Mayotte Hebdo n°897

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LE MOT DE LA RÉDACTION

Ô INQUIÉTUDES ! La mer a pris ses aises : c'est le moins que l'on puisse dire à la vue de ce littoral grignoté par les eaux à travers l'île. Alors, certes, s'il est quelque peu abusif de parler d'inondations, les inquiétudes quant à l'avenir de ces zones est légitime. Des marées encore plus hautes que celles du week-end du 31 août et 1er septembre sont attendues ce mois-ci ainsi que le mois prochain et, à moins que Mayotte, après s'être enfoncée, ne se remette à niveau – ce qui, disons-le, est bien peu probable – ce phénomène s'annonce désormais récurrent. Il faut donc en tenir compte. C'est ce que nous explique les spécialistes dans notre papier magazine, illustré de photos : comment gérer cette situation ? Une situation également présente dans notre grand entretien avec le député Mansour Kamardine. L'élu vient en effet de déposer plusieurs questions au gouvernement. L'une d'elles concernent le phénomène de montée des eaux. Mais tout au long de cette interview, il sera aussi question du récent accord entre la France et l'Union des Comores, qui représente une source d'espoir quant aux questions des flux migratoires que subit Mayotte. Nous sommes aussi partis dans le nord de l'île, à la rencontre d'Ali Madi, gérant de l'établissement La Boissonnerie, qui tâche d'animer le quotidien des habitants en leur proposant un lieu de détente, mais aussi très bientôt des activités nautiques. Enfin, nous inaugurons une nouvelle rubrique consacrée à la littérature. Chaque semaine, Christophe Cosker, auteur de L'invention de Mayotte, nous proposera un extrait commencé d'un ouvrage où il est question de notre chère île Plus que jamais, donc, bonne lecture tous.

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COUP D’ŒIL DANS CE QUE J'EN PENSE

Laurent Canavate

Mayotte Hebdo n°643, vendredi 24 janvier 2014

UNE PHOTO JAUNIE DE MAYOTTE… Une photo de la station-service de Kawéni, inondée, avec de l’eau qui s’infiltrait dans les cuves, comme souvent en cas de pluie à cette époque. Pas d’immeuble en vue, pas de rond-point téléphonique, quelques rares maisons d’un seul niveau autour, avec des fenêtres sans grille, surprenantes... La colline de Kawéni verte, déserte. Pas une case en tôle, pas un habitant, pas un immeuble sur les hauteurs. Une photo jaunie de Mayotte, il y a une quinzaine d’années seulement, lorsque Mayotte comptait à peine 100 000 habitants. À l’aube de l’an 2000, la vie était bien différente à Mayotte, et dans le reste du monde aussi. Le téléphone portable n’était pas encore là, ni internet. Certains, les plus jeunes, n’arrivent déjà pas à vivre sans WiFi, alors de là à imaginer un tel monde. Et pourtant... Les taxis-brousse étaient des Peugeot 404 bâchées, avec de petits bancs en bois se faisant face. Les sacs de riz, les animaux vivants y avaient leur place, pour venir sur Mamoudzou, ou le soir pour rentrer en brousse, bercés par l’odeur délicieuse de l'ylang. Les plus grands magasins de l’île - la Snie place du Marché et la Sodifram rue du Commerce - annonçaient leurs arrivages et l’on y découvrait sans rancune les pénuries. Pas de lait, pas de beurre, pas de tel produit... Ça arrivera bien. Mayotte rêvait d’être département. Ce leitmotiv a porté des générations. Beaucoup ne savaient pas ce que ce serait, mais peu ont cherché à savoir, on verra bien ! Trop peu se sont préparés, se sont formés pour affronter ce statut qui ne serait plus provisoire. Les nouvelles générations sauraient bien s’en occuper le moment venu. Le département est là. Faute de leitmotiv commun à répéter, les cortèges se sont disloqués, chacun est parti de son côté. La richesse relative de l’île, son système éducatif et de santé de meilleure qualité, ont attiré nos voisins d’Anjouan abandonnés par leur pouvoir central, trop content de pouvoir s’en débarrasser, incapable de répondre à ces besoins. Il a alors fallu "faire du chiffre", construire en urgence des écoles et mettre devant les élèves tous ceux qui voulaient bien. Puis tasser les enfants dans les écoles faute de foncier, faute de moyens financiers, faute de volontés politiques fortes et affirmées. Il a aussi fallu répondre à l’urgence et l’essentiel des moyens du système médical sont allés à la maternité, avec 70 % des naissances du fait de femmes en situation irrégulière pendant près de 15 ans, au détriment de spécialistes, de dentistes, d’ophtalmologues, de cardiologues, d’anesthésistes qui font toujours cruellement défaut... Pour des raisons politiques et de sécurité publique, pour faire face à l’urgence aussi, il a été décidé de consacrer les moyens des forces de l’ordre à la lutte contre l’immigration clandestine. Des

TOLERIE - PREPAR ATION - PEINTURE

moyens supplémentaires colossaux ont été attribués à Mayotte en 10 ans : Paf, douanes, police, gendarmerie, moyens nautiques... mais ils ont essayé de limiter l’immigration clandestine. Aujourd’hui le recensement de l’Insee établit à environ 60.000 le nombre de clandestins, soit un tiers de la population de l’île, plus de la moitié des habitants sur les communes de Mamoudzou et Koungou... Tel Sisyphe, les forces de l’ordre sillonnent l’île sans répit, inlassablement. Mais aujourd’hui la délinquance devient un vrai, grave problème à Mayotte et il faut y redéployer les moyens disponibles, en urgence ! Comme pour une école de qualité exigée par tous les parents, comme pour les spécialistes qui sont réclamés dans le système de santé, comme pour une lutte forte contre la délinquance qui est devenue un fléau, Mayotte doit franchir ce cap, cette étape de son évolution. Il est temps et urgent de s’y atteler, car dans le même temps tous ces enfants grandissent. Ils réclament à manger, un toit, un travail. Beaucoup s’échappent de cette île chère et qui le deviendra toujours plus pour des raisons structurelles d’insularité, d’étroitesse du territoire, d’éloignement des grands centres de production ou de normes qui se mettent en place. Ils vont découvrir la Réunion, la Métropole, le monde. Avant on les attendait les bras ouverts, on les incitait à étudier et revenir. On les a ensuite incités à rester un peu en Métropole pour acquérir de l’expérience. Aujourd’hui, faute de développement économique sérieux, on leur conseille de s’armer au mieux pour découvrir le monde. Mais pour tous ceux qui restent bloqués ici, tous ceux qui vivent de revenus sociaux a minima, ceux qui sont sans papier et vivent dans des conditions de plus en plus difficiles, la seule solution pour manger sera la violence, la délinquance. Une photo jaunie de Mayotte et les souvenirs affluent, les images se superposent à la réalité, on entend à nouveau le rire des absents. On revoit toute cette insouciance, ces rêves dans les yeux quand on évoquait le jour où l’on sera département... Puis on a vite en tête aussi des images plus actuelles, moins agréables de Mayotte, plus sales, plus tristes, plus violentes. Le provisoire qui durait a pris fin. Aujourd’hui il faut construire du solide, avec des bases saines. Il faut rapidement retrouver tous ces rêves, cette ambition, cette joie de vivre ici. Il faut enlever la poussière de cette photo jaunie et redonner tout son lustre à cette île. Il convient de retrouver tout l’espoir dans l’avenir qui permettra de construire une île où il fait bon vivre : Mayotte de demain !

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S LE RÉTRO

Pour tous vos communiqués et informations

Une seule adresse : rédaction@mayottehebdo.com

Mayotte à l'heure du recyclage Au départ dépôts d'ordures sauvages, institutionnalisés comme dépotoirs faute de solution alternative, les cinq décharges de l'île menacent en 2009 depuis plus de 10 ans la santé des populations, la qualité des sols et les espoirs touristiques de Mayotte. Une prise de conscience et une planification des pouvoirs publics doit permettre, d'ici la fin de l'année 2010, la création d'un centre de stockage aux normes, entrainant la fermeture des décharges et la réhabilitation des terrains qu'elles occupent, le tout accompagné de la mise en place de filières de collecte et valorisation des déchets. "Mayotte va enfin avoir un équipement aux normes pour le traitement des déchets ménagers", se réjouissait un responsable de la direction de l'environnement du Conseil général. Mayotte Hebdo n°441, vendredi 4 septembre 2009.

