Mayotte Hebdo n°926

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MAYOTTE HEBDO • 1/2 PAGE FU • 190 x 130 mm • Visuel:LE CASSE DU SIECLE C EST CE WE • Parution=04/sept./2020 • Remise le=28/août/2020 • Repasses 11/09/2020

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LE MOT DE LA RÉDACTION

UNE PIERRE BLANCHE POUR LE PROGRÈS SOCIAL Ce qu’il en aura coûté pour voir “ une première historique ” prendre pied à Mayotte ! Car c’est ainsi que le préfet a qualifié l’accord trouvé entre les chauffeurs grévistes, les organisations patronales et le conseil départemental avec l’application d’une convention collective nationale sur le territoire. Fautil rappeler que Mayotte est département ? Rappelons surtout que ce n’est qu’après des affrontements d’une violence inouïe que cette “ convergence sociale ” a pu se dessiner dans la fumée des barrages et des gaz lacrymogènes. Rappelons aussi que ce sont les élèves, parfois accompagnés, qui ont mené la fronde. Qui ont fait gronder l’île au bébé volcan. Qui ont donc attisé le feu de l’insécurité. On est loin, bien loin de la rhétorique xénophobe empruntée avec de gros sabots en début de semaine par un représentant de l’État - pour mieux cacher la faillite de ce dernier à Mayotte. Les policiers eux-mêmes en attestent : c’est avant tout parce qu’ils ont dû abandonner le terrain faute d’effectifs que la délinquance a pu gagner ce même terrain. Laquelle délinquance est, on le sait depuis que la terre est terre, nourrie par la misère et non fonction d’une identité. De quoi motiver la marche vers le progrès social ? On n’oubliera pas de remercier les élèves pour l’avoir mise en branle. Mais à quel prix… Quoiqu’il en soit le chemin a été montré et et ils seront nombreux à vouloir l’emprunter avec les chauffeurs. Alors, attachez vos ceintures ! Grégoire Mérot

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VENDREDI 28 AOÛT

FLASHBACK

Retour sur les sujets de Une des Flashs Infos de la semaine

TOURISME - 65 500 TOURISTES SUR L’ÎLE EN 2019

En 2019, Mayotte a connu un rebond historique de sa fréquentation touristique. Toutefois, le profil de ces “ touristes ”, ou plutôt visiteurs évolue peu. Ainsi 65 % de ces voyageurs viennent visiter proches ou amis, c’est le tourisme affinitaire, et trois quarts d’entre eux déclarent être originaires de l’île. Le tourisme d’agrément progresse toutefois (+8%) pour former la part de 17% des visiteurs. Le reste étant constitué du tourisme d’affaire (14%, +8%). De bons chiffres donc, après une année 2018 marquée par les mouvements sociaux… Mais avant une année 2020 marquée par la crise sanitaire.

LUNDI 31 AOÛT

MATÉRIEL MÉDICAL LE CADEAU DU COLLECTIF

Le Collectif des Citoyens de Mayotte a réussi après de longs mois de préparation, à acheminer des protections pour les professionnels libéraux de l’île, eux aussi en première ligne face à la Covid-19. “Il est très important et très utile pour nous d’avoir ce matériel supplémentaire pour anticiper sur nos besoins futurs, même si l’épidémie est en baisse”, s’est félicité auprès de Flash Infos Eric Roussel, le secrétaire général de l’URPS, qui ne se rappelle que trop bien des difficultés rencontrées pendant le confinement pour s’approvisionner en protections de base.

Pour tous vos communiqués et informations

Une seule adresse : rédaction@mayottehebdo.com

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FLASHBACK

MARDI 1ER SEPTEMBRE

JUSTICE - DES NOMINATIONS À FORTS ENJEUX

Bienvenue… Et bon courage ! C’est en somme la tonalité qui a prévalu lors de l’audience d’installation de deux nouveaux présidents de la cour d’appel et de prestation de serment de trois nouvelles magistrates, tous fraîchement débarqués sur le territoire. Lundi, lors de cette cérémonie, différents acteurs à l’instar du procureur de la République Camille Miansoni, ont ainsi rappelé aux nouveaux arrivants le contexte difficile dans lequel opère une justice – encore en construction – à Mayotte. “ Cette solidarité, que vous n’auriez pas forcément trouvée dans d’autres juridictions, est essentielle. Vu la période qui, on ne va pas vous le cacher, est difficile”, leur a également indiqué Denis Chausserie-Laprée, le procureur général près la cour d’appel de Saint-Denis de La Réunion sous l’autorité duquel est placé le parquet mahorais.

MERCREDI 2 SEPTEMBRE

MINISTÈRE DES OUTRE-MER MAYOTTE DANS L’ŒIL DE LECORNU

"La réunion s’est bien passée", a concédé quelques minutes après avoir quitté l’hôtel de Montmorin Ali Debré Combo, à l’issue d’une réunion rassemblant ce mardi parlementaires et élus locaux de Mayotte autour du ministre des Outre-mer, Sébastien Lecornu. "Un ministre très disponible qui nous a permis de brosser plusieurs thématiques de manière générale", s’est encore félicité le représentant du Département. Reste à voir si cette écoute sera suivie de faits alors que le lendemain, Mayotte renouait avec barrages et caillassages

JEUDI 3 SEPTEMBRE

INSÉCURITÉ - UN CHAOS D’UNE VIOLENCE INOUÏE

De pérenniser l’attention du MOM sur Mayotte dont se sont félicités les élus ayant rencontré Sébastien Lecornu deux jours plus tôt ? Quoi qu’il en soit, la journée de mercredi aura marqué les esprits des Mahorais, dont plusieurs d’entre eux ont manifesté leur ras-le-bol face à des violences urbaines toujours plus intenses. Flash Infos revient notamment sur les affrontements qui ont opposé usagers de la route et jeunes protestant contre l’absence de ramassage scolaire dans le secteur de Doujani. Ces premiers, à défaut de forces de l’ordre en nombre suffisant, disent avoir dû prendre les choses en main. Soit les pierres.

