Mayotte Hebdo n°903

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LE MOT DE LA RÉDACTION

ET UN DE PLUS Ils étaient trois, ils devraient dans quelques jours être quatre. Après Jacques Chirac, Nicolas Sarkozy et François Hollande, c'est au tour d'Emmanuel Macron de se rendre à Mayotte en tant que président de la République. Une république qui apparait parfois lointaine pour notre île, mais à laquelle le territoire est toujours resté attaché. Preuve en est son indéfectible volonté de l'intégrer pleinement grâce au statut de département. À l'occasion de la visite présidentielle, nous avons donc mis en exergue le rapport que les différents chefs d'État de la Vème République ont eu avec Mayotte, mais aussi les attentes fortes des habitants et acteurs de notre île. Également, dans notre portrait, vous retrouverez la glamour Alexandra Maroine, pleine de détermination pour son île, qui nous raconte son parcours et ses envies pour Mayotte. Enfin, le directeur de La poste, Gaëtan Longeau, fait le point sur les évolutions de ce service public à Mayotte. dans notr entretien de la semaine. Bonne lecture à tous

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COUP D’ŒIL DANS CE QUE J'EN PENSE

Laurent Canavate

Mayotte Hebdo n°570, vendredi 1er juin 2012

ON NE PIÉTINE PAS… ON RECULE ! La maison des jeunes de Cavani… Il a fallu attendre des manifestations de jeunes énervés, prélever de l'argent sur les taxes et impôts, pour décider, puis lancer la construction de cette belle bâtisse, épaulée par un terrain de basket-hand et un petit terrain de foot synthétique toujours pleins de jeunes sportifs, bien mieux là qu'à trainer. Puis cette construction finie… rien. Rien ne s'est passé. Pas un chef, un directeur, un élu qui s'est préoccupé de son utilisation, de sa gestion, pour décider de son utilisation. Pas un chef pour solliciter des propositions de gestion, les étudier, trancher et passer à autre chose, avancer. Les décideurs irresponsables étaient peut-être à Madagascar avec l'argent public… Ou occupés à préparer leur prochaine mission ! Il faut arrêter de se mentir, pour beaucoup de nos "responsables" il s'agit d'abord de "manger", se servir, seuls eux comptent, il faut profiter au maximum, et se bouger, promettre, mentir, pour se faire (ré)élire, tant pis pour la population, pour les jeunes, pour l'emploi… Tant pis pour Mayotte. L'esprit des Anciens est bien loin… mais la prison se rapproche… C'est la seule issue, le seul moyen de rappeler les missions et les limites. Alors cette maison des jeunes est restée fermée devant une population qui supporte de moins en moins bien la crise, qui attend un emploi, qui cherche une occupation l'après-midi, impatiente. Au bout d'un moment trop long, une fenêtre a été forcée, puis une porte. Les luminaires, les ampoules, puis le câblage électrique ont été arrachés, puis les portes et fenêtres… Sans aucune réaction, comme le matériel sportif du stade de Cavani… Maintenant les toilettes, les WC, le faux-plafond ont aussi été arrachés. Il faudra des centaines de milliers d'euros pour remettre en état cet équipement public. Les jeunes qui auraient pu y créer des activités, y trouver des animations, un lieu pour répéter, pour s'entraîner, pour s'amuser, pour réviser… attendent toujours. Ils ne piétinent plus devant la porte, elle a disparu, mais il faudra de nouveaux moyens importants pour la remettre en état – il n'y en a pas -, et ils n'ont toujours rien… parce que les "chefs" sont incapables de prendre une décision, de suivre un dossier de A à Z, parce qu'ils s'en foutent complètement

TOLERIE - PREPAR ATION - PEINTURE

en fait. On ne piétine plus, on a reculé. Il faudra à nouveau de l'argent pour reprendre ce dossier en main… un jour. C'est comme les stands de brochettes au marché… Construits depuis des mois, ils attendent d'être occupés. Et l'espace insalubre, dégueulasse, où se mêlent les relents de grillades et d'urines, dev(r)ait être réhabilité et transformé en parking… Cela aurait dut être fait depuis des mois, des années, comme le déménagement de la décharge d'Hamaha, comme un local de répétition pour les artistes, comme le front de mer de Mamoudzou, comme l'aménagement du terre-plein de M'tsapéré, comme le centre culturel… Personne n'ose décider, trancher, choisir, avancer pour passer à autre chose… alors on piétine, on stagne, et souvent même on recule. On perd du temps, de l'argent, des compétences, des motivations… Le ponton de N'gouja a disparu… Le cinéma a fermé… Les salaires sont de plus en plus difficiles à payer chaque fin de mois au conseil général, tout comme les bourses des étudiants… On est bien dans une spirale négative. Pas de travaux publics suffisants, pas d'emploi, pas de consommation, pas de rentrées douanières et d'impôts, pas de travaux… Il y a pourtant tant de choses à faire, comme l'aménagement des plages avec l'installation d'activités, de snacks, d'écoles de voile, de location de kayaks, de VTT, d'animations…, comme l'accueil et le suivi sérieux des investisseurs pour créer de l'activité et de l'emploi, comme l'entretien des routes de Mamoudzou et d'ailleurs, qui était "la grande priorité" avant les élections. C'est aujourd'hui honteux ! Même les étroites routes nationales sont recouvertes de gravier. En raclant bien il doit y en avoir des tonnes ! Cela pourrait faire des économies sur des travaux à venir. Mais le gravier rejoint petit à petit la route, sournoisement, quotidiennement, pour le plus grand plaisir des deux roues… Là on ne recule pas, on dérape. Et les responsables ne bougent pas, ne font rien... C'est tellement plus simple. Il suffit juste de profiter de son poste, de son salaire, de ses avantages au maximum sans crainte d'être viré pour les agents ou pseudo-directeurs, et d'attendre les prochaines élections pour les élus. Aujourd'hui Mayotte ne piétine pas, elle recule.

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S LE RÉTRO

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Rapport de la Chambre territoriale des comptes : l'électrochoc

Comme bien souvent, la Chambre territoriale des comptes épingle Mayotte, ici à travers son rapport sur la gestion du Conseil général. Selon la juridiction, le déficit de la collectivité s'élève à 72,371 millions d'euros, sur un budget total de 404 millions d'euros pour l'exercice 2009. Dans ses préconisations, la Chambre prévoit un plan de redressement sur trois ans pour résorber le déficit de moitié d'ici 2012, avec des mesures qui seront sûrement impopulaires (voir encadré). Selon Ahamed Attoumani Douchina, alors président, la majorité a décidé "de préserver les investissements qui sont des sources de richesse, de développement et d'emploi, de limiter l'impact du plan de redressement pour les habitants, pour le tissu associatif et pour les partenaires du conseil général de manière à ce que la Collectivité ne pâtisse pas trop des difficultés que nous connaissons en ce moment". "À partir de la session du 19 octobre, nous allons présenter toutes les informations à l'ensemble du conseil général et nous allons voter un budget modifié pour prendre en compte ce déficit", a-t-il aussi expliqué en poursuivant : "La Collectivité à des ressources dynamiques, elle n'est pas en faillite, en rupture de trésorerie. J'ai confiance en la capacité du conseil général à surmonter ces difficultés et en la solidarité de la majorité que je conduis pour mener une politique de redressement." Mayotte Hebdo n°447, vendredi 16 octobre 2009.

Ylang-ylang : le dernier espoir

Zoom sur une culture ancestrale et une piste de développement pour Mayotte : l'ylang-ylang. Nous placions le contexte : "Il fut un temps où la culture de l'ylang-ylang faisait la fierté de Mayotte. Le meilleur ylang du monde, cela n'est contesté par personne. L'île exportait 39 tonnes d'huile essentielle en 1977 et fournissait les plus grands parfumeurs. Après avoir été le fleuron et l'emblème de Mayotte, la production d'ylang-ylang a longtemps décliné avant d'atteindre son niveau actuel, proche de zéro. Depuis 2013, Mayotte n'exporte plus d'huile essentielle d'ylang." Pourtant, notre ylang-ylang est décrit comme le meilleur au monde, et une thèse en atteste. En février 2014, Céline Benini la présentait sous le nom "Variabilité morphologique, génétique et chimique de Cananga Odorata (Lam) Hool F & Thompson Forma Genuina en vue de l'amélioration qualitative de la production de l'huile essentielle d'Ylangylang dans les îles de l'océan Indien." Dans son étude, la doctorante caractérisait notamment la variabilité de l'ylang aux niveaux morphologique, génétique et chimique des ylangs de Madagascar, des Comores et de Mayotte. Ces comparaisons ont révélé qu'il existe une grande diversité dans la composition chimique de l'huile essentielle d'ylang dans la zone d'étude. Céline Benini proposait aussi des pistes de valorisation de la filière. Notamment pour Mayotte, qui s'est révélé accueillir la meilleure qualité d'huile essentielle. Mayotte Hebdo n°676, vendredi 17 octobre 2014.

LA PHOTO D'ARCHIVE Inauguration de la Maison des adolescents Janvier 2011 : la première Maison des adolescents ouvre ses portes sur l’île. Une structure flambant neuve inaugurée à Cavani et dédiée à la prise en charge de la jeunesse en difficultés, mais aussi aux familles.

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IL Y A 5 ANS

IL Y A 10 ANS

C'ÉTAIT DANS MH


TCHAKS

L'ACTION "Le million, le million !"

LA PHRASE "Pas un euro ne doit repartir à Paris"

LE CHIFFRE 25 C'est le nombre d'écrivains qui seront présents à la prochaine édition du Salon du livre, qui se tient jusqu'au 20 octobre sur la place de la République. Quinze d'entre eux sont Mahorais. "Ce salon permet de schématiser la région, qui est l’une des plus anciennement naviguée. Il existe une communauté d’histoires qu’il fallait faire émerger", se réjouit AlainKamal Martial, à la tête de la direction du livre et de la lecture publique du Département.

À l'occasion du comité de programmation du contrat de convergence, réunissant les élus du territoire et les représentants de l’État, Jean-François Colombet, préfet de Mayotte, se montre déterminé dans la consommation des fonds – 1,6 milliard d'euros – disponible dans ledit contrat. Avec pour l'heure 385 projets et 390 millions d'euros de commande publique depuis le début de l'année. Le haut fonctionnaire a salué "un bon rythme qu'il faut poursuivre." Un bon rythme, qui devrait être soutenu par la mise en place imminente de la plateforme d'ingénierie annoncé dans le cadre du Plan Mayotte de 2018.

Suite à un appel à projets lancé par l’Agence régionale de santé océan Indien, la Croix-Rouge a été retenue pour créer une plateforme de distribution gratuite de préservatifs dans le cadre du projet régional de santé, qui s’adresse aux partenaires (protections maternelles et infantiles, centres communaux d’action sociale, vice-rectorat et associations) en charge de la diffusion de préservatifs auprès de la population. Son lancement est prévu le 21 octobre, pour une durée de trois ans. “Environ 350.000 préservatifs, masculins et féminins, seront distribués chaque année”, souligne Martine Sidi Aly de la Croix-Rouge. L’objectif est de faciliter l’accès aux préservatifs, favoriser la promotion de leur utilisation et renforcer la distribution sur le territoire.

LA PHOTO DE LA SEMAINE Les taxis se braquent Mercredi 16, plusieurs dizaines de chauffeurs de taxi n’ont pas assuré leurs courses et sont restés à l’arrêt au niveau du comité du tourisme. Ils dénoncent les verbalisations intempestives de la police municipale, dues à un manque criant d’arrêts de stationnement, mais aussi la prolifération des taxis clandestins.

ATTRACTIVITÉ Une marque qui n'emballe pas

"Oui Mayotte" : une proposition de nom pour la marque du territoire destinée à renforcer l'attractivité de l'île, étudiée depuis 18 mois par l'Agence de développement et d'innovation de Mayotte (Adim), a été dévoilée lundi 14. Jugée trop simple, la nouveauté n'a pas fait l'unanimité.

PROVERBE Ãkili mali

L'intelligence est une richesse.

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LE FLOP LE TOP Un demi-million d'euros pour la biodiversité mahoraise

Du retard pour le collège de Bouéni

L'ouverture du collège de Bouéni n'aura pas lieu au mois d'octobre, comme initialement prévu. En cause : "Les entreprises chargées d’un certain nombre de finitions ont accumulé un retard qui bloque la livraison de l’établissement. Le conteneur transportant le matériel nécessaire n’est toujours pas disponible", a détaillé le vice-rectorat dans un communiqué de presse. Pour rappel, le montant des travaux s’élève à 28 millions d’euros, pour une surface de 6 418 m2 d’aménagements intérieurs et 6 490 m2 d’aménagements extérieurs. Il s'inscrit par ailleurs dans une démarche bioclimatique avec une architecture "favorisant la ventilation naturelle et préservant des espèces d’arbres pendant le chantier." Très attendu, l'établissement accueillera 900 élèves dans ses classes, et 128 en Section d'enseignement général et professionnel adapté (Segpa). Allez, encore un peu de patience.

Suite à l’appel à projets "Initiatives pour la reconquête de la biodiversité en Outre-mer", l’Agence française pour la biodiversité a retenu 99 dossiers, dont 9 à Mayotte. Au total, 530 799 euros seront dévolus au territoire. "Les conventions de partenariat de la deuxième session de l’appel à projets sont en cours de finalisation et la mise en oeuvre des projets a d’ores et déjà été lancée", précise l’AFB. "Dans les territoires d’Outremer, les nombreux espaces protégés, terrestres et marins, contribuent à une meilleure connaissance pour permettre une gestion adaptée aux réalités des milieux naturels les plus sensibles. Pour autant, les acteurs impliqués dans la préservation de la biodiversité ne bénéficient pas toujours d’un appui technique ou financier à la hauteur des enjeux, le but de cet appel à projets était donc de contribuer à l’émergence ou à la dynamisation d’initiatives qui répondent aux priorités d’action de chaque territoire, et qui visent à renforcer les porteurs de projets ainsi que leurs organisations et leur travail en réseaux avec l’appui de ses partenaires et dans le respect des compétences des collectivités d’Outre-mer", fait valoir l’Agence. Les lauréats mahorais sont à la fois des collectivités, à l’instar du conseil départemental, mais aussi et pour l’essentiel des associations telles que Mlezi Maoré, Yes We Canette ou encore les Naturalistes de Mayotte.

ILS FONT L'ACTU Saïd Hachim Le géographe mahorais Saïd Hachim figurait parmi les intervenants conviés par le Réseau volcanologique et sismologique de Mayotte (Revosima) lors du colloque qui se tenait le 15 octobre au prestigieux Institut de physique du globe de Paris. Cette journée scientifique qui se voulait un moment d’échange scientifique, avec des pontes dans les domaines relatifs à la volcanologie et à la sismologie que politique.

