Emploi, formation, volontariat…
À chacun sa solution. Avec le plan � 1 jeune, 1 solution �, le Gouvernement fait de l’insertion professionnelle des jeunes une priorité. Chacun, chacune peut trouver une solution qui réponde à ses attentes : un emploi, une formation ou une mission. Pour accélérer l’embauche des jeunes de moins de 26 ans et le recrutement d’apprentis, un dispositif d’aides aux entreprises a été mis en place. Près de 1 000 entreprises se sont déjà engagées en recrutant des jeunes et en proposant des milliers d’offres d’emploi. Rejoignez, vous aussi, la mobilisation ! Rendez-vous sur 1jeune1solution.gouv.fr
LE MOT DE LA RÉDACTION
"PLUS JAMAIS ÇA !" : VRAIMENT ? A la radio cette semaine, l’avocat chargé de défendre les intérêts de la ville de Dzaoudzi-Labattoir dans les affaires de violences et de meurtres qui la secouent actuellement, a déclaré que le mot d’ordre de cette campagne judiciaire sera : "Plus jamais ça !". Il y a 5 ans, Christophe Brousset était lâchement poignardé à mort par trois mineurs pour une sacoche, alors qu’il venait récupérer son fils au judo. Un immense mouvement de solidarité rassemblant des milliers de Mahorais dont les plus hautes personnalités politiques dans les rues de Mamoudzou, s’en était suivi… le mot d’ordre de cette campagne de dénonciation des violences à Mayotte était déjà : "Plus jamais ça !". Les mots, c’est bien. Des mots forts ? Pourquoi pas. Mais à quoi servent-ils concrètement si c’est, finalement, pour que les mêmes drames se reproduisent des semaines, des mois, des années après ? Les actes seraient bienvenus et certainement mieux appréciés que des mots. En l’occurrence des actes forts, qui marqueront. Dans le cas contraire, en continuant d’aposer de pauvres pansements sur une hémorragie, ne soyons pas surpris qu’à l’avenir, il y ait "Encore ça !" Ichirac Mahafidhou LUC - BAT
PMU G.I.E. SIREN 775 671 258 RCS PARIS. ©Kalle Gustafsson/Trunk Archive.
Mayotte Hebdo • 1/2 Page Largeur FU • 190 x 130 mm • LA RUEE VERS L ARGENT • Parution 29/janv./2021 • Remise 20/janv./2021
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TCHAKS LE CHIFFRE 9
C’est le nombre d’interpellations auxquelles ont procédé les forces de l’ordre, à la suite du week-end sanglant de Petite Terre. Trois personnes y ont perdu la vie en trois jours lors de violences aggravées en bande organisée. Près d’une centaine de militaires ont été mobilisés pour procéder à ces opérations. D’autres interpellations sont à prévoir annonce le procureur.
LA PHRASE
"Oui à la piste longue, mais pas au détriment de l’environnement"
L'ACTION
La préfecture confine la Petite Terre et Bouéni jusqu’à nouvel ordre
Ali Madi, président de la Fédération mahoraise des associations environnementales a accordé un entretien à Flash Infos ce jeudi, et s’est clairement positionné en faveur de la piste longue. Toutefois, celui-ci est défavorable à ce que le projet se fasse dans les conditions prévues à ce jour. "Plutôt que de remblayer avec de la terre qui envase la mer et est nocive pour le lagon, il faudrait mettre des pierres et du béton comme cela a été fait à La Réunion pour la route du littoral. Nous faisons cette proposition depuis 2011, mais les autorités n’en veulent pas car cela coûte beaucoup plus cher", assure le président de la FMAE.