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TCHAKS

LA PHRASE

LE CHIFFRE 65 500 C'est le nombre de touristes reçus à Mayotte en 2019, un record ! Selon l'Insee, ce chiffre a progressé de 16 % par rapport à 2018, marquée par d'importants mouvements sociaux. Comme chaque année, les touristes dits affinitaires sont majoritaires puisqu'ils représentent deux tiers des voyageurs, suivis par les touristes d'agrément (17 % de l'ensemble des visiteurs), venus en premier lieu découvrir l'île, puis par les touristes d'affaires (14%). Selon l'Insee, ces chiffres inédits auraient été boosté par le désenclavement progressif du territoire.

"L'eau sera coupée une nuit par semaine dans toute l'île" C'est ce qu'a annoncé le préfet sur les ondes de Mayotte La 1ère lundi matin. D'ici les prochains jours, les mesures de restriction en eau pourrait bien se durcir. À compter du 7 septembre, "Nous couperons l'eau une nuit par semaine de 18h à 7h", a ainsi dévoilé Jean-François Colombet. "Si cela ne suffit pas, à partir de fin septembre, nous la couperons 24 heures par semaine sur l'ensemble du territoire." Le délégué du gouvernement en a également profité pour évoquer la possibilité de faire venir un navire français, équipé pour capter, dessaler et embouteiller l'eau de mer, qui pourrait ensuite être distribuée aux commerces du département. Mais pour l'heure, rien n'est encore acté.

L'ACTION Des tonnes de matériel médical offert aux soignants libéraux Opération réussie pour le Collectif des citoyens. Fin de semaine dernière, 330 professionnels soignants libéraux du département se sont vu offrir 4,2 tonnes de matériel médical gratuit (masques, gants et gel hydroalcoolique), à venir récupérer dans un entrepôt de Longoni. Cette distribution, qui intervient alors que l’état d’urgence sanitaire lié à la crise du coronavirus est prolongé à Mayotte jusqu’au 30 octobre, a enfin pu avoir lieu après plusieurs mois d’organisation pour acheminer ces stocks jusqu’au 101ème département. Une chaîne de solidarité à laquelle ont contribué les infirmiers de l'île et de nombreuses entreprises comme Air Austral, la Smart, Mayotte Channel Gateway, le transitaire Tilt et les aéroports de Paris.

LA PHOTO DE LA SEMAINE Des élus mahorais à la rencontre du nouveau ministre des outre-mer

Mardi, les quatre parlementaires mahorais, des élus locaux et des représentants du Département ont été reçus à Paris par Sébastien Lecornu, ministre des outre-mer depuis le mois de juillet. Au cœur des échanges : l'insécurité. En réaction, il est notamment prévu une réorganisation des services de l'État de l'opération Shikandra pour mieux contrôler les frontières. Le rendez-vous a aussi permis d'aborder le financement des collectivités et les fonds européens, l'attractivité du territoire, l'éducation, l'accès aux soins… Autant de sujets qui seront de nouveaux évoqués lors de visioconférences organisées entre Paris et Mayotte tous les 45 jours, comme promis par le ministre. Celui-ci pourrait d'ailleurs opérer son premier déplacement officiel sur l'île en octobre, si le référendum sur l'indépendance de la NouvelleCalédonie le lui permet.

BRÈVES En danger aux Comores, il met en scène son enlèvement Dimanche 30 août au matin, un homme était retrouvé ligoté, mais sain et sauf, sur l'îlot de Bandrélé. Interrogé par les forces de l'ordre, il expliquera avoir été enlevé chez lui, à Nyambadao, la nuit précédente, par plusieurs individus cagoulés et armés. Mais les premiers éléments de l'enquête ont révélé un tout autre scénario. Originaire d'Anjouan, l'homme est sous le coup d'un mandat d'arrêt aux Comores pour avoir déchiré une banderole glorifiant le passage du président Azali Assoumani dans son village. Selon le témoignage de pêcheurs sur place, il aurait alors rejoint Mayotte en kwassa avant d'y demander l'asile. Mais, l'Ofpra ayant rejeté sa requête, il aurait décidé de mettre en scène son rapt, avec la complicité de ses amis, pour prouver les risques qu'il encourt. Volatilisé depuis, cet homme est activement recherché par la gendarmerie. Certaines sources précisent qu'il aurait quitté le village de Nyambadao depuis les faits.

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LE TOP Des fournitures scolaires pour les familles précaires Depuis plusieurs semaines, le personnel du centre communal d'action sociale de Koungou organise des collectes dans les supermarchés de Mamoudzou et Kawéni afin de recueillir un maximum de fournitures scolaires, ensuite remises aux plus démunis. À ce jour, la valeur du matériel collecté s'élève à 670 euros, dont plusieurs dizaines de familles ont déjà pu profiter. Un dispositif organisé en partenariat avec le Lions Club Mayotte Ylang et le programme pour la réussite éducative.

