LE MOT DE LA RÉDACTION
COMME UN AIR DE DÉJÀ-VU Mayotte a traversé de nombreuses crises : celle de l’insécurité, celle de l’eau, celle de la vie chère, et celle de l’immigration qui s’éternise dans le temps. À chaque fois, les habitants sont descendus dans les rues pour manifester, mais les réponses du gouvernement n’ont pas toujours été à la hauteur des exigences de la population. Alors, lorsque les migrants africains venus de l’Afrique continentale ont érigé un camp sur le stade de Cavani à Mamoudzou, cela a été la goutte de trop pour les Mahorais. Le collectif des citoyens de Mayotte, soutenu par une partie de la population, a décidé de bloquer les axes stratégiques de tout le territoire afin de le paralyser. Et ça marche ! Les rues de la commune chef-lieu, n’ont jamais été aussi désertes. Beaucoup ne peuvent pas se rendre au travail. Les administrations ne sont pas en reste puisque certaines mairies ainsi que la préfecture sont également cadenassées. Cette situation nous ramène six ans en arrière, en 2018, lorsque l’île était bloquée durant presque deux mois par le collectif à cause de l’insécurité. Il y a comme un air de déjà-vu. Mais cette fois-ci, les manifestants n’ont pas l’intention de céder tant que le gouvernement ne prendra pas les mesures fermes qu’ils demandent. Le bras de fer ne fait que commencer. Bonne lecture à tous.
Raïnat Aliloiffa
TOUTE L’ACTUALITÉ DE MAYOTTE AU QUOTIDIEN Le premier quotidien de Mayotte Diffusé du lundi au vendredi, Flash Infos a été créé en 1999 et s’est depuis hissé au rang de 1er quotidien de l’île. Lu par plus de 12.000 personnes chaque jour, Flash infos vous permet de suivre l’actualité mahoraise (politique, société, culture, sport, économie, etc.) et vous offre en plus un aperçu de l’actualité de l’Océan Indien et des Outremers.
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les 82 chambRes de l’hôtel ibis style livRées
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tchaks CARTE DES BARRAGES DE CE JEUDI Les barrages sur l’île ne faiblissent pas, bien au contraire. Chaque jour, de nouveaux apparaissent, ils prennent forme et empêchent la circulation des automobilistes.Voici une carte qui recense tous les lieux de blocage en date du 25 janvier, mais elle est susceptible d’évoluer au fil des jours.
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DES BOUTEILLES D’EAU ENVOYEES A LA REUNION Le cyclone Belal qui est passé chez nos voisins Réunionnais a fait de nombreux dégâts. L’île s’en remet petit à petit, mais en attendant elle a besoin de la solidarité nationale. C’est la raison pour laquelle « la Cellule interministérielle de crise (CIC) placée auprès du premier ministre, le préfet de la Réunion et le préfet de Mayotte ont choisi ensemble d'orienter vers la Réunion un bateau, à l'origine destiné à Mayotte, sans impact sur les distributions dans notre département. », annonce la préfecture du 101ème département. Le gouvernement fait jouer la solidarité nationale, puisque l’île Bourbon avait grandement aidé Mayotte en produisant tous les 15 jours 800 000 litres d'eau à destination de l’île aux parfums, depuis septembre 2023.
Zily sera aux prochaines Francofolies de La Réunion Zily (photo Mayan'art Studio) continue de marquer l’océan Indien de son empreinte. Du 3 au 8 septembre 2024, la scène de la clairière à la Saline-les-bains, à Saint Paul, accueillera au total quinze artistes à l’occasion de la septième édition du festival Francofolies. Parmi eux, la célèbre et talentueuse Zily (programmée le vendredi 6). L’artiste emblématique de la musique mahoraise fera vibrer la scène comme à son habitude avec les rythmes traditionnels mahorais aux sonorités électroniques. « J’ai hâte de retrouver ce public qui a été tellement incroyable lors de ma première scène réunionnaise, au Sakifo, l’année dernière… Je vais tout faire pour être à la hauteur, cette année encore !». C’est ainsi que la chanteuse Zily a accueilli la nouvelle de sa programmation au festival des Francofolies de La Réunion.
Une journée de sensibilisation aux cancers à Musicale plage Cancer du sein, du col de l’utérus et de la peau, le centre régional de coordination des dépistages des cancers de Mayotte (CRCDC Mayotte) co-organise une journée d’information, de sensibilisation et de dépistage le 3 février, la veille de la journée mondiale contre le cancer. Plusieurs professionnels de santé interviendront pour en discuter : dermatologue, médecin et sage-femme. Un camion permettra de réaliser un dépistage sur place avec frottis et de palpations. Ces moments d’information seront entre-coupés d’activités ludiques telles que des tournois de beach-foot, de chasse aux trésors ou encore de tir à la corde. Toute la population est invitée à venir, de 9 heures à 15 heures, à Musicale plage, dans la commune de Bandrélé.
LU DANS LA PRESSE
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«LA SITUATION NE PEUT PLUS DURER» : MAYOTTE EN PARTIE BLOQUÉE PAR DES HABITANTS EN COLÈRE Par Jéromine Doux, publié sur Ouest-France le 22/01/2024
Plusieurs axes routiers ont été bloqués par un collectif de citoyens et des habitants ce lundi 22 janvier 2024. Des barrages empêchant de nombreux automobilistes de se rendre au travail ou d’emmener leurs enfants à l’école. Et obligeant certains établissements scolaires à fermer leurs portes. Entre les villages de Sada et de Chiconi, à l’ouest de Mayotte, les voitures à l’arrêt s’entassent sur des kilomètres ce lundi 22 janvier 2024. Au niveau du carrefour qui dessert le centre et le sud de l’île, des bennes à ordures, des pneus entassés et des branches d’arbres paralysent la circulation. « La plupart des Mahorais ne ressentent pas la douleur de cette île, peste Mohamed (prénom d’emprunt), membre du collectif des citoyens de Mayotte 2018, qui lutte notamment contre l’immigration. On s’est dit qu’il valait mieux bloquer toute l’île. » À ses côtés, une cinquantaine d’habitants s’assurent qu’aucun véhicule ne traverse le barrage. Marie (prénom d’emprunt), soignante au dispensaire de Kahani, s’est retrouvée bloquée en sortant du travail. Mais cette habitante de Sada soutient le mouvement. Pour elle, « la situation ne peut plus durer. » « On n’en peut plus de l’insécurité. La haine des habitants monte. Ça sera bientôt la guerre civile », lâche-t-elle.
Selon la soignante du dispensaire, « tous les jours, on voit des personnes blessées à cause des agressions. Récemment, un homme s’est fait couper le doigt alors qu’il était en train de donner son téléphone à son agresseur. » Pour exprimer leur colère, les membres du collectif, rejoints par des habitants, ont également érigé des barrages à Combani et Tsingoni, au centre de l’île, mais aussi à Mtsangamouji et Dzoumogné, au nord, ainsi qu’à Mramadoudou, dans le Sud. Des points « stratégiques, notamment dans l’Ouest », précise Olivier Casties, commandant en second de la gendarmerie de Mayotte. « Nous discutons avec les manifestants pour rétablir la circulation et permettre aux gens de se rendre au travail et aux enfants d’aller à l’école », poursuit le militaire qui précise « qu’aucune violence n’a été signalée », en milieu de matinée.
