Mayotte Hebdo n°898

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LE MOT DE LA RÉDACTION

TOUS DANS LA MÊME BARQUE À Mayotte Hebdo, ce que l'on aime de plus, c'est observer, comprendre, rendre observables et faire comprendre les évolutions que connaît notre île, avec vous, pour vous, dans la même barque. Car ses évolutions traduisent bien souvent la dynamique du moment et permettent d'entrevoir là où nous allons. Parmi ces nombreux changements, un secteur en particulier permet de se nourrir d'attentes : celui de la pêche. Jusqu’à présent activité vivrière par excellence, elle est en pleine mutation, elle se structure, elle s'apprête à devenir autre chose. Les sept pontons et halles de pêche prévus autour de l'île témoignent de la volonté d'aller plus loin, de la valoriser, et d'exploiter mieux une mer riche de ressources, mais que Mayotte n'a pas encore su, ou pu, exploiter à sa juste hauteur. Notre dossier de la semaine y est consacré. Autre évolution : le succès croissant de l'apprentissage en langue arabe. Un enseignement auquel Mayotte est particulièrement adapté culturellement – tant qu'il ne se substitue pas toutefois au shimaoré –, et qui représente aussi une vraie manne de développement pour le territoire. Notre rubrique magazine vous dit tout sur le sujet. Nous irons aussi à la rencontre de la créatrice de Ô Gourmandises, un bel exemple de volonté de "bien faire". Une volonté de plus en plus présente à Mayotte et à souligner. Enfin, retrouvez pour la deuxième fois notre rubrique Lisez Mayotte, dans laquelle Christophe Cosker vous présente cette fois un extrait des Annales maritimes et coloniales. On y découvre une vision mythique de Mayotte, où l'îlot Mtsamboro – selon toute vraisemblance – est décrit comme habité et doté d'une ville. Bonne lecture à tous.

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COUP D’ŒIL DANS CE QUE J'EN PENSE

Laurent Canavate

Mayotte Hebdo n°517, vendredi 15 avril 2011

SORTIR DES INCANTATIONS ! Il faut relancer l'économie locale, il faut développer le tourisme… Le chômage touche près de 50% de la population adulte, il faut créer des emplois… Développement endogène, production locale, soutien aux artisans, aides aux entreprises, création de richesses… Grand-messe et poudre aux yeux ! Tout cela est bien du pipeau quand on regarde simplement la situation des entreprises locales. Elles veulent juste être payées pour leur travail, pour continuer d'avancer. L'assemblée générale du Medef évoque des millions d'euros dus à ses principaux adhérents, dans le BTP en particulier. La réunion du bureau de la FMBTP ce mardi consacre la moitié de son temps à évoquer les impayés des collectivités locales et autres administrations à l'égard de ses adhérents, qui les mettent en grande difficulté. Cela tend les trésoreries, fait les choux gras des huissiers et des banquiers avides d'agios. La mairie d'Acoua a réglé il y a quelques jours une facture de… 2006 ! On croit rêver. Le problème de Mayotte n'est pas dans son tissu économique qui se densifie, dans ses salariés qui se forment, produisent, travaillent, dans ses entrepreneurs courageux, ambitieux. Le problème est dans l'utilisation (ou parfois la nonutilisation) de l'argent public. Les entreprises servent tout simplement de banque, de financeur aux mairies et aux diverses administrations, ce n'est pas du tout leur rôle. Après avoir plombé les communes, des élus incapables de mobiliser des financements et leurs équipes risquent de plomber aussi les entreprises ! Il n'en est pas question. Les entreprises n'osent pas, isolées, seules, réclamer trop fortement ces impayés, de peur de perdre de futurs marchés. L'Etat ne dit rien car si les entreprises réclamaient justement, solidairement et judiciairement leurs dus, beaucoup de mairies et services publics seraient en cessation de paiement ! Et il faudrait admettre la gravité de la situation, mettre la main à la poche, alors on ne dit rien et on laisse les entreprises devant leur banquier... Il est question de délivrer leurs attestations de régularité sociale ou fiscale aux entreprises qui ne peuvent pas payer leurs cotisations pour cause d'impayés publics ! On ne règle pas le problème, on le cache et on essaye d'avancer. Non ! S'il

TOLERIE - PREPAR ATION - PEINTURE

y a un problème de financement des communes, il faut le régler. Une quarantaine d'entrepreneurs de Koungou ont fermé la mairie. Elle leur doit 2,3 millions d'euros. Ils ont raison. Ce mouvement peut s'étendre, massivement, rapidement ! Les entreprises doivent pouvoir faire leur travail… et être payées dans les délais prévus par la loi. Le secteur public ne fait pas son travail. Ce n'est pas aux entrepreneurs, qui créent des emplois, payent des taxes, des impôts, qui investissent, importent des marchandises et financent ainsi les collectivités locales et les fonctionnaires, ce n'est pas à eux de financer les erreurs, les errements d'incompétents. Ne tuez pas les poules avant qu'elles fassent des oeufs… Les citoyens-salariés doivent demander des comptes à leurs élus. Eux risquent ou se retrouvent déjà pour certains au chômage, les salaires sont gelés et leurs enfants ne trouveront pas de travail, car les entreprises sont brimées, bridées, bloquées par des millions d'euros d'impayés. Les investissements sont freinés. Trop rares sont les élus qui gèrent sainement leurs finances. Ils devraient aider leurs collègues défaillants. Il faut absolument débloquer cette situation inadmissible, remettre les communes et autres administrations défaillantes à flot et leur imposer un sévère contrôle pour éviter de tels agissements. Que dire à tous ces jeunes qui arrivent sur le marché du travail ? Que la mauvaise gestion des finances publiques, l'embauche "sociale", "affinitaire", "politique" se répercute aujourd'hui sur les entreprises, en train de couler alors qu'elles devraient embaucher. Il convient de remettre rapidement tout cela en ordre. Les entreprises doivent être payées pour leur travail. Il faut sortir des incantations et agir. La très faible scolarisation, le trop faible niveau des enseignants toléré pendant trop longtemps. Ces embauches de complaisance d'incompétents. Cette corruption diffuse mais bien présente. Ce laisser-aller dans le contrôle. Cette absence de fiscalité locale. Un jour il faut payer. Et on essaye de faire porter ce poids sur les épaules trop fragiles des entreprises locales et des salariés du privé… Il n'en est plus question ! Mayotte n'avancera pas comme ça.

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S LE RÉTRO

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Une seule adresse : rédaction@mayottehebdo.com

Dossier fille-mère "Un accident, des suites bouleversantes" : Mayotte Hebdo consacre un dossier au phénomène des fillesmères. "Sous les préjugés des uns et des autres, les filles-mères contemplent chaque jour, dans un mélange de joie et de regret, la vie d'une progéniture trop souvent accidentellement conçue", écrivions-nous. Déléguée au droit des femmes de 1997 à 2007, Nafissata Bint Mouhoudhoir, nous expliquait : "Les jeunes ont une méconnaissance totale des choses, par exemple souvent les garçons disent "ce n'est pas moi, je ne peux pas être le père parce que je n'ai fait qu'un gourwa". Ils ne comprennent pas que ce n'est pas la pénétration qui fait tomber enceintes les filles mais le sperme, et que c'est donc possible avec un gourwa. A côté de ça, les filles refusent de prendre la pilule par peur que les parents les découvrent. Je leur dis toujours que ce que les parents n'aiment pas, ce n'est pas la pilule mais le fait qu'elles aient des relations sexuelles. À partir du moment où elles décident d'en avoir, elles sont déjà dans la transgression, donc il faut assumer ce choix et prendre ses précautions contre la grossesse et les maladies." Mayotte Hebdo n°442, vendredi 11 septembre 2009.

Festival Intermizik de Mayotte : quel bilan ? Retour sur les Festival Intermizik de Mayotte de 2014. S'il a permis la venue sur leur île de Mawana Slim et Baco, l'évènement a encore une fois connu son lot d’incidents techniques, entachant son image. Nous expliquions : "Le festival n’avait pas encore démarré que l’on apprenait la veille par le directeur de la Dilce, Alain Kamal Martial, l’annulation de la venue du Jamaïcain Konshens, tête d’affiche du festival. Selon lui, la Dieccte aurait refusé de délivrer une autorisation de travail à l’artiste, bloquant ainsi la délivrance de son visa pour se rendre à Mayotte. Les évènements se sont ensuite enchaînés, comme avec la commission de sécurité qui a rendu un avis défavorable à quelques heures des premiers concerts, forçant le maire de la commune de Tsingoni à prendre un arrêté municipal pour que les concerts aient bien lieu sur le stade de Combani. “Nous n’avons été saisis que dix jours avant l’évènement, comment peut-on travailler de concert avec les organisateurs¬ ? Normalement, la commission de sécurité est là pour accompagner les organisateurs, mais là, malgré le cahier des charges que nous avions présenté aux organisateurs, rien n’a été fait”, affirmait alors le directeur de cabinet de la préfecture d'alors.

IL Y A 5 ANS

IL Y A 10 ANS

C'ÉTAIT DANS MH

Mayotte Hebdo n°671, vendredi 12 septembre.

LA PHOTO D'ARCHIVE La Parc marin s'installe dans le Sud Janvier 2011 : un an jour pour jour après la signature du décret de création du Parc naturel marin de Mayotte par le Président Nicolas Sarkozy, l’équipe du Parc inaugure ses nouveaux locaux situés dans le lotissement Darin Montjoly, sur les hauteurs d’Iloni.

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TCHAKS LE CHIFFRE 4,7 C'est la moyenne du nombre d'enfants par femme en 2018 à Mayotte. En comparaison, cette moyenne est de 1,8 en métropole et de 3,6 en Guyane. Avec 9 590 naissances sur le territoire en 2018 contre 9 762 l’année passée, Mayotte enregistre pour la première fois depuis 2014 une baisse des naissances sur le territoire. Une diminution qui est davantage le fait des mères françaises (-4 %) que comoriennes (-1 %). Les chiffres ont été annoncés mercredi 11 par l'Insee (lire également en pages 8 et 9).

LA PHRASE "Il faut que d’ici 10 ans, l’image des bidonvilles qui jonchent Mayotte ait disparu"

L'ACTION Des maîtres-nageurs à Sakouli Mise en place d'une réglementation de la baignade du côté de la municipalité de Bandrélé, en particulier sur la plage de Sakouli, une des plus fréquentées de l'île. Une limitation de baignade autorisée et surveillée par des maîtresnageurs sauveteurs pendant les vacances scolaires et les week-ends sera ainsi mise en place. Également, une sensibilisation à la baignade est prévue au sein des sites touristiques par les médiateurs communaux. Pour le bon fonctionnement et la pérennisation des actions, des partenariats sont envisagées avec le collège de Bandrélé et l’intercommunalité.