Le grand retour des fripes "Ici, avec 20 euros, nous pouvons avoir jusqu’à six jolis hauts en négociant bien, alors que dans les boutiques ça coûte à peine ce prix-là pour avoir un tee-shirt. De plus, les vêtements qu’on achète ici sont très solides, ceux de la boutique on les lave une fois et ils s’abiment" : le témoignage en dit long. À Mayotte, les fripes connaissent un succès réel. En cause : la vie chère, regrettée par tous. Parmi ces vendeurs, celui appelé Métisse sait particulièrement bien s'y prendre : "quatre euros le body, même si vous vous rendez à la préfecture et qu’il y a un monde fou, le gardien à la porte vous prendra en premier, tant vous serez beau avec mes bodies. Un... deux... trois..." Mayotte Hebdo n°670, vendredi 5 septembre 2014.

LA PHOTO D'ARCHIVE Ewa, première compagnie mahoraise Mai 2013 : en partenariat avec la Chambre de commerce et d'industrie (CCI) de Mayotte et la société Ylang Invest, Air Austral présente la nouvelle et première compagnie aérienne mahoraise : Ewa Air. "Nous sommes tous réunis autour de l'avènement de cette compagnie aérienne. Mayotte a besoin d'être à proximité de son environnement régional. On doit être le coeur de la chaine. En 9 mois, on passe d'un projet imaginé à un projet concret. Nous structurons notre aéroport. C'est un point positif de par son envergure, et ses caisses d'enregistrement plus nombreuses. Il y a une étape qui doit être franchie : celle de la piste longue. Nous savons que les enjeux économiques sont très importants. Il ne s'agit pas simplement d'une compagnie aérienne mais une compagnie mahoraise qui s'appuie sur des compétences locales", déclarait Daniel Zaïdani, alors président du Conseil général.

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IL Y A 5 ANS

IL Y A 10 ANS

C'ÉTAIT DANS MH


TCHAKS

LA PHRASE

LE CHIFFRE L'ACTION Le Paf se renforce Ils sont 45 nouveaux agents à avoir rejoint la Direction départementale de la police aux frontières de Mayotte, lundi 2 septembre. Dans le détail, il s'agit de 19 postes profilés, 11 polyvalents, et 15 adjoints de sécurité. Des effectifs rentrant dans le cadre du renforcement des moyens de lutte contre l'immigration clandestine annoncés par l'État.

2 983 500 C'est le montant du prêt accordé à la Société immobilière de Mayotte (Sim) au terme d'une convention tripartite conclue entre la SIM, Action logement, le ministère de la Cohésion des territoires et la Caisse des consignations. Le prêt en question est entièrement bonifié par Action logement, qui prend en charge les intérêts sur une durée de 30 ans. Cet apport est décisif pour la construction de 459 logements, répartis en neuf opérations, et permettra à Action Logement Services de réserver plus de 140 logements pour y loger en priorité des salariés d’entreprises du secteur privé.

"La justice fera tout ce qui est possible pour donner la réponse la plus adaptée liée à la gravité des faits et au regard de la personnalité des mis en cause." Le procureur de la République, Camille Miansoni tient à rassurer quant aux suites qui seront données dans le cadre de l'agression mortelle d'un jeune de 19 ans à Sada, samedi 31 août. Sept jeunes impliqués dans la rixe ont été interpellés et sont aux mains de la justice. Ils encourent jusqu’à 30 ans de réclusion criminelle. "La circonstance que ces personnes seraient revenues après être allées chercher des pierres laissait présupposer une préméditation de l’acte", a également expliqué le procureur.

LA PHOTO DE LA SEMAINE Le préfet accueille les nouveaux policiers et gendarmes

Le préfet de Mayotte, Jean-François Colombet, accueille les nouveaux policiers et gendarmes de l'île arrivés sur l'île, mardi 4. Au total, 120 nouveaux arrivants font leur entrée au sein des différentes forces du territoire. Parmi eux, on compte 60 gendarmes, 45 membres de la police aux frontières, 15 policiers de la sûreté publique et 14 adjoints de sécurité. "Depuis 2015, 421 nouveaux effectifs sont venus s’ajouter aux forces sur l’île, cela montre tout l’engagement du gouvernement pour la sécurité des Mahorais", a ajouté le préfet. Au total, ils sont désormais 1095 sur le territoire.

SÉISME Un séisme à 4,7 de magnitude

4,7 : C'est la magnitude du séisme qui a secoué l'île dans la nuit du jeudi 29 au vendredi 30 août derniers. De quoi rappeler que, malgré une période de calme relatif, le phénomène sismo-volcanique qui cristallise désormais toutes les attentions, est toujours actif.

PROVERBE Ãkiba ãkiba walakini puzi / Ãkiba ãkiba tu, laukana mavuzi.

L'épargne est l'épargne, même juste un duvet.

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LE FLOP LE TOP Le village d'Antana Bé va renaître

La Direction des affaires culturelles a lancé un appel d’offres à la fin du mois d’août pour mener une étude de recherche appliquée au patrimoine bâti sur l’ancien village d’Antana Bé. L’objectif ? Réaliser un inventaire précis des vestiges et des composantes paysagères du site en vue de l’élaboration d’une cartographie détaillée et d’un cahier des charges de gestion patrimoniale et paysagère. Ce travail doit permettre à la commune de planifier et d’organiser les travaux d’entretien et de mise en valeur du site. Deux phases à cette étude, avec une livraison au plus tard en mars 2020. Pour rappel, la mangrove au sud de Poroani (commune de Chirongui) a vu fleurir au milieu du XIXème siècle un village tout en cases alignées le long d’une voie de circulation qui suit l’axe de la presqu’île. Une mosquée est bâtie dans cet alignement et le village est dénommé Antana Bé (et aussi Dzaoudzi). Le site présente un intérêt indéniable pour l’histoire des implantations humaines à Mayotte et témoigne de la manière traditionnelle d’urbaniser à la fin du XIXe siècle. Son inscription au titre des Monuments historiques a été approuvée par la Commission régionale du patrimoine et de l’architecture en avril 2019.

Deux cambriolages à la Croix-Rouge

Deux cambriolages en trois semaines : cela commence à faire beaucoup pour la Croix-Rouge, à Passamaïnty. Dix ordinateurs et de l'argent ont notamment été dérobés. Les deux larcins ont eu lieu de nuit, alors que salariés et bénévoles avaient quitté les lieux. Pourtant, "les locaux étaient fermés à clé et les systèmes de sécurité étaient bien en place", assure Michel Henry, le directeur de l'organisme. L'œuvre est, selon toutes vraisemblances, celle de professionnels : aux fenêtres du premier étage, les grilles de protection, bien que solidement fixées, ont été descellées. L’alarme, elle, a été arrachée et plongée dans un sceau d’eau, pendant que le système de vidéosurveillance était "partiellement démoli", commente le directeur de la Croix-Rouge. À l’arrivée de la police sur les lieux, les voleurs avaient déjà disparu, ce qui fait dire au responsable que "Ce sont des gens qui connaissent les délais d’intervention des forces de l’ordre à Passamaïnty."

ILS FONT L'ACTU Eva Labourdère

Mayotte a une nouvelle miss en la personne d'Éva Labourdère. Âgée de 20 ans et étudiante en BTS Métiers de l'esthétique, cosmétique et parfumerie, la jolie jeune femme, originaire de M'tsapéré, a été élue devant les quatre autres candidates à l'hôtel Trévani. Elle s'est vu remettre sa couronne par Vaimalama Chaves, Miss France 2019, un titre auquel notre jeune reine de beauté prétendra elle aussi le 14 décembre prochain.

Djabiri Madi Leroi

L'adjoint au maire d'Acoua, Djabiri Madi Leroi est également auteur. Il publie à ce titre un recueil de poèmes aux éditions Jets d'encre : La valse des djinns. Il y met en exergue le passé et les traditions de Mayotte, mais aussi l'actualité en questionnant sur l'avenir de son île. "Sur les terres mahoraises, entre français et sakalava, sourde une étrange cadence. Dans les traditions que l’on pratique encore, les anciennes blessures qui brûlent toujours et les manques du présent qui creusent comme des vides dans le quotidien, des silhouettes se dessinent. Leur voix murmure des légendes oubliées, leur ombre danse sur les pas du peuple mahorais… ce sont les djinns qui s’agitent !", indique l'auteur pour résumer son livre.

