loin. Seuls les enseignants qui fréquentaient Shimé ont pu s’autoformer. L’organisation qui permettrait d’accorder une formation de shimaoré ou de kiboushi à chaque enseignant n’a pas été mise en place. Cela doit être mis en place avec le rectorat et les inspecteurs chargés des langues. On souhaite notamment avoir des modules lors de la formation des étudiants stagiaires / professeurs des écoles au master

de l'enseignement, de l'éducation et de la formation (MEEF). Il faut aussi un dispositif de formation continue pour les enseignants déjà en poste. Ou alors, a minima, des enseignants maître-formateurs et des conseillers pédagogiques. Un écosystème à créer qui est encore inexistant. *Cette convention a été signée avec l’ancien recteur Gilles Halbout.

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DOSSIER

Audrey Margerie

PORTRAIT

TAAMBATI MOUSSA COLLECTE LA MÉMOIRE

RÉCOLTER DES OBJETS QUI NE SONT PLUS UTILISÉS ET EN CRÉER D’AUTRES… TAAMBATI MOUSSA, ARTISANE DE 59 ANS, ALIMENTE, DEPUIS DES ANNÉES, SON PROPRE MUSÉE POUR SAUVEGARDER ET TRANSMETTRE LA CULTURE MAHORAISE. LOIN D’ÊTRE UNE LUBIE, C’EST BEL ET BIEN UNE MISSION QUE CETTE MILITANTE DE LONGUE DATE S’EST DONNÉE. 1930. « Si on le faisait tomber ! On était morts ! », rigole-t-elle. Un peigne en bois, des ciseaux pour les cheveux, un électrophone, d’anciens toilettes… La plupart de ses trésors sont des trouvailles. « Quand je vais quelque part et que je vois quelque chose qui m’intéresse, je ramasse ou demande si je peux le récupérer. « Ah, vous n’utilisez pas ! Vous allez mettre à la poubelle ? Je prends ! » »

« JE NE VEUX PAS QUE ÇA SE PERDE. C’EST NOTRE IDENTITÉ »

Taambati Moussa est connue sur l’île comme étant la gardienne du patrimoine de Mayotte.

« Vous pouvez regarder le musée en attendant ! », lance Taambati Moussa, accaparée par ses petitsenfants. Cette artisane installée à Bouéni, où elle est née au nom d’Abdou il y a 59 ans, alimente fièrement depuis une vingtaine d’années, au fond de sa boutique, un petit musée pour sauvegarder le patrimoine mahorais. « À l’époque, on créait », raconte-t-elle en désignant une robe sans tissus, cousue à partir de sacs où on mettait le riz, et des tongs bricolées en matériel végétal. Les objets exposés sur ces étagères sont le vestige d’une « époque » qu’elle a pourtant connue. « Mes parents les utilisaient. » Comme cet étrange fer à repasser en métal qu’elle a récupéré : « On faisait chauffer du charbon. On le mettait dans le fer, on essuyait bien. Et ça fonctionnait très bien. » Il y a aussi ce damjane, exemple de récipients que l’on pouvait trouver en bord de mer car tombés de bateaux, que les Mahorais conservaient précieusement pour y stocker de l’huile de coco. Tout comme sa maman, née en

Plus facile à exposer et à raconter aux touristes qu’elle accueille dans ses chambres d’hôtes ou aux élèves accompagnés de leurs professeurs, lorsqu’elle ne se déplace pas directement dans les établissements, celle que l’on appelle sur l’île « gardienne des traditions » possède aussi des maquettes version miniature : un ancien lit où l’on disposait autrefois, en guise de matelas, du kapoc ; une dote que les femmes passaient autour du cou du zébu choisi avant de se marier ; et un diwara qui servait à écraser la canne à sucre. « Je ne veux pas que ça se perde. C’est notre patrimoine, notre culture, notre identité. Sinon, comment peuton répondre aux jeunes qui se demandent comment on faisait avant ? », déclare la Mahoraise qui s’arme encore de poteries pour cuisiner de façon traditionnelle lors des Journées européennes du patrimoine. Et toute l’année, de ses ustensiles pour broder des salouvas, comme sa mère le lui avait appris, un tissu de couleur sur un tissu blanc.

VALORISER LES SAVOIR-FAIRE ET LE TRAVAIL DES FEMMES

« J’ai tout le temps créé des choses », reconnaît-elle, se souvenant avoir lancé le mouvement pour que les jeunes filles jouent aussi au football à

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Dans sa boutique, à Bouéni, la Mahoraise conserve des objets anciens qu’elle explique aux élèves qui viennent avec leurs professeurs.

