LE MOT DE LA RÉDACTION
BAS LES MASQUES ! C’est la rentrée des classes, comme pour Mayotte Hebdo ! La rédaction en profite pour saluer Geoffroy Vauthier qui a su au long de plusieurs années de bons et loyaux services, s’attacher à rendre compte de la manière la plus positive possible des réalités mahoraises. Difficile pourtant, pour ce nouveau numéro consacré au retour à l’école de peindre le tableau en vert. Il a trop été noirci, dernièrement encore par les fumées noires s’échappant d’habitations incendiées. Nous aurions bien voulu rassurer, dire que le chemin de l’école sera sécurisé. Mais les rares réponses des responsables en charge de la question ne sont que trop faiblement audibles face aux témoignages que nous avons pu recueillir. Il est douloureux d’écrire qu’un élève, par peur pour sa vie, ne fera pas sa rentrée. Qu’il ne sera pas le seul à éviter ce lieu pourtant censé lui promettre un avenir. Et à ceux qui verront de l’exagération dans leurs mots, rappelons que ces paroles viennent de jeunes qui ne devraient pas avoir eu le temps de perdre espoir. Rappelons aussi, qu’à force de les ignorer, ils pourraient devenir ceux-là même que l’on condamne. Lundi, à partir de onze ans, ils auront le visage couvert. Que ce ne soit pas pour masquer encore la détresse qui habite nombre d’élèves. Les adultes aussi, porteront des masques. Comme ils en ont d’ailleurs peut-être trop porté pour se cacher de leurs responsabilités. Mais puisqu’il faut bien de l’espoir, gageons qu’il ne soit pas trop tard pour retrousser les manches et faire tomber les masques. Pour entrevoir à nouveau le sourire de la jeunesse. De l’avenir. Grégoire Mérot
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FLASHBACK
Retour sur les sujets de Une des Flashs Infos de la semaine
Vendredi 14 août :
BRIQUE MAHORAISE LE RETOUR À LA TERRE
Huit artisans de l’île se sont associés au sein d’une coopérative dans le but de faire revivre pleinement leur savoirfaire traditionnel et l’intégrer aux différents projets de construction du département. Écologique, économique, solide et du cru, la brique en terre représente peut-être la meilleure alternative locale au tout béton dont les défauts ne sont aujourd’hui plus à détailler.
Lundi 17 août :
KAWÉNI – MAJICAVO WEEK-END D’HORREUR
Trois jours interminables. Entre Kawéni et Majikavo, des bandes rivales armées de machettes, de barre de fer ou encore de cocktails molotov se sont affrontées dans une violence inouïe. Triste bilan (officiel) : un mort et quatre blessés grave. Lequel est évidement accompagné de son lot de dégradations de bien, principalement de voitures. Plusieurs habitions ont également été incendiées durant ce week-end d’horreur.
Pour tous vos communiqués et informations
Une seule adresse : rédaction@mayottehebdo.com
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MARDI 18 AOÛT :
CRISE SANITAIRE, LE PROTOCOLE BLOQUE LES CRÈCHES
Crise sanitaire oblige, les crèches du 101ème département sont toujours limitées à des groupes de 10 enfants maximum, selon le guide ministériel publié au début du confinement. Un protocole qui pèse sur les structures - déjà limitées à 262 places sur toute l’île en temps normal - et sur les parents, dont beaucoup restent sur liste d’attente alors que la rentrée approche.
MERCREDI 19 AOÛT :
CRISE DE L’EAU – NOUVELLE PÉNURIE EN PRÉVISION Depuis lundi, un arrêté préfectoral impose des restrictions temporaires sur l’eau. Une décision qui fait craindre de nouvelles séries de coupures comme en avait connues le département en 2016-2017. Si nous n’en sommes pas encore là, “la situation est quand même assez critique, avec des niveaux dans les rivières et les retenues qui sont assez bas”, confirme Amina Hariti, la nouvelle vice-présidente en charge de l’eau potable au Smeam.
JEUDI 20 AOÛT :
POLICE NATIONALE – DES RENFORTS ENCORE FLOUS
Alors que les affrontements d’une violence inouïe qui ont eu lieu entre Kawéni et Majicavo le week-end dernier sont encore dans toutes les têtes, Flash infos lève un coin du voile quant aux renforts policiers tant réclamés. Si une cinquantaine de fonctionnaires devraient venir grossir les rangs de la police nationale courant septembre, il est craint que la majeure partie d’entre eux ne soit affectée à la police aux frontières. Et la DTPN de vouloir rassurer : cela ne signifie pas qu’ils ne pourront pas faire de sécurité publique.
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TCHAKS
L'ACTION Sensibilisation au risque tsunamique
LA PHRASE
LE CHIFFRE 120 000 C’est l’estimation fournie par le rectorat du nombre d’élèves qui devrait se diriger vers les bancs de l’école pour cette rentrée scolaire. Un chiffre en constante augmentation et qui illustre la nécessité de constructions d’établissements. Pour rappel, le cap des 100 000 élèves avait été franchi à la rentrée 2018.
“ On dit que nous sommes une société matriarcale, mais en réalité, c’est une société matriarcale dirigée par des hommes... ” Dans un entretien à Flash Infos, Saïrati Assimakou, la créatrice de la page Facebook Souboutou Ouhédzé Jilaho _ Ose libérer ta parole est revenu sur les freins qui pèsent sur la libération de la parole des femmes victimes de violences sexuelles ou conjugales. “ C’est dommage que trop peu, à Mayotte, ose encore s’exprimer ”, déplore celle qui a été une des premières à partager sa terrible histoire, dans l’espoir d’une prise de conscience collective.
Tout au long de la semaine, une équipe d’experts est intervenue sur le territoire pour identifier les différentes solutions à apporter afin de prévenir au mieux les conséquences d’un éventuel tsunami. Si les zones refuges ou encore les signaux d’alertes sont au cœur des préconisations, la sensibilisation de la population fait figure de priorité. Avec en tête le faible nombre de personnes s’étant effectivement mis à l’abri lors de l’alerte cyclonique de début décembre 2019.
LA PHOTO DE LA SEMAINE Relais de génération Qui a dit que la brique mahoraise en terre crue céderait sous le poids du tout béton ? Les artisans de huit briqueteries de l’île ne sont en tout cas pas près de s’avouer vaincu, même si les temps ont été durs pour ces derniers gardiens d’un savoir-faire traditionnel. Désormais établis en coopérative, ils souhaitent ainsi faire valoir pleinement les atouts de leur produit : solide, écologique et économique et participer aux différents défis de la construction à Mayotte. En cette période de rentrée, les yeux sont notamment tournés vers les futurs établissements scolaires avec un mot d’ordre : “ si l’on réclame des constructions exemplaires, il faut que l’on en soit ! ”. Une certitude qui convainc même la nouvelle génération à l’image de Danjee Goulamhoussen (à gauche).
GRÈVE La grève persiste chez Jumbo Score
Jumbo Score, dont le propriétaire est désormais le groupe Bernard Hayot (GBH) est toujours en proie à un fort mouvement social entamé il y a désormais cinq semaines. Au rang des revendications des salariés grévistes, des revalorisations salariales et plus généralement un alignement des conditions sociales sur celle des autres départements. Les négociations annuelles obligatoires (NAO) comme les pourparlers qui s’en sont suivis n’ont mené à rien, les grévistes déplorant notamment le comportement de la direction jugé “ méprisant ”. Ces derniers ont reçu le soutien des instances nationales et réunionnaises de la CGT et un courrier a même été adressé début août à la ministre du travail, laquelle a botté en touche direction la Case Rocher. Depuis, chacun campe toujours ses positions. Littéralement même, puisque plusieurs salariés bloquent toujours les caisses de l’enseigne.
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LE FLOP LE TOP Le ballet des baleines a repris
Bientôt à sec ?