LE FLOP De nouvelles négociations mais toujours pas de sortie de crise pour les pompiers Lundi, les pompiers en grève depuis le 24 août ont présenté leurs doléances à la présidente du Sdis. Mais avec toujours leur directeur, le colonel Fabrice Terrien, dans le collimateur, le conflit ne semble pas prêt à se résoudre. Les 23 revendications sont donc encore en attente. Parmi elles : le départ du colonel Terrien, les conditions de vie dans les casernes et la sécurité dans leurs locaux et sur les lieux d'intervention. Mais selon les représentants syndicaux, l'origine de leurs maux viendrait directement du "mépris" de leur supérieur, qui travaillerait sans les concerter. De son côté, le directeur du Sdis explique avoir présenté un plan de rénovation des enceintes occupées par les soldats du feu. Jeudi, une manifestation était prévue en Petite-Terre, avant d'être annulée au regard des événements qui ont éclaté la veille sur Grande-Terre, et qui nécessitent qu'un maximum de secouristes soient à pied d'œuvre.

ILS FONT L’ACTU Cinq nouveaux magistrats ont prêté serment Moment "symbolique" pour la justice à Mayotte. Lundi, cinq nouveaux magistrats ont fait leur rentrée sur les bancs du tribunal. Deux nouveaux présidents, Nathalie Courtois, ancienne première viceprésidente adjointe au tribunal judiciaire de Bobigny et Cyril Ozoux, ex-vice-président en charge de l’instruction à La Réunion, viennent grossir les rangs de la cour d'appel. L'occasion aussi pour trois nouvelles magistrates de prêter serment. Sarah Chaib et Emilie Cuq-Girault siègeront donc au tribunal judiciaire en qualité de juges, tandis que Sarah M’Buta renforce depuis ce jour les effectifs du ministère public, en tant que substitute du procureur. Pendant ce temps, le départ de Camille Miansoni, procureur de Mayotte, se rapproche, celui-ci devant prendre ses nouvelles fonctions à Brest au 1er décembre. Problème, son remplaçant n'a pas encore été trouvé…

PROVERBE “Nadzi kaishindrana na bwe” Une noix de coco ne rivalise pas avec une pierre

ÉCONOMIE Plusieurs sociétés créent un collectif contre l'insécurité Après le coup de gueule des hôteliers et des restaurateurs, le Collectif du Monde Économique de Mayotte a vu le jour la semaine dernière pour contribuer à la lutte contre l'insécurité, qui impacte leur activité. La cinquantaine de sociétés membres appellent à une implication des pouvoirs publics et des responsables politiques. Pour mener à bien son projet, le collectif élaborera des propositions à destination des décideurs publics et espère favoriser la sensibilisation du plus grand nombre. Une audience auprès du ministère des outre-mer sera également demandée. "Il est essentiel que les citoyens comme les entreprises mahoraises, puissent travailler et vivre en sécurité, en tout temps et partout sur le territoire", conclut Marcel Rinaldy, président et porte-parole de cette nouvelle structure.

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DOSSIER

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SOCIÉTÉ

DES CAILLOUX ET DES HOMMES Les barrages sauvages et les tas de pneus encore fumants ont remplacé les bus scolaires. Après plusieurs jours de tension nourrie par la grève de leurs chauffeurs, les élèves de Koungou, Majicavo, Kawéni, Mamoudzou et Doujani particulièrement ont décidé de se faire entendre. Faute de pouvoir les emprunter, nombre d'entre eux ont organisés simultanément le blocage des routes mercredi. Littéralement prise entre deux feux, la population a fini par prendre les armes à Doujani pour se défendre par elle-même, face à des enfants, aux côtés ou en l’absence de forces de l'ordre dépassées, presque impuissantes, faute de moyens et d'effectifs. Contre les habitants, les jeunes, les policiers et les gendarmes, les pierres ont plu, cette semaine encore, laissant les barrages aux mains des émeutiers, dont certains semblent-ils, ne sont pas scolarisés. Cette semaine encore, la société mahoraise a cédé sous le poids de la violence. Et avec elle, son droit à l'éducation et à la sécurité.

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DOSSIER

Grégoire Mérot

REPORTAGE

PIERRES ET LES LOUPS OU LA BATAILLE DE DOUJANI ALORS QUE MAMOUDZOU ÉTAIT CERNÉE PAR LES BARRAGES, CE MERCREDI, DANS UN SCHÉMA D’AFFRONTEMENTS MALHEUREUSEMENT CLASSIQUE, C’EST UNE TOUTE AUTRE SCÈNE QUI SE JOUAIT À DOUJANI. CAR ICI, CE SONT LES USAGERS DE LA ROUTE ET LES HABITANTS QUI ONT MENÉ LA RIPOSTE CONTRE LA JEUNESSE EN COLÈRE FACE À DES FORCES DE L’ORDRE DÉPASSÉES. DANS UN DÉCHAINEMENT DE VIOLENCE.

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C’est une journée à marquer d’une pierre noire. En remontant la file de véhicules à l’arrêt depuis Tsararano, ce mercredi, on croit déjà pouvoir imaginer ce qu’il peut se tramer sous cette fine pluie matinale. Au loin, les signaux de fumée. Un barrage ? Classique. Des affrontements avec la police ? Habituel. Pourtant, le long du parcours, la tension qui monte est, elle, inhabituelle, nombre de voitures font demi-tour. “ N’y allez pas, c’est la guerre ”, lance le conducteur de l’une d’elles à l’adresse d’un motard le laissant manœuvrer. La guerre ? Même ce mot est tristement banal. À Passamaïnty, où les chauffeurs sont sortis de leurs véhicules pour s’enquérir de la situation, il est cependant sur toutes les lèvres. Chacun y va de sa petite info. Bilan des échanges : du Nord au Sud jusqu’en son cœur, Mamoudzou est complètement paralysée de barrages, érigés par des élèves abandonnés sur le bas-côté en raison de la grève des bus. “ C’est bloqué à Koungou, Majicavo c’est le feu partout, ça bastonne à Kawéni et ici… C’est la guerre, en mode Tchétchénie mon gars ! ” Ok baco, allons voir ça. Arrivé à Doujani, c’est la stupeur. Plus rien ne circule et pourtant, pas de policiers en vue. La fumée n’est pas celle de leurs grenades mais de différents brasiers ronflant sous le crachin. En tête de colonne, au “ rond-point des Africains ” des dizaines de motos et scooters à l’arrêt. Plusieurs des pilotes forcent les plus entêtés à couper le moteur. L’un d’eux, casque sur la tête et pierres en main s’explique : “ les policiers sont coincés de l’autre côté [au rond-point de Doujani, ndlr], il n’y a que deux 4x4. Je pense que c’est la brigade de nuit, ils n’ont pas eu le temps d’être relevés. ” Et ? “ Les gamins pètent un câble, ils sont super nombreux. S’ils viennent vers nous, on va devoir faire le boulot ”, assène le trentenaire d’un calme déstabilisant. Avant la tempête. Car le voilà déjà, tel un chef de guerre haranguant ses troupes à répéter l’annonce en mahorais. L’excitation gagne les rangs, chacun descend de son destrier motorisé.

