www.mayottehebdo.com r 03/2017 r Mayotte Hebdo N° 788 1
S24 MARS O 2017 M M A I R E 6/7 IMMIGRATION DÉCASAGES : REPRISE DES TENSIONS 10/17 DOSSIER QUI PEUPLE MAYOTTE ? 18/19 À LA RENCONTRE DE… BABA MBAYE, FONDATEUR DE LA MAISON DES ARTS DE MAYOTTE 20 ANIMAUX DU LAGON RECHERCHE APPARTEMENT OU MAISON PRÈS DE LA PLAGE : LES BERNARD-L’HERMITE 22/23 CONSOMMATION D’ŒUFS L’AUTOSUFFISANCE LOCALE SE DÉGRADE 24/27 PEINTURE LIBERTÉ, ÉGALITÉ, MAGNÉGNÉ : 24 ANS DE DESSINS DE MAYOTTE 28/32 SPORT ACTUALITÉ/RÉSULTATS/CLASSEMENTS
www.mayottehebdo.com r 03/2017 r Mayotte Hebdo N° 788 3
CE QUE VOUS EN DITES
Monsieur Macron, Vous nous faites l’honneur de venir à Mayotte dimanche prochain et les médecins libéraux se joignent à moi pour vous souhaiter la bienvenue et vous remercier, karibou. Permettez-moi de profiter de ce passage pour vous faire part de notre situation difficile, et en particulier celle de la santé. Il ne s’agit pas de polémiquer, de prendre des postures dogmatiques et stériles, mais de dire la vérité, simplement, pour espérer un sursaut politique, pour faire naitre l’espoir. Mayotte compte à ce jour probablement au moins 300 à 350 000 personnes (une des densités la plus élevée au monde, proche de 1000 habitants au km2). Le bassin médical draine aussi les Comores et Madagascar. La densité médicale brute est
contact@mayottehebdo.com
donc de 65 médecins pour 100 000 habitants mais en fait moins du fait de l’importance du bassin de population pris en charge et du nombre important de médecins à temps partiel. Cette densité est quasi stable depuis 20 ans. Par comparaison, elle est de 260 médecins pour 100 000 à La Réunion et 330 en Métropole. Fort de 20 ans d’expérience à Mayotte et d’une implication permanente pour la santé, j’affirme que jamais le fossé n’a été aussi grand entre l’attente d’une médecine de qualité par la population et les possibilités de soins. La conséquence est une émigration sanitaire et sociale massive, impactant les finances des Mahorais, les équilibres familiaux et les structures de santé de l’île de La Réunion. À Mayotte deux mondes s’entrechoquent. Une population éduquée, avec des parents ayant lutté pour l’avenir de Mayotte et de leurs enfants. Une autre population, dans une précarité extrême tant sur le plan social, éducatif, économique qu’affectif. Cette dernière est souvent issue
4 Mayotte Hebdo N° 788r 03/2017 r www.mayottehebdo.com
des iles voisines mais pas seulement. Le système actuel propose de copier-coller l’organisation sanitaire métropolitaine à Mayotte. Le résultat est sous nos yeux et s’amplifie depuis quelques années pour s’approcher du chaos. De plus, toutes les grandes missions régaliennes de l’état dysfonctionnent gravement, la vie politique locale est à la peine, avec pour conséquence un territoire qui se vide de ses élites aggravant encore le phénomène précédent dans une chute sans fin et sans fond. La perte de ces compétences, indispensables pour construire l’avenir, est préoccupante. Une partie de la population est désabusée, fatiguée et ne croit plus en rien, offrant une proie facile aux populistes divers malgré une tradition de grande tolérance de la population mahoraise. Les dernières statistiques de la délinquance (et surtout sa progression année après année) et l’enquête de l’INSEE (Migration, natalité et solidarités familiales) feront taire les dernières postures.
TRIBUNE LIBRE
Nous étions quelques médecins conscients du problème. Nous avons essayé et nous essayons de nous faire entendre, en vain depuis cinq ans. Nous avons rêvé d’une médecine libérale permettant à la population d’accéder à des soins plus personnalisés. Nous avons rêvé d’un réseau de dispensaires permettant d’assurer à tous la meilleure qualité de soins possibles et en particulier aux plus démunis. Nous avons rêvé d’un hôpital performant avec des personnels heureux de participer aux soins dans cette région de l’océan Indien. Nous avons proposé des solutions, les choses ont progressé jusqu’en 2011. Depuis, les difficultés s’accumulent et s’aggravent chaque année un peu plus. À ce jour, la médecine libérale est à l’agonie, le nombre de praticiens s’est effondré (13 médecins généralistes, 7 spécialistes). Chacun fait pour le mieux mais la pression chaque jour, les impasses sociales, la difficulté de proposer des parcours de soins adaptés, l’absence de spécialistes, des PMI
défaillantes, et tout le reste (insécurité, problèmes d’école, problèmes logistiques, etc.) rend le travail très fatiguant. Il n’en reste pas moins passionnant et profondément valorisant. Nous avons fait des propositions concrètes, parfois novatrices. Nous sommes allés jusqu’au ministère de la Santé. Nous avons été écoutés et ignorés. La dernière convention médicale, signée en métropole, aboutit à une baisse de 75 % des mesures financières incitatives. Notre retraite à Mayotte est amputée de 35 %. Les mesures annoncées feraient rire si ce n’était la réalité. Les maisons médicales sont une solution d’avenir, à condition de résoudre les problématiques humaines et logistiques en priorité, et non pas architecturales. La Commission paritaire locale n’a quasiment aucune marge de manœuvre significative pour adapter la convention médicale au contexte. Un tiers des médecins libéraux sont à temps partiel. 90 % sont des hommes, 35 % ont plus de 60 ans, 35 % des généralistes cesseront leur activité à court terme. L’activité de l’hôpital est tenue à bout de bras par l’ensemble du personnel qui est épuisé tant moralement que physiquement. L’organisation est mise à mal par un turn over hors-norme des personnels de santé. Les grands rapports de santé se succèdent mais que valent-ils sans une orientation politique claire et coordonnée, qui prenne en compte les spécificités locales quitte à adapter la législation. Les signaux d’alerte sont quotidiens. Sans réaction adaptée, je crains que les difficultés sanitaires et sociales s’amplifient avec des crises aigües de plus en plus difficiles à gérer. Plus nous attendons, plus le socle permettant un sursaut s’affaisse. Alors bien sûr certains diront que Mayotte pèse bien peu dans la complexité et les difficultés actuelles du pays. Nous avons dit la même chose il y a 50 ans, quand une partie de la société peinait à trouver sa place dans notre société. Le petit problème a grossi, les banlieues sont apparues, les REP puis les REP+. Sommesnous condamnés à répéter ce gâchis humain et recommencer sans cesse les mêmes modèles, devrais-je dire les même échecs, et en faire supporter les conséquences aux générations futures ? Je ne peux m’y résoudre. Je veux croire aux capacités de mon pays à s’adapter, inventer de nouvelles méthodes, valoriser les réussites et défendre avec fermeté ses valeurs dans la diversité. Je crois pouvoir dire que les Mahorais, quelque soit leurs origines, attendent cela. Monsieur Macron, je suis désolé de vous le demander un peu brutalement, mais que nous proposez-vous pour remettre Mayotte “En Marche” ? Respectueusement, [ Dr Jean-Marc Roussin [ Président du Syndicat des Médecins Libéraux www.mayottehebdo.com r 03/2017 r Mayotte Hebdo N° 788 5