LE MOT DE LA RÉDACTION
MAYOTTE, L'ÎLE AUX TORTUES BRACONNÉES Chaque année, elles sont des centaines, si ce n'est des milliers, à attendre, à la nuit de tombée, de pouvoir péniblement sortir des eaux noires pour offrir au sable les œufs qu'elles ont portées. Chaque année, elles sont des centaines, si ce n'est un millier, à y trouver la mort sous les lames des braconniers. Pour les tortues qui voient en Mayotte un refuge, l'île au lagon devient souvent l'île de la mort, du massacre. Et si quelques associations veillent coûte que coûte sur une poignée de plages, les cadavres, vidés, continuent de s'accumuler. Le territoire est petit, mais l'ampleur de la tâche, elle, semble bien vaste. Pourtant, plus d'un million d'euros est alloué, en France, à la préservation de l'espèce qui contribue à la richesse de la biodiversité locale. Mais alors que les autorités appellent à la coopération entre pouvoirs publics et associations, l'une d'entre elles pointe du doigt la complicité des élus, accusés de fermer les yeux et de tourner le dos face à la multiplication des actes de braconnage. En surface, le tonnerre gronde, pendant que sous l'eau, les tortues deviennent de moins en moins nombreuses. Solène Peillard
TOUTE L’ACTUALITÉ DE MAYOTTE AU QUOTIDIEN
Lu par près de 20.000 personnes chaque semaine (enquête Ipsos juillet 2009), ce quotidien vous permet de suivre l’actualité mahoraise (politique, société, culture, sport, économie, etc.) et vous offre également un aperçu de l’actualité de l’Océan Indien et des Outremers.
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FI n°3839 Lundi 7 mars 2016 St Félicie
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FI n°3822 Jeudi 11 février 2016 Ste Héloïse
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FI n°3818 Vendredi 5 février 2016 Ste Agathe
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Quel accueil se prépare pour la présiDente Du Fn ?
Le Lagon au patrimoine mondiaL de L'unesCo ?
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Grève à Panima
TéléThon 2016
Des propositions mais toujours pas D'issue
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première parution : juillet 1999 - siret 02406197000018 - édition somapresse - n° Cppap : 0921 y 93207 - dir. publication : Laurent Canavate - red. chef : Gauthier dupraz - http://flash-infos.somapresse.com
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FI n°3997 mercredi 30 novembre 2016 St André
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Diffusé du lundi au vendredi, Flash Infos a été créé en 1999 et s’est depuis hissé au rang de 1er quotidien de l’île.
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Première parution : juillet 1999 - Siret 02406197000018 - APE 5813Z - Édité par la Somapresse - Directeur de publication : Laurent Canavate - http://flash-infos.somapresse.com
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UltimatUm oU véritable main tendUe ?
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TCHAKS LE CHIFFRE 5,9 M €
C’est la somme débloquée par le conseil départemental et l’ADIM qui signaient mardi dernier une convention de partenariat dans le cadre des plans de continuité et de reprise des activités économiques. Ce montant devrait ainsi permettre aux entrepreneurs frappés par la crise sanitaire de rebondir et par la même, de sauver les emplois. Des mesures qui s’inscrivent dans la lignée du plan de relance de 100 milliards annoncé par le gouvernement, et viennent s’ajouter aux aides d’urgence octroyées par l’État et le conseil départemental depuis l’annonce du confinement en mars dernier. À ce jour, 1 500 paiements ont été réalisés au titre du soutien régional et 345 autres pour le fonds de solidarité complémentaire financé par le Département. Les secteurs du tourisme, du commerce et du BTP font partie des six domaines d’activité prioritaires identifiés par les partenaires. Aussi, la CCI planche actuellement sur la distribution de 15 000 chèques de 100 euros à destination des salariés du privé, à dépenser dans les entreprises du coin.
LA PHRASE
L'ACTION Les jeunes en situation de handicap filmés dans leur quotidien pour une meilleure prise en charge L’insertion scolaire et professionnelle des jeunes en situation de handicap est particulièrement compliquée à Mayotte. Alors, deux chercheurs du centre universitaire de formation et de recherche ont décidé d’étudier, pendant deux ans, le comportement de ces jeunes lors de leurs stages professionnels de troisième, CAP et lycée.. En leur demandant de se filmer. Par-delà l’analyse, le but est aussi que ces vidéos puissent servir aux enseignants de suivre le parcours de leurs élèves en entreprises, des milieux souvent non adaptés à leur handicap, et que ceux-ci puissent présenter les enregistrements sous forme de CV numérique lors d'entretiens d’embauche. De quoi permettre aux jeunes de valoriser leur savoir-faire. Les équipes pourront observer les premiers résultats de cette étude dès la fin de l’année scolaire.