« Nos enfants ont peur »
À Chiconi, pourtant, impossible pour les véhicules de passer. « On n’ira pas travailler aujourd’hui », lance Sarah*, qui rebrousse chemin après être descendue de sa voiture pour négocier son passage. « Pourquoi bloquer toute l’île ? Allonsnous nous autosanctionner ?, s’agace de son côté un automobiliste souhaitant rester anonyme. On ne peut pas emmener nos enfants à l’école, je ne veux pas qu’ils deviennent des délinquants par manque de cadre au quotidien. » Dans ce contexte, certains établissements scolaires ont fait le choix de
Initiés par le collectif des citoyens de Mayotte 2018, les blocages visent d’abord à protester contre les violences. « Cela fait déjà plusieurs années que ça dure, nos enfants ont peur. Quand ils partent à l’école, on ne sait même pas comment ils vont rentrer. On voit désormais des armes à feu circuler sur le territoire, certains s’en servent pour commettre des meurtres, jusqu’où ça va aller ? », questionne un habitant de Chiconi, souhaitant rester anonyme.
Des établissements scolaires fermés
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fermer leurs portes. « Le collège d’Ouangani est fermé pour la journée », indique un des enseignants de l’établissement. « Celui de Sada également », assure un manifestant. Au-delà de l’insécurité, les membres du collectif des citoyens de Mayotte 2018 demandent l’expulsion des réfugiés d’Afrique des Grands lacs, installés dans un campement de fortune autour du stade de Cavani, à Mamoudzou. Un camp à l’origine de « troubles », selon eux. Dimanche matin, près de 300 manifestants s’étaient réunis sur place pour demander son démantèlement, déjà promis par Gérald Darmanin, le
ministre de l’Intérieur, à l’occasion de son déplacement à La Réunion, le 17 janvier. Des annonces qui n’ont toutefois pas calmé la colère des membres du collectif. « Cela fait deux semaines qu’on proteste contre ce camp et rien n’est fait, s’agace Mohamed. La majorité des Mahorais laisse faire, nous étions trop peu nombreux dimanche. C’est d’ailleurs pour cela que nous avons décidé de bloquer l’île aujourd’hui. » Certaines mairies du territoire ont également été bloquées, comme celle de Mramadoudou, dans le Sud. Mardi 16 janvier, sept hôtels de ville avaient déjà fait l’objet de blocage par le collectif des citoyens de Mayotte 2018, pour protester contre l’immigration.
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L’université de la discorde LORS DE SA VISITE À MAYOTTE EN DÉCEMBRE DERNIER, L’ANCIENNE PREMIÈRE MINISTRE ELISABETH BORNE, AVAIT PROMIS AUX MAHORAIS UNE UNIVERSITÉ DE PLEIN EXERCICE DÈS LE 1ER JANVIER 2024. MAIS IL S’AGIT EN RÉALITÉ D’UN INSTITUT NATIONAL UNIVERSITAIRE (INU), APPELÉ « UNIVERSITÉ DE MAYOTTE » ET LES AVIS À CE SUJET SONT MITIGÉS. SI LE GOUVERNEMENT Y VOIT LÀ UNE OPPORTUNITÉ POUR MAYOTTE D’ÉVOLUER, LES ÉTUDIANTS, ET LES ENSEIGNANTS NE SONT PAS DU MÊME AVIS. CES DERNIERS ESTIMENT AVOIR ÉTÉ BERNÉS ET NE VEULENT PAS DE CE STATUT INTERMÉDIAIRE.
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DOSSIER
Propos recueillis par Raïnat Aliloiffa
INTERVIEW
THOMAS M’SAÏDIÉ : « NOUS AVONS ENCORE UNE FOIS ÉTÉ BERNÉS »
DEPUIS LA PUBLICATION DU DÉCRET N° 2023-1356 DU 29 DÉCEMBRE 2023, LE CENTRE UNIVERSITAIRE DE FORMATION ET DE RECHERCHE (CUFR) DE DEMBENI EST DEVENU UN INSTITUT NATIONALE UNIVERSITAIRE DÉNOMMÉ « UNIVERSITÉ DE MAYOTTE ». IL NE S’AGIT DE L’UNIVERSITÉ DE PLEIN EXERCICE TANT VOULU PAR THOMAS M’SAÏDIÉ. LE MAÎTRE DE CONFÉRENCES HDR EN DROIT PUBLIC ESTIME QUE LE STATUT DE L’INU EST UNE TRAHISON DE LA PART DE L’ETAT. DANS CETTE INTERVIEW IL EXPRIME SA COLÈRE ET NOUS ÉCLAIRE SUR LA STRATÉGIE À ADOPTER SELON LUI.