Depuis ce jeudi soir, les communes de Bouéni, Dzaoudzi-Labattoir et Pamandzi sont confinées pour une période indéterminée en raison de leur taux élevé d’incidence. Les établissements scolaires sont fermés tandis que les commerces essentiels restent eux ouverts. Les déplacements entre Grande-Terre et Petite-Terre sont quant à eux limités à certaines professions. "Face à ce contexte qui s’est dégradé brutalement au cours des dernières 24 heures, en parfait accord avec l’agence régionale de santé, Jean-François Colombet, préfet de Mayotte, délégué du gouvernement, a décidé de confiner [ces] communes pour une période indéterminée", a annoncé la préfecture dans un communiqué envoyé peu avant 19h ce mercredi.
PROPOSENT UNE FORMATION AU TITRE D’AGENT DE SURETE ET DE SECURITE PRIVEE A DIEPPE en MÉTROPOLE La formation d’une durée de 3 mois permet de se présenter au Titre d’Agent de sûreté et de sécurité privée (TA2SP). Aucune condition de diplôme n’est requise pour s’inscrire. Il faut néanmoins réussir les épreuves de sélection (évaluation en français et entretien), avoir une bonne forme physique (station debout fréquente), une bonne élocution et la capacité à représenter et faire respecter les lois. Début de la formation : 23 mars 2021 Inscription sur le site Internet de l’IFCASS www.ifcass.fr jusqu’au 15 janvier 2021.
Renseignement : Auprès de l’IFCASS au 02.35.82.67.18 et sur son site Internet www.ifcass.fr Auprès de LADOM au 02.69.61.51.28 et sur son site Internet www.ladom.fr
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LU DANS LA PRESSE
Chaque semaine, découvrez le regard porté sur l’actualité locale à travers la presse nationale ou régionale
MAYOTTE : “UNE SPIRALE INFERNALE D’ASSASSINATS, SANS AUCUNE RÉACTION” DE L'ETAT Publié dans Libération, Par Laurent Decloitre, correspondant à la Réunion — 25 janvier 2021
Depuis samedi, les assassinats à la machette de deux adolescents et d'un homme de 36 ans, dans le bidonville de la Vigie où vivent des Comoriens, secouent le département français. De pire en pire. La violence a encore frappé ce weekend à Mayotte, provoquant une onde de choc dans le département français de l’océan Indien. Dimanche, un adolescent de 14 ans a été retrouvé assassiné sur PetiteTerre, où se trouvent l’aéroport et la préfecture et qui fait face à Grande-Terre, l’île principale de Mayotte. La victime a reçu des coups de chambo (machette) à la gorge, laissant croire à une décapitation, avant que le procureur de la République, Yann Le Bris, ne démente. “La victime, poursuivie par un groupe d’une dizaine à une quinzaine de jeunes individus armés, s’est réfugiée dans un banga [petite case en tôle, ndlr] mais s’est retrouvée acculée”, détaille-t-il pour Libération. Samedi, un autre adolescent de 15 ans a été tué à l’arme blanche également, toujours par une bande de jeunes. La veille, vendredi, c’est un adulte de 36 ans, de nationalité comorienne, qui a perdu la vie, suite à des coups de machettes et de pierres, selon l’autopsie. Par ailleurs, deux cases en tôle ont été incendiées, d’autres saccagées et des véhicules incendiés.