Étienne Guillet Le sous-préfet et directeur de cabinet quitte Mayotte pour d’autres horizons. Lui qui a connu pas moins de trois préfets faisait office de seule figure réellement stable dans la représentation de l’État sur l’île. Ses prochaines missions le ramènent en métropole où il rejoindra les services de la préfecture de police de Paris. Pour le remplacer, le sous-préfet JeanBaptiste Constant nous vient de la Loire où il officiait déjà en tant que directeur de cabinet. Par ailleurs, Hadrien Haddack, inspecteur des finances de deuxième classe est nommé sous-préfet chargé de mission auprès du préfet de Mayotte. Un nouveau poste.

SÉISMES

Un essaim de plus en plus discret L’essaim de séisme se fait de plus en plus discret. Si les appareils du Revosima (réseau volcanologique et sismologique de Mayotte) ont enregistré quelque 676 séismes durant la période courant du 16 au 30 septembre 2019, aucun d’entre eux n’a dépassé la magnitude 4. De manière générale, le réseau dans son dernier bulletin ne note "pas d’évolution notable". "Activité sismique principale toujours concentrée à 5-15 km de Petite-Terre, à des profondeurs de 19-50 km. Une sismicité plus faible en nombre et en énergie (faible magnitude comprise entre 1 et 3), est également toujours enregistrée proche de Petite-Terre à environ 5 km à l’est (à des profondeurs de 20 — 50 km) voire sous Petite-Terre", poursuit la lettre d’information. La période est également à l’accalmie concernant le déplacement et la subsidence (enfoncement) de l’île selon le Revosima.

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MAYOTTE ET MOI

Geoffroy Vauthier

ALEXANDRA MAROINE

ÉGÉRIE DE MAYOTTE

ELLE MONTE LA NOUVELLE GÉNÉRATION MAHORAISE. PARMI SES REPRÉSENTANTES : LA JOLIE ALEXANDRA MAROINE. ET SI, À 26 ANS, LA JEUNE FEMME ASSUME PLUSIEURS CASQUETTES, C'EST AVEC UN SEUL BUT : CONTRIBUER ET VALORISER UNE ÎLE QU'ELLE A APPRIS À REDÉCOUVRIR. PRÉSENTATION. Le moins que l'on puisse dire est qu'elle a autant d'idées que de cordes à son arc. Et toujours avec entrain. À la fois animatrice TV pour son émission culinaire Zana Za Maore, présentatrice de Miss Mayotte cette année, créatrice de la marque de maillot de bain Sazilé Swimwear, et depuis peu cadre dans une entreprise de transport maritime qui relie les îles – en plus de poursuivre ses études à distance en design graphique –, Alexandra Maroine peine à se poser… et ça lui convient très bien : "J'adore les responsabilités, les défis, être occupée. Je suis une véritable chalengeuse. Les choses très prenantes me stimulent", assume-t-elle. Une détermination sans faille qu'elle trouve aussi dans l'amour qu'elle porte à son île, Mayotte. Une île qu'elle a appris à redécouvrir avant d'en tomber amoureuse. Car c'est en métropole qu'Alexandra est née il y a 26 ans. À Lilles plus précisément, où son père, policier, s'est installé avec sa mère, originaire de métropole. C'est donc bien loin de l'océan Indien que la jolie métisse grandit. De Mayotte, elle ne connait alors que ce qu'elle voit durant ses vacances annuelles, un mois chaque année, à partir de 2001. Elle a alors 9 ans. Elle l'admet d'ailleurs : "Durant toutes ces années où je venais en vacances, j'appréciais d'être là, mais au bout de deux semaines, j'avais envie de rentrer", rigole-t-elle. Il y a deux ans pourtant, à l'issue de ses études d'assistante aux métiers de la publicité, elle décide de venir s'installer ici avec son compagnon, natif de l'île et rencontré cinq ans auparavant. Conquérante, Alexandra y voit l'occasion de partir à la rencontre d'une partie de ses origines, mais aussi de se lancer dans de nouvelles expériences avec une possible reconversion : elle est alors recrutée comme commerciale. "Cela a surpris mes proches ! Qu'Alexandra vienne vivre ici, personne ne l'avait envisagé !", se rappelle-telle en souriant, assumant bien

volontiers sa coquetterie. C'est dans ces conditions nouvelles qu'elle redécouvre son île et "Cela a été une évidence !" Désormais, c'est à Mayotte que la jeune femme voit son avenir.

UN SUCCÈS SEREIN Alors, comme pour la remercier, l'île lui offre de nombreuses opportunités en plus de son activité professionnelle. Présentatrice météo sur une chaîne privée, puis animatrice TV pour une émission culinaire, et plus récemment présentatrice du concours Miss Mayotte – concours pour lequel elle avait elle-même fini 1ère dauphine en 2013 –, elle devient peu à peu une des figures de la petite lucarne mahoraise. Un succès naturel : "Miser sur Alexandra, c'est miser sur le bon cheval", s'amuse-t-elle. Déterminée, hors de que question pour elle, en effet, de bâcler un projet. Il faut dire qu'audelà du succès personnel, la jeune femme y voit une mission pour Mayotte. "J’espère contribuer à mon échelle au renouvellement du divertissement mahorais et à accroître l'ouverture d'esprit", avoue-t-elle. Un succès d'autant plus appréciable qu'il "se fait dans la sérénité, sans affecter ma vie privée." Un succès, également, avec le lequel il va falloir compter : car sans chercher à capter la lumière à tout prix, la jeune femme déborde d'idées. La dernière en date ? La création d'une marque de maillot 100 % locale : Sazilé Swimwear. À n'en pas douter le début d'une autre success story puisque celle qui s'affirme désormais comme une entrepreneuse dynamique a l'ambition d'en faire un atout pour l'ile aux parfums. Car, comme elle le remarque : "À Mayotte, nous sommes toujours en admiration devant ce qui vient de l'extérieur. On ne fait pas assez confiance à nos propres qualités et talents. Cela fait partie de ce qui doit changer."

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MAYOTTE ET MOI

ALEXANDRA MAROINE

MON ENDROIT FAVORI

L'îlot Mtsamboro, que j'ai redécouvert il y a peu. Ses eaux sont limpides, on peut y bivouaquer entre amis ou s'y poser tout seul : on s'y sent toujours bien. Son atmosphère est vraiment paradisiaque et il autorise une vraie proximité avec la nature.

MON ŒUVRE PRÉFÉRÉE

Celle de mère nature, sans hésiter ! J'en suis émerveillée. Je ne me sens pas mieux qu'à travers les éléments : je m'y sens vivante. Je voyage pas mal et j'en prends toujours plein la vue de ce que la nature peut faire, sans même que l'humain n'y ait mis sa petite touche.

MON MEILLEUR SOUVENIR À MAYOTTE Au début des années 2000, Mayotte était peu développée par rapport à aujourd'hui, mais il y avait encore de vraies valeurs et un vrai vivre-ensemble. Je me souviens que mon oncle avait une camionnette à plateau. Alors on montait à l'arrière tous ensemble et on faisait le tour de Mayotte comme ça, en s'arrêtant faire un voulé ici, ou voir la famille là-bas. Nous étions encore tous très proches les uns des autres.

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MA PHOTO MARQUANTE C'est une photo de 2013, lorsque j'ai été dauphine de Miss Mayotte. C'est là que beaucoup de choses ont débuté pour moi. Et puis, il y a les trois éléments qui me portent : mon conjoint, mon île, et l'écharpe du comité Miss Mayotte. Cette étape m'a donné du courage et de la confiance, et cela m'a permis de faire ce que je fais aujourd'hui.

MA BONNE IDÉE POUR MAYOTTE Être soudés ! Mayotte ira beaucoup plus vite si nous faisons acte de solidarité, en étant moins envieux les uns des autres. Le monde connait déjà mal notre île, alors si on n'est pas capables de se soutenir entre nous, ça ne peut pas s'arranger. Nous sommes peut-être le dernier département, mais rien ne nous oblige à être les derniers de la classe.

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SAZILÉ SWIMWEAR : UNE MARQUE DE MAILLOTS DE BAINS 100% LOCALE "Nous vivons sur une île, mais nous n'avions pas une marque locale de maillot de bain", constate Alexandra Maroine. Dès lors, la jeune femme s'empare de l'idée : ainsi née Sazilé Swimwear, une marque 100% locale, exclusivement consacrée aux maillots de bain. Dessinés et créés sur mesure par Alexandra, ils ont déjà rencontré le succès auprès des Miss Mayotte, qui les ont portés lors de l'élection de cette année. Pour le moment confectionnés à la demande*, Alexandra a l'ambition d'en faire un atout pour Mayotte en les distribuant plus largement et, à termes, ouvrir une ou plusieurs boutiques dédiées. ur tout renseignement ou demande concernant les maillots Sazilé Swimwear, envoyer un message via Instagram : sazile_swimwear.

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LE DOSSIER

MAYOTTE ET LES PRÉSIDENTS

BONS BAISERS DE PARI 12•

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Geoffroy Vauthier Solène Peillard Grégoire Mérot Cyril Castelliti

C'est la date la plus importante de l'agenda politique de cette année. Avec sa visite prévue les 22 et 23 octobre, Emmanuel Macron sera le quatrième président de la République à se rendre à Mayotte. Avant lui, Jacques Chirac en 2001, Nicolas Sarkozy en 2010 et François Hollande en 2014 avaient fait le déplacement. Il y eut alors des annonces, des promesses, des concrétisations, mais aussi parfois pas grand-chose. Cette semaine dira ce qu'il en est pour Emmanuel Macron. Dans tous les cas, chaque visite présidentielle a été l'occasion pour Mayotte de rappeler qu'elle existe, même à 10 000 km de Paris. L'occasion aussi de le rappeler une chose à ces présidents lointains qui n'ont pas toujours les yeux rivés sur le petit dernier des départements : "Nous sommes loin des yeux mais voulons demeurer proches du cœur."

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LE DOSSIER

Cyril Castelliti Zaïdou Bamana

VÈME RÉPUBLIQUE

DE CHARLES DE GAULLE À EMMANUEL MACRON : MAYOTTE, UNE HISTOIRE FRANÇAISE MAYOTTE DANS LA RÉPUBLIQUE FRANÇAISE, C'EST TOUT UN PAN D'HISTOIRE DU 20ÈME SIÈCLE. MAYOTTE ET SES PRÉSIDENTS AUSSI. JUSQU'À CE JOUR, SEPT SE SONT SUCCEDÉS SOUS LA VÈME RÉPUBLIQUE, ET CHACUN D'ENTRE EUX A EU SA PROPRE OPINION DE MAYOTTE. CERTAINS L'ONT SOUTENU, D'AUTRES MOINS. RETOUR SUR LE RAPPORT ENTRETENU PAR MAYOTTE AVEC LES CHEFS D'ÉTAT FRANÇAIS.

Française depuis 1841, l’avenir de Mayotte s’écrit encore et toujours en bleu blanc rouge. Elle s’apprête à écrire une nouvelle page de son histoire française avec la visite du président

de la République, Emmanuel Macron, le 22 octobre 2019. Le statut de Mayotte n’a pas cessé d’être chamboulé depuis la monarchie de juillet, mais surtout depuis l’avènement

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de la 2ème République au milieu du 19ème siècle, avec l’expansion coloniale française à Madagascar puis aux Comores, que Mayotte a grandement contribué à rendre possible. L’avenir français de l’île au lagon a longtemps été contrarié par sa proximité avec les trois autres îles de l’archipel des Comores. D’abord protectorat français (1886) intégré à la colonie de Madagascar en 1912, les Comores sont, depuis la proclamation de la IVe République en 1946, un Territoire d’Outre-mer au sein de l’Union française. À cette date, tous les "sujets" de la France, deviennent citoyens français mais sont toujours majoritairement privés du droit de vote. Seuls peuvent voter les "notables évolués, titulaires de décorations, fonctionnaires, militaires, commerçants, planteurs, etc."

1946, LES MAHORAIS DEVIENNENT CITOYENS DE LA RÉPUBLIQUE DANS L’UNION FRANÇAISE C’est en 1946 que le Territoire des Comores a été créé, regroupant les îles de Grande Comore, Anjouan, Mohéli et Mayotte sous une même entité institutionnelle, politique et administrative. À cette époque récente, l'Union française ouvrait le champ de l'émancipation probable des territoires d'outre-mer d'Afrique et de Madagascar. À l'évidence, une refonte du cadre institutionnel s'imposait dans le sillage du Mouvement de la Négritude si bien campé par le poète Aimé Césaire, député de la Martinique et rapporteur de la loi sur la départementalisation des quatre vieilles colonies. La Constitution du 27 octobre 1946 consacrait ainsi, pour la première fois, l'égalité complète des droits entre les citoyens de métropole et ceux d'outre-mer, en ses articles 80 et 81 – l'article 81 garantissait à l'ensemble des nationaux français et des ressortissants de l'Union française "la jouissance des droits et libertés" garantis par la loi fondamentale. Le texte de 1946 rassemblait la République française (métropole, départements d'outre-mer, territoires d'outremer) et les États et territoires associés. La Constitution de 1946 a créé en ses articles 73 et 74, la catégorie des départements d'outre-mer (DOM) et celle des territoires d'outre-mer (TOM) : les premiers soumis au principe de l'identité législative avec la possibilité d'adaptations, les seconds dotés d'un "statut particulier tenant compte de leurs intérêts propres au sein de la République" et régis par le principe de spécialité. Dans les TOM, la Constitution reconnaissait au Gouverne-ment le pouvoir de prendre, par décrets, des mesures particulières à chaque territoire ou d'y étendre les dispositions en vigueur. L'article 75 prévoyait le passage "d'une catégorie à l'autre" des statuts des membres de l'Union française. L'article 82 consacrait le droit au maintien du statut personnel, qui "ne peut en aucun cas constituer un motif pour refuser ou limiter les droits et libertés attachés à la qualité de citoyen français". Ce cadre constitutionnel porteur de réelles potentialités d'évolution a vu son application effective compromise par l'instabilité chronique du régime de par-lementarisme.