Une robe et des tongs confectionnées avec les matériaux présents sur l’île.

Les toilettes de l’époque.

l’âge de 12, 13 ans. « Quoi ? Ce n’est que pour les garçons ? Les parents ne veulent pas que les filles jouent ? Et bah, on va jouer au ballon ! » Un caillou englobé dans des feuilles de cocotier en guise de balle. Investie dans les traditions, Taambati Moussa n’en demeure pas moins active pour être en phase avec son temps. Avant de créer sa boutique, elle participe, dans les années 1980, à la création d’une première association, Oussarouma (créateur ou créatrice en shimaoré). Le but : regrouper des femmes, chacune avec son savoirfaire (broderie, poterie…) pour les sensibiliser à la notion de vente et les former. Dans la suite logique, elle contribue ensuite à créer, dans le sud, les premières crèches parentales. « Pour que les mamans travaillent tranquillement, il fallait qu’elles sentent leurs enfants en sécurité », explique-t-elle. Cette pratiquante du debaa (mélange de danse, de musique et de chants traditionnels réservé aux

La gardienne a reçu plusieurs distinctions dont chevalier de l’ordre national du mérite (2013) et chevalier des arts et des lettres.

femmes) est aussi l’initiatrice de l’association Ouzouri Wa Mitroumché pour valoriser les traditions à travers le mtsinzano. Un masque de beauté à base de bois de santal qu’elle continue de frotter contre la pierre et faire sécher dans sa boutique pour le vendre ensuite. « Autrefois les femmes avaient le temps de le faire lorsqu’elles restaient à la maison. » Mais pour la gardienne aux multiples distinctions, dont la médaille d’honneur de l’engagement ultramarin et la médaille de l’ordre national du mérite, la mission de sauvegarde n’est pas terminée. Convaincue que c’est par l’artisanat que le patrimoine mahorais survivra, elle plaide pour un « réel soutien de l’Etat » afin de rassembler et mettre en valeur les artisans. Se plaçant, en amoureuse des objets, à la place d’une touriste : « Quand je voyage, la première chose que je vais voir, c’est le savoir-faire artisanal. »

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Audrey Margerie, Samuel Reffé et Karama Youssouf

A PASSAMAÏNTY, L’ENJEU DE « METTRE LA POPULATION EN SÉCURITÉ » Le bidonville de Passamaïnty, proche de la rivière Gouloué, est amené à disparaître dans une politique de « débidonvillisation » et de mise en sécurité de la population. L’enquête sociale, obligatoire avant toute démolition, est en cours. Un processus exposé à la présidente de l’Assemblée nationale, Yaël Braun-Pivet, qui s’est rendue sur les lieux, vendredi matin. Les pieds dans la boue, la présidente de l’Assemblée nationale, Yaël Braun-Pivet, accompagnée du maire de Mamoudzou, Ambbdilwahedou Soumaïla, est conduite devant la rivière Gouloué, à Passamaïnty. En ce début de saison des pluies, l’eau coule et le lit se remplit, alors que de l’autre côté, une rangée d’habitats en tôles s’élève sur la rive. Installés sans connaissance des risques, ils sont menacés d’inondation et de démolition par la préfecture. « Tous ces habitats devraient disparaître dans deux, trois mois », indique le maire de Mamoudzou afin, notamment, de laisser libre cours aux travaux de voirie de la RD3 déjà entamés (réfection des trottoirs et création d’une piste cyclable) qui englobent également une partie sécurisation de la rivière dont le niveau peut rapidement monter. Il s’agit de « mettre la population concernée en sécurité » et contribuer, par la même occasion, à la débidonvillisation du territoire ainsi occupé. Le secteur de Mamoudzou en est constitué à 40 %. Une enquête sociale, comme le dispose la loi Elan, est en cours depuis octobre, afin de recenser la population puis de proposer à plus ou moins long terme une solution d’hébergement. Pour ce faire, les enquêteurs mandatés par l’État, dont l’Association pour la condition féminine et aide aux victimes (Acfav), se donnent encore un mois. Face aux caillassages, les opérations se déroulent sous protection judiciaire.

