Mayotte Hebdo n°891

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Notre action pour les Mansour : un logement tout neuf pour profiter de la vie en centre-ville.

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Action Logement participe à la revitalisation des centres-villes des 222 communes du programme Action Cœur de Ville. Sur cinq ans, Action Logement consacre 1,5 milliard d’euros pour construire et réhabiliter des immeubles en centre-ville. Notre objectif : permettre aux salariés de vivre au cœur des villes moyennes.


Le mot de la rédaction

Du brochetti aux brochettes Alors que l'heure des grandes vacances se rapproche de semaine en semaine, que les températures sont redevenues acceptables avec un léger vent frais qui, le soir venu, parcourt nos rues, nous sommes, un soir, sortis pour manger quelques brochettis. C'est là qu'une réflexion nous est venue : "Comment se fait-il que personne n'est encore songé à moderniser ces fameuses petites brochettes ?" Par moderniser, nous entendons là leur donner une réelle valeur ajoutée avec des locaux propres et agréables, frais, des saveurs nouvelles avec de petites sauces bien trouvées, et pourquoi pas, plusieurs de viande au choix ? Quitte à payer un peu plus cher, il nous semble que le potentiel existe. Car que vont devenir nos brochettis ? Évolution aidante, il faut bien se rendre compte qu'un jour, si rien ne change, ils finiront par disparaître. Entre des normes d'hygiène exigeante, un droit du travail strict, des charges de plus en plus lourdes, comment

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ces petits business vont-ils survivre ? Et c'est valable pour bien d'autres secteurs. Alors, dans ce numéro, nous avons décidé d'étudier ceuxci. Brochettis, taxis, mécaniciens, tailleurs, bijoutiers, vendeurs de fruits et légumes… que vont devenir ces activités dans un futur proche ? Futur proche également avec les questions sociales et médico-sociales qui règnent sur le département. Problématique numéro un du territoire, nous avons tâché de comprendre ce qui pourrait se jouer dans l'avenir. Pour cela, nous sommes allés à la rencontre de l'association Mlezi Maore et de son directeur. Enfin, autre rencontre, avec Laurent Hervé. Restaurateur, tatoueur, mais aussi artiste, cet ancien de Mayotte nous dit tout de l'affection qu'il a pour l'île. Bonne lecture à tous.

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coup d’œil dans ce que j'en pense

Laurent Canavate

Mayotte Hebdo n°507, vendredi 4 février 2011.

L'impressionnisme mahorais Par petites touches, les pistes sont aplaties, goudronnées, puis les trous sur les routes sont remplis, les caniveaux sont couverts. Il reste parfois des trous, béants, dangereux, qui seront bouchés lors d'un prochain coup de pinceau. Et ça avance. Par petites touches, le droit français s'applique, lentement, progressivement. Il en est de même pour les directives ou les normes européennes. Quelques lignes, quelques lois, parfois des codes entiers sont rendus applicables, selon l'humeur du peintre. L'égalité n'est pas encore pour demain avec les Français de Mayotte, mais elle arrive, elle s'approche, elle avance. Les handicapés, les plus âgés, les plus en difficulté sont un peu soutenus, plus qu'hier mais pas autant que demain. C'est déjà ça… Peut-on ou doit-on se contenter de ça ?C'est une question politique. Les avancées sociales, qui constituent désormais des socles de l'égalité des citoyens français, toucheront un jour les côtes mahoraises, si elles n'ont pas disparu d'ici là, comme le dodo, trop mangé par les Hommes. Certains citoyens sont pour le moment moins égaux, mais c'est comme ça… Ca viendra. Le fatalisme s'accommode très bien de cet impressionnisme, de ces touches de l'artiste qui dessine sous nos yeux un tableau original. Certains s'en arrangent très bien, d'autres regrettent, certains se battent, manifestent. À tort ou à raison. Par petites touches, la société évolue. Un peu d'une tenue jeune, un peu de salouva. Et des couleurs partout. L'un n'empêche pas l'autre. Une touche de bidonville, accroché à la colline, et la touche blanche d'une antenne parabolique, non loin. Ces

petites touches de pinceau, portées sur la toile par les uns et les autres, dessinent le tableau de Mayotte d'aujourd'hui. C'est le résultat des engagements des uns et des autres, des femmes et des hommes, des jeunes et des vieux, qui nous ont précédés ou vivent sur ce territoire, qui en dessinent les contours, qui en font battre son coeur. Cette évolution que vit Mayotte se découvre au détour d'une ruelle : un bâtiment neuf surgit, à la place d'un banga, né de la volonté de l'un d'entre nous, du travail d'architectes, de maçons, d'entrepreneurs débutants ou chevronnés. Ailleurs c'est un handicapé qui se déplace plus facilement qu'il y a quelques années… Aujourd'hui il est assis et avance dignement, motorisé. Hier il rampait… Demain il pourra étudier, travailler et prendre en charge sa famille. Cette évolution se construit par petites touches, par les engagements, les actes, le travail de chacun. Si l'on regarde les premières couches de peinture sur la toile, il n'y avait quasiment que du bleu, du vert et un peu de cette terre rouge. Aujourd'hui le bleu et le vert sont toujours là si on y fait attention, si on protège ce lagon, ces rivières et ces forêts indispensables à la vie. Et demain, d'un coup de pinceau rageur, déterminé, un peintre peut-être, tracera un grand pont entre la Petite et la Grande-Terre, un autre installera des éoliennes en mer et des cages à poissons. Un autre dessinera de belles écoles, propres, bien entretenues, fleuries, où les enfants seront heureux d'apprendre et de découvrir le monde. Il ne tient qu'à chacun de prendre un pinceau.

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s le rétro

Pour tous vos communiqués et informations

Une seule adresse : rédaction@mayottehebdo.com

Budget des communes : la Chambre territoriale des comptes à la rescousse Juin 2009 : certaines communes mahoraises sont en passe de voir le budget retoqué par la préfecture. Adoptés au mois de mars précédent, ces budgets doivent repasser en conseil municipal. Koungou figure parmi celles-ci et la préfecture a dû faire appel à la Chambre territoriale des comptes (CTC) pour présenter un budget plus conforme au contrôle de légalité. Et pour cause : "Certaines factures de téléphones atteignent 1 700 € par mois. Il y a eu 43 embauches plus ou moins partisanes depuis leur arrivée au pouvoir et rien n'est fait dans l'intérêt des habitants de la commune. Sans compter qu'aucun investissement ne se fait et qu'il y a 929 608,59 € de factures à payer", dénonce une source de la municipalité. Mayotte Hebdo n°434, vendredi 26 juin 2009.

Ramadan : un coup de jeûne Dossier consacré au ramadan qui, en 2014, se tient de fin juin à fin juillet. "Le mois de ramadan débute ce week-end sur notre île, avec les trente jours de privation : pas de nourritures, ni de rapports charnels durant la journée. Mais malgré ce que sous-entendent ces mots, ce mois est pourtant vécu par les musulmans comme une union retrouvée. Un mois fait de joie, de repentir et d’apaisement", pouvions-nous lire. Parmi les témoignages recueillis, celui d'une maman : "À chaque début de ramadan, je commence à faire des achats pour 200 euros environ. Je fais en sorte que ce que j’achète dure au moins un mois. J’achète un carton de sucre. Un carton de farine. Un carton de boissons. Des œufs. De la levure, du sucre vanille. Des litres d’huile. Du charbon, du pétrole, du gaz. Je ne veux pas être dans le besoin si le gaz me lâche ou si je veux faire cuire des brochettes ou des gâteaux au feu de bois." Mayotte Hebdo n°665, vendredi 27 juin 2014.

la photo d'archive Un exercice d'évacuation de la barge

Avril 2004 : une barge en route vers Mamoudzou entre en collision avec un bateau de plaisance. Le choc provoque un incendie sur la barge et un début de pollution maritime. Face au péril, le capitaine de la barge ordonne l’évacuation immédiate des 140 passagers à bord de son navire. Voilà le scénario catastrophe mis en place pour cet exercice de sauvetage. Le bilan sera positif avec les 140 vies sauvées en deux heures.

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Il y a 5 ans

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L'action Club d'entreprises : premières chartes signées

Le chiffre

La phrase

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"Il faudrait au moins un ou deux navires de plus"

C'est le nombre de cas de rougeole signalés depuis le début de l'année à Mayotte. Onze concernent des enfants de moins d'un an. Une recrudescence qui survient dans un contexte de circulation de la maladie en France métropolitaine et dans la zone de l'océan Indien. Extrêmement contagieuse, cette infection amène l'Agence régionale de santé (ARS) à encourager chacun à vérifier, et mettre à jour si nécessaire, ses vaccins. Un rattrapage vaccinal peut se faire à tout âge, mais concerne surtout les moins de 40 ans. "Au-delà de 40 ans, nous estimons que les personnes ont probablement déjà contracté la rougeole du fait de la grande circulation du virus par le passé, et sont donc immunisées", explique l'ARS.

Lors de la dernière assemblée plénière du Conseil départemental, JeanFrançois Urbain, directeur du Service des transports maritimes (STM), justifie les couacs à répétition des barges et amphidromes dans la desserte entre Petite-Terre et Grande-Terre par un manque de moyen. "Cela demanderait deux équipages de plus, mais nous avons des problèmes de ressources, et une main d’oeuvre déjà conséquente", a complété le responsable, soutenu par son directeur d'exploitation par intérim. Ce dernier a en effet déploré que sur les quelque 300 salariés de la structure, "une majorité est inapte."

La création d'un "club entreprises" à Mayotte avait été annoncée lors de la dernière visite de la ministre des Outre-mer à Mayotte, afin de soutenir l'inclusion par l'emploi des publics les plus en difficulté. Deux mois plus tard, les trois premières chartes d'engagement du club ont été signées par le préfet, vendredi 21juin. Lesdites chartes sont gérées par les deux sociétés co-animatrices du club, Total et Etic Services, ainsi que par l'entreprise Colas. Toutes trois ont pris des engagements chiffrés en matière d'insertion et de formation, notamment sur le nombre de jeunes qu'elles accueilleront en stage ou en formation de parrainage, le nombre de personnes visées par des actions d'information et de présentation des métiers de l'entreprise, ainsi que le nombre de créations d'emplois envisagées.

La photo de la semaine

Rendez-vous au Forum international des métiers et de l’artisanat de l’océan Indien Depuis mardi 25 juin se tient place de la République la 7ème édition du Forum international des métiers et de l'artisanat de l'océan Indien jusqu'au dimanche 30 juin. Un rendezvous annuel qui rassemble plus de 100 artisans de la région. Vente, expositions, animations et restauration sont au rendez-vous et il y en a pour tous les goûts. Un moment de partage et d'échange autour des cultures de la région, le tout rythmé par un traditionnel mgodro mahorais.

Volcan

Le proverbe

Une nouvelle coulée de lave découverte Une coulée de lave de 8km2 a été observée par Mayobs 2, la deuxième mission océanographique conduite à bord du navire Marion Dufresne, au sud du volcan sous-marin découvert au mois de mai dernier. Volume de magma estimé : 0,2 km3. Si la taille du volcan en lui-même n'a pas évolué, "il y a toujours une activité fluide dans la zone de l'essaim", a par ailleurs commenté le géologue et chef de la mission, Stéphan Jorry. Des séismes dont la fréquence "tend à ralentir" – seuls 163 secousses d'une magnitude comprise entre 2,5 et 4.6 ayant été recensées entre le 12 mai et le 11 juin – sans qu'il ne soit encore possible d'expliquer ce ralentissement.

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Guni kalina shitru kalilimbala Un sac vide ne tient pas debout tout seul.

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Le flop Le top Une course de pneus sur les Champs-Elysées ? On n'y est pas encore tout à fait, mais Laurent Meunier, directeur de l'agence Angalia, organisatrice de la course de pneus, et Nadjayedine Sidine, adjoint à la politique de la ville de la mairie de Mamoudzou, ne s'en cachent pas : l'objectif est de faire en sorte que la célèbre compétition devienne une vitrine de Mayotte. Ce dernier a d'ailleurs confié "rêve[r] de voir une couse de pneus sur les Champs-Élysées" dans un futur proche. En attendant, c'est celle de Mamoudzou, finale du championnat de Mayotte, qui aura lieu samedi 29 juin à partie de 14h30. Elle réunira plus de 500 enfants et 80 équipes de cinq adultes sur un parcours de 1,8 km.

Ils font l'actu Didier Guillaume Le ministre de l'Agriculture et de l'Alimentation devrait se rendre à Mayotte, en visite officielle, au mois de septembre. Une information confirmée par la Chambre d'agriculture, de la pêche et de l'aquaculture. Charif Adallah, premier viceprésident de la structure, a rencontré le ministre la semaine dernière afin, notamment, de l'interpeller sur les obstacles au développement de la pêche sur l'île aux parfums (lire aussi en pages 18 et 19).