INSOLITE 32 ans pour arriver en métropole ! Une jolie histoire : une carte postale postée de Mayotte en 1987, à destination de Lyon, est arrivée… la semaine dernière seulement. Un périple de 32 ans, achevé grâce à une jeune journaliste qui l'a trouvé sur les boites aux lettres de sa résidence. Aidée d'une de ses collègues, elle se met alors en tête de retrouver la destinataire qui, depuis toutes ces années, à déménager. Finalement, elles parviennent à l'identifier et à lui remettre le courrier, envoyé par des amis qui résidaient alors à Mayotte.

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MAYOTTE ET MOI

Solène Peillard

ALI MADI

BÂTISSEUR ACHARNÉ BIEN REMPLI, LE PARCOURS D’ALI MADI L’EST ASSURÉMENT. CONTRÔLEUR AU PORT DE LONGONI, CHARPENTIER À ROUEN, COMPAGNON DU DEVOIR ET AUJOURD’HUI GÉRANT DE LA BOISSONNERIE À M’TSANGAMOUJI, "JP" COMME IL EST SURNOMMÉ, ENTEND FAIRE DE SON ÉTABLISSEMENT UN LIEU D’ACTIVITÉS INCONTOURNABLE AU NORD DE MAYOTTE. UN DÉFI À LA HAUTEUR DE TOUS CEUX QU’IL A DÉJÀ RELEVÉS, EN DÉPIT DES EMBÛCHES CROISÉES SUR SON CHEMIN. Sa vie, Ali Madi a eu à la reconstruire de bout en bout. Un triste comble, pour cet ancien charpentier. Aujourd’hui, c’est dans son village natal et celui de ses parents, M’tsangamouji, que s’érige son plus bel ouvrage, La Boissonnerie, qu’il a construit seul. Une fierté et un défi pour celui qui, à force de ne côtoyer que des wazungu, s’est fait surnommer Jean-Paul ou JP. Pourtant il y a moins de dix ans, l’actuel pub et restaurant n’était encore qu’un petit kiosque, où JP vendait pour deux euros le kilo le poisson qu’il pêchait ça-et-là sur l’île. "Au Nord, il n’y a pas de poissonnerie", commente le Mahorais. Pas plus que d’évènements culturels récurrents. Ni une ni deux, il décide d’organiser des concerts à domicile. Du reggae essentiellement, sa musique préférée, joué par Babadi et Jahdid, entre autres. "Mais je fais tout, peu importe le genre !", insiste JP, qui compte aussi parmi ses habitués Doujah Sound et Atomix. Il est loin le temps où le presque cinquantenaire voulait fonder en ces lieux une entreprise de location de matériel de BTP, un corps de métier qu’il a découvert durant ses longues années de vie en métropole. En 1996, Ali Madi quitte Mayotte par amour. Il abandonne son poste de contrôleur au port de Longoni pour suivre jusqu’à Rouen une sage-femme rencontrée sur l’île deux ans plus tôt et dont le contrat touche alors à sa fin. Une fois en métropole, le jeune homme "atterrit" dans une entreprise de couverture et de charpente. "J’étais assez doué", reconnaît timidement JP. Sur les conseils de son patron, il intègre les Compagnons du devoir. Mais à son retour dans l’entreprise, un an et demi plus tard, sa vie bascule : "Un jour sur un chantier, un petit con m’a poussé du toit", se remémore-t-il, amer. JP atterrit sur une charpente bétonnée qui n’était pas fixée, la structure s’écroule sur lui. Il se réveille du coma un mois plus tard, avec "seulement" un traumatisme crânien. "J’ai dû faire de la rééducation, je ne voyais plus que l’hôpital". Alors qu’il est

reconnu handicapé entre 65 et 70 %, ce qui l’empêche de reprendre le travail, il se sépare de sa femme, cette même femme pour laquelle il avait quitté son île natale et qui refuse alors de lui laisser voir ses trois enfants. "J’avais honte de retourner à Mayotte sans rien", se rappelle encore Ali Madi. "On m’avait prévenu qu’il ne fallait pas suivre une mzungu !" Finament, le stage pour lequel il postule n’aboutit à rien. Il décide donc de retourner s’installer définitivement sur l’île qu’il n’a pas vu depuis 14 ans.

LA RECONSTRUCTION En cherchant un terrain pour implanter son entreprise dédiée au BTP en 2011, JP repère un petit kiosque vide à M’tsangamouji, plus précisément à Ambato. Destiné à servir de point de vente aux pêcheurs du coin, mais visiblement inutilisé, Madi loue le pavillon à la mairie et y installe deux congélateurs pour finalement y vendre à son tour le fruit de sa propre pêche. Petit à petit, il élague le terrain voisin et y construit son pub restaurant. Seul. Entre poissons et boissons, un ami trouve un nom fait sur-mesure : La Boissonnerie est née. Mais six ans plus tard, nouveau coup dur. Après le concert d’un groupe malgache, JP et ses amis voient un feu se déclarer sur la parcelle, un accident qu’ils soupçonnent être d’origine criminelle. "Le temps que les pompiers arrivent, il était trop tard", maugrée le gérant. Aujourd’hui encore, les travaux ne sont pas terminés. Si JP recherche les fonds nécessaires pour qu’il puisse, une fois encore, tout reconstruire luimême, il imagine déjà transformer une nouvelle fois La Boissonnerie en un espace adapté aux enfants, où qui le veut pourrait venir passer tout un week-end. "J’ai vu ce qui se fait au Sud en termes d’animations, ça me donne plein d’idées pour le Nord". La première pierre d’une nouvelle reconstruction. n

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MAYOTTE ET MOI

ALI MADI

MON ENDROIT FAVORI "Forcément, c’est chez moi, à La Boissonnerie ! Je suis bien ici, je n’en bouge presque pas, sauf pour aller à Mamoudzou. Quand je m’assois à ma table, j’aime réfléchir à la façon dont ma vie a basculé et à ce que je suis devenu aujourd’hui, et ça me plait d’avoir fait ça tout seul. M'Tsangamouji, c’est mon village et celui de ma famille, même si je ne suis pas très intégré à la vie mahoraise étant donné je ne traîne qu’avec des métropolitains."

MON MEILLEUR SOUVENIR À MAYOTTE "Mon meilleur souvenir, c’est toute ma jeunesse. Après ma seconde, j’ai commencé à travailler au port de Longoni. J’étais célibataire, motard et l’un des seuls à rouler en 205 GTI coupé sport ! J’allais partout, au Mahaba, au 5/5, etc., c’est là que j’ai commencé à trainer avec tous les blancs !"

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MA BONNE IDÉE POUR MAYOTTE "Je n’ai pas tellement de bonnes idées pour l’avenir. Pour que Mayotte change, il faudrait que tous les Mahorais changent leur mentalité. Ils se marient à des Anjouanaises, leur font des enfants, et le jour suivant ils veulent chasser tous les Anjouanais ! 80 % des Mahorais ont des liens de parenté avec les Comores ou Madagascar, alors il faut que ça change, mais je crois qu’il faudra du temps, enfin… Si ça arrive."

MA PHOTO MARQUANTE J'en ai beaucoup, surtout prises aux Comores où j'ai fait mes études de la sixième à ma seconde, mais je ne les retrouve plus... Alors voici une photo prise lors du dernier concert à La Boissonnerie. Le mzungu à côté de moi est un ami de métropole, il est venu me rendre visite à Mayotte pour les grandes vacances et nous en avons profité pour créer un site Internet pour le restaurant, puisque c'est son travail.

MON ŒUVRE PRÉFÉRÉE "Ce que je préfère, c’est la musique, surtout le reggae et Bob, Bob Marley. Je ne parle pas anglais mais ses paroles me plaisent. C’est pas fait pour sauter partout. C’est doux, ça m’aide à me relaxer en fumant un bon petit truc."