“ ON VA PAS ATTENDRE DE SE FAIRE CAILLASSER ALORS QUE LES FLICS SONT MÊMES PAS LÀ ! ” “ Rien à foutre, on y va maintenant, on va pas attendre de se faire caillasser alors que les flics sont même pas là ! C’est pas des gamins qui vont faire la loi ”, beugle un des casqués déjà chargé de pierres grosses comme le poing. Le chef d’un instant est dépassé, la tempérance n’a plus sa place. Les plus excités se chauffent en criant. À gauche, rue de la carrière, les mêmes cris, plus aigus. Ce sont les jeunes qui, repoussés pour un temps par les gaz des policiers, reprennent courage et rechargent. Le signal est sonore cette-fois. La bataille peut commencer.

Une dizaine d’hommes foncent en direction des gosses. Les pierres pleuvent. Pris à revers, seuls les plus véhéments du groupe d’adolescents ripostent tandis que le gros des troupes file se planquer. Satisfaits de leur effet, les casqués se rassemblent au rond-point comme en territoire conquis. Erreur. En quelques secondes, des dizaines de leurs adversaires fondent sur eux, reprennent le rond-point et s’engouffrent sur la nationale. Panique générale, tout le monde remonte sur son scooter en hurlant, demi-tour en quatrième vitesse. C’est la déroute sur le bitume humide. Voilà, comment “ tout a commencé ”. Car les longues minutes qui s’ensuivront ne seront qu’un interminable ballet d’échanges de tirs, d’avancées enragées et de reculades endiablées. Avec toujours, des rangs qui s’étoffent

" IL VA FALLOIR QUE LES CHOSES CHANGENT PARCE QUE LÀ ON S’EMBARQUE DANS UNE GUERRE PERMANENTE. " de chaque côté. Au plus fort de leur nombre, les adultes sont au moins une cinquantaine. Une petite centaine leur fait face. Dans ses rangs, certains ont encore le visage poupon, mais leur regard perçant au-dessus des poubelles est noir. Les plus grands de la bande ont retirés leurs t-shirts pour s’en faire des cagoules. Ils sont déterminés. Et s’ils sont nombreux à avoir encore le sac d’école sur le dos, on s’en doute, tous ne sont pas là pour protester contre le manque de bus. Mais la rage est partout. La même, de tous les côtés, dans tous les corps. “ Ils sont peut-être beaucoup mais des cailloux comme ça, ils peuvent pas les tenir ! ”, s’esclaffe un colosse en casque exhibant fièrement un demi-parpaing. Avant de le jeter de toutes ses forces en direction de la jeunesse. Heureusement pour elle, le bloc s’explose à leurs pieds souvent nus. C’est un déchainement de violence et pourtant, on a l’impression de les voir jouer. Qui pour sonner la fin de la récré ? Il y aura bien ce camion de gendarmes mobiles et ses hommes suréquipés qui passera dans

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DOSSIER

le secteur... Avant de repartir quelques minutes plus tard vers le Nord. Ici, on est en zone police.

“ COMMENT C’EST POSSIBLE DE SE DIRE QU’ON EST EN FRANCE ? ” La police, justement, la voici enfin débarquant à toute berzingue. Près d’une heure après le début des affrontements. “ Ah ben c’est maintenant qu’ils arrivent ! Non mais franchement c’est pas sérieux… Ils ne servent vraiment à rien, comment c’est possible de se dire qu’on est en France et qu’on est obligé de se battrenous-mêmes contre ces jeunes voyous ?",tempête Djounaidine. Le quarantenaire en chemise s’offre un court répit autour de la foule qui filme et commente. Une connaissance le

rejoint. “ Pourquoi tu viens pas toi ? ”, sermonne Djounaidine. “ Je peux pas, tu sais bien, si on me voit… ” La situation est entendue et les compères de parler d’une même voix. “ Bien sûr que je peux les comprendre ces jeunes, oui ils ont la vie dure et peuvent avoir l’impression qu’on se moque d’eux, mais ce qu’ils font est inexcusable, on ne peut pas subir ça. À un moment donné, il faut taper du poing et puisque l’État est incapable de le faire, que ce soit en rétablissant l’ordre ou en les punissant, c’est à nous de nous en occuper. C’est malheureux mais c’est comme ça ”, estime Djounaidine. L’ami acquiesce. Et se lance, un peu gêné : “ Je ne comprends pas comment on en est arrivé là… Franchement j’ai peur, depuis des mois on a l’impression d’avoir atteint le sommet de ce qu’on pouvait subir et en fait, ça va toujours plus loin. Pourquoi personne ne réagit ? Si un dixième de ce qui se passe ici se passait en France, ce serait un énorme scandale