APPELS À LA VENGEANCE Une vingtaine de gendarmes sont mobilisés pour tenter de retrouver les auteurs des faits, peut-être liés les uns aux autres. Des appels à la vengeance avaient circulé sur les réseaux sociaux dès samedi, après le premier meurtre, dont le motif n’a pas encore été établi par les enquêteurs. Mais pour le maire de Dzaoudzi, Saïd Omar Oili, il s’agit de règlements de comptes entre personnes originaires d’Anjouan, la plus proche des îles comoriennes, d’où sont originaires les immigrés clandestins vivant à Mayotte. Ces trois assassinats ont eu lieu dans le quartier de la Vigie, un immense bidonville entre la commune de Pamandzi et celle, au nom tristement prémonitoire, de Labattoir. En 2019, Christophe Castaner, alors ministre de l’Intérieur, s’était rendu sur place pour réaffirmer la volonté de l’Etat de lutter contre la délinquance et l’immigration clandestine, qui gangrènent le département français. La Vigie fait l’objet depuis 2016 d’une réhabilitation urbaine et a intégré le programme “quartier de reconquête républicaine”… Des mesures pour l’instant sans effet, ce qui nourrit la colère des habitants. Des dizaines d’entre
eux se sont rendus dimanche matin devant les grilles de la préfecture, se disant “abandonnés” par la République. Joint par téléphone, Mahamoud Azihary, membre fondateur du Collectif des citoyens de Mayotte, est catégorique : “Une grande puissance comme la France aurait les moyens de nous protéger si elle le souhaitait, mais elle s’intéresse plus aux richesses de l’espace maritime de Mayotte qu’à ses habitants.” Dans un communiqué, les deux députés et deux sénateurs de Mayotte dénoncent, eux, “une spirale infernale d’assassinats et de destruction, sans aucune réaction à hauteur de la situation”. Ils demandent la venue au plus vite des ministres de l’Intérieur, de la Justice et des Outre-Mer.
“ACTES BARBARES DE DÉLINQUANCE” Les élus s’indignent notamment que ni le gouvernement ni l’Elysée n’aient encore réagi alors qu’ils l’ont fait après le lynchage d’un autre jeune, Yuriy, à Paris, dont la vidéo a surgi en fin de semaine, quinze jours après les faits. Les membres du collectif Mayotte en Sous-France demandent de leur côté “l’interdiction du territoire des fauteurs de troubles et de leur famille” et la “démolition” de leur habitation. Pour sa part, le conseiller départemental de Pamandzi, Daniel Zaïdani, critique “l’impuissance de l’Etat face à l’immigration clandestine et aux actes barbares de délinquance”. Jean-François Colombet, le préfet de Mayotte, évoquait ce week-end des “délinquants qui sèment le désordre depuis quelque temps à Petite-Terre”, donnant le sentiment d’avoir sous-estimé la situation. Le 6 janvier, le représentant de l’Etat avait lancé “une vaste opération” dans ce même quartier de la Vigie, à l’issue de laquelle 27 personnes avaient été interpellées dont 14 étrangers en situation irrégulière et 13 mineurs “en errance nocturne”. Lundi, la situation restait tendue à Mayotte. Le procureur Yann Le Bris rappelle que “l’attente de la population d’une justice immédiate est difficilement compatible avec cette succession de crimes en si peu de temps et par des auteurs encore à identifier”. Les pouvoirs publics appellent au calme, craignant que les Mahorais ne soient tentés de se faire justice eux-mêmes. Début novembre, lors des premières Assises de la sécurité qui s’étaient tenues à Mamoudzou, les organisateurs avaient recensé 200 milices ou patrouilles d’habitants sur l’ensemble de l’île… “Mais, prévient Yann Le Bris, il n’y aura aucune espèce d’indulgence en cas de crime sous le faux prétexte de vengeance.”