BIENTÔT UN BATEAU À LA BOISSONNERIE L’année dernière, JP est parti jusqu’en métropole pour passer son diplôme de capitaine 200, qui n’existait pas encore à Mayotte. Désormais, le gérant de La Boissonnerie est apte à piloter un bateau pour des sorties pêche ou des excursions jusqu’à douze personnes. Des activités qu’il entend proposer dès le mois de décembre prochain à M’tsangamouji, son petit navire ayant déjà été commandé.

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ENTRETIEN

Geoffroy Vauthier

MANSOUR KAMARDINE

"NOUS AVONS ATTEINT LA LIMITE DE L'ACCEPTABLE" 12•

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Alors que sonne l'heure de la rentrée parlementaire, le député Mansour Kamardine a adressé plusieurs questions à différents ministères. Protection du littoral, zone économique exclusive, violences scolaires, etc. : l'élu entend faire entendre sa voix. L'occasion d'un grand entretien permettant aussi d'en savoir plus sur l'accord signé entre la France et l'Union des Comores en juillet dernier.

SUR L'ÉLÉVATION DU NIVEAU DE LA MER Mayotte Hebdo : Vous avez récemment adressé plusieurs questions à quatre ministères différents. L'une d'entre-elles concerne le phénomène de montée des eaux, aggravé chez nous par l'enfoncement de l'île. Le week-end dernier a d'ailleurs été très parlant, avec des marées très hautes, et plusieurs zones inondées. Dans deux semaines, les grandes marées d'équinoxe doivent être encore plus fortes. Les infrastructures se révèlent de moins en moins adaptées. Avez-vous reçu une réponse sur ce qui est potentiellement prévu pour répondre à ce phénomène ? Mansour Kamardine : Non. Je rappelle simplement, pour ceux qui l'auraient oublié, que ce phénomène n'est pas une découverte. La situation était connue, et j'ai interpellé le gouvernement sur ce sujet, notamment à travers ma proposition de loi de programmation et de rattrapage pour Mayotte, le 20 juillet dernier. Ils ont répondu que tout était sous contrôle et que les mesures étaient prises. Je crois qu'aujourd'hui, le mensonge du gouvernement sur ce point comme sur bien d'autres est apparu au grand jour. On le voit bien quand, par exemple, le gouvernement décide de s'engager sur d'autres territoires, notamment dans le cadre des Objectifs 5.0, et qu'à Mayotte il est sur des objectifs à 20% d'énergies décarbonées d'ici l'horizon 2030, alors que nous avons toutes les conditions pour avoir de l'énergie propre : du soleil. On aurait pu imaginer que le gouvernement

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ENTRETIEN

"QU'A FAIT LE GOUVERNEMENT POUR LES RIVAGES ET POUR PROTÉGER LES VILLES ET LES POPULATIONS ? RIEN." soit engagé ici plus qu'ailleurs sur ce sujet, mais il ne l'est pas. Pour en revenir au phénomène des marées, qu'avons-nous fait pour les rivages et pour protéger les villes et les populations ? Rien. J'ai pour ligne de conduite depuis deux ans, de tout dire en amont pour que les acteurs qui refusent d'agir ne puisse pas plaider ensuite qu'ils n'étaient pas au courant. Je ne veux plus que des responsables puissent dire "Je ne savais pas." Nous avons donc tout posé sur la table, et le gouvernement a refusé de nous suivre. MH : La ministre Annick Girardin a tout de même annoncé, lors de sa venue, 80 mesures pour prévenir les risques liés à l'activité volcanique et sismique, ainsi que leurs conséquences. Elles ne sont pas encore toutes connues, mais on peut

imaginer que l'aléa inondation soit pris en compte. MK : Pour le moment, moi, je n'ai pas les mesures. Avec le gouvernement actuel, nous ne sommes pas dans l'action, mais dans la communication. C'est ce qu'est venue faire la ministre : essayer de rassurer pour préparer la visite du chef de l'État. Il faut que lorsqu'Emmanuel Macron sera là, il n'y ait pas de tête qui dépasse et que tout le monde applaudisse. Je ne le refuse pas, mais seulement à partir du moment où le chef de l'État apporte des réponses aux vrais enjeux de ce territoire et de vraies réponses aux questions que se posent les Mahorais. Les enjeux sont colossaux, avec des enjeux de mobilité aérienne, numérique, routière, maritime, etc. Et sur tous ces sujets-là, il n'y a pas de réponse.

SUR LA PISTE LONGUE MH : À propos de mobilité, de nouvelles études doivent être engagées pour la réalisation de la piste longue, et il se murmure que le président Macron pourrait valider ce vieux projets maintes fois demandé lors de sa venue, d'ici la fin de l'année. Qu'en est-il ? MK : Je n'ai pas la chance d'être dans le secret des dieux. Je n'ai donc pas d'information à ce sujet. Les seules dont je dispose sont celles qui existent déjà dans le domaine public. Cela dit, je ne suis pas sûr que ce qu'attendent les Mahorais, ce soit l'annonce de nouvelles études. Les premières sur cette plate-forme ont été réalisées dans les années 1980. C'est à cette date déjà qu'a été décidé de construire une piste permettant à des avions longs courriers de se poser. Les Mahorais attendent donc des réalisations désormais, car les études, elles sont faites depuis 40 ans. Jusqu'en 2011, des études de faisabilité ont été menées, et l'année d'après, il était inscrit au Journal officiel la construction de la piste longue. C'était sous la mandature de Nicolas Sarkozy. Or, lorsque François Hollande est arrivé au pouvoir, l'année suivante, il a été décidé

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dans un rapport parlementaire qui n'est d'ailleurs pas motivé – on ne sait pas pourquoi – que ce projet été renvoyé sine die. MH : L'enfoncement de Mayotte pourrait aussi changer changer la donne, et justifier l'enterrement du projet... MK : Il y a une montée des eaux générale, mais ça on peut très bien le prévoir. Quant à l'enfoncement de l'île, si malheureusement cette affirmation devait se vérifier, il n'y a pas que cet endroit-là où faire une piste longue. Cette infrastructure est incontournable. Il faudra donc la faire un jour. Il vaut mieux la faire vite car cela coûtera moins cher, mais qu'on la fasse aujourd'hui ou dans 50 ans, elle se fera. Je ne vois pas Mayotte se développer en s'appuyant sur des infrastructures qui se trouvent à l'étranger ou à 4 000 km d'ici. Ce n'est pas possible. Partout dans le monde, nous avons des phénomènes naturels liés aux effets de houle et autres, et pour autant, il y a des infrastructures qui fonctionnent. Dire que des risques sismiques, ou liés à la houle ou à des tsunamis, rendent la tâche impossible, c'est fallacieux. Nous avons, y compris en France, le savoir-faire pour construire des aéroports tenant compte de ces contraintes. J'ajoute que la même infrastructure va être réalisée des fonds français à Rodrigue. Ce qu'on sait faire à Rodrigue, je pense qu'on sait le faire ici. Que la France investisse làbas dans le cadre du développement de nos relations, c'est très bien, je le comprends. Mais nous sortir des arguments contre le même projet à Mayotte alors qu'on le fait là-bas, je ne le comprends pas. Si on estime que ce projet est bon pour le développement de Rodrigue, alors on estime qu'il est bon aussi pour le développement de Mayotte. MH : Restons sur le domaine des transports aériens. Il y a quelques mois vous avez créé une association de défense des usagers. En ligne de mire : la compagnie Air Austral. Quels sont les premiers retours en termes d'indemnisation ? MK : Lorsque j'ai lancé l'idée, on a dit "Monsieur Kamardine est dans une démarche politicienne." Or, aujourd'hui, tout le monde est d'accord avec moi pour dire que cela devient insupportable. Les ministres qui nous ont rendu visite en ont fait aussi les frais, malheureusement pas suffisamment je dirais, car ils n'ont pris que deux heures de retard, le vol n'a pas été annulé. Ils auraient peut-être compris que cette situation est insupportable pour les usagers de l'aérien à Mayotte.