Dans chacun des territoires, tous les pouvoirs appartiennent au "Gouverneur général", nommé par décret du prési-dent de la République ; l’assemblée territoriale élue, qui siège à ses côtés, n’a qu’un rôle purement consultatif. Parmi les élus africains, deux hommes, Félix Houphouët-Boigny et Léopold Sédar Senghor, tentent de canaliser les revendica-tions populaires afin d’élever le niveau de vie des populations, d’assurer à tous l’égalité des droits, et de mettre fin à la ségrégation raciale. L’un et l’autre ne cessent d’exposer que le seul moyen d’éviter un embrasement général est d’accorder à l’Afrique française son autonomie. Il n’est question, pour l’heure, de "sortir de la République française". Il convient seulement de l’aménager "pour que dans la Cité française, chaque peuple d’outre-mer puisse vivre avec son génie propre, fécondé par l’esprit français, avec ses besoins, ses goûts, ses écoles, ses arts, ses mosquées, ses églises, pour que nous puissions vivre en paix, différents certes, mais ensemble". Les Mahorais eux aussi deviennent citoyens français sous le Gouvernement de René Pleven, tout en gardant leur statut civil de droit local inspiré de la religion musulmane. Si Mutsamudu, principale ville de l’île d’Anjouan, est le centre de production et de commerce de l’archipel, Dzaoudzi, à Mayotte, est le chef-lieu du territoire. Le 27 décembre 1950, François Mitterrand, alors Ministre de la France d’Outre-mer, entreprend une tournée d’inspection en Afrique de l’est française. Après la visite de la Côte française des Somalis et de Madagascar, il se rend aux Comores, qui viennent de subir les ravages d’un terrible cyclone. Au chevet d’une population sinistrée, vêtu d’une veste blanche et d’un casque colonial, il salue les élites locales alignées pour l’accueillir. Les quatre conseillers généraux mahorais sont présents. Les images qui illustrent son déplacement montrent successivement des enfants, des femmes se cachant le visage avec leurs chiromanis, ou encore des plantations décimées. La tempête tropicale qui s’abat sur l’archipel fait près de 400 morts à Anjouan, et terrasse l’économie des îles fon-dée sur les cultures de rentes (ylang-ylang, vanille, girofle, coprah, café, etc.) et l’agriculture vivrière (riz, banane, ma-nioc, igname, fruit à pain, etc.). Mayotte n’est pas épargnée par les dégâts. L’État débloque des subventions au titre du Fonds d’investissement pour le

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développement économique et social (FIDES) pour reconstruire les infrastructures de transport et bâtir des équipements publics, notamment des écoles et des dispensaires, la santé et l’éducation étant les priorités affichées au programme du FIDES. En homme de son temps, François Mitterrand ne prône pas l’émancipation, mais estime des réformes progressistes nécessaires outre-mer. Ce progrès est impulsé sous le gouvernement de René Coty. Lors de sa déclaration d’investiture, le 31 janvier 1956, Guy Mollet, nouveau président du Conseil, annonce que le gouvernement entend "amener les terri-toires d’outre-mer à gérer démocratiquement leurs propres affaires". Gaston Defferre est nommé ministre de la France d’outre-mer. Député socialiste des Bouches-

du-Rhône et maire de Marseille, celui-ci est convaincu que la marmite afri-caine est à deux doigts de l’explosion. Une procédure d’urgence s’impose, que seule peut permettre une loi-cadre.

LA LOI-CADRE DEFERRE ET LES PRÉMICES DU SÉPARATISME MAHORAIS Dès le 29 février 1956, Gaston Defferre dépose sur le bureau de l’Assemblée nationale un projet de loi-cadre. Moins de quinze jours plus tard, le ministre s’adresse à l’Assemblée de l’Union française : "Trop de fois, au-delà des mers, les Français ont donné l’impression qu’ils

n’étaient pas capables d’agir en temps utile ; trop souvent, nous avons été le jouet des événements… Aujourd’hui… si nous savons dominer les événements, si nous savons les devancer, alors nous pourrons rétablir [en Afrique noire] un climat de confiance et de concorde." Se présentant comme une simple loi de décentralisation administrative et politique, la loi-cadre énumère en quinze articles les réformes nécessaires et les grandes lignes de leur réalisation. En premier lieu, elle institue le suffrage universel et le collège unique dans tous les territoires. Elle établit des conseils de gouvernement, composés de cinq membres élus par l’assemblée locale et de quatre fonctionnaires nommés par le gouverneur général. Ils sont "dotés d’une large com-pétence qui embrassera toutes les questions d’intérêt local". Les pouvoirs des assemblées territoriales sont élargis. L’administration sera réformée afin de faciliter l’intégration et la promotion des autochtones. Les partisans d’une politique de réformes ont conscience de la nécessité d’une telle initiative dans les anciennes colonies. Quant aux tenants du statu quo, le processus de décolonisation s’impose malgré eux. Le 19 juin 1956, l’Assemblée nationale adopte la loi-cadre, à une très forte -majorité (470 voix contre 105). La dis-cussion est aussi aisée devant la seconde chambre, le Conseil de la République. Le 23 juin est promulguée "la loi auto-risant le gouvernement à mettre en œuvre les réformes et à prendre les mesures propres à assurer l’évolution des terri-toires relevant du ministère de la France d’outre-mer". Les difficultés commencent. L’aggravation de la situation en Algérie et l’instabilité des gouvernements donnent des ailes aux différentes oppositions. La loi-cadre Defferre permet d’éviter le pire en Afrique. Elle a prouvé qu’il était pos-sible de devancer l’événement et de permettre une décolonisation réussie. Son application aux Comores réserve cependant une grosse surprise : les élus mahorais, hostiles au fonctionnement des nouvelles institutions territoriales, manifes-tent le désir de se séparer des trois autres îles. Les évènements se succèdent à grande allure dans l’année 1958. En métropole la 4ème République vit ses derniers jours et, sous la pression du peuple, le Président de la République, René Coty, fait appel au général de Gaulle. L’homme providentiel devint le dernier président du Conseil de la IVe République, l’Afrique noire est, de nouveau, à la veille

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d’exploser. La solution gaullienne à tous les maux de la France réside dans le référendum du 28 septembre 1958 sur la constitution de la 5ème République.

AVÈNEMENT DE LA VÈME RÉPUBLIQUE ET REVENDICATION DÉPARTEMENTALISTE MAHORAISE Fortement inspiré par son initiateur, le projet de Constitution est approuvé par près de 80% des votants métropoli-tains (avec 15% d'abstentions). Le même jour, les possessions françaises d'outre-mer (les anciennes colonies) approu-vent également par référendum leur intégration dans une Communauté française, préalable à leur indépendance. Aux Comores, les électeurs des quatre îles approuvent le projet gaulliste, mais les élus mahorais expriment cependant leur hostilité au statut de TOM et leur inclination pour le statut de DOM. Conformément à la nouvelle Constitution, un collège électoral composé des parlementaires et d'autres élus se réunit le 21 décembre et, sans surprise, élit Charles de Gaulle à la présidence de la République. Il est investi officiellement dans ses fonctions par son prédécesseur, le 8 janvier 1959. Il nomme aussitôt le fidèle Michel Debré au poste de Premier ministre. De ce jour date la naissance de la Ve République. Le référendum est d’un effet déterminant pour les territoires d'outre-mer. Il revenait en effet aux électeurs des TOM de confirmer, ou non, leur appartenance à la République. La consultation référendaire constituait donc, pour les TOM, un scrutin d'autodétermination. Seuls les électeurs de Guinée rejetèrent - massivement - le projet, ce qui conduisit à l'indépendance immédiate de ce territoire. Les TOM se voyaient donc ouvrir la possibilité, dans le délai de quatre mois et sur décision

de leur assemblée territoriale (toutes furent dissoutes et renouvelées à cette fin), de changer de statut et d'accéder, soit à celui de DOM, soit à celui d'État membre de la Communauté. Pour la première fois dans l'histoire constitutionnelle française, le droit à l'autodétermination des peuples d'outre-mer était ainsi mis en œuvre sur une très large échelle. L'adoption du texte constitutionnel revêtait donc une portée fonda-trice d'une nouvelle association de la République et des peuples dont elle avait pris la charge. L'ensemble des TOM d'A.E.F. et d'A.O.F et Madagascar optèrent pour le statut d'État membre de la Communauté, aucun TOM ne choisit de devenir un DOM et seules six collectivités demeurèrent des TOM. Une exception notable émerge toutefois du vote : dans le Territoire des Comores, Mayotte opte pour le statut de DOM que les élus mahorais réclament officiellement. Le 4 octobre 1953, le général De Gaulle effectuait une tournée africaine en tant que chef de l'organisation la France Libre. Le 6, il était à Madagascar, puis à la Réunion, enfin aux Comores le 12. Après la guerre, cette première visite de remerciement préparait le Redressement National. Le retour dans les îles amorce cette fois la décolonisation. Le nouveau président de la République effectue un voyage en Côte française des Somalis. Le 7 juillet 1959, il as-siste à la quatrième session du Conseil exécutif des chefs d’État de la Communauté à Tananarive. Le 8 juillet, il pro-nonce un discours au stade Mahamasina où il trouve une ville en euphorie générale. Dans un discours mémorable, devant des dizaines de milliers de personnes, il prononce la phrase historique : "Si vous le

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désirez, Madagascar rede-viendra indépendante, comme au temps où la Reine Ranavalo habitait ce palais ». Il se rend ensuite à Majunga puis à Moroni d’où il gagne la Réunion.

MAYOTTE À L’EXEMPLE DES DOM : DÉVELOPPEMENT ÉCONOMIQUE, ÉGALITÉ DES DROITS, PROGRÈS SOCIAL

Le 9 juillet 1959, De Gaulle, élu six mois plus tôt, foule le tarmac de Gillot pour une visite éclair (18 heures). Le pro-gramme officiel démarre le lendemain avec la présentation du drapeau par la compagnie de Bourbon, suivie du tradi-tionnel recueillement devant le monument aux morts, avenue de la Victoire. Accompagné de son Premier Ministre Michel Debré et entouré d’un dispositif de sécurité impressionnant, composé entre autres du porte-avion Arromanches, le patron de l’Elysée se mêle à la foule en liesse venue l’accueillir. Pour la première fois, un Chef de l’État français vient à la rencontre des Réunionnais. La rue de la Victoire est trop étroite pour tout ce monde qui se bouscule, qui s'écrase contre les devantures des magasins, qui se hausse sur la pointe des pieds pour apercevoir le képi qui navigue au-dessus de la marée humaine. Le point d’orgue de ce séjour se déroule au stade de la Redoute, à 11 heures. Devant un rassemblement colossal de 30 à 35 000 personnes massées sur la pelouse du stade, l’homme du 18 juin prononce le 10 juillet les mots suivants : "Vous êtes Français, vous êtes Français par excellence, vous êtes Français passionnément". Après quelques les protestations des communistes réduites au silence par les forces de l’ordre, le président peut par-ler

en toute quiétude : "Pendant la guerre, vous m'avez comblé en vous ralliant au combat, dès que cela vous fut pos-sible… C'est pourquoi la nation tout entière attache, je suis là pour le démontrer, une importance particulière à ce qui se passe dans le département de La Réunion. Ce qui vous concerne au point de vue économique, social, scolaire et de votre développement, c'est un élément du développement de la France ». Le président exprime d'autres raisons encore, qui font que la France est profondément attachée aux Réunionnais : "Vous occupez dans cet océan une position française importante, qui le cas échéant, pourrait devenir capitale. Vous êtes, comme on dit dans le langage d'aujourd'hui "un test", de ce que la France sait faire, même quand c'est loin. Or, la solidarité nationale, la vigilance nationale, la cohésion nationale, sont aujourd'hui plus nécessaires que jamais. Il y a dans le monde une grande menace, qui plane sur les hommes libres ; cette menace, pour la détourner, et, s'il le fallait, pour la vaincre, il faut être ferme, il faut être fort, il faut être uni. Il faut la vigilance de la France. Cela im-plique la liberté, l'égalité, la fraternité de tous ses enfants. Cela implique l'amour de chacune et de chacun pour la Patrie aujourd'hui comme naguère. Vous en avez donné devant moi-même la preuve, la démonstration la plus écla-tante et la plus émouvante ». Diverses personnalités se succèdent à la tribune, dont Roger Payet, président du Conseil général, qui dénonce quelques problèmes : "Notre île ne pourra plus, bientôt, nourrir ses enfants. Déjà le spectre du chômage, non plus seulement saisonnier, comme dans tous les pays agricoles, risque d'anéantir dans un climat social dégradé tout ce qui a pu être entrepris à ce jour. Notre ardente jeunesse, toujours croissante, ne trouve déjà plus l'emploi auquel elle se destinait et risque de tomber dans l'amertume et le désespoir". Avant de partir, le président de la République dépose une gerbe au monument des Forces françaises libres. Le grand rassemblement au stade fut perturbé par quelques militants communistes qui brandissent des pancartes "à bas la fraude" pour protester contre la façon dont se déroulent les élections dans l'île, et singulièrement à Saint-Denis. Charles de Gaulle ignore les critiques contre le Gouvernement. Il se contente de lâcher à son entourage : "Tiens, voilà les cocos !" Ses partisans, eux, n'apprécient guère l'intervention des militants du PCR. Après

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quelques coups échangés, une poi-gnée d'entre eux est conduite manu militari au poste de police. La visite présidentielle met en exergue les oppositions institutionnelles. Le leader communiste Paul Vergès est con-vaincu que la départementalisation est un échec et qu'il faut imaginer une nouvelle organisation administrative. La solution de l'autonomie est le seul moyen selon lui de débarrasser définitivement La Réunion de ses oripeaux coloniaux. Ce nouveau discours sonne juste à l'oreille des militants, convaincus par leur parti qu'ils ne toucheront jamais les divi-dendes de la départementalisation. Paul Vergès se heurte cependant à une vive opposition de vieux militants comme Léon de Lépervanche ou Raymond Mondon qui se sont battus pour obtenir l'assimilation par la départementalisation et la création de Fédération communiste locale, et qui se prononcent clairement contre le projet de thèse du nouveau parti. Le débat se transporte ensuite au parlement. Le 3 novembre 1959, intervention à l'assemblée du député gaulliste Valère Clément qui réclame au Premier ministre l'application des lois sociales pour La Réunion : "Monsieur le ministre, il faudra bien qu'un jour prochain le Gouvernement se décide à rechercher des solutions de hardiesse. Je souhaite que les départements d'outre-mer soient le plus tôt possible intégrés dans l'économie nationale, afin que leurs popula-tions puissent bénéficier des avantages dont jouissent les travailleurs de la métropole. Outre une manifestation d'en-traide et de solidarité, ce sera un symbole : quand tous les Français défendent le même drapeau, il importe que ce drapeau les enveloppe dans ses plis". Le président de la République, fervent défenseur du statut départemental, quitte La Réunion avec le sentiment que tous les Réunionnais voulaient rester départementalistes, à l’exception de quelques opposants. Il ignore cependant le vœu des Mahorais d’accéder à ce statut qui permet au représentant de la France d’exprimer, d’une part, toute son af-fection et sa confiance aux populations qui souhaitent faire partie d’un "seul grand peuple devant l’histoire", et d’autre part, d’impulser l’effort de développement économique, dans un cadre d’égalité des droits constitutionnels, de progrès social et culturel, éléments déterminants du choix politique des élus mahorais qui prennent en exemple l’avance dans la modernité constatée dans les quatre vieilles colonies par rapport à l’archipel des Comores englué dans un sys-tème féodal qui porte les stigmates de la pauvreté du tiers-monde.

