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S28 OCTOBRE O M2016M A I R E 6/7 ÉVÉNEMENT AMPHIDROME POLÉ 10/13 POLITIQUE DÉPARTEMENT 14/15 INTERVIEW : BRUNO LE MAIRE 16 LOGEMENT UN HABITAT ENCORE TRÈS DÉGRADÉ 18/19 AUTO-MOTO NOUVEAU MINI COUNTRYMAN 20/23 MAYOTTE ÉCO CODE DU TRAVAIL/DÉVELOPPEMENT/ÉLECTIONS DE LA CCI 24/27 TOUNDA PORTRAIT 28/32 SPORT INTERVIEW/RÉSULTATS/PROGRAMME
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TRIBUNE LIBRE Parier, urgemment Les premières lignes de l’introduction du récent rapport thématique de la Cour des comptes, “L’accès des jeunes à l’emploi” (septembre 2016), sont - faut-il s’en étonner ? - sombres : “La situation s’est dégradée […]. Le parcours des jeunes est jalonné de nombreux obstacles […]. Ces difficultés se sont aggravées depuis 2008”. Constats qui, pour être alarmants, n’en sont pas moins récurrents depuis plus de trois décennies. Dès les premières lignes de son rapport de 1981 (L’insertion professionnelle et sociale des jeunes, Paris, La Documentation Française), Bertrand Schwartz écrivait : “Ce qui les {les jeunes} unit, c’est leur désespérance.” En juillet 2009, Martin Hirsh déclarait au Figaro : “La France s’occupe mal de sa jeunesse”. Il reprenait presque mot pour mot le titre d’un ouvrage de l’Académie des sciences morales et politiques, qu’on ne soupçonnera pas d’être crypto-gauchiste : La France prépare mal l’avenir de sa jeunesse (2007, Paris, Seuil). Poursuivant, la Cour des comptes présente les mesures pour favoriser l’insertion des jeunes en trois catégories : “une aide financière aux entreprises afin de les inciter à embaucher des jeunes ; un accompagnement particulier des jeunes par le service public de l’emploi ; un accès facilité à des formations.” Harpagon plutôt que Schwartz S’agissant des aides aux entreprises, on connaît leurs limites : effets d’aubaine et de substitution, management des ressources humaines avec un planning des “PMSMP” (périodes de mises en situation en milieu professionnel) se substituant à l’apprentissage, représentation in fine qu’“un jeune vaut moins qu’un adulte”, intériorisation du discours dans l’air du temps des “charges” (évidemment à “alléger”) se substituant à celui des “cotisations” (dont on oublie de dire qu’elles protègent), glissement d’une logique d’investissement dans les capacités des jeunes à une logique de dépense. Désormais on ne parie plus sur la jeunesse, on calcule son coût. Une société de comptables et d’Harpagon quand il faudrait des Schwartz et de la générosité.
OPP : une potion magique qui n’en est pas S’agissant de l’accompagnement des jeunes, constatons tout d’abord qu’il n’est pas réservé au service public de l’emploi mais est également confié, malgré plusieurs évaluations qui, loin de là, n’en n’ont pas démontré l’intérêt patent, à des “OPP” (opérateurs privés de placement). Le recours aux OPP trouve son origine en 1998 dans des recommandations de la Commission européenne, inspirée comme on le sait par les thèses plutôt libérales, qui visaient (sic) “à développer l’innovation dans les méthodes d’accompagnement des demandeurs d’emploi tout en stimulant les services publics de l’emploi”. En janvier 2012, la DARES publiait les résultats d’une étude sur les performances de Pôle emploi et des OPP à partir de deux programmes : “Cap vers l’entreprise” (CVE) réalisé par Pôle emploi et “Trajectoire Emploi” (TRA) mis en œuvre par des OPP : “huit mois après leur entrée dans le dispositif, les demandeurs d’emploi pris en charge en novembre 2009 ou mars 2010 occupent plus fréquemment un emploi lorsqu’ils ont été accompagnés par Pôle emploi (43 % contre 38 % pour les OPP) et plus fréquemment un emploi