Le dossier épineux du relogement « Je vis là depuis treize ans », déclare une passante, qui interpelle la présidente de l’Assemblée nationale qui vient de traverser. Cette native d’Anjouan fait partie de la centaine de personnes, vivant dans ces bangas. Pour le moment, 70 ont été interrogées, soit 21 familles. 13 % sont de nationalité française, 42 % de nationalité étrangère en situation légale et 42 % en situation illégale. « Mais on saura véritablement combien il y a de familles ici quand l’enquête sera déterminée », détaille Jérôme Josserand, à la tête de la direction de l’environnement et de la mer de Mayotte (Dealm). Les informations collectées (taille de la famille, situation administrative, scolarité des enfants) serviront aux services de l’État pour proposer des logements adaptés : une place en hébergement d’urgence de 21 jours maximum et/ou des logements temporaires pour les personnes en règle, entre trois et six mois.

« Il n’y a pas de foncier parce qu’il est occupé » « C’est un nœud humain », déroule la députée Estelle Youssouffa, pointant « l’absence de réalisme » de la part des juges par apport à l’offre du parc social à Mayotte « qui est quasiment inexistante malgré l’argent mis sur la table par l’État ». « Argent qui n’est pas

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dépensé, parce qu’il il n’y a pas de foncier. Il n’y a pas de foncier parce qu’il est occupé. » Pour le maire, cette visite de la présidente de l’Assemblée nationale et députée, est une façon de demander « son appui » dans le cadre de la loi Mayotte, promise dans les prochaines semaines, comme le rallongement du délai de constat de flagrance établi à 48 heures pour évacuer des personnes s’installant illégalement sur un

terrain alors que les habitats en tôles se créent « en moins de 24 heures ». Il compte également sur le projet d’opération d’intérêt national (OIN) sur les secteurs de Mamoudzou, Dembéni et Koungou, « les territoires les plus bidonvillisés », pour mettre en place « une batterie de moyens juridiques qui pourraient accélérer la libération du foncier et son aménagement ». Sur les 75.000 logements que compte l’île, 24.000 seraient des cases en tôle. . n

Les habitants, ici simplement des jeunes de passage, se fraient un chemin par la rivière pour rejoindre le village.

Le bidonville de Passamaïnty, sur les rives de la rivière Gouloué, abriterait une centaine de familles. Il s’agit d’une zone normalement non-habitable car présentant trop de risques d’inondations. En 2012, une famille avait ainsi été emportée.

Deux habitants du bidonville répondent à la présidente de l’Assemblée nationale. L’un d’eux, une Anjouanaise, y habite depuis treize ans.

Des défis multiples pour la souveraineté alimentaire En mairie de Bandrélé, la pièce était tout juste suffisamment grande pour accueillir les représentants du monde agricole mahorais. Vendredi, peu après 15h, Yaël Braun-Pivet s’y est installée, entourée du député Mansour Kamardine et du maire de la commune qui abrite un pôle agricole d’une superficie de vingt hectares, Ali Moussa Moussa Ben. En tant que présidente de la commission des Lois, elle s’était déjà intéressée à ce sujet, concluant en 2018, dans un rapport présenté à l’Assemblée nationale, que « l’agriculture [avait] un poids économique non négligeable » sur l’île, mais que son développement était « confiné », comme le reste de l’économie. Et même si, en l’espace de cinq ans, les exploitations agricoles se sont modernisées pour faire face à l’évolution démographique exponentielle de Mayotte, tendre vers une souveraineté alimentaire comporte encore « de multiples défis », a souligné Saïd Anthoumani, président de la Capam, lors de ce dernier moment d’échange. Un des premiers challenges à relever sera celui de la transmission. « Aujourd’hui, la moitié des agriculteurs inscrits à la Mutualité sociale agricole ont plus de 60 ans et n’ont pas engagé de démarches lors de la transmission de leurs exploitations », a-t-il expliqué. Des contre-exemples existent. Celui d’Assani Bouana Hidi, un jeune maraîcher qui, via un programme de l’Epfam (Établissement public foncier d'aménagement de Mayotte), a pu s’installer sur sa propre parcelle, en fait partie. A côté de sa principale activité, il cultive des bananes, élève des poules et s’est même récemment lancé dans une activité d’apiculteur. Le tout en utilisant exclusivement des biofertilisants, a-t-il rappelé, depuis son lieu d’exercice, à deux kilomètres de Bandrélé.