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TRIBUNE LIBRE
SOULA SAID SOUFFOU
LA “MALÉDICTION“ DES ADAPTATIONS LÉGISLATIVES : UNE RÉFLEXION SUR LES VIOLENCES INSTITUTIONNELLES À MAYOTTE 6•
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réduits de moitié, absence de port d’État, pas d’AME ni de CMU-C, pas de CHU, exclusion de l’espace Schengen, circulaire Taubira non appliquée, etc.). La démarche de la progressivité, agissant en toile de fond comme élément de légitimation de cette approche, était déjà portée par la Loi n° 2001-616 du 11 juillet 2001 relative à Mayotte et par l’ensemble des dispositions législatives et règlementaires suivantes, relatives à Mayotte et aux outre-mer. Vingt ans plus tard, le recours à un calendrier rallongé de plusieurs décennies supplémentaires pour atteindre l’égalité économique et sociale interroge en ce sens qu’il repousse encore la perspective de l’alignement des droits économiques et sociaux. La mise en oeuvre à Mayotte de solutions de progressivité appliquées aux autres DOM départementalisés en 1946, dans un contexte totalement différent, n’est pas adaptée au contexte migratoire, social et sécuritaire explosif de Mayotte en 2021. Cette démarche met en lumière ce que l’on pourrait appeler “ la malédiction des adaptations législatives ” qui sont permises par les articles susvisés. L’esprit et la lettre des articles 73 de la Constitution et 349 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE) sont souvent limités dans leur portée à Mayotte, comme dans les autres territoires ultramarins, en raison des différences d’appréciation des notions “ d’adaptation ” et des “ caractéristiques et contraintes particulières ” qui sont propres aux outre-mer. À Paris comme à Bruxelles, ces notions font débat (rapport Letchimy, 2013) et entrainent des joutes juridiques, parfois houleuses, qui ont pourtant des conséquences économiques et sociales très concrètes sur la vie quotidienne des Ultramarins (mémorandums, déclarations finales de la CPRUP). D’aucuns observent que là où il y a besoin d’adaptation, le droit commun s’impose avec toute sa majesté. D’aucuns observent, en même temps, que là où le droit commun doit s’imposer, l’adaptation s’applique, à la surprise générale. Tout cela intervient, trop souvent, dans l’urgence, sans concertation véritable et sans études d’impact préalables à l’extension ou à l’application des législations et règlementations françaises et européennes à Mayotte (rapports CNEPEOM, Loi organique n° 2009403 du 15 avril 2009, rapport du Conseil d’État de 2011).
L’éloignement de l’égalité, par la loi, est vécu comme une violence institutionnelle forte qui méconnait les valeurs républicaines d’égalité et de fraternité. Il ne s’agit pas, dans notre propos, de nous hasarder à parler d’économies faites sur le développement de Mayotte, mais de nous inscrire en faux contre la démarche qui consiste à considérer la notion d’adaptation comme l’alignement systématique des politiques publiques locales vers le bas. Le principe d’adaptation ne saurait trahir celui de l’égalité en perdant davantage de sa substance à travers une interprétation détournée de ses vrais buts constitutionnels. Par ailleurs, l’article 1er de notre déclaration des droits de l’Homme et du citoyen garantit à chaque citoyen les mêmes droits et devoirs. L’État est tenu de lutter contre les discriminations, pas d’en créer, sous prétexte d’adaptations de la loi. Pour assurer le développement de Mayotte, assumer pleinement toutes les responsabilités publiques n
La logique d’adaptation des lois et règlements, par voie d’ordonnance (Art. 38 de la Constitution), se traduit, trop souvent, par l’amoindrissement ou l’exclusion de Mayotte de plusieurs dispositifs essentiels à son équilibre social et à la maîtrise de son développement économique (dotations des collectivités amoindries, fonds européens
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DÉLINQUANCE
ILS SE FAISAIENT APPELER LA BANDE DE GOTAM 9 interpellations après les violences de Petite-Terre. Une cellule d’enquête surveille depuis décembre les agissements d’une bande du quartier de Cetam, en Petite-Terre. Depuis lundi, et après un week-end entaché de barbarie, la gendarmerie, avec l’appui de la police nationale, a enfin pu mettre à terre une partie des fauteurs de trouble.