Air Austral modifie (encore) ses vols Tandis que le personnel des compagnies aériennes appelées pour prêter main forte à Air Austral doit entamer cette semaine – avec plusieurs jours de retard – une formation dédiée aux subtilités de la piste courte, Air Austral a poursuivi son plan d'ajustement des vols pour la période du 22 au 28 juin. Le rythme des liaisons vers Paris, notamment, devait s'intensifier en raison de la période de vacances qui débute. Mais "sur cette liaison et pour le moment, compte tenu des temps de vols et de maintenances obligatoires au sol à respecter, Air Austral peut affecter à raison de 5 vols par semaine son deuxième Boeing 787-8. Les deux vols restants seront donc modifiés. La compagnie proposera pour ces deux vols (…) une correspondance à La Réunion. Leur réacheminement de et vers Paris se fera au moyen de l’A330-d’Aigle Azur. Des navettes en Boeing 737 seront dédiées à leur transport entre Mayotte et La Réunion", indique la compagnie aérienne.

Abdallah Hassani Le sénateur de Mayotte interpelle la ministre des Outre-mer, Annick Girardin, sur la desserte aérienne de Mayotte, le désenclavement de l'île et les problèmes techniques rencontrés ces derniers temps par la compagnie Air Austral. En réponse, la ministre a admis que "Cette situation est difficilement, c'est vrai, acceptable", ajoutant que la desserte n'était effectivement "pas satisfaisante" dans le 101ème département. Elle a cependant souligné que l'amélioration de cette dernière faisait partie du Plan pour l'avenir de Mayotte, avec des travaux de sécurisation de la piste de l'ordre de 13,5 millions d'euros, et des discussions entamées avec le Kenya pour un accroissement de la fréquence des vols. La ministre a aussi fait valoir qu'Air Austral souhaitait investir dans de nouveaux avions et avait soumis à l'État des demandes de défiscalisation pour ce faire.

Économie L'UCCIOI au Kenya L’Union des Chambres de commerce et d’industrie de l’océan indien (UCCIOI) va organiser une mission collective de découverte et de prospection à Nairobi, la capitale kenyane, du 17 au 21 juillet 2019. L’offre s’adresse aux entreprises du numérique de Maurice, de Mayotte et de La Réunion. L’occasion d’échanger et de faire des rencontres en vue de futurs partenariats avec des entreprises de la zone océan Indien et du Grand continent. "Le Kenya étant "le pays 2.0 de l’Afrique de l’Est", c’est une véritable aubaine pour toutes les entreprises vouées au numérique qui souhaitent découvrir un marché en pleine croissance, en vue d’identifier des opportunités d’affaires et de développement", explique l'organisme. Les différents participants pourront donc mettre en place leur projet (prospection, implantation, investissement, etc.). Les entreprises mahoraises sont invitées à se rapprocher de la chambre de commerce pour plus de renseignements.

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mayotte et moi

Houdah Madjid

laurent hervé

L'homme tout-terrain À la tête du restaurant Tiki lounge à Mamoudzou, Laurent Hervé alias Bargas LH comme on peut le lire en signature de ses tableaux, est à Mayotte depuis bientôt dix ans. Des années à façonner l'île à sa manière entre tatouages, piercings, peintures et pans bagnats. Toujours en quête d'évolution, l'homme à tout faire se livre dans Mayotte et moi. "J'ai toujours été sur le terrain", déclare Laurent Hervé. "Je faisais beaucoup de choses [avant]", ajoute-t-il .Boxe, wakeboard, kitesurf, plongée sous-marine... Un carnet de voyages tout aussi chargé avec l'Italie, l'Indonésie, Tahiti, la Russie, le Cameroun, le Niger, le Nigeria, la Lybie et le Tchad en 1989, en pleine guerre civile se remémore-t-il. Arrivé une première fois à Mayotte en 2010, "pour voir", Laurent Hervé s'éprend de cette petite île entre l'Afrique et Madagascar au cœur de l'océan Indien. Il connaissait l'île par rapport à l'armée. Cet ancien légionnaire, prend d'abord la température avant de revenir s'établir sur l'île un an plus tard en pleine crise sociale. "On m'avait tellement affolé. On me disait que j'étais fou de partir à Mayotte, 'c'est la guerre'", raconte ce dernier. Laurent Hervé ne se laissera pas rebuter et s'installera à la rue du commerce, "un grand local bien placé" pour ouvrir son salon de tatouage proposant en parallèle un snacking. "Il a évolué et évoluera encore", explique Laurent Hervé qui forme également des stagiaires aux métiers de la restauration. Plats du jour, snack, repas locaux, recettes du monde et surtout spécialités niçoises comme le fameux pan bagnat. Laurent Hervé recherchait ce décalage culturel avec Nice. "Sortir du bling-bling. C'est ce qui me plaît. J'aime beaucoup Mayotte", confie-t-il. "Même si on risque de le retrouver ici bientôt", s'empresse-t-il de rajouter. Cela étant, l'île aux parfums porte aussi son lot de difficultés, Laurent Hervé relativise : "Mayotte c'est bien mais il faut savoir gérer. Il y a de l'insécurité certes mais il y a beaucoup plus de gens honnêtes", explique celui qui souhaiterait qu'on parle davantage "du positif" de l'île et sur l'île. Artiste dans l'âme Le restaurant Tiki lounge c'est aussi un espace dédié au tatouage à l'étage. Comment le tatouage a-t-il été accueilli à Mayotte ? "Il n'y a aucune culture du tatouage à Mayotte c'est dû à l'islam. Le Mahorais, ne vient pas se

faire tatouer. Je vais même plutôt le lui retirer au laser. Il y a aussi des jeunes qui font ça dans leur banga avec une aiguille, de l'encre de chine et de l'huile", raconte le tatoueur. Une chose est sûre, le "Mahorais est plutôt piercing". Laurent Hervé et le tatouage c'est une longue histoire d'amour. Le premier déclic il l'aura au Tchad à travers sa culture de la scarification et des implants. "L'Afrique est la base des tatouages et des piercings", commente celui qui a tenu un salon de tatouage à Nice pendant 20 ans. "Les plus anciens tatouages sont en Algérie avec les tatouages berbères", poursuit-il. Son séjour à Tahiti pendant deux ans le forgera davantage à l'univers des tatouages traditionnels polynésiens. Aujourd'hui, Laurent Hervé ne tatoue plus. Un autre artiste s'en charge à l'étage du Tiki Lounge. Laurent Hervé aka Bargas LH c'est aussi cet artiste peintre depuis l'Hexagone où il peignait à l'acrylique. "Le déclic c'était à Mayotte en 2012" raconte-t-il. Depuis, Bargas LH s'est perfectionné à la peinture à l'huile avec l'artiste peintre Gil. À Madagascar, il a eu un second déclic. Celui de la peinture combiné à la photo. Avant de peindre, l'artiste part toujours d'une photo. "C'est plus difficile la photo à Mayotte, les gens ne se laissent pas photographier". Bargas LH se focalise alors plutôt vers les paysages de l'île. Aussi, Laurent Hervé, a écris un poème sur l'île aux parfums. Tous ses mélanges, ses religions et ses origines. "Mayotte reste une base aux Comores", conclut l'artiste. n

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Laurent Hervé, plage du préfet, 2016

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mayotte et moi

laurent hervé

Mon endroit favori

"Mamoudzou. C'est là où il y a tout. Là où je travaille, là où ça bosse. J'aime Mamoudzou".

mon meilleur souvenir à Mayotte "Dans le lagon. Avec toute la faune, la flore, les paysages sauvages et les paille-en-queues. Il fait beau, toute l'année, le soleil est présent. On ne voit pas le temps passer".

mon œuvre préférée "Ce n'est pas une œuvre, mais un endroit [qui s'en rapproche] : Saint-Pétersbourg, pour sa culture et son histoire. J'ai les larmes aux yeux quand je vais dans ses musées avec ce qui en ressort après la deuxième guerre mondiale. J'ai été deux fois en Russie".

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ma photo marquante

"C'est le premier tableau que j'ai fait en 2012. C'est comme si je m'étais échoué sur Mayotte".

ma bonne idée pour Mayotte

"Le tourisme intelligent. C'est vraiment dommage. Il y a tellement de choses à faire. Il faut du développement dans ce secteur. Il faut aussi faire la guerre au plastique et à la pollution. Mayotte évolue, j'espère que ça va s'améliorer. J'ai vu l'évolution de Mayotte. Elle a été trop rapide mais elle est là. Il faut mettre le paquet maintenant".

Échange de livres Depuis peu, le restaurant Tiki Lounge propose un nouveau concept d'échanges de livres. Au fond du restaurant, une commode thaïlandaise "retro" regorge de bouquins en tout genre. Des romans d'amour aux fictions policières, chacun y dépose son ouvrage. Un moyen ludique et innovateur d'échanger autour de la littérature et de découvrir des auteurs des quatre coins du monde.

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le dossier

Business traditionnel

La clĂŠ sous l


la porte ?

Doukas, brochettis, mécaniciens, taxis, pêcheurs ou encore vendeurs de rue : le business "traditionnel" – on entend par là très répandu à Mayotte, et qui pour certains d'entre eux est dit de subsistance –, doit s'adapter pour survivre aux évolutions rapide de l'île aux parfums. Les taxis tâchent de s'organiser en vue de l'arrivée des transports en commun ; les doukas essayent de survivre face à la concurrence de la grande distribution ; les vendeuses de fruits et légumes doivent composer avec la législation ; les brochettis ne font plus vraiment recette ; les foundis de la mécanique, légions, ne sont pas souvent déclarés, etc. En somme : un vaste chantier, plein de mutations, mais qui permet de faire vivre des milliers de personnes à Mayotte.

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le dossier

Geoffroy Vauthier

Doukas

(Re)mettre du beurre dans les épinards

L'île n'en manque pas : pas une rue ou presque qui n'ait son douka, voire même plusieurs, parfois côte à côte. Pourtant, ces petites épiceries proposant le b.a.-ba des produits du quotidien peinent à survivre face aux gros distributeurs.

Dans le petit local de Zaïnaba, on peut trouver un peu de tout en petite quantité : un carton de sardines en boîtes sur le comptoir, une dizaine de bouteilles d'huile sur l'étagère en bois à côté de sachets de sel et d'épices, quelques sacs de riz posés sur une palette

au sol, un mini frigo avec des cannettes de sodas, des petites boîtes de bonbon à l'unité, quelques oignons et un peu d'ail derrière les racines de manioc dans le panier en osier ou encore du savon, du shampoing, quelques paquets de couches bébé et aussi

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"des cartes de téléphonie mobile." Des produits de première nécessité qui, sans rapporter des millions, permettent à la propriétaire d'assurer sa subsistance. Le douka à Mayotte, c'est un peu l'épicerie d'appoint où l'on trouve de quoi couvrir les besoins du quotidien. Ils sont encore nombreux sur l'île et se côtoient parfois à quelques mètres dans une même rue. Les doukas à Mayotte : une sorte d'institution à tel point que le musée de Mayotte (MuMa) leur a consacré une exposition en 2015 : le Douka, témoin de la mutation sociale de Mayotte. Et s'il y a bien un mot à retenir ici, c'est mutation, car il est vrai que le douka d'hier n'est déjà plus tout à fait celui d'aujourd'hui. En cause, et au-delà des habitudes de consommation qui évoluent : l'omniprésence de gros groupes de distribution qui, moyens aidant, diversifient leur clientèle via des commerces de proximité. Conséquence : des doukas indépendants étreints. Un marché partagé, donc, auquel s'ajoute – en tout cas jusqu'en 2017 – l'absence d'une plateforme d'importation propre aux doukas ou de coopérative. Un manque les contraignant à se fournir chez leurs concurrents directs – ces mêmes groupes de distribution – à un tarif trop désavantageux pour proposer des prix attractifs… et ainsi maintenir la clientèle. En 2016 d'ailleurs, l'Observatoire des prix, des marges et des revenus (OMPR) et la préfecture de Mayotte lançaient d'ailleurs une étude relative à "la définition des critères de faisabilité en vue de la création à Mayotte, d'une plateforme d'importation et de vente en gros des produits de première nécessité." Le diagnostic en ressortant était sans fard et établissait la nécessité de refonder le tissu du commerce de proximité indépendant, notamment en le structurant via des groupements. Comme on dit : l'union fait la force. La démarche a permis d'aboutir, en janvier 2017, à la création de Mayotte Coopérative Distribution (Macodis), une coopérative de commerçants indépendants de Mayotte. Treize d'entre eux, pour 16 boutiques en tout, s'étaient regroupés pour la première fois afin de commander groupés. Slogan : "Douka Lakwéli", signifiant "Le vrai douka" par opposition à une célèbre chaîne d'épiceries de proximité dont le nom, en français, se traduit par "Le grand douka." Un pied de nez qui pourrait symboliser le renouveau de ces petits commerces indépendants.