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UNE ÎLE EN TRAVAUX

SIAK

BOULEVARD URBAIN DE MAMOUDZOU

LE DÉBAT PUBLIC TERMINÉ, PLACE AU CHOIX DU TRONÇON LE PROJET DU BOULEVARD URBAIN DE MAMOUDZOU (BUM), QUI DOIT LONGER LA COMMUNE DE MAMOUDZOU PAR L’OUEST, SUIT SON COURS. LES DÉLAIS SONT TENUS POUR LE MOMENT ET LE PLAN DE FINANCEMENT SERA BOUCLÉ DANS LE COURANT DU MOIS DE MARS 2024 (VOIR ENCADRÉ). LE CONSEIL DÉPARTEMENTAL DE MAYOTTE, QUI EN EST LE MAÎTRE D’ŒUVRE, DOIT DÉSORMAIS METTRE SUR PIED UN GROUPE DE CONCERTATION CITOYENNE CHARGÉ DE DÉTERMINER LE MEILLEUR TRACÉ. Les travaux de la route de contournement de Mamoudzou par les Hauts, baptisé Boulevard urbain de Mamoudzou (BUM), démarreront bien en 2025 comme initialement programmés. La Commission nationale du débat public a rendu son rapport définitif au sujet de la démarche entamée en ce sens l'année dernière. Fait rare, elle a même distribué une note positive au conseil départemental de Mayotte sur la manière dont elle a mené le débat public sur ce projet en 2022, en présentiel et en mode dématérialisée. Elle constate que ce couplage a effectivement permis de toucher un maximum de citoyens et de recueillir leurs avis. Elle se satisfait aussi des dix-huit réunions de travail organisées en direction du public, des institutionnels, des services, des opérateurs économiques et des associations du territoire, notamment celles liées au secteur agricole impactées au premier plan par ce projet. En un mot, la Commission nationale du débat public (CNDP) reconnait au Département de Mayotte d’avoir largement respecter ses recommandations quant à la communication grand public préalable aux futurs travaux. Un constat qui permet à l'équipe technique chargée de ce dossier d'enclencher la phase suivante : la mise en place d'un groupe de concertation citoyenne. Ce dispositif n'intégrera ni les élus, ni les autres membres du comité de pilotage. Il réunira l'équipe technique, les entreprises, les particuliers, les associations (notamment les groupements agricoles) et les usagers de la route. L'objectif recherché à travers leurs échanges, le tracé de la voie (27 mètres de large) de contournement à partir des deux fuseaux déjà définis. Il y a de fortes chances que le tronçon priorisé soit celui des crêtes de Koungou en direction de Kawéni. C'est celui qui comporte le plus de zones protégées. Selon Jean-Michel Lehay, qui dirige l'équipe technique du conseil départemental, « le Département prévoit de se concentrer autant que possible sur les parties où il possède le plus de foncier dans le but de limiter au mieux les dépenses ». Le comité de pilotage du BUM devrait être convoqué dans le courant du mois de mars pour valider la mise en place de ce groupe de concertation citoyenne.

Deux tracés sont pour l’instant sur la table. Dès lors que le groupe de concertation citoyenne sera constitué, il devra choisir lequel est retenu.

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ÉVITER LE RAPPORT DE FORCE AVEC LES PROPRIÉTAIRES Le département de Mayotte prévoit de lancer dans la foulée onze procédures de déclaration d'utilité publique (DUP). JeanMichel Lehay se veut rassurant quant au bien-fondé de cette démarche. « Il ne faut pas y entrevoir forcément une envie d'engager un rapport de force avec les propriétaires des fonciers traversés par ce projet de BUM. Le Département veut clairement privilégier une approche à l’amiable soit par l’achat de parcelles, soit en échangeant de foncier. » Il explique que l'enclenchement de ces déclarations vont permettre de lancer trois marchés publics, dont une étude de trafic destinée à estimer le report de population entre le BUM et la route nationale. Une étude de topographie et géométrie est également nécessaire pour découper et borner les tronçons de foncier, le CD envisageant de contacter individuellement chaque propriétaire afin d'échanger ces parcelles par d'autres. « L'intérêt d'une telle procédure est d'éviter une perte de temps à chacune des parties. L'échange de terrains à valeur équivalente permettra à tout le monde d'y retrouver son compte en évitant la lourdeur d'une DUP », estime le responsable du projet BUM. Un autre marché public portera sur des études et des recherches. Il est dicté par l'importance de lacunes notées en matière d'approvisionnement de certains matériaux, très chers, parce que désormais en quantité limitée sur le territoire. La construction répondant aux standards métropolitains à Mayotte, il est envisagé de transformer directement sur place des matières premières disponibles sur place. Ce sera par exemple le cas pour des murs de soutènement de petite hauteur qui pourraient être réalisés avec des briques de terre compressée (en toute sécurité) à l'aide de moules spéciaux. Ce procédé est d'un intérêt non négligeable au regard des économies qu'il va générer sur le budget global alloué à la réalisation du BUM. Celui-ci peut, d'autant plus, être reproduit sur d'autres projets départementaux grâce à la détention de la propriété intellectuelle consécutive aux études à conduire sur l'adaptabilité de la latérite mahoraise à la conception de certains matériaux. En ce qui concerne la construction d'ouvrages d'art sur le tracé du BUM, des instructions formelles sont données pour qu'un pylône ne soit pas posé dans un cours d'eau. Mais d’abord, il faudra déterminer le tracé.