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" FRANCHEMENT J’AI PEUR, DEPUIS DES MOIS ON A L’IMPRESSION D’AVOIR ATTEINT LE SOMMET DE CE QU’ON POUVAIT SUBIR ET EN FAIT, ÇA VA TOUJOURS PLUS LOIN. POURQUOI PERSONNE NE RÉAGIT ? SI UN DIXIÈME DE CE QUI SE PASSE ICI SE PASSAIT EN FRANCE, CE SERAIT UN ÉNORME SCANDALE. "

”. Au tour de Djounaidine d’acquiescer. Avant de repartir au front, rue de la carrière. Les policiers sont arrivés et, malgré le retard reproché, salués par ceux qui mènent la riposte face à la jeunesse en furie. Très vite, c’est ensemble qu’ils avancent. Les casques bleus sont noyés dans la masse des casques de moto. Tous lancent dans la même direction, chargent ensemble sur les barricades en poubelles. Côte à côte. La scène est stupéfiante. Dans l’air saturé de gaz, les plus timides à prendre part aux affrontements s’en donnent à cœur joie aux côtés des policiers. "On n’a pas le choix, heureusement qu’ils sont là… On n’est qu’une quinzaine, on ne peut rien faire là. Même si ce sont des gamins, ils sont tellement nombreux et déterminés que s’ils nous chargent on est foutus, on a plus qu’à sortir les flingues", se désole un fonctionnaire dans un court répit. Avant de retrouver collègues et alliés de circonstances tandis qu’un Duster défoncé de la BAC joue les voitures-béliers pour tenter de disperser les jeunes. "Pas le choix".

“ SI LES POLICIERS N’AVAIENT PAS ÉTÉ LÀ, ILS L’AURAIENT TUÉ ” Seul problème de cette nouvelle équipe, l’organisation. Dans le chaos, les forces de l’ordre sont régulièrement dépassées par la volonté d’en découdre de leurs soutiens. Ce qui a bien failli mener au drame. Lors d’une énième charge contre les émeutiers, les policiers occupés à recharger sont pris de court. Alors que les jeunes font volte-face, un groupe d’hommes attrape l’un d’eux sur la poussière trempée d’une ruelle perpendiculaire. C’est un gamin d’une douzaine d’années mais qu’importe, une foule surexcitée s’abat sur lui. L’enfant se fait lyncher, rouer de coups jusqu’à ce que quatre hommes viennent le sauver. Pour le conduire aux policiers. Dans les bras desquels, rien n’y fait, les coups et les injures continuent de pleuvoir. Finalement, il sera demandé à sa première escorte de finir le job et le conduire au fourgon. Lequel devient lui-même en état de siège avant de pouvoir s’extirper direction le commissariat. Sans que personne n’ait pu le présager, c’est ainsi que se signe l’acte final. Les adultes se dispersent, le sentiment du devoir accompli. Les jeunes visiblement refroidis à l’idée de se faire attraper. Les échauffourées finales opposeront les derniers virulents et les policiers dans un schéma des plus classiques au cœur des rues de Doujani. Djounaidine s’en va retrouver le calme de sa voiture. Penaud. “ Je ne pensais pas que ça irait jusque-là… Franchement j’ai eu très peur pour le gamin. Si les policiers n’avaient pas été là, ils l’auraient tué et personne n’aurait rien pu faire. C’est horrible de se dire qu’on en arrive là. Il va falloir que les choses changent parce que là on s’embarque dans une guerre permanente. Qu’estce qu'ils vont devenir tous ces gosses ? ”, lâche-t-il les yeux bas. Bras ballants, dépourvus de pierre. Et d’espoir. n

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Solène Peillard

TÉMOIGNAGES

QUAND LE "BLOCAGE PACIFIQUE" DÉGÉNÈRE IRI EST EN CLASSE DE TERMINALE AU LPO DE KAWÉNI. DU HAUT DE SES 17 ANS, IL EST LE PORTE-PAROLE DE SES CAMARADES. MARDI, IL LES A VUS S'ORGANISER PACIFIQUEMENT POUR TENTER D'INTERPELLER LES ÉLUS. SI, APRÈS LA VENUE DU MAIRE, LEUR PLAN SEMBLAIT A PRIORI AVOIR FONCTIONNÉ, TOUS ONT DÛ REMETTRE LE COUVERT LE LENDEMAIN. MAIS MERCREDI, RIEN NE S'EST PASSÉ COMME PRÉVU. IL RACONTE. Il est 4 heures du matin, lorsque son réveil tire Iri du sommeil, comme tous les jours. Et comme tous jours, d'ici une heure, ce lycéen du LPO longera la route à pied jusqu'à son arrêt de bus à Kawéni. Là, il attendra dans l'obscurité de la nuit, loin de tout éclairage public. Sur cet axe, dans les transports scolaires et parfois jusqu'aux portes de leur établissement, nombreux sont les élèves à avoir été agressés l'année dernière. Mais ce mardi matin, ce n'est pas ce qui préoccupe le plus le jeune homme de 17 ans. Cinq, dix, quinze, vingt minutes passent. Rien. Depuis la veille, les chauffeurs ne passent plus ici. Grève oblige. Alors, les lycéens de Kawéni décident à leur tour de cesser le travail. Tous se mettent en route vers le rond-point Méga. Le jour se lève à peine.