Le préfet Jean-François Colombet insiste sur la nécessité d'améliorer l'habitat du département. En ce sens, lundi 9, il a signé avec le maire de Mamoudzou, Mohamed Majani, une convention destinée à lutter contre l'habitat insalubre. Un document, qui identifie plusieurs zones prioritaires, comme celle de Kawéni, et qui doit notamment permettre de stopper toute construction illégale. Un travail qui va de pair avec la sécurisation de la ville. Sur ce point, le préfet a délivré ses satisfecit. "Ici vous êtes particulièrement avancés sur le sujet, vous avez professionnalisé votre police municipale, et l’avez dotée d’armes et de vidéoprotection. Vous allez dans la bonne direction et nous allons vous soutenir dans ce sens", a indiqué le haut fonctionnaire.

LA PHOTO DE LA SEMAINE La 2ème dauphine de Miss Mayotte en route pour l'Angleterre

Mercredi 11, dix jours après l’élection de Miss Mayotte, Chaïda Mogne, deuxième dauphine du concours, s’est envolée pour l’Angleterre dans le cadre du Corps européen de solidarité. Une opportunité pour la jeune femme de 18 ans mais aussi pour Mayotte, dont les institutions espèrent recueillir des retombées positives et inciter les nombreux jeunes du territoire à suivre cette voie de la mobilité.

AÉRIEN

Une motion des maires pour l'ouverture à la concurrence

Dans une lettre commune, les maires de l’île aux parfums ont adressé une motion à Emmanuel Macron en faveur de l’ouverture du ciel mahorais à la concurrence et de la construction de la piste longue. À noter que Roukia Lahadji et Saïd Omar Oili, respectivement premier magistrat de Chirongui et de Dzaoudzi-Labattoir, ne l’ont pas signée. Celle-ci sera transmise par le sénateur Hassani Abdallah.

PROVERBE Jwayi kaliwana na bwe. Un œuf ne se bat pas contre un galet. (C'est la lutte du pot de fer contre le pot de terre)

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LE FLOP LE TOP Une nouvelle compagnie pour aller à La Réunion

Ce n'est pas encore la fin d'un monopole pour se rendre en métropole, mais c'est déjà un beau pas en ce sens. La société AB Travel & Tour SAS, a annoncé s'être associé avec la compagnie charter grecque, Air Mediterranean pour créer une nouvelle compagnie. Elle réalisera des vols entre Mayotte et La Réunion. Le planning définitif des vols devrait être prêt d'ici trois semaine, pour des premières liaisons dès la fin du mois de novembre. Mawahiboudine Matroukou, directeur général d'AB Travel, a détaillé à nos confrères de Flash Infos : "Cela fait un an que l’on travaille sur un projet pour essayer de résoudre la problématique de la ligne entre Mayotte et La Réunion. De nombreux partenaires et usagers nous ont sollicités. Et finalement, on a trouvé un accord avec Air Mediterranean, une compagnie grecque qui n’opère pas beaucoup de vols charters, avec laquelle on a décidé de former un partenariat pour mettre en place cette ligne. Elle nous met à disposition un Boeing 737-400. C’est un avion fiable : nous avons envoyé une équipe certifiée pour l’inspecter." Quant au nom de la nouvelle compagnie, il sera annoncé dans quelques jours. Caribou !

La population de makis chute

Ils sont l’une des espèces endémiques les plus emblématiques de l’île et pourtant, les temps sont durs pour les makis. Voilà l’une des principales conclusions, rapportées ce mercredi au conseil départemental, de l’étude menée sur trois ans par Laurent Tarnaud, primatologue et chercheur associé au Muséum d’histoire naturelle en partenariat avec la collectivité. En 40 ans, la population de makis a en effet été divisée par deux. On en compte aujourd’hui entre 17 000 et 23 000 contre près de 50 000 en 1975. La déforestation est avancée par le chercheur comme la principale cause de ce déclin. Entre 1999 et 2008, la surface forestière a diminué de 40 %. Résultat, les lémuriens bruns de Mayotte ne sont plus chez eux et se tournent vers les zones agricoles où les cultivateurs pestent contre leur présence. Des agriculteurs qui demandent par ailleurs des réparations financières face aux pertes qu’ils constatent, les makis raffolant de mangues, papaye et autres goyaves.

ILS FONT L'ACTU Dominique Voynet

Désormais préfiguratrice de l'Agence régionale de santé (ARS) de plein exercice de Mayotte, Dominique Voynet a détaillé les enjeux de l'autonomisation de l'organisme lors d'une conférence de presse, mercredi 11. "Je ne suis pas ici pour faire de la bureaucratie et des rapports à Paris", a notamment tenu à rassurer celle qui est aussi médecin. Et à l'adresse de ceux qui seraient inquiets de voir l’État français financer la santé comorienne au détriment de celle de Mayotte, la responsable l'a affirmé : "D’une part, les financements proviennent de l’Agence française de développement et donc du ministère des Affaires étrangères, ce ne sont donc pas des fonds qui pourraient être destinés à Mayotte. D’autre part, nous allons poursuivre ce travail de coopération mais je vous donne ma parole que pas un euro du budget alloué aux soins pour Mayotte ne sera attribué au système de santé comorien".

Alain Fisher

Le secrétaire général de la Fédération française de tennis (FFT) en visite à Mayotte durant deux jours pour établir un état des lieux du tennis mahorais et clarifier sa situation, le Comité territorial de tennis de Mayotte parvenant difficilement à se situer par rapport à la Ligue réunionnaise de tennis à laquelle il était rattachée. "C’est un tournant pour le tennis mahorais.", a-t-il déclaré, se réjouissant que "la nouvelle équipe dirigeante mahoraise [a] véritablement envie d’avancer ; on a senti que les collectivités locales étaient derrière et prêtes à pousser : donc, c’est tout naturellement que la Fédération va aider Mayotte à se remettre dans le bon sens."

ENVIRONNEMENT La caravane du tri poursuit son tour à Mayotte Jusqu'au 1er novembre, la Caravane du tri poursuit son tour de Mayotte pour sensibiliser les habitants à l'importance de trier les emballages. Elle passe donc le 13/09 à Mtsangadoua ; le 14/09 à Mamoudzou ; le 20/09 à Tsimkoura ; le 21/09 à Bouéni ; le 27/09 à Choungi ; le 28/09 à Mtsamoudou ; le 04/10 à Majicavo Lamir ; le 05/10 à Tsararano ; le 11/10 à Pamandzi ; le 12/10 à Dzaoudzi Labattoir ; le 18/10 à Kahani ; le 19/10 à Mangajou ; le 25/10 à Combani ; le 26/10 à Sohoa ; et le 1er novembre à Vahibé.

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ACTU

C.C

DÉMOGRAPHIE

LES CHIFFRES CLÉS DE 2018 LE BILAN DÉMOGRAPHIQUE 2018 DE MAYOTTE A ÉTÉ RENDU PUBLIC CE MERCREDI LORS D’UNE CONFÉRENCE DE PRESSE DANS LES LOCAUX DE L’INSEE. PARMI SES PRINCIPALES CONCLUSIONS : LA LÉGÈRE BAISSE DES NAISSANCES DANS LE DÉPARTEMENT, QUI N'EN DEMEURE PAS MOINS LE PLUS FÉCOND DE FRANCE.

9 590 NAISSANCE EN 2018

4,7

Avec une baisse de 1.8% l’année dernière, Mayotte enregistre pour la première fois depuis 2014 une baisse de la natalité. Le phénomène est davantage le fait des mères françaises (-4%) que comoriennes (-1%).

130

ENFANTS PAR FEMME

C’est le record national en termes d’Indicateur conjoncturel de fécondité (ICF) qui atteint 3.6 en Guyane et 1,8 en métropole.

ENFANTS DE MÈRES DE 15 ANS OU MOINS

Un chiffre en stagnation par rapport à l’année dernière. Dans l’écrasante majorité des cas, le père est majeur.

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325 ACCOUCHEMENTS HORS MAYOTTE

Avec une multiplication de 2.5 par rapport à 2014, le nombre de mères tentées par un accouchement en dehors des frontières mahoraises reste marginal (3%). Il s’agit en moyenne de femme de 32 ans de nationalité française.

470

ENFANTS DE MÈRES MINEURS

55%

Le phénomène des mères de 18 ans ou moins est en stagnation et reste excessif en comparaison avec la métropole (5% des naissances à Mayotte, contre 0.4% en Métropole). Il est en revanche inférieur à la Guyane (6%). Dans la majorité de ce cas, les pères ont moins de 25 ans.

DES NOUVEAU-NÉS ONT AU MOINS UN PARENT FRANÇAIS

Si 70% des naissances sur le territoire sont le fait de mamans comoriennes (clandestines et régularisées confondues), nombreux sont les nouveau-nés ayant un père Français. Leurs enfants naissent ainsi, de fait, Français.

10%

DES NOUVEAU-NÉS N’ONT PAS ÉTÉ RECONNUS PAR LE PÈRE À LA NAISSANCE Cette part est équivalente à celle de la métropole, mais moins élevée qu’à La Réunion (25 %). À noter que le phénomène est en diminution sur le territoire (-5% depuis 2014).

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À LA RENCONTRE DE...

Solène Peillard

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FLACCINE DANIEL

ENTREPRENEUSE GOURMANDE FONDATRICE DE L'AGENCE DE COMMUNICATION MAY KIDZ ET PLUS RÉCEMMENT DU SALON DE THÉ ET TRAITEUR Ô GOURMANDISES, LA JEUNE MAHORAISE NE COMPTE PAS ARRÊTER LÀ SON EXPÉRIENCE DE CHEFFE D'ENTREPRISE. FLACCINE FOURMILLE D'IDÉES NOVATRICES QU'ELLE COMPTE BIEN EXPORTER DANS LA RÉGION, AVANT DE S'ATTAQUER À L'INTERNATIONAL, OÙ ELLE N'A CESSÉ DE VOYAGER. RENCONTRE. Sa nouvelle enseigne, raffinée, orne la façade des vitrines de M'gombani depuis maintenant trois mois. Nous sommes à quelques pas du brochetti mangrove, mais ce sont cette fois les douceurs sucrées, traditionnelles ou non, qui se dévoilent généreusement derrière le comptoir fraîchement décoré, entre bocaux de bonbons et grands verres de citronnade, qui attirent l'attention et attisent l'appétit des passants. Il faut dire qu'à Mayotte, Ô Gourmandises est la première entreprise du genre à proposer à la fois traiteur, salon de thé, magasin de confiseries, bar à salades, à wraps, etc. Même les curieux Bubble Tea, les premiers de l'île aux parfums, sont au rendez-vous. Une idée originale sortie tout droit de la tête de Flaccine Daniel. À 32 ans, la Mahoraise n'en est pas à son coup d'essai, puisque trois ans plus tôt, elle créait May'Kids, une agence évènementielle exclusivement dédiée aux fêtes pour enfants. Une première activité, déjà inédite sur le territoire, qui complète parfaitement celle nouvellement créée. "Le but, c'est de proposer un service à la carte, du sur-mesure adapté à toutes les demandes", développe Flaccine Daniel.