Inverser la tendance Car, un an à peine après sa création, Macodis parvenait déjà à s'imposer comme le quatrième distributeur de l'île derrière les mastodontes du secteur. En important ensemble des produits de métropole et en les distribuant dans chacun des doukas participants, les produits sont mis à la vente moins chers, l'offre est diversifiée, et le chiffre d'affaires des adhérents augmente. Interrogée à cette période, la présidente de la structure, Mary-Ame

Mlamali le disait sans détour : "Nous ne pouvions pas survivre sans cette coopérative." Une coopérative qui pourrait par ailleurs servir d'exemple… à nos voisins réunionnais. Le 30 avril dernier en effet, le cabinet Bolonyocte Consulting, qui avait été chargé d'accompagner les acteurs mahorais dans la mise en place de Macodis, a publié une étude demandée, cette fois, par l'OPMR de La Réunion sur "l'intérêt de la création de structures coopératives ou de groupements économiques de commerçants indépendants" pour l'île intense. Le cas Macodis, cité comme "projet exemplaire" y est pris en exemple. On peut ainsi y lire : "Un an après sa création, Macodis avait déjà à elle seule bouleversé le paysage de la distribution de Mayotte et démontré que l’affirmation d’un circuit alternatif aux grandes surfaces était possible, et surtout que le commerce de proximité pouvait, par une puissance collective d’achat et fort d’une maîtrise de ses propres filières d’approvisionnement, non seulement proposer au cœur des villages une offre élargie et de meilleure qualité que celle actuelle proposée par les acteurs de la grande distribution, mais surtout offrir à la population mahoraise l’accès à des produits sains, de bonne qualité et à des prix accessibles, voire moins chers que ceux pratiqués par les acteurs dominants." Un constat suivi d'un autre, tout aussi porteur d'espoir : "Ces premiers résultats prometteurs ont par ailleurs une portée sociétale forte en ce qu’ils montrent que l’approche de structuration des petits commerçants indépendants redonne au commerce de proximité toute sa place dans l’équilibre économique des villages et l’accessibilité des populations à une offre alternative complète, de bon niveau de qualité et proposant des produits issus de la production agricole locale. La mise en oeuvre concrète et rapide des activités de la coopérative Macodis, a donc permis de doter chacun de ses adhérents de nouveaux atouts et leur ouvre de nouvelles perspectives de développement." Administratrice de Macodis, également membre fondatrice, gérante de deux doukas à Tsimkoura et Chirongui, et dans le commerce depuis 30 ans, Sophiata Souffou témoigne de ce succès. "Un groupement comme celui-ci est idéal pour sauver les petits doukas et leur permettre de se développer, confirme-t-elle. Cela permet de rivaliser avec les grandes surfaces en proposant non seulement des tarifs intéressants, mais aussi des produits locaux." De quoi avoir confiance : les doukas de Mayotte n'ont pas envie de disparaître, et avec une vraie volonté de se moderniser, ils pourraient bien, de nouveau, avoir de beaux jours devant eux. Une condition à cela, toutefois : apprendre à travailler ensemble. Un problème que soulève Sophiata Souffou : "Il faut changer les mentalités dans l'île." En cause : des adhérents de Macodis qui, selon notre intervenante, "refusent de payer ce qu'ils doivent au groupement", le mettant de fait en difficulté. En somme, un "problème de forme" qui ne doit pas masquer "le bon bilan" de cette initiative. Et par là même entacher les espoirs qui reposent dessus. n

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Houdah Madjid

Bijouterie

L'or perd de sa valeur

Attoumane Daouda est artisan bijoutier depuis 20 ans. Dans son local sis rue du commerce à Mamoudzou, il travaille l’or, vend bijoux et parures pour de grandes occasions. Une activité à laquelle il s’attache en dépit des difficultés économiques liées à son secteur sur l'île.

Houdah Madjid

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Attoumane Daouda plus communément appelé "monsieur Attoumane le bijoutier" travaille seul dans son local sis rue du commerce en plein cœur de Mamoudzou. Ce surnom le bijoutier, le porte depuis vingt ans. Des années durant lesquelles le Sadois travaille l’or 16 carats, répare, nettoie et confectionne, des bijoux et des maquettes pour les autres bijoutiers de l’île. Dans sa vitrine, quelques parures comprenant colliers et boucles d’oreilles, au niveau supérieur des bracelets traditionnels mahorais symbolisant des fleurs entrelacées, la plupart ornées de pierres précieuses. Attoumane Daouda, ne sait ni lire, ni écrire, il n'a jamais été à l'école non plus mais a appris à parler français sur le tas. Le métier d'artisan bijoutier il l'a appris avec son père, lui même bijoutier. "Son père l'a transmis à son oncle, qui l'a transmis à mon père, qui me l'a ensuite transmis", explique Attoumane Daouda qui espère secrètement que le métier intéressera un de ses enfants.

Être artisan bijoutier à Mayotte c'est être confronté aux difficultés économiques du territoire. "Ici, on ne trouve pas tous les matériaux. Je dois faire venir de l'or de France. Ça prend du temps. Et puis l'or est cher", explique Attoumane Daouda. Un temps de production qui est rallongé aussi. En effet, les bijoux sont confectionnés à la demande. Pour de grandes occasions tels que les grands mariages ou encore des fiançailles. Ceux exposés en vitrine, ont été réalisés en début d'année. L'artisan bijoutier ne peut se permettre de déployer davantage de modèles. "La plupart du temps, les gens viennent avec leur or et me demande de leur faire des bijoux", indiquet-il. Des modèles traditionnels mahorais bien précis, déjà connus de l'artisan. En parallèle, Attoumane Daouda, procède à la maquette des bijoux qui sera par la suite transmise à d'autres bijoutiers de l'île pour leur confection. C'est le cas, ce mardi après-midi d'un client venu récupérer sa maquette reprenant des fleurs d'Ylang pour un collier en vue d'un mariage. L'artisan travaille des bouts de fleurs en or avec sa machine. Il les remettra au client une fois finis. Le bijoutier choisi assemblera à son tour le tout.

Pas de concurrence mais un métier qui se perd "Un Mahorais qui a fait des études ou un Comorien en situation régulière avec un bon niveau de vie ne fera pas le métier que je fais. Ils vont préférer travailler dans les bureaux". Le métier d'artisan bijoutier ne fait plus rêver. La faute aux Émirats arabes unis, notamment Dubaï avec son Souk de l'or qui attire les acheteurs Mahorais ? Loin de là, "le métier se perd car c'est un métier très difficile. Personne ne veut se salir les mains", déplore Attoumane Daouda qui accueille de temps en temps des stagiaires du lycée polyvalent de Chirongui. "Le lycée forme des bijoutiers depuis dix ans, mais aucune bijouterie [n'a vu le jour]", assure l'artisan. Attoumane Daouda, travaille seul depuis ses débuts. Ce métier qu'il pratique depuis deux décennies, il le maintient non pas par envie mais par nécessité, n'ayant d'autres revenus et ne pouvant s'essayer à un autre emploi, manque de compétences. n

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Solène Peillard

Pêche

Une nage en eaux troubles

L'une des plus anciennes activités de Mayotte est, pour moitié, pratiquée illégalement sur l'île aux parfums. En réaction, l'État et l'Europe ont pris plusieurs dispositions pour aider les professionnels à se former et se mettre aux normes, mais des difficultés locales subsistent.

Ils sont 22 thoniers à avoir déployé leurs filets dans les eaux mahoraises l'année dernière. Depuis la rupéisation, et par la même la délimitation de la zone économique exclusive en 2014, ces navires industriels régionaux ou européens – Espagne en tête – ramènent dans leurs cales jusqu'à 10 000 tonnes de poissons locaux chaque année. Des prises exceptionnellement denses – parfois deux fois supérieures à la normale – et dont le chiffre d'affaires est estimé à plusieurs millions d'euros, sans que Mayotte n'en voit un centime. Pourtant, la pêche, l'une des plus anciennes activités rentières du département, demeure aujourd'hui encore le deuxième secteur économique de l'île, qui emploie à elle seule 9 % des professionnels de France dans le domaine. Toutefois en 2017, elle ne représentait que 2,3 % des entreprises locales. Et pour cause : "On estime entre 3 et 400 le nombre de bateaux professionnels, juge Clément Hugot, adjoint de l'unité territoriale de Mayotte à la direction de la mer Sud océan Indien, nouvelle appellation des affaires maritimes. Mais seuls 150 d'entre eux sont pleinement conformes", soit la moitié, au mieux, pour une capture officielle de 750 tonnes en 2016. Certains pêcheurs se contentent uniquement de ne pas déclarer leur capture, d'autres "sont totalement dans l'illégalité", relève encore Clément Hugot, qui dénonce "une forme d'esclavage moderne". Une pratique locale très répandue consisterait à "employer" des clandestins à bord de navires où rien n'est déclaré ni assuré. Ces marins

improvisés payent l'essence et, à l'issue de leur pêche, ne gardent que la moitié ou un tiers de leur récolte, dont le reste est reversé au propriétaire de l'embarcation – ou à celui qui se fait passer pour tel. "Derrière, c'est des poissons qu'on retrouve au bord des routes, dans des brouettes, et parfois même aux points de débarquements officiels", pointe du doigt le responsable qui note également qu'il s'agit "de concurrence déloyale pour les pêcheurs en conformité", ainsi qu'un nonrespect des règles d'hygiène. L'association des Naturalistes estime ainsi que 52 % des poissons débarqués sur l'île proviendraient de la pêche clandestine. "Nous réalisons quotidiennement un chiffre d'affaires de 1 200 euros. Sans la vente illégale, nous serions à 4 000 euros par jour !", vitupère à son tour le patron de la coopérative des pêcheurs de M'tsapéré, Charif Aballah.

Vers une mise aux normes En réaction, l'école d'apprentissage maritime de Mayotte a lancé un plan de formation des capitaines pour s'adapter à une mesure spécialement créée pour l'île. Selon le Code des transports, seuls les commandants de nationalité française ont le droit de naviguer localement. Or, la pêche déclarée et celle en voie de régularisation comptent près de 97 % de ressortissants comoriens. "Avec un titre de séjour, certes, mais pas de nationalité française", clarifie Clément Hugot. "L'idée, c'est de former un grand nombre de Français au certificat d'aptitude au commandement de

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Photo : David Lemor

la petite pêche (un diplôme spécialement créé pour Mayotte, ndlr) ou au brevet de capitaine 200 pêche d'ici 2021." En effet, cette année-là, tous les navires de pêche circulant dans l'espace européen devront obligatoirement disposer d'une licence communautaire. À Mayotte, cette mise à niveau devrait concerner au moins "200 ou 250 capitaines à terme". Une mise aux normes qui permettra aux autorités de simplifier les contrôles, et surtout, pour les pêcheurs, de détaxer leur essence – bien qu'elle le soit moins à Mayotte que dans les autres départements d'Outre-mer –, de profiter du plan de compensation des surcoûts propres aux DOM, mais aussi de pouvoir commercialiser légalement leurs produits. Pour mieux encadrer la vente justement, chacune des sept coopératives de pêcheurs verra l'aménagement de points de débarquement d'ici 2022, équipés de pontons et de machines à glace pour la conservation saine du poisson. En revanche, le statut social de marins, en vigueur sur tout le territoire français sauf à Mayotte, ne sera vraisemblablement jamais appliqué ici. D'après l'administration maritime, ce régime aux cotisations peu élevées est voué à disparaître d'ici près d'un an. Ainsi, tous les marins français devraient basculer sur un régime général. "Mais nous travaillons avec les représentants du secteur pour qu'ils ne soient plus rattachés à la caisse de sécurité sociale de Mayotte, mais à la sécurité sociale agricole, révèle Clément Hugot, ce qui permettrait d'avoir un régime un peu plus souple". En attendant, l'Union européenne a donné son accord il y a quelques jours pour subventionner le renouvèlement des bateaux de pêche, jusqu'à 60 % pour des navires de moins de 12 mètres, soit une majorité de la flotte mahoraise, qui compte 320 bateaux de pêche professionnelle et récifale, 800 pirogues et quatre palangriers. Le Conseil départemental devrait également participer à l'investissement. Des fonds publics pour la première fois accordés à la pêche, et qui pourraient aider le secteur… à mieux mener sa barque. n

Le pot de terre contre le pot de fer L'Union européenne vient d'autoriser huit nouveaux thoniers seychellois à pêcher dans la zone économique exclusive de Mayotte, "alors que le Parc marin et la Chambre d'agriculture, de la pêche et de l'aquaculture (Capam) n'ont pas été consultés", souligne Charif Abdallah, patron des pêcheurs de M'tsapéré et vice-président de la Capam. "Les poissons pêchés à Mayotte seront ensuite traités aux Seychelles, qui ne font même pas partie de l'espace européen !", alors que le secteur pourrait générer des centaines d'emplois dans le 101ème département. Autre problème : régulièrement, les marins locaux sont rappelés à l'ordre concernant l'épuisement des ressources halieutiques. Or, la pêche à l'hameçon, majoritairement utilisée par les professionnels insulaires, demeure moins destructrice que les techniques employées par les navires industriels, également générateurs d'une lourde pollution. "Mais aux thoniers, on ne parle pas des problèmes de ressources !", s'emporte encore Charif Abdallah. La semaine dernière, le Mahorais a rencontré à Paris le ministre de l'agriculture et de l'alimentation, également en charge de la pêche, qui a accepté de se rendre à Mayotte courant septembre. L'occasion d'aborder notamment la nécessité d'étendre le périmètre de navigation : à Mayotte, cette limite est fixée à cinq milles nautiques, ce qui empêche de facto la pratique de la pêche pélagique (de fond), alors que les Antilles-Guyane se sont vus accorder une dérogation pour pouvoir s'éloigner des côtes jusqu'à 20 milles.