Mayotte Hebdo : Le CUFR de Dembéni a changé de statut et est devenu un Institut National Universitaire dénommé « Université de Mayotte ». Expliqueznous ce que cela signifie. Thomas M’Saïdié : Cela signifie clairement que nous avons encore une fois été bernés malgré mes nombreux appels à la vigilance, un peu comme lors de la départementalisation. Oui, il s’agit bel et bien d’un Institut National Universitaire (INU) déguisé en université de plein exercice, établi par décret n° 2023-1356 du 29 décembre 2023. Les autorités centrales, à l’instar de la Première ministre et de la ministre de l’enseignement supérieur (avant le remaniement du début d’année), ont donc menti à la population la plus en souffrance, la plus abandonnée de la République en affirmant que Mayotte aurait son université de plein exercice. Or, comme je l’ai dit à de multiples reprises au point d’en perdre la voix, nous héritons d’un statut hybride. La dénomination « Université de Mayotte » n’empêche pas l’exclusion de notre établissement du périmètre des universités, dans lequel sont pourtant incluses toutes
les autres universités ultramarines. La Première ministre lors de son passage à Mayotte le 8 décembre 2023 a donc menti aux Mahorais. Quel mépris pour notre île ! Nous avons souvent entendu ces derniers temps l’argument phare avancé par les chantres de cette mascarade selon lequel, comme l’ « Université de Mayotte » est un EPSCP (établissement public à caractère scientifique, culturel et professionnel), cela ferait d’elle une université de plein exercice. C’est faux. En effet, il résulte de la lecture des dispositions de l’article D. 711-2 du code de l’éducation que la soumission de l’établissement dénommé « Université de Mayotte » au régime d’EPSCP ne lui confère pas ipso facto le statut d’université au sens du même code. Il demeure régi par le statut d’institut et d’école extérieurs aux universités fixé par les articles L. 715-1 à L. 715-3 dudit code. Affirmer que l’université de Mayotte peut délivrer elle-même ses diplômes, est fort juste (avec des restrictions toutefois), mais c’est le propre même d’un EPSCP. Cependant au sein des EPSCP, il y a les établissements bénéficiant du statut d’université (là où sont classées toutes les
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« LA PREMIÈRE MINISTRE LORS DE SON PASSAGE À MAYOTTE A MENTI AUX MAHORAIS » universités y compris les universités ultramarines), et il y a aussi « les instituts et les écoles ne faisant pas partie des universités » (là où est désormais rangée l’université de Mayotte, seul établissement ultramarin). Maintenant que le mal est fait, les plus hauts fonctionnaires de la République vont déployer une énergie considérable pour nous faire comprendre que ce que Paris a choisi est le mieux pour nous. Mais à travers les affirmations du Recteur, qui a admis qu’il s’agissait d’un INU, l’État reconnaît enfin qu’il a menti aux Mahorais. M.H : Qu’est-ce que cela change pour les étudiants et les enseignants ? T.M : En l’état actuel des choses, il n’y a aucun changement notable pour les étudiants et les enseignants. Leurs difficultés demeurent intactes,
car le nouvel établissement n’est pas accompagné de moyens matériels et financiers. C’est fort dommage, car tandis que le nombre d’étudiants augmente de 2,3 % au niveau national, à Mayotte – la plus grande maternité de la France et de l’Europe – ce nombre augmente de plus de 10 % : ces chiffres démontrent clairement que les investissements pour assurer les missions de service public de l’enseignement supérieur à Mayotte ne sont pas en phase avec les évolutions des effectifs, ils sont très largement en dessous des véritables besoins des étudiants. Pour qu’il y ait un vrai changement, il faut des investissements conséquents permettant de répondre aux besoins des étudiants, qui n’ont actuellement ni restauration universitaire, ni espace étudiant, ni locaux pédagogiques suffisants, ni bibliothèque universitaire, ni personnel enseignant et administratif en nombre suffisant… Et pour le personnel, du fait d’un manque criant d’espace, les locaux de certains collègues sont très exigus, et largement en dessous des référentiels du ministère. Cette situation est une source supplémentaire de mal être au travail. M.H : Est-ce que cela signifie que vous ne serez plus rattachés aux universités de métropole ou de La Réunion ? T.M : Si, en théorie, l’INU peut délivrer ses propres diplômes pour lesquels il aura obtenu une accréditation,
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en pratique, rien ne changera vraiment, du fait du manque de compétences, de laboratoires, de professeurs des universités et donc de moyens alloués à l’établissement. Pour faire simple, l’inféodation de l’INU aux universités partenaires, telles que l’université de La Réunion ou de Nîmes demeurera inchangée. Notre établissement délivrera des diplômes conjointement avec d’autres universités. Les textes le permettent, l’établissement le souhaite et tout le monde est heureux ! M.H : Vous souhaitiez une université de plein exercice, finalement on est sur un statut intermédiaire. Est-ce une réussite ou un échec selon vous ? T.M : Le fait que tout le monde institutionnel voie désormais le verre à moitié plein au lieu de voir qu’il est toujours plutôt vide devrait nous alerter… La population, les élus de Mayotte ont demandé une université de plein exercice sans statut intermédiaire. Nous avons demandé une chose et l’État nous en a imposé une autre. Il est manifeste que ce nouveau statut n’emporte pas la satisfaction, puisque rien ne changera vraiment, malgré ce qu’on veut nous faire croire. Il faut d’ailleurs ajouter que, face à l’État, les élus mahorais n’ont pas défendu le projet d’une université de plein exercice avec conviction en émettant un avis réservé au projet d’INU qui leur a été soumis le 2 octobre 2023. Ce statut transitoire aurait pu ne pas susciter de vives émotions, d’une part, si
« L’ACCOMPAGNEMENT DE L’ÉTAT DOIT ÊTRE PLUS IMPORTANT » l’État n’avait pas tenté de le maquiller en université de plein exercice pour mieux tromper les Mahorais, et d’autre part, s’il avait défini un calendrier précis à l’issue duquel notre établissement aurait évolué en université de plein exercice, le temps de nous accompagner matériellement, humainement et financièrement de manière à pouvoir développer les compétences d’une université de plein exercice. Mais, c’est factuel, ce choix honnête n’est pas celui fait par le Gouvernement, qui a préféré la fourberie et le mépris.
Cette circonstance justifie le rejet de ce statut, cela d’autant plus que le décret du 29 décembre 2023 ne contient aucune mention laissant penser qu’il s’agirait d’une étape intermédiaire utile au passage à l’université de plein exercice. Si étape intermédiaire il y a, elle ne résulte que, d’une part, d’une opération interprétative, et d’autre part, d’une affirmation politique. En d’autres termes, le gouvernement pourrait tout aussi bien dire demain : « Vous avez déjà une université, il n’y a plus lieu d’évoquer la question de l’évolution institutionnelle de l’établissement ». Est-ce là une réussite ? M.H : Pourquoi n’est-on pas passé directement à une université de plein exercice ? T.M : La seule raison pour laquelle nous ne sommes pas directement passés à une université de plein exercice est d’ordre budgétaire. Et cela s’inscrit dans une logique gouvernementale qui choisit systématiquement de sous-doter Mayotte. À titre d’exemple, le budget de l’Université de La Réunion de l’année 2023 est de 161 millions d’euros, quand celui de l’INU risque d’être d’un peu plus de 6 millions d’euros si l’on se réfère à l’exemple de l’INU Champollion métropolitain dont notre établissement s’inspire. Par ailleurs, il ne saurait être reproché à l’établissement de ne pas donner toutes les garanties permettant à l’État de se montrer plus ambitieux. Il est malvenu de reprocher à l’établissement de ne pas consommer le peu de moyens alloués alors qu’en raison des arbitrages qui se font au ministère, nous ne disposons pas du nombre de personnels qualifiés susceptibles de monter les projets d’envergure. Et puis il y a la question patrimoniale, qui constitue une préoccupation majeure, tant le développement de notre établissement est conditionné à sa résolution. Lors des dernières élections du CUFR, notre équipe avait pour projet une université de plein exercice localisée sur un autre espace permettant son développement ; le maintien du CUFR sur la commune de Dembéni, vu l’exiguïté des locaux, ne permet pas le développement qu’exige la population estudiantine actuelle. Nous sommes condamnés à mettre des cautères sur une jambe de bois… M.H : Dans les autres régions françaises, les universités impulsent des dynamiques
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économiques, qu’en sera-t-il de celle-ci ? Comment procéder pour faire de cet instrument un vrai levier du rayonnement de Mayotte dans la région du Canal de Mozambique ? T.M : Le CUFR en devenant un INU n’impulsera strictement rien, alors qu’en devenant une vraie université de plein exercice disposant des moyens adéquats, il aurait pu, grâce à son prestige, attirer tous les talents de la zone de l’océan Indien. Notre position géostratégique pourrait faire de notre établissement une université de l’océan Indien. Cela permettrait de passer de nombreux partenariats avec les pays de la zone, autres que les Comores. Les retombées seraient considérables. Par exemple, un vrai campus universitaire à Mayotte serait un atout efficace pour notre développement. Il permettrait de rendre notre île plus attractive pour les étudiants de la zone et pour les professeurs des universités, ce qui favoriserait le développement de la recherche. Il contribuerait au rayonnement de la France et de l’Europe par un enseignement et une recherche de qualité au sein d’une vraie université de plein exercice.