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CE QU'ILS EN DISENT Kalathoumi Ibouroi Mze, belle-sœur de Flaccine Daniel "J'ai donné un coup de main à Flaccine lorsqu'elle installait sa boutique. C'est quelqu'un de sérieux et de très patient. Quand des clients s'énervent, elle sait toujours les calmer et ils finissent par s'excuser. Elle est très souriante, et avec le sourire, tout passe !"

De la simple animation musicale à la décoration, du repas aux jeux et ateliers ludiques, en passant par les mascottes de Mickey et Minnie – là encore, les premières de l'île –, la jeune entreprise révolutionne les évènements familiaux que sont les baby shower – des fêtes destinées à annoncer la grossesse d'une future maman –, les baptêmes, la circoncision, les manzaraka, les anniversaires, etc. Tout pour accompagner, de la pré-naissance à l'adolescence, les premiers événements clés de la vie, sur lesquels les Mahorais ne transigent jamais. "C'est une façon d'amener de la modernité dans la tradition, sans l'abîmer", résume simplement l'entrepreneuse,

bercée depuis l'enfance par les coutumes locales, comme le montre le voile gris qui entoure délicatement son visage. "Cela me permet d'apporter au côté mahorais une petite touche à la française, qui est une référence largement reconnue à l'international !". Et ça, la jeune femme en sait quelque chose.

DES VOYAGES À L'ANCRAGE Née de parents mahorais, Flaccine Daniel quitte en bas âge le 101ème département avec sa famille qui, comme beaucoup d'autres, préfèrent s'installer à La Réunion. Elle vivra 10 ans sur l'île intense avant de

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débarquer en métropole pour y poursuivre sa scolarité dans la région toulousaine. La Mahoraise se lance dans un bac hôtelier, suivi d'un BTS tourisme en vente et production. Un parcours qui lui permet de mettre, très jeune, un pied dans le monde professionnel : "J'ai fait un peu de tout, j'ai travaillé dans l'insertion, dans l'aérien", se souvient Flaccine Daniel, accoudée sur l'une des petites tables roses qui remplissent la salle de sa nouvelle entreprise. Diplômes en poche, la jeune femme, curieuse de s'ouvrir au monde, s'envole pour l'Australie où elle s'installe quelques temps. Puis, "En revenant en métropole, je n'ai plus supporté y vivre, il fallait que je reparte !", commente-t-elle dans un large sourire qui ponctue souvent ses phrases. Elle décide alors de retourner quatre mois seulement à Mayotte, en vacances, avant de finalement s'y établir pour de bon. Rapidement, la trentenaire comprend que nombre de services manquent sur l'île, plus qu'ailleurs. Ni une, ni deux, elle fonde sa première entreprise, May'Kidz. "À l'époque, pour les enfants, il y avait déjà le parc gonflable Kiddy Kid, mais ce n'est pas la même chose, il n'y a pas vraiment de concurrence sur ce créneau". Des années plus tard, elle décide de s'inspirer de la chaîne américaine Starbucks pour créer, cette fois, un salon de thé à l'ambiance douce et élégante, où il serait à la fois possible de bruncher, prendre le goûter et déguster quelques sucreries. Le tout dans un cadre très british, à la façon des cafés londoniens dans lesquelles Flaccine Daniel a eu l'occasion de savourer toutes sortes de gourmandises tout au long de ses voyages. "Petit à petit, j'ai repensé à toutes les heures passées là-bas pour profiter de la connexion wifi pour pouvoir appeler ma famille et mes amis", s'amuse la baroudeuse. "Je commandais un milkshake et je restais des heures, à table, sur Skype !" Et si le tourisme manque à Mayotte, "il y a quand même une diaspora assez importante qui désire peut-être profiter d'un espace comme celui-ci pour joindre ses proches à l'autre bout du monde." Finalement, grâce à ses voyages, la jeune femme contribue au développement de son territoire, dont les habitants semblent déjà accrocher à ce nouveau projet : le mois dernier, alors que Flaccine et ses deux employées faisaient face à une pénurie d'œufs, nombreux ont été les clients à débarquer à la boutique les bras chargés de boîtes, afin de pouvoir continuer à déguster les fameuses Bubble gaufres, spécialité asiatique dont la forme

ronde et aérienne garantit une gourmandise moelleuse à souhait.

CARRIÈRE ET CARACTÈRE La solidarité, le sens de la communauté, incarnent des valeurs qui ont toujours bercé la jeune femme. Les premiers temps de l'installation de la boutique, son mari l'a accompagné de l'administratif jusqu'aux travaux, en passant par la logistique. "Les nuits blanches, on les a faites à deux !", sourit Flaccine Daniel. Sa famille, aussi, l'épaule beaucoup. Rien de plus naturel, pour cette fille issue d'une fratrie de huit enfants, "dont cinq carriéristes", se réjouit la gérante de Ô Gourmandises by May'Kidz. Une énergie, une soif d'aller de l'avant héritées de sa mère, célibataire, qui a toujours transmis à ces enfants la confiance dont ils avaient besoin pour rêver et oser. Une force de caractère, aussi, que Flaccine Daniel porte encore au cœur. Car au gré des projets concrétisés, les idées se renouvellent sans cesse et s'ouvrent à présent vers l'international. Soutenue par l'Agence De l'Outre-mer pour la Mobilité (Ladom), Flaccine Daniel projette d'étendre son activité à Madagascar dans un premier temps, particulièrement en tant que consultante dans le milieu de l'hôtellerie, où elle proposerait, évidemment, les services évènementiels de May'Kids, avant de les exporter en dehors de l'océan Indien. Un projet ambitieux pour cette jeune Mahoraise qui porte, comme elle le dit en souriant, "le syndrome de l'entreprenariat." n

CE QU'ILS EN DISENT Satoi Abdou Barkari, employée de Flaccine Daniel "Au travail, elle est quelqu'un de cool, elle ne nous met jamais la pression. Ca me plait beaucoup de travailler ici, je trouve que ce que fait Flaccine est un bon projet pour Mayotte."

Ô Gourmandises by May'Kids vous accueille aux Vitrines de M'gombani : Du lundi au jeudi : de 10h à 18h Du vendredi au samedi : de 12h à 22h Le dimanche : de 15h à 22h (possibilité de bruncher le midi, sous réservation) Plus d'informations au 0639 25 14 50

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LE DOSSIER

PÊCHE

DU POTENTIEL DANS LES FILE 14•

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L ETS

Depuis combien de temps la mer nourrit-elle notre île ? Depuis que des hommes s'y sont installés. C'est donc peu dire que la pêche est une des activités les plus anciennes de Mayotte. C'est aussi une des plus porteuses. Malheureusement, bien que pleine de promesses et de potentiel, elle s'est bien peu modernisée : combien de poissonneries sur l'île ? Combien de criées ? Combien de quai de déchargement ? Bien peu, voire pas du tout. Et c'est d'autant plus vrai en comparaison du développement rapide que le département connaît par ailleurs. Hormis quelques coopératives disséminées çà et là et une pêcherie bien connue s'étant équipée de navire plus gros, plus puissants et plus robustes pour exploiter la ressource halieutique dans une pêche qualifiée de semi-industrielle, bien peu d'infrastructures permettent de donner de l'élan au secteur. En somme : la pêche a longtemps été laissé au rang d'activité vivrière, traditionnelle, artisanale. Barques et brouettes : quelque peu réducteur pour l'art de la mer. Mais il se pourrait bien que cela change. Les pêcheurs doivent s'adapter aux réglementations, le secteur doit se structurer et les autorités prennent conscience de l'importance de développer l'activité. En ce sens, c'est une petite révolution que Mayotte va connaître avec le projet d'installer sept pontons et halles de pêche à travers l'île. De quoi fournir aux pêcheurs des conditions de travail dignes, mais aussi l'envie de se professionnaliser. De quoi, aussi, offrir au consommateur de bonnes conditions d'achats, des produits frais et, pourquoi pas, transformés. On l'espère en tout cas.

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Grégoire Mérot

PÊCHE

STRUCTURER LA FILIÈRE : UNE QUESTION DE SURVIE AU MÊME TITRE QUE LE TOURISME OU L’AGRICULTURE, LA PÊCHE EST RÉGULIÈREMENT CITÉE COMME UNE FILIÈRE D’AVENIR DANS LE DÉVELOPPEMENT ÉCONOMIQUE DU TERRITOIRE. UNE RÉVOLUTION EST POURTANT À MENER DANS LE SECTEUR POUR ESPÉRER, AU MOINS, SA SURVIE FACE À L’APPÉTIT DES IMPORTATEURS.

Photo : Banque d'images de Mayotte

LE DOSSIER

13 août 2019. Sur la place du four à chaux à Labattoir, un groupe de pêcheurs brandissant des massues menace de s’en prendre à une petite construction en bois, qui a fait son apparition quelques jours plus tôt. La colère gronde chez les marins, auxquels on promet depuis un an l’édification d’une halle de pêche… Sur le même emplacement que le faré

qui s’érige doucement. L’incompréhension est totale. Elle est surtout révélatrice d’un mal auquel il va falloir faire face si l’on veut espérer voir la pêche survivre à Mayotte : la désorganisation des acteurs de la filière. Remontons dans le temps. En 2017, les pêcheurs de Petite-Terre, alors organisés en Comité villageois de pêcheur (Covipem)

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Photo : Banque d'images de Mayotte

informel, réalisent qu’il leur devient indispensable de se doter d’une halle afin de stocker à froid et commercialiser leurs produits. D’autres projets du même acabit fleurissent sur l’île. Mais à défaut de mairie soutenant leur dossier, comme c’est le cas à Kani-Kéli, afin de toucher les financements du Fonds européen pour les affaires maritimes et la pêche (Feamp), les hommes de mer doivent se structurer en association. À charge d’une commune, dans un second temps, de libérer le foncier nécessaire à l’aménagement. Tout le monde traîne du pied, et le dossier s’ancre dans le sable. Plusieurs mois plus tard, l’association est enfin créée, ses représentants désignés, tandis que l’intercommunalité de Petite-Terre propose le site du four à chaux. Trop tard, les enveloppes du Feamp sont bouclées, annonce Bruxelles. Il faudra attendre le programme 2020-2026 pour espérer recevoir les subventions européennes. Chez les pêcheurs, la frustration est grande, d’autant plus que la mairie de Dzaoudzi-Labattoir poursuit ses aménagements en lieu et place de leur hypothétique halle.