“En poussant l’étude, nous nous sommes rendus compte que le Département pouvait réellement être acteur de son désenclavement” Il y a quelques jours, le comité de pilotage sur le projet d’évolution du trafic aérien se réunissait sous le toit du conseil départemental. Un rendez-vous rythmé par trois études de faisabilité : les freins et axes d’amélioration de la desserte, la création d’un hub aérien en lien avec le projet gazier du Mozambique et l’opportunité d’une nouvelle compagnie aérienne. S’agissant de la dernière, le conseil départemental doit intervenir d’ici deux à trois mois, alors que Corsair prévoit son retour sur le territoire pour décembre. Mais au gré des études, la CCI a réalisé que le domaine de l’aérien n’était pas réservé à l’État et que la collectivité territoriale, elle-même, pouvait profiter de certains schémas juridiques, soit en créant une nouvelle compagnie, soit en entrant dans le capital d’une société déjà existante, en l'occurrence Ewa Air. Reste encore à prendre le pouls auprès des actionnaires pour savoir ce qu’ils sont prêts à rétrocéder. Une enveloppe de 6,5 millions d’euros d’ici 2025 est d’ores et déjà évoquée si le lancement, comme espéré, peut se faire dès le début de l’année prochaine. De quoi financer les procédures juridiques, la capitalisation et le certificat de transport aérien notamment.
ILS FONT L’ACTU Le ministre des Outre-mer repousse sa visite Attendu à Mayotte fin novembre, le ministre des Outre-mer, Sébastien Lecornu a annoncé que sa visite officielle était reportée du 5 au 8 décembre prochains. Il était envisagé que Gérald Darmanin, ministre de l’Intérieur, et Eric Dupont-Moretti, garde des Sceaux, accompagnent le locataire de la rue Oudinot lors du voyage initialement prévu, en fonction des conditions liées au contexte sanitaire, avait alors fait savoir le ministère des Outre-mer.
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QUALITÉ DES EAUX DE BAIGNADE
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DOSSIER
Solène Peillard
LUTTE CONTRE LE BRACONNAGE
L'EAU & LE FEU
Elles sont l'une des richesses du lagon et pourtant, elles sont, presque plus que jamais, en danger. Depuis le confinement, survenu en pleine saison des pontes, le braconnage des tortues a connu une recrudescence exceptionnelle sous l'arrêt des patrouilles sur les plages les plus exposées. Des plages qui, selon Sea Shepherd, fraîchement revenu sur l'île, échappent à la vigilance du conseil départemental, à qui incombe pourtant la compétence du gardiennage. Pour l'ONG internationale, la collectivité "a le sang des tortues sur les mains". Alors, les autorités appellent à l'union, à la coopération, en somme, à l'apaisement. Mais pendant ce temps, le sang des tortues, lui, continue de couler.
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DOSSIER
Solène Peillard
ÉTAT DES LIEUX
VERS UNE NOUVELLE STRATÉGIE COLLECTIVE POUR LUTTER CONTRE LE BRACONNAGE
LA DÉCISION EST INÉDITE, MAIS NE FAIT PAS QUE DES HEUREUX. LA SEMAINE DERNIÈRE, LA PRÉFECTURE ANNONÇAIT LA CRÉATION D’UNE CELLULE DE COOPÉRATION PERMETTANT DE RASSEMBLER ET COORDONNER TOUS LES ACTEURS INVESTIS DANS LA LUTTE CONTRE LE BRACONNAGE DES TORTUES MARINES. UN PAVÉ DANS LA MARE SELON SEA SHEPHERD, UNE BONNE NOUVELLE POUR LES ASSOCIATIONS LOCALES, QUI SURVIENT DANS UN CONTEXTE PARTICULIÈREMENT TENDU. DEPUIS LE CONFINEMENT, LES ACTES DE BRACONNAGE ONT CONNU UNE FORTE RECRUDESCENCE.
Sur la plage de Grand Moya, quelques journalistes promènent leurs appareils photos. Pourtant, ce vendredi matin, ce ne sont ni les tortues ni les surfeurs qu’ils attendent. Mais plutôt le préfet. Quelques heures auparavant, Jean-François Colombet décidait d’organiser une conférence de presse dans un lieu des plus inhabituels pour un exercice officiel. Inhabituel, oui,
mais surtout symbolique : Moya est, à travers toute l’île, la plage la plus surveillée dans le cadre de la lutte contre le braconnage. “Il y a énormément d’initiatives qui sont prises pour protéger les tortues à Mayotte, mais elles manquent de coordination, il n’y a pas de stratégie. Chacun est dans sa ligne de sprint et personne ne regarde ce qu’il se passe à côté”, introduit
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LES AIRES DE NOURRISSAGE ELLES AUSSI EN DANGER Ils recouvrent le sol marin et surtout, ils constituent la principale source d’alimentation des tortues et dugongs. Courant novembre, une chercheuse de l’université de Bretagne Occidentale, Fanny Kerninon, a fait le déplacement jusqu'à Mayotte pour en étudier les herbiers, ces petites plantes à fleur observables, notamment, dans les eaux de N’gouja. Une végétation fragile, particulièrement sous la pression climatique et humaine. C’est justement cette influence qui fait l’objet d’une thèse à l’échelle de l’océan Indien et de ses outre-mer. Si le parc marin est tenu de maintenir ces herbiers en bon état, les données collectées attestent déjà de leur dégradation, et certains d’entre eux ont même totalement disparu, comme celui de la station de Kawéni, détruits par le rejet des eaux usées, les opérations d’urbanises, le piétinement des baigneurs et pêcheurs, ainsi que sous l’effet de l’érosion, des séismes successifs et plus largement, du réchauffement climatique. D’où l’importance de l’étude menée par Fanny Kernion, qui devrait permettre de livrer un état des lieux complet, et donc d’orienter les mesures à mettre en place pour mieux préserver ces aires de broutages naturelles, garantes de la biodiversité du lagon.