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durable (28 % contre 23 %). Une fois tenue compte des différences de profil des populations accompagnées, l’avantage relatif de Pôle emploi se réduit mais persiste.” (DARES Analyses n° 002, janvier 2012). Certains se souviendront du “contrat d’autonomie” confié par Fadela Amara aux OPP dans le cadre du “Plan Espoir Banlieues”, OPP qui devaient “aller chercher les jeunes au bas des tours” et qui, penauds, furent contraints de solliciter les Missions locales pour que des jeunes leur soient adressées, sans même évoquer les résultats truqués dont Le Monde s’est fait l’écho le 4 mars 2014. Mais, surtout, considérons que, sauf à se bercer d’illusions, il n’y a pas de réel accompagnement sans moyens, et que à Mayotte, on est bien loin de ces moyens avec 330 jeunes accompagnés par conseiller. Si la progéniture des élites rencontrait des difficultés d’insertion, parions que les parents consacreraient plus de temps à leur fille ou à leur fils qu’un conseiller en insertion peut le faire, c’est-à-dire, et au niveau national, 47 minutes par mois, selon le même rapport de la Cour des comptes. A Mayotte et sur la base de 140 heures effectives de face-à-face (puisqu’il
TRIBUNE LIBRE tropole (mais 69,4 % à La Réunion). En 2016, sept jeunes (15 à 24 ans) Mahorais sur 10 sont non diplômés, contre un sur quatre en métropole (Source : Céreq, Atlas des risques sociaux d’échecs scolaires. L’exemple du décrochage France DOM-TOM). Raccrocher les décrocheurs, mais à quoi ?
faut bien des temps de reporting, de tâches administratives, de réunion, de déplacement…), c’est 25 minutes par mois ! Le temps de se dire “Bonjour ! Au suivant !” De la sociabilité, pas de l’accompagnement. Lagon et cuillère S’agissant enfin de la formation, peut-on dire que l’accès à celle-ci est facilité lorsque l’offre n’est proposée qu’aléatoirement, qu’elle est qualitativement problématique dans la mesure où elle ne se fonde pas sur une recension effective des besoins, donc une mise en réseau et une synergie de tous les acteurs de l’orientation et de l’insertion, et que le programme régional de formation est quantitativement bien en-deçà de ce que la démographie de la jeunesse mahoraise exigerait ? Ceci malgré le fait que Mayotte présente le taux le plus élevé de toutes les régions concernant la part des dépenses de la formation professionnelle continue dans les dépenses totales, soit 68,7 % contre 44,2 % à la Réunion et 39,1 % pour la France entière et que les “moins de 26 ans” représentent 49,7 % des bénéficiaires de ces formations régionales contre 36,7 % en mé-
Nous le rappelions déjà dans le Mayotte Hebdo du 24 avril dernier (n° 746) : “Une société se juge à la façon dont elle traite ses exclus.” (Michel Foucault). La jeunesse d’un point de vue général et la jeunesse mahoraise encore plus sont maltraitées. Il y aura forcément, après le temps de la négligence, celui du jugement. Peut-être - puisqu’il faut parier - estil encore temps de se ressaisir : faire en sorte que la jeunesse ne soit pas qu’un discours de campagne, mobiliser les acteurs économiques auprès des intervenants sociaux car, s’il faut former bien sûr, la question de “raccrocher les décrocheurs de l’emploi mais à quoi ?” ne peut trouver d’autre réponse qu’associer le développement économique à l’accompagnement des parcours d’insertion. Entre une spirale de la désorganisation conduisant au chaos et une spirale de l’organisation cheminant vers la vertu, il ne s’agit somme toute que d’un sens à inverser, plus exactement à retrouver. Un pacte territorial pour l’emploi des jeunes, encore Nous avions appelé cette perspective vertueuse “pacte territorial pour l’emploi des jeunes” (MH n° 746) qui mettrait au travail les jeunes, les rémunérerait, les mobiliserait dans du développement économique et dans la valorisation du patrimoine mahorais (nature, artisanat, culture, agriculture) et les formerait par l’accompagnement de tuteurs-parrains mis à disposition par des entreprises trouvant dans cet investissement l’opportunité de concrétiser cette belle idée, mais qui n’est toujours qu’une idée, de “responsabilité sociale de l’entreprise” (RSE). Les femmes et les hommes de bonne volonté ne manquent pas. Il ne manque que l’impulsion. “Ils ne savaient pas que c’était impossible, alors ils l’ont fait” (Mark Twain). [ Philippe LABBÉ, sociologue
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