Les stars du lagon ont fait un retour remarqué cette année. Rassurant, aussi, tant les cétacés avaient su bouder les aux de Mayotte l’année passée, ce qui avait nécessairement soulevé nombre de questions notamment liées au réchauffement climatique. Qu’à cela ne tienne, les baleines, parfois accompagnées de leurs “ petits ” ont su émouvoir les touristes du lagon et les opérateurs les y guidant. Malheureusement en ne respectant pas toujours les règles d’approche à en croire plusieurs témoignages recueillis pas la rédaction.
SI le syndicat des eaux juge que les réserves en eau ne sont pas encore aussi faibles que ce qu’a connu Mayotte en 2016, la situation est toutefois jugée “ préoccupante ”. Résultat, la préfecture a émis un arrêté restreignant divers usages d’eau et les coupures d’eau seront “ inévitables ”, toujours selon le Smeam. En période sanitaire sensible, où l’accès à l’eau est primordial pour le nettoyage, la nouvelle n’a pas de quoi faire sourire. Surtout que la crise de l’eau de 2016 avait conduit à un vaste plan d’urgence pourvu de dizaines de millions d’euros et dont les réalisations se font toujours attendre. Dans le même temps, les besoins sont en augmentation et la saison des pluies retarde chaque année plus son arrivée. Les espoirs d’éviter une nouvelle pénurie seront-ils douchés ?
ELLE FAIT L'ACTU Nathalie Gimonet
Elle, succède à Julien Kerdoncuf à la très politique fonction de sous-préfet en charge de la lutte contre l’immigration clandestine (LIC). La sous-préfète aura à satisfaire les pressions provenant des plus hautes instances de l’État pour reprendre les reconduites à la frontière de personnes en situation irrégulière. Saura-t-elle faire “ mieux ” que son prédécesseur qui a organisé l’expulsion de quelques 27 500 personnes en 2019. Un précédent record qui ne s’était toutefois pas établi sans son lot d’erreurs.
SANTÉ Des masques gratuits en Outre-mer ?
PROVERBE Dunia ya papaya mutiti de akao uju Dans le monde des papayes, c'est le petit qui est en haut
C’est en tout cas la demande formulée par Génération écologie. Le mouvement politique présidé par Delphine Batho, députée et ancienne ministre de l’Écologie. “ L’État doit s’engager à distribuer des masques gratuitement à tous les résidents d’Outremer car le coût d’achat de masques pour les familles, qui par exemple ont plusieurs enfants scolarisés, est élevé. Charge aux administrations déconcentrées de l’État d’assurer la distribution des masques en partenariat avec les collectivités territoriales via leurs services sociaux (centres communaux d’action sociale), les commerces de proximité, les pharmacies et autres professionnels de santé ou encore par le biais d’associations", estime ainsi Génération écologie dans un communiqué. Lequel interpelle également le gouvernement "sur le traitement des masques jetables usagés". "Ceux-ci constituent aujourd’hui une source de pollution importante ”, rappelle-t-il. Si les habitants de Mayotte ont pour la plupart reçu des masques en tissu en mai, la demande trouve tout de même un écho particulier sur le territoire où, on le sait désormais, les élèves de plus de 11 ans devront porter un masque lorsque la distanciation sociale ne peut être respectée. Soit quasi systématiquement.
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À LA RENCONTRE DE...
Raïnat Aliloiffa
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RAZID DJOUMA
L’HOMME QUI SE CACHE DERRIÈRE ORPI MAYOTTE IL VIENT DE FAIRE SON ENTRÉE DANS LE MONDE DES GRANDS. RAZID DJOUMA, EST À LA TÊTE DE LA PREMIÈRE AGENCE IMMOBILIÈRE ORPI DE MAYOTTE. CE PROJET ÉTAIT COMME UNE ÉVIDENCE POUR CE PASSIONNÉ DE L’IMMOBILIER QUI S’EST PROMIS DE CONTRIBUER À SA MANIÈRE AU DÉVELOPPEMENT DE SA CHÈRE ÎLE. Du haut de ses 30 ans, Razid Djouma, avec la collaboration de son frère, est le premier à avoir fait venir une enseigne immobilière nationale à Mayotte. Le réseau ORPI est le premier réseau d’agences immobilières de France. Plus de 1300 d’entre elles sont implantées dans tout le pays, et depuis février 2020 notre territoire aussi en compte une. Investir à Mayotte était comme une évidence pour Razid qui est né et a grandi sur l’île. “ Ma famille est ici depuis plus de 30 ans. Mayotte est mon île et j’ai toujours voulu y travailler pour contribuer à son développement ”, atteste-t-il. Et pour réaliser son rêve, Razid ne déroge pas à la règle et part se former en métropole à l’exemple d’une grande partie des nouveaux bacheliers mahorais. Il obtient un master 2 en Finances des entreprises à l’université Paris Dauphine. Suite à cela, il effectue son stage de fin d’études dans un cabinet de fonds d’investissement immobilier et il est immédiatement embauché à la fin de son stage. Le jeune diplômé passe alors trois ans dans cette entreprise parisienne, mais l’envie de rentrer chez lui ne s’estompe pas. Razid décide donc de revenir à Mayotte. “ J’ai travaillé quelques
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CE QU'ILS EN DISENT Nadir, frère de Razid “ Razid est un entrepreneur passionné et investi dans son travail qui sait transmettre son énergie à son équipe. Il est ambitieux et cherche toujours à aller plus loin. La qualité du service a toujours été sa priorité. Il met tout en œuvre pour développer l’agence malgré les difficultés rencontrées à Mayotte. ”
temps avec la famille pour retrouver mes repères. Mais j’ai voulu rester dans l’immobilier alors j’ai créé ma société de gestion immobilière. ” Ses clients ne se résument jusqu’à lors qu’à son entourage. Mais rapidement l’ancien propriétaire d’Immo 976 lui propose de racheter ses parts de l’entreprise. Sans hésiter, son frère Nadir et lui récupèrent l’intégralité de la boîte en 2017. Une nouvelle aventure commence alors pour Razid qui s’investit corps et âmes dans ce nouveau projet. Mais
les deux frères voient encore plus grand même si leur affaire est sur de bons rails. “ Nous avons voulu proposer à nos clients un service de qualité, quelque chose qui n’existe pas à Mayotte ”, raconte Razid. C’est donc tout naturellement qu’ils songent à racheter la licence Orpi.“ Nous avons choisi Orpi France car c’est une coopérative et non une franchise. Cela veut dire que c’est nous qui avons acheté des parts chez eux et non le contraire. Ainsi nous conservons notre indépendance, mais bénéficions
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des outils, de l’expertise juridique, de l’image de marque et de la puissance du réseau ”, explique Razid. En effet, s’associer à Orpi France va au-delà du simple nom. Le groupe leur apporte de nouveaux outils et leur permet de proposer un service de qualité à leurs clients comme ils le souhaitaient. Travailler avec ce grand groupe apporte également une certaine garantie puisque le service juridique est solidifié. “ Nous avons des avocats mis à disposition et de nouveaux logiciels car Orpi s’est fortement engagé dans la digitalisation. De plus nous avons spontanément acheté d’autres outils informatiques afin d’être au même niveau que n’importe quelle agence en métropole ”, ajoute Razid. L’idée pour le chef d’entreprise et son frère est de se démarquer du peu d’agences immobilières qui existent à Mayotte.