« FACE À L’ÉTAT, LES ÉLUS MAHORAIS N’ONT PAS DÉFENDU LE PROJET D’UNE UNIVERSITÉ DE PLEIN EXERCICE AVEC CONVICTION » M.H : Mayotte est-elle prête à avoir une université de plein exercice ? Les conditions sont-elles réunies pour ça ? T.M : Cette manière de présenter la situation ne peut être bénéfique à Mayotte. Si les moyens nécessaires à la création d’une université de plein exercice ne sont pas alloués, comment l’établissement pourrait-il y parvenir ? La mise en place d’une université de plein exercice relève avant tout d’une question de volonté politique. D’elle découlera une dotation patrimoniale et financière qui permettra à Mayotte de relever la tête.
Ceux qui ont mis en place le statut d’INU considèrent que Mayotte n’est pas prête à accueillir une structure telle qu’une université, tout en sachant que l’État ne voulait pas donner les moyens à notre territoire de développer son système universitaire. De fait, pratiquement, la montée en compétence dont on nous rebat les oreilles depuis des années est plutôt insignifiante au regard des véritables enjeux. Quand on accuse quelqu’un de n’être pas prêt, de façon à masquer un manque de volonté politique, sans jamais lui donner les moyens, celui-ci ne sera jamais prêt. En réalité, il s’agit d’une méthode classique consistant à entretenir le sous-développement de notre territoire, qu’on accuse trop souvent de manquer d’ingénierie, alors que nous débordons de talents qui n’attendent qu’à contribuer au développement de la France. Ainsi, il manque une véritable politique patrimoniale. Depuis des années, nous nous développons par bouts de chandelle, en réparant ce qui existe et en ajoutant des préfabriqués, eux-mêmes insuffisants. Par exemple, les cohortes de plus de 70 étudiants sont nombreuses, et il est impossible de trouver des salles suffisamment grandes. Il manque un vrai CROUS (restauration, logement), une vraie bibliothèque universitaire, une vraie salle informatique dédiée à l’étude et un vrai campus. Tous ces faibles investissements et cette politique faussement volontariste ne répondent absolument pas aux besoins réels des étudiants de Mayotte, toujours plus nombreux, ni dans l’offre matérielle, ni dans l’offre de formation. M.H : Est-ce que ce changement de statut est accompagné des dotations financières nécessaires pour ce type d’établissement ? T.M : Selon les données du ministère de l’Enseignement supérieur et de la recherche, la dépense moyenne par étudiant en 2021 est de 11.630 euros. Au CUFR, ce chiffre est de 1.500 euros ! Ces chiffres parlent d’eux-mêmes, tant l’écart est significatif. En étant un INU, les dotations ne vont pas augmenter, ou de façon peu probante en étant toujours en dessous de la moyenne nationale. M.H : Qu’est-ce qu’il faudrait ? T.M : La construction d’une université nécessite au minimum 200 millions d’euros. C’est ce dont Mayotte a actuellement besoin pour développer tout son système universitaire. Il s’agit donc d’un investissement significatif que l’État n’est pas prêt à faire. Et pour faire passer la pilule, il nous donne des miettes et appelle l’INU « Université de Mayotte » pour tromper la vigilance des Mahorais et des élus. L’établissement sis à Dembéni n’est plus adapté aux besoins du territoire car nos capacités d’accueil sont particulièrement limitées alors que les dotations sont notamment fonction des effectifs. C’est un cercle vicieux…
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DOSSIER
« LE NOUVEL ÉTABLISSEMENT N’EST PAS ACCOMPAGNÉ DE MOYENS MATÉRIELS ET FINANCIERS »
M.H : Pensez-vous qu’avec cet INU Mayotte pourra avoir un CHU ?
du code de l’éducation lues en combinaison avec celles du code de la santé publique sont particulièrement claires : seule une université peut conclure une convention avec un CHU. C’est d’ailleurs le président de l’université et non un directeur, dénommé président de l’université de Mayotte, qui se voit confier la mission d’approuver toute convention avec un CHU, à charge pour le Conseil d’administration de l’université de la voter. Pourtant la transformation du CHM en CHU serait un atout indéniable pour notre île, en ce qu’elle permettrait au plus grand désert médical de la République de pouvoir se doter d’une faculté de médecine de plein exercice, offrant aux étudiants mahorais la possibilité de suivre le deuxième cycle de médecine sur leur territoire. C’est exactement ce que le gouvernement a proposé à la Guyane et aux Antilles en les dotant de facultés de médecine de plein exercice dès la rentrée 2022-2023. Sur ce point, La Réunion est très en avance.
T.M : Soyons clairs : sans université de plein exercice, pas de CHU. Autrement dit, pour qu’il y ait un CHU à Mayotte, il faut que notre île soit dotée d’une université de plein exercice. Notre CHM restera ainsi sans davantage de moyens et de possibilité d’évolutions académiques. Les dispositions
Comme j’ai pu l’écrire dans Flash infos (FI n° 5189 Lundi 21 mars 2022), de manière générale, les autres territoires de la République sont soutenus dans leur désir de développement, tandis que les mêmes opportunités sont refusées aux Mahorais. Devrions-nous donc nous contenter de
Si nous n’étions pas le mal-aimé, le parent pauvre de la République, l’État investirait dans des infrastructures dignes de ce nom pour pouvoir accueillir davantage d’étudiants. Et ce n’est que comme cela que nous pourrions obtenir des dotations plus importantes nous permettant d’être plus ambitieux, de répondre aux vrais besoins du territoire et surtout de nous positionner dans notre région comme l’université de l’océan Indien.