LE SILENCE DU PRÉSIDENT DE GAULLE, UN ENCOURAGEMENT À PERSÉVÉRER Sous De Gaulle, les Mahorais veulent, à l’exemple des Réunionnais, des Martiniquais, des Guadeloupéens et des Guyanais, jouer un rôle "dans le destin de la France", mais

les événements vont contrarier cette aspiration française durant tout le mandat du général : du 8 janvier 1959 au 28 avril 1969, les Mahorais sont en révolte contre les autorités comoriennes alliées aux autorités de l’ancienne puissance coloniale. À compter de l'entrée en vigueur de la Constitution du 4 octobre 1958, Mayotte est marginalisée sur le plan constitu-tionnel et la revendication départementaliste des élus s'opère dans le contexte politique et juridique de l’autonomie interne, c’est-à-dire dans la perspective de la "décolonisation". Pour les Mahorais, une indépendance dans le cadre du TOM laisse augurer une domination des autres îles sur Mayotte. Le Congrès des notables mahorais se prononce dès sa constitution lors du congrès de Tsoundzou, le 2 novembre 1958, pour le statut départemental. Cette option est réaffir-mée avec force lors de la création, en mai 1959, de l’Union pour la défense des intérêts de Mayotte. L’UDIM mandate le patriarche Georges Nahouda pour aller plaider à Paris la cause mahoraise. En mission à l’Elysée, il est reçu par un supplétif et retourne à Mayotte sans avoir pu rencontrer le général président. La santé fragile, Nahouda meurt sur le trajet de retour dans son île. Par suite, les deux députés de Mayotte, Marcel Henry et Younoussa Bamana déposent en 1958 une motion de départementalisation de leur île, elle est rejetée à une forte majorité des votants. Le mandat de De Gaulle est marqué négativement à Mayotte pour une raison principale. Le transfert du cheflieu du TOM des Comores de Dzaoudzi (Mayotte) à Moroni (Grande Comore), négocié par les élus comoriens et anjoua-nais à l’Elysée où le président De Gaulle reçoit les parlementaires en 1958, en l’absence des élus mahorais, est vécu par les Mahorais comme une trahison, et de la France et des autorités comoriennes. Les conseillers mahorais, minoritaires dans l’Assemblée territoriale créée en 1857, perdent la capitale, pôle économique vecteur d’activités administratives, économiques, sociales et culturelles, le chef-lieu représentait une manne financière non négligeable, étant considéré comme l’emblème de la présence française. Son transfert à Moroni, justifié pour des raisons purement politiques et des questions matérielles, déclencha à Mayotte un mouvement social et politique de grande ampleur, une véritable insur-rection naît avec la révolte des femmes, déclenchée en 1966 à Pamandzi et la création du Mouvement populaire (MPM), premier véritable parti politique structuré formé sur le territoire, qui reprend les thèses de l’UDIM. La présidence du général De Gaulle laissera donc aux mahorais un goût amer, elle est marquée par plusieurs carac-téristiques : - L’absence de visite à Mayotte, capitale des Comores, lors de ces deux déplacements dans l’océan Indien ; - L’accord avec les élus comoriens pour transférer la capitale de Dzaoudzi à Moroni ;

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- Le refus de recevoir à l’Elysée le leader mahorais Georges Nahouda, en mission de bons offices à Paris ; - L’adoption du statut d’autonomie interne établi en 1961, puis renforcé en 1968, que les Mahorais rejettent ; - Le renforcement des pouvoirs administratifs, de gestion et de justice aux mains du président du Conseil de gou-vernement Saïd Mohamed Cheikh, dont le régime autocratique est dénoncé par les Mahorais pour la répression vio-lente qu’il exerce sur les partisans du MPM : blocus sur les vivres, embargo sur la livraison des médicaments, emprison-nement sommaire, brutalités policières et exactions de la milice comorienne qui fait une victime le 13 février 1969, en la personne de Zakia Madi, tuée par une grenade offensive lors d’une manifestation pacifique à la jetée de Mamoudzou. Le président De Gaulle se réserve néanmoins de commenter l’aspiration des Mahorais à la départementalisation, il ne l’approuve pas officiellement et ne la critique pas publiquement, ce qui constitue, pour les élus locaux, un encoura-gement à persévérer dans leur combat pour un ancrage pérenne dans la France. Le libérateur de la France a en effet conscience que l’indépendance de Madagascar emportera la perte de la base navale de Diego Suarez, ce qui rend utile une présence française aux Comores, notamment à Mayotte où la population revendique le droit de demeurer fran-çaise. Son silence sur la lutte sécessionniste mahoraise pourrait donc être motivé par la prudence du chef militaire, grand stratège qui enseigne à ses proches collaborateurs et futurs successeurs qu’en matière de diplomatie, il ne faut pas insulter l’avenir.

GEORGES POMPIDOU ET LA PROMESSE D’AUTODÉTERMINATION DES MAHORAIS De Gaulle, empêtré dans les évènements de mai 1968, démissionne de la présidence de la République. Il sera succé-dé par un compagnon de lutte, Georges Pompidou. C’est à partir de son élection que la question juridique de la séces-sion mahoraise du Territoire des Comores fut clairement posée, à rebours des revendications indépendantistes du Mou-vement de libération nationale des

Comores (Molinaco). En effet, les élus mahorais réclament le droit à l’autodétermination, ce qui suppose l’organisation d’une consultation demandant aux électeurs des quatre îles des Comores de se prononcer sur leur volonté d’être séparés de la République française ou d’y rester (avec un statut renou-velé). Le scrutin d’autodétermination dont l’issue pouvait être une accession à l’indépendance d’une portion du terri-toire français est officiellement projeté lors de la visite à Mayotte, en 1972, du ministre des DOM-TOM, Pierre Messmer. En déplacement à Moroni où il est assailli de questions sur l’accession de l’archipel à la souveraineté nationale, le gaul-liste parle d’un référendum, et lors de son accueil à Dzaoudzi, où les militants du MPM brandissent des drapeaux trico-lores, il prononce un discours bienveillant à l’égard de la volonté de la population mahoraise de rester française. Répondant aux propos du président du conseil de circonscription, le député Younoussa Bamana, Messmer déclare sans ambages : "Français depuis 130 ans, les Mahorais peuvent demeurer français aussi longtemps qu’ils le souhai-tent". Les élus de l’île tenaient donc implicitement pour acquis qu’un processus d’accession à l’indépendance pût se fonder sur l’article 53 alinéa 3 de la constitution de 1958 qui stipule : "Nulle cession, nul échange, nulle adjonction de territoire n’est valable sans le consentement des populations intéressées". Les dirigeants du MPM se fondent sur un précédent. Lors de l’examen de la loi prévoyant un scrutin d’autodétermination à Djibouti, René Capitant, éminent juriste, avait en effet présenté, dans un rapport rédigé au nom de la commission des lois de l’Assemblée nationale, une interprétation de la Constitution dans ce sens qui avait rallié (presque) tous les suffrages. Selon celle-ci, d’une part, les TOM n’avaient pas épuisé leur droit à l’indépendance en 1958 et, d’autre part, l’article 53 al. 3 pouvait servir à fonder l’exercice de ce droit... moyennant une interprétation constructive de ses termes. Les circonstances politiques allaient engendrer dans l’archipel des Comores la possibilité de sécession de Mayotte. Le séparatisme mahorais prend véritablement forme sous la présidence de Pompidou, dès 1972 lorsque la chambre des députés des Comores chargea le Président du Conseil de gouvernement, Saïd Ibrahim, de négocier

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l’indépendance de l’archipel avec le gouvernement français. En 1973, une "Déclaration commune" fut signée entre le successeur du prince, Ahmed Abdallah et le ministre des DOM-TOM, Bernard Stasi, qui prévoyait un ensemble de mesures préparant l’accession à l’indépendance dans un délai de cinq ans. La France s’engageait ainsi dans un processus de décolonisa-tion progressif et concerté. Mais les difficultés ne tardèrent pas à poindre, provoquées par la question de Mayotte qui réclame une consultation avec un décompte des voix "île par îles" et non pas "globale" comme le souhaitent les leaders des partis indépendantistes comoriens, anjouanais et mohéliens.

VALERY GISCARD D’ESTAING ET LE RÉFÉRENDUM D’ANCRAGE DE MAYOTTE DANS LA FRANCE Le mandat de Pompidou s’achève en 1974 à la satisfaction des Mahorais. L’élection de Valéry Giscard d’Estaing sera moins clémente pour eux, riche en rebondissements notamment lors des débats parlementaires où la polémique se déplace sur le terrain juridique, avec l’arbitrage du Conseil constitutionnel. En effet, sous la pression des élus mahorais, emmenés par le député Marcel Henry, ancien Conseiller économique et social de l’archipel, et aidés par la droite française, l’Assemblée nationale et le Sénat votent le projet de loi organisant la consultation "des populations des Comores", le pluriel signifiant que les résultats seraient appréciés en fonction des votes exprimés dans chaque île. Le résultat recherché par le MPM conformément à la promesse francophile de Pierre Messmer fut obtenu : lors du scrutin du 22 décembre 1974, alors que l’indépendance recueillait un vote positif dans le reste de l’archipel, elle était clairement refusée à Mayotte. Le choix des Mahorais triomphe malgré les réticences du président de la République. La deuxième réunion de presse sur la politique extérieure au palais de l’Elysée, jeudi 24 octobre 1974, permet au chef de l’Etat d’exprimer

clairement son point de vue. Une question posée par un journaliste met le feu aux poudres : "Les départements d’outre-mer sont aussi la France telle qu’elle est. L’île de Mayotte aura-t-elle la possibilité de rester française si elle le veut ?" Le président de la République n’évite pas l’interrogation, il répond sans ambages : "Pour ce qui est de l’île de Mayotte, le texte a été évoqué par l’Assemblée nationale ; il s’agit de l’archipel des Comores, c’est un archipel qui constitue un ensemble situé, vous le savez, entre Madagascar, indépendante, et le Mozambique, indépendant, ou en tout cas qui va l’être en juin prochain. C’est une population qui est homogène, dans laquelle il n’existe pratiquement pas de peuplement d’origine française ou un peuplement très limité. Était-il raisonnable d’imaginer qu’une partie de l’archipel devienne indépendante et qu’une île, quelle que soit la sympathie qu’on puisse éprouver pour ses habitants, conserve un statut différent ? Je crois qu’il faut accepter les réalités contemporaines. Les Comores sont une unité, ont toujours été une unité, il est naturel que leur sort soit un sort commun, même si, en effet certains d’entre eux pouvaient souhaiter – et ceci naturellement nous touche, et bien que nous ne puissions pas, ne devions-nous pas en tirer les con-séquences -, même si certains souhaitaient une autre solution, nous n’avons pas, à l’occasion de l’indépendance d’un territoire, à proposer de briser l’unité de ce qui a toujours été l’unique archipel des Comores". Les résultats du référendum vont amener VGE à nuancer ses propos sur Mayotte. Légaliste, il s’en remet au vote démocratiquement exprimé dans les urnes et respecte le processus d’accession à l’indépendance entériné par le parle-ment. Pour stopper la procédure engagée sans Mayotte (tel que le prévoyait la loi du 3 juillet 1975 tirant les consé-quences du référendum, la chambre des députés de Moroni décida unilatéralement de proclamer l’indépendance de l’ensemble de l’archipel le 6 juillet. Le 12 novembre, le nouvel État comorien fait son entrée aux Nations-unies tandis que les députés de Mayotte se préparent à deux nouvelles consultations prévues par loi pour fixer son statut définitif dans la République. Le gouvernement français prend acte de l’indépendance autoproclamée et réserve un sort particu-lier à Mayotte. Le

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31 octobre 1975, il déposa un projet de loi qui, d’une part, entérinait l’indépendance des trois îles de Grande Comore, Anjouan et Mohéli, et d’autre part, organisait une consultation des Mahorais sur la question de l’intégration de

compter sur moi. En 1981, je souhaite que la France continue d'assurer avec vous le rayonnement de l'Outre-mer français, car il doit être exemplaire. Au-cours des dernières années, nous avons franchi des étapes déci-sives vers l'égalité complète des droits réservés à tout citoyen français où qu'il vive dans le monde, égalité politique évidemment, mais aussi égalité des droits économiques et sociaux, comme je m'efforce de le réaliser. Cette action devra se poursuivre : elle s'exercera dans-le-cadre de la solidarité nationale. J'y veille personnellement, car vous êtes les Français les plus lointains. Il est naturel que le Président de la République ait une attention particulière pour vous".