UN OPTIMISME SANS FAILLES
Toutefois, être entrepreneur à Mayotte est un choix risqué. Le climat social de l’île a mené à la faillite de nombreuses entreprises mahoraises. Orpi Immo 976 a survécu aux mouvements de grèves de 2018 et 2019 et ce pour une raison précise : “ Quand on a fait notre business plan nous avions anticipé les mouvements de grèves parce qu’on sait qu’à Mayotte comme partout en France il y en a régulièrement. Nous n’avons donc pas été fortement impactés par cela ”, se félicite Razid. Cependant, un autre phénomène vient jouer les troubles fêtes. “ Les tremblements de terre nous ont vraiment pris au dépourvu. C’est quelque chose qu’on ne peut pas anticiper et au début personne ne connaissait leur origine, les gens ont donc perdu confiance en l’immobilier à Mayotte ”, affirme-t-il. Cette période a été particulièrement stressante pour Razid et son frère Nadir qui ont tout investi dans leur agence immobilière. “ Ça a été notre plus grosse peur. Nous avons mis tout ce qu’on avait dans ce projet. Je me suis demandé comment notre société allait
survivre s’il y avait des catastrophes naturelles ”, se souvient-il. Malgré ce coup de pression ils ont décidé de se tourner vers une enseigne nationale afin d’avoir plus de sécurité. Désormais, les tremblements de terre se font de moins en moins ressentir, Razid a bon espoir. “ Les affaires reprennent petit à petit. On est en train de reprendre notre développement ”, souffle-t-il. Razid doit également redoubler d’efforts pour mener sa société vers le haut puisqu’avoir recours aux agences immobilières ne fait pas partie des mœurs des Mahorais. Il affirme néanmoins que de plus en plus y font appel afin de ne pas gérer tout l’aspect administratif de l’immobilier qui est souvent incompréhensible pour le commun des mortels. “ Les Mahorais comprennent que passer par une agence immobilière c’est choisir la sécurité. D’autant plus que nous travaillons également avec des professionnels qui louent des entrepôts et des locaux. Ce sont des baux qui les engagent sur une durée importante et il faut que tout soit bien ficelé ”, rappelle-t-il. Razid est conscient que le développement de son entreprise sera semé d’embuches, mais il n’a pas l’intention d’abandonner. “ Être entrepreneur à Mayotte ce n’est vraiment pas évident. Encore aujourd’hui on me demande pourquoi j’ai fait ce choix là. C’est vrai qu’il y a beaucoup de problèmes sur l’île mais en même temps elle se développe à une telle allure ! Et je suis persuadé qu’elle va encore se développer, il faut donc rester optimiste ”, conclut-il rempli d’espoir. Et ce n’est pas la récente crise sanitaire qui lui fera changer d’avis. L’entreprise a bien évidemment été impactée par les mois de confinement, mais Razid et son équipe on su rebondir et s’adapter. “ En tant qu’entrepreneur il n’y a pas de coup dur mais juste des adaptations à faire. La crise nous a permis de mieux développer le digital. On est plus connectés sur les réseaux sociaux et ça marche ”, constate-t-il. Force, courage et détermination ont été ses maîtres mots pendant la crise sanitaire et cela a payé pour Razid Djouma. n
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DOSSIER
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RENTRÉE SCOLAIRE
À METTRE AU PROPRE Si chaque rentrée scolaire à Mayotte s’accompagne de son lot de couacs, celleci ne déroge pas à la règle. Et en fait de couacs, on pourrait parler de défis. Celui de permettre aux élèves de se sentir en sécurité lorsqu’ils prennent le bus - si bus il y a ! Lorsque leur regard devrait se porter sur les livres plutôt qu’à scruter le danger au loin, à chercher un coin pour se mettre à l’abri quand la violence explose. Il y a celui de la santé, aussi. Car protocole allégé ne devrait pas rythmer avec légèreté. Pourtant, nombre d’écoles, à la veille de la rentrée, ne sont toujours pas fournies en savon. Les travaux visant à répondre aux normes sanitaires font aussi régulièrement défaut. Manquait-on de temps ? Pas sûr. Cela nous amène à un autre défi, sans doute le plus important. Celui de rétablir la confiance en l’école. Celui de rendre concrète la formule tant répétée et selon laquelle “ la jeunesse est l’avenir de Mayotte ”. Il faudra peutêtre pour cela revoir la copie. Sortir du brouillon.
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DOSSIER
Grégoire Mérot
TÉMOIGNAGES
“ JE N’IRAI PAS AU LYCÉE POUR LA RENTRÉE, C’EST TROP DANGEREUX ” LA PEUR AU VENTRE. C’EST AINSI QU’ILS DÉCRIVENT LEUR RENTRÉE AU LYCÉE. ET CE NE SONT PAS LES COURS OU LE RYTHME SCOLAIRE QUI TÉTANISENT DE NOMBREUX ÉLÈVES, JUSQU’À LES POUSSER À NE PAS RETOURNER DANS LEURS ÉTABLISSEMENTS AVANT “ DE VOIR COMMENT ÇA SE PASSE ”. C’EST BIEN L’INSÉCURITÉ, LA CRAINTE PERMANENTE DE SE FAIRE AGRESSER QUI LES TIRAILLE. POUR EL AMINE COMME POUR IRI, C’EST BIEN ÇA LA VRAIE MALADIE QUI EMPÊCHE DE SE CONSTRUIRE UN AVENIR SEREINEMENT. “ Je ne suis pas prêt pour retourner au lycée ”, lâche faiblement El Amine. Alors qu’il doit rentrer en première avec l’objectif de devenir “ ingénieur ou informaticien ”, ce jeune de Tsararano ne voit plus son établissement que par le prisme de la violence omniprésente. Il faut dire que son expérience lui donne raison. La voix fébrile, le voilà à raconter comment, en février dernier, il s’est retrouvé avec ses camarades “ prisonnier dans les salles de cours, à attendre de se faire massacrer ”. Ce jour-là, des jeunes venus du village voisin de Dembéni ont débarqué en nombre, en trombe, machettes à la main, stocks de pierre à disposition pour faire pleuvoir leur rage. “ Ils ont réussi à rentrer dans la cour, tout le monde hurlait, c’était horrible ”. El Amine, lui, n’aura pas été meurtri dans sa chair. Mais tout son être au corps frêle tremble encore du traumatisme. Une plaie
qui lui semble inéluctablement amenée à se rouvrir en reprenant le chemin du lycée de Tsararano. “ Ce sera pire cette année, c’est sûr ”, s’inquiète-t-il. “ Déjà lorsqu’on est allé déposer nos dossiers, on se faisait menacer, on nous disait qu’à la rentrée ça allait chauffer et là, depuis quelques jours on voit les jeunes de Dembéni qui s’organisent. Ils se préparent pour la rentrée avec des tas de pierre et des armes pour caillasser les bus ou les élèves ”, poursuit le jeune homme.