PREMIÈRE ÉTAPE : RÉUNIR LES ACTEURS "Le besoin est réel, selon Régis Masséaux, président du syndicat maritime des pêcheurs professionnels de Mayotte, voire même indispensable pour Petite-terre, mais il faut porter le projet à bout de bras. Et pour cela, il faut que l’association se structure convenablement avec des dirigeants actifs." Celui qui est également patron de Captain Alandor appelle, en Petite-Terre comme ailleurs, à un sursaut général des professionnels du secteur. "Il est impossible de faire une communauté de pêcheurs structurée avec des marins qui ne peuvent pas gagner leur vie, commercialiser leurs produits, qui ne pourraient toucher l’essence détaxée, le plan de compensation de surcoûts ou les autres fonds européens. Ce n’est pas pensable, sinon c’est la mort de la pêche. C’est donc à la communauté

de pêcheurs de regrouper ses forces vives. Il va falloir faire un gros travail en interne mais qui ne peut venir que d’eux !", s’exclame le marin bourru. Son constat est clair : au 1er janvier 2021, si les pêcheurs n’ont pas pris le virage imposé par l’Union européenne, c’est toute une filière qui prend la voie de l’extinction. Car à cette date, toutes les nouvelles normes concernant la branche entrent en vigueur. Bateaux, moteurs, zones de pêche et donc méthodes de pêche doivent changer pour s’adapter à la nouvelle réglementation. Dernier point et non des moindres, l’obligation, pour chaque bateau en navigation, d’avoir un capitaine français à bord. Nous sommes très loin du compte. Les barques, qui constituent l’immense majorité de la flotte mahoraise sont armées pour naviguer dans un rayon de 5 milles nautique autour de l’île. Ce qui ne les empêche pas, jusqu’alors, de se rendre sur le banc du geyser, à 60 milles nautiques des côtes. C’est en effet là qu’ils peuvent pratiquer la pêche de fond, sur des bancs dominants 3 500 mètres de profondeur. Selon des observateurs, il est même régulier que ces esquifs se dirigent encore plus loin, vers des eaux territoriales qui ne sont pas françaises. Sans licence.

DEUXIÈME ÉTAPE : DE NOUVELLES TECHNIQUES DE PÊCHE Rien de tout cela n’est encore envisageable si les pêcheurs veulent espérer récolter des subventions indispensables à la pérennité de leur activité. Des solutions existent cependant. Le type de barque actuel peut être armé à un niveau supérieur, lui permettant de naviguer jusqu’à 20 milles nautiques. Cela suppose toutefois de nouveaux bateaux, équipés d’une nouvelle motorisation quatretemps. Leurs capitaines à bord devront quant à eux passer des examens maritimes et détenir la nationalité française. Cela suppose également de s’orienter vers un nouveau type de pêche. Car à cette distance l’isobathe – ou

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Photo : Banque d'images de Mayotte

LE DOSSIER

courbe de profondeur – maximale est de 2 500 mètres. La pêche de fond au poisson bantique n’est donc plus possible. En revanche, les lignes dérivantes, la petite-traîne ou encore la pêche au moulinet sont autant de techniques pour prélever les poissons migrateurs de cette zone comme le thon ou l’espadon. Afin d’assurer la viabilité de ce repli intérieur, la Direction de la mer sud océan Indien pousse à l’installation de dispositifs de concentration de poissons (DCP) dans la zone des 20 milles nautiques. Les pourparlers sont en cours et ceux-ci pourraient être installés par le Parc naturel marin de Mayotte d’ici un an. "A partir du moment où on a de nouvelles barques de pêche, des capitaines diplômés et de nationalité française, un parc de DCP et parallèlement des

points de débarquement et de vente à terre dans des conditions de froid, on a rempli la tâche, c’est ça structurer la filière pêche", considère encore Régis Masséaux. Oui mais… beaucoup diront que la tâche est ardue et les délais trop courts. "On ne découvre pas maintenant cette date butoir de 2021, cela date de 2013 ! Nous sommes éligibles au Feamp et au plan de compensation de surcoût depuis que nous sommes devenus une région utrapériphérique européenne !", tempête le capitaine, pour qui le message est simple : "on nous donne des outils, à nous de nous en saisir. À partir du moment où vous demandez de l’argent à l’Europe, ce qui est indispensable pour pouvoir vivre de la pêche, il faut répondre à ses critères", assène le capitaine. À l’abordage ! n

LA PÊCHE MAHORAISE DÉPENDANTE DE L’EUROPE Comme le note la Cour des comptes dans son rapport annuel de février 2019, les régions ultrapériphériques peuvent utiliser les fonds européens à 85% pour financer leurs projets. Mais encore faut-il porter les dossiers. Le cas de la place du four à chaux illustre bien cette problématique. S’il n’y a pas d’acteurs à même d’entamer les démarches, il n’y a pas de subventions, et sans subvention, tout projet est inenvisageable. Cela vaut bien sûr pour les infrastructures, mais aussi pour le quotidien des pêcheurs. Les dossiers concernant le plan de compensation de surcoût - qui permet à chaque semestre d’obtenir des aides financières- sont quasi systématiquement rabotés de moitié car mal rédigés. Pour la période 2014-2020 du fonds européen pour les affaires maritimes et la pêche, l’Union européenne avait budgétisé une aide à hauteur de 3 048 millions d’euros. Le 27 mai 2019, seuls 822 525 euros de crédits ont été consommés.

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DE NOUVELLES BARQUES POUR SE CONFORMER À LA RÉGLEMENTATION Au moins 150 barques de pêche aujourd’hui en activité seront condamnées à rester à quai, à partir du 1er janvier 2020. Plus de la moitié de la flotte mahoraise doit ainsi être renouvelée. Toilibou Abdallah, président de la Copemay et Charif Abdallah, président du Covipem de Mtsapéré et vice-président de la Capam ont pris le dossier à bras le corps. Ils ont finalement trouvé un interlocuteur auprès de l’association R&Dom qui œuvre pour le développement économique des outre-mer. Résultat, un chantier naval martiniquais a été identifié pour fournir les premières barques nouvelle génération. Longues de 7,7 mètres et large de 2,25 mètres, elles sont propulsées par deux moteurs quatre-temps de 60 chevaux. À bord, des glacières pour stocker le poisson dans le froid et tout l’équipement de sécurité permettant à la barque de naviguer jusqu’à 20 milles nautiques, contre 5 actuellement. Coût du bateau : 50 000 euros, dont la moitié est déjà financée par le Conseil départemental. Allo Bruxelles ?

LES DCP, UNE VOIE D’AVENIR ?

Si pour les défenseurs de l’environnement, les dispositifs de concentration de poisson sont synonymes de surpêche et de menace pour la biodiversité, il en est tout autrement pour les acteurs de la filière pêche mahoraise. Il s’agit en fait de différencier deux cas : celui de la pêche industrielle, raflant des tonnes de poisson sans distinction d’espèces et d’âge à l’aide de DCP mobiles munis de capteurs, et les DCP dédiés à une pêche artisanale telle qu’elle existe à Mayotte. Dans ce deuxième cas, il s’agit en fait de la version modernisée d’une technique ancestrale reposant sur un radeau se prolongeant sous l’eau par des cordages ou des filets et attirant naturellement le poisson. Le Parc naturel marin, sous l’impulsion de la DMSOI, doit poser plusieurs équipements de ce type dans les mois à venir. Permettant ainsi aux pêcheurs mahorais de se tourner vers une nouvelle pêche dans leur zone de navigation des 20 milles nautiques. "Ici, les DCP peuvent être considérés comme de la pêche durable. Cela nous permet de faire sortir la pêche du lagon et donc préserver sa biodiversité. Et d’un point de vue technique, s’il est posé à la bonne distance, il crée lui-même un écosystème qui se renouvelle au fur et à mesure de la pêche. Il n’y a donc plus besoin d’aller pêcher dans des zones plus en danger. C’est du gagnant-gagnant", estime Christophe Fontfreyde, directeur du Parc naturel marin de Mayotte.

Photo : Banque d'images de Mayotte

QUELQUES CHIFFRES EN VRAC : 17kg : c’est la consommation annuelle de poisson par habitant à Mayotte. C’est moins de la moitié de la consommation métropolitaine. 2 000 emplois pourraient être créés avec le développement de la pêche sur l’île selon l’association R&Dom. 450 pêcheurs sont aujourd’hui recensés sur l’île. 6,50 euros le kilo de poisson. C’est le prix moyen de vente en sortie de barque. Dans les congélateurs des supermarchés, on retrouve à 8 euros du kilo, les mêmes poissons congelés, découpés, sans peau et sans arrêtes.

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LE DOSSIER

G.V

COMMUNES

D'UN MONDE À L'AUTRE

Photo : Banque d'images de Mayotte

LA FILIÈRE PÊCHE SE STRUCTURE. POUR L'ÎLE, C'EST UNE VRAIE PISTE DE DÉVELOPPEMENT QUI SE DÉBLOQUE. POUR LES COMMUNES ET LES INTERCOMMUNALITÉS AUSSI. ORGANISER ET MAÎTRISER LE SECTEUR : UNE MANIÈRE DE MIEUX FAIRE VIVRE LES ADMINISTRÉS, MAIS AUSSI DE CRÉER DE L'EMPLOI.

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Difficile de dire le nombre exact de pêcheurs qu'elle compte – sans doute "Entre 30 et 40" –, tous n'étant pas déclarés, mais la commune de Bandrélé attend avec impatience ses futures infrastructures consacrées à la pêche. Au programme : un point de vente prévu au marché de Hamouro, mis en place sur initiative de la mairie et dont l'ouverture est prévue pour cette fin d'année, mais aussi un ponton et une halle des pêches, à l'instar de ceux qui doivent être installés dans six autres communes du département. Un marqueur fort de valorisation du secteur d'un coût de 1,2 millions d'euros pour la seule ville de Bandrélé, subventionnés par le Département et les Fonds européens, pour un vrai changement. D'ailleurs, du côté de la municipalité, on se targue d'avoir pris le dossier à bras le corps dès 2015, puisque des équipements dédiés à la pêche étaient déjà prévus dans le schéma d'aménagement. Et il vrai qu'avec ceux de Kani-Kéli, les projets de la communes destinés à mieux structurer le secteur sont les plus avancés. La raison est simple : "le développement de la pêche va avec celui de la commune", affirme François Delaroque, le directeur général des services. Il poursuit : "Le secteur connaît un vrai défaut de structuration, surtout dans le sud. Jusqu'à présent, l'activité n'était pas organisée alors qu'elle est bien présente, notamment à Hamouro, Nyambadao et Mtsamoudou." Résultat : "de la vente à la sauvette, du "poisson brouette" comme on dit, avec l'impossibilité de contrôler la qualité ou de savoir comment tout cela se passe." Toutefois, difficile jusqu'à aujourd'hui de faire autrement : "C'est un cercle vicieux car, faute d'outils, les pêcheurs ne peuvent pas se professionnaliser pour vendre le fruit de leur travail."