Le tronçon comportera quatre voies au total (2x2) et de larges trottoirs.

Le contournement passera par les hauteurs de Kawéni et rejoindra la Nationale 1 par Majicavo-Koropa.

UN PLAN DE FINANCEMENT QUASI BOUCLÉ Les services du Département de Mayotte assurent pouvoir finaliser le plan de financement du BUM dans le courant du mois de mars 2024. Les négociations financières engagées avec l'État portent sur un accord global de 299 millions d'euros, soit le déblocage de 135 millions d'euros (hors CCT), auxquels se rajouteraient 164 millions d'euros (FCTVA). Cet accord prévoit que le CD apporte une enveloppe de 100 millions d'euros (emprunt au titre de l'année 2026). De son côté, l'Union européenne s'engage (suite à une rencontre au Sénat en décembre dernier) à débloquer 700 millions d'euros via un mécanisme de financements spéciaux (hors Feder). Ces sommes seront divisibles en sept tranches annuelles à partir de 2025.

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LITTÉRATURE

LISEZ MAYOTTE

CINQ FEMMES (1/6)

AGRÉGÉ DE LETTRES MODERNES ET DOCTEUR EN LITTÉRATURES FRANCOPHONES, CHRISTOPHE COSKER EST L’AUTEUR DE NOMBREUX OUVRAGES DE RÉFÉRENCE SUR LA LITTÉRATURE DE L’ÎLE AUX PARFUMS, NOTAMMENT UNE PETITE HISTOIRE DES LETTRES FRANCOPHONES À MAYOTTE (2015) DONT IL REPREND, APPROFONDIT ET ACTUALISE, DANS CETTE CHRONIQUE LITTÉRAIRE, LA MATIÈRE. Nous souhaitons proposer ici aux lecteurs une série en six épisodes sur un recueil de nouvelles d’Abdou Salam Baco intitulé Cinq femmes. Il paraît en 2006 dans la maison d’édition Encres du sud - nom peut-être inspiré de la collection « Encres noires » des éditions L’Harmattan - sise à Marseille et liée à Salim Hatubou. Il s’agit du deuxième recueil de nouvelles l’auteur, après La Belle du jour, paru à La Réunion, en 1996, chez Grand Océan. Ce texte mettait en garde les Mahorais contre un certain nombre de sirènes, dont les femmes et les ailleurs. M a i s d a n s c e n o u ve a u re c u e i l , l e point de vue sur la femme change radicalement étant donné qu’elle n’est plus – ou pas au premier chef – objet de désir, mais narratrice. On indiquera que, dans la littérature francophone, le féminisme est un thème d’importance, à la fois peut-être en raison du statut plus subalterne encore de la femme dans nombre de pays du sud, mais aussi peut-être parce qu’elle est le chiffre qui permet de penser la condition de subalterne. Cette dernière intuition est confirmée par la première épigraphe du recueil, empruntée aux Chaînes de l’esclavage (1744) de Marat : « Quelquefois les plus petits ressorts font mouvoir les plus grandes chaînes. Le peuple ne s’attache qu’à l’écorce des choses, et souffre patiemment le joug, pourvu qu’il ne soit pas apparent. Aussi, dans les temps de mécontentement général, un jeu de mots suffit-il pour l’engager au sacrifice de sa liberté. » Dans cette citation qui émet, au XVIIIe siècle, un propos révolutionnaire qui réactive un certain nombre de thèses de l’essai de La Boétie De la servitude volontaire (1576), on ne trouve pas le mot « femme », preuve de la généralité du