Sorties pêcheurs : toutes illégales Pour arrondir leurs fins de mois, des pêcheurs proposent parfois des traversées allers-retours vers certains îlots, particulièrement dans le nord, généralement pour 10 à 30 euros par personne. Si cette activité n'est pas interdite, elle demeure très strictement encadrée par la loi. À ce jour et en l'état, "aucun pêcheur ne dispose d'un tel permis de navigation", atteste l'unité territoriale de Mayotte à la direction de la mer Sud océan Indien, rendant de fait illégales toutes les sorties pêcheurs. Les autorités maritimes ont d'ailleurs mené une campagne de répression il y a quelques mois à direction de ces marins. Résultats : tous ceux qui ont été contrôlés étaient en situation irrégulière sur le territoire.

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Grégoire Mérot

Transport

Malgré les embûches, les taxis tracent leur route Les taxis de Mayotte sont, au fil des années, devenus une véritable institution. Au-delà d'un simple moyen de transport, c'est aussi du lien social qui se tisse sur les banquettes arrière des véhicules. Aujourd'hui, la concurrence est rude et les chauffeurs, tels des pilotes, doivent trouver leur voie entre des adversaires qui ne jouent pas avec les mêmes règles, et des projets de transport en commun imminents. La scène est courante à Mamoudzou. Un taxi passe, des sièges sont libres, mais alors qu'une passante le hèle, le chauffeur poursuit tranquillement sa route. "Je ne devais pas être dans son sens", explique-telle, dépitée. Zaïna, la trentaine, utilise quotidiennement les taxis. "J'habite en PetiteTerre et travaille à Kawéni, alors tous les matins je barge et je prends un taxi. Même chose le soir et c'est très fatiguant", poursuit-elle en marchant avec ses trois sacs. Direction de la barge. La raison de cette fatigue ? "Il y a toujours des retards, des imprévus, que ce soit avec la barge ou avec les taxis. En moyenne je dois compter plus d'une heure pour chaque trajet", grommellet-elle. Zaïna se fait pourtant conciliante envers les chauffeurs de taxis. "Ce n'est pas vraiment de leur faute, ils ont beaucoup de contraintes au niveau de la règlementation et ils sont aussi dépendants des embouteillages, c'est pour cela que souvent ils n'acceptent pas des clients et préfèrent aller dans des zones où ça circule un peu mieux." La jeune femme est d'un naturel plutôt bavard. Alors, pour elle, le trajet en taxi est aussi un moment de convivialité. "Je trouve toujours quelqu'un avec qui discuter, que je le connaisse de près ou de loin. C'est agréable d'échanger et puis ça permet de passer le temps

quand on est bloqué dans les bouchons. Ce matin par exemple, je suis tombée sur une amie de ma nièce alors j'ai appris plein de choses sur elle, je vais pouvoir la taquiner un peu", s'esclaffe Zaïna.

Le taxi, véhicule de lien social "C'est vrai que c'est un endroit où les gens, même s'ils ne se connaissent pas, sont à l'aise pour discuter", confirme Ali. Le crâne lustré et la chemisette impeccable, ce chauffeur de taxi depuis sept ans a dû en entendre des conversations. "Je ne participe pas toujours aux discussions, mais j'écoute souvent et j'apprends pas mal de choses", s'amuse ainsi l'apprenti espion en abaissant ses lunettes de soleil. Son métier, il ne s'en plaint pas. "C'est vrai que j'ai beaucoup plus de contraintes qu'eux [les taxis mabawa, ndlr] n'ont pas, mais au moins je ne suis pas en panique dès que je vois la police!", lance-t-il fièrement en tendant son autorisation d'exercer. Pour lui aussi, les bouchons sont éreintants, mais il prend les choses avec distance. "C'est quand même moins fatiguant que d'autres métiers et j'arrive à gagner plutôt bien ma vie, aux alentours de 3 000 euros par mois", assure le taximan. Comme plusieurs de ses confrères, le chauffeur de taxi a intégré la coopérative

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Taxis Vanille 976. "Il y a plusieurs syndicats et ils ne sont souvent pas d'accord alors on a du mal à se faire entendre, au moins là on sait à quoi ça sert", explique-t-il. Les multiples syndicats de l'île – alors qu'ils ne sont que 660 taxis à circuler officiellement – font en effet régulièrement la guerre à la préfecture. Il s'agit le plus souvent de réclamer une augmentation du prix de la course ou une baisse de celui de l'essence. Des exigences "légitimes, selon Ali, mais qui ne résoudront pas tous les problèmes. Et puis il faut aussi coller au coût de la vie, les gens ne vont pas payer 2 euros pour une course alors que les mabawa sont moins chers!"

Caribou les bus Alors, pour s'assurer un avenir pérenne, le taximan s'est garé du côté des Taxis Vanille. La coopérative, créée à l'initiative de Mansour Kamardine, viceprésident de la Chambre des métiers et de l'artisanat et lui-même taximan, a en sa personne une voix pour se faire entendre. Et arrive à faire son chemin dans le dédale administratif. Tandis que la communauté d'agglomération Dembeni-Mamoudzou (Cadema) et ses partenaires mettent en route le projet Caribus, les Taxis vanille ont réussi un coup de maître : s'inscrire en tant qu'acteur complémentaire du prochain réseau de bus. La coopérative pourrait ainsi faire d'une pierre deux coups. Si les bus rencontrent le succès espéré, Mamoudzou serait désengorgée : les Taxis Vanille circuleraient plus aisément et assureraient les trajets complémentaires aux bus. "Il y a beaucoup de chauffeurs qui n'ont pas fait le même choix et qui risquent de se retrouver avec une perte de clientèle", analyse Ali. Une perte de clientèle qui arriverait au mauvais moment, car pour beaucoup de ses confrères, selon lui, les temps sont durs. "Je pense que beaucoup vont se reconvertir en taxi-brousse, on gagne un peu moins, mais

la clientèle est assurée, car les bus seront dans et autour de Mamoudzou", considère le taximan.

Concurrence illégale Cette très chère clientèle, ils sont nombreux à se l'arracher. Les fameux taxis mabawa seraient en perte de vitesse du fait de l'intensification des contrôles de police, mais demeurent de farouches concurrents. "Ils sont moins compliqués, ils vous arrêtent où vous voulez et ne refusent jamais une course", témoigne en effet Zaïda. Selon la jeune femme, "ça reste des taxis comme il y en a toujours eu ici, qu'ils payent des amendes, c'est leur problème. Après, on ne sait pas toujours sur qui on tombe et c'est pour cela que je préfère les vrais taxis." Une concurrence attractive tant par sa souplesse que par ses tarifs – en moyenne 30 centimes moins chers que la filière conventionnée –, mais à laquelle "on s'est habitué", comme l'admet Ali, déplorant cependant que "la police est quasiment aussi sévère avec nous qu'avec eux. Il y a très peu d'arrêts de taxi alors quand on s'arrête pour prendre ou déposer un client, on risque souvent une amende ou un retrait de point. Ils feraient mieux de s'occuper des mabawa qui parfois n'ont même pas leur permis", assure le taximan. La concurrence la plus à craindre, selon Ali, proviendrait plutôt des taxis mavaja qui sillonnent les rues de Mamoudzou. Slalomant entre les voitures, un deuxième casque au bras ou sous la selle, ils forment une alternative de choix pour qui est pressé. "J'ai entendu dire qu'ils voulaient se déclarer pour devenir une profession règlementée, mais je n'y crois pas trop. De toute façon ce sont souvent des sans-papiers alors ça risque d'être compliqué de se faire enregistrer", analyse-t-il. Finalement, dans le business du transport, tout le monde y trouve son compte pourvu que l'on sache où l'on va. "On ne manquera jamais de clients", conclut ainsi l'optimiste. Dans la vie comme sur le bitume, Ali trace sa route. Heureux qui comme Ali a fait un bon voyage. n

Les Taxis Vanille, un transport en commun pas comme les autres Outre le caractère traditionnel qu'ils ont acquis et leur rôle social, les taxis circuleront encore longtemps sur les routes mahoraises. Le Conseil départemental de Mayotte, compétent en matière de transports depuis la loi NOTRe, souhaite en effet intégrer les taximen de la coopérative Taxis Vanille au plan global de transport de l'île. De son côté, la Communauté d'agglomération Dembéni – Mamoudzou (Cadema) qui porte le projet Caribus, consistant en quatre lignes de bus circulant dans le grand Mamoudzou à horizon 2021, sait que les autocars n'auront pas réponse à tout. Profitant du créneau, la coopérative des Taxis vanille 976 a joué finement sa place dans la "révolution des transports" qui se prépare. Du côté du Département, elle recevra une subvention de deux-millions d'euros pendant trois ans. Objectif : permettre l'acquisition d'une flotte de véhicules propres et équipés du matériel adéquat. Du côté de la Cadema, on a choisi les Taxis Vanille comme opérateur officiel des trajets complémentaires aux bus. Cela suffira-t-il à désengorger les routes de Mayotte et assurer un système de transport pérenne pour tous ? Nul ne le sait, mais deux choses sont certaines. La construction de nouvelles routes et de contournements est indispensable. On reste sur ce point suspendu aux lèvres du gouvernement qui doit détailler prochainement le programme de ses investissements en infrastructure sur l'île. Par ailleurs, il faudra convaincre, ou contraindre, les particuliers propriétaires de véhicules toujours plus nombreux à ne pas utiliser leur voiture, ou tout du moins à les laisser dans des points relais. La tâche semble ardue, mais pas impossible. Reste que dans les transports comme ailleurs, c'est une révolution à la fois.

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Geoffroy Vauthier

Mécanique

Un secteur en roue libre

Des dizaines de milliers de voitures et de deux-roues, beaucoup d'occasion, des routes et pistes pas toujours en bon état et un grand turn-over des véhicules : les conditions idéales pour voir fleurir des mécaniciens aux quatre coins de l'île.