“ ON A L’IMPRESSION QUE TOUT LE MONDE S’EN FOUT DE NOUS ” Alors “ non, je n’irai pas au lycée pour la rentrée, c’est trop dangereux. Je vais attendre de voir comment ça se passe et si ça semble un peu sécurisé j’irais ”, explique-t-il, un bambin babillant à ses côtés. “ On est beaucoup comme ça, il y en a même qui sont encore moins prêts
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que moi à y retourner car on sait que ça peut tomber à tout moment. Mais moi, j’ai vraiment envie d’y retourner. C’est mon avenir quand même ! J’ai envie de m’en sortir et de partir d’ici. Après, vu comment ça se passe, j’ai un peu du mal à y croire même si je ne veux pas finir comme tout ceux qui n’ont rien en partant du lycée… ” Silence. Triste constat d’une jeunesse prise entre deux feux. La violence ou l’errance. Lesquelles finissent bien souvent par s’embrasser. Et s’embraser à nouveau. “ On ne peut pas rester comme ça, il faut faire quelque chose sinon ça va être encore de pire en pire alors que c’est déjà l’enfer ”, assène El Amine, visiblement ragaillardi par une colère nourrie par le sentiment d’abandon. La même que partage Iri. “ L’État doit nous permettre d’aller au lycée en sécurité, il sert à quoi sinon ? ”, assène d’emblée quelques kilomètres plus loin le jeune de Kawéni. Lui, doit faire son retour au LPO du même village, en terminale. Durant l’année scolaire précédente, il a participé en tant que délégué de classe à une réunion censée apporter
“ ON NE PEUT PAS RESTER COMME ÇA, IL FAUT FAIRE QUELQUE CHOSE SINON ÇA VA ÊTRE ENCORE DE PIRE EN PIRE ALORS QUE C’EST DÉJÀ L’ENFER ” 15
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“ J’AI DISCUTÉ AVEC BEAUCOUP DE MES CAMARADES ET FRANCHEMENT, ON A TOUS PEUR, IL Y EN A QUI ONT L’IMPRESSION DE RISQUER LEUR VIE ”
des solutions contre la violence quotidienne que subissaient ses camarades dans ce secteur des plus sensibles. Autour de la table, le recteur, le préfet, un représentant du conseil départemental, le directeur de la police nationale et le transporteur scolaire. Là encore, c’était en février. “ On a fait des propositions, ils nous ont promis plein de choses, mais depuis on n’a rien, même pas un pauvre abribus alors qu’on accueille des élèves de toute l’île qui arrivent parfois deux heures avant que le lycée ouvre, en pleine nuit. On a l’impression que tout le monde s’en fout de nous… ”
RENTRÉE SOUS TENSION À KAWÉNI 16•
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“ CE SERA PIRE CETTE ANNÉE, C’EST SÛR ” “ Ça va continuer jusqu’à quand comme ça ? C’est trop triste, à cette rentrée il y a des secondes qui vont arriver avec des espoirs, des projets et en quelques instants ils vont se rendre compte que c’est invivable, que l’on passe tout notre temps à penser à notre sécurité, à où se mettre à l’abri plutôt que de préparer notre avenir. C’est tellement, triste et injuste de voir que personne ne répond à ça ”, se désole l’ancien porte-parole de lycéens. Lundi, Iri ira au lycée, coûte que coûte. Mais il sait déjà qu’il n’y retrouvera pas l’ensemble de ses camarades. “ J’ai discuté avec beaucoup de mes camarades et franchement, on a tous peur, il y en a qui ont l’impression de risquer leur vie ”, assure-t-il. Surtout que cette rentrée s’annonce particulièrement chaude au regard des derniers évènements sanglants qu’a connus le village. Pendant trois jours, des jeunes de Majicavo et de Kawéni se sont affrontés dans une violence inouïe, jusqu’à la mort pour l’un d’eux, aux mutilations pour nombre d’autres. “ Forcément, ça va se répercuter sur le lycée, il va forcément il y avoir des phénomènes de vengeance puisque déjà, on est à Kawéni et qu’il y a des élèves de toute l’île ”, analyse le lycéen. De toute l’île, et de Majicavo donc. “ Ceux-là ne viendront pas, c’est sûr. C’est beaucoup trop risqué pour eux de mettre un pied à Kawéni ”. Et puis il y a tous les autres, ceux qui se lèvent à quatre heures du matin pour attraper leur bus à un coin de l’île. “ Eux aussi ils ont forcément peur parce qu’il y a tout le temps des caillassages de bus et puis une fois arrivé, ils débarquent dans la nuit à Kawéni à la merci des bandes ! ”, s’indigne Iri.
LE RISQUE SANITAIRE FAIT BIEN MOINS PEUR “ Voilà, on en est là et personne ne bouge. Je ne crois plus en ceux qui prennent des décisions, ils ont trop laissé faire tout ça et ça ne fait qu’empirer ”, assène le jeune homme à la coupe afro. Une confiance rompue qui, à elle seule, constitue une source d’inquiétude quant à une rentrée placée sous le signe de la vigilance sanitaire. “ Côté santé, je ne suis pas trop inquiet, l’important, c’est que chacun ait bien conscience de la maladie et se protège au maximum. Après, je ne me fais pas d’illusion, les toilettes resteront dégueulasses, il y aura plein de trucs qui clochent mais bon ça c’est pas très grave, on est habitués. En revanche, le vrai souci c’est comment vont réagir ceux qui sont au-dessus
“ L’INSÉCURITÉ, LA VIOLENCE, C’EST ÇA LA VRAIE MALADIE ” si ça repart à cause de la rentrée… Là, ça m’inquiète et je suis pas sûr qu’ils soient prêts vu comment tout s’est passé depuis le début de la crise ”, développe Iri, visiblement pas avare de critiques envers les autorités. Pour El Amine non plus, le sujet principal de préoccupation n’est pas là. “ Ça va, ce sera peut-être un peu bizarre puisqu’on devra porter des masques et tout mais c’est ni vraiment dérangeant, ni vraiment inquiétant ”, considère-t-il. Car pour les deux lycéens, l’inquiétude est ailleurs que dans le Covid. “ L’insécurité, la violence, c’est ça la vraie maladie, c’est ça qui nous met en danger et se répand beaucoup trop ”, lance Iri de son côté. De Tsararano à Kawéni, la même peur, les mêmes espoirs déçus. Égalité des malchances. n
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DOSSIER
Constance Daire
DISPOSITIFS DE SÉCURITÉ
UN CHEMIN D’ÉCOLE SEMÉ DE PIERRES
C’EST UNE RENTRÉE QUI S’ANNONCE TENDUE CETTE ANNÉE, DANS LE CONTEXTE DE CRISE SANITAIRE ET DU REGAIN DES VIOLENCES QUE CONNAÎT L’ÎLE DEPUIS PLUSIEURS SEMAINES. ET À UN WEEKEND SEULEMENT DU JOUR J, DES ZONES D’OMBRE SUBSISTENT TOUJOURS QUANT AUX DISPOSITIFS DE SÉCURITÉ À METTRE EN PLACE.
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“Vous savez, la rentrée, c’est un événement un peu particulier ici à Mayotte. C’est un peu moins ‘‘famille’” qu’en métropole”, s’avance, hésitant, le lieutenant-colonel François Bisquert. Il ne saurait pourtant pas si bien dire. Surtout cette année, où les élèves vont reprendre le chemin de l’école, lundi, sur les cendres encore fumantes des tragiques événements du weekend dernier. Pendant trois jours, des bandes rivales de Majicavo et Kawéni se sont affrontées à coups de chombos dans la fumée de pneus incendiés, faisant un mort et quatre blessés graves. Et c’est sur les effluves de ce parfum “particulier” que cette rentrée va donc devoir se tenir, alors que, confinement oblige, personnels comme écoliers n’ont pour la plupart pas remis les pieds dans les établissements depuis la mi-mars. Alors forcément, les préparatifs vont bon train côté institutions. Le hic ? Rien n’est vraiment arrêté. Des réunions devaient se tenir toute la semaine entre la préfecture, le rectorat, la police et la gendarmerie. Objectif : définir les dispositifs de sécurité à mettre en place. “Nous, nous avons nos idées mais nous devons les soumettre. Cette réunion est là pour ça”, se contente de répondre le chef d’escadron de la gendarmerie. Même son de cloche du côté de Sébastien Halm, le fraîchement débarqué chef du service territorial de sécurité publique de la DTPN, commissaire à Mamoudzou. “Voyez avec la préfecture”, semble être devenu le mot d’ordre, tandis que le préfet, censé donc chapeauter ce travail d’orfèvre, n’atterrit que ce weekend sur le territoire. “Ce n’est pas que nous ne souhaitons pas communiquer, c’est juste que nous n’avons pas encore tous les éléments”, insiste en son absence l’institution. Qui précise quand même que “la rentrée à Mayotte fait toujours l’objet d’importants dispositifs, et il n’y a aucune raison que ces moyens soient en deçà des années précédentes”.