DÉVELOPPER L'EMPLOI Plus au sud, Kani-Kéli s'est elle aussi inscrite dans une démarche volontariste sur le sujet de la pêche. Une évidence pour une commune qui "a très longtemps vécu avec la pêche", comme le commente son maire, Ahmed Soilihi. D'ailleurs, "nous sommes parvenus à garder notre

coopérative de pêche depuis 1981, cela a toujours été une volonté de la population." Ce n'est donc pas un hasard si cette dernière a été rénovée à l'initiative de la mairie et inaugurée en février dernier, offrant ainsi au Sud son premier point de vente de poissons. Une première renaissance qui s'apprête, ici aussi, à prendre encore un nouvel essor avec la création d'une halle de pêche et d'un ponton. Le premier magistrat s'en réjouit et y voit un vrai levier de création d'emplois. "Beaucoup de jeunes de la commune s'intéressent aujourd'hui à la pêche, faute de trouver d'autres opportunités ailleurs. Ils veulent donc apprendre le métier et devenir des professionnels", constate-t-il en l'affirmant : "Beaucoup nous demandent des formations en ce sens." En somme, grâce à ces nouveaux équipements à venir, et dont les travaux devraient commencer "incessamment sous peu", la commune espère favoriser son développement. Ahmed Soilihi le confie : "La pêche est une piste sérieuse pour nous. Notre coopérative permet aujourd'hui aux habitants d'avoir du poisson de bonne qualité et de l'acheter dans de bonnes conditions. Avec l'arrivée d'un ponton et d'une halle, nous envisageons d'ailleurs déjà de la restructurer pour, là aussi, qu'elle contribue à créer de l'emploi." Et de finir en plaisantant : "Avec un ponton, les pêcheurs pourront amarrer leurs barques et, qui sait, si la barge arrive un jour à Kani-Kéli, les passagers pourront aussi y débarquer !" Si les communes voient donc dans le développement de la pêche une manière de renforcer le leur et d'améliorer le quotidien de leurs administrés, reste désormais à savoir qui assurera la gestion des équipements futurs. Ainsi, à Bandrélé par exemple, "les équipes de de la communauté de communes travaillent avec un bureau d'études pour déterminer le meilleur mode de gestion possible", explique François Delaroque. Restera ensuite, enfin, à œuvrer à un autre chantier, pour parfaire et compléter les équipements prévus : "Une question en particulier sur laquelle il faudra réfléchir est celle des stations marines. Il n'en existe qu'une seule en Petite-Terre. L'idéal serait de pouvoir en implanter ailleurs en Grande-Terre." n

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LE DOSSIER

PÊCHE SEMI-INDUSTRIELLE

"NOUS NOUS SENTONS COMPLÈTEMENT OUBLIÉS" À LA TÊTE DE LA PÊCHERIE CAP'TAIN ALANDOR, RÉGIS MASSÉAUX OBSERVE LE GRAND CHANTIER DE STRUCTURATION DE LA FILIALE PÊCHE À MAYOTTE. S'IL EST NÉCESSAIRE, IL REGRETTE TOUTEFOIS QUE LE SEGMENT DE LA PÊCHE SEMI-INDUSTRIELLE SOIT OUBLIÉ, ALORS QU'IL EST LUI AUSSI SOUMIS À DES CONTRAINTES. navire non agrée mais qui peut servir à des échanges familiaux : il ne faut pas l'oublier car cela sert, cela fait partie de notre vie sociale. Et puis il y a la barque, et ici il n'y a plus que cela qui compte. Le reste n'existe pas. Nous, on est plutôt sur ce qu'on appelle des pêches de surface, avec une entreprise de 13 personnes tout de même – des pêcheries à 13, il n'y en a pas beaucoup – et cela passe souvent aux oubliettes. MH : Quels seraient vos besoins ?

Mayotte Hebdo : Le secteur de la pêche connaît en ce moment un vaste chantier destiné à la structurer. Il s'agit notamment de doter les pêcheurs de barques homologuées et d'installer des pontons et halles de pêche à travers l'île. On pourrait dire que cela concerne essentiellement la petite pêche. Votre segment est-il concerné aussi ? Régis Masséaux : C'est vrai qu'à Mayotte on a tendance à oublier les différents segments de pêche. Par exemple si on prend notre île sœur de La Réunion, vous avez de la pêche à la légine, de la pêche au thonier senneur, des palangriers de surface, de la barque bourbon qui est l'équivalent de nos barques à nous, etc. Ici, on préfère souvent la pirogue qui est un

RM : Je dirais qu'il y a trois points essentiels qu'il faudrait consolider. Le premier concerne la logistique liée aux navires que l'on utilise. Prenons un exemple : nous embarquons au ponton de Mamoudzou. Or nous allons être impactés par le futur réseau Caribus, car quand la route qui passe devant va être aménagée pour les bus, comment allons-nous pouvoir passer pour alimenter nos bateaux ? Et comment débarque-t-on ensuite ? Quand un bateau part en mer, il emporte deux tonnes de glaces, environ 300 kilos d'appâts, des vivres pour tenir trois jours, etc. Aujourd'hui, on ne sait pas où on peut aller en remplacement. Si on pose la question, personne ne peut nous répondre. On nous parle parfois du port de Longoni, mais il n'y a pas là-bas de structure pour recevoir nos bateaux. Qui plus est, nous sommes obligés de charger nos navires dangereusement. Nos chariots remplis pèsent 200 kg et sont obligés

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de passer par une pente de 70° à peu près. Si mes gars en lâche un et que des gamins se trouve au bout, sur le ponton pour embarquer avec un prestataire, il se passe quoi ? Ce n'est pas compatible. J'avais d'ailleurs attiré l'attention du préfet Veau sur ce point. Cette logistique est vraiment un problème pour nous. Le deuxième problème concerne les qualifications. Le type de navire que l'on utilise exige des examens plus sophistiqués – capitaine de sang 500, mécaniciens 250KW ou 750 KW, etc. –, que l'on n'a pas à Mayotte. Il nous manque ces qualifications, donc on est obligés de déroger, reroger, etc. : c'est assez compliqué à gérer ! En plus, il faut savoir que les assureurs de nos navires, eux, ne fonctionnent pas avec des dérogations : il faut que tous les membres d'équipage soient à jour de leur titre professionnel. Et puis, à ce stade de brevets maritimes, les marins demandent à être affiliés à l'Établissement national des invalides de la marine (Enim), qui est la caisse de retraite des marins. Or, on ne l'a pas ici. C'est encore un peu plus ambigu. Alors, du coup, on est sur le régime général avec la Caisse de prévoyance sociale, mais partout ailleurs en France, y compris à La Réunion, il y a l'Enim. Quand je recrute, cela rajoute encore de la complication, et pourtant je paye les billets d'avion aller-retour. Enfin, notre atelier devient petit pour transformer nos produits, d'autant qu'on a un projet de troisième bateau. À La Réunion, vous avez un centre semblable à une criée en métropole, géré par la Chambre de commerce et d'industrie, où vous pouvez débarquer vous produits. Cela n'existe pas encore ici. Le traitement des produits se retrouve donc limité. Il est vrai qu'il y a eu des investissements, comme à Kani-Kéli par exemple, mais ce n'est pas partout. De plus, ces infrastructures sont adaptées à une petite pêche.

nombre total de kilowatts-moteur pour Mayotte [d'où l'intérêt d'en avoir le maximum en 2025, NDLR]. Or, les barques actuelles sont obsolètes : leurs kilowatts-moteur ne compteront jamais. Donc il faut les changer, avec des financements, pour des barques dont les kilowatts-moteur seront pris en compte. Le problème est que si personne ne le fait – car il y a tout de même un coût pour les pêcheurs – il n'y aura pas beaucoup de barques. D'autant que dès 2021, les capitaines devront être de nationalité française avec un agrément sanitaire pour obtenir un agrément communautaire. Le délai est tendu ! En revanche, nous avons, en ce qui nous concerne, déjà cet agrément.

MH : Vous vous sentez oubliés des projets du moment ?

MH : Une fois le grand chantier de la petite pêche achevé, vous avez tout de même bon espoir que les institutions vous soutiennent plus ?

RM : Complètement. Pour preuve : notre administrateur n'est jamais venu voir notre poissonnerie en deux ans. Quand je lui en fait la remarque, il me répond "Oui mais je sais que chez toi, ça marche." Certes, mais on a des problèmes aussi. Ce ne sont pas les mêmes que les barques de pêche, mais il y en a, propres à nos types d'entreprises. Il faut qu'on trouve des solutions qui leurs soient dédiées. Aujourd'hui, je crois beaucoup plus en des entreprises de nos types, qu'en des entreprises individuelles car elles ne font pas travailler personne à terre. Si on veut faire travailler des gens à terre pour, par exemple, fournir ensuite des hôtels, des restaurants, etc., on est obligés de passer par des infrastructures. Alors quand j'entends parler de sept points de débarquement autour de l'île pour des barques, et que rien n'est fait pour notre type de flotte, je trouve ça dommage. La structuration de la pêche est une bonne chose en soit, car en 2025, Mayotte doit présenter un nombre de bateaux représentant un nombre de kilowatts-moteur. Cela fixera le

MH : Les deux types de pêche – pêche en barque et pêche sur des navires comme les vôtres – peuvent-elles être complémentaires ? RM : Oui, elles le sont assurément. La pêche avec des barques sera, normalement, côtière, et ne pourront pas dépasser 15 milles nautiques depuis Mayotte, alors que nous on peut aller plus loin. Idem pour la météo : quand elle grosse, nous on peut sortir. Pas ces barques. Il n'y a pas de concurrence entre nos pêches. Au contraire. C'est grâce à des métiers hauturiers qu'on peut développer une stratégie de centres de profits pour pouvoir transformer les produits. Des centres dans lesquels des pêcheurs en barque pourraient venir vendre le reste de leur pêche, si jamais ils ne parviennent pas à la vendre en totalité. C'est comme ça que cela se passe dans des ports comme en Vendée, par exemple. Le pêcheur qui est tout seul, et qui va tendre ses lignes à hameçons pour pêcher du bar, heureusement qu'il a un centre de réception de ses produits dans lequel il peut vendre. Sinon, il se retrouve tous les soirs avec ses poissons sur les bras.

RM : Pas vraiment. Cela serait beaucoup trop long. Et puis, aujourd'hui, il y a des orientations pour Mayotte, notamment au sein de sa grande région. Cinq points de pêche industrielle ou semi-industrielle ont été définis autour des Comores. Doiton donc, aujourd'hui, réfléchir cette pêche uniquement sur une ile, Mayotte, ou plutôt sur du global ? Car quand on parle d'industrie, on parle de coûts de main d'œuvre, de bateaux plus conséquents, etc. À mon sens, j'ai la sensation que la réflexion doit être plus générale. Regardez le temps que cela prend pour faire un quai à Longoni. Quand on le fera, il n'y aura plus de bateaux peut-être (rire). C'est donc à nous de monter en puissance en semi-industriel, de travailler mieux dans le giron régional, tout en restant avec des flottes locales qui font du produit journalier. Il n'y a personne dans le canal du Mozambique qui le fasse. Il n'y a que sept Seychellois qui viennent prendre parfois des licences à Mayotte, et des thoniers senneurs. En pêche de surface, il n'y a rien.