FRANÇOIS MITTERRAND ET LA MENACE DE "LARGAGE" DE MAYOTTE VERS LES COMORES

l’île dans le nouvel État comorien. Le projet de loi fut vivement critiqué par l’opposition socialiste et finalement, soixante et un députés de l’Union de la Gauche saisirent le Conseil constitutionnel le 17 décembre. Là haute juridiction rejeta les arguments hostiles à l’ancrage de Mayotte dans la France. Les résultats de la consultation du 8 février 1976 consacrèrent le maintien de Mayotte sous administration fran-çaise et centrèrent les discussions autour du statut dans lequel l’île serait maintenue. Proposant la conservation du sta-tut de territoire d’outremer, la consultation du 11 avril 1976 fut rejetée à une très large majorité. Un statut hybride fut alors élaboré : par la loi du 24 décembre 1976, Mayotte devint une collectivité territoriale. Spécifique à Mayotte, ce statut restait provisoire, nourrissant toujours les incertitudes d’un hypothétique retour dans l’ensemble comorien. Dans un entretien avec la presse, Giscard déclare au sujet de la départementalisation de Mayotte : "On ne peut pas être à la fois dedans et dehors". La messe est dite. Mayotte sera citée dans le message de vœux du chef de l’État aux popula-tions des départements et territoires d'Outre-mer, le mercredi 31 décembre 1980 : "Je sais à quel point l'ensemble de l'Outre-mer est digne de l'idéal de la France. Comme Président de la République, je suis le garant de l'unité nationale. Vous pouvez

Battu aux élections présidentielles de 1981, Giscard laisse le soin au président François Mitterrand de réaliser, con-formément à la devise de la République, qui n'est pas un rêve mais un guide pour l’action, la fraternité qui doit réunir tous les Français, notamment les plus lointains et les plus démunis. Cette fraternité pourtant, l’élu socialiste allié aux communistes la refusera pendant longtemps aux Mahorais auxquels il promet "le largage" vers les Comores. Dans une allocution mémorable, notamment sur les relations franco-comoriennes, l'aide au développement et la francophonie, le nouveau chef de l’État déclare à Moroni, le 13 juin 1990, les hostilités à l’égard du Mouvement populaire mahorais. Son propos sur la République fédérale islamique des Comores (RFIC) est critique mais bienveillant : "L'association intime que représente à mes yeux la démocratie et le développement est comme un refrain dans mes discours. Comment exiger d'un peuple qui côtoie la misère, où les jeunes n'ont pas été formés aux disciplines qui les attendent : scientifiques, littéraires, juridiques, administratives, comment exiger d'un peuple dont l'unité nationale n'a pas été réalisée comme il en est tant sur le continent africain qu'il puisse franchir la distance qui le sépare de la dé-mocratie. Et pourtant, comme elle est nécessaire. Ce n'est pas par prudence qu'il conviendra de faire évoluer les insti-tutions, d'habituer des peuples à discuter de leur sort, à participer, à alterner aux responsabilités du pouvoir. Ce n'est pas par prudence qu'il faut le faire, c'est parce que c'est nécessaire et parce que c'est juste.

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Il n'y a pas de raison de penser que les peuples en question n'auraient pas droit à la maturité à partir d'un enseignement, d'une formation, d'une éducation et aussi d'institutions qui le leur permettraient". En modifiant la Constitution, en instituant le multipartisme, en créant de nouvelles traditions, les Comores s’engagent sur le chemin de trouver le point stable à partir duquel amorcer le développement et l'accès à la prospérité, qui reste encore en perspective et ne profite qu'à certains, qu'à des privilégiés ou qu'à ceux qui gouvernent : "ce serait une très fâcheuse conception de la responsabilité, de l'éminente dignité de cette fonction", déclare Mitterrand qui veut malgré tout que Mayotte regagne le giron comorien, une République bananière ruinée par les coups d’État et mis en coupe réglée par les mercenaires de Bob Denard. Sur la départementalisation de Mayotte, le président socialiste est catégorique, il n’en est pas question. Voici com-ment il présente le rapprochement souhaitable entre les îles : "Votre hospitalité, votre façon d'être, votre désir de progrès, d'accession aux plus hautes responsabilités en tant que peuple, tout cela je l'avais perçu dans une tout autre situation, il y a quarante ans. Je m'adresse là aux généra-tions qui ont vécu cette époque, ce qui veut dire que le plus grand nombre des Comoriens ne savent pas de quoi je parle, car c'est un peuple jeune. Moi qui ai connu, apprécié, aimé la finesse d'esprit de nombreux Comoriens, leur disponibilité, je veux vous dire à quel point j'apprécie ces premières heures passées parmi vous... Par exemple, la ma-nière dont vous parviendrez à gérer les moyens mis à votre disposition et qui commanderont bien entendu la suite de tout ce qui a été accompli. Ou bien le problème de Mayotte, si mal engagé en 1974, si mal engagé à mes propres yeux, que je me souviens d'avoir refusé le sort qui était refusé à cette île. Mais le temps a passé, la loi de mon pays a été adoptée, les règles constitutionnelles ont été fixées par d'autres que par moi et je pense qu'il faut adopter une dé-marche concrète et pratique pour parvenir à dépasser ce contentieux désagréable entre nous. Nous allons en parler. Mais je pense que dès maintenant nous devons prendre les mesures qui permettront une communication et des échanges constants entre Mayotte et les autres, les autres et Mayotte. Qu'il n'y ait plus de barrières dressées, barrières théoriques, mais peu franchissables, entre tous les Comoriens que vous êtes, eux et vous. Et que la France vous aide à retrouver votre très ancienne solidarité. Il est de multiples formes d'unité, croyez-moi, et nous allons les rechercher". François Mitterrand était déjà aux Comores il y a de longues années, venu au lendemain d'un cyclone qui avait dé-vasté l'archipel, en cette circonstance, la France venait apporter le témoignage de son affection. De longues années ont passé ; quelques quarante ans. À son retour, il évoque la mémoire du Président Abdallah, assassiné par les mercenaires le 26 novembre 1989 et promet aux Mahorais un cyclone institutionnel que les Mahorais redoutent.

CHIRAC, SARKOZY, HOLLANDE : L’ÈRE DE LA DÉPARTEMENTALISATION DE MAYOTTE Il y a 30 ans donc, François Mitterrand menaçait Mayotte de "largage". Un temps révolu ! Le processus de départementalisation de l’île sera enclenché formellement à partir de 1995 sous la présidence de Jacques Chirac, avec des formules heureuses et malheureuses : "Il ne faut pas mettre la charrue avant les bœufs" ; "Département oui, mais déve-loppement d’abord". L’héritier du gaullisme, patron du RPR, le premier président à fouler le sol mahorais en 2001 après une première visite en 1986 comme Premier ministre, mettra en œuvre les discussions sur l’avenir institutionnel sous la cohabitation, en accord avec le gouvernement de Lionel Jospin qui se démarque, sur la question de Mayotte, de l’héritage mitterrandien. Le successeur de Chirac, Nicolas Sarkozy, mettra en musique, sur les bases du travail accompli précédemment, la transformation de la Collectivité territoriale en Collectivité départementale, la démarche de départementalisation "évo-lutive et adaptée" avec la loi de départementalisation de 2010 concrétisée par la proclamation du statut au Conseil départemental le 3 avril 2011, et l’intégration de l’île dans le cercle fermé des régions ultrapériphériques de l’Europe (RUP), acquise au 1er janvier 2014. Les mahorais gardent de ces deux présidents issus de la droite française un souvenir admirable, qui tranche avec la méfiance dont ils font preuve à l’égard des gouvernements de gauche. Bien que respectueux du processus d’accession de Mayotte au droit commun départemental, le président François Hollande n’a pas laissé dans l’île un souvenir impé-rissable avec le projet "Mayotte 2025", jugé être une coquille vide. Son ancien ministre de l’économie et du budget, Emmanuel Macron, devenu le chef de l’Etat, met un point d’honneur à se démarquer de la politique de son prédéces-seur. La population mahoraise attend toutefois de sa part les signes d’un réel engagement pour l’ancrage pérenne de l’île dans la République. À ce jour, ses discours ont suscité défiance et polémique. Il lui appartient de dissiper tous les doutes lors de sa visite dans l’île le 22 octobre 2019. Sera-t-il pour Mayotte un chef d’Etat gaullien ou mitterrandien ? La question reste posée.

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LE DOSSIER

Cyril Castelliti

ACTEURS DU TERRITOIRE

DE FORTES ATTENTES S'IL EST DIFFICILE DE DIRE SI DES ANNONCES SONT PRÉVUES PAR LE PRÉSIDENT EMMANUEL MACRON À L'OCCASION DE SA VISITE À MAYOTTE, LES DEMANDES SONT NOMBREUSES DU CÔTÉ DES ACTEURS DU TERRITOIRE. INSTITUTIONS, SYNDICATS OU ASSOCIATIONS : TOUS SONT DANS L'ATTENTE DE BONNES NOUVELLES.

CONSEIL DÉPARTEMENTAL

PISTE LONGUE, GESTION DES FONDS EUROPÉENS ET CONVERGENCE DES DROITS "De manière générale, nous attendons que le président Macron prenne position sur la piste longue et sur l'immigration de masse, qui impacte toutes les politiques publiques. Ce sont des sujets majeurs qui préoccupent les Mahorais et autour desquels les attentes sont très fortes", détaille Issa Issa Abou, vice-président du Conseil départemental en charge des affaires sociales. Mais une autre demande, maintes fois faite, est aussi en ligne de mire : l'autorité de gestion des fonds européens doit être transférée au Département. "Nous n'en démordons pas : il faut que nous en soyons gestionnaire pour pouvoir programmer des infrastructures", affirme l'élu en poursuivant : "Nous aurions ça, il n'y aurait pas besoin de dépendre de l'État sur la question de la piste longue, car sa réalisation dépendrait de nous. Cette passation de pouvoir sur les fonds européens, c'est un des sujets les plus importants, qui permettrait de développer les grandes infrastructures de ce territoire : piste longue, nous l'avons dit, mais aussi contournement de Mamoudzou, traversée entre Petite-Terre et Grande-Terre, etc." Concernant plus précisément les affaires sociales, première compétence du Département, la convergence des droits sociaux sur le national est aussi jugée "indispensable" : "J'ai récemment effectué une mission à Paris pour faire passer ce message. À défaut de nous dire que nous allons l'avoir tout de suite, que l'on mette au moins en place un calendrier arrêté, lisible et de concret, et avec des échéances raisonnables. Je pense notamment au Code de la santé, qui nous permettrait d'avoir une complémentaire santé de droit commun et ainsi développer le secteur libéral pour faire en sorte qu'il n'y ait pas que le CHM, avec toute la pression qui pèse dessus, comme système de soins. C'est un point primordial : il n'y a pas de raison que les Mahorais aillent à La Réunion en recherche de prestations sociales. Il ne faut pas s'étonner qu'ils quittent l'île : ils ne peuvent pas faire autrement. Il faut faire comme ailleurs, ni plus ni moins, juste comme ailleurs. Le parachèvement du Conseil départemental sera alors acté."

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CESEM

ÉGALITÉ DANS L'ACCÈS AU SOIN ET PRÉSERVATION DES RESSOURCES Le Conseil économique, social et environnemental de Mayotte (Cesem) joue un rôle important dans le développement de Mayotte. Les conseils et expertises de cette assemblée consultative orientent régulièrement les décisions prises par les pouvoirs publics, dans un certain nombre de secteurs d’activités. Décrit comme le représentant de la société civile dans toute sa diversité, le Cesem voit lui aussi en la visite d’Emmanuel Macron l’opportunité de soumettre ses doléances. D’autant que, comme le rappelle le président de l’organisme Abdou Dahalani, "la loi du 28 février 2017 de programmation relative à l’égalité réelle outre-mer, reconnaît pour Mayotte que les besoins de rattrapage des inégalités sont particulièrement exacerbés."

Un terme en particulier revient parmi les requêtes des élus du Conseil économique mahorais : "égalité". L’égalité d’accès à des soins de qualité et aux droits sociaux. "Domaines emblématiques où persistent plusieurs inégalités", l’égalité d’accès aux services publics répondant à la législation de droit commun qui "permettrait de régler de nombreux dysfonctionnements observés", ou encore, l’égalité d’accès à l’école de la République. "S’il y a un vecteur d’accession par excellence à l’égalité, à l’exception de tous les autres, c’est bien l’école", assure Abdou Dahalani. "Or, à Mayotte, l’école de la République reste encore un instrument d’inégalités. Les moyens consacrés par l’État à la scolarité d’un élève à Mayotte n’atteignent pas les deux-tiers de ce qu’il consacre à un élève en moyenne nationale", déplore-t-il. La protection et la valorisation du patrimoine naturel fait également partie des préoccupations du Cesem. "Les ressources terrestres et maritimes et la riche biodiversité de Mayotte représentent des principaux leviers de création de richesse et donc d’emplois", note son président.

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LE DOSSIER

Cyril Castelliti

CAPAM

FAIRE CONNAÎTRE LA SOUFFRANCE DES AGRICULTEURS Forte d’une tournée de plus de 40 visites de terrain et d’une vingtaine de réunions publiques depuis le début de l’année, la Chambre d’agriculture, de la pêche et de l’aquaculture de Mayotte (Capam) estime avoir sondé en profondeur l’état de l’agriculture sur le territoire. On s’en doutait, le bilan n’est pas réjouissant. "Le monde rural est en grande souffrance", considère ainsi Elanrif Boinali, le directeur du développement agricole et rural de la Capam, en tête de peloton pour toutes les visites. S’il le concède, "cela peut paraître un peu répétitif sur le constat", il promet cette fois que "la réponse ne sera pas la même". Et pour traduire cet engagement en acte, la chambre consulaire a prévu un gros coup : "nous avons officiellement demandé à rencontrer le président de la République lors de son déplacement sur le territoire", annonce le cadre. Si la demande reste lettre morte, "nous nous organiserons pour l’interpeller de toutes façons", assure Elanrif Boinali. Les élus de la Capam souhaitent ainsi remettre un document "qui soit aussi force de propositions" au chef de l’État. "On sait bien que c’est avant tout symbolique, mais nous avons le devoir de montrer la détresse du monde rural. Je pense aussi que cela permettra d’interpeller et de nous donner accès aux ministères", fait encore valoir l’agronome de formation, transformé en héraut des agriculteurs qui considèrent que "tout se décide loin et sans eux, ce qui fait que rien ne change".

CGT ÉDUC'ACTION RENFORCER LES SERVICES PUBLICS

"Nous avons demandé une audience au président de la République à travers la CGT MA et on espère être reçu. À vrai dire, je n’imagine pas que la CGT ne soit pas reçue, ce serait un message très dur qui voudrait dire que les travailleurs n’ont pas voix au chapitre", considère Quentin Sedes, secrétaire général de la CGT Educ’action. Quoiqu’il en soit, son syndicat se prépare à l’arrivée du président afin de faire passer ses messages coûte que coûte, même si "ce n’est pas évident de mobiliser l’éducation nationale en période de vacances", confesse le secrétaire général. Les messages, justement, quels sont-ils ? "Nous demandons évidement plus de moyens, un choc d’investissement public. Jusqu’à présent on a fait que colmater les brèches pour faire en sorte que ça ne déborde pas trop mais la réalité c’est que ça déborde déjà", lance le syndicaliste. Concrètement ? "Il faut mettre en place une véritable politique d’attractivité pour les professeurs, une politique de titularisation et faire un effort massif sur les constructions scolaires. Le rythme actuel est bien trop insuffisant : on ouvre un collège pour qu’il soit déjà plein à craquer. Au lieu de cela, nous proposons plutôt des petites structures à taille humaine sur tout le territoire. L’éducation comme l’environnement y gagnerait", détaille le professeur. S’il ne se fait pas d’illusion sur l’éventualité d’annonces concordantes par le chef de l’État, Quentin Sedes espère cependant interpeller pour "sur le long terme, créer une inflexion de la politique actuelle qui tend vers toujours plus d’économies". Il plaide ainsi l’exception territoriale : "dans une situation telle de misère, on ne peut que renforcer les services publics pour espérer apaiser les conditions sociales."