MANQUE D’EFFECTIFS Rassurés ? Du côté des forces de l’ordre, pas vraiment. “Nous appréhendons bien sûr cette rentrée, car nous ne savons pas encore exactement quelle présence policière va être demandée”, souligne Bacar Attoumani, le délégué départemental chez Alliance Police. “Et nous sommes très inquiets par cette montée des violences entre bandes avec usage d’arme -une nouveauté- l’absence de lisibilité sur l’actualité à venir et les mouvements sociaux en période de Covid. Comment tout faire avec peu d’effectifs ?”, interroge-t-il. Un point qu’il n’est pas le seul à souligner. En réaction aux violences du weekend dernier, le député Mansour Kamardine pointait lui aussi le manque d’agents, qu’il estimait à 500 fonctionnaires. À ajouter donc aux quelques 650 policiers
de la Direction territoriale de la police Nationale (DTPN) et 500 gendarmes. Certes, des renforts sont bien censés arriver. Un premier contingent d’une cinquantaine d’agents doit débarquer en septembre. “Mais nous savons bien que l’essentiel va aller à la lutte contre l’immigration clandestine. Rien pour la sécurité publique”, s’agace Aldric Jamey. Et une vingtaine de forces de l’ordre doivent en plus quitter le territoire.
UNE RENTRÉE CHARGÉE Or, les missions qui incombent aux policiers ne font que se multiplier. Surtout en cette période de rentrée, où les directeurs demandent des agents pour sécuriser les abords des établissements scolaires. “Déjà, on nous demande de faire le boulot de la LIC, ça nous prend deux trois heures par journée. Si on ajoute à ça la mission des écoles, où il faut être là dès le matin vers 6h, puis à nouveau à la sortie des classes…”, dénonce encore le gardien de la paix. Or, si, comme le laisse entendre la préfecture, le dispositif de la rentrée cette année sera au moins le même que celui des années précédentes, il y a peu de chance que ses revendications soient entendues. “En effet, nous avons toujours appréhendé la rentrée avec des effectifs conséquents, positionnés très tôt sur tous les points chauds aux abords des lycées, et potentiellement des escortes pour les bus, notamment sur la ligne Longoni - Majicavo qui passe par Koungou”, confirme le lieutenant-colonel François Bisquert. Seule adaptation actuellement envisagée, au vu du climat tendu de cette rentrée : “nous faire déplacer l’horaire pour finir à 22h plutôt que 21h15”, explique Aldric Jamey. Une façon de venir renforcer les effectifs de nuit, quand les violences sont plus susceptibles d’éclater.
39 EMS POUR LE RECTORAT Enfin, en complément, il y a bien les équipes mobiles de sécurité (EMS), qui dépendent elles du rectorat. Mais là aussi, les effectifs sont plutôt maigres. En tout, une quarantaine d’agents qui doivent se dispatcher sur 33 établissements. “J’ai fait la demande pour six personnes supplémentaires en avril-mai, mais j’attends encore une réponse qui dépend du budget ministériel”, affirme François Fenouillet, le coordinateur du dispositif. Le responsable espère bien renforcer la zone Kawéni-Koungou, et aussi protéger le nouveau collège de Bouéni. Surtout au regard des récents événements. Aujourd’hui, ils tournent en moyenne à deux EMS par établissement. Et ce ne sont pas leurs bâtons télescopiques, qu’ils sont officiellement autorisés à porter depuis le 7 avril, qui suffiront à les protéger des jets de pierre… n
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Raïnat Aliloiffa
RENTRÉE 2020
DES EXIGENCES, DES DOUTES ET BEAUCOUP DE PROMESSES LA RENTRÉE DE CETTE ANNÉE SERA MÉTICULEUSEMENT SURVEILLÉE PAR LES PROFESSEURS ET LES PARENTS D’ÉLÈVES, COVID-19 OBLIGE. LE RECTORAT DE MAYOTTE AINSI QUE LES COMMUNES SONT MISES AU DÉFI DE RENDRE UNE COPIE SANS FAUTES. LE RESPECT DES GESTES BARRIÈRES ET LA SÉCURITÉ DE TOUS SONT LES PRINCIPALES REVENDICATIONS DES SYNDICATS DES ENSEIGNANTS ET LES ASSOCIATIONS DES PARENTS D’ÉLÈVES. DE SON CÔTÉ LE RECTORAT SE DIT ÊTRE PRÊT, MAIS JUSQU’À QUEL POINT ? ELÉMENTS DE RÉPONSE. Les vacances sont finies, les élèves et les professeurs sont à nouveau appelés à occuper les bancs des écoles pour les uns et leurs bureaux pour les autres. Après plus de trois mois de cours en ligne, parsemés de quelques cours en présentiel pour certains, tous sont ravis de retrouver leurs établissements, leurs camarades et leurs collègues. Ils reprennent un rythme normal mais leur quotidien ne sera plus pareil, du moins sur le papier. Les établissements devront s’assurer du total respect des gestes barrières, dans le cadre du nouveau protocole sanitaire qui a été allégé. Certaines règles ne sont plus obligatoires sur l’ensemble du territoire national. Une décision vivement critiquée par les syndicats des enseignants. “ En revoyant les mesures de prévention à la baisse, le nouveau protocole sanitaire engage le risque de voir l’école contribuer à la relance épidémique et donc d’impacter à terme la possibilité d’accueillir les élèves en présentiel, au lieu d’organiser cet accueil de manière sécurisée, durable et pérenne ”, s’alarme la CGT Educ’Action. Les professionnels redoutent la précipitation d’une deuxième vague à la rentrée et
par conséquent la fermeture des écoles à l’exemple de la Polynésie et de La Réunion. Dans ces deux territoires, de nombreuses écoles ont à nouveau fermé leurs portes suite à la multiplication de cas Covid-19 dans les établissements depuis la rentrée.
DISTANCIATION PHYSIQUE NON OBLIGATOIRE Dans ce nouveau protocole sanitaire allégé de l’éducation nationale la distanciation physique n’est plus obligatoire dans les espaces clos “ lorsqu’elle n’est pas matériellement possible ou qu’elle ne permet pas d’accueillir la totalité des élèves ”, peut-on y lire. Une mesure qui sauve en quelque sorte les établissements en sureffectif comme ceux de Mayotte. Si la distance d’un mètre était exigée, ils auraient été dans l’incapacité d’accueillir tous les élèves tant ils sont surchargés. Parallèlement, il n’est plus nécessaire de limiter le brassage des enfants. Les groupes de 10 à 15 élèves par classe organisés pendant la reprise disparaissent donc chez nous puisque l’équation de la population scolaire et le nombre d’écoles ne le permet pas.
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PORT DU MASQUE EXIGÉ DANS CERTAINES CONDITIONS Professeurs et élèves (à partir de 11 ans) devront porter un masque lorsque la distanciation physique ne peut être respectée. Ce qui sera le cas à Mayotte. Les élèves de maternelle et primaire sont épargnés, mais les collégiens et lycéens n’y échapperont pas, au même titre que leurs professeurs s’ils ne peuvent garder une distance d’un mètre. Une mesure qui laisse dubitatif Henri Nouiri, le responsable départemental du SNES-FSU, syndicat des enseignants du second degré. “ On sait très bien que le port du masque pour les enseignants n’est pas évident parce qu’ils doivent parler et avec un masque il y a des sons qui ne passent pas, il y a des problèmes d’écoute. De plus, les élèves sont par nature timides et ne participent pas beaucoup, avec le masque ils ne vont pas du tout parler. ” Le syndicaliste craint “ qu’il n’y ait probablement pas de port de masque dans les classes à cause de cela. ” À cela s’ajoute le problème de la gestion du masque. Les établissements en auront en réserve et les élèves pourront en bénéficier s’ils n’en disposent pas mais le recteur “ demande aux parents de veiller à ce que leurs enfants partent de chez eux avec un masque. ” En réalité, la réserve de masques ne serait pas suffisante selon Haïdar Attoumani Said, le co président de la FCPE, association des parents d’élèves : “ On nous dit que le rectorat et la préfecture ont livré des masques mais il n’y en a pas assez pour un mois, encore moins pour une année. ” D’où la nécessité d’avoir des masques en tissu, mais encore faudrait-il savoir bien les entretenir pour qu’ils soient efficaces. “ Les élèves ne pourront gérer les masques en tissu car il faut les laver et les sécher en machine pour qu’ils soient efficaces. Tous n’en n’ont pas chez eux. Mais les masques jetables sont chers, et tous les élèves ne pourront pas se les procurer. Donc pour maintenir la démocratisation il faut fournir deux masques jetables par jour à chaque élève ”, indique Henri Nouiri.