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LE DOSSIER

Solène Peillard

ZONE ÉCONOMIQUE EXCLUSIVE

COUP DE FILET POUR LES THONIERS ? CHAQUE ANNÉE, LES THONIERS-SENNEURS, MAJORITAIREMENT SEYCHELLOIS, CAPTURENT AUTOUR DE MAYOTTE PLUSIEURS MILLIERS DE POISSONS LOCAUX. ENTRE APPAUVRISSEMENT DES STOCKS ET CADRE LÉGAL PEU FAVORABLE, LES PÊCHEURS LOCAUX SONT FINALEMENT LES GRANDS PERDANTS DE CE BUSINESS INTERNATIONAL. MAIS IL SE POURRAIT BIEN QUE LE VENT TOURNE, DOUCEMENT, EN LEUR FAVEUR. DU MOINS EN PARTIE.

Le chiffre est parlant : 2 365 tonnes de poissons capturés. Voilà la belle prise réalisée cette année par les thoniers-senneurs étrangers dans les eaux de la zone économique exclusive de Mayotte (ZEE), soit une hausse de 139 % par rapport à l'an passé, selon les chiffres du Centre national de la surveillance des pêches de l'océan Indien. Dans toutes les régions ultrapériphériques de France, cette flotte industrielle étrangère n'est autorisée à pêcher qu'au-delà de la limite des 100 milles nautiques, soit un peu plus de 180 kilomètres, dans un souci de préservations des stocks de poissons disponibles, ces mêmes réserves naturelles qui assurent l'équilibre de la biodiversité sous-marine, et avec lui, la subsistance des pêcheurs locaux. Mais à Mayotte, cette distance est réduite à seulement 24 milles nautiques, à peine plus de 44 kilomètres. Dans le vent de la rupéisation, le Parc marin plaide depuis 2014 pour la modification de cette dérogation légale. Après deux ans de combat et l'intervention du sénateur Thani Mohamed Soilihi, il semblait enfin obtenir gain de cause :

en juin 2016, un décret faisant état d'une mise à niveau pour le 101ème département paraît au journal officiel de la République française. Mais finalement, aujourd'hui encore, la commission européenne n'a toujours pas été notifiée de ce changement, empêchant sa mise en action. Dédale administratif ? Pas vraiment. Pour Régis Masséaux, vice-président du parc naturel marin de Mayotte, la faute serait plutôt au lobby de la pêche thonière. Dans les seules eaux mahoraises, jusqu'à 10 000 tonnes de thons peuvent légalement être pêchées chaque année par ces appareils, pour un coquet chiffre d'affaire s'élevant jusqu'à plusieurs dizaines de millions d'euros. Rien que ça. En 2019, huit thoniers-senneurs ont répandu leurs filets dans la ZEE du 101ème département. Une flotte, contrairement aux années précédentes, exclusivement seychelloise, qui appauvrit les réserves locales de thons en allant s'approvisionner à proximité de dispositif de concentration de poissons (DCP) dérivants. Or, ces petits radeaux au cordage immergé attirent

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LA ZONE ÉCONOMIQUE EXCLUSIVE, QU'EST-CE QUE C'EST ?

Une zone économique exclusive (ZEE) désigne une aire marine au-delà de la mer territoriale mais au sein de laquelle un état exerce des droits souverains en matière d'exploration, de conservation, de gestion des ressources naturelles et d'exploitation de l'aire à des fins économiques, comme la pêche ou la production d'énergie. Ce périmètre s'étend jusqu'à 200 miles nautiques des côtes. La ZEE de Mayotte couvre une surface revendiquée par la France de 432 000 km². Problème : depuis 2010, l'union des Comores inclut l'île hippocampe dans sa propre ZEE, et en a déposé les délimitations auprès de l'Organisation des nations unies (Onu). Bien que celles-ci n'aient pas pris effet, l'état français les ayant contestées, notre pays n'aurait lui-même pas encore déposé ses instruments – nom des délimitations – auprès de l'Onu (lire aussi notre numéro 897).

DERNIÈRE MINUTE : LES SEYCHELLES VEULENT RENÉGOCIER

Mardi 10 septembre, la commission européenne a autorisé la négociation, entre chefs d'État, d'un nouvel accord de pêche avec les Seychelles concernant l'accès à la ZEE de Mayotte, vient-on seulement d'apprendre. Le texte aujourd'hui en vigueur – qui autorise la présence et la capture de huit thoniers-senneurs – prendra fin à l'été prochain. Concernant la possibilité d'une reconduction à Mayotte, le député européen Younous Omarjee a dénoncé "le pillage des ressources halieutiques" de l'île, orchestré par l'Union européenne. Il a également appelé élus mahorais et Premier ministre à refuser l'ouverture des négociations. Le seul profit que tire Mayotte de la présence des thoniers est le paiement de leurs licences et captures, au détriment de la biodiversité.

particulièrement les populations de juvéniles, tortues et gros prédateurs comme les requins, qui eux, ne pourront jamais être commercialisés et mis en boîte aux Seychelles ou à l'île Maurice, où sont traités les produits de la pêche pratiquée à Mayotte. Conséquence : ces jeunes poissons sont rejetés, morts. Ils représenteraient à eux-seuls près de 4 % du produit de pêche. L'impact sur la biodiversité marine se fait déjà sentir : "La taille des poissons a vraiment diminué", déplore Régis Masséaux, également entrepreneur dans le secteur, laissant croire que tous le système reproductif de plusieurs espèces a été profondément perturbé. Il y a plusieurs années déjà, un document du parc marin de Mayotte tirait la sonnette d'alarme : "Les risques de surexploitation et d’effondrement du stock peuvent être très rapide (comme cela à pu être observé en moins de 10 ans à La Réunion sur [plusieurs] espèces)", décrit le texte, appelant à une gestion contrôlée de l'activité. En ce sens, la Commission des thons de l'océan Indien (CTOI) poursuit une campagne de marquage des individus, afin de mieux cerner leur dynamique spatiale et l'évolution des populations. Ainsi, l'année dernière, la CTOI choisissait de réduire le nombre de DCP dérivants, déjà une petite victoire saluée par les pêcheurs locaux. Car par-delà les enjeux

environnementaux, c'est aussi l'avenir des professionnels mahorais qui se joue dans les calles des thoniers seychellois. Et les prochains mois pourraient bien être de bon augure. Dès octobre prochain, le ministère de l'Environnement actera la création ou l'extension d'une vingtaine de réserves naturelles nationales. Parmi elle, les Îles Glorieuses : le parc naturel marin verra alors son périmètre protégé s'élargir considérablement. Pour les thoniers-senneurs, cela représente une réduction de leurs possibles aires de pêche dans la région. Et rentabilité oblige, "ils ne viendront pas dans un mouchoir de poche !", croit fermement le viceprésident du parc de Mayotte. D'autant plus qu'en une seule nuit, "un thon est capable de parcourir jusqu'à 300 kilomètres". Et faute d'accords internationaux, cette flotte étrangère est contrainte de se tenir à distance des eaux comoriennes. Si, par cette nouvelle mesure, les pêcheurs du 101ème département ne pourront plus par exemple, s'approvisionner près du très fertile banc du geyser, à mi-chemin entre les Glorieuses et Mayotte, cela devrait tout de même permettre de reconstituer les stocks de poissons locaux. Car aujourd'hui encore, pour survivre à la concurrence des thoniers, les marins mahorais sont contraints d'aller pêcher de plus en plus loin. n

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LE DOSSIER

RÈGLEMENTATION

CE QUI EST PERMIS OU INTERDIT

PARCE QUE LA RESSOURCE HALIEUTIQUE N'EST PAS INFINIE ET QUE LE LAGON DE MAYOTTE EST UN HAUT LIEU DE BIODIVERSITÉ MARINE, DE NOMBREUSES RÈGLES S'APPLIQUENT EN CE QUI CONCERNE LA PÊCHE. REVUE DE CE QUI EST PERMIS OU PAS.

LES RÉSERVES DE PÊCHE Il en existe quatre dans le lagon, garantissant aux populations de poissons un habitat préservé pour leur reproduction et ainsi le renouvellement de la ressource dans les zones avoisinantes. Les limites des zones sont matérialisées par des balises jaunes surmontées d'une croix de Saint-André, en forme de X.

Dans la réserve de Saziley, la pêche n'est autorisée qu'à la palangrotte, à la traîne et au djarifa.

Dans la réserve naturelle de l'îlot Mbouzi, la pêche et chasse sous-marine sont interdites, sauf palangrotte en embarcation non-motorisée.

Pour la passe en S, toutes formes de pêche et de prélèvements sont interdites.

Dans la zone de protection de la plage de N'gouja, toute pêche est interdite. Idem pour le ramassage.

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LA PÊCHE EMBARQUÉE La pêche au filet est interdite aux navires de plaisance. Pour les navires professionnels, l’usage du filet est interdit à l’aplomb des récifs vivants, des zones d’herbiers et dans les canaux de mangrove. La pêche à bord d’embarcations de plus de 10m est interdite à l’intérieur du lagon. Les engins de pêche autorisés à bord d’une embarcation de plaisance sont limités à deux palangres de 30 hameçons maximum, deux casiers, un fusil sous-marin, une épuisette et un ensemble de cannes à pêche et lignes de traîne dans la limite de 12 hameçons en action de pêche simultanément. La pêche à proximité des dispositifs de concentration de poissons (DCP) n’est autorisée aux plaisanciers que le weekend et les jours fériés. L’utilisation de mécanismes d’assistance électrique ou hydraulique pour remonter les lignes de pêche est interdite aux plaisanciers, à l’exception des moulinets et vire-lignes électriques de moins de 800 W.

LA PÊCHE SOUS-MARINE La pêche sous-marine comprend toute action de capture en action de nage d’animaux ou de végétaux marins, à la main ou à l’aide d’un outil. Toute forme de pêche sousmarine est strictement interdite à l’intérieur du lagon ainsi que dans les passes. Elle n’est autorisée qu’à l’extérieur du lagon, à partir du début du tombant de la barrière extérieure La pêche sous-marine ne peut être exercée qu’en apnée, toute capture en plongée bouteille est strictement interdite. L’utilisation de fusils à cartouche d’air comprimé (de type "Pelletier") est interdite. La pêche sousmarine ne se pratique que de jour, les pratiquants doivent obligatoirement signaler leur présence dans l’eau à l’aide d’une bouée. La capture des crustacés n’est autorisée qu’à la main. Les usagers doivent être couverts par une assurance en responsabilité civile pour cette pratique.

NE PAS CONCURRENCER LES PROFESSIONNELS La vente du poisson capturé dans le cadre d’une pêche de loisir est strictement interdite car elle crée une concurrence déloyale vis-à-vis des pêcheurs professionnels et met en péril leur activité. De plus, l’intérêt commercial incite à accroître l’effort de pêche, ce qui crée une pression supplémentaire sur les ressources.