propos sur la soumission. On ajoutera aussi qu’Abdou Salam Baco substitue, au mot « machines », le terme « chaînes », lapsus calami qui indique son objet de préoccupation. Ce recueil de nouvelles se présente comme un ensemble de tranches de vie, dans une perspective empreinte d e ré a l i s m e. M a i s l e b u t n ’ e s t p a s donner l’illusion de la vie réelle aux femmes des nouvelles. Il s’ag it davantage de proposer des situations vraisemblables et des personnages auxquels il est possible de s’identifier, ra i s o n p o u r l a q u e l l e l e s t i t re s d e s nouvelles sont des périphrases : - « La Femme qui avait des regrets » - « L a Fe m m e q u i n a v i g u a i t d a n s l e s profondeurs de l’abîme » - « La Femme qui croyait avoir trouvé le grand amour » - « La Femme qui était presqu’une amazone » - et « La Femme dans un monde de chimères ». Ces titres, conçus sur le même patron d’une proposition subordonnée relative qui définit la femme, annoncent les horizons d’attente du livre. Les deux premières nouvelles développent une approche psychologique qui renvoie à la conception de la littérature comme analyse des états de l’âme, sans doute ici négatifs, du regret vers la « dépression ». Le rôle secondaire de la femme est problématisé dans l’écart entre la nouvelle concernant la femme déçue par un homme et c e l l e q u i , é m a n c i p é e, s e r é f è r e à l’idéal féministe de l’amazone. Enfin, l a ch i m è re d e l a dernière nouvelle aurait pu être une figure féminine mythologique, mais le terme est ici utilisé dans le sens courant de l’illusion. Cette dernière nouvelle permet aussi de comprendre que, même si le narrateur

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est une narratrice, la femme n’est pourtant pas toujours au centre de ces nouvelles qui définissent son identité. Elle se retrouve assez souvent en position d’observatrice du monde des hommes, monde auquel elle participe plus qu’elle ne le détermine. Ces cinq femmes énigmatiques que nous nous apprêtons à suivre se nomment respectivement : Nary, Zayhatan, Sandy, Dominique – surnommée Fanta – et Touma. Mais nous indiquons que ces figures de premier plan constituent un peu comme les cinq arbres masquant une forêt de femmes qui sont autant d’amies, de sœurs ou de rivales pour les protagonistes, comme en témoigne la quatrième de couverture d’un ouvrage aujourd’hui difficile à trouver : « Nary, la trentaine, est une jeune femme qui vit avec le poids du remords parce qu’elle n’a pas su retenir son homme. Sandy, jeune fille pleine de rêves dans la

tête, se réveille un jour et découvre que celui qu’elle croyait être l’amour de sa vie est parti sans un au revoir ; alors, elle va faire ce qu’elle peut pour éviter à sa petite sœur Zali, de se brûler les ailes. Fanta, belle, chaleureuse et pétillante comme la boisson, est une jeune femme moderne et indépendante, mais elle paie au prix fort son indépendance d’esprit dans un monde de chimères… Cinq femmes mahoraises dans un univers régi par les hommes, à qui la religion donne tous les droits ou presque, y compris celui de briser des cœurs. Cinq femmes mahoraises qui, dans les profondeurs de l’abîme, prennent conscience, avec fracas, de leur condition de femme : elles évoluent dans un monde qui leur paraît bien stupide et insipide, justement parce que l’homme s’y donne une place à la mesure de sa mégalomanie. Alors, à divers titres, elles posent, sur une société en quête d’identité, un regard bien critique. » Christophe Cosker

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AVIS DE MARCHÉ - SERVICES

Organisme acheteur Ville de Koungou (976), Daourina ABDALLAH, Place de la Mairie, 97690 Koungou, FRANCE. Tel : +33 269614242. Fax : +33 269628675.E-mail : daourina. abdallah@koungou.fr. Adresse(s) internet Adresse générale de l'organisme acheteur : http://www.mairiekoungou.com/ Site du profil d'acheteur : https://www. marches-securises.fr Objet du marché Réalisation d'une étude d'impact environnemental et assistance à la gestion de la procédure Étude préalable ZAC Mavadzani Mouinajou Lieu d'exécution Commune de KOUNGOU 97610 KOUNGOU Caractéristiques Type de procédure : Procédure adaptée. Caractéristiques principales :