PERSONNEL SUFFISANT ? Pour cette rentrée 2020, le recteur de Mayotte, Gilles Halbout, se réjouit de l’embauche de 150 enseignants pour le primaire et le secondaire sur l’île. “ Ils vont renforcer notre dispositif pour accueillir nos élèves notamment dans les lycées où il y avait beaucoup d’élèves qui ne trouvaient pas de places adaptées ”, explique-
“ QUELQUES SOIENT LES AJUSTEMENTS PROPOSÉS PAR LE RECTORAT, LES MOYENS RESTENT INSUFFISANTS ” t-il. Une nouvelle rapidement relativisée par les principaux concernés qui voient au-delà de la partie immergée de l’iceberg. “ 150 postes en plus ce n’est pas grand-chose quand on sait la masse d’élèves qu’il y a à Mayotte ”, indique le responsable départemental du SNES-FSU. Mayotte compte plus de 100 000 élèves et même si de nouveaux professeurs arrivent, beaucoup partent également à l’exemple de ceux du lycée Mamoudzou Nord. “ Le proviseur de cet établissement m’a affirmé qu’à une semaine de la rentrée une dizaine de personnes de son équipe pédagogique aurait désisté à la dernière minute. Si c’est comme cela là-bas cela veut dire qu’ailleurs c’est pareil ”, raconte le président de la FCPE.
DES TRAVAUX ENTAMÉS MAIS PAS FINIS Un cabinet d’architecte a été mandaté par le rectorat au début des vacances pour aider les écoles à faire le bilan des travaux nécessaires. Des travaux qui sont censés leur permettre de respecter les gestes barrières. Mais à quelques jours de la rentrée, tout n’est pas au point. Gilles Halbout le confirme : “ il se peut qu’au jour de la rentrée les travaux ne soient pas complètement finis. Il y aura peut-être des écoles qui ouvriront avec quelques jours de retard mais c’est comme ça chaque année. ” Les petits travaux consistent majoritairement à implanter des points d’eau dans les établissements qui n’en n’ont pas et remettre aux normes les sanitaires souvent dégradés. Mais cela n’est pas suffisant pour les professeurs et parents d’élèves. Ils réclament la construction de nouvelles salles de classes afin d’alléger celles déjà existantes. L’association des parents d’élèves dénonce une politique à demi-mesure et injuste. “ Il y a eu des promesses de rénovations dans les établissements. Certains
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“ IL Y AURA PEUTÊTRE DES ÉCOLES QUI OUVRIRONT AVEC QUELQUES JOURS DE RETARD MAIS C’EST COMME ÇA CHAQUE ANNÉE ”
ont été privilégiés et les rénovations ont rapidement été réalisées alors que d’autres ont du retard et sont beaucoup plus dans le besoin, à l’exemple du lycée Mamoudzou Nord, la Cité du nord, le collège de M’tsangamouji, ou encore le lycée Tani Malandi de Chirongui, pour ne citer qu’eux. Tant qu’on ne prend pas les choses au sérieux et qu’on ne respecte pas les engagements pris on ne pourra pas résoudre le problème de sureffectif ”, dénonce Haïdar Attoumani Said. Selon ce dernier, les privilégiés seraient le lycée Younoussa Bamana, le collège K2 et les établissements de Petite-Terre. De son côté, le recteur affirme que les plus gros travaux finiront d’ici deux mois.
ASSURER LA SÉCURITÉ : UN ENJEU CRUCIAL POUR ÉVITER LE DRAME La crise du Covid-19 n’arrange en rien les problèmes de sécurité, bien au contraire. Cela a déjà été constaté dans l’hexagone,
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“ ON NOUS DIT QU’À MAYOTTE TOUT EST RÉUNI POUR ASSURER LA RENTRÉE… Y CROIRE C’EST MARCHER SUR LA TÊTE ! ”
suffisants et les effectifs par classe trop chargés ”, souligne la CGT Educ’Action. Même son de cloche du côté du SNUIpp-FSU, syndicat des enseignants du premier degré. Ils souhaitent reprendre les cours mais estiment que les mesures prises ne les protègent pas assez. “ Le recteur dit que les conditions seront réunies, on ne demande qu’à y croire, mais on a de gros doutes parce que l’on connait les capacités des communes à relever les défis. On nous dit qu’à Mayotte, là où le virus circule encore activement tout est réuni pour assurer la rentrée… Y croire c’est marcher sur la tête ! ” Selon Anssifoudine Port Said, secrétaire départemental adjoint du SNUIppFSU. Ce dernier indique que si les règles d’hygiène et de sécurité ne sont pas respectées dès la rentrée, ils exerceront leur droit de retrait. Cette rentrée 2020 exceptionnelle engendre beaucoup de doutes mais une chose est sûre, elle a en face d’elle un jury très exigeant qui ne permettra pas le droit à l’erreur. Arrivera-t-elle à passer cette épreuve avec succès ? Réponses dans quelques jours. n
faire respecter l’obligation de port du masque peut être source de violence. Un chauffeur de bus y a d’ailleurs laissé sa vie. Les différents syndicats redoutent que des actes similaires se produisent à Mayotte à la rentrée, ajoutant au climat particulièrement tendu qui règne en ce moment sur le territoire. Après plusieurs jours de tensions à Majicavo et à Kaweni les parents d’élèves s’attendent au pire pour la rentrée. De ce fait, ils demandent à la préfecture et au rectorat de mobiliser leurs troupes pour assurer la sécurité de tous. “ Sur la zone de Kangani jusqu’à Mamoudzou les bus sont fréquemment caillassés, les chauffeurs sont agressés. Il faut donc qu’il y ait une vigilance très particulière sur ce circuit quitte à mettre des gendarmes et policiers ”, déclare le co-président de la FCPE. Une rencontre entre le recteur et le commandant de la gendarmerie est prévue pour mettre au point la politique de sécurité. En attendant, les équipes mobiles de sécurité (EMS) de l’éducation nationale seront renforcées aux abords des établissements et elles seront munies de matraques. “ C’est un peu limite pour l’éducation nationale. Nous ne sommes pas les forces de l’ordre ”, fait remarquer le responsable du SNES-FSU.
Même si le recteur de Mayotte martèle que les établissements scolaires sont prêts pour la rentrée, les syndicats et associations ont encore beaucoup de doutes et restent sur leur garde. “ Quelques soient les ajustements proposés par le rectorat, les moyens restent in-
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Solène Peillard
REPORTAGE
À M’GOMBANI LA BONNE ÉLÈVE, UNE BULLE POUR LE SAVON JEUDI, JOUR DE PRÉ-RENTRÉE POUR LES ENSEIGNANTS DU PREMIER DEGRÉ. À MAMOUDZOU, TOUS LES PERSONNELS S'AFFAIRENT DANS LES ÉTABLISSEMENTS, FERMÉS DEPUIS PLUSIEURS MOIS. POINTS D'EAU, SAVONS, NETTOYAGE DES LOCAUX, TOUT EST PASSÉ AU CRIBLE AVANT LE RETOUR DES ÉLÈVES, PRÉVU QUATRE JOURS PLUS TARD. PENDANT QUE LES PREMIERS COUACS APPARAISSENT, LA MUNICIPALITÉ, ELLE, PROMET TRAVAILLER À PIED D'ŒUVRE.