COQUILLAGES ET CRUSTACÉS Il est interdit de ramasser certaines espèces de mollusques : triton conque, casque rouge et fer à repasser. En ce qui concerne les crustacés, leur pêche est doublement réglementée. Elle est ainsi interdite du 1er novembre au 31 mars pour la langouste, la cigale de mer, et le crabe des mangroves ; et leur taille doit faire au minimum 25 cm de long pour la langouste, 20 cm pour la cigale de mer, et 12 cm de large pour le crabe des mangroves. Les concombres de mer (holothuries) font eux aussi l'objet d'une interdiction de pêche. Enfin, la destruction, le prélèvement et a fortiori la vente et l'achat de coraux sont interdits.

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MAGAZINE

Solène Peillard

LANGUE(S)

"J'APPRENDRAI L'ARABE À MAYOTTE, INCH'ALLAH" SUR L'ÎLE AUX PARFUMS, TOUS LES ACCENTS SE RENCONTRENT : SHIMAORÉ,SHIBUSHI, ET FRANÇAIS ÉVIDEMMENT, MAIS AUSSI ARABE. AU SORTIR DE LA MADRASSA, PLUSIEURS MILLIERS D'ÉLÈVES POURSUIVENT L'ENSEIGNEMENT DE CETTE LANGUE AU SEIN DE L'ÉCOLE DE LA RÉPUBLIQUE, FAISANT DE MAYOTTE L'ACADÉMIE AU PLUS GRAND NOMBRE D'APPRENANTS EN LA MATIÈRE. POURTANT, AUCUN ÉTABLISSEMENT D'ÉTUDES SUPÉRIEURES N'ASSURE AUJOURD'HUI LA CONTINUITÉ. "Allahu Akbar !" Il n'est pas tout à fait cinq heures du matin lorsque résonne, de M'tsamboro à Saziley, l'invocation du premier appel à la prière du jour. Dans les madrassa, les enfants récitent le Coran, en arabe, évidemment. Face au mahorais, au shibushi et au français, cette langue n'est que très minoritaire sur le territoire. Pourtant avec plus de 3 000 apprenants au sein de l'académie, le 101ème département "héberge le plus grand pôle d'apprentissage scolaire de l'arabe [en France]", souligne Didier Cauret, directeur de cabinet au vice-rectorat. "L'île entretient des liens étroits avec la culture arabomusulmane, tissés par plusieurs siècles de contacts et d'Histoire". Et pour cause. Si certains l'appellent l'île hippocampe, d'autres l'île aux parfums ou au lagon, parfois même "Mayana", les Arabes auraient été, il y a de ça mille ans, les premiers à avoir baptisé Mayotte, alors surnommée "Al-maouti", ou l'île de la mort. À l'époque où l'emplacement des passes récifales était encore inconnu des navigateurs, nombreux étaient les bateaux marchands à s'échouer sur la barrière de corail qui ceinture Mayotte. Mais au gré des siècles, ces navires, dont bon nombre partis du monde musulman, parviennent à accoster sur l'île, y débarquant du fond de leur cale

une nouvelle culture, une nouvelle religion que la population mahoraise viendra par la suite teinter d'animisme. L'islam s'ancre sur le territoire, et avec lui, la langue arabe à laquelle il est lié. Passé le salamalek, il n'est pas rare d'entendre, sur la banquette des taxis ou à la caisse des Douka Bé, retentir ça-et-là de gais "maharaba", traduction arabe de "bienvenue", devenue "merci" en shimaoré. Des exemples comme celui-ci, le langage local en compte près de 3 000 – contre 400 dans la langue française –, soit un tiers de son lexique, et ce bien au-delà de la religion. Ainsi, "la plupart des élèves [mahorais] ont un potentiel à mettre en valeur et à exploiter", note encore Didier Cauret. En atteste les 101 mesures pour le rattrapage, le développement et la sécurisation de Mayotte, mises en place après le mouvement de grève générale et dans lesquelles figure l'extension et la pérennisation de l'enseignement de l'arabe "dans les programmes scolaires et sur l'ensemble du territoire", alors que ces dits programmes demeurent identiques à ceux des autres langues enseignées en France, cadre européen commun de référence oblige. Autre incohérence : à ce jour, à Mayotte, aucun BTS ou formation du centre universitaire de recherche n'inclut une formation à la langue

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Photo : Geoffoy Vauthier

Dans les madrassa, les enfants apprennent à réciter le Coran dès trois ans, sans vraiment comprendre l'arabe.

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arabe. Autrement dit, les jeunes étudiants soucieux de poursuivre leur éducation en la matière n'ont pas d'autre choix que de quitter le territoire.

UN DÉVELOPPEMENT BIGARRÉ Les problèmes de poursuite des études ne s'arrêtent pas là, et commencent, pour certains, bien avant le bac. Si plus de 80 % des collèges mahorais dispensent une formation à l'arabe, principalement en tant que deuxième langue vivante, après l'anglais, "la continuité n'est assurée que dans deux lycées professionnels", déplore Didier Cauret, directeur de cabinet du vice-recteur. En conséquence, certains élèves préfèrent

abandonner leur apprentissage de l'arabe pour ne pas avoir à parcourir de trop longue distance vers un autre établissement. Pourtant, depuis plusieurs années déjà, le développement de la langue s'amorce doucement, poussé par la forte demande des parents d'élèves. En seulement quatre ans, le nombre d'enseignants dédiés est passé de 15 à 23, mais compte aujourd'hui une majorité de contractuels. En 2016, 19 établissements – 13 collèges et 6 lycées – proposaient un cursus, contre 36 actuellement, soit 18 collèges et 8 lycées. Certaines écoles poursuivent même la transmission au-delà des salles de classe, comme le lycée de Mamoudzou Nord, où les messages importants concernant la santé des enfants notamment, sont envoyés aux parents en français, en shimaoré, mais aussi

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en arabe, preuve de son importance particulière dans la vie sociale et culturelle de l'île. Mais paradoxalement, depuis l'entrée en vigueur de la réforme du baccalauréat, plus aucun lycée de Mayotte ne propose de cours d'arabe en spécialité langue et culture étrangère. D'autres obstacles, culturels cette fois, subsistent. Si les madrassa permettent aux enfants de se familiariser très jeunes avec le système graphique et phonétique de l'écriture coranique – forme la plus littéraire mais la moins rependue de la langue –, ils déclament quasi systématiquement les textes sans les comprendre. Ainsi, les 3% d'élèves qui poursuivent cette formation dans les établissements du second degré "peuvent tout juste réciter l'alphabet", regrette Romdhana Godeau, enseignante d'arabe au collège de Koungou depuis dix ans. "Ils ne savent ni lire ni écrire". Mais si elle laisse de lourdes lacunes, la madrassa fait indéniablement naître chez les jeunes un attrait pour la culture arabe, raison pour laquelle un grand nombre d'entre eux choisissent d'approfondir leurs connaissances au sein de l'école républicaine. Parmi eux, Anziz a suivi l'option LV3 arabe au lycée Bamana, de la classe de seconde à la terminale. "Comme une majorité d'enfants, j'ai commencé l'école coranique à trois ans sans jamais vraiment comprendre l'arabe", se souvient le Mahorais. "En grandissant j'ai vraiment voulu comprendre ce que disait le Coran, et avec, savoir parler l'arabe. Le lycée m'y a beaucoup aidé". Si Anziz a abandonné l'arabe en intégrant un cursus supérieur dédié au sport, Ilyas, lui, a décidé de consacrer, au-delà du secondaire, ses années universitaires à cette langue qu'il a, lui aussi, découvert à la madrassa. "Quand j'étais à l'école coranique, mon père m'aidait beaucoup à la maison, notamment pour la grammaire", se souvient le désormais vingtenaire. Passée la pression familiale, il se découvre un véritable amour pour l'arabe, qu'il étudie aujourd'hui en deuxième année de licence en mention langue étrangère appliquée à l'université de Nantes, dans l'espoir de devenir professeur ou de s'installer dans un pays arabophone. Comme si, en suivant les traces de la culture profonde de son île, le Mahorais avait été contraint à l'exil. Un paradoxe. n

LA CULTURE, AU-DELÀ DE LA LANGUE L'influence de la langue arabe à Mayotte s'immisce jusque dans la culture populaire, religieuse comme profane. Ainsi, les contes de Banawassi ou M'boro le lièvre, héros récurrents des anciennes légendes mahoraises, "reprennent les aventures du personnage du fou-sage", analyse Didier Cauret. Un archétype bien présent dans la culture ancestrale du monde arabe, connu sous le nom de Juha. Autre exemple, l'emblématique gabussy, petite guitare typiquement mahoraise, ressemble, tant dans la forme que dans le son au houd, instrument traditionnel des pays arabes. Les liens entre ces deux cultures se tissent plus loin encore dans la musique, puisque, depuis ses débuts, le débaa intègre des parties en arabe, narrant des pans de vie du prophète Mahomet et chantés entre deux couplets en shimaoré. À travers la phonologie, cette toile interculturelle s'étend encore. Dans ses réflexions sociolinguistiques dédiées au plurilinguisme local, le professeur d'université Musanji Ngalasso-Mwatha relève la présence "de voyelles nasales", une articulation particulière, selon lui, héritée de l'arabe. "On remarque également, en shimaoré, la présence de certaines consonnes ou combinaisons de consonnes inconnues du kiswahili", qui proviendraient une fois encore de la langue arabe.

LES CHIFFRES DE L'ENSEIGNEMENT ARABE En 2018, 13 000 élèves étudiaient l'arabe dans des lycées et collèges français, dont plus de 3 000 uniquement à Mayotte, soit 3 % des jeunes localement scolarisés. Dans l'enseignement du second degré, l'académie de Mayotte compte actuellement 23 enseignants de langue arabe, soit 6 titulaires et 17 contractuels. Ils étaient 19 au total deux ans plus tôt, et 15 en 2015. 18 collèges sur 22 enseignent actuellement l'arabe à Mayotte, contre 13 en 2016. Depuis 2017, 8 lycées sur 11 proposent des cours de langue arabe. Ils étaient 6 en 2016.

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LITTÉRATURE

Christophe Cosker, "L’Invention de Mayotte", Pamandzi éd. La Route des Indes, 2019.

LISEZ MAYOTTE Chaque semaine, Christophe Cosker, auteur de L'invention de Mayotte, vous propose la quintessence de chacune des trente-six inventions de Mayotte relevées dans l’ouvrage éponyme.