Omar* a son garage avec lui et l'amène partout. "Mon local, c'est mon scooter", rigolet-il. Et pour cause : l'homme d'une trentaine d'années se veut "garagiste itinérant." En somme : dans le coffre de son petit scooter, clés à pipe et clés plates côtoient en vrac une pince coupante, quelques tournevis, un testeur de charge de batterie, une ou deux bougies de démarrage, un câble d'embrayage et une petite bouteille d'huile pour moteur. La spécialité du bricoleur ? Les deux-roues, 50 cc et 125cc, "pas au-delà". Et pour cause : si Omar est certes efficace, la réparation de véhicules, il l'a apprise sur le tas. Omar est, comme on dit, un foundi de la mécanique. Il est à la fois le cousin du voisin, le frère de l'inconnu qui passe par là et qui essaye d'aider, ou encore le mécano d'urgence dont on a récupéré le numéro via un ami. Bref : Omar est un peu l'homme qui tombe à pic, celui qui débarque quand on en a besoin et, disons-le, qu'on est généralement bien content de trouver quand il fait nuit, un dimanche soir, et qu'aucun garage officiel n'est ouvert. Idem pour celui qui se fait appeler Otto. Pas de hasard : l'homme est mécanicien automobile. Arrivé à Mayotte il y a cinq ans, le Rwandais a créé sa petite entreprise de mécanique quelque temps après, "pas loin de Mamoudzou." Déclarée ? "Oui, oui, bien sûr", sans plus de détails. Un vrai garage ? "C'est dans ma cour. On me confie le véhicule en panne, je me débrouille pour l'amener, et je le rapporte au client quand il est réparé." Otto, c'est là

encore celui qui est capable d'appeler une connaissance avec un 4x4 à 21h pour y atteler une voiture à l'arrêt et la ramener chez lui. C'est celui à qui on confie les clés du véhicule et la carte grise pour trouver la bonne pièce sans aucune garantie de sérieux, juste parce qu'on n'a pas le choix, en espérant qu'il nous rappelle bien le lendemain comme prévu. Et il rappelle toujours. Et il rend toujours le véhicule. Et il est toujours réparé comme annoncé. Point commun de ces deux mécanos : leurs business reposent sur deux choses : les imprévus et le bouche à oreille. "Quand les gens voient que leur scooter remarche bien, ils gardent mon numéro, le donne à leur connaissance, et me recontactent quand ils ont un problème. Ils savent que je viens à eux et que je peux les aider", explique Omar. En prime : il s'occupe d'aller chercher les pièces nécessaires, est disponible quasiment "tout le temps", et facture ses prestations "en liquide" à un prix défiant toute concurrence : environ 40€ pour un changement de plaquettes de frein, 10€ pour un câble d'embrayage, etc. Le tout, négociable. Une affaire non déclarée, évidemment, qui lui rapporte "800€, 900€, parfois un peu plus" chaque mois, "mais parce que je ne fais pas les grosses réparations", précise-t-il. Conscient de ne pas être "officiellement" qualifié, et même "s'[il] sait le faire", Omar préfère s'en tenir aux aléas mécaniques de tous les jours : des

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petites pannes qui se réparent sans trop de difficultés, qui ne font pas courir de risques à ces clients et qui "ne me prennent pas trop de temps au détriment des réparations que je fais d'habitude." Et en cas de réparation défaillante ? L'activité n'étant pas déclarée, il serait bien délicat d'exiger une garantie. "Ça se passe à la confiance", affirme comme une évidence l'homme en affirmant : "Je sais ce que je fais. Si jamais il y a un problème, je reviens et je le refais sans redemander d'argent. C'est normal."

Plus précisément, ce sont quelque 120 entreprises de réparation de véhicules, pour 140 emplois en découlant, que recensait l'Insee en 2015. Un poids important dans l'économie informelle globale de l'île, mais somme toute mesuré, comme le notait l'Institut : "Les entreprises informelles sont nettement moins productives que celles de la sphère formelle. Une personne dégage en moyenne 8 100€ de valeur ajoutée, contre 38 100€ dans les entreprises formelles." Plus qu'une rentabilité et des revenus mirobolants, c'est donc d'une économie de subsistance dont il s'agit là.

En mécanique, l'informel est roi

Arrondir les fins de mois

Des Omar et des Otto, Mayotte en compte beaucoup. Avec un marché de véhicules en constante augmentation, un fort turn-over amenant les véhicules à passer de main en main, des prix de l'occasion élevés qui poussent à acheter au prix le plus raisonnable des véhicules parfois magnégné, et des routes, des pistes et des conditions climatologiques éprouvantes pour les moteurs, l'activité est, sinon lucrative, très tentante pour les bricoleurs de moteurs, mécaniciens parfois connaisseurs, certes, mais néanmoins amateurs. Conséquences : "Le poids de l'[économie] informel[le] est beaucoup plus important dans la réparation de véhicules ou pour les autres activités de services", mettait en avant l'Institut national de la statistique et des études économiques (Insee) de Mayotte dans son Enquête sur les entreprises mahoraises en 2015, publiée l'an dernier. L'organisme détaillait : "En effet, 65% de la valeur ajoutée des entreprises de réparation de voitures est créée par de l'activité informelle, et 48% pour les autres activités de services."

Mais pourquoi, puisque la clientèle est bel et bien présente, ne pas pratiquer ce business légalement et, possiblement, le développer avant que ne s'installent à Mayotte des enseignes franchisées ou d'autres garages déclarés, améliorant l'offre et menaçant donc les foundis mécaniciens ? "J'ai pas vraiment envie de me lancer dans toutes ces démarches", confie Omar, qui préfère s'en tenir à son fonctionnement actuel. "Je me contente de ce que je gagne, ça me va bien, car je n'ai pas d'énormes besoins en réalité. Est-ce que je veux créer une vraie entreprise, avec des obligations, des charges, des gens à gérer, etc. ? Non, moi j'aime juste faire de la mécanique et rendre service. En fait c'est plutôt ça : je considère que c'est un service que je rends, qu'il me rapporte un peu, et ça me suffit. En plus ça coûterait plus cher aux clients, alors que là ils y trouvent leur compte. Trop de contraintes et de paperasses : merci bien ! Et au fait, t'a pas besoin d'une révision ?" n *Le nom a été changé.

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Benoît Almeras

Vente de fruits et légumes

L'impossible régulation

Sur les bords des routes, leurs parasols colorés et leurs étalages surchargés de fruits et de légumes font partie du paysage mahorais. Elles, ce sont les mama watru wa hudzao bazari (littéralement, "nos mamans vendeuses du marché"), mais on les connaît sous le nom de "Bouénis". Ces commerçantes informelles composent le principal débouché pour les produits des agriculteurs du département. Mais depuis quelques années, les services de l’état et des municipalités cherchent à en réguler l’activité, avec la bénédiction des agriculteurs déclarés. Une mission difficile, voire impossible, tant la pratique est solidement ancrée à Mayotte.

Le week-end touche à sa fin. De retour des plages du sud-ouest, les voitures s’arrêtent sur un terrain vague juste à la sortie de Dembéni, avant de continuer leur route vers Mamoudzou. Juste en face, de l’autre côté de la route nationale, un petit campement fait de bâches, de parpaings et de plateaux en tôle, sur lesquels sont entreposés tomates, carottes, oranges, papayes, ananas, oignons en quantités quasi-bibliques. Cette fin de journée, c’est un moment capital pour Shaïma. De sa voix claire, cette femme solidement bâtie accueille les clients qui traversent la route en lançant invariablement la même formule, à la limite du racolage : "Venez voir mes ananas ! C’est cinq euros le tas de six !" Une sacrée affaire* si l’on en juge les arrêts fréquents des clients, qui papotent avec la vendeuse avant de faire le tour de la quinzaine d’étalages que compte ce marché informel. Shaïma n’a pas toujours voulu devenir vendeuse de légumes. Après avoir étudié jusqu’en troisième, elle n’a pas pu poursuivre ses études, faute d’argent. ce métier, c’est donc un choix par défaut pour cette mère de trois enfants, tout juste trentenaire. "Il n’y avait pas d’autres choses

à faire", raconte-t-elle, entre deux ventes. "Ça vaut mieux de venir ici que de ne rien faire chez soi !"

Un équilibre économique précaire Le mari de Shaïma n’a pas d’emploi régulier. Il travaille comme journalier sur des petits chantiers de construction. Alors, la petite affaire de Shaïma, c’est une source importante de revenus pour la famille, même si elle dit ne pas toujours bien gagner sa vie. "Je gagne environ un euro pour chaque tas que je vends, peu importe le produit", détaille la commerçante. "Les mauvais jours, je ramène vingt euros à la maison. Les bons jours, ça peut aller jusqu’à cent euros." Une fois toutes les dépenses déduites, Shaïma estime qu’elle peut mettre 50 euros par mois de côté, quand "ça s’est bien passé". Cet équilibre économique précaire est fréquemment fragilisé par des secousses : le coût du transport et les mois de vache maigre, quand les clients rentrent en métropole, en sont quelques-unes, récurrentes. Mais dernièrement, les inquiétudes de Shaïma

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portent sur deux sujets. Le premier, c’est la qualité des produits. Elle en souligne la provenance – "Mes fruits viennent de Kahani, c’est produit par des agriculteurs mahorais" –, insistant sur le fait qu’ils sont "quasiment bio" : une réaction après le scandale des "tomates pesticides" qui a éclaté en début d’année, et a occasionné des pertes, les produits stockés par Shaïma ayant pourri faute de clients pour les acheter. Second sujet d’inquiétude : un possible déménagement vers le marché couvert de Tsararano, distant d’un kilomètre. "Nous ne voulons pas y aller", plaide Shaïma, qui se fait porte-parole des autres vendeuses de ce marché informel de Dembéni : "C’est loin, c’est dangereux pour nous, et il n’y aura pas la place pour tout le monde. Nous, on veut rester ici, ensemble, entre amies."

Faire rentrer les bouénis "dans le rang" Or, les services de l’État et des municipalités plaident pour une meilleure régulation de la distribution des fruits et légumes. À la Direction des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi (Dieccte), on rappelle ainsi qu’un commerce doit bénéficier d’une autorisation de la commune pour occuper le domaine public, et que celle-ci entraîne le paiement d'une redevance. Depuis quelques années, les municipalités de Mayotte, telles que Tsingoni, Bandrélé, Acoua ont multiplié les arrêtés municipaux pour interdire la vente à la sauvette. L’objectif, c’est de faire "rentrer dans le rang" les vendeurs de rue, à l’image des commerçantes de fruits et de légumes selon Philippe Emery, chef du service d’information et de statistique économique de la Direction de l’alimentation, de l'agriculture et de la forêt de Mayotte (Daaf). "Les marchands des bords des routes doivent s’enregistrer, avoir un numéro de Siret, et rentrer dans le moule", déclare-t-il. "C’est essentiel pour améliorer la traçabilité des produits, mais aussi pour consolider les filières et lutter contre l’agriculture non déclarée." Une régularisation de la vente informelle, c’est ce que Dani Salim appelle de ses vœux. Ce producteur agricole de Kahani, également ancien responsable de la Chambre d'agriculture, de la pêche et de l'aquaculture de Mayotte

(CAPAM), reconnaît l’importance "stratégique" de la vente au bord des routes. "Ça représente plus de la moitié des débouchés des agriculteurs", estime-t-il. "La grande masse des acheteurs se trouvent à Mamoudzou et dans la périphérie immédiate, à Koungou et Dembéni. Avoir de la vente au bord des routes, c’est plus pratique pour les acheteurs, mais aussi moins cher pour eux." Malgré ce côté pratique, Dani Salim déplore que la pratique encourage le maintien de circuits informels de production et de distribution des produits agricoles.

Une pratique trop culturellement ancrée ? Du côté de la Coopérative des agriculteurs du Centre (Coopac), on juge que la concurrence des bouénis est "déloyale", selon les mots d’Elise Bouquet, sa coordinatrice. Elle met également en avant la sécurité des produits vendus et distribués par sa coopérative. "Tous nos agriculteurs sont enregistrés et ont un numéro de Siret", indique-t-elle. "Nos clients viennent chercher des produits de qualité, et nous avons des contrôles phytosanitaires sur tous nos produits, contrairement à ceux qui proviennent de l’agriculture informelle et ce qui peut être vendu au bord des routes." Malgré tout, la plupart de nos interlocuteurs ne voient pas la vente informelle de fruits et légumes s’arrêter, bien qu’il y ait de plus en plus d’enregistrements de commerçants constatés par la Dieccte. La vente au bord des routes est "trop culturellement ancrée à Mayotte", selon Philippe Emery. Elle participe "au maintien de l’ordre social", selon Dani Salim. "Cela dépend de la volonté de l’État", juge Elise Bouquet. Il est autour de 19h sur le petit marché informel de Dembéni. Les bouénis rangent les étalages et s’apprêtent à ramener les fruits chez elles. Alors qu’elle remballe ses ananas dans des bassines, Shaïma confie que "le métier ne s’arrêtera jamais. Tant qu’il n’y a pas d’autres opportunités, une mère viendra toujours pour vendre des fruits et légumes", affirme-t-elle : "Gagner de l’argent, c’est nécessaire pour nourrir ses enfants." n * À Mayotte, le kilo d’ananas Victoria est vendu environ 2,6 euros, selon les données de la Daaf.

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Geoffroy Vauthier

Brochettis

La subsistance par excellence

L'odeur de la viande en train de cuire sur la grille attire sans mal les passants en parvenant à leur ouvrir l'appétit. Quelques brochettes dans l'assiette, deux mabawas, un peu de manioc, de fruit à pain ou de banane, et le tour est joué. Les brochettis de Mayotte : un business typique ou presque, qui peut avoir de beaux jours devant lui.