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"Putain, mais c'est le bordel !" Entre les petites tables d'écolier au bois noir et usé, Zakia*, les mains vissées sur ses hanches, balaie la pièce du regard en avançant doucement. Puis, l'institutrice s'arrête, baisse la tête vers le sol. "C'est pas possible, il y a de la poussière de partout !" Voilà plus de deux mois qu'elle n'était plus venue dans sa salle de classe. Après les premières mesures de déconfinement, l'école primaire de M'gombani était l'une des trois du chef-lieu à avoir rouvert ses portes en juin, pour deux semaines de cours symboliques, avant la fin du cycle scolaire. Déjà, l'établissement faisait office de bon élève, et a été au cours de la crise le premier de Mamoudzou à être mis à niveau vis-à-vis des mesures sanitaires. Jeudi matin, à quatre jours de la rentrée des classes, tous les enseignants découvraient les nouveaux aménagements. De l'autre côté de la grille qui scinde la cour en deux, une dizaine de professeurs sont eux aussi venus faire leur pré-rentrée, cette fois au sein de l'école maternelle.
"Je le sens pas trop, on manque de lavabos, non ?", interroge un enseignant. "C'était déjà pas terrible avant le Covid, mais bon… C'est comme ça dans beaucoup d'écoles." Il se tait quelques secondes et pointe du doigt, à quelques enjambées de là, les locaux de l'école élémentaire. "Par contre là-bas, ils ont tout bien fait !" "Tiens, ils ont rajouté trois robinets près des toilettes", observe Anrafati, institutrice, assise dans le hall. "Mais bon, ça ne règle pas le problème des toilettes." Selon le code du Travail, chaque école élémentaire doit compter un cabinet et un urinoir pour 10 garçons, contre deux cabinets pour 20 filles pour offrir aux enfants des conditions d'hygiène optimales. Mais les près de 400 élèves scolarisés à M'Gombani doivent se partager six sanitaires. "Ça a toujours été un problème au niveau de cette école", reconnaît sans détour Charles Zier, directeur des lieux depuis six ans. Pourtant, son établissement est loin d'être le plus mal loti du département. "Vous voyez le chantier d'extension au fond de la cour ? Il y a déjà des sanitaires
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qui y sont posés depuis plusieurs années." Mais un conflit entre le cabinet d'architecte et le maître d'ouvrage, en l'occurrence, la municipalité de Mamoudzou elle-même, a entraîné la suspension du chantier. Et les nouveaux locaux sont, en l'état, inutilisables et interdits d'accès.
UN VRAI CHANTIER Aux pieds des grilles qui ceinturent le chantier, des boules de papier, des bouteilles en plastique, des emballages. "Il faut vraiment que la mairie envoie les agents de nettoyage avant la rentrée", admet encore Charles Zier. En effet, car si le protocole sanitaire a été largement assoupli par le ministère de l'Éducation nationale, celui-
ci impose tout de même une désinfection quotidienne des locaux. "Si l'école n'est toujours pas nettoyée lundi, moi je ne viendrais pas travailler !", martèle la maîtresse d'une classe de CP venue chercher sa fiche de renseignements. Mais à la veille du dernier week-end des grandes vacances, tout n'est pas encore finalisé. Pourtant la Ville, elle, reste sereine. Mercredi, Inayatie Kassim, adjointe municipale en charge de l'excellence éducative et des affaires scolaires, assurait que les trois quarts des opérations de réhabilitation avaient déjà été réalisés à Mamoudzou. Seule l'école de Doujani a ainsi dû repousser la date de la rentrée d'une semaine, "suite à l'occupation illégale de ses
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locaux", qui ont connu "d'importantes dégradations", en sus de vol de matériel. Autre chantier conséquent, celui des écoles de Cavani 1 et 2 sera "terminé au fur et à mesure", mais a priori, sans perturber le retour en classe. Un scénario qui ne se jouera pas dans toutes les communes, puisque l'école de M'tsangamouji 4
et la maternelle du centre sont encore en cours de rénovation, et ne rouvriront, elles aussi que le 31 août. Sur le plan sanitaire, les points d'eaux, centraux dans le respect des gestes barrières en milieu scolaire depuis l'assouplissement des gestes barrières, ont presque tous été installés, comme préconisé par l'ARS. Ainsi, moins d'une semaine avant la rentrée, "70 % des bornes" étaient déjà opérationnelles. Qui des 30 % restants ? "Nous travaillons à pied d'œuvre", promet Inayatie Kassim. "Le calendrier des travaux n'est pas encore terminé. Tout est fait pour que le reste soit finalisé d'ici lundi pour que tous les élèves puissent se laver les mains avec du savon." Pourtant, lors de la pré-rentrée des enseignants à M'Gombani, un détail n'échappe à personne : au bord des lavabos flambant neufs qui ornent désormais le préau, les flacons de nettoyants ont tous disparu. "En juin, pour la réouverture, ils avaient mis des flacons en verre", se souvient l'une des maîtresses qui avait alors repris le travail. Une intention un peu trop délicate, puisque toutes les bouteilles n'ont pas tardé à être cassées… Mais pas remplacées. "La mairie devrait nous livrer, ça ne m'inquiète pas vraiment", sourit Charles Zier. "S'il faut, je pourrais en ramener moi !" Dans le même temps, le directeur d'une école primaire de Kawéni promettait, après avoir découvert que les locaux n'avaient jamais été nettoyés depuis mars, que son établissement resterait fermé pour la rentrée si la municipalité n'avait pas distribué de savon à temps. n *Les prénoms ont été modifiés.
CONFIANTS, MAIS CONSCIENTS "Quand on a rouvert après le confinement, j'ai vraiment eu peur de retourner en classe", se souvient Faissa*. L'institutrice est la plus ancienne de l'école de M'Gombani, où elle enseigne depuis que l'établissement est sorti de terre, en 1997. Mijuin, lorsque les écoles correctement aménagées sont autorisées à rouvrir pour une poignée d'enfants et sur la base du volontariat, elle refuse de retrouver sa salle de classe. "Ma mère est âgée, elle a des problèmes de santé alors je vivais avec elle, et je ne voulais surtout pas sortir par peur de la contaminer." Pourtant à présent, lorsqu'elle songe à la rentrée, aux élèves qu'elle s'apprête à retrouver après cinq mois d'absence, un sourire se devine sous le masque immaculé soigneusement tendu sur son nez. "Je sais que le virus est encore là, mais depuis que le ministère a adoucit les mesures, je suis rassurée parce qu'ils ne prendraient pas le risque de nous mettre en danger, les élèves et nous." Derrière son bureau, le directeur de l'école, Charles Zier, semble lui aussi confiant : "Je crois que tout le monde est heureux de revenir à l'école. Nous, on est confiants, mais ça n'aurait pas été le cas si nous n'avions pas rouvert dès juin. Les choses ont été bien anticipées par le rectorat et la commune, du moins pour notre école." Deux mois plus tôt, tous les personnels de l'établissement étaient formés aux gestes barrières, dont certains ne sont depuis plus obligatoires. Demeure toutefois le port du masque en tissu, a minima, obligatoire pour tous les personnels, et pour les enfants de plus de 11 ans uniquement. Si les professeurs s'en verront distribuer deux par personne par la direction, les quelques élèves concernés à M'Gombani devront s'équiper eux-mêmes, bien que l'équipe pédagogique ait déjà prévu un stock à utiliser en cas d'urgence. "Je trouve que c'est important, car certains élèves vivent dans des conditions très difficiles, surtout au niveau de l'hygiène. C'est eux les plus exposés, et c'est aussi notre rôle de les protéger", glisse Faïssa. Tout sera-t-il effectivement mis en œuvre pour la sécurité des élèves ? Les prochains jours ne devraient pas tarder à le révéler.