Voir le CCTP de ce marché Des variantes seront prises en considération : Non Division en lots : non Durée du marché ou délai d'exécution Durée en mois : 16 (à compter de la date de notification du marché). Date limite de réception des offres ou des demandes de participation Lundi 12 février 2024 - 16:00 Délai minimum pendant lequel le soumissionnaire est tenu de maintenir son offre Durée en mois : 120 (à compter de la date limite de réception des offres). Conditions relatives au marché Modalités essentielles de financement et de paiement et/ou références aux textes qui les réglementent Voir le CCAP Forme juridique que devra revêtir le groupement d'opérateurs économiques attributaire du marché Cf. Règlement de consultation Langues pouvant être utilisées dans l'offre ou la candidature autre que la langue française : Français. Unité monétaire utilisée : Euro. Justifications à produire quant aux qualités et capacités du candidat Documents à produire obligatoirement par le candidat, à l'appui de sa candidature : - Copie du ou des jugements prononcés, si le candidat est en redressement judiciaire (si ces documents ne sont pas déjà demandés

dans le cadre du formulaire DC2, ciaprès). - Déclaration sur l'honneur du candidat justifiant qu'il n'entre dans aucun des cas d'interdiction de soumissionner obligatoires prévus aux articles L. 2141-1 à L. 2141-5 ou aux articles L. 2141-7 à L. 2141-10 du code de la commande publique ou, pour les marchés publics de défense ou de sécurité, qu'il n'entre dans aucun des cas d'interdiction de soumissionner obligatoires prévus aux articles L. 2341-1 à L. 2341-3 ou aux articles L. 2141-7 à L. 2341-5 du code de la commande publique (si cette déclaration n'est pas déjà demandée dans le cadre du formulaire DC1, ciaprès) - Déclaration sur l'honneur du candidat attestant qu'il est en règle, au cours de l'année précédant celle au cours de laquelle a lieu le lancement de la consultation, au regard des articles L. 5212-1, L. 5212-2, L. 5212 5 et L. 5212-9 du code du travail, concernant l'emploides travailleurs handicapés (si cette déclaration n'est pas déjà demandée dans le cadre du formulaire DC1, ci-après). - Si le candidat est établi en France, une déclaration sur l'honneur du candidat justifiant que le travail est effectué par des salariés employés régulièrement au regard des articles L. 1221-10, L. 3243-2 et R. 3243-1 du code du travail dans le cas où le candidat emploie des salariés, conformément à l'article D.

8222-5-3° du code du travail) si cette déclaration n'est pas déjà demandée dans le cadre du Autres renseignements Numéro de référence attribué au marché par l'organisme acheteur Conditions et mode de paiement pour obtenir les documents contractuels et additionnels La transmission des documents par voie électronique est effectuée sur le profil d'acheteur du pouvoir adjudicateur, à l'adresse URL suivante : https://www.marchessecurises.fr/. Conditions de remise des offres ou des candidatures Voir le règlement de consultation Adresses complémentaires Adresse auprès de laquelle des renseignements d'ordre administratif peuvent être obtenus : DGA DU Mairie de KOUNGOU , à l'attention de Mme Astrée COUTANSON , 97610 KOUNGOU, FRANCE. E-mail : astree.coutanson@ koungou.fr. Adresse auprès de laquelle des renseignements d'ordre technique peuvent être obtenus : DGA DU , à l'attention de Mme Astrée COUTANSON , , FRANCE. E-mail : astree.coutanson@koungou.fr. Date d'envoi du présent avis 09 janvier 2024

AVIS D'ATTRIBUTION - SERVICES

DIRECTIVE 2014/24/UE Section I : Pouvoir adjudicateur I.1) NOM ET ADRESSES Ville de MTsangamouji (976), 1 place de la Mairie, 97600 M'tsangamouji, FRANCE. Tél. : +33 269621520. Fax : +33 269620021. Courriel : dgs@mairiedemtsangamouji. fr. Code NUTS : FRY50. Adresse(s) internet : Adresse principale :http://www. mairiedemtsangamouji.fr Adresse du profil d'acheteur : http:// www.marches-securises.fr I.2) PROCÉDURE CONJOINTE I . 4 ) T Y P E D E P O U VO I R ADJUDICATEUR Autorité régionale ou locale I.5) ACTIVITÉ PRINCIPALE Services généraux des administrations publiques Section II : Objet II.1) ÉTENDUE DU MARCHÉ II.1.1) Intitulé : Préparation et livraison de repas pour les écoles élémentaires et maternelles équipé de réféctoire dans la commune de M'tsangamouji II.1.2) Code CPV principal 55511000 II.1.3) Type de marché Services II.1.4) Description succincte