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ce que le gouvernement est disposé à nous offrir, peu importe si cela est en totale inadéquation avec nos besoins, sans manifester une quelconque désapprobation ? Malheureusement, si on a l’audace de s’opposer ou de dire que tel ou tel projet n’est pas en adéquation avec les réalités mahoraises, le gouvernement ou ses agents déconcentrés font du chantage. En l’espèce, on nous dit : c’est une opportunité pour Mayotte, il faut l’accepter car si vous n’acceptez pas, le gouvernement ne vous proposera plus rien. On l’a vu et entendu lors du projet de loi relatif au développement accéléré de Mayotte, qui a été rejeté par les élus à l’unanimité. Ce chantage est d’autant plus scandaleux que nous sommes la population la plus abandonnée, la plus maltraitée, la plus démunie de la République. Ces méthodes de féodalité d’un autre temps, qui ne pourraient être appliquées nulle part ailleurs sur le territoire de la République sans susciter une vive réaction, sont inacceptables et doivent cesser. Mayotte, le seul territoire de la République, la seule région européenne où la part des jeunes est la plus significative (60% de la population estimée à 400 000 habitants a moins de 20 ans), a plus que jamais besoin de son université de plein exercice. M.H : Maintenant que l’INU est là, que faire ? T.M : Il faut déjà que ceux qui sont à l’origine de cette mystification cessent leurs affirmations controuvées et assument leur œuvre : cela permettra d’avancer, sans quoi nous resterons dans l’autosatisfaction. Puis
il faut veiller à ce que l’établissement d’enseignement supérieur de Mayotte soit en capacité de répondre à l’évolution constante du nombre de bacheliers du territoire, au regard de la croissance démographique. Pour ce faire, il conviendra de développer une politique patrimoniale d’ampleur, sans laquelle rien ne peut aboutir, ni les recrutements, ni les formations. Ce faisant, l’accompagnement de l’État doit être plus important. Afin d’éviter que ce statut hybride demeure éternel, les élus doivent négocier un plan d’investissement, un calendrier sur l’accompagnement à l’évolution de l’université pour les années à venir. Un calendrier clair des investissements sur le financement de différents projets immobiliers doit également être établi. L’université constitue toujours un élément majeur de la dynamique d’un territoire. Elle a un impact considérable sur le développement local. Mais le développement de l’enseignement supérieur de l’île n’est pas une affaire qui doit être réglée seulement par l’État ; l’enseignement supérieur ne peut se concevoir sans l’implication des acteurs socio-économiques et institutionnels locaux. En effet, les acteurs locaux et les collectivités locales doivent également s’impliquer dans des investissements exceptionnels liés au développement des infrastructures. Il ne saurait y avoir un développement des cycles primaires et secondaires sans le développement de l’université. Ensemble, nous devons construire l’université de Mayotte, la vraie, qui doit être un levier pour le développement de notre île.
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DOSSIER
Marine Gachet
INTERVIEW
ABAL-KASSIM CHEIK AHAMED : « L’UNIVERSITÉ DE MAYOTTE, AUJOURD’HUI, EXISTE »
LE PRÉSIDENT DE L’UNIVERSITÉ DE MAYOTTE, ABAL-KASSIM CHEIK AHAMED, REVIENT SUR LE NOUVEAU STATUT DE SON ÉTABLISSEMENT. POUR LUI, LE PASSAGE DE CENTRE UNIVERSITAIRE DE FORMATION ET DE RECHERCHE (CUFR) À ETABLISSEMENT PUBLIC À CARACTÈRE SCIENTIFIQUE, CULTUREL ET PROFESSIONNEL (EPSCP) OFFRE DE NOUVELLES OPPORTUNITÉS. IL ESTIME QUE LE STATUT D’INSTITUT NATIONAL UNIVERSITAIRE (INU), CRITIQUÉ PAR CEUX QUI AURAIENT SOUHAITÉ UNE UNIVERSITÉ DE PLEIN EXERCICE, PERMET DE JOUER À JEU ÉGAL AVEC LES AUTRES ÉTABLISSEMENTS D’ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR.
Mayotte Hebdo : Qu’est-ce que le passage de Centre universitaire de formation et de recherche (CUFR) à Etablissement public à caractère scientifique, culturel et professionnel (EPSCP) va concrètement changer ? Abal-Kassim Cheik Ahamed : La transformation institutionnelle nous offre des opportunités car nous aurons la possibilité de porter l’accréditation de nos propres diplômes, donc délivrer nos propres diplômes. Des diplômes qui, demain, porteront le nom de l’université de Mayotte. Nous aurons la possibilité de créer des instituts ou écoles internes comme des écoles d’ingénieur, des Instituts universitaires de technologie (IUT), des Instituts d’administration des entreprises (IAE). Nous aurons la possibilité de créer un laboratoire et un centre de recherche. Mais avoir la possibilité ce n’est pas « réaliser », il faut maintenant qu’on soit dans la mise en œuvre de ces projets. Tous les acteurs
« LE PASSAGE À L’UNIVERSITÉ DE MAYOTTE A ÉTÉ SALUÉ À L’ÉCHELLE DE LA RÉGION » doivent se réunir pour réfléchir ensemble et s’entraider dans ce but. M. H. : Des étudiants et professeurs critiquent le nouveau statut d’institut national universitaire (Inu), qui, selon eux, ne va pas permettre d’avoir les mêmes avantages qu’une université de plein exercice. A.-K. C. A. : Il n’y a pas un statut mieux que l’autre. Aujourd’hui on a le même statut que tous les établissements
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« AUJOURD’HUI ON A LE MÊME STATUT QUE TOUS LES ÉTABLISSEMENTS D’ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR » d’enseignement supérieur. C’est seulement une différence au niveau de l’organisation. Aujourd’hui, l’Etablissement public à caractère scientifique, culturel et professionnel (EPSCP) nous ouvre toutes les opportunités que d’autres établissements ont. Nous avons toutes les missions de l’enseignement supérieur. La vraie question est quelle sont les opportunités que ce statut nous offre pour répondre aux enjeux du territoire ? Aujourd’hui l’Université de Mayotte est une vision. Celle d’un établissement ancré sur le territoire et au service de la région. Nous avons une ambition et une seule : celle de Mayotte. J’espère que l’ensemble du territoire va s’engager dans un développement concerté pour pouvoir offrir à nos étudiants une formation de qualité. L’Université de Mayotte, aujourd’hui, existe, et nous allons ensemble accompagner les projets structurants de notre île. Ce sont nos actions individuelles et collectives qui nous permettrons d’avancer, pas nos déclarations. Le passage à l’université de Mayotte a été salué à l’échelle de la région, en Tanzanie, à Madagascar et au niveau national, il n’y a que nous qui nous posons des questions pour savoir si nous sommes une université, alors que nous le sommes pleinement. Les autres sont convaincus que nous sommes un établissement qui joue à jeu égal avec les autres. M. H. : Mais ce statut ne permet pas d’accéder aux mêmes financements. A.-K. C. A. : Les financements ne dépendent pas de ce statut. Si on se met au travail et qu’on va chercher les financements, je suis convaincu que nous aurons les moyens de construire notre université avec la région, les acteurs de la collectivité, les acteurs économiques. Nous, ce qui nous importe c’est que les étudiants puissent avoir un parcours réunissant les conditions pour leur réussite. Quand on parle de transport scolaire, quand parle de logement, de bourses, ce sont des vraies questions. Les logements et les bourses ne dépendent pas de l’université mais l’université est vigilante pour que le Crous puisse apporter ces réponses. Il faut mettre en place des projets pour que les étudiants puissent avoir des conditions d’étude acceptables. Et ça, ce n’est pas une question de statut, c’est le travail que nous allons collectivement mettre en place, car ce n’est pas l’université qui a la compétence du transport et du foncier. Donc il y a tout un travail de concertation qu’on doit continuer. Nous devons travailler pour avoir une offre de formation cohérente sur le territoire, pour avoir de la recherche
Abal-Kassim Cheik Ahamed lors de son discours d’accueil des étudiants à la rentrée 2023/2024. Image d’archive.