d’emblée le délégué au gouvernement. Une référence au communiqué dont se fendait en début de semaine Sea Shepherd en dénonçant l’inaction des gardiens du conseil départemental sur cette même plage. Communiqué, qui, devine-t-on, a motivé la préfecture à organiser, deux jours après parution de la missive, une rencontre entre tous les acteurs dévoués à
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la protection des tortues. Un rendez-vous inédit, censé faire émerger des propositions concrètes.
COLLECTIVITÉS, SERVICES DE L’ÉTAT ET ASSOCIATIONS À L’ÉPREUVE “Nous sommes arrivés à cette réunion avec beaucoup d’espoirs et beaucoup d’attente, nous avons été agréablement surpris, cela fait longtemps que nous attendons que l’ensemble des acteurs se réunissent”, se réjouit Jeanne
Wagner, directrice d’Oulanga Na Nyamba, l’une des trois associations mahoraises actives en matière de lutte contre le braconnage. Et désormais, l’ensemble de ces acteurs, ou presque, devrait ne plus se quitter. C’est du moins ce que projette la préfecture, en annonçant la création d’un groupe de coordination opérationnelle Une cellule constituée du conseil départemental, des services de l’Etat, de l’office français de la biodiversité et des associations locales, Les Naturalistes et Oulanga Na Nyamba, Sea Shepherd ayant refusé de s’associer
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à l’initiative, qu’elle estime nourrir le laxisme des pouvoirs publics (voir pages suivantes). Les communes et intercommunalités, voire même l’appareil judiciaire à travers le substitut du procureur en charge des affaires environnementales seront invités à travailler régulièrement avec ce nouveau groupe, dont la première réunion, mi-décembre, devrait permettre de fixer les premières actions à mener. En la matière, les intercommunalités de Petite-Terre et du Sud ont d’ailleurs déjà ouvert la voie, en créant chacune une police spécialisée dans l’environnement. “Nous souhaitons signer des contrats de sauvegarde des tortues pour chaque site. Cela engagera le maire ou le président de la collectivité concerné, le conseil départemental et l’État sur trois ans”, a, de son côté, d’ores et déjà annoncé le préfet.
UNE ANNONCE INÉDITE, QUATRE MOIS APRÈS UNE CONDAMNATION INÉDITE Jeudi 9 juillet. Dans la petite salle d'audience de la cour d’appel de Mamoudzou, les représentants des associations environnementales poussent un ouf de soulagement. Les deux braconniers de la plage de Papani, interpellés trois mois plus tôt sur la barge, alors qu’ils transportaient 65 kilos de viande de tortue, viennent d’être condamnés à une peine exemplaire, après avoir été relaxés en première instance pour vice de procédure : ceux qui ont avoué avoir tué et dépecé plusieurs autres tortues pendant le confinement écopent de deux ans de prison ferme, et doivent en sus verser 1 000 euros de dommages et intérêts à chacune des quatre parties civiles, à savoir les Naturalistes, Oulanga Na Nyamba, Sea Shepherd France et la collectivité territoriale. Du jamais vu à l’échelle de l’île. Pourtant, les deux hommes ne purgeront probablement jamais leur peine, puisqu’ils ont fui le territoire après avoir été remis en liberté à l’issue de leur garde à vue. Coup dur. Depuis 2018, seule une dizaine de chasseurs clandestins ont été traduits en justice dans le 101ème département. Pourtant, le phénomène de braconnage n’a rien de nouveau à Mayotte. Il faut dire que la viande de tortue, bien qu’interdite à la consommation et parfois gravement toxique, s’y revend à prix d’or : entre 50 et 60 euros le kilos, soit plus d’un millier d’euros par animal abattu. Ainsi, selon le réseau d’échouage des mammifères marins et tortues marines, le REMMAT, au moins un braconnage aurait lieu chaque nuit dans le département, moment privilégié pour la ponte. Il constitue de fait la première cause de mortalité de l’espèce à Mayotte, loin devant la pollution des océans.n
UN CENTRE DE SOINS DES TORTUES BIENTÔT CRÉÉ À MAYOTTE Entre 2010 et 2015, plus de 120 tortues en détresse – blessées ou échouées – ont été signalées sur le territoire mahorais. Pourtant à ce jour, aucune structure de soins ou de convalescence ne permet de prendre en charge ces animaux avant qu’ils ne soient rendus à la nature. “ Ça fait plusieurs années que tous les acteurs engagés en faveur de l’environnement ont défini ce besoin ”, souligne Jeanne Wagner, biologiste marine et directrice de l’association Oulanga Na Nyamba, qui projette d’ouvrir, d’ici deux ans, le premier centre de soins des tortues de Mayotte, la Kaz’a Nyamba. Pour l’instant, “On fait avec les moyens du bord, mais ce n’est pas toujours optimal”, regrettet-elle. Ainsi, seulement deux à quatre tortues blessées sont prises en charge chaque année. “ Malheureusement, certaines sont relâchées sans presque aucun