Il s’agit ici d’un livre dans un livre, ou d’un texte dans un texte. En effet, Bajot publie, au début du XIXe siècle, un texte connu ensuite sous le titre Annales maritimes et coloniales. Mais son titre complet est Recueil des lois et ordonnances royales, règlements et décisions ministérielles, mémoires, observations et notices particulières, et généralement de tout ce qui peut intéresser la Marine et les Colonies, sous les rapports militaires, administratifs, judiciaires, nautiques, consulaires et commerciaux. L’auteur se présente, non sans pompe, comme "sous-commissaire, chef du bureau des lois au ministère, de la société des sciences, belles-lettres et arts de Rochefort, et de celle d’agriculture, sciences et littérature de Calais". C’est dans ce livre, qui est une compilation, que l’on trouve une "Relation de la campagne de la goélette de Sa Majesté Le Lys, commandée par Monsieur Lelieur de la Ville-sur-Arce, élève de la marine de première classe, pendant les mois d’août, septembre, octobre et novembre 1819 ; description des îles Comores, Anjouan, Moelli et Mayotte." L’auteur de cette relation – mot à entendre au sens de narration – est Lelieur de la Ville-sur-Arce, auteur second ; il se présente plus simplement comme un marin qui raconte le voyage qu’il a effectué dans l’océan Indien, notamment dans l’archipel des Comores qu’il va décrire en fonction de son expérience. Mais cette expérience a quelque chose d’insolite. En effet, les trois principaux intérêts du texte sont d’abord l’antagonisme entre le roi de Mayotte et le marin qui veut poser le pied sur l’île – et qui n’y parviendra pas -, puis le fait que cet empêchement ne fait pas avorter la construction d’un discours sur Mayotte qui se présente alors logiquement, de façon mythique, comme île paradisiaque jalousement gardée par des habitants redoutables. L’invention de Mayotte mêle donc ici imagination de l’île et retranscription de données de seconde main, obtenues par ouï-dire. On goûtera particulièrement les précautions oratoires qui servent au narrateur à expliquer qu’il parlera d’un lieu qu’il n’a fait qu’apercevoir.

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Christophe Cosker

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ANNALES MARITIMES & COLONIALES Quatre ou cinq jours après, j’annonçai au roi mon départ pour Mayotte, en le priant de me donner des lettres pour le roi de cette île, et un pilote, vu la difficulté de l’entrée du port. Il m’engagea à attendre plusieurs jours, par la raison que je m’exposais beaucoup en allant inopinément dans un pays où peu auparavant un navire anglais (La Léda) qui y avait fait côte, avait été totalement pillé, et qu’il était prudent de prévenir son roi de ma visite. Huit jours après, un des chefs de Mayotte arriva avec une réponse par laquelle on me priait de ne point venir, donnant pour raison que, de mémoire d’homme, n’ayant point eu de relations avec les blancs, il ne se souciait point d’en avoir. Le roi de Mayotte mandait en même temps à celui d’Anjouan que si je persistais dans mon dessein, il le priait instamment de ne pas mettre à mon bord de pilote ni d’Arabes. Cette réponse était assez claire et ne me laissait aucun doute sur les intentions hostiles de ce peuple, dans le cas où je me présenterais chez lui. J’insistai de nouveau et dis au chef qu’il n’avait qu’à retourner vers son maître chercher une réponse plus favorable ; qu’il ne devait avoir rien à craindre de moi ; que la conduite que je tiendrais à la Comore et à Moelli pourrait être un garant de celle que

je tiendrais chez lui. Je regrette de n’avoir pu vaincre sa résistance. […] Je ne puis rien dire de positif sur cette île, où je n’ai point abordé ; mais j’ai pris sur son compte tous les renseignements qui étaient en mon pouvoir. Au dire des Arabes, c’est la plus belle et la plus fertile des quatre îles : son terrain est presque partout plat, son sol excellent ; ses forêts renferment des bois de construction recherchés par leurs voisins. C’est à Mayotte que l’on ramasse le plus d’écaille, et c’est la seule de ces îles où l’on trouve de l’ambre. Des Arabes, dignes de foi, m’ont montré des morceaux de silex qu’ils m’ont assuré venir de cette île ; ils seraient très propres à faire d’excellentes pierres à fusil. À sa partie nord, il y a un bon port assez semblable à celui de Mahé, à l’entrée duquel est situé un îlot, où les habitants, au nombre de cinq à six cents, se sont bâtis une ville semblable à celle de Moelli : là, ils se tiennent à l’abri de la fureur des Malgaches à l’époque de l’invasion ; ils cultivent la grande terre et rentrent tous les soirs sur cet îlot. Ce peuple a un caractère différent des Arabes qui habitent les autres îles ; il est plus défiant et plus méchant, même à l’égard de ses voisins.

Bajot, Annales maritimes et coloniales, Paris, Imprimerie royale, Deuxième partie, 1821, p. 652-663.

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OFFRES D'EMPLOI OFFRES DE FORMATIONS FICHES MÉTIERS TÉMOIGNAGES CONSEILS


LE MÉTIER DE LA SEMAINE

AGENT DE MÉDIATION ET DE SÉCURITÉ L'AGENT DE MÉDIATION ET DE SÉCURITÉ MÈNE DES ACTIONS DE MÉDIATION AUPRÈS D'UN PUBLIC OU D'INSTITUTIONS AFIN DE CONTRIBUER À RENFORCER LA COHÉSION SOCIALE. IL ÉTABLIT OU RÉTABLIT, PAR UNE DÉMARCHE DE MÉDIATION, LA RELATION ENTRE DES PERSONNES OU UNE PERSONNE ET UNE STRUCTURE, CONTRIBUE À LA RÉSOLUTION DE SITUATIONS CONFLICTUELLES ENTRE DEUX PARTIES ET PEUT COORDONNER UNE ÉQUIPE DE MÉDIATEURS SOCIAUX. ENVIRONNEMENT DE TRAVAIL

- Association à caractère social - Collectivité territoriale - Entreprise de transport de personnes - Entreprise publique/établissement public - Organisme de logement

COMPÉTENCES

- Réaliser une veille documentaire (collecte, analyse, etc.) - Organiser les modalités d'intervention de médiation sociale (lieux, stratégie d'action, consignes, etc.) - Veiller sur l'environnement de la zone d'affectation (quartiers, lignes de bus, centres commerciaux, sorties d'école, etc.) - Établir des contacts avec la population locale de la zone d'affectation et promouvoir les initiatives de réunions de concertation ou de consultation, etc. - Analyser la situation et les besoins de la personne - Accueillir les personnes - Identifier les motifs de tension, les dysfonctionnements, les dégradations, les risques de conflit - Concevoir des mesures de régulation, de sécurisation ou d'alerte - Proposer des axes d'évolution - Réaliser un suivi d'activité - Animer un réseau de professionnels

ACCÈS AU MÉTIER

L'activité d'agent de médiation et de sécurité s'exerce dans des espaces publics (quartiers, transports, habitat collectif, centres commerciaux, école, hôpital, équipements sociaux, etc.), au sein de sociétés de transport, d'associations, d'organismes à caractère social, de collectivités locales, etc., en contact avec le public et en collaboration avec différents intervenants (travailleurs sociaux, personnel de santé, personnel d'enseignement, personnel administratif, gardiens d'immeubles, personnel de sécurité, etc.). Elle peut s'exercer en horaires décalés, les fins de semaine, jours fériés ou de nuit.


OFFRES D'EMPLOI TECHNICO-COMMERCIAL / TECHNICO-COMMERCIALE H/F

RESPONSABLE DE MAGASIN (H/F)

BOULANGER / BOULANGÈRE

* voir site Pôle emploi

ENCR'ECO - 976 - MAMOUDZOU Pour nous accompagner dans le développement de nouveaux services Auprès d'une clientèle d'entreprises, de collectivités et de particuliers Venez partager nos valeurs

976 - MAMOUDZOU

Suivre l'état des stocks Définir des besoins en approvisionnement Vérifier la conformité de la livraison Concevoir les opérations commerciales selon les marges, le chiffre d'affaires

976 - MAMOUDZOU

Sélectionner et doser les ingrédients (farine, levure, additifs, ...) pour la réalisation des pâtes à pain ou à viennoiserie, les mélanger et effectuer le pétrissage


IEPH

Insertion en Emploi des Personnes en situation de Handicap 2e PROMOTION

Mise en Œuvre de la cellule Insertion-Emploi des Personnes Handicapées (IEPH) de l’association MESSO. - Formation d’Agents d’entretien et d’hygiène - Formation d’Agent administratif et d’accueil - Participer à l’essor de l’économie locale, - Lutter contre l’exclusion par l’éducation populaire et le conseil aux acteurs du territoire, - Accompagner socialement les personnes porteuses de handicap, avec le concours des autres acteurs, afin de lui permettre de s’intégrer ou de se réapproprier la société. La cellule IEPH propose un accompagnement social dans l’environnement familial pour faire un diagnostic de la situation et des conditions d’habitation (accessibilité, transport, prise en charge spéciale par des aidants à domicile,) afin de lever les freins éventuels en faisant appel aux services qualifiés sur le département. Le diagnostic établit par la cellule IEPH sera inséré dans le dossier et fera l’objet d’une transmission aux services partenaires de la Cellule. Ce travail sera exercé par un travailleur social dont l’activité essentielle sera le suivi social des usagers. Dans le cadre du présent projet, le dispositif IEPH prévoit de faire des actions de sensibilisation sur les problématiques de la santé dans le cadre de l’accompagnement des usagers de la cellule. Il s’agira de mettre en place des ateliers de sensibilisation auprès du public de l’IEPH mais aussi des entreprises partenaires. Dans cette deuxième promotion de formation du dispositif IEPH, l’association MESSO propose une action de formation avec 2 options sur une durée de 12 mois : - Agent de propriété et d’hygiène : - Employé administratif et d’accueil

85 route nationale de M’Tsapéré 97600 Mamoudzou 02 69 62 18 23 secretariat.direction@messo.fr - MESSO


MAGAZINE D’INFORMATION NUMÉRIQUE HEBDOMADAIRE Edité par la SARL Somapresse au capital de 20 000 euros 7, rue Salamani Cavani M’tsapéré BP 60 - 97600 Mamoudzou Tél. : 0269 61 20 04 contact@mayotte.hebdo.com Directeur de la publication Laurent Canavate canavate.laurent@mayottehebdo.com Directeur de la rédaction Mohamed El Mounir dit “Soldat” 0639 69 13 38 soldat@mayottehebdo.com Rédacteur en chef Geoffroy Vauthier

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Couverture :

Tout savoir sur la pêche à Mayotte

Journalistes Romain Guille Solène Peillard Grégoire Mérot Cyril Castelliti Correspondants HZK - (Moroni) Direction artistique Franco di Sangro Graphistes/Maquettistes Olivier Baron, Franco di Sangro Commerciaux Cédric Denaud, Murielle Turlan Thomas Lévy Comptabilité Catherine Chiggiato compta@mayottehebdo.com Secretariat Annabelle Mouhamadi Première parution Vendredi 31 mars 2000 ISSN : 1288 - 1716 RCS : n° 9757/2000 N° de Siret : 024 061 970 000 18 N°CPPAP : 0121 I 92960 Site internet www.mayottehebdo.com


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