« IL FAUT QUE L’ON POSE LES FONDATIONS QUI VONT NOUS PERMETTRE D’AVOIR UNE UNIVERSITÉ FORTE » au service du territoire avec l’innovation, développer les projets de mobilité. M.H. : Mais pourquoi l’Etat vous a donné le statut d’INU et pas d’université à part entière ? A.-K. C. A. : Ce n’est pas que l’Etat veut ou non nous donner tel ou tel statut, les universités sont autonomes. Au niveau de ce choix de statut et de cette forme d’organisation, j’insiste là-dessus, aujourd’hui à l’université nous n’avons que deux professeurs des universités. Si nous avions choisi une autre organisation, pour composer nos conseils, ce ne serait pas assez. Notre fonctionnement pourrait évoluer demain, mais il faut que l’on pose les fondations qui vont nous permettre d’avoir une université forte.
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DOSSIER
Marine Gachet
TÉMOIGNAGES
“CE RÉCENT CHANGEMENT N’EST PAS AU NIVEAU QUE NOUS ESPÉRIONS”
FACE AU CHANGEMENT DE STATUT DU CENTRE UNIVERSITAIRE DE FORMATION ET DE RECHERCHE (CUFR), CERTAINS ÉTUDIANTS SONT DÉÇUS. ILS ESPÉRAIENT VOIR LEUR ÉTABLISSEMENT BÉNÉFICIER DU RANG ET DES AVANTAGES QUE LUI AURAIT CONFÉRÉ LE TITRE D’UNIVERSITÉ À PART ENTIÈRE. de Mayotte (Unef). C’est donc le chemin d’un changement pas à pas que semble emprunter l’établissement d’enseignement supérieur mahorais plutôt que la voie du bouleversement radical.
Ratami Saïd est étudiant en troisième année de licence de droit, élu au conseil d’administration de l’université et membre de l’Union étudiante.
C’est à la cafétéria du Centre Universitaire de Formation et de Recherche (CUFR), devenu Université de Mayotte le 1er janvier, que nous retrouvons Ratami Saïd. Café du Crous et pochette rouge d’ordinateur sur la table, le représentant des étudiants au conseil d’administration de l’établissement ne cache pas longtemps sa frustration face à ce récent changement de statut. “Avant tout, je souhaite saluer la démarche de l’administration d’améliorer le statut de notre lieu d’étude. Mais ce récent changement n’est pas au niveau que nous espérions”, commence celui qui est également membre de l’Union étudiante
En effet, le nouveau nom d’”Université de Mayotte” est trompeur. Depuis le début de l’année, le CUFR est en fait devenu un institut national universitaire. Si ce statut va permettre à l’établissement, entre autres, de délivrer ses propres diplômes (après accréditations) et de créer de nouvelles formations internes, il ne lui confère pas les avantages d’une université à part entière. Par exemple, l’Université de Mayotte ne pourra toujours pas proposer de formation en médecine. “Or, notre île est un des plus grands déserts médicaux de France. On aurait besoin de former des médecins sur notre territoire”, soulève Ratami Saïd, qui affirme que le statut d’institut national universitaire ne permet pas de proposer une diversité de formation satisfaisante.
“CONVAINCRE LES MAHORAIS DE RESTER ÉTUDIER ICI” Le statut d’université pleine et entière aurait aussi permis, selon lui, de dissuader les étudiants mahorais de partir s’instruire dans l’Hexagone ou à La Réunion. “On voulait ce statut, bien plus prestigieux. Ce n’est que comme ça que nous pourrons attirer les professeurs, qui manquent cruellement, et convaincre les Mahorais de rester étudier ici”, avance celui qui est également étudiant en troisième année de licence de droit.
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Au moment d’évacuer l’établissement ce lundi, les étudiants passent sous la nouvelle inscription qui décore la façade de l’ancien CUFR.
Mais surtout, le rang d’université aurait permis à l’établissement de débloquer des financements bien plus importants. “Regardez autour de vous : il n’y a que 90 places dans ce réfectoire. Nous sommes 2.000 étudiants. Dans la salle d’études, seuls 12 ordinateurs sur 18 fonctionnent. Il y a une extension à construire. Nous méritons mieux”, appuie l’élu étudiant. “Moi je ne comprends pas pourquoi on se concentre sur ce changement de statut qui ne change pas grand chose alors que nous avons plutôt besoin de régler des problèmes concrets”, entame Amina*, en train d’étudier à la table d’à côté quelques secondes avant. “Il manque des chaises dans certaines salles, souvent, je n’arrive pas à me connecter à la wifi, il n’y a pas assez de manuels à la bibliothèque universitaire…”, liste celle qui est en dernière année de droit avec Ratami Saïd.
“TOUT CELA EST PARADOXAL” Les fonds qui auraient été conférés à un établissement reconnu comme une université auraient permis de contribuer à offrir des logements étudiants à proximité du campus. À l’heure actuelle, il n’en existe pas. “Tout cela est paradoxal. On nous dit que pour construire ce type de logement, il faut qu’il y ait assez de demandes, et donc d’effectif. Or, on ne pourra pas avoir assez d’effectif si nous ne sommes pas une université de plein exercice, car nous n’allons pas avoir la diversité de formations et le prestige qui pourront attirer de nouveaux étudiants”, argumente Ratami
Saïd, qui reconnaît que la problématique des logements ne dépend pas que de l’administration de l’université. En septembre dernier, une cinquantaine d’étudiants avaient manifesté contre ce changement de statut. Le membre du syndicat étudiant mahorais regrette que cette protestation n'ait pas été entendue. Néanmoins, l’animosité n’est pas à l’ordre du jour. “Nous ne sommes pas là pour critiquer, mais pour faire des observations. Nous devons tous travailler ensemble pour bâtir le meilleur environnement pour les étudiants, car les conditions de vie de ces derniers et la diversité des formations est notre priorité. Nous espérons vraiment que nous pourrons dialoguer avec l’administration”, développe-t-il, rappelant ne pas être personnellement concerné par la situation, terminant sa licence à la fin de l’année. “Moi je vais avoir mon diplôme de l’université d’Aix-en-Provence (université partenaire, N.D.L.R.), cela ne change rien pour moi. C’est pour l’intérêt des étudiants que je m’exprime”, insiste celui qui, comme tous ceux qui ont effectué leur licence à Mayotte, est obligé de poursuivre un master loin de l’île. Cette conversation prend fin avec le début des échauffourées à Iloni et le confinement dans le patio de l’établissement ce lundi. Lorsque les étudiants peuvent enfin évacuer, tous sortent par la porte principale, couronnée désormais des grandes lettres blanches formant le nom “Université de Mayotte”. *Le prénom a été modifié, la personne ayant voulu rester anonyme.