soin, parce que nous ne sommes pas capables de les prendre en charge ”, déplore Jeanne Wagner. C’est par exemple le cas lorsque la carapace de l’animal est sévèrement cassée, lors d’une collision avec un bateau par exemple. Depuis le début de l’année, trois incidents du genre ont été recensé. Le dernier en date, le 15 novembre, a même entraîné la mort d’une tortue verte, la carapace et les poumons perforés par une hélice. Mais le centre qui devrait ouvrir en 2022 en Petite-Terre, sur une parcelle mise à disposition par la municipalité, promet déjà de rendre bien des services au territoire, y compris sur le plan touristique. “ On compte accueillir 7 000 visiteurs par an ”, projette l’association Oulanga Na Nyamba. “ En réalité, ce n’est pas soigner les tortues qui va le plus permettre de les protéger, mais plutôt le fait de sensibiliser le public en valorisant cet animal d’une manière différente, et que cela devienne un levier de responsabilisation de la population. On peut faire de l’éducation grâce et autour de la tortue ”, dont beaucoup d’individus en détresse ne sont, aujourd’hui encore, jamais signalés auprès du REMMAT
SI VOUS TROUVEZ UNE TORTUE OU UN MAMMIFÈRE MARIN, MORT OU VIVANT, EN MER OU ÉCHOUÉ, CONTACTEZ SANS DÉLAI LE RÉSEAU D’ÉCHOUAGE MAHORAIS AU 06 39 69 41 41.
DOSSIER
Peillard
ENTRETIEN
“NOUS NE SOMMES PAS LÀ POUR FAIRE DES RONDS DE JAMBE, NOUS VOULONS DES RÉSULTATS” À CONTRE-COURANT. ALORS QUE LES ASSOCIATIONS LOCALES DE LUTTE CONTRE LE BRACONNAGE DES TORTUES APPLAUDISSENT LA CRÉATION D’UN GROUPE DE COOPÉRATION OPÉRATIONNELLE FRAÎCHEMENT ANNONCÉ PAR LE PRÉFET, L’ONG INTERNATIONALE SEA SHEPHERD, ÉGALEMENT ENGAGÉE À MAYOTTE DEPUIS 2017, A REFUSÉ DE REJOINDRE L’INITIATIVE. LA PRÉSIDENTE DE SON ANTENNE FRANÇAISE, LAMYA ESSEMLALI, REVIENT POUR MAYOTTE HEBDO SUR LES RAISONS DE CE CHOIX.
Mayotte Hebdo : Après des mois d’absence due au confinement, période pendant laquelle le braconnage des tortues a connu une forte recrudescence, quel constat dressez-vous depuis votre retour ? Lamya Essemlali : On est revenu en octobre, après des mois d’absence, dans le cadre de l’opération professionnelle
Nyamba (tortue en shimaoré, ndlr). Et ça a été un carnage puisque cette année, la saison des pontes n’a pas vraiment été surveillée à cause du confinement. Et si les tortues sont plus nombreuses en été, les pontes ont quand même lieu toute l’année, malheureusement, j’ai envie de dire. S’il ne fallait être présent que quelques mois, ça serait plus facile, mais dès qu’on s’en va, on observe une recrudescence des
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braconnages. Il est très difficile d’avoir des chiffres exhaustifs, puisque la marée emporte rapidement les cadavres, et de plus en plus, les braconniers les cachent, parfois même jusque dans leur bateau : si on ne retrouve pas les corps, on a l’impression qu’il y a moins de braconnages et qu’on est plus obligé de faire autant de surveillance de plages et eux peuvent continuer tranquillement leurs affaires. Mais en réalité, après avoir fait le tour de l’île et de toutes les plages, on considère que le braconnage à Mayotte est deux fois supérieur aux estimations, qui évoquent en général 200 à 300 tortues tuées par an… Je crois qu’on se rapproche plutôt du millier en réalité. En cinq semaines, on a attrapé huit fois des braconniers en flagrant délit, sur la plage avec des couteaux. Et je ne parle que des fois où on était suffisamment discret pour qu’ils ne nous voient pas. ll y a les fois qu’on a loupées parce qu’on n’était pas assez nombreux, et en cinq semaines, on a retrouvé sept cadavres. Mais il y a trop de plages à couvrir, et nous on ne prend pas un seul jour de congés, on est là douze heures par nuit. Il faut être extrêmement exigeant : une présence
dissuasive, c’est toute la nuit. On ne dort pas, on se relaye du crépuscule à l’aube. Et ça paye ! Mayotte Hebdo : Vous avez récemment dénoncé “l’inaction” des gardiens embauchés par le conseil départemental pour patrouiller sur la plage de Moya. Pourtant, ceux-ci ont repris leur activité depuis plusieurs mois… Lamya Essemlali : Le braconnage continue, y compris sur la plage de Moya, qui est censée bénéficier d’une quinzaine de gardiens. En quatre ans, on a jamais vu de gardiens rester toute la nuit sur la plage, si ce n’est les nuits qui ont suivi notre communiqué les concernant. On nous dit parfois qu’ils ne patrouillent pas parce qu’ils n’ont pas d’imperméables, parce qu’il fait trop froid ou parce qu’ils ont peur… Je comprends qu’ils aient peur, mais dans ce cas, il faut juste changer de métier. On a assisté à une réunion récemment et on a appris que les gardiens étaient équipés de caméras à vision thermique. Bonne nouvelle, mais encore faut-il qu’ils soient sur la plage. Il y a un vrai problème de recrutement des gardiens.