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Solène Peillard
TRANSPORT SCOLAIRE
LES CHAUFFEURS COUPENT LE MOTEUR
LA SITUATION EST AU POINT MORT. DEPUIS PLUSIEURS SEMAINES, LES CHAUFFEURS DE BUS DE LA SOCIÉTÉ MATIS MENACENT DE NE PAS CIRCULER LE JOUR DE LA RENTRÉE S’ILS NE PARVIENNENT PAS À NÉGOCIER AVEC LE CONSEIL DÉPARTEMENTAL. EN CAUSE, LA MODIFICATION D’UNE CLAUSE QUI JUSQU’ALORS, ASSURAIT AUX EMPLOYÉS DE LA SOCIÉTÉ DE SAUVER LEURS EMPLOIS ET LEURS AVANTAGES DANS LE CAS D’UN CHANGEMENT DE DÉLÉGATAIRE DU TRANSPORT PUBLIC. APRÈS UNE RÉUNION EN URGENCE, COLLECTIVITÉ ET SYNDICAT N’ONT PAS RÉUSSI À TROUVER DE TERRAIN D’ENTENTE, À SEULEMENT QUATRE JOURS DE LA RENTRÉE.
Mercredi 19 août. La rentrée scolaire n'est plus que dans cinq jours. Comme beaucoup d'autres, Anli Djoumoi Siaka compte les heures avant le retour en classe. Il n'est ni enseignant, ni élèves, et pourtant, il occupe un rôle central. Siaka est l'un des chauffeurs de bus de la société Matis. Mais ni lui, ni ses 80 collègues n’assureront le ramassage des étudiants pour la reprise des cours. Mijuillet, tous déposaient un préavis de grève illimité, qui a pris effet dès le 18 août. Date à laquelle les salles de classes étaient encore vides, mais soigneusement choisie pour laisser au Conseil départemental le temps de réagir. La collectivité s’est finalement exécutée à quelques jours de la rentrée. En vain. Il est 13 heures. L'écran du téléphone de Siaka s'allume. À l'autre bout de la ligne du secrétaire départemental de FO Transport, un élu de la collectivité lui annonce que les représentants syndicaux seront reçus le lendemain. L'appel lancé par les chauffeurs semble enfin avoir été entendu après des semaines de mutisme. Siaka, lui, n'avait pas mâché ses mots : "Si le Conseil départemental ne bouge pas, il n'y aura pas de bus pour la
rentrée" avait-il promis au début du mois. Et l'enjeu est de taille. À Mayotte, 25 000 jeunes prennent le bus chaque jour. Soit un élève sur deux dans le secondaire. À l'origine de la gronde des employés, ni revendication salariale, ni contentieux avec la direction. Seulement la volonté d'assurer la pérennité des 80 emplois de chauffeurs, et avec elle, celle de leurs avantages, acquis depuis 2010, année où le Conseil départemental déléguait à Matis la mission de service public du transport scolaire. Jusqu'alors, une clause du contrat passé entre l'entreprise réunionnaise et la collectivité stipulait qu'en cas de changement de délégataire, le transfert des employés de Matis vers la société retenue serait automatique, et garantirait le maintien de tous les acquis accordés par l'ancien transporteur, comme le treizième mois ou la prime d'ancienneté. Une modalité renouvelée à deux reprises, en 2018 et 2019, par des avenants conclus pour prolonger la délégation. Pourtant, lorsque Départemental lance il y a quelques semaines un appel d'offres de marché public de transports scolaires à saisir pour 2021,
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« ILS SE FOUTENT DE NOTRE GUEULE », la clause est modifiée. Le transfert des employés de Matis devient dès lors possible, mais plus obligatoire. Et tous leurs avantages, qui représentent un lourd coût pour les potentiels futurs exploitants, peuvent être supprimés. C’est la douche froide. D'un point de vue légal, la reprise des salariés de l'ancien délégataire vers le nouveau n'est pas obligatoire, mais elle demeure "très largement coutumière dans le domaine du transport, y compris en métropole", témoigne la Dieccte. "Il y a une convention collective dans le transport, à laquelle les salariés à Mayotte font référence puisque les employeurs en appliquent certaines dispositions, mais pas d'autres. Tant que la convention collective n'a pas élargi son champ à Mayotte, elle n'y est pas obligatoire. Suivant la façon dont le marché est rédigé, le code du travail va s'appliquer ou pas. D'où l'intérêt d'une rédaction qui fait référence directement à l'article L1224-1 (qui encadre le transfert automatique des salariés, ndlr) au lieu d'une disposition évasive », développe l’administration. Courant juillet, des négociations avaient été entamées pour que la clause de reprise réapparaisse sur l'offre de marché public. Mais vacances obligent, les discussions ont dû être suspendues jusqu'en septembre… Avant
que la collectivité, à une poignée de jours de la rentrée, décide d'entamer les négociations avec les chauffeurs de bus, auxquels s’étaient ralliés le Medef et la direction de Matis. Mais le jour J, rien ne se passe comme Siaka l’aurait espéré. Aucun accord n’est trouvé et la grève est maintenue : il n’y aura pas de bus pour la rentrée. « Ils se foutent de notre gueule », martèle le syndicaliste tout juste sorti de l’hémicycle. « On tient à trouver une solution à l’amiable, mais ils ne nous ont rien proposé, nous n’avons aucune garantie. Maintenant, c’est le tribunal qui tranchera. » Le lendemain, Siaka et l’avocat de Mattis devaient comparaître devant le tribunal administratif, saisi par la direction même de l’entreprise. De quoi expliquer, peut-être, l’intérêt soudain du Conseil départemental, et le choix de la date de la rencontre, survenue à la veille du référé... En attendant que la juridiction ne se prononce, la collectivité assure que « la question de la reprise des emplois fait bien partie des critères de jugement des offres du futur marché ». Mais tant que cela n’apparaîtra pas explicitement dans l’appel d’offres, les chauffeurs de bus ont promis qu’ils ne reprendraient pas la route, quitte à ce que la grève dure plusieurs mois. « Pour l'heure, la signature d'une convention de gestion pourrait permettre de disposer des transports nécessaires à la rentrée à venir », espérait encore la collectivité jeudi soir, à l’heure où nous écrivions ces lignes. Seule certitude ; aucune opération escargot n’est à ce stade envisagée. Fin 2018, les salariés grévistes de Matis avaient bloqué les voies d'accès routier au Département suite à la réorganisation du marché du transport scolaire, entraînant le basculement d'employés de Matis vers une autre société. Une contestation qui avait permis la réouverture des négociations... Et même de trouver un terrain d’entente. n
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MAGAZINE D’INFORMATION NUMÉRIQUE HEBDOMADAIRE Edité par la SARL Somapresse au capital de 20 000 euros 7, rue Salamani Cavani M’tsapéré BP 60 - 97600 Mamoudzou Tél. : 0269 61 20 04 contact@mayottehebdo.com Directeur de la publication Laurent Canavate canavate.laurent@mayottehebdo.com Directeur de la rédaction Mohamed El Mounir dit “Soldat” 0639 69 13 38 soldat@mayottehebdo.com Rédacteur en chef Grégoire Mérot
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Couverture :
Rentrée 2020/2021, des hauts, mais surtout des bas...
Journalistes Romain Guille Solène Peillard Raïnat Aliloiffa Constance Daire Direction artistique Franco di Sangro Graphistes/Maquettistes Olivier Baron, Franco di Sangro Commerciaux Cédric Denaud, Murielle Turlan Thomas Lévy Comptabilité Catherine Chiggiato compta@mayottehebdo.com Secretariat Annabelle Mohamadi Première parution Vendredi 31 mars 2000 ISSN : 1288 - 1716 RCS : n° 9757/2000 N° de Siret : 024 061 970 000 18 N°CPPAP : 0121 I 92960 Site internet www.mayottehebdo.com