L'association, donc, a été créé et j'en suis ravi. Elle est animée par madame Kordjee, une femme très engagée qui sait là où elle va, et elle fait un excellent travail de sensibilisation. Désormais, les Mahorais savent qu'ils ont la possibilité d'être indemnisés. Est-ce qu'il y en a déjà eu ? Sans doute pas car Air Austral a la main lourde quand il s'agit d'aller piocher dans les poches de ses usagers, mais la main très légère quand il s'agit de débourser. Il faudra donc continuer. Le travail se fait avec des permanences. On y arrivera un jour. Je note que la compagnie a déjà été condamnée une première fois par le tribunal d'instance de Mamoudzou, alors il faudra sans doute passer par là pour "l'aider" à indemniser ses passagers qui pâtissent de son manque de savoir-faire. Je demande à tout le monde – y compris pour d'autres compagnie car cela ne concerne pas qu'Air Austral – de se mobiliser pour ses droits sur ce sujet. Au passage, les ministres ont affirmé qu'il n'y avait pas de monopole organisé en faveur d'Air Austral. C'est faux. Il l'est au travers de la dotation des droits de trafic. En refusant, par exemple, que la compagnie Kenya Airways développe ses activités ici, Air Austral peut se maintenir seule. J'ai par ailleurs noté que la compagnie Aigle Azur, à laquelle fait actuellement appel Air Austral, était la deuxième compagnie française. Je lance un appel publiquement pour qu'elle s'organise et puisse venir à Mayotte. MH : Cela dit, Aigle Azur a été placé en redressement judiciaire… MK : Cette procédure ne signifie pas la fin d'une entreprise. Cela permet de se poser et de travailler aux meilleures évolutions possibles. Et puis, se tourner vers Mayotte pourrait être une piste pour elle. Une compagnie comme celle-ci, qui a les avions qui conviennent et qui emploie l'industrie aéronautique européenne et française, a vocation à venir à Mayotte. Mais au-delà de cet aspect-là, la vraie solution demeure la réalisation de l'infrastructure aéroportuaire adéquate. Il faut que toutes les compagnies, quel que soit le type d'avion, puissent se poser à Mayotte.

SUR LES RELATIONS AVEC L'UNION DES COMORES MH : Un accord avec l'Union des Comores a été signé le 22 juillet dernier avec l'Union des Comores, en associant les élus de Mayotte. Il doit permettre

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de mieux réguler les flux d'immigration vers Mayotte. Sa mise en œuvre a-t-elle débuté ? Quand sera-t-il pleinement effectif ? MK : Ce document a été élaboré de bout en bout, pièce après pièce, mot à mot avec la participation des élus de Mayotte. Il est prévu la mise en place d'une commission de suivi qui se réunira plusieurs fois dans l'année – probablement tous les trimestres

"MES ATTENTES ? DES ANNONCES SUR LE TROISIÈME QUAI DE LONGONI, LA PISTE LONGUE, ET UNE UNIVERSITÉ DE PLEIN EXERCICE." – pour enclencher le processus. La première de ces réunions se tiendra au mois d'octobre, de mémoire. Il est donc fort probable que d'ici là, nous nous retrouvions à Paris ou à Moroni pour installer cette commission et signifier les premières mesures. En attendant cette installation officielle, l'accord est censé se mettre en œuvre. Du côté français, l'Agence française de développement (AFD), qui est le bras armé de cet accord, doit travailler ce dossier de façon à ce qu'à la prochaine réunion, on puisse lancer les opérations. Du côté des

Comores, ils doivent également prendre toute leur part dans les obligations pour lesquelles ils se sont engagés, notamment la régulation des flux migratoires. Sur ce terrain-là, je distingue deux niveaux. De ce que nous savons ici, même si nous n'avons pas tous les détails, il semblerait que les étrangers en situation irrégulière en provenance d'Afrique continental et qui arrive à Moroni soient de plus en plus reconduits dans leur pays d'origine. C'est la première fois que cela se passe, avec la signature de cet accord, et il faut espérer que les autorités comoriennes auront la main ferme sur ces activités-là. S'agissant des contrôles du flux entre Anjouan et ici, le contrôle est encore aléatoire apparemment puisqu'on note encore et toujours des arrivées clandestines. Pour ma part, je souhaite vraiment que le gouvernement comorien s'engage, mais connaissant les autorités comoriennes, je souhaite aussi que le gouvernement français ne reste pas l'arme au pied en attendant leur réaction. Moi, ce que je demande un prépositionnement de nos forces de police ou militaire sur l'îlot Mtsamboro. J'ai salué les annonces faites par la ministre des Outremer, mais je souhaite que nous allions un peu plus loin, notamment en affectant un bâtiment de la Marine capable de sortir en toute occasion, ou encore en mettant des drones permettant de surveiller l'entrée sur le territoire national. Car ce que l'on constate aujourd'hui, c'est une réaction des passeurs, qui contournent désormais par le sud de l'île pour arriver. Nous devons être capable de le contrôler. J'ai également relevé que, malheureusement, les arrivées ne se font plus seulement depuis Anjouan. Des voiliers, des kwassas, partent aussi depuis Nosy Be, à Madagascar. Je ne peux pas comprendre qu'on n'a pas les moyens ou la capacité de contrôler tout ça. On nous annonce un plan Shikandra, alors j'espère qu'il sera mis en place rapidement car on a atteint la limite au-delà de laquelle l'acceptable ne l'est plus. MH : Cet accord reprend une de vos demandes d'augmentation de l'aide publique au développement de la France via l'AFD. Qualifiée de "mobilisation


Lors de sa visite, la ministre des Outre-mer, Annick Girardin, a annoncé la mise en place du plan Shikandra. Pour le député Mansour Kamardine, il faut aller encore plus loin, notamment "en mettant des drones permettant de surveiller l'entrée sur le territoire national."

inédite", cette aide est de 150 millions sur trois ans. Toutefois, quels process de contrôle permettra de s'assurer que cet argent est utilisé à bon escient ?

projets. C'est pour cela qu'il y a un rôle actif des autorités comoriennes pour déterminer des projets, et un comité de suivi pour s'assurer de leur réalisation.

MK : À leur décharge, il faut reconnaître que les autorités comoriennes ont accepté que les moyens financiers mobilisés et mis en œuvre soient faits par le truchement de l'AFD. Elle est le seul acteur, à la fois banquier et réalisateur des opérations, avec une répartition claire des compétences. À charge par les Comores d'identifier les projets, qui seront validés sous l'autorité du président du pays ; puis à charge de l'AFD de les réaliser conformément aux instructions du gouvernement comorien. Donc là-dessus, il n'a aucune difficulté particulière. Rémy Rioux, le directeur de l'AFD, est un homme très classe et très compétent, et nous avons donc le meilleur outil pour mettre en œuvre ce projet au service de l'immense majorité des Comoriens. Il faut bien comprendre que les fonds ne sont pas mis à la disposition des autorités comoriennes. C'est le président Azali lui-même qui, à l'occasion d'un déplacement à Paris en janvier dernier, a invité la France à agir aux Comores à la manière, d'une certaine manière, des Chinois. C'est-à-dire en réalisant les

MH : Il est également question d'une "simplification du traitement de visas." Concrètement, est-ce la fin du "visa Balladur" aux conditions très restrictives ? MK : Non, et l'accord-cadre commence par affirmer que le visa Balladur est maintenu. Il s'agit d'en faciliter l'instruction et non la délivrance. Il y a une nuance de taille. Les demandes de visa se font au départ, c'est dans l'accord, et non pas à l'arrivée. Quand on parle de facilitation, il s'agit aussi des gens pour lesquels les deux partis considèrent qu'ils sont utiles au développement des relations entre nos territoires : les officiels comoriens, les acteurs de santé, les professeurs d'université, les magistrats, ou encore les professionnels. Par exemple, un commerçant qui aurait pignon sur rue à Moroni, qui aurait commandé un container de marchandise entreposé à Longoni, et qui aurait besoin de venir le chercher. Car, je le précise, nous souhaitons faire de Longoni un port d'importance dans la région. Bref, cette facilitation de traitement des demandes de visa

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étrangères, concerne la zone économique exclusive (ZEE) de la France. L'Union des Comores a en effet inclus Mayotte dans la sienne en 2010, puis a déposé sa délimitation auprès de l'Onu. Bien que la France ait contesté cette démarche, en empêchant toute prise d'effet juridique, il existe donc un flou autour des délimitations maritimes de la France à Mayotte ?