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Solène Peillard
On a récemment fait fuir des braconniers sur Moya 2 et au petit matin en allant voir à Papani, on a retrouvé une tortue éventrée, parce qu’on ne pouvait pas être là-bas cette nuit-là. Pour résumer, on est sur Moya pour y faire le boulot des gardiens payés à temps plein et ça nous empêche d’être présent sur d’autres plages. On a même déjà vu des gardiens camoufler eux-mêmes des cadavres en les enterrant, pour minimiser les statistiques… Mayotte Hebdo : Quelles solutions propose alors Sea Shepherd ? Lamya Essemlali : Il existe un plan national d’action de protection des tortues accompagné de 1,4 millions d’euros. Le problème c’est que cet argent n’est pas investi dans la surveillance : le budget est là, ils sont 15 gardes pour surveiller Moya, mais on a des gens qui ne sont absolument pas motivés, ils sont planqués, et à côté de ça on a des bénévoles qui font le travail à leur place. Donc ce qu’il faut, c’est faire un grand coup de ménage, revoir le système de recrutement. L’année dernière,
un braconnier multirécidiviste avait été arrêté à Mayotte, et il s’est avéré que c’était un garde, et le conseil départemental le savait. Ces gens-là devraient être licenciés pour faute grave, mais la collectivité ne prend pas le sujet au sérieux et ça pose des questions de connivence, clairement. Et dans le même temps, on apprend à l’issue d’une réunion, mercredi avec le préfet, qu’il a confié la gestion du plan national d’action au conseil départemental... Donc on n’est pas sorti des ronces. Le préfet dit que pour lui, c’est un sujet important, d’autant plus que la présence des braconniers renforce l’insécurité sur les plages. Mais là, il propose de confier la surveillance à ceux qui ne font plus rien depuis des années… À un moment, il faut voir pourquoi on en est là, ce n’est pas un hasard : les moyens existent, mais ils sont siphonnés par des gens qui ne font pas le boulot. Il faut mettre chacun face à ses responsabilités, et donner à ceux qui ont la volonté les moyens d’agir. Là, on donne les rennes à ceux qui ne feront rien et qui n’ont jamais rien fait. Pire, le conseil départemental finance même à hauteur
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de 227 000 euros la rénovation de la cabane à Moya, pour des gardiens qui sont en train de ronfler, pendant que nous on organise des patrouilles avec l’ASVM (l’association de sécurité villageoise de M’tsamoudou, partenaire de longue date de Sea Shepherd, ndlr) qui vient du Sud de Grande-Terre spécialement pour nous aider, et dont certains bénévoles n’ont même pas l’eau ou l’électricité chez eux, c’est insupportable. Que les gens qui sont payés pour protéger les tortues le sachent : ils ont le sang des tortues sur les mains, et le conseil départemental les couvre. Avec leur nouvelle cabane, financée avec de l’argent public, les gardiens auront tout le confort, ils ne risquent pas de s’aventurer sur les plages, alors que nous on les voit, lorsqu’on patrouille, en train d’écouter de la musique, de faire des barbecues. Et pendant ce temps-là, c’est open bar pour les braconniers. Mayotte Hebdo : Vous avez ainsi refusé de rejoindre le groupe d’action opérationnelle, créé à l’initiative de la préfecture et rassemblant associations, services de l’État et collectivités territoriales. N’étaitce pourtant pas l’occasion de changer la donne et de réorganiser l’ensemble des actions ? Lamya Essemlali : Lors de la réunion avec le préfet, les autorités et les différentes parties prenantes, nous avons été très déçus de constater que cette réunion a fait la part belle aux déclarations d'intention et il y était mal venu d’aborder tout ce qui fâche. Autant dire que nous n’y avions pas notre place. On ne peut rien construire de tangible sur la base de non-dits et de faux semblants. Nous ne sommes pas