“ ILS VOULAIENT JOUER AVEC LA POLICE ”

"C'était un blocage pacifique", martèle Iri. Car si les poubelles étaient effectivement de sortie, celles-ci n'ont servi qu'à gêner les automobilistes, sans feu ni violence, dans l'espoir d'interpeller élus et autorités. Et les élèves ont eu gain de cause. "Les forces de l'ordre sont venues discuter avec les lycéens, qui leur ont demandé que le maire vienne sur place pour pouvoir parler de la situation." C'est dans un calme contenu, du moins à Kawéni, qu'Ambdilwahedou Soumaila arrive à la rencontre des jeunes. S'agissant du ramassage scolaire, il leur promet de revenir vers eux sous 24 heures, leurs numéros tout juste enregistrés dans son répertoire. La manifestation est levée, la circulation se fluidifie à nouveau. Une journée passe, mais le premier élu du chef-lieu ne donne plus de nouvelles. Mercredi matin. Pendant que déjà, à Majicavo, Passamaïnty, Mamoudzou et Koungou, les fumées noires des montagnes de pneus en feu zèbrent les premières lueurs du jour, les élèves de Kawéni décident de remettre ça. Mais pour eux, pas question de sombrer dans la violence, au risque de discréditer leur mouvement. Pourtant, rien ne se passera comme la veille. "Cette fois, quand les policiers ont vu les élèves, ils n'ont rien cherché à comprendre et ont tout de suite tiré des gaz

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" LES ÉLUS FONT SEMBLANT DE NE PAS POUVOIR APPORTER DE SOLUTIONS " 15

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DOSSIER

" ÇA FAIT TROIS ANS QU'ON DEMANDE PLUS DE SÉCURITÉ AUX ABORDS DES ÉTABLISSEMENTS, ET MAINTENANT ON DOIT DEMANDER DES BUS ? " lacrymogènes de partout", retrace encore Iri. "C'est là que tous les petits sont arrivés et se sont excités…" Les petits ? Des gamins de "10, 11 ans". Tout au plus 13, selon le lycéen qui dit connaître certains visages. Des enfants, des adolescents qui, galvanisés par l'agitation publique, ne tardent

pas à prendre les armes. En l'occurrence, les pierres. "Ils voulaient jouer avec la police. Je les connais, et c'est pas des voyous ! Pour eux, c'est une façon de provoquer et de s'amuser", insiste le jeune homme de 17 ans. "Je n'ai pas vu de "grands" ou d'adultes participer à ça." Face aux affrontements, les lycéens qui le peuvent décident de rejoindre leurs établissements à pieds ou en taxi. Car c'est bien leur propre droit à l'éducation qu'ils défendent depuis deux jours.

QUATRE HEURES D'AFFRONTEMENTS Derrière eux, les affrontements se poursuivent. Le cordon de police fait progressivement reculer les "petits" jusqu'aux portes du LPO. Autour du lycée professionnel, pierres et grenades lacrymogènes pleuvent sans relâche. "Ils ont même caillassé un mec qui filmait !" Iri se rejoue le film. "C'était vraiment chaud…" Il faudra attendre quatre heures pour que les émeutes se dissipent à Kawéni. À Koungou, les blocages dureront jusqu'au début de l'après-midi. Selon certains habitants et témoins, les émeutiers n'avaient, à ce moment-là, plus rien à voir avec les collégiens et lycéens qui avaient initialement bloqué les routes un peu plus tôt. "Pourquoi tout a éclaté en même temps ? Peutêtre parce que c'est une cause commune à tous les élèves de Mayotte", envisage Iri, désigné par trois reprises comme le porte-parole

LES CHAUFFEURS DE BUS DE RETOUR SUR LES ROUTES ? Le conflit entre les chauffeurs et le conseil départemental toucherait-il à sa fin ? Quelque peu pressé par les émeutes de la semaine, le préfet a décidé d'accélérer le pas dans le dossier des transporteurs scolaires, en grève depuis le 18 août. Mercredi, alors que 83 des 85 chauffeurs de Matis n'avaient pas toujours pas repris le travail, une série de réunions ont été programmées en urgence, pendant que les violences sévissaient encore autour de Mamoudzou et en son cœur. Première étape : un rendez-vous entre Jean-François Colombet, les représentants syndicaux et le Département. À l'issue de plus de quatre heures de négociations, la préfecture proposait l'extension de la convention collective nationale à Mayotte, un fait inédit, qualifié d'historique par le délégué du gouvernement. Une piste jugée pour la première fois satisfaisante par les représentants syndicaux et le Medef, qui avait apporté son soutien aux salariés grévistes, rejoint par le préfet mercredi soir au dépôt de Longoni, où l'accord cadre a finalement pu être signé. Jeudi matin, à l'issue d'une nouvelle rencontre cette fois pour validation auprès de la Dieccte, les derniers points de divergence ont été négociés "favorablement" selon FO, notamment à propos des salaires des chauffeurs de bus. Leur principale crainte, concernant les conditions de leur transfert et le maintien de leurs acquis sociaux en cas de changement de délégataire, semblait, jeudi soir, elle aussi enfin apaisée puisque la reprise des salariés de Matis devrait être garantie dans le prochain marché public, à saisir pour la rentrée 2021. Des derniers ajustements que doit encore valider la direction générale du travail, qui devrait se prononcer ce vendredi. À l’heure où nous bouclons cette édition et sauf revirement de situation, le ramassage scolaire devrait en principe reprendre ce lundi 7 septembre. Et la pérennité des emplois, est, en théorie, actée.