Le président Macon s'est dit ouvert à la possibilité de restituer les îles Éparses, parmi lesquelles Europa (en photo), à Madagascar. Une possibilité qui ne fait pas du tout consensus au Parlement et même au sein du gouvernement : "La souveraineté française est décidée par le Parlement, et non par le seul président de la République", répond Mansour Kamardine."

concerne ceux dont l'intérêt n'est pas de s'installer à Mayotte. Ils se verront délivrer un visa de circulation permettant d'aller à Mayotte plusieurs fois dans l'année, avec un visa d'une durée de 90 jours. MH : Les mineurs isolés sont aussi pris en compte, avec "la création d'un groupe de travail conjoint sur la question des mineurs non-accompagnés (…) présents à Mayotte, afin de favoriser la réunification avec leurs familles." C'est un point important pour Mayotte, qui a plus de 3 000 d'entre eux sur son territoire. Comment va s'organiser ce travail conjoint ? MK : Déjà, il ne nous aura pas échappé que la communauté nationale ne veut pas voir l'arrivée en métropole de ces mineurs isolés : c'est la circulaire Taubira. Nous avons donc ici la charge de cette situation, sans les moyens. Donc, effectivement, nous avons pensé qu'il était dans l'intérêt de tout le monde, et particulièrement des enfants eux-mêmes, que ceux-ci puissent grandir dans leur milieu naturel, au sein de leurs familles. L'idée est donc de mettre en place un organisme franco-comorien afin de réfléchir aux modalités pour favoriser le retour de ces enfants auprès de leurs parents, quand ces derniers sont installés de l'autre côté de la rive. Cela fait partie des travaux qui doivent être menés. MH : Restons sur l'Union des Comores, mais sortons de l'accord. Une des questions que vous avez posé au gouvernement, plus précisément au Ministère de l'Europe et des Affaires

MK : Chaque pays a le droit de délimiter sa zone maritime. Une fois délibéré, il faut déposer ce qu'on appelle les instruments auprès du secrétaire général de l'Onu. Cela permet aux pays riverains de réagir et de prendre possession. C'est ce qui a été fait en 2010 par les Comores, et qui a déclenché la réaction de la France, qui s'y est opposée puisque Mayotte avait été incluse. Bien. Mais ce que je souhaite, c'est d'aller au-delà de la simple opposition. La France a délimité aussi sa zone à Mayotte, mais je n'ai pas la certitude que nous ayons déposé nos instruments à l'Onu. C'est ce que je demande au Ministère des Affaires étrangères : déposer sa délimitation maritime de Mayotte française. Un conflit apparaitra et sera tranché par les mécanismes prévus par l'Onu dans ce genre de cas. MH : Cela n'est-il pas susceptible de poser problèmes, puisque l'Onu ne reconnait pas Mayotte comme étant sous souveraineté française ? MK : On fantasme beaucoup sur les résolutions de l'Onu. Elle ne peut pas trancher comme cela. Quand on est de l'autre côté de la barrière, on se gargarise des résolutions de l'Onu au sujet de Mayotte, mais on oublie qu'il y a plusieurs sortes de résolutions et que celles concernant Mayotte ne sont pas contraignantes. À ce niveau-là le 7 février 1967, la France a utilisé pour la première fois son veto pour rappeler que Mayotte avait fait le choix de la France. Ce choix n'est plus discutable De plus, l'assemblée générale de l'Onu est beaucoup plus politique que décisionnaire. En réalité, je crois que nous avons des atouts pour faire reconnaître notre choix. Quand on lit la décision de la Cour internationale de justice concernant l'affaire entre

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"ON VA AU-DEVANT DE GRAVES PROBLÈMES SOCIAUX." l'Angleterre et Maurice au sujet des Chagos, on se dit que finalement, Mayotte peut avoir gain de cause. Aux Chagos, on a chassé des populations pour ensuite conserver le territoire. À l'inverse, Mayotte a été intégrée de force dans un territoire d'outre-mer en 1946, regroupée avec les Comores. On est dans des situations opposées, dans lesquelles l'avantage est aux Mahorais : Mayotte n'est pas un territoire inhabité, c'est un territoire appartenant aux Mahorais qui ont fait le choix de la France. Il ne faut pas avoir peur et affronter cette question pour régler ce conflit. MH : À propos de souveraineté, il y a la question des îles Éparses. Il y a quelques mois, leur restitution à Madagascar était envisagée par le président de la République. Quelle est votre position sur le sujet ? MK : Elle est très arrêtée : je suis très attachée à la souveraineté française. Celle-ci est décidée par le Parlement, et non par le seul président de la République. Il se trouve que nous sommes, au Parlement, un groupe très déterminé à nous y opposer. Même au sein du gouvernement, cette possibilité ne fait pas l'unanimité. Annick Girardin a ainsi dit à Jean-Yves Le Drian, ministre de l'Europe et des Affaires étrangères, qu'elle était en désaccord avec cette orientation. Si ce débat devait venir à l'Assemblée, la voix – opposée – de Mayotte serait entendue.

SUR L'ANNÉE À VENIR MH : Accord France-Comores, ARS et rectorat de plein exercice, etc. L'année qui débute s'annonce chargée. La qualifieriez-vous de charnière ? MK : La situation de Mayotte pourrait s'améliorer avec des engagements du président de la République. Sans les moyens budgétaires, rien ne changera. L'ARS et le rectorat de plein exercice ? Ce sont là deux

revendications que j'ai portées et je me réjouis qu'elles aient abouti. Mais l'idée à Mayotte, c'est toujours d'avoir plus d'État, alors je considère qu'il va aussi falloir créer une chambre d'appel de plein exercice. Les îles resteront toujours des iles, avec leur isolement. Tout doit donc être organisé pour que les citoyens de ces territoires puissent trouver sur place de quoi répondre à leurs préoccupations. Mes attentes sont claires : des annonces sur le troisième quai de Longoni, la piste longue comme nous l'avons dit, et une université de plein exercice. On ne peut pas se plaindre d'un manque d'ingénierie à Mayotte, et en même temps limiter l'accès aux formations supérieures en raison des difficultés de mobilité. Il y a peu, j'ai rencontré un père qui refusait que sa fille parte : elle ne peut donc pas poursuivre ses études. Et puis, il faut aussi s'engager sur la mobilité routière, il est insupportable de devoir se lever à quatre du matin pour se rendre à son travail ! La stratégie de l'État qui consiste à contraindre les Mahorais à ne pas utiliser la voiture est une méconnaissance totale des ultramarins, car c'est pour eux une fierté d'avoir une voiture. Plus qu'un outil, c'est un élément de vie. Le taux d'équipement automobile en métropole tourne autour de 70 %. Dans les autres départements d'outremer, il est d'environ de 50 %. À Mayotte, on est entre 15 et 20 % seulement. Alors pensons-nous vraiment pouvoir empêcher les Mahorais d'utiliser leur voiture alors même qu'on en importe et que le niveau de vie augmente ? Non, évidemment. En pensant ainsi, on va au-devant de graves problèmes sociaux. Ces grosses têtes se trompent complètement. On peut imaginer d'autres possibilités de transport, oui, mais on ne fera pas l'économie de routes qui fonctionnent. On peut canaliser, mais pas contraindre ou empêcher. La politique du non est vouée à l'échec. Alors, il vaut mieux accompagner avec le développement des routes et des mobilités alternatives. MH : Mayotte a perdu un jeune samedi dernier, victime d'une lourde agression. À cela s'ajoute, dans un tout autre domaine, la possible transformation du département en département-région. Insécurité et statut de l'île : deux points à même de déclencher des tensions. Craignezvous que cette année soit agitée socialement ? MK : Je n'ai pas une boule de cristal pour le savoir. Mais je souhaite que l'on soit attentif aux souhaits de la population. Le projet de toilettage est une question très sensible, comme celle des Comores, comme celle de la sécurité. Je n'ai pas le sentiment que tout a été fait pour rassurer complètement le public. Il faut donc être vigilant. Il y a beaucoup de tensions, d'incompréhension, de colère. Donc, à chaque fois que l'on peut éviter d'en rajouter, évitons d'en rajouter. C'est ce que je vais faire, ne pas en rajouter. n