là pour faire des ronds de jambe, nous voulons des résultats et les résultats, ça se mérite. Il faut aller les chercher sur le terrain, ce terrain qui a été cédé aux braconniers depuis des années, précisément par ceux qui étaient censés l'occuper. Que ce soit à Mayotte ou ailleurs, nous avons pour habitude de nous unir uniquement avec des acteurs que nous pensons dévoués et sincères dans la lutte contre le braconnage. Nous n'avons aucune confiance ni aucun estime pour le conseil départemental qui jusqu'ici n’a fait que la preuve de son incompétence totale et de sa complaisance coupable vis-à-vis des braconniers de tortues. Les gardiens ne manquent pas de moyens comme ils l'affirment, ils manquent de courage et de dévouement. Le préfet n’a même pas demandé de comptes sur le bilan du conseil départemental depuis toutes les années où il est chargé de protéger les tortues. C’est une erreur stratégique fondamentale et nous n’y participeront pas. On ne fait pas disparaître les problèmes en les passant sous silence. Cette "union"
se fera donc sans nous. Il a été décidé de ne pas faire du braconnage une priorité. J’accorde tout de même le bénéfice du doute au préfet sur le fait qu’il veuille enrayer le braconnage, mais je crois qu’il n’a pas bien identifié qui faisait quoi, ni le niveau d’imposture de certains. Mayotte Hebdo : Comment allez-vous alors poursuivre vos actions de lutte contre le braconnage à Mayotte ? Lamya Essemlali : Sea Shepherd intensifiera ses patrouilles en 2021 sur Petite et sur Grande-Terre, avec encore plus de moyens humains et technologiques. Nous avons déjà effectué plus de 1 200 patrouilles à ce jour, soit près de 15 000 heures passées sur les plages. Nous partagerons toutes nos données utiles avec certains agents clés si celles-ci peuvent aider à procéder à des arrestations. Nous ne doutons pas que des personnes de bonne volonté au sein des pouvoirs publics existent, encore faut-il qu'on leur donne les moyens d'agir et cela va de pair avec le fait de déloger les imposteurs. n
LE CONSEIL DÉPARTEMENTAL RÉAGIT À l’heure où le maître-mot est désormais à la coopération, le conseil départemental a salué l’initiative de la préfecture, s’estimant “chanceux” de pouvoir compter sur le travail des associations, tout en déplorant une entente “cafouillée” : “On est présents sur le site à partir de 15h jusqu’à 8h du matin, seulement il y a une espèce de concurrence qui s’est installée entre nous et certaines associations notamment Sea Shepherd. C’est une guéguerre entre patrouilleurs sur la plage. J’invite tous ceux qui veulent vérifier, à venir sur la plage et ils verront que nous sommes là toutes les nuits.” Saindou Dimassi, directeur de l’environnement et du développement durable au sein du conseil départemental estime quant à lui que la recrudescence du nombre de braconnages suite à la suspension des patrouilles à Moya, en plein confinement, atteste de l’action menée par les gardiens en temps normal. S’agissant du manque de moyens souvent pointé du doigt par les gardiens, il avait été remis sur la table lors de la grève express, début novembre, des agents de la collectivité et devrait être revu à la hausse. Jadis, ils étaient au nombre de 200 à veiller, en bateau ou en voiture, sur les différents sites de pontes de l’île. Mais désormais, ils ne sont plus que 20, répartis à Moya et sur la plage de Charifou, près de Majicavo.
DOSSIER
Solène Peillard
REPORTAGE
UNE NUIT À SAZILEY, LES BRACONNIERS AUX TROUSSES ILS ONT ASSISTÉ AU BRACONNAGE D’UNE TORTUE MARINE EN DIRECT. CHAQUE SEMAINE À MAYOTTE, QUELQUES ASSOCIATIONS ORGANISENT DES BIVOUACS DE SURVEILLANCE SUR LES PLAGES QUI ACCUEILLENT LE PLUS GRAND NOMBRE DE PONTES. MAIS QUELQUES MOIS PLUS TÔT, À SAZILEY, RIEN NE S’EST PASSÉ COMME PRÉVU POUR UNE DIZAINE DE BÉNÉVOLES DES NATURALISTES. PARMI LES TÉMOINS DE CETTE SCÈNE, L’AUTEURE RACONTE.