Préparation et livraison de repas en liaison froide pour les écoles de M'tsangamouji II.1.6) Informations sur les lots Division en lots : non_renseigne II.1.7) Valeur totale du marché 370900 euros II.2) DESCRIPTION II.2.2) Code(s) CPV additionnel(s) 55511000 II.2.3) Lieu d'exécution Code NUTS : FRY50 Lieu principal d'exécution : - Ecole élémentaire M'tsangamouji 1 - Ecole élémentaire M'tsangamouji 2 - Ecole élémentaire M'tsangamouji 3 - Ecole meternelle M'tsangamouji centre II.2.4) Description des prestations Préparation et livraison de repas pour les écoles élémentaires et maternelles équipé de réféctoire dans la commune de M'tsangamouji II.2.5) Critères d'attribution Prix II.2.11) Informations sur les options Options : non II.2.13) Information sur les fonds de l'Union européenne Le contrat s'inscrit dans un projet/ programme financé par des fonds de l'Union européenne : non II.2.14) Informations complémentaires Section IV : Procédure IV.1) DESCRIPTION IV.1.1) Type de procédure Procédure ouverte IV.1.3) Information sur l'accord-

cadre ou le système d'acquisition dynamique L'avis concerne l'établissement d'un accord-cadre IV.1.6) Enchère électronique Une enchère électronique sera effectuée : non IV.1.8) Marché couvert par l'accord sur les marchés publics (AMP) : oui I V. 2 ) R E N S E I G N E M E N T S D'ORDRE ADMINISTRATIF IV.2.1) Publication(s) antérieure(s) relatives à la présente procédure Référence de l'avis au JO : 2023/S187583459 du 28 septembre 2023 IV.2.8) Informations sur l'abandon du système d'acquisition dynamique IV.2.9) Informations sur l'abandon de la procédure d'appel à la concurrence sous la forme d'un avis de préinformation Le pouvoir adjudicateur n'attribuera aucun autre marché sur la base de l'avis de préinformation ci-dessus Section V : Attribution LOT : Attribué Intitulé : Préparation et livraison de repas pour les écoles élémentaires et maternelles équipé de réféctoire dans la commune de M'tsangamouji V.1) Informations relatives à une non-attribution V.2) Attribution du marché 11 décembre 2023 V.2.2) Informations sur les offres Nombre d'offres reçues : 1 Nombre d'offres reçues par voie électronique : 1 Le marché a été attribué à un

groupement d'opérateurs économiques : non V.2.3) Nom et adresse du titulaire PANIMA SAS, Numéro national d'identification : 06631017800018, Ironi Bé, 97660, Dembeni , FRANCE. Code NUTS : FRY50. Le titulaire est une PME : non V.2.4) Informations sur le montant du marché/lot Estimation initiale du montant : 370900 euros (Hors TVA). Valeur totale : 370900 euros V.2.5) Informations sur la soustraitance Section VI : Renseignements complémentaires VI.3) I N F O R M AT I O N S COMPLÉMENTAIRES VI.4) PROCÉDURES DE RECOURS VI.4.1) Instance chargée des procédures de recours Tribunal administratif de Mayotte Les Hauts du Jardin du Collège (rue de l'internat) , 97600 Mamoudzou FRANCE. Tél. +33 269611856. E-mail : greffe.ta-mayotte@juradm.fr. Fax +33 269611862. Adresse internet : http://mayotte.tribunal-administratif.fr/. VI.4.2) Organe chargé des procédures de médiation VI.4.3) Introduction des recours VI.4.4) Service auprès duquel des renseignements peuvent être obtenus concernant l'introduction des recours VI.5) DATE D'ENVOI DU PRÉSENT AVIS : 19 décembre 2023

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MAGAZINE D’INFORMATION NUMÉRIQUE HEBDOMADAIRE Edité par la SARL Somapresse au capital de 20 000 euros 7, rue Salamani Cavani M’tsapéré BP 60 - 97600 Mamoudzou Tél. : 0269 61 20 04 redaction@somapresse.com Directeur de la publication Laurent Canavate canavate.laurent@somapresse.com Directeur de la rédaction Mohamed El Mounir dit “Soldat” 0639 69 13 38 soldat@mayottehebdo.com Rédactrice en cheffe Raïnat Aliloiffa

# 1072

Couverture :

Le patrimoine culturel mahorais...

Journalistes Raïnat Aliloiffa Alexis Duclos Saïd Issouf Marine Gachet Direction artistique Franco di Sangro Graphistes/Maquettistes Olivier Baron, Franco di Sangro Commerciaux Cédric Denaud, Murielle Turlan Comptabilité Catherine Chiggiato comptabilite@somapresse.com Première parution Vendredi 31 mars 2000 ISSN : 1288 - 1716 RCS : n° 9757/2000 N° de Siret : 024 061 970 000 18 N°CPPAP : 0125 Y 95067 Site internet www.mayottehebdo.com

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