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MARÉES

MAYOTTE SOUS LES EAUX ? PAS UN OBSERVATEUR QUI N'AIT ÉTÉ SURPRIS, LE WEEK-END DU 31 AOÛT ET DU DIMANCHE 1ER SEPTEMBRE, DU NIVEAU DE LA MER. EN CAUSE : UN FORT COEFFICIENT DE MARÉE, MAIS AUSSI L'ENFONCEMENT QUE L'ÎLE SUBIT DEPUIS LE DÉBUT DE L'ESSAIM DE SÉISMES, EN MAI 2018. DE QUOI S'INTERROGER SUR LES MESURES À PRENDRE ET L'AVENIR, À MOYEN TERME, DE NOS ZONES LITTORALES. "Et demain ?" : voilà, en substance, la question que tout le monde ou presque s'est posé le week-end du samedi 31 août et du dimanche 1er septembre. Il faut dire que la vision de cette mer particulièrement haute a surpris. Sur le front de mer de Mamoudzou, les rochers n'étaient quasiment plus visibles et le frêle muret qui sépare du lagon semblait disposer d'une bien maigre marge de protection. Un peu plus loin – chose rare –, la barge déployait son plateau amovible directement à hauteur de chaussée, le quai incliné étant sous les eaux. À M'tsapéré, le terre-plein ressemblait à une future piscine municipale. En Petite-Terre, la vasière des Badamiers faisait partie intégrante du lagon. Et de ci de là autour de l'île, les routes littorales étaient recouvertes d'eau. La mer a pris ses aises. En cause : un coefficient de marée élevé, l'élèvement général du niveau de la mer, mais également l'enfoncement que l'île subit, concomitant à l'activité volcanique en cours au large de Mayotte. Treize centimètres de moins qui, forcément, redessinent le trait de côte et ont un impact immédiat sur le littoral. Phénomène purement ponctuel ? Non. "Nous aurons encore un nouveau record le 29 septembre avec 10 cm de marée supplémentaire", rappelle Said Hachim, géographe et auteur de l'Atlas des

risques naturels de Mayotte. De nouvelles grandes marées auront également lieu le mois prochain : "Nous avions samedi [31 août] une cote de 4,06 mètres. Courant octobre, nous atteindrons les 4,25 mètres", explique ainsi le directeur de Météo France Mayotte, Laurent Floch. Dix-neuf centimètres en plus, et nombre d'inquiétudes quant aux conséquences qu'ils auront. Said Hachim est formel : "Avec 10 ou 20 centimètres de marée en plus, cela veut certes dire que l’eau montera plus haut, mais surtout qu’elle pénétrera bien plus loin dans les terres. Et cela veut au moins dire que des habitations seront inondées." Parmi les possibilités, selon le géographe : "un arrêt de service pour la barge, une division de Petite-Terre en deux, ou encore des inondations dans la zone d’Iloni qui couperont le sud de l’île d’accès vers Mamoudzou." Et c'est sans compter sur d'autres variables. "Ce week-end était caractérisé par des conditions météorologiques particulièrement calmes, qui ont même plutôt fait baisser la cote de la marée", détaille Laurent Floch, qui explique : "À l’inverse, le vent, la houle ou une dépression peuvent faire monter cette cote, et donc le niveau de la marée." Et même s'il est peu probable, le scénario catastrophe d'un système tropical s'ajoutant au phénomène existe. Autant dire que notre littoral est possiblement menacé. De quoi en appeler à une vigilance toute particulière : le

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Photo : Grégoire Mérot

FRONT DE MER MAMOUDZOU & BARGE

Photo : Grégoire Mérot

Une des visions les plus surprenantes : le front de mer de Mamoudzou, avec un niveau de l'eau permettant à la barge d'accoster au niveau de la chaussée.

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Capture d'écran Facebook/STTM

PISTE DE L'AÉROPORT

Les internautes ont partagé nombre de photos et de vidéos du phénomène sur les réseaux sociaux, comme ici, à l'aéroport, où l'on voit l'eau s'approcher de la piste.

météorologue et ses équipes seront sur le pied de guerre dans les prochaines semaines, prêtes à dégainer le téléphone rouge vers la préfecture si des signes avantcoureurs de système tropical se présentent, afin que cette dernière déclenche le plan Orsec (organisation de la réponse de la sécurité civile).

DES AMÉNAGEMENTS À REVOIR ? Mais avant d'en arriver à cette hypothèse, des solutions immédiates doivent être mises en place. Charlotte Mucig, cheffe d'unité risques naturels à la Direction de l’environnement, de l’aménagement et du logement (DEAL) de Mayotte, l'explique : "À court terme, nous allons répondre au cas par cas. Compte tenu de ce qu’il s’est passé ce weekend et avec les prévisions de 10 à 20 centimètres supplémentaires pour les prochains pics, nous serons en mesure de déployer des systèmes légers, avec par exemple un muret d’endiguement le long du boulevard des crabes". Des solutions à court terme donc, afin de pallier l'urgence, qui doivent également s'accompagner de solutions de long terme

puisque, sur une île au foncier limité et où nombre d'aménagements se font sur le littoral, des infrastructures, notamment routières, pourraient être menacées. Une prise de conscience qui intervient au moment où l'État a mis 1,6 milliard d'euros sur la table pour accélérer le rattrapage en infrastructures du département. Mohamed Moindjié, adjoint à la mairie de Mamoudzou en charge de l’aménagement, appelle ainsi "à revoir tous les grands projets du territoire." Et de préciser : "Avec cet affaissement, nous devons changer de paradigme. Entre cela et la montée des eaux liée au changement climatique, nous sommes doublement condamnés et nous devons réagir à la hauteur de l’enjeu. Il apparait indispensable de revoir tous nos schémas stratégiques en fonction de ces nouvelles données." Un bon exemple ? Celui du réseau de transport en commun de la Communauté d'agglomération DembéniMamoudzou (Cadema), Caribus, en cours de mise en place. "Il faut effectivement peutêtre reprendre le trajet, notamment pour la partie prévue le long de la rocade. Il ne doit pas y avoir de tabou dans cette affaire", assure l’élu, rappelant toutefois que "Caribus, c’est

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une infrastructure routière qui peut être inondée de façon exceptionnelle, ce n’est pas le même sujet pour l’aéroport ou les habitations." Inutile toutefois de paniquer outre mesure. Du côté de la Deal, sans nier les changements possibles à venir, on se veut en effet plus tempérés, à l'image de Charlotte Mucig : "Oui c’est un phénomène nouveau qui surprend tout le monde par sa vitesse, eh oui, il faut faire avec. Cependant, il nous faut attendre de plus amples résultats scientifiques sur les dynamiques de subsidence en cours. Il est encore trop tôt pour dire que ce phénomène change les plans car il est bien possible que l’enfoncement se stabilise, les dernières données vont en ce sens. Par ailleurs, nous prenons déjà en compte le risque de submersion dans l’élaboration de notre carte des zones constructibles. Le littoral n’est par exemple plus constructible. Les projets d’infrastructures tiennent compte des cotes de marées maximales et c’est peut-être là qu’il faudra faire quelques aménagements." n

Photo : Banque d'image de Mayotte

BOULEVARD DES CRABES

Photo : Banque d'image de Mayotte

BOULEVARD DES CRABES

Photo : Bruno Perrin

FRONT DE MER MTSAMBORO

Le nord de l'île n'a pas été épargné. Ici le front de mer à Mtsamboro

VASIÈRE DES BADAMIERS En Petite-Terre, la vasière des Badamiers et le boulevard des Crabes se sont dévoilés sous un jour nouveau, faisant quasiment corps avec le lagon. Pour le géographe Saïd Hachim, cette montée des eaux couplée à l'affaissement de l'île peut ponctuellement conduire à "un arrêt de service pour la barge, une division de Petite-Terre en deux, ou encore des inondations dans la zone d’Iloni qui couperont le sud de l’île d’accès vers Mamoudzou."

TERRE-PLEIN DE MTSAPÉRÉ

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À Mtsapéré, le terre-plein ressemblait à une vaste mare. Située de l'autre côté de la route nationale, la zone en cours d'aménagement avec des installations sportives, a été gagnée sur la mer par remblai. Il est connu comme étant particulièrement soumis au risque d'inondations.

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LITTÉRATURE

Christophe Cosker, "L’Invention de Mayotte", Pamandzi éd. La Route des Indes, 2019.