Les lumières viennent de s’éteindre sur le bivouac de l’association des Naturalistes. D’ici une poignée d’heures, la marée sera haute, et les tortues pourront traverser plus facilement le banc de sable, au fond duquel elles déposeront leurs œufs en cette fraîche soirée de juillet. Sur la plage de Majicavo 4 où il s’est installé, le petit camp reprendra vie pour veiller toute la nuit sur le lent manège des animaux. Cette longue étendue déserte est l’une des plus isolées de l’aire marine protégée de Saziley. Le site de ponte le plus actif de Mayotte et de fait, l’un des plus surveillés. Sur l’île, au moins une tortue marine est braconnée chaque nuit selon les associations. Mais depuis la crise sanitaire et la suspension de nombreuses patrouilles, le phénomène s’est considérablement aggravé. 22 heures. Un hurlement perçant retentit à l’autre bout de la plage. Un homme crie, mais à plusieurs dizaines de mètres de là ses mots, couverts par le grondement des vagues, sont indiscernables.“Vous aussi, vous avez entendu ?”, interroge Zouhoura d’une voix tremblante, la tête encapuchée,
tout juste sortie de sa petite tente. Autour d’elle, les sept autres bénévoles se réveillent en sursaut et font courir leurs mains sur la terre poussiéreuse, à la recherche des lampes éparpillées çaet-là. Seul Ali manque à l’appel : à une heure où tout s’annonçait calme, le garde de surveillance des tortues employé par le conseil départemental était parti patrouiller seul un instant. Dans l’éclair blanc des faisceaux, sa large silhouette apparaît derrière un baobab. Il court depuis le rivage, se rapproche et répète, le visage déformé par la peur : “Des braconniers ! Y a deux braconniers sur la plage !” Le petit groupe s’affole, puis vient dessiner un étroit cercle autour de lui. Chacun se serre contre son voisin, espérant tromper l’angoisse qui vient de s’abattre sur le camp. À bout de souffle, Ali agite les bras. “Ils ont tué une tortue et ils l’ont découpée... Ils ont tout mis dans des sacs. Quand je les ai vus, ils m’ont jeté des pierres !” Entre ses deux yeux, une tache de sang perle le front du gardien. “Je suis parti en courant, mais je crois qu’ils m’ont suivi jusqu’ici !” Plus personne
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n’ose bouger, à l’affût du moindre bruit. Les regards s’agitent, cherchant les deux hommes qui pourraient surgir d’une seconde à l’autre. Les minutes défilent, mais rien ne se passe. Enfin, Victoria finit par briser le silence : “Bon, un groupe reste ici, et l’autre va voir sur la plage.” L’animatrice chargée d’encadrer le bivouac attrape sa paire de baskets. Cinq bénévoles l’imitent et emportent, dans la panique, de quoi se défendre : une machette, quelques râteaux, et même une bouteille de piment. Intérieurement, chacun prie pour ne pas avoir à se servir de ces armes de fortune. Une carapace vide près d’un sac de viande fraîche Sur la plage, les pieds battent le sol, éclairé au hasard des lueurs et des flashs de téléphone. Tout à coup, Ali s’arrête et pointe du doigt les rochers mis à nu par la marée encore basse. “Elle est là-bas !” Dans l’obscurité, une forme se dessine progressivement. “C’est pas vrai…”, murmure Victoria, la main sur la bouche. La carapace d’une large tortue verte git-là,
sur le dos, entièrement vidée de sa chair et de ses viscères. Sa tête, fouettée par le remous des vagues, pend à un frêle lambeau de peau, au-dessus des rocs noirs. Ses quatre nageoires abandonnées à côté d’elle semblent avoir été coupées d’un coup net. Un petit œuf rond et blanc danse encore dans l’écume. Il est le seul que les braconniers n’ont pas emporté avant de disparaître dans la brousse. Ali tourne la tête. Sur le sable, des traces de pas encore fraîches mènent vers un chemin sombre et escarpé. Les deux hommes sont sûrement encore là, tapis dans l’épaisse végétation tropicale. Torches à la main, le groupe avance, chancelant, à la file indienne, vers le bosquet qui le sépare de la plage voisine. “Peutêtre qu’une pirogue les attend là-bas”, suggère Victoria. Ils n’auront pas le temps de s’y aventurer. Trois enjambées plus tard, un rayon de lumière fait briller un sac poubelle plein, à peine dissimulé dans un frêle buisson. Comme jeté à la hâte. Janfar, s’approche,
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inspecte et tâte le lourd paquet. Il se tait, puis confirme enfin ce que tout le monde soupçonnait déjà. “C’est de la viande.” “Ça craint, faut qu’on appelle les flics !” Alors que l’équipe n’a découvert le sac que depuis quelques minutes, un nouveau cri résonne, cette fois à hauteur du camp. L’un des braconniers vient d’y faire irruption. Paul, resté là-bas, déboule sur le banc de sable, comme pour appeler à l’aide. “Je… Je l’ai vu.” Chacun sent son cœur se soulever dans sa poitrine. “J’étais assis là-bas et il est arrivé. Il a dû croire qu’on était tous sur la plage, parce que quand j’ai allumé ma lampe, il est parti en courant.” “Oui, mais ça veut dire qu’ils savent où on est”, intervient Victoria. Tous pensent alors au sac de viande que
les braconniers ont abandonné en fuyant. Ils sont à sa recherche. Le jour ne se lèvera pas avant six heures ; la nuit promet d’être longue. “Ça craint, faut qu’on appelle les flics”, répète Victoria en cherchant son portable dans son sac à dos. Mohamed sort le sien de sa poche et le tend vers le ciel. “J’ai pas de réseau…” “Là, on en trouvera pas avant Saziley”, se souvient Paul. Un groupe doit au plus vite rejoindre la grande plage, à 30 minutes de marche de là. Celle-là même où une seconde équipe de Naturalistes s’est installée un peu plus tôt dans la journée. “Faut qu’on les prévienne !” Sans hésiter, Ali, Mohamed et Victoria rassemblent leurs affaires et se mettent en chemin. Derrière
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Pendant ce temps, une barque au bois bleu accoste sur la plage du village le plus proche, M’tsamoudou. Le petit bateau est celui d’Ali et de l’ASVM, l’association qu’il a lui-même fondée pour lutter contre la délinquance dans la commune et sur ses plages. Plusieurs de ses bénévoles viennent de braver la houle pour ramener leur ami. Encore inconscient, Ali est débarqué et immédiatement conduit par les pompiers vers l’hôpital de Mamoudzou. Il y reprendra connaissance avant le lever du jour. Pour écarter tout risque de commotion cérébrale, potentiellement provoquée par les projectiles qu’il a reçu à la tête, les médecins lui feront passer une batterie d’examens. À l’heure actuelle, soit trois mois après son agression, Ali est toujours hospitalisé en métropole, où il a été évacué. Mais il ne devrait, a priori, garder aucune séquelle de son accident. Sur l’autre hémisphère, Sea Shepherd est alerté. Fidèle partenaire de l’association du garde tortue dans la lutte contre le braconnage, l’ONG internationale a promis que son avocat le défendrait gracieusement si ses agresseurs étaient arrêtés et poursuivis.