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de ses camarades du LPO. "Ça fait trois ans qu'on réclame plus de sécurité aux abords de nos établissements, mais rien. On demande plus d'éclairage public, les chauffeurs qui mettent leur vie en danger pour nous amener ont peur de nous déposer dans le noir, mais rien. Et maintenant, on doit demander des bus ?" Il rassemble ses idées un instant. "L'État détient des pouvoirs tentaculaires, les élus de Mayotte

savent que la plupart des jeunes qui mettent le bordel ne vont pas à l'école, qu'ils n'ont pas à manger. Alors non, ce n'est pas une raison. Mais je crois que les élus font semblant de ne pas pouvoir apporter de solution. Il y a plusieurs catégories de voyoucraties à Mayotte : ceux qui agressent pour s'amuser et ceux qui n'ont pas le choix. Mais personne ne leur pose de questions pour comprendre réellement ce qu'ils vivent." n

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DOSSIER

Raïnat Aliloiffa

TÉMOIGNAGES

LES GARDIENS DE LA PAIX FACE AU DÉSORDRE DE TOUTES PARTS

LES FORCES DE L’ORDRE DE L’ÎLE ONT UNE NOUVELLE FOIS ÉTÉ MISES À RUDE ÉPREUVE CETTE SEMAINE. LA JOURNÉE DE MERCREDI 2 SEPTEMBRE, MARQUÉE PAR DES VIOLENCES URBAINES QUI ONT ÉCLATÉS À MAMOUDZOU ET KOUNGOU A ÉTÉ PARTICULIÈREMENT DIFFICILE À GÉRER. LES GARDIENS DE LA PAIX DE MAYOTTE AURAIENT PU NE JAMAIS AUSSI BIEN PORTER LEURS NOMS. MAIS LES SYNDICATS DE POLICIERS TIRENT LA SONNETTE D’ALARME SUR LE MANQUE D’EFFECTIFS QUI NE LEUR PERMET PAS DE MENER À BIEN LEURS MISSIONS.

Les communes de Mamoudzou et Koungou ont été le théâtre de scènes de guérillas entre des bandes d’individus lançant des pierres et les forces de l’ordre. La raison du conflit ? Le manque de bus scolaires qui empêche les collégiens et lycéens de se rendre dans leurs établissements. Tout a commencé à Kaweni très tôt le matin. Les écoliers ont décidé de barrer la route pour manifester leur désarroi et mécontentement face à l’inaction des autorités dans le conflit qui oppose les chauffeurs de bus et le Département. Depuis la rentrée, le 24 août dernier, les élèves qui utilisent les transports scolaires doivent se débrouiller pour se rendre dans leurs établissements respectifs et à leurs domiciles. Beaucoup d’entre eux parcourent des kilomètres à pieds. Leur ras-le-bol a fini par prendre le dessus et cela a mené aux scènes de violences urbaines dont

nous avons tous été témoins de près ou de loin. Des groupes de jeunes ont bloqué plusieurs points stratégiques du chef-lieu, provoquant des embouteillages monstres. Le rond-point dit “ Tati ”, le rond-point SFR, le rond-point Baobab à Cavani, mais également à Doujani ou encore Passamaïnty. À Kaweni et Doujani la situation s’est très vite envenimée. La police nationale est arrivée en premier lieu à Kaweni pour enlever les barrages, et “ des fauteurs de troubles en ont profité pour s’en prendre en nous ”, raconte Bacar Attoumani, policier secrétaire départemental du syndicat Alliance police nationale. Pour Aldric Jamet, policier et délégué départemental du syndicat Alternative police ce qui s’est passé mercredi n’est pas surprenant. Ses collègues et lui seraient même habitués. “ C’est exactement comme d’habitude. On arrive sur les lieux, on enlève les barrages et ils nous

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jettent des cailloux. On est attendus uniquement pour ça. ” En effet, les scènes observées par les principaux concernés et par la population sont sans appel. Tout au long de la matinée de mercredi, les jeunes impliqués dans ces violences se sont prêtés au jeu du lance de pierre. Et ils étaient de tout âge. “ Il y avait de très jeunes enfants de 10-12 ans qui étaient engrainés par les plus grands et les voyous ”, précise Aldric Jamet. Au total, les forces de l’ordre interpellent 7 individus, tous mineurs. Et si quelques parents se sont présentés au commissariat le jour même, d’autres ont été aux abonnés absents comme d’habitude. L’organisation sans failles et millimétrée à la minute près des blocages soulève de nombreux doutes sur les réelles intentions et personnes qui se cachent derrière

“ C’EST UNE QUESTION DE SÉCURITÉ PARCE QU’ON RISQUE D’ÊTRE RAPIDEMENT DÉBORDÉS... ” 19

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ces scènes de trouble à l’ordre public et de violence. Les barrages ont été érigés en même temps, empêchant les usagers de la route de se rendre sur leurs lieux de travail. Des commerces sont d’ailleurs restés fermés ce jour-là. Des personnes autres

que ces enfants tireraient-elles les ficelles ? Rien n’est sûr mais Bacar Attoumani n’a qu’une seule certitude. “ C’est organisé, c’est pour cela que ça devient problématique. Cette histoire de bus n’est qu’un prétexte parce que ce sont toujours les mêmes fauteurs de troubles

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que l’on connait. Et ils utilisent le même système c'est-à-dire qu’ils mobilisent les forces de l’ordre d’un côté pour avoir champ libre de l’autre. ” Encore une fois la stratégie des jeunes délinquants a été payante puisque les policiers n’ont pas pu être en même temps sur tous les points chauds. Ce n’est que lorsqu’ils se sont engagés dans une lutte contre la partie adverse à Kaweni, qu’ils ont été avertis de la situation qui s’embrasait à Doujani. Il était cependant impossible de gérer toutes les zones en même temps, il fallait donc se concentrer sur les plus urgents.