Un barbecue souvent bricolé, une grille, des mabawas, des petites brochettes de bœuf marinées, un peu (ou beaucoup) de manioc, de fruit à pain ou de banane frits : pas de doutes, il s'agit bien d'un brochetti. On y mange sur le pouce ou s'en s'asseyant, en bonne quantité et pour des tarifs défiant toute concurrence. Bien qu'apparus dans les années 1990 avec l'importation en grosse quantité de viande de bœuf et de poulet, ces petits restaurants de rue sont devenus rapidement un des attraits gastronomiques de Mayotte. Et même, disons-le, une institution. Il fût ainsi un temps où la rue du Commerce, à Mamoudzou, était le royaume des mamas brochettis, avant que celles-ci ne se voient remplacées en grande partie par des snacks plus modernes, des boutiques de prêt-àporter et des commerces divers. Évolution logique d'une île en plein développement. Pour autant, ils sont encore nombreux à vivre – ou tout au moins survivre – de ce business. Parmi eux, Ahmed*, à la tête d'un brochetti des quartiers sud de Mamoudzou. Ouvert depuis 10 ans, l'établissement est bien connu et apprécié des amateurs. Pourtant, l'homme peine à boucler ses fins de mois. "Au mieux, nous gagnons 150€ par jour, le week-end, quand il y a du monde", déplore-t-il. Bien loin d'être une manne financière, le brochetti s'apparente donc à une affaire de subsistance plus qu'autre chose. Il n'en

a pourtant pas toujours été ainsi, comme le rappelle Ahmed : "Autrefois, c'était plus facile d'en vivre. C'était rentable. Nous étions plus nombreux, c'est vrai, mais il y avait des clients pour tout le monde, car les gens sortaient beaucoup plus manger dehors." Cause de changement ? "Les jeunes qui rôdent", affirme-t-il. En 2016 en effet, le quartier ou la petite affaire est installée a été le théâtre régulier d'affrontement entre bandes rivales. Un mois de disette pour le gérant, qui n'a plus vu, depuis, ses affaires repartir à la hausse. Une tendance qu'Ahmed a essayé d'inverser en demandant des aides pour développer et moderniser son commerce, en vain : "On m'a demandé des cautions, mais comment je peux en donner alors que, justement, je voulais me développer pour gagner ma vie ?" Alors, depuis, l'homme qui travaille en famille – "nous sommes trois en tout" – peine à garder la tête hors de l'eau : "Une fois que le loyer est payé, que les factures sont payées, et que l'on a acheté les produits pour cuisiner, il ne nous reste plus rien." Et d'ironiser : "On ne travaille que pour pouvoir continuer à travailler, sans rien d'autre." Il aura bien essayé d'augmenter légèrement ses prix, mais "les clients râlent. Cela ne leur convient pas." Constat identique pour Zaanfi, qui exerce, illégalement pour sa part, le long de la route nationale. "Quel intérêt j'aurais à me déclarer ?", explique-t-elle, arguant que le

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peu qu'elle gagne avec ses brochettis, ne pourrait de toute façon pas lui permettre de payer tout ce qui va avec une légalisation de son statut. Et de poursuivre : "Je fais ça surtout en attendant de pouvoir faire autre chose. La police passe souvent mais elle ne m'a jamais contrôlé, ni ceux qui font pareil un peu plus loin. Alors je continue, je pense qu'ils [les policiers] tolèrent que l'on fasse comme ça parce qu'il n'y a pas de travail ailleurs." Mais alors, combien gagne-t-elle à peu près ? "Je ne sais pas exactement, peut-être 10 ou 15 euros par jour, un peu plus le week-end quand les gens partent faire des voulés." Si certains brochettis parviennent à faire "leur beurre" – on se souvient par exemple d'un célèbre brochetti

de la capitale qui, en 2013, voyait le tribunal faire une estimation de son chiffre d'affaires de 166 000 euros suite à un contrôle des autorités ayant révélé l'embauche de personnes en situation irrégulière et sous-payées – la plupart ne permettent donc d'obtenir en retour qu'un revenu d'appoint. Sans doute une piste à étudier et à développer, car, encore une fois, en seulement une vingtaine d'années, ces petits snacks improvisés sont parvenus à s'imposer durablement dans les habitudes quotidiennes. n *Le nom a été changé.

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Houdah Madjid

Couture

La révolution du salouva

Houdah Madjid

Donner une autre vie au salouva, c'est ce à quoi aspire depuis 2005 la styliste et modéliste Moinecha Hariti avec son entreprise de couture haut de gamme Hariti M Mod&Art. Il n'est pas question de laisser la modernité prendre le dessus sur la mode mahoraise au détriment des tenues traditionnelles, mais plutôt de combiner les deux, à l'image de l'île sous toutes ses coutures.

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Des robes-salouvas avec salouva fixé à la taille ou en bustier avec pli accordéon aux robes de mariées pour les manzaraka confectionnées avec des saris indiens, la styliste et modéliste Moinecha Hariti s'attèle à revisiter toutes ces tenues. Spécialisée dans le haut de gamme, la créatrice originaire de Pamandzi combine subtilement tradition et modernité. Un moyen de maintenir le traditionnel port du salouva à Mayotte a-t-elle indiqué. Il est vrai que les nouvelles générations aspirent à de nouveaux modèles instigués par le monde oriental pour leurs différentes cérémonies de mariage. Dans son atelier à Mamoudzou, Moinecha Hariti tient compte de ces critères innovants en ne délaissant pas pour autant le salouva traditionnel. D'ailleurs pour une nouvelle commande de mariage, la couturière travaille le nambawane qu'elle mélangera au sari indien. Un nouveau challenge pour celle qui a lancé la mode des bodies en satin en début d'années 2000 et la traîne lors d'un défilé il y a de cela trois ans.

favorisera notamment l'insertion des jeunes. Et de souligner : "Les marchés sont bien présents dans toutes les administrations à Mayotte". Un autre défi à relever pour celle qui ne manque pas de créativité. n

Initialement enseignante et maître formateur Moinecha Hariti, s'est lancée dans la couture en 2002. Pour se consacrer pleinement à ce secteur, elle opte pour une retraite anticipée. Elle profitera de ce temps pour "valoriser [sa] passion" et se perfectionner dans une école de stylisme et modélisme à Toulouse (31). De retour à Mayotte, en 2005 la couturière devient également créatrice sous le nom de Hariti M Mod&Art. "Les clientes viennent avec leurs idées et je les améliore", explique Moinecha Hariti. Son inspiration, "toujours dans la tradition". Se décrivant elle-même comme étant "une fille de la ville et de la brousse" , Moinecha Hariti tient à cette double culture. "J'ai eu la chance d'avoir eu deux sortes d'éducation. Plus jeune, pendant les vacances, j'allais voir ma grand-mère, se remémore-t-elle. Je vivais la tradition, les danses, les tenues etc. Et voir tout ça disparaître d'un coup, ça m'a profondément choqué. Je voulais absolument faire quelque chose".

"Structurer la couture à Mayotte" Moinecha Hariti a baigné dans l'univers de la couture avec un père lui-même couturier de renom à Mayotte - Brahim Hariti- et diplômé en 1965 par l'Académie internationale de coupe de Paris (AICP). "Je me suis lancée surtout pour aider les couturiers de Mayotte. C'est le secteur de mon père, j'y tiens" explique-t-elle. "Mon père est le premier professionnel de nos îles. Son travail était apprécié mais il n'y avait personne pour la relève". Une chose qu'elle souhaite pallier en formant à son tour les tailleurs de l'île ainsi que toutes les personnes intéressées dans le but de "structurer la couture à Mayotte". En septembre prochain, Moinecha Hariti lancera une coopérative avec pour projet la création de son propre label qui

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Geoffroy Vauthier

Économie

Des activités porteuses, mais à encadrer

Ils ont longtemps fait l'économie de Mayotte. "Ils", ce sont ces petits business "traditionnels" ou de subsistance, comme on dit. Doukas, vente en bord de route, taxis, mécaniciens, pêcheurs, ou encore brochettis. Des activités ne nécessitant pas de gros moyens, et permettant d'assurer un revenu minimal. mais Aujourd'hui, alors que l'île est en plein développement, il devient de plus en plus difficile pour eux de se maintenir. En cause : la présence de concurrents disposant de plus de moyens, une législation qui évolue et qui exige des mises aux normes, ou encore – pour les taxis par exemple – l'amélioration des infrastructures. Pourtant, le tissu que représentent ces petites structures est économiquement porteur. À condition toutefois qu'elles soient formalisées. Car si tous, évidemment, ne travaillent pas illégalement, d'autres enrichissent les chiffres de l'économie informelle.

"Avant c'était plus simple" : en rigolant, Hamida se souvient de quand elle a ouvert son premier douka. C'était au début des années 2000, à Koungou, et elle décidait de proposer quelques produits quotidiens, entreposés dans l'entrée de sa maison. Rien de bien compliqué : "dépanner les gens du quartier et gagner un peu d'argent." Un business de subsistance, facile à lancer, facile à gérer et sans règlementation pesante. Depuis, les choses ont changé : la petite épicerie qu'elle a recrée à Mamoudzou, elle l'a cette fois faite dans les règles. Mais la concurrence est rude, notamment du fait des grands distributeurs qui, eux aussi, se développent. Comme beaucoup d'autres à travers l'île, le douka

de Hamida peine à être rentable. Alors que Mayotte se développe à vitesse grand V, les commerces et services longtemps considérés comme "traditionnels" – de petites structures permettant de récupérer un revenu de subsistance – se sentent de plus en plus menacés. Les brochettis, devenus un des emblèmes de Mayotte, ont du mal pour l'essentiel à être rentable et à s'adapter aux normes. Les chauffeurs de taxis regardent avec inquiétude l'arrivée du premier réseau de transport en commun. Les pêcheurs observent les thoniers et se sentent délaissés des autorités. Et que dire du secteur de la mécanique, dans lequel nombre de foundis de la bricole s'engouffrent, sans

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pour autant le faire dans la légalité ? Bref : les habitudes d'hier sont bousculées, et les petites entreprises qui en découlent le sont aussi. Pour autant, sont-elles à sacrifier ? Non : c'est ce que répond en substance l'Association pour le droit à l'initiative économique (Adie) qui, par des aides financières et un accompagnement, permet aux porteurs de projets de faire naître leur structure.

Un tissu économique porteur… Chargée de mission au sein de l'organisme, Ségolène Thomas le confirme. Ainsi, "99% des entreprises que l'on accompagne sont des micros entreprises", explique-t-elle en illustrant : "Les commerces de proximité représentent 61% des activités des entreprises que l'on soutient et accompagne. Il s'agit de doukas, mais aussi des petites boutiques de prêtà-porter, ou des commerces de type quincaillerie ou outillage divers pour travailler avec des professionnels." Si du côté de la restauration, la part des entrepreneurs que l'Adie accompagne n'est que de 6%, ces petites entreprises, voire toutes petites entreprises, sont donc au centre du tissu économique mahorais. De quoi faire dire à la structure que ces petits "business" répartis à travers toute l'île représentent "un axe sur lequel nous devons mettre toutes nos forces. Ces entreprises ne doivent pas être mises de côté avec la départementalisation, la mise à jour des cotisations sociales, des taux d'imposition, etc. Tous ces éléments qui tournent désormais autour de la création d'entreprises doivent être maîtrisés par ces petits entrepreneurs. Il faut qu'ils soient accompagnés pour contribuer de manière à avoir un impact plus global et plus positif sur l'économie du territoire, car les perspectives de développement sont importantes. Il faut les soutenir dans cette démarche d'évolution, de mise aux normes, etc." Une démarche de plus en plus répandue, car, au-delà de la création d'entreprises, certains ont recours à l'organisme pour développer leur affaire : "Nous finançons aussi bien de la création d'entreprises que l'investissement et le développement. Il s'agira par exemple de créer un nouveau point de vente, d'une volonté d'embaucher, d'élargir leur panel de prestations et de services. Pour vous donner une idée : à trois ans, 75% des entreprises que l'on finance sont encore en activité, et plus de huit sur dix sont pérennes après avoir été financées et accompagnées. Ce sont des entreprises qui fonctionnent. Un accompagnement leur permet d'avoir une gestion seine de leur activité et de se développer, de créer de l'emploi et de pouvoir injecter des montants proportionnels à leurs activités dans l'économie Mahoraise. On les accompagne en les formant sur les aspects financiers, commerciaux, juridiques, administratifs."