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LES NATURALISTES « IL FAUT SAUVER LA FORÊT »

Dans l’immensité des revendications sociales et sécuritaires des habitants de Mayotte, le président des Naturalistes, Michel Charpentier, détonne en insistant sur l’urgence écologique. "Il faut à tout prix préserver la forêt. D’autant plus que celle-ci se réduit de 5% chaque année. Nous ne pouvons pas penser le problème de nos réserves en eau sans nous soucier de la forêt. Si nous la laissons se dégrader, nous serons à sec 6 mois sur 12", martèle-t-il. S’il se réjouit de la création d’une réserve forestière nationale, l’expert souhaite aller plus loin "C’est une bonne chose, mais il faut aller vite. Je note aussi qu’il y a d’autres sites à protéger, notamment les plages de ponte de tortue et la passe en S", insiste-t-il. Concernant la piste longue : "Nous avons besoin d’une étude d’impact claire et objective qui prend en compte l’inventaire biologique de la zone. Cela quel que soit le sens du prolongement de la piste (Sur les terres, ou sur la mer. NDLR). Actuellement, nous avons simplement eu un avis émis par la DGAC". Il conclut en rappelant "l’importance d’augmenter les moyens humains et financiers de la brigade de police de l’environnement, qui n’a actuellement pas les moyens nécessaires pour surveiller le lagon et lutter contre le braconnage".

ALLIANCE POLICE NATIONALE 976 « PLUS DE MOYENS HUMAINS ET FINANCIERS »

À l’instar d’autres corps de métiers de la fonction publique, le Secrétaire départemental du syndicat Alliance police nationale 976 attend plus d’informations concernant la loi de transformation de la fonction publique et la réforme des retraites. "Les policiers aussi sont concernés", martèle-t-il. À l’instar des revendications nationales de son syndicat, Bacar Attoumani souhaite également une augmentation des moyens accordés à la police. "Mais si vous augmentez les effectifs humains sans répondre aux besoins matériels et financiers, les choses ne peuvent pas fonctionner", insiste-t-il. Un prérequis nécessaire en raison de la démographie de l’île en évolution constante : "À la vue de la population qui augmente sur le territoire, il est logique de revoir ces moyens". Dans cette perspective, le syndicaliste rappelle également la nécessité de mieux répartir les effectifs sur le territoire, pour éviter que la situation ne devienne ingérable dès lors que des groupes se livrent à des violences sur plusieurs zones en même temps. Enfin, "Si on veut que toutes les composantes de la population se reconnaissent dans la police nationale il serait intéressant d’avoir des catégories A+ occupées par des Mahorais. Pourquoi ce n’est pas le cas actuellement ? Peut-être qu’ils ne se présentent pas au concours, qu’il n’y a pas assez d’informations, ou qu’ils ne s’en sentent pas capables… Ce sont des interrogations mais il serait intéressant que le président se penche sur cette question pour y apporter des solutions", conclut-il.

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LE DOSSIER

Cyril Castelliti

MICRO-TROTTOIR

CE QUE LES MAHORAIS VEULENT

PARCE QUE LES HABITANTS DE L'ÎLE SONT LES PREMIERS CONCERNÉS PAR SON DÉVELOPPEMENT, DE SIMPLES CITOYENS EXPLIQUENT LEURS ATTENTES DE LA VISITE PRÉSIDENTIELLE.

HIDAYA, 47 ANS En tant que commerçante, je voudrais qu'Emmanuel Macron parle du tourisme car plus il y en a, plus le commerce marche. Il y aussi un autre problème que l'on rencontre souvent, ce sont les douanes. Et on en bave ! Moi j'achète tout en métropole mais j'ai des collègues qui galèrent au niveau de la douane et ça leur coûte beaucoup d'argent, donc ils sont obligés de vendre plus cher. Mais évidemment, plus on vend cher, moins on a de clients… L'inconvénient du commerce à Mayotte, c'est que les gens en partent souvent, donc ils préfèrent acheter à l'extérieur où c'est moins cher, et ils ont déjà tout quand ils reviennent ! Ce qui nous empêche, nous, d'évoluer ici. Mais malheureusement, je ne crois pas que le président en parle. Quand les politiciens viennent à Mayotte, ils savent de quoi parler : de l'immigration, parce que les gens sont aveuglés par ça, à tel point qu'on en oublie le reste. Effectivement, c'est un sujet lourd pour l'île et moi non plus je ne suis pas d'accord avec ce qui se passe ici, mais il faut aussi élargir les horizons, et se demander comment développer Mayotte. Sauf que le développement, c'est l'activité économique. Alors je n'espère que ça : voir le président en parler. De ça, et de la formation aussi, parce qu'on n'en parle jamais ! On dit qu'il faut empêcher l'entrée des clandestins mais il y en a, des jeunes, qui sont déjà là. Qu'est-ce qu'on leur propose à eux ? Rien ! On peut avoir des champs, des endroits où cultiver, où les faire travailler, il faut leur donner l'envie de réussir, il faut leur donner cette chance.

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TAENLABISAILALE, 33 ANS Je ne m'attends à aucune nouvelle annonce, ça sera la même chose qu'avec ses prédécesseurs : on ne va parler que d'immigration. Il n'y a que ça qui intéresse les politiques à Mayotte. À choisir, je voudrais qu'il parle premièrement des infrastructures parce que c'est très important, surtout par rapport aux problèmes des écoles. Il faut que ce soit mieux organisé au niveau scolaire, parce que l'éducation est la chose la plus importante. Mais quand un président vient, ce n'est pas de ça dont lui parlent les élus de Mayotte. Quand ils voient que les choses ne s'améliorent pas, ils devraient arrêter de

concentrer leur vision sur l'immigration. Il faut se tourner vers d'autres sujets, sans écarter celui-là. Mais quand on voit le nombre de parents qui quittent Mayotte parce qu'ils ne veulent pas que leurs enfants aillent dans nos écoles qui ont un mauvais niveau… On a assez de collèges, assez de lycées mais ce n'est pas structuré ni encadré. Mais je suis certaine que le premier discours de Macron à Mayotte sera sur l'immigration, c'est tout le temps comme ça ici. Mais il parle des problèmes signalés par les élus, alors je ne rejette pas la faute sur lui.

YANN , PROFESSEUR DE FRANÇAIS On peut attendre du président qu’il s’engage à mettre les moyens pour le développement du sport car selon moi, ça réduirait les actes de violences. Après je n’y connais rien à la manière dont on obtient des subventions, mais à mon avis, il ne faut pas hésiter à aller au-devant des évènements pour obtenir cinq minutes chrono avec Emmanuel Macron : surtout pas entre deux portes mais en présence d'un responsable du Conseil départemental, si possible des responsables financiers. Faire dire au

président de la République que le sport est le fondement d'une jeunesse équilibrée, pour qu’Alibaba dise sésame. Tout ce qu'on veut, c'est du pognon pour les équipements donc il faut trouver un moment où Macron n'entend parler que de ça pendant au moins cinq minutes, afin que le Conseil départemental ou autres décideurs décident de faire un véritable geste dans ce sens. L'argument phare à mon avis c'est : plus de sport moins de violences. Dans le contexte de Mayotte, c'est la corde sur laquelle il faut tirer.

NASSIME, ÉDUCATEUR SPORTIF BÉNÉVOLE

Pour moi, le président doit s’engager auprès de la jeunesse. Il doit répondre ou du moins apporter des éléments de réponse aux questions que se pose la jeunesse mahoraise, tant sur les infrastructures sportives que sur la question de la participation de Mayotte aux Jeux des îles. Cette participation aux Jeux des îles est devenue un enjeu politique majeur entre les Comores et Mayotte, que seul le président de la République, étant financeur, peut régler. Les Mahorais ont besoin qu’Emmanuel Macron dise haut et fort que la situation actuelle, la participation sans le drapeau et l’hymne national français est intolérable. La visite du président doit également permettre de répondre aux questionnements essentiels de la piste longue et des infrastructures mahoraises d’une manière générale.

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LE DOSSIER

Cyril Castelliti

SALIM,

AGENT DE LA POLICE NATIONALE Pour cette visite, les Mahorais attendent du Président plus de considération. Nous attendons de lui des engagements sur les avantages sociaux, les aligner à ceux des départements d’outre-mer et métropolitains. Je pense à tout l’aspect éducatif : avoir les mêmes structures, le même type d’enseignement, le même accompagnement scolaire, etc. Nous souhaitons également obtenir une solution fiable à long terme de lutte contre la vie chère à Mayotte. Nous avons des prix qui varient d’une période à une autre, et non dans le sens de bénéfice pour la population. Parmi les points principaux, nous insistons sur la montée de la délinquance (délinquance juvénile plus particulièrement). Nous attendons des engagements fermes pour la lutte contre l’immigration clandestine, pour la lutte contre le travail illégal, pour la lutte contre les marchands de sommeil. Jusqu’à présent, je trouve que les Mahorais ont été très patients, mais l’État n’a pas su leur porter une attention sincère et réelle. Le ras-le-bol s’est installé et il va falloir trouver une autre stratégie et politique pour pouvoir redonner aux Mahorais une confiance à la politique que le gouvernement français mène sur Mayotte.

NASSRINE, 31 ANS

Je note que des mesures ont été prises pour lutter contre l'immigration, alors de ce côté-là, on verra ce que ça donne dans quelques mois. Ce qu'il faudrait maintenant, c'est penser à aborder la question du coût de la vie. J'ai vécu en métropole et à La Réunion, et en revenant m'installer ici, je me suis rendu compte à quel point la vie était chère, notamment pour certains fruits et légumes qu'on pourrait cultiver ici en quantité suffisante. Il y a certainement des mesures à prendre en ce sens. C'est vrai aussi pour l'élevage. Les Mahorais attendent également des infrastructures pour se déplacer plus facilement, que cela soit des routes pour diminuer les embouteillages, ou la piste longue pour voyager moins cher. On est sur une île ici, on ne peut donc pas tout avoir sur place, c'est vrai, mais on peut faire en sorte que les déplacements sur d'autres territoires soient plus accessibles financièrement. Personnellement, je suis revenu m'installer à Mayotte il y a trois ans par envie, mais je ne suis pas sûr d'y rester si les choses ne s'arrangent pas.

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HANDICAP

UNE LETTRE POUR LE PRÉSIDENT

HANDICAPÉ MOTEUR DEPUIS SA NAISSANCE, LE JEUNE MIKDAR M'DALLAH-MARI, A TENU À ÉCRIRE UNE LETTRE AU PRÉSIDENT EMMANUEL MACRON À L'OCCASION DE SA VISITE À MAYOTTE. ELLE EST DESTINÉE À LE SENSIBILISER À LA PROBLÉMATIQUE DU HANDICAP À MAYOTTE. NOUS LA PUBLIONS DANS NOS PAGES. Monsieur le Président de la république, Je me présente, je m'appelle M'Dallah-Mari Mikdar, je porte un handicap moteur depuis que je suis né. Je suis le président d’honneur de l’association Handicapables De Mayotte, et je milite activement contre l'isolement des personnes en situation de handicap, quel qu’il soit. Je suis resté, plusieurs années, enfermé à la maison, car aucune adaptation extérieure, aucune accessibilité ne me permettait d’être en dehors de chez moi. Donc je peux vous dire, en toute connaissance de cause, qu’au-delà du handicap se surajoute une souffrance insupportable d’isolement due, entre autres, au manque de centre médico-sociaux et/ou de structures adaptées. C’est pour cela qu’aujourd’hui, je me suis permis de vous écrire afin de vous demander la position de l'État par rapport à la situation à Mayotte, concernant les personnes en situation de handicap. En mars 2017 et en mars 2019, nous avons eu le courage de faire le Tour de Mayotte en fauteuil roulant pour revendiquer nos droits. Mais malheureusement après ce grand évènement, la situation reste encore discrète pour nos élus locaux. Mayotte est un jeune département qui a besoin de se développer et ses habitants aspirent à des droits de citoyens en tant qu’être humain. Ainsi, les droits que l’association demande à l’État de mettre en place à Mayotte, sont la création de structures médico-sociales qui permettent d'accueillir des adultes en situation de handicap qu’il soit mentale, moteur, qu’il relève d’un polyhandicap, ou qui permettraient d’accueillir des personnes âgées atteintes de maladie d’Alzheimer. Dans cette île, il y a beaucoup de personnes en fauteuil roulant qui ne peuvent pas sortir de leur maison à cause d'inaccessibilité, ou parce qu’ils ont besoin de soins et d'une surveillance permanente. Pour certains, leurs conditions de vie sont telles que cela provoque une dégradation importante de leur santé, car ils sont alités en permanence. On peut penser qu’il n’existe pas de personne en situation de handicap du fait qu’on ne les voit jamais en dehors de leur maison ! Parallèlement, les aidants, souvent familiaux, sont complètement privés d’une vie sociale et professionnelle. Un autre problème : les personnes porteuses d’un handicap invisible sont aussi dans une difficulté notamment pour la recherche d'emploi. Et il y en a beaucoup à Mayotte. Enfin, concernant l’AAH (Allocation Adulte Handicapée) à Mayotte, elle n’est même pas égale à la moitié de celle qui existe à la Réunion ou en métropole., alors que Mayotte est un département à part en entier comme tous les autres départements français. Je me permets de vous alerter, afin d'attirer l'attention de l'État, pour l’amélioration de notre vie au quotidien avec des aménagements d’accessibilité et la création de structures médico-sociales. Dans l’attente d’une réponse, je vous prie d’agréer, Monsieur le Président de la république, l’assurance de mes sentiments distingués. M’DALLAH-MARI Mikdar

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LE DOSSIER

Cyril Castelliti

VISITES PRÉSIDENTIELLES

ILS SONT VENUS, ILS ONT DIT… MAIS ONT-ILS FAIT ? TROIS : C'EST LE NOMBRE DE PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE FRANÇAISE QUI SONT VENUS, JUSQU'À CETTE SEMAINE TOUT AU MOINS, EN VISITE À MAYOTTE. JACQUES CHIRAC, FRANÇOIS HOLLANDE ET NICOLAS SARKOZY EN AVAIENT ALORS PROFITÉ POUR FAIRE QUELQUES PROMESSES ET ANNONCES. SE SONT-ELLES RÉALISÉES ? LE POINT. "Le SMIC sera au 1er janvier de l'année prochaine [en 2015 donc, NDLR], à Mayotte, au même niveau que partout en France, parce que c'est un droit fondamental." François Hollande, 22 août 2014 à Dzaoudzi Cette promesse faite en 2011 par le président Sarkozy a été renouvelée par le président François Hollande lors de sa visite de 2014 à Mayotte. Un engagement peu engageant pour le président socialiste puisque le rattrapage avait commencé à se faire avec la départementalisation, année où le salaire minimum interprofessionnel de croissance

(SMIC) mahorais représentait seulement 80% de celui en métropole. Toutefois, l'année 2015 a bien été celle qui a permis à Mayotte de bénéficier du même montant en ce qui concerne le SMIC. Depuis, les revalorisations annuelles sont indexées sur le taux d'évolution du SMIC national.