UN MANQUE D’EFFECTIFS QUI COMPLIQUE LES MISSIONS Certaines personnes qui ont été prises au piège ont pointé du doigt le manque de réactivité des forces de l’ordre, les accusant d’être arrivées “ trop tard ”. La situation à Doujani a eu le temps de s’aggraver avant que la police n’arrive. Les policiers de leur côté estiment avoir fait du mieux qu’ils pouvaient au vu de leurs conditions de travail qui sont caractérisées par le manque criant d’effectifs. Environ 80 policiers de la direction territoriale de la police nationale (DTPN), tous services confondus, ont été engagés sur les violences urbaines du mercredi 2 septembre. Un chiffre bien en deçà des besoins sur le terrain. “ Je comprends que ceux qui étaient à Doujani aient pu s’inquiéter du délai d’intervention des forces de l’ordre, mais la police n’a pas mis du temps à arriver sur les lieux. On ne peut juste pas être à Kaweni et en même temps à Doujani. Nous sommes intervenus en premier à Kaweni et l’intensité des violences sur cette zone a nécessité d’avantage de policiers ”, souligne le secrétaire départemental du syndicat Alliance police nationale. D’autant plus qu’il est impossible de diviser les sections engagées sur un lieu de conflit pour envoyer une partie sur une autre zone de tension. “ C’est une question de sécurité parce qu’on risque d’être rapidement débordés. Et mercredi, on ne pouvait pas non plus se désengager à kaweni pour aller à Doujani. On était donc obligés de gérer au plus urgent ” rajoute le délégué départemental du syndicat Alternative police. Le principal enjeu des policiers est de toujours assurer la sécurité des deux côtés. Il n’y a d’ailleurs aucun blessé à déplorer du côté des lanceurs de pierres, selon la police, mais la DTPN cumule 13 policiers blessés légèrement. Assurer la sécurité est une chose, mais ils doivent également interpeller les malfaiteurs, et la tâche n’est pas si simple. “ On ne peut pas gérer les interpellations et gérer en même temps les violences urbaines car nous ne sommes pas nombreux. Nous ne pouvons pas

nous permettre de mobiliser des effectifs pour emmener les interpellés au commissariat. Notre hiérarchie doit trouver des solutions ”, insiste Aldric Jamet. Selon qui les solutions sont évidentes. Les syndicats de police de l’île demandent un renforcement des fonctionnaires en CDI (compagnie départementale d’intervention, dédiée au maintien de l’ordre). “ Dans l’idéal il faudrait doubler les effectifs de la CDI afin d’avoir plus de monde et par conséquent être plus opérationnel pour les violences urbaines et maintiens de l’ordre ”, indique Aldric Jamet. Concrètement, la police nationale aurait besoin de 60 à 80 policiers formés en CDI. Cela permettrait aux policiers d’avoir également des plannings moins lourds car selon eux, “ les journées en ce moment sont très longues et fatigantes. ”

AUCUNE STRATÉGIE D’ANTICIPATION Les Mahorais sont malheureusement habitués aux scènes qui se sont déroulées cette semaine, au même titre que les policiers. Tous crient leur désespoir et veulent des mesures fermes de la part des élus. Les parlementaires et le président de l’association des maires de Mayotte ont été reçus par le ministre des Outre-mer Sébastien Lecornu le mardi 1er septembre, et la rencontre n’apporte rien de nouveau ni de concret à la recrudescence de l’insécurité sur l’île. Un constat qui désespère Bacar Attoumani. “ Je suis surpris par la tournure de cette réunion. À Mayotte nous n’avons plus de besoin de diagnostic mais plutôt de moyens matériels et humains pour travailler en toute sérénité. Il faut aussi que les parents et la justice prennent leurs responsabilités. Le pays a besoin de plus de fermeté à l’égard des mineurs. ” Il évoque l’idée d’une structure de prison pour mineurs puisqu’une grande partie des jeunes impliqués dans ce type d’acte de violence sont mineurs. Il est d’autant plus urgent de trouver des solutions puisque les méthodes d’attaques des ces jeunes évoluent constamment et sont de plus en plus efficaces. “ On retrouve des façons de faire venant de la métropole. Les barrages avec des poubelles ou le fait de se protéger avec des poubelles viennent de là-bas. Les blocages étaient plus anarchiques avant, maintenant ils sont plus organisés ”, constate Aldric Jamet. La police nationale quant à elle n’a pas non plus de stratégie d’anticipation. Selon elle, les solutions à ce problème en particulier relèvent des élus et du groupe Matis qui doivent trouver un accord avec les chauffeurs de bus en grève. “ Si les transports scolaires reprennent, les policiers seront positionnés sur les points de ramassage afin de sécuriser les élèves et les lieux ”, selon Bacar Attoumani. À défaut de trouver mieux… n

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MAGAZINE D’INFORMATION NUMÉRIQUE HEBDOMADAIRE Edité par la SARL Somapresse au capital de 20 000 euros 7, rue Salamani Cavani M’tsapéré BP 60 - 97600 Mamoudzou Tél. : 0269 61 20 04 contact@mayottehebdo.com Directeur de la publication Laurent Canavate canavate.laurent@mayottehebdo.com Directeur de la rédaction Mohamed El Mounir dit “Soldat” 0639 69 13 38 soldat@mayottehebdo.com Rédacteur en chef Grégoire Mérot

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Couverture :

Société, des cailloux et des hommes

Journalistes Romain Guille Solène Peillard Raïnat Aliloiffa Constance Daire Direction artistique Franco di Sangro Graphistes/Maquettistes Olivier Baron, Franco di Sangro Commerciaux Cédric Denaud, Murielle Turlan Thomas Lévy Comptabilité Catherine Chiggiato compta@mayottehebdo.com Secretariat Annabelle Mohamadi Première parution Vendredi 31 mars 2000 ISSN : 1288 - 1716 RCS : n° 9757/2000 N° de Siret : 024 061 970 000 18 N°CPPAP : 0121 I 92960 Site internet www.mayottehebdo.com


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