…mais parfois informel Des normes administratives, justement, c'est parfois ce qu'il manque. Car déclarer son business n'est pas toujours bien perçu. Dans son enquête sur les entreprises

mahoraises en 2015 (publiée en 2018), l'Institut national de la statistique et des études économiques (Insee) estime ainsi que "les entreprises informelles représentent les deux tiers des entreprises marchandes." La raison ? Ces petites affaires sont avant tout destinées à répondre aux besoins de la famille dans un marché de l'emploi compliqué. Dans son Enquête qualitative relative au travail indépendant informel à Mayotte, l'Adie le note : "Pour une très grande majorité des travailleurs informels, il s’agit principalement d’une activité de subsistance, mise en oeuvre pour pallier l’absence de situation professionnelle stable, dans un contexte de chômage important sur le département." Problème : "Une méconnaissance forte du marché et de ses lois, conjuguée à un empêchement d’investissement par manque de moyens financiers, ne permet pas aux travailleurs informels de générer un niveau de productivité satisfaisant. Le manque de maîtrise de notions comme le calcul du prix de revient ou la fixation des prix de vente, induit un manque de visibilité sur la capacité à développer – et/ou officialiser – l’activité." Conséquence : ces structures demeurent à l'état de rempart contre l'inactivité, loin d'être transformée en activité officielle qu'il serait possible de développer, et qui participeraient également au développement du territoire. "Nous essayons de faire tomber les idées reçues sur la création d'entreprises, reprend la chargée de mission. Il peut y avoir des freins qui paraissent infranchissables pour quelqu'un qui a l'habitude de travailler de manière informelle et qui pense que c'est plus avantageux. Mais le fait de se formaliser, c'est aussi contribuer au développement social de l'île et se prémunir des risques liés aux contrôles, de plus en plus fréquents. C'est tout un mécanisme vertueux que l'on essaye d'encourager." n

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Geoffroy Vauthier

"Je sens les autorités en phase avec les besoins du territoire"

Dahalani M'Houmadi, directeur général de l'association Mlezi Maore 32•

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Premier acteur du secteur social et médico-social de Mayotte, l'association Mlezi Maore agit sur tous les fronts : mineurs délinquants, majeurs, vulnérables personnes handicapées, etc. À quelques jours de l'inauguration du premier Centre éducatif renforcé de Mayotte, ouvert en décembre dernier, nous nous sommes entretenus avec le directeur général de l'organisme sur les besoins, les moyens, mais aussi les pistes possibles pour répondre aux nombreuses problématiques sociales du 101ème département.

n

Mayotte Hebdo : Mlezi Maore s'apprête à inaugurer le premier Centre éducatif renforcé à Mayotte. Il permet d'encadrer les mineurs délinquants multirécidivistes sur le territoire, alors qu'ils étaient auparavant pris en charge à La Réunion. Cette infrastructure était très demandée à Mayotte compte tenu de la situation de l'île. Comment va-t-elle fonctionner ? Dahalani M'Houmadi : En effet, nous avions répondu à un appel à projets de La Protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) que nous avons remporté, et le Centre éducatif renforcé (CER) a ouvert ses portes en décembre dernier. Il y a deux types de CER : le premier que l'on dit "en file active" – les jeunes y sont présents toute l'année –, et le deuxième en session. C'est cette dernière organisation que nous avons choisi de mettre en place avec des sessions de quatre mois et demi, composées de phases bien particulières qui permettent de créer de la dynamique. La première est le séjour de rupture : on sort les jeunes de leur environnement pour leur permettre de sortir de leur quotidien et d'évoluer dans un autre cadre. Les jeunes sont présents et encadrés en permanence par des éducateurs, des psychologues, etc., avec différentes activités comme des bivouacs, potentiellement un voyage à La Réunion, etc. On sort de l'urbain, on sort du quotidien. Cette étape dure quatre semaines. Une fois que la rupture a été effectuée, que le jeune a eu son moment de répit, on peut attaquer la deuxième partie et rentrer "dans le dur", comme on dit. Il s'agit de travailler son projet personnalisé pendant sept semaines. Comment peut-il faire ? Comment se projette-t-il ? Et comment pouvons-nous l'accompagner ?

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"Les jeunes ne sont pas relâchés dans la nature sans suivi" Enfin, la dernière partie concerne la préparation à la sortie. On travaille la suite pour que le jeune ne se retrouve pas sans rien en quittant le CER. Cela peut passer par de l'emploi, du stage, de la scolarisation quand c'est possible. Les éducateurs, les psychologues, l'encadrement vont travailler ces différents aspects pour optimiser l'insertion sociale et professionnelle. MH : Mais une fois sortie, un suivi est-il tout de même mené ? DM : Oui. Cela se fait à plusieurs niveaux, car, en parallèle, ils sont également suivis par les équipes de la PJJ. Quand on sort du CER, on peut encore potentiellement être en lien avec l'arsenal judiciaire qui existe à Mayotte. Cela peut également être, si on se rend compte que le jeune est encore fragile au bout de quatre mois, le basculement sur un autre type d'établissement. Pour Mlezi Maore, le CER constitue le deuxième établissement

d'hébergement pour les mineurs délinquants, le premier étant l'établissement de placement éducatif, qui est un volet inférieur en termes de renforcement de l'accompagnement. Le jeune peut basculer dessus si le parcours ou le projet est pertinent. Et puis notre objectif est que le droit commun prenne le relai. Donc, on se met aussi en contact avec les services du Département, des communes, de l'État, pour qu'ils puissent assurer le suivi de ce jeune dans la foulée et qu'il puisse pleinement s'intégrer. Ils ne sont pas relâchés dans la nature. MH : Pour autant, les CER se limitent à huit places. Dans le contexte de Mayotte, cela peut-il suffire ? On se souvient notamment des demandes répétées de l'ancien procureur, Joël Garrigue, pour un centre éducatif fermé (CEF)… DH : En effet, cela ne répond pas tout à fait aux besoins du territoire, mais ces huit places ont le mérite d'exister. C'est déjà une très bonne chose. Cela fait quasiment une vingtaine de places avec l'établissement de placement éducatif. Cela permet une première expérimentation, de lancer la machine et, au regard de l'évaluation des besoins et de l'expérience qu'on a avec ces jeunes, de potentiellement réaliser une montée en puissance. Mais cela ne relève pas de la responsabilité de Mlezi Maore. Nous, nous pouvons faire remonter les besoins en termes de liste d'attente ou de difficultés que l'on repère sur le territoire, et ce sont ensuite les services de l'État – notamment la PJJ – qui décident de lancer un appel à projets s'ils estiment qu'il est nécessaire soit d'augmenter le nombre de places, soit de passer à un autre type d'établissement comme un CEF, avec un accompagnement davantage renforcé. MH : Vous sentez les autorités ouvertes à ces possibilités ? DH : Oui. Moi, aujourd'hui, je sens les autorités en phase avec les besoins du territoire et avec une volonté forte de prendre en charge la jeunesse de manière générale, mais aussi celle qui a eu un écart de conduite. MH : Au-delà des ces points précis, et idéalement, quels seraient les investissements nécessaires pour le territoire ? DH : Aujourd'hui, de ce qu'on peut repérer sur le territoire, l'action sociale et médico-sociale constitue un besoin phénoménal. C'est prioritaire, notamment sur les questions de l'enfance. À travers les différents services que l'on gère, on voit aujourd'hui qu'il y a des difficultés de scolarisation, pour les enfants au primaire

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en particulier : soit parce qu'ils n'y ont pas accès, soit parce qu'ils sont scolarisés, mais qu'ils se retrouvent en rupture ou en difficulté. Il y a un travail à réaliser pour ces enfants-là. Il y a aussi un travail à réaliser pour les jeunes qui sortent du système scolaire et qui peuvent potentiellement basculer dans des phénomènes de délinquance, de comportements à risques, d'écarts de conduite. Il faut faire quelque chose. Et puis il y a le volet de l'insertion professionnelle. Cela concerne à la fois la jeunesse, mais aussi les adultes puisque Mayotte a le taux de chômage le plus important sur le territoire national. Mais j'ai envie de dire qu'il y a une bonne nouvelle, car la marge de progression est importante. On part de loin. Le Conseil départemental, qui est le chef de file de l'action sociale, reçoit des crédits de plus en plus importants et des appels à projets commencent à sortir. Dans le domaine du handicap, les besoins sont aussi importants. On a le handicap pour les enfants, pour lesquels une prise en charge existe, mais pas, en revanche, pour les adultes. Là aussi il y a une montée en puissance qui doit être faite. Moi j'ai plutôt l'impression, que ce soit au niveau des services de l'État ou du Département, que cette prise de conscience est manifeste et que cette montée en puissance est en train de s'opérer progressivement. On peu le constater à travers les appels à projets qui sortent.

fois une société qui a connu la départementalisation, avec de nouveaux codes, et une occidentalisation qui est en train d'arriver – et cela peut perturber les parents. Ce qu'on constate par exemple aujourd'hui, c'est que lorsqu’un parent confie son enfant aux services de Mlezi Maore, la confiance est très forte. On peut penser que c'est du désintérêt – on dépose l'enfant et on ne le voit plus pendant ce temps –, mais on peut aussi le considérer sous un autre angle : la confiance est tellement forte que le parent se dit qu'il ne doit pas déranger le professionnel, car c'est son métier et qu'il sait mieux que lui, et donc il va se mettre en retrait. Notre rôle à nous, c'est de leur dire qu'on a aussi besoin d'eux parce qu'ils ont une connaissance supérieure à la nôtre de leur enfant, de son quotidien, qu'on a besoin d'eux parce que sans eux, justement, on n'y arrivera pas. Ce sont des choses qui sont en train de s'opérer. Ce samedi (29 juin, NDLR), a lieu par exemple la fête de l'institut médicoéducatif, durant laquelle les enfants vont présenter un spectacle. Les parents y sont invités pour constater les progrès réalisés par leurs enfants. Cela permet de faire changer le regard sur le handicap, car, aujourd'hui à Mayotte, on vit le handicap comme un coup du sort, une volonté de Dieu, une punition. Nous on essaye de leur apporter un autre regard, de leur dire qu'il y a quelque chose à faire, que l'enfant peut progresser, évoluer, être heureux, et on leur propose de leur apporter quelques "billes" pour les aider dans cette démarche-là.

MH : Plus largement, Mlezi Maore se développe de plus en plus ces dernières années. Après la fusion Tama / Toioussi, plusieurs projets ont vu le jour, comme notamment un service d'action éducative en milieu ouvert en 2018. Il permet de placer des enfants en assurant leur sécurité et de leur garantir des conditions de vie et d'éducation décentes, tout en accompagnant les parents dans leur parentalité. Cette question de parentalité est-elle vraiment prégnante à Mayotte ?

MH : Au-delà de la problématique du handicap, quelles armes manquent à ces parents pour assurer leur rôle pleinement ?

DH : Le premier élément est de considérer que la parentalité s'exerce différemment ici, avec d'autres modèles, d'autres repères que ceux que l'on peut avoir en métropole. Être parent à Mayotte n'est pas la même chose qu'être parent à Saint-Étienne ou en Île-de-France. Associer les parents à toutes les activités que l'on réalise est indispensable. Cependant, on n'est pas là pour dire aux parents quelle conduite il faut tenir pour être un bon parent. Nous sommes là pour les accompagner dans leur parentalité, les soutenir et leur apporter le coup de pouce qui est nécessaire pour qu'ils puissent assurer la réussite éducative, sociale, professionnelle, de leurs enfants, et qu’eux-mêmes puissent se sentir dans les meilleures conditions pour assumer leur rôle. On a à la

DH : Ce sont surtout les codes nouveaux qui leur manquent, je crois. Concernant la parentalité, aujourd'hui, nous on intervient dans le cadre de notre service d'action éducative en milieu ouvert (AEMO), et auprès des mineurs non accompagnés. Les premiers ont leurs parents sur le territoire ou un représentant légal, mais ils se retrouvent dans une situation de danger et il faut leur venir en soutien et exercer un accompagnement à la parentalité. Si on regarde historiquement la société mahoraise, on se rend compte qu'il y avait un modèle familial qui ne posait pas de problèmes. Avec des éléments positifs et d'autres moins, peut-être, mais cela fonctionnait. Sauf qu'aujourd'hui, la place que l'on donne aux parents, celle que l'on souhaite donner à l'enfant – ce qu'on appelle "enfant roi" en métropole par exemple –, la question de la bienveillance, de la maltraitance, du rapport à la vie sociale, n'est pas du tout le même. Cela nécessite donc un accompagnement des parents à un niveau d'exigence ou à des codes qui n'étaient pas familiers jusqu'alors. Cela ne pose pas de problème à un parent mahorais aujourd'hui de laisser

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son enfant à l'extérieur jouer avec d'autres, alors qu'en métropole on dirait qu'il n'a pas le souci de son enfant, que des voitures passent, que c'est dangereux, etc. Ici, il y a une confiance communautaire qui fait que chacun jette un œil sur les enfants du voisin. Cette solidarité est une vraie chance que Mayotte ne doit pas perdre. Il y a donc à la fois une nécessité de nous adapter, nous, aux spécificités de Mayotte, et en même temps aux familles mahoraises, pour offrir à leurs enfants les meilleures chances de réussite, d'intégrer les codes de la société occidentale parce que c'est dans ce cadre-là que leurs enfants vont évoluer. Ce dont je suis certain, c'est qu'il n'y a pas de mauvais parents : tous ont envie que leurs enfants réussissent, qu'ils s'en sortent. Cela dit, cela ne veut pas dire qu'il n'y a pas à Mayotte, de maltraitance. Il y en a, avec des enfants dans des situations complètement horribles. Et ça, il faut quoi qu'il en soit agir, quelle que soit la culture, quelle que soit la tradition. Il y a des éléments inacceptables, quels que soient les principes qu'on évoque. Il y a des éléments qui ne sont pas négociables. MH : Justement, le handicap, vous l'avez dit, est encore tabou à Mayotte. Alors, comment agir ? DH : Cela passe par ce genre d'actions, déjà, qui sont intéressantes, mais qui restent insuffisantes. On a encore bon nombre d'enfants handicapés sur le territoire qui ne sont pas recensés. Parfois parce que les parents sont en situation irrégulière et n'osent pas sortir pour demander de l'aide. Aujourd'hui, on intervient auprès des enfants handicapés visibles, dont la MDPH a identifié l'existence parce que les parents ont assez d'énergie pour se manifester, mais il y a toute une tranche d'enfants que nous n'avons pas repérés, dont on n'a pas connaissance, mais envers lesquels nous avons tout de même une responsabilité. MH : D'autant que la situation des personnes handicapées, particulièrement les enfants, est plus complexe qu'ailleurs : Mayotte manque d'infrastructures en la matière, l'urbanisme n'est par exemple que rarement accessible aux personnes à mobilité réduite, etc. En dehors des heures de prise en charge, le contexte est peu adapté… DH : Absolument. L'objectif de l'enfant handicapé n'est pas de rester ad vitam aeternam dans un établissement pour enfant handicapé, c'est de pouvoir potentiellement intégrer l'école du quartier, de pouvoir aller à l'épicerie du coin, à la boulangerie, d'accompagner ses parents dans leurs activités, etc. En somme : de gagner en autonomie.