"J'ai demandé que les droits à la santé puissent être reconnus, ici à Mayotte, que la carte vitale puisse être lancée ici aussi pour que chacune, chacun, puisse accéder aux soins de la même manière que partout en France. Il y aura un moment où il faudra aussi, que la couverture maladie universelle puisse être étendue, à Mayotte. Il y aura la question de l'alignement des allocations familiales, dont nous devrons trouver le rythme, pour ne pas déséquilibrer les comptes sociaux, mais aussi pour offrir cette perspective aux familles de Mayotte." François Hollande, 22 août 2014 à Dzaoudzi C'était un des grands écarts entre Mayotte et la métropole : la carte vitale. Sur ce point, le président Hollande a raison : sa mise en place a débuté sur le territoire en décembre 2013, soit quelques mois

avant sa venue à Mayotte. En revanche, la couverture maladie universelle (CMU), elle, n'a pas été étendue à Mayotte sous le mandat du président Hollande. D'ailleurs, elle n'est toujours pas mise en place, bien

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que cela soit désormais prévu par le plan de rattrapage de Mayotte. Quant aux allocations familiales, elles ne sont toujours pas alignées sur les montants ayant cours en métropole, pas plus d'ailleurs que dans les autres départements d'outre-mer. Difficile ici de rentrer dans le détail compte tenu du nombre élevé de critères (revenus sur une année, nombre d'enfants, tranche variable selon le nombre d'enfants, etc.), mais pour comparaison entre deux familles de deux enfants ayant un revenu sur l'année prise en compte correspondant à la première tranche (68 217 euros), le montant de l'allocation sera de 131,55 euros en métropole, contre 121,30 euros à Mayotte. Pour une famille de trois enfants dans la même tranche (mais correspondant pour trois enfants

à 73 901 euros), ce montant sera de 300,10 euros en métropole et de 173,32 euros à Mayotte. En revanche, à l'instar des autres doms, les allocations familiales sont versées à Mayotte dès le premier enfant (57,28 euros si l'allocataire percevait déjà une aide pour un enfant avant 2012 ; 34,99 euros autrement), ce qui n'est pas le cas en métropole. Mayotte est ici avantagée puisque ce montant n'est que de 24,17 euros pour les autres départements ultramarins. Précisons toutefois que le président Hollande n'avait pas ici promis l'égalité parfaite. Rappelons également que la loi Égalité réelle Outre-mer prévoit la convergence des allocations familiales à Mayotte au 1er janvier 2021, cinq années plus tôt que ce qui était prévu.

"Je les vois déjà surgir ces équipements : l'hôpital de Petite-Terre bientôt à l'horizon 2018" François Hollande, 22 août 2014 à Dzaoudzi L'hôpital de Petite-Terre, annoncé pour 2018 a connu un peu de retard, néanmoins raisonnable puisqu'il devrait être inauguré en 2020.

"Dès cette année sera revalorisée l'allocation minimum vieillesse et l'allocation adulte handicapé" Nicolas Sarkozy, 18 janvier 2010 à Mamoudzou Promesse tenue sur ce point par Nicolas Sarkozy. En décembre de cette même année en effet, le décret n°2010-1614 revalorise l'allocation spéciale pour les personnes âgées, qui est alors l'équivalent locale du minimum vieillesse, avec un rattrapage débutant au mois d'avril précédent. Idem pour l'allocation adulte handicapée, dont le décret et paru en novembre 2010.

"Le SMIC mahorais a considérablement augmenté depuis 2004, et pendant ce temps-là les retraites restaient calculées sur la même base. Dès 2010, nous allons corriger cette injustice." Nicolas Sarkozy, 18 janvier 2010 à Mamoudzou Annonce réalisée : le 5 novembre 2010 parait le décret relatif au montant du plafond de cotisations de sécurité sociale à Mayotte. On peut y lire : "À Mayotte s'applique un plafond spécial tenant compte des spécificités économiques et sociales de cette collectivité. Ce plafond spécifique, qui s'applique également aux cotisations pour les risques famille et accidents du travail

et maladie professionnelle, a été créé en 2002 mais ses modalités de revalorisation, inadaptées au contexte local, ont été suspendues en 2005. Ce plafond servant de base au calcul de certaines prestations, notamment en matière de retraite, sa revalorisation est devenue nécessaire, de même que la fixation de nouvelles modalités de revalorisations régulières."

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LE DOSSIER

Cyril Castelliti

"Je vous avais promis un troisième radar, il est opérationnel et nous allons en installer un 4e pour couvrir toute l'île dès cette année." Nicolas Sarkozy, 18 janvier 2010 à Mamoudzou

Si un quatrième radar a en effet livré et mis en activité à Mayotte, ce fût avec du retard puisque, annoncé pour l'année 2010, il ne sera finalement opérationnel qu'en septembre 2011.

"Le nouveau centre de rétention administrative sera construit à Mayotte. L'étude de faisabilité sera opérationnelle dans les jours qui viennent et le nouveau centre ouvrira fin 2011, début 2012." Nicolas Sarkozy, 18 janvier 2010 à Mamoudzou Gros retard dans cette annonce puisque le nouveau centre de rétention administrative ne sera finalement inauguré qu'en septembre 2015, soit avec quatre ans de retard.

"Dans cette perspective, la réalisation d'une desserte aérienne directe entre Dzaoudzi et Paris est désormais une ardente obligation. La première convention de développement que j'évoquais à l'instant a permis, en 1986, de désenclaver Mayotte en créant une première piste pour des avions de moyenne capacité. Il faut aujourd'hui franchir une nouvelle étape en engageant sans tarder les études pour doter votre île des infrastructures aéroportuaires permettant d'accueillir les gros porteurs nécessaires au développement touristique." Jacques Chirac, 19 mai 2011, Mayotte

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"Qu'il me soit permis de dire un mot sur le projet de piste longue de l'aéroport de Pamandzi. Je suis convaincu que cette infrastructure est essentielle pour le développement économique de Mayotte. Cette infrastructure nous la ferons parce qu'elle permettra à l'île de pouvoir accueillir des touristes en provenance directe de l'Europe, sans passer par la Réunion située, je le rappelle, à 1 400 kilomètres de Mayotte." Nicolas Sarkozy, 18 janvier 2010 à Mamoudzou

Nous aimerions pouvoir écrire "CQFD" mais la promesse de piste longue pour Mayotte est finalement devenue le symbole des promesses non-tenues pour le 101ème département. Dont acte.

"Nous allons également créer une antenne universitaire, car je veux penser aux jeunes Mahorais, je veux que les jeunes bacheliers mahorais puissent continuer, sur place, leurs études jusqu'à Bac+2. (…) J'ai le plaisir de vous annoncer que l'antenne universitaire mahoraise accueillera ses premiers étudiants à la rentrée universitaire 2011." Nicolas Sarkozy, 18 janvier 2010 à Mamoudzou Effectivement, le Centre universitaire de formation et de recherche (CUFR) de Mayotte a bien ouvert à la rentrée universitaire 2011. Le projet était toutefois déjà en cours au moment du discours du président. Il ne s'agit toutefois pas là d'une promesse, mais simplement de l'annonce de son ouverture. Disons donc qu'il n'y a pas eu de retard.

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Il y a aussi la question de l'accès à l'internet La situation ne peut plus durer. Mayotte doit profiter de ce grand investissement numérique que nous réalisons pour la France. Je demande aujourd'hui à Marie-Luce Penchard, votre Ministre, à qui je veux redire ma confiance de travailler avec Christian Estrosi, sur le raccordement rapide de Mayotte à l'Internet mondial par un câble sous-marin. Je souhaite MarieLuce que ce câble soit opérationnel d'ici à la fin de l'année 2011, et que le réseau interne de l'île soit prêt, pour cette date, à accueillir ces nouvelles capacités." Nicolas Sarkozy, 18 janvier 2010 à Mamoudzou En 2010, Mayotte n'est en effet pas connectée au haut-débit, malgré la mise en place du câble Lion dans le sudouest de l'océan Indien l'année précédente. Elle le sera en revanche en avril 2012 grâce au câble Lion 2.

"S'agissant du logement social, l'État va donner les moyens d'accompagner la collectivité dans la construction de 40 000 logements sociaux d'ici à 2017." Nicolas Sarkozy, 18 janvier 2010 à Mamoudzou Évidemment, chacun aura constaté qu'il n'y a pas 40 000 logements sociaux qui sont sortis à Mayotte entre 2010 et 2017. Si la non-réélection de Nicolas Sarkozy en 2012 n'a sans doute pas aidé la réalisation de cette promesse, il faut également citer un rapport interministériel, commandé par le gouvernement en juin 2010 et remis en janvier 2011. Ce dernier était destiné à établir un diagnostic du logement social à Mayotte. Ses auteurs s'y interrogeaient quant au réalisme d'une autre programmation, datée de 2009, et vraisemblablement déjà trop ambitieuse. D'autant que les budgets étaient déjà en baisse : "Étant souligné

que le montant total de la LBU (logement) prévue pour la période 2008-2014 par le contrat de projet entre l’État et Mayotte a été déjà ramené de 173 millions d'euros à 163 millions d'euros, et pourrait l’être prochainement à 130 millions d'euros, la mission s’est interrogée sur le réalisme de la programmation inscrite en matière de logements sociaux dans le plan d’aménagement et de développement durable (PADD) de Mayotte, approuvé par décret le 22 juin 2009, plan qui a évalué les besoins de l’île à 500 logements sociaux par an jusqu’en 2017 et 600 logements à réhabiliter annuellement." Quarante-mille logements sociaux ? Cela ressemble donc à un pur effet d'annonce…

"Je sais que l'activité aquacole de Mayotte est la plus importante de tout l'Outre-mer. Mais, nous allons aller plus loin, nous allons nous donner l'objectif de produire 1 000 tonnes de poisson par an au lieu des 140 tonnes actuelles. Pour y arriver, l'État va consacrer cinq millions d'euros au développement de la filière aquacole à Mayotte." Nicolas Sarkozy, 18 janvier 2010 à Mamoudzou C'était un des secteurs prometteurs pour Mayotte. Malheureusement, rien n'aura été fait pour la sauver et le secteur est désormais mineur et lutte pour sa survie. L'annonce de la production de 1 000 tonnes par an était donc très ambitieuse. Quant aux cinq millions d'euros promis, il ne semble pas que la filière en ait vu la couleur. En 2015, la société Aqua-mater, qui se

proposait de relancer la production, voyait son projet retoqué par l'État (notons toutefois qu'il ne s'agissait plus du même gouvernement), après plusieurs années d'attente. La structure demandait notamment cinq millions d'euros à l'État pour la réalisation de son projet.

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ENTRETIEN

Solène Peillard

GAËTAN LONGEAU, DIRECTEUR RÉGIONAL DE LA POSTE À MAYOTTE

"À LA POSTE, LE MOT RÉORGANISATION FAIT UN PEU PEUR" DIRECTEUR RÉGIONAL DE LA POSTE À MAYOTTE DEPUIS DEUX ANS, GAËTAN LONGEAU FAIT LE POINT SUR LES PROJETS EN COURS. ADRESSAGE, MODERNISATION DES BUREAUX, DÉMOCRATISATION DE L'ACCÈS AU NUMÉRIQUE ET INCLUSION BANCAIRE : LES DÉFIS À RELEVER DANS LE 101ÈME DÉPARTEMENT SONT NOMBREUX, MAIS À LA HAUTEUR DU RETARD À RATTRAPER. Mayotte Hebdo : Il y a près de trois ans, La Poste lançait le chantier de l'adressage à Mayotte. Où en êtes-vous aujourd'hui ? Gaëtan Longeau : Sur les 17 communes de Mayotte, nous en avons actuellement neuf pour lesquelles l'adressage a été réalisé, comme Chirongui. C'est aussi long parce que nous sommes partis d'une feuille blanche. Pour comprendre, il faut faire un petit historique : en 2017, lorsque je suis arrivé à ce poste, des subventions étaient déjà versées tous les deux ou trois ans aux communes pour pouvoir procéder à l'adressage. Beaucoup de ces communes ont mis en place ce qu'elle pensait être de l'adressage, à savoir installer des panneaux et des numéros dans les rues. Or, l'adressage tel qu'on l'entend doit être géolocalisé, cartographié et connecté. Pour faire simple, un GPS ne fonctionne qu'à partir du moment où les points sont géolocalisés, donc à Mayotte ils ne pouvaient pas fonctionner. Tout le travail que nous avons dû mettre en place en 2017 consistait à remettre, ou mettre tout simplement aux normes les adresses de Mayotte pour permettre à un GPS d'être actif et par là même, permettre

aux facteurs d'offrir une qualité de service beaucoup plus en adéquation avec ce que les clients recherchent. Une fois qu'on a fait la géolocalisation, la cartographie et la "connexion" des adresses, il nous reste encore au moins la moitié du chemin à parcourir. Le gros du travail qu'on a à faire maintenant, c'est de communiquer pour que chaque Mahorais ait une boîte aux lettres à son nom et qu'il utilise la bonne adresse. On estime qu'il nous reste encore un an et demi de travail. MH : Rencontrez-vous des problèmes dans le déploiement de l'adressage ? GL : Le gros frein que l'on avait au départ, c'était au niveau des moyens des communes : certaines ne pouvaient tout simplement pas payer l'adressage. Alors l'État, via la préfecture, a fait en sorte de tout prendre à sa charge, puisqu'il s'agissait d'une mise aux normes. Une fois que tout cela a été mis en place, les freins étaient levés. Nous, à notre niveau, lorsque les premières communes se sont engagées dans la démarche, il était important pour nous (La Poste) de mettre les moyens de prendre en charge l'adressage. Pour cela,

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ENTRETIEN

nous avons formé et payé – et on paye toujours – sept personnes qui s'appellent des facteurs de service expert, qui, le matin, passent dans tous les points à géolocaliser avec un smartphone, afin de les cartographier l'après-midi et de faire