eux, les six autres restés veiller sur le campement promettent de pas s'endormir jusqu’à leur retour. Mais Ali, lui, ne reviendra pas. Il s’écroulera sur le sable une fois arrivé à Saziley. Inconscient. 2 heures du matin. Depuis son hamac, Zouhoura plisse les yeux, en regardant deux points lumineux glisser sur la mer : un bateau longe le rivage. Elle se redresse. “Eh ! C’est les braconniers ?” “Ça m’étonnerait”, la rassure immédiatement Paul. “S’ils ne sont pas revenus, c’est qu’ils sont déjà loin. C’est sûrement une patrouille.” Alors que chacun s’efforce tant bien que mal de ne pas sombrer dans le sommeil, des brindilles craquent. Une évacuation périlleuse “C’est pas le moment de nous faire de frayeur !”, sourit Mireille en éclairant les membres de la petite expédition, enfin de retour. Tout à coup, son accent chantant prend des airs plus graves. “Et Ali, il est où ?” “Il a perdu connaissance en arrivant sur la plage, il réagissait plus, on a dû le faire évacuer”, répond Victoria. “Sauf qu’un kwassa rempli de clandestins a chaviré dans la nuit, les secours étaient tous là-bas. Ils pouvaient pas nous envoyer de bateau…” Pourtant, depuis Majicavo 4, une embarcation semblait bien filer vers Saziley moins d’une heure plus tôt. “C’est les proches d’Ali qui sont venus le chercher.”
8 heures. Sur le sable blanc de la plage de Majicavo 4, quatre hommes vêtus de noir, de lourds sacs dans le dos, s’approchent du camp. “Bonjour, brigade de M’zouazia. On vient prélever la viande.” Les bénévoles indiquent aux militaires l’emplacement du paquet. “Y a au moins 20 kilos là-dedans”, commente un gendarme en empoignant le sac dont s’échappe encore un mince filet de sang. Il le dépose à terre, déchire le plastique, d’où s’échappe une odeur âpre. “Ils ont même mis les œufs.” Une partie du butin est récupérée pour être confiée aux enquêteurs, l’autre est enterrée dans le sable, où personne ne pourra plus le récupérer. “On va aussi prendre le sac et le bandana utilisé pour le fermer. S’ils ont déjà été arrêtés, on pourrait les avoir avec leurs empreintes”, sourit un gradé. Malheureusement, les deux braconniers ne seront jamais identifiés. Sur la plage voisine, Mireille remue sa bombe de peinture verte dans tous les sens. “Tiens, celle-là on l’avait pas vue hier !” Membre du REMMAT, le réseau local d’échouage, elle recense régulièrement les cadavres de tortues. Sur la carapace dont le vent a décollé quelques écailles, elle inscrit la date du jour. “C’est important, parce que sinon quand les autres associations passeront, elles croiront qu’on ne l’a pas encore comptée. Et après, comment on fait pour savoir où on en est ?” Selon les données locales, 3 à 5 000 tortues vertes viendraient pondre chaque année à Mayotte, pendant qu’ à l’échelle mondiale, le nombre de femelles reproductrices a été divisé par deux au cours des trois dernières générations. n
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MAGAZINE D’INFORMATION NUMÉRIQUE HEBDOMADAIRE Edité par la SARL Somapresse au capital de 20 000 euros 7, rue Salamani Cavani M’tsapéré BP 60 - 97600 Mamoudzou Tél. : 0269 61 20 04 contact@mayottehebdo.com Directeur de la publication Laurent Canavate canavate.laurent@mayottehebdo.com Directeur de la rédaction Mohamed El Mounir dit “Soldat” 0639 69 13 38 soldat@mayottehebdo.com Rédactrice en chef Solène Peillard
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Couverture :
Braconnage L'eau & le feu
Journalistes Romain Guille Raïnat Aliloiffa Constance Daire Direction artistique Franco di Sangro Graphistes/Maquettistes Olivier Baron, Franco di Sangro Commerciaux Cédric Denaud, Murielle Turlan Thomas Lévy Comptabilité Catherine Chiggiato compta@mayottehebdo.com Secretariat Annabelle Mohamadi Première parution Vendredi 31 mars 2000 ISSN : 1288 - 1716 RCS : n° 9757/2000 N° de Siret : 024 061 970 000 18 N°CPPAP : 0121 I 92960 Site internet www.mayottehebdo.com