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Marine Gachet
QUAND LES MAKIS SONT LÀ, LES RATS DANSENT SUR L’ÎLOT MBOUZI Les rats pullulent sur l’îlot Mbouzi et détruisent la biodiversité sur leur passage. Introduits dans cet écosystème par l’homme, ils rongent la biodiversité native de l’îlot en face de Mamoudzou et risquent de faire disparaître certaines espèces. Pendant trois ans, une étude de faisabilité concernant la dératisation de cette réserve naturelle a été menée. Celleci y voit un obstacle, la présence des makis, l’espèce emblématique de l’île. Oeufs de paille-en-queue, couleuvres de Mayotte, vanille, écorce d’ébènes des Comores… Les rats dévorent tout sur l’îlot Mbouzi. « Même les graines des plantes, ce qui empêche leur renouvellement. On ne voit plus fleurir la vanille endémique », donne comme exemple de dégâts Louis Maigné, le conservateur de la réserve naturelle nationale de l’îlot Mbouzi, situé au large de Mamoudzou. « On a vu un rat attaquer un crabe de mangrove. C’est extraordinaire d’agressivité et de capacité de prédation », constate de son côté Paul Defillion. Ce dernier est arrivé depuis la Polynésie française sur le territoire mahorais il y a trois ans, pour se charger du projet de restauration des écosystèmes insulaires de l’océan Indien à Mayotte (Recim), mené par l’association Les Naturalistes, qui a la gestion de la réserve de Mbouzi. Le but du scientifique était de mener une étude de faisabilité concernant l’éradication du rat sur l’îlot. Cette opération fait partie d’un programme plus vaste de lutte contre les espèces exotiques envahissantes (EEE), piloté par les Terres australes et antarctiques françaises (Taaf). Les espèces exotiques sont celles amenées par l’homme sur un territoire où elles n’auraient pas pu aller par leurs propres moyens. On parle d’espèces exotiques envahissantes dès lors que leur croissance met en danger la subsistance des espèces endémiques (indigènes). Les EEE n’ont généralement pas de prédateur dans leur écosystème
d’accueil, et les espèces locales ne sont pas armées pour faire face à la prédation ou compétition imposée par cet envahisseur. « Aujourd’hui, à l’échelle de la biodiversité de la planète, on est dans la sixième extinction de masse. Les espèces exotiques envahissantes en sont la deuxième cause, après la destruction de l’habitat. Et à l’échelle des îles, c’est la première cause de disparition des espèces endémiques », alerte Paul Defillion.
7.700 INDIVIDUS EN SAISON HUMIDE Introduit par la navigation et les pêcheurs, le rat est une EEE qui ravage l’écosystème de l’îlot Mbouzi. Le nourrissage, pendant un temps, des makis qui y ont été amenés au début des années 2000, a permis aux rats, qui se sont régalés, de proliférer, même si aujourd’hui, leur nombre s’est stabilisé. Estimer le nombre de rongeurs, c’était d’ailleurs une des premières étapes de la mission de Paul Defillion. « On a capturé des individus, on les a marqués, puis relâchés, puis re-capturés un certain nombre de fois en notant le numéro qu’on leur avait attribué », détaille le chargé de projet, qui a ainsi pu estimer le nombre de rats à environ 7.700 en saison humide et 3.500 en saison sèche. La technique généralement utilisée pour dératiser une île est l’épandage par hélicoptère d’appâts avec du brodifacoum, un rodenticide (produit qui a la propriété de tuer les rongeurs). Pour voir si cette technique était applicable sur l’îlot, Paul
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Defillion et l’équipe de la réserve ont fait des tests sur six hectares. Avec des appâts neutres contenant un marqueur fluorescent, sans anticoagulant, ils voulaient voir si les rats, mais aussi les autres espèces, les mangeraient. « La totalité des rats en ont mangé. Donc c’était très positif », raconte le chargé de projet. Les oiseaux ne s’y intéressaient pas, les roussettes ne se nourrissent pas au sol, les reptiles ne sont pas sensibles à cet anticoagulant… Tous les feux semblaient au vert. « Mais des makis en ont mangé », tranche le scientifique. Or, bien qu’il soit exotique à Mayotte et présent que depuis très récemment sur l’îlot, le maki est une espèce protégée. Paul Defillion a alors fait venir de Nouvelle-Zélande des appâts avec un agent amérisant devant repousser les herbivores : « Avec l’absence de pluie qu’il y a eu cette annéelà et le manque de nourriture, les makis se sont quand-même jetés dessus ». Impossible donc d’empoisonner les rats sans prendre le risque d’empoisonner certains des 190 makis présents dans la réserve.
LES PRIMATES COMPLIQUENT L’ÉQUATION « Techniquement, il est donc possible de dératiser l’îlot. Mais nous ne le ferons pas, en tous cas pas avec de l’épandage d’appâts depuis les airs », conclut Paul Defillion. Si le brodifacoum ne peut pas être dispersé par hélicoptère selon les lois européennes, il reste possible d’obtenir une dérogation. Mais avec les makis dans l’équation, même s’ils ne sont pas endémiques de Mayotte, c’est peine perdue. « Éthiquement, les makis restent des primates. Donc quand on évoque devant les gens, qui les voient comme des peluches,
le risque d’un impact sur les makis, c’est immédiatement inacceptable », explique-t-il. Et si on déplaçait les makis le temps de la dératisation ? « Il y a plus de risque de tuer des makis en faisant cela qu’en épandant les appâts par hélicoptère », explique Louis Maigné, conservateur de la réserve naturelle. Cela les stresserait, et s’ils s’endorment dans un arbre après avoir reçu une fléchette anesthésiante, ils peuvent tomber et mourir. Mais la réserve n’a pas dit son dernier mot. Si Paul Defillion a achevé son séjour à Mayotte avec la rédaction de son rapport sur cette étude de faisabilité, les protecteurs de l’îlot Mbouzi vont continuer à lutter contre les rats. Au lieu d’être dispersés par hélicoptère, les appâts seront placés dans des boîtes d’appâtage et posés à la main tous les vingt mètres environ. « On va devoir faire une grille sur tout l’îlot. Ça va être un travail titanesque », prévient le gardien de l’îlot, qui espère que cette opération pourra commencer à la saison sèche 2025, durant laquelle les rongeurs seront moins nombreux. « Nous allons devoir fabriquer 1.500 boîtes et les répartir sur tout l’îlot, y compris au niveau des falaises. » Une méthode moins efficace, car tous les rongeurs ne veulent pas entrer dans ces boîtes, mais qui permettra de ne cibler qu’eux. Si une éradication totale n’a jamais été obtenue avec cette technique, elle devrait au moins permettre un contrôle de la population de rats, et, peut-être, à la biodiversité de l’îlot de retrouver un état qu’elle n’a pas connu depuis longtemps. n
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LITTÉRATURE
LISEZ MAYOTTE
CINQ FEMMES (2/6)