"C'EST AUSSI LONG PARCE QUE NOUS SOMMES PARTIS D'UNE FEUILLE BLANCHE." en sorte qu'on ait une vision très exacte de chaque point ancré au niveau de chaque commune. Il y avait dans un premier temps un frein financier de la part des communes, et de notre côté également car il a fallu très rapidement mettre en place de nouveaux emplois, de nouveaux outils. À Mayotte, on a innové, ça peut paraître bizarre dit comme ça, mais pour faire cette création de bout en bout, le groupe La Poste a créé des outils pour cette géolocalisation de l'île, comme des logiciels très spécifiques. MH : Cela rejoint votre démarche d'inclusion numérique. Quels autres projets vont en ce sens ? GL : La vision qu'on a depuis trois ans, c'est que notre mission en tant qu'entreprise

de service public, est effectivement de prendre en charge l'inclusion numérique et l'inclusion bancaire. Ici, il y a un gros déficit, puisque environ seulement 18 % des habitations ont un accès très haut débit à Internet. Et à Mayotte, Internet coûte cher, d'autant que le PIB moyen par habitant est d'à peu près 8 000 euros, contre 19 000 euros pour le territoire qui est juste avant nous dans le classement. On souhaite donc vraiment se positionner en tant que précurseur dans le domaine, en faisant de la direction régionale de Mayotte la première à être 100 % numérique. L'innovation, c'est que dans un environnement où on peut avoir du retard, il faut qu'à un moment donné on puisse aussi avoir une avance sur les autres. Ainsi à la fin du mois d'octobre, 100 % des points de contacts de La Poste à Mayotte (bureaux et agences postales, points de courrier) seront équipés de bornes wifi accessibles à tout le monde gratuitement. C'est important pour nous de pouvoir faire en sorte que sur ce territoire en retard sur l'inclusion numérique – ne nous voilons pas la face –, on puisse à notre niveau apporter notre pierre à l'édifice en donnant accès à Internet gratuitement. Et pour nous cela n'était pas gratuit puisque ça représente un investissement de plus de 400 000 euros. MH : Concernant l'inclusion bancaire, une autre de vos priorités, vous lanciez il y a un mois un dispositif permettant d'ouvrir un compte en moins de 10 minutes… GL : Ça a très bien pris. On en est déjà à plus de 600 comptes ouverts en un mois. Alors au démarrage, ça pouvait prendre un peu plus de dix minutes, car il a fallu que les outils se rôdent. Mais à l'heure actuelle, vous venez avec votre pièce d'identité et effectivement en dix minutes vous repartez avec votre carte bancaire, sans conditions de revenus. C'est une banque numérique, donc ça s'adresse à des clients qui ont une appétence au numérique, qui savent par exemple qu'il n'y a pas de carnet de chèque, qu'on ne peut pas déposer de l'argent liquide sur son compte, pas de relevés de compte au format papier, etc. Et l'avantage pour les gens qui vont sur les îles à proximité comme Madagascar ou les Comores, c'est qu'on ne prend aucune commission sur les opérations à l'étranger en monnaie locale.

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IL Y A EU 50 EMBAUCHES SUR LES DEUX DERNIÈRES ANNÉES. MH : Comment accompagner votre clientèle alors que beaucoup de Mahorais n'ont que peu, voire pas d'accès aux outils numériques ? GL : Il y a eu 50 embauches sur les deux dernières années. Nous avons aussi déployé des écrivains numériques, de jeunes agents mahorais en service civique équipés de tablettes numériques pour accueillir et prendre en charge les personnes qui souhaiteraient mettre à jour leur adresse ou faire des démarches administratives via le numérique. La déclaration d'impôt, maintenant, passe aussi par le numérique, donc notre objectif est que Mayotte puisse prendre le train en marche et que chaque Mahorais ait le droit à une connexion. Mais ces jeunes-là nous servent aussi de lien social. La démarche se poursuit puisque très prochainement sur l'île il y aura des maisons France Services, qui sont ni plus ni moins que des bureaux de poste qui vont héberger des opérateurs (comme la Caisse de sécurité sociale, la Direction régionale des finances publiques, Pôle Emploi, EDM, la Smae, etc.) qui permettent d'apporter cette approche numérique aux clients, de limiter les déplacements des Mahorais à travers l'île pour leurs seules démarches administratives, la plupart de ces établissements étant à Mamoudzou. Pour cela, nous travaillons main dans la main avec l'État, par la préfecture, et ces opérateurs. MH : Sur le plan structurel, la modernisation des bureaux est aussi un grand chantier. Après celui de Mamoudzou, rouvert en septembre, quelle est la prochaine étape ?

GL : Quand je suis arrivé en 2017 j'ai été un petit peu effaré de voir les conditions d'accueil de nos clients, et les conditions de travail de nos collaborateurs. On a des bureaux de poste qui sont très exigus, et qui suffisaient il y a une petite dizaine d'années, mais aujourd'hui on voit bien que ces bâtiments sont devenus obsolètes. Donc la démarche que l'on a, c'est de faire en sorte de tout rénover, bureau par bureau. L'objectif que je me suis fixé, c'est que d'ici fin 2021 on ait rénové l'intégralité de nos bureaux de poste à Mayotte. Si on regarde à Mamoudzou, on a maintenant un vrai bureau de poste qui ressemble à ce que l'on pourrait avoir en métropole. On est passé de 85 mètres carrés d'espace commercial public à 140. À Dzaoudzi, à l'identique, de grands travaux ont été faits. L'objectif de ces nouveaux bureaux de poste, c'est de faire en sorte que le client ait une certaine autonomie au travers de nos écrivains numériques, d'un accueil guidé vers des automates, etc. pour que les clients ne soient pas obligés d'attendre. Alors oui, ils attendent toujours trop, mais on sait aujourd'hui qu'ils attendent moins. Certains bureaux ne pourront pas être rénovés parce qu'on ne pourra pas pousser les murs, dans les bureaux du Sud notamment comme à Chirongui ou Dembéni, donc là, on cherche à délocaliser. C'est très contraignant, mais on peut le faire. Je pense ainsi que le bureau de Dembéni sera le prochain à voir le jour car actuellement on a une emprise au sol de 50 mètres carrés, pour une moyenne de 200 clients par jour. Donc autant vous dire que l'accueil ne peut pas être bon même si on fait le maximum. En délocalisant, sur des terrains qu'on loue à des bailleurs publics comme privés, on optimise nos conditions de travail et on améliore la prise en charge des clients. MH : Cette prise en charge est souvent mal encadrée particulièrement au centre de tri de Kawéni. Qu'est-il prévu pour cette structure ? GL : On a la même démarche concernant le courrier. Pour nous le centre de tri de Kawéni est complètement anormal en termes de conditions d'accueil et c'est juste impossible d'être dans ces conditions de travail-là. Actuellement, on travaille avec le Conseil départemental et la commune pour ce projet de plateforme de distribution des colis qui permettrait et de faire le tri, et de les distribuer dans tous les points de contacts de l'île. Cela devrait encore nous prendre deux à trois ans, et il nous faut un bâtiment qui fasse 1 500 mètres carrés, donc on mène encore les recherches auprès des entités qui nous le permettent à Mayotte. À La Poste, le mot réorganisation fait un peu peur car quelques fois ça peut signifier des moyens minorés. Mais ici c'est tout autre, elle nous permet d'acter le fait qu'on avance. Et en parlant d'avancer, il y a aura à la fin du mois une très très bonne nouvelle pour Mayotte, mais je ne peux pas en dire plus… n

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LITTÉRATURE

Christophe Cosker, "L’Invention de Mayotte", Pamandzi éd. La Route des Indes, 2019.

LISEZ MAYOTTE Chaque semaine, Christophe Cosker, auteur de L'invention de Mayotte, vous propose la quintessence de chacune des trente-six inventions de Mayotte relevées dans l’ouvrage éponyme.

Au milieu du XIXe siècle, dans une somme publiée par l’éditeur le plus important du temps, notamment parce qu’un caractère typographique caractéristique de cette époque porte son nom – Firmin Didot -, Armand d’Avezac traite des Îles d’Afrique (1848). Mayotte est donc ici inventée comme une île africaine selon l’une de ses racines principales, exaltées notamment par Abdou Salam Baco pour qui l’île aux parfums est une “ miette d’Afrique ” ou encore par Saïd Ahamadi, dit Raos. Parmi les îles africaines, il existe des “ îles arabes ” selon une typologie qui suggère que d’autres ne le sont pas. Cette deuxième invention arabe de Mayotte se superpose à la précédente et se comprend comme un palimpseste, ce manuscrit qu’on gratte pour le réutiliser. Elle est liée à la première colonisation de l’île ; elle imprègne la culture et les croyances de Mayotte qui fait partie de l’archipel de la Lune, selon l’étymologie du mot “ Comores ”, ainsi que selon l’une des formes que présenteraient les quatre îles. Pour cette section, Armand d’Avezac cède la plume à Oscar Maccarthy. Le texte commence par un état des lieux qui rappelle que Jéhenne est le marin qui invente Mayotte. Jusqu’à ce moment, l’absence de notoriété de Mayotte s’explique par le fait qu’on ne peut y mouiller, qu’une population sauvage y règne et qu’elle est un repère de pirates. Les textes précédents affleurent, de la razzia organisée par Péron à l’anecdote rapportée par Leguével de Lacombe. Mais, dans la continuité du texte précédent, les Européens découvrent progressivement la beauté de Mayotte et l’auteur du texte en est ébloui. La dangereuse barrière de corail passée, c’est un lagon d’un calme paradisiaque que le marin découvre, des montagnes qui mériteraient d’être peintes, selon l’origine anglaise du terme pittoresque : picturesque, sans oublier une végétation luxuriante qui déclenche une rêverie de la jungle comme mystérieux enchevêtrement naturel.

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Christophe Cosker

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ÎLES DE L’AFRIQUE On peut dire que Mayotte n’était pas connue avant l’exploration de la gabare1 française La Prévoyante, commandée par Monsieur Jéhenne en 1840 ; jusqu’alors elle était restée marquée sur tous les routiers du canal de Mozambique, comme absolument dépourvue de bons mouillages. Cette circonstance cessera d’étonner, si on réfléchit que cette île est presque entièrement enveloppée d’un réseau de récifs et de brisants redoutables, et qu’elle était habitée, il y a encore vingt ans, par un peuple sauvage, fanatique, inhospitalier et sans industrie ; les seuls Européens qui la fréquentaient étaient des négriers2 espagnols et portugais, qui avaient le plus grand intérêt à cacher leurs repaires. Quels ne durent pas être l’étonnement et la satisfaction de La Prévoyante, lorsque, après avoir passé le récif oriental par un chenal3 de trois encablures4 de large, elle se trouva comme par enchantement dans une rade immense, dont les eaux paraissaient à peine ridées par les vents qui soulèvent5 les îlots derrière elle, et quand, s’avançant au nord, elle découvrit ces passes tortueuses au milieu des coraux, et ces îlots si favorables à la défense.

Mayotte est d’un aspect très pittoresque ; une série de montagnes isolées ou pitons y élèvent leurs sommets nus et rougeâtres, et semblent signaler au loin une terre désolée ; mais les flancs de ces mêmes montagnes, les nombreuses vallées et les plaines, où les pluies apportent, au détriment des lieux élevés, toute la terre végétale, et où serpentent de nombreux cours d’eau, resplendissent de la végétation la plus variée et la plus luxuriante. […] Une ceinture de récifs entoure l’île presque totalement, et il semble au premier abord qu’elle soit inaccessible. Mais cette muraille présente sur plusieurs points des ouvertures qui, quoique étroites, sont suffisantes pour les passages des plus grands bâtiments. Cette chaîne d’écueils, dont les sommités se découvrent à marée basse, gît à la distance de deux à six milles, laissant entre elle et la plage un vaste chenal, dans lequel il y a partout abri contre la tempête et contre l’ennemi, et où le cabotage6 peut s’effectuer sans péril. Armand d’Avezac, Îles d’Afrique, Paris, Firmin Didot, 1848, “ Les Îles arabes ”, p. 129-130

Bateau destiné au transport. Navire servant à transporter des esclaves. Passage navigable. 4 Mesure marine d’environ deux-cents mètres. 5 Il s’agit ici d’un emploi inattendu du verbe au sens de séparer et relier. 6 Navigation côtière. 1 2 3

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− Action Logement Services − SAS au capital de 20 000 000 d’euros – Siège social : 19/21 quai d’Austerlitz, 75013 Paris − 824 541 148 RCS Paris – Immatriculée à l’ORIAS sous le numéro 17006232 − Société de financement agréée et contrôlée par l’ACPR.

Notre action pour Édith : 5 000 € pour une salle de bains adaptée à ses besoins

Action Logement agit pour adapter le logement aux besoins des seniors. Vous êtes salarié retraité de plus de 70 ans ou en situation de dépendance ? Bénéficiez d’une aide jusqu’à 5 000 euros pour adapter votre salle de bains. Renseignez-vous sur actionlogement.fr Aide soumise à conditions et plafonds de ressources, octroyée sous réserve de l’accord d’Action Logement Services. Disponible dans la limite du montant maximal de l’enveloppe fixée par la réglementation en vigueur. Cette aide est cumulable avec les autres aides existantes dans la limite du coût total des travaux.


MAGAZINE D’INFORMATION NUMÉRIQUE HEBDOMADAIRE Edité par la SARL Somapresse au capital de 20 000 euros 7, rue Salamani Cavani M’tsapéré BP 60 - 97600 Mamoudzou Tél. : 0269 61 20 04 contact@mayotte.hebdo.com Directeur de la publication Laurent Canavate canavate.laurent@mayottehebdo.com Directeur de la rédaction Mohamed El Mounir dit “Soldat” 0639 69 13 38 soldat@mayottehebdo.com Rédacteur en chef Geoffroy Vauthier

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Couverture :

Quand la République voyage à Mayotte

Journalistes Romain Guille Solène Peillard Grégoire Mérot Cyril Castelliti Correspondants HZK - (Moroni) Direction artistique Franco di Sangro Graphistes/Maquettistes Olivier Baron, Franco di Sangro Commerciaux Cédric Denaud, Murielle Turlan Thomas Lévy Comptabilité Catherine Chiggiato compta@mayottehebdo.com Secretariat Annabelle Mouhamadi Première parution Vendredi 31 mars 2000 ISSN : 1288 - 1716 RCS : n° 9757/2000 N° de Siret : 024 061 970 000 18 N°CPPAP : 0121 I 92960 Site internet www.mayottehebdo.com


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