Et ça, il est vrai qu'aujourd'hui on n'est pas outillés pour le permettre pleinement. L'artillerie en la matière est beaucoup plus complète en métropole pour proposer à l'enfant un parcours complet, jusqu'à l'âge adulte. Un exemple : Mlezi Maore intervient aujourd'hui pour des enfants handicapés jusqu'à 18 ans, et on est très en difficultés pour pouvoir proposer des choses pour la suite, car rien n'existe. Ceux qui ont les moyens et les capacités partent en métropole. Ceux qui sont démunis, eux, se retrouvent avec leur enfant sur les bras et une situation qui régresse, alors que l'on avait réussi à la faire évoluer. C'est pour cela que l'on encourage les professionnels à intégrer les parents, car, conscients que derrière il n'y aura plus d'accompagnement, cela permet au moins aux parents de prendre le relai, car il faut stimuler et accompagner en permanence. Cela dit, je crois que l'Agence régionale de santé (ARS) a pleinement connaissance de cette problématique, et que certains des appels à projets dans les mois et années à venir concerneront les adultes handicapés, pour qu'ils puissent disposer d'une passerelle de leur enfance à l'âge adulte. MH : Récemment, Mlezi Maore s'est engagée dans la protection des majeurs vulnérables à travers son pôle solidarité. C'est là une corde de plus pour votre structure. Quels sont les axes comme celui-ci qui pourront être développés, à moyen terme ? DH : Mlezi Maore a vocation à venir en soutien aux personnes vulnérables, de l'enfance au troisième âge. Nous sommes adossés au Groupe SOS, qui propose des activités extrêmement variées dans le secteur du social, du médico-social, de l'économie sociale et solidaire, et nous avons la volonté de mettre en œuvre toute notre expertise pour assurer aux Mahorais des conditions de vie qui soient les meilleures possibles. Plus précisément, nous avons envie, clairement, de poursuivre des actions autour de la protection de l'enfance. On va ouvrir une maison de l'enfant à caractère social d'ici la fin de l'été, qui sera la première de Mayotte, mais qui, probablement, ne sera pas la dernière, car les formes d'hébergement pour l'enfance en danger, on en a besoin. Et nous continuerons à apporter nos compétences aux collectivités. De la même manière, nous allons continuer à nous investir dans le domaine du handicap, pour l'enfant, mais aussi pour les adultes. On le fait déjà un peu, vous l'avez dit, avec les tutelles puisque les majeurs protégés sont des adultes avec une altération des facultés mentales. On a répondu à un appel à projets de l'ARS pour le développement de Services d'accompagnement médico-

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social pour adultes handicapés (Samsah), des structures qui proposent du maintien à domicile pour les personnes handicapées. Nous allons continuer en ce sens. On constate également des difficultés en ce qui concerne la garde et l'isolement de nos aînés. Nous avons aussi la possibilité d'apporter notre expertise aux collectivités dans ce domaine. Ce qu'il faut retenir de notre association est qu'elle est à la fois au service des Mahorais, de l'État et des collectivités. On développera des actions soit en étant force de proposition – car on gère déjà des services, on repère des manques et des besoins – et on proposera des actions en ce sens là, soit en répondant à des sollicitations des services de l'État et des collectivités qui auraient besoin d'avoir une organisation solide pour développer tel ou tel type d'activité, une organisation en capacité de répondre de l'utilisation des fonds publics à l'euro prêt, une organisation capable de déployer de la compétence pour gérer des services d'établissements règlementés, une organisation en capacité de rendre compte concrètement des actions qu'elle réalise. On fait partie des acteurs à Mayotte en capacité de répondre à ces prérogatives. Le deuxième axe est la professionnalisation des Mahorais de Mlezi Maore. On a, comme partout à Mayotte, un turnover important. Cela a du positif d'avoir des personnes qui arrivent de métropole, car elles apportent de la fraîcheur et des compétences, mais il n'est possible de se développer vraiment qu'avec des personnes qui se projettent sur le territoire. Pour moi, le Mahorais n'est pas juste le natif de l'île, mais celui qui se projette ici. C'est avec eux qu'il faut construire. Ce que l'on constate, c'est que pour le moment, les Mahorais sont moins qualifiés que ceux qui arrivent de métropole. Cependant, ils ont un savoir-faire. Quand on les embauche auprès des personnes handicapées, de l'enfance délinquante, de l'enfance en danger, on s'aperçoit que leur histoire leur donne une aptitude à pouvoir être en interaction avec ces populations-là. Il faut donc qu'on les accompagne vers cette professionnalisation, vers de la qualification, vers des diplômes d'éducateurs spécialisés, d'infirmiers, de psychologues, de tout ce dont on a besoin dans le secteur social et médico-social. Cela leur permettra d'allier le savoir-être et le savoir-faire. Enfin, nous sommes issus de la fusion de Tama et de Toioussi, soit plus d'une quinzaine d'années d'existence. Nous avons plus de 300 salariés, sommes le premier acteur associatif à Mayotte et on a l'expérience, l'ancienneté et le savoir-faire pour pouvoir aujourd'hui transmettre. Nous serions ravis de pouvoir soutenir des associations locales mahoraises qui n'auraient pas forcément l'ossature financière, ou en termes de ressources humaines et de logistique pour pouvoir se développer, mais qui auraient une superbe idée à développer. C'est un axe que l'on a

envie de suivre. Pour le moment, on le fait pour une ou deux associations, c'est encore embryonnaire, mais il faut que cela prenne une plus grosse ampleur. MH : Vous êtes arrivés à la direction de Mlezi Maore il y a quelques mois. C'est une grosse responsabilité compte tenu des besoins à Mayotte et du poids de l'association… DH : J'étais anciennement directeur de l'Union départementale des associations familiales (Udaf) des Bouches-du-Rhône, et ce qui m'a fortement intéressé ici, c'est l'ordre du possible. À Mayotte, tout est à réaliser, dans tous les domaines. Il y a un existant, évidemment, avec des prédécesseurs qui ont fait un travail formidable permettant d'avoir un socle, mais il reste encore du chemin à parcourir. Mon ambition à moi, c'est de participer à la transformation sociale qui est en train de se jouer. Et si, à travers Mlezi Maore et le Groupe SOS, on peut arriver à regarder dans le rétroviseur au bout de quelques années et se dire qu'on a contribué à prendre en charge l'enfance en danger, à donner des portes de sortie positive aux jeunes qui ont eu un écart de conduite, à proposer des solutions aux adultes handicapés, à proposer des solutions à des jeunes et des adultes avec de l'insertion professionnelle, j'en serai tout à fait heureux. C'est un défi à relever avec mes collaborateurs. Et c'est très stimulant, malgré une précarité très présente et difficile à accepter.n

" c'est avec les mahorais qu'il nous faut construire "


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le métier de la semaine

Carreleur

Le carreleur revêt toute surface horizontale ou verticale par scellement, collage ou fixation d'éléments rigides (carrelage, faïence, pierres ornementales, ...) selon les règles de sécurité. Il peut installer des parquets et effectuer des travaux d'agencement.

Environnement de travail

Bâtiment domestique, bâtiment et travaux publics, bâtiment industriel, bâtiment second œuvre, bâtiment tertiaire

Compétences

- Implanter une zone de chantier - Démonter un revêtement existant - Enlever des gravats - Poser des matériaux isolants - Ragréer une surface de pose - Appliquer la barbotine - Définir l'alignement d'un revêtement - Couper des matériaux de revêtements et de finition - Poser des carreaux sur un support - Vérifier l'équerrage et l'aplomb - Fixer les carrelages, faïences, plinthes ou barres de seuil

Accès au métier

Cet emploi/métier est accessible avec un CAP/BEP en carrelage. Il est également accessible avec une expérience professionnelle dans ce secteur sans diplôme particulier. Un diplôme de niveau Bac (Bac professionnel, Brevet Professionnel) peut être demandé pour les postes d'encadrement d'équipe. Des formations complémentaires aux techniques de pose de mosaïque, de faïence, de marbre et de parquet peuvent être requises.

OFFRE D’EMPLOI OUVRIER POLYVALENT PARC AUTOMOBILE ET LOGISTIQUE PR OGRES

CO

N FIANCE

JUSTICE

Cadre d’emplois des Adjoints techniques territoriaux (cat. C) Filière technique recrutement statutaire / non statutaire avec une expérience sur des fonctions similaires.

Sous l’autorité du directeur des services techniques, l’ouvrier polyvalent exécute les travaux d’entretien, la maintenance des véhicules dans son état d’origine, conduit des engins de chantier de la collectivité dans le respect des règles de sécurité et de protection de l’environnement. Il assure la réception, le stockage, la préparation et la distribution des marchandises du magasin. Entrepose, garde, maintient et distribue des produits et matériels spécifiques à l'activité des services. Principales missions : - Intervenir en toute autonomie sur des installations industrielles simples et exécute des travaux de maintenance mécanique, de montage, de démontage, de réglage, de réparation et de remise en service d'ensembles et de sous-ensembles industriels. - Effectuer sur les chantiers tous les travaux de creusement, de déblaiement ou de terrassement - Diagnostiquer, contrôler les équipements et rendre compte au chef d’équipe ou responsable de service les difficultés rencontrées sur les véhicules contrôlés - Assurer l’entretien courant des machines, des matériels et du local utilisés - Appliquer et faire appliquer les règles et consignes de sécurité liées aux travaux en cours dans l’atelier mécanique et le magasin Profil recherché : - Titulaire au minimum d’un de ces diplômes : CAP-BEP-BAC PRO Mécanique - Techniques de base d'intervention sur les véhicules - Maîtrise des consignes de sécurité - Règles spécifiques d’entretien de certains locaux et matériaux - Permis B obligatoire Rémunération : Statutaire / Non statutaire Poste à pourvoir rapidement, adresser CV et lettre de motivation à : drh@dzaoudzi-labattoir.fr Date limite des dépôts de candidature le 15 août 2019.


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Animateur / Animatrice d'activités périscolaires

Aide-pâtissier / Aidepâtissière

Coordonnateur / Coordonnatrice Ordonnancement, Pilotage et Coordination de chantier -OPC-

CENTRE COMMUNAL D ACTION SOCIALE - 976 - CHIRONGUI Le CCAS de Chirongui recrute un-e assistant-e social-e afin d'accompagner les habitants de la commune de Chirongui dans leurs accès aux droits en les écoutant, identifiant et qualifiant la demande

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Commerce traditionnel, la fin de l'anarchie ? Journalistes Ichirac Mahafidhou Lyse Le Runigo Hugo Coeff Romain Guille Solène Peillard Grégoire Mérot Benoît Almeras Correspondants HZK - (Moroni) Direction artistique Franco di Sangro Graphistes/Maquettistes Olivier Baron, Franco di Sangro Commerciaux Cédric Denaud, Murielle Turlan, Thomas Lévy Comptabilité Catherine Chiggiato compta@mayottehebdo.com Secretariat Annabelle Mouhamadi Première parution Vendredi 31 mars 2000 ISSN : 1288 - 1716 RCS : n° 9757/2000 N° de Siret : 024 061 970 000 18 N°CPPAP : 0121 I 92960 Site internet www.mayottehebdo.com


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