AGRÉGÉ DE LETTRES MODERNES ET DOCTEUR EN LITTÉRATURES FRANCOPHONES, CHRISTOPHE COSKER EST L’AUTEUR DE NOMBREUX OUVRAGES DE RÉFÉRENCE SUR LA LITTÉRATURE DE L’ÎLE AUX PARFUMS, NOTAMMENT UNE PETITE HISTOIRE DES LETTRES FRANCOPHONES À MAYOTTE (2015) DONT IL REPREND, APPROFONDIT ET ACTUALISE, DANS CETTE CHRONIQUE LITTÉRAIRE, LA MATIÈRE. La première nouvelle des Cinq femmes (2006) d’Abdou Salam Baco s’intitule « La Femme qui avait des regrets ». La première hypothèse du lecteur est que ces regrets sont d’origine amoureuse. Mais une telle interprétation émane des mécanismes de la domination masculine si l’on pense l’homme comme le regret immédiat de la femme. La quatrième d e c o u ve r t u re c o n f i r m e p o u r t a n t l’hypothèse : « Nary, la trentaine, est une jeune femme qui vit avec le poids du remords parce qu’elle n’a pas su retenir son homme ». Mais les choses ne sont peut-être pas aussi simples qu’il paraît. Le texte se compose de deux parties. La première est masculine et pourrait s’intituler Badirou. En effet, elle met en scène les retrouvailles entre deux amis : « Un dimanche après-midi, et comme ça lui arrivait parfois, Badirou arpentait les ruelles de son quartier quand il tomba sur Henri, un ami de longue date ; ils ne s’étaient pas vus depuis longtemps, depuis exactement l’époque où Henri, après son bac, avait décidé de devenir instituteur pour aider sa famille, alors que Badirou avait choisi de partir en France pour poursuivre ses études. Henri était devenu quelqu’un maintenant : après avoir épousé une fille de bonne famille, il était le chouchou des ‘éléphants’ de la politique locale. Il n’avait plus rien du garçon charmant et sportif de l’époque du lycée ; il était maintenant ventru, et le temps semblait avoir fait son œuvre sur son visage, qui gardait malgré tout un sourire charmeur. » (p. 9) Dans cette citation, on relève d’abord une opposition entre deux trajectoires, celle du jeune homme ambitieux qui part à la conquête des titres de noblesse universitaire octroyés en métropole et celui qui, plus modeste, en apparence à tout le moins, reste au pays et choisit le métier d’instituteur. La suite du texte montre que c’est le second qui
est favorisé par le sort grâce à un bon mariage et à une entrée en politique. Une telle dissimilitude n’est pas la matière d’une nouvelle fable à la manière de La Fontaine, elle s’ancre au contraire dans le contexte politique local de Mayotte. En effet, sans surdéterminer le personnage de Henri, dont le nom, à une lettre près, renvoie à celui d’une famille importante à Mayotte, choisit, comme Younoussa Bamana d’être instituteur. Et les « éléphants » dont il est question sont les membres du Mouvement Populaire Mahorais, parti politique en faveur de Mayotte française. Mais Abdou Salam Baco est du côté de Badirou qui, même s’il a peiné en métropole, en revient plus fort et plus affûté. Malheureusement, il ne trouve, en rentrant au pays, ni de place, ni sa place car ses diplômes universitaires lui dont donné de grandes espérances et il juge médiocres ceux qui n’en ont pas. La deuxième partie du texte est féminine et pourrait s’appeler Nary. Le lien entre les deux semble d’abord ténu. Badirou quitte Henri et rentre voir son amie Nary. Après une digression sur la difficulté des rapports entre hommes et femmes à Mayotte lorsqu’ils ne sont pas sexuels, Badirou raconte à Nary son entretien avec celui que l’on appelait, dans sa jeunesse, le Che, et qui est devenu un homme bedonnant sur le point d’être élu maire. Nary quant à elle fait lire une lettre d’amour qu’elle a reçue jadis et dont elle regrette l’auteur : « C’est un garçon que j’ai connu avant que tu ne reviennes au pays ; je ne sais pas pourquoi, mais je pense souvent à lui ces derniers temps, et ça me rend morose ; c’est sans doute pour me décharger un peu de ce poids que je t’ai demandé de lire la lettre. Il m’est souvent arrivé de culpabiliser, et de me dire que j’ai manqué le coche. » (p. 20) La citation est on ne peut plus banale
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et l’on peine d’abord à voir un lien entre les deux parties. Il nous semble pourtant qu’il existe et qu’il est le suivant. Le discours littéraire d’Abdou Salam Baco met souvent en scène des personnages idéalistes qui vont de désillusion en désillusion en se heurtant au monde, un peu à la façon du héros tragique selon Lucien Goldmann. Ici, les deux premiers personnages apparaissent comme les deux faces d’une médaille dans laquelle l’auteur se projette peut-être. Au lieu d’y voir deux hommes qui s’opposent, il faut peut-être y voir les deux chemins possibles de l’homme mahorais. Mais ces deux choix ne sont pas à égalité du point de vue d’Abdou Salam Baco parce que l’un a renoncé à ses idéaux. Il en va un peu de même de Nary qui devient le double paradoxal de Henri parce qu’elle n’est pas allée au bout de son histoire d’amour. Si la nouvelle a quelque chose de la fable, alors sa morale est de ne pas renoncer à soi ni à ce qu’on veut en raison du monde qui nous entoure.
Nous terminerons cette chronique par l’un des bonheurs de lecture que nous trouvons dans le texte : « Tu sembles oublier un détail important : c’est le système qui veut que les choses soient ainsi. N’oublie pas une chose mon ami : quoi que l’on dise, quoi que l’on enseigne à l’école laïque, nous sommes des Africains, et cette île ne sera jamais rien d’autre qu’une miette de l’Afrique ; ce qui se fait ici n’est que le prolongement de ce qui a été fait ou de ce qui se fait encore dans les États africains indépendants. » (p. 12) Il s’agit de l’expression « miette de l’Afrique ». On la trouve ici dans le discours d’Henri qui appelle Badirou à la raison en lui disant de se faire au monde. Ici Mayotte comme miette d’Afrique est une miette des maux de l’Afrique. En ce sens, l’expression est ici négative alors qu’elle permet ailleurs - car elle est récurrente sous la plume d’Abdou Salam Baco - de rattacher Mayotte à la matrie africaine comme lieu originel de racines. Christophe Cosker
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MAGAZINE D’INFORMATION NUMÉRIQUE HEBDOMADAIRE Edité par la SARL Somapresse au capital de 20 000 euros 7, rue Salamani Cavani M’tsapéré BP 60 - 97600 Mamoudzou Tél. : 0269 61 20 04 redaction@somapresse.com Directeur de la publication Laurent Canavate canavate.laurent@somapresse.com Directeur de la rédaction Mohamed El Mounir dit “Soldat” 0639 69 13 38 soldat@mayottehebdo.com Rédactrice en cheffe Raïnat Aliloiffa
# 1073
Couverture :
L'université de la discorde
Journalistes Raïnat Aliloiffa Alexis Duclos Saïd Issouf Marine Gachet Direction artistique Franco di Sangro Graphistes/Maquettistes Olivier Baron, Franco di Sangro Commerciaux Cédric Denaud, Murielle Turlan Comptabilité Catherine Chiggiato comptabilite@somapresse.com Première parution Vendredi 31 mars 2000 ISSN : 1288 - 1716 RCS : n° 9757/2000 N° de Siret : 024 061 970 000 18 N°CPPAP : 0125 Y 95067 Site internet www.mayottehebdo.com
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