LISEZ MAYOTTE Chaque semaine, Christophe Cosker, auteur de L'invention de Mayotte, vous propose la quintessence de chacune des trente-six inventions de Mayotte relevées dans l’ouvrage éponyme.

Les Jésuites sont une confrérie religieuse catholique qui a sillonné le monde dans un but prosélyte, comme le montrent les nombreux volumes de Lettres édifiantes et curieuses. Ce n’est pas l’aspect édifiant, du moins pas au sens religieux du texte, qui nous intéresse ici, mais la curiosité : attitude ici liée à un exotisme implicite : parcourir le monde, non pas seulement pour évangéliser, mais pour le découvrir et s’en étonner. Une lettre attire l’attention : elle est écrite par le Révérend Père Tachard, supérieur général des missionnaires français de la Compagnie de Jésus dans les Indes orientales, au Père de la Chaize, confesseur du roi. Écrite depuis Pondichéry en 1702, elle relate un naufrage à Mayotte. Le texte à venir est donc une lettre dans laquelle l’épistolier s’efface au profit de celui dont il relate le témoignage et l’adresse à autrui. L’extrait commence par la description du naufrage comme une longue agonie. À la façon de Robinson Crusoé, ils vivent grâce aux objets récupérés du bateau. En outre, les marins naufragés vivent entre eux et ne nouent de contacts avec aucun Vendredi. Trois aspects retiennent successivement l’attention dans ce contexte : la poudre comme symbole, le roi de Mayotte comme personnage rusé et l’incendie final. C’est le manque de poudre qui, rendant la chasse impossible, décide les naufragés à construire un radeau de fortune pour quitter l’île, ayant perdu l’espoir qu’un bateau qui croiserait dans les environs ne vienne à leur secours. Mais la poudre était aussi ce qui maintenait les habitants de l’île à distance. Le roi de Mayotte apparaît comme un personnage rusé et l’événement montre que naufragés et autochtones communiquaient. L’histoire finit mal et rappelle certaines gravures liées aux violences qui se déroulent lors de la conquête du Nouveau Monde : l’incendie de la cabane des naufragés et la mise à mort de ceux qui en sortent.

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Christophe Cosker

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LETTRES ÉDIFIANTES ET CURIEUSES ÉCRITES DES MISSIONS ÉTRANGÈRES, PAR QUELQUES MISSIONNAIRES DE LA COMPAGNIE DE JÉSUS Après qu’on les eût interrogé [sic], nous apprîmes qu’ils avaient fait naufrage à l’île de Mayote, dont nous avons déjà parlé. Le premier était dans un grand navire de la Compagnie d’Angleterre, qui s’était perdu, il y avait près de trois ans, et l’autre venait de Baston , où il s’était embarqué avec des flibustiers anglais. Ces deux vaisseaux avaient péri, parce que les pilotes avaient pris l’île de Mayote pour celle de Moali. Ceux des passagers et de l’équipage, qui purent se sauver à terre, furent traités par les habitants avec beaucoup de ménagement, aussi longtemps que leur nombre les rendit redoutables. Mais diverses maladies causées aux uns par le mauvais air, ou par la débauche, et aux autres par la tristesse et par le chagrin qu’ils prirent, les ayant réduits à quinze ou seize personnes ; les Barbares, qui ne les craignaient plus, cherchèrent bientôt les moyens de leur ôter les biens et la vie. […] Comme leur nombre diminuait chaque jour, et qu’ils se voyaient mourir l’un après l’autre, ils prirent la résolution de sortir à quelque prix que ce fût de cette île, dont ils ne pouvaient pas espérer qu’aucun vaisseau d’Europe vint jamais les tirer, le port étant inaccessible à ceux mêmes d’une médiocre grandeur. Dans cette vue, ils firent des débris de leurs navires une chaloupe assez grande

pour les porter, avec des sommes d’argent considérables qui leur restaient. Ils devaient mettre le lendemain à la voile quand le roi du pays, qui eut quelque soupçon de ce qui se passait, leur envoya demander leur chaloupe qu’il trouvait, disait-il, à son gré. Ce n’était visiblement qu’un prétexte pour les arrêter, et pour se rendre maître de leur argent. Les Européens, qui se trouvèrent alors assemblés dans une cabane, sur le bord de la mer, tinrent conseil, et furent tous d’avis de refuser le roi de Mayote le plus honnêtement qu’ils pourraient. Ils virent bien qu’après cette démarche on ne chercherait qu’à les perdre ; et qu’ainsi il fallait qu’ils se tinssent sur leurs gardes plus que jamais. Mais les Barbares qui s’étaient aperçus que la poudre leur manquait, parce qu’ils n’allaient plus à la chasse, les environnèrent en foule, et les attaquèrent avec furie dans leur cabane, où ils se défendirent longtemps. Comme elle n’était environnée que de grosses nattes, et qu’elle n’était couverte que de paille et d’écorces d’arbres, les Barbares y mirent aisément le feu, et y brûlèrent la plupart de ces misérables. Ceux qui échappèrent à demi grillés ne furent pas plus heureux, car on les mit brutalement à mort. 1

Aujourd’hui Boston.

Révérend Père Guy Tachard, Lettres édifiantes et curieuses écrites des missions étrangères, par quelques missionnaires de la compagnie de Jésus, Paris, Jean Barbou, 1713, p. 174-180.

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Mise en Œuvre de la cellule Insertion-Emploi des Personnes Handicapées (IEPH) de l’association MESSO. - Formation d’Agents d’entretien et d’hygiène - Formation d’Agent administratif et d’accueil - Participer à l’essor de l’économie locale, - Lutter contre l’exclusion par l’éducation populaire et le conseil aux acteurs du territoire, - Accompagner socialement les personnes porteuses de handicap, avec le concours des autres acteurs, afin de lui permettre de s’intégrer ou de se réapproprier la société. La cellule IEPH propose un accompagnement social dans l’environnement familial pour faire un diagnostic de la situation et des conditions d’habitation (accessibilité, transport, prise en charge spéciale par des aidants à domicile,) afin de lever les freins éventuels en faisant appel aux services qualifiés sur le département. Le diagnostic établit par la cellule IEPH sera inséré dans le dossier et fera l’objet d’une transmission aux services partenaires de la Cellule. Ce travail sera exercé par un travailleur social dont l’activité essentielle sera le suivi social des usagers. Dans le cadre du présent projet, le dispositif IEPH prévoit de faire des actions de sensibilisation sur les problématiques de la santé dans le cadre de l’accompagnement des usagers de la cellule. Il s’agira de mettre en place des ateliers de sensibilisation auprès du public de l’IEPH mais aussi des entreprises partenaires. Dans cette deuxième promotion de formation du dispositif IEPH, l’association MESSO propose une action de formation avec 2 options sur une durée de 12 mois : - Agent de propriété et d’hygiène : - Employé administratif et d’accueil

85 route nationale de M’Tsapéré 97600 Mamoudzou 02 69 62 18 23 secretariat.direction@messo.fr - MESSO


MAGAZINE D’INFORMATION NUMÉRIQUE HEBDOMADAIRE Edité par la SARL Somapresse au capital de 20 000 euros 7, rue Salamani Cavani M’tsapéré BP 60 - 97600 Mamoudzou Tél. : 0269 61 20 04 contact@mayotte.hebdo.com Directeur de la publication Laurent Canavate canavate.laurent@mayottehebdo.com Directeur de la rédaction Mohamed El Mounir dit “Soldat” 0639 69 13 38 soldat@mayottehebdo.com Rédacteur en chef Geoffroy Vauthier

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Entretien avec Mansour Kamardine

Journalistes Romain Guille Solène Peillard Grégoire Mérot Correspondants HZK - (Moroni) Direction artistique Franco di Sangro Graphistes/Maquettistes Olivier Baron, Franco di Sangro Commerciaux Cédric Denaud, Murielle Turlan Thomas Lévy Comptabilité Catherine Chiggiato compta@mayottehebdo.com Secretariat Annabelle Mouhamadi Première parution Vendredi 31 mars 2000 ISSN : 1288 - 1716 RCS : n° 9757/2000 N° de Siret : 024 061 970 000 18 N°CPPAP : 0121 I 92960 Site internet www.mayottehebdo.com


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