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DOSSIER
C’est une véritable Hydre de Lerne que les enquêteurs de la gendarmerie de Pamandzi ont démantelée. Après les violents affrontements de ce week-end en Petite-Terre, qui ont provoqué la mort de trois personnes, huit individus ont été interpellés, placés en garde à vue et présentés au tribunal ce mercredi. Un neuvième avait été interpellé avant ces événements dramatiques. Une information judiciaire a été ouverte pour des chefs de vols aggravés, destructions, violences aggravées, associations de malfaiteurs et vols aggravés en bande organisée. Le parquet a requis leur placement en détention provisoire et ils devaient passer ce mercredi soir devant le juge des libertés et de la détention. En haut de la pile ? Abdallah D. I., dit “Crochet”. Cet homme de 19 ans est considéré comme le chef de “la bande de Gotam”, du nom de ce groupe né dans le quartier de Cetam. Le “h” est tombé, mais difficile de passer à côté de cette référence à la ville fictive, temple de tous les vices, qui a fait sa réputation dans les comic books américains de DC Comics… La comparaison s’arrête là. Car les faits qui sont reprochés à ce “meneur” et sa dizaine de sbires n’en font pas vraiment un justicier à la Bruce Wayne. Modes opératoires particulièrement ficelés, coordination d’une cinquantaine de jeunes, processus de recrutement avec certains mineurs enrôlés de force, le tout pour perpétuer vols, cambriolages, et crimes en tout genre… Les enquêteurs ont visiblement affaire à des criminels aguerris. Quant à la question, particulièrement polémique sur l’île, de savoir si les mis en cause sont d’origine étrangère ou non, il semblerait que “la majorité sont nés à Mayotte, pour certains de parents français, et sont français”. À ce stade, “les éléments ne permettent pas de dire s'ils sont Comoriens ou non”, insiste le procureur de la République, Yann Le Bris.
PREMIER INDIVIDU RETROUVÉ DÉBUT JANVIER Peu importe. Cette organisation aura, quoi qu’il en soit, donné du fil à retordre
aux enquêteurs. Les interpellations de cette semaine n’étant d’ailleurs pas les premières : à l’occasion du cambriolage d’un Douka Bé début janvier, les enquêteurs étaient parvenus à retrouver la zone de rassemblement des suspects. Là, un bel attirail d’une dizaine d’armes blanches, des machettes, des chumbos mais aussi des trouvailles moins “classiques”, comme une béquille avec des clous ou une épée de type rapière, avaient été collectés. Et juste au-dessus, planqué dans l’arbre, le numéro 2 de la bande... “L’île de Petite-Terre, d’habitude préservée, a été marquée depuis octobre 2020 par une hausse significative de délits et d’actes criminels”, retrace le procureur de la République, en introduction d’une conférence de presse solennelle pour répondre aux interrogations qui n’ont pas manqué de fleurir depuis le week-end. Face à ce constat, et dès le mois de décembre 2020, une cellule spéciale d’une vingtaine d’enquêteurs a donc été mise en place pour apporter une “réponse efficace et durable” à cette situation inhabituelle - avec l’envoi de la “task force” annoncée par le ministre des Outre-mer Sébastien Lecornu, ce sont dix enquêteurs de plus qui viennent grossir les rangs de cette équipe de fins limiers.
150 À 200 FAITS RECENSÉS PAR LA CELLULE D’ENQUÊTE En quelques semaines, la cellule a alors recensé près de 150 à 200 faits, avec parfois jusqu’à une dizaine d’infractions relevées chaque jour. Le nombre d’auteurs a suivi la même pente ascendante, jusqu’à atteindre près d’une cinquantaine d’individus. Ce sont donc ces jeunes, âgés parfois de moins de dix ans, qui ont mené la vie dure à la PetiteTerre ces dernières semaines.
VICTIME COLLATÉRALE ET DÉFERLEMENT DE VIOLENCES Jusqu’à ce week-end, où la violence a atteint son paroxysme. Et un bilan sanglant, de trois meurtres, dont deux adolescents. Ce que
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l’on sait pour l’instant : l’homme de 36 ans, d’origine comorienne, dont le corps sans vie a été retrouvé vendredi à la Vigie serait “une victime collatérale” d’un conflit entre bandes rivales. “L’enquête s’oriente vers un crime commis gratuitement par un certain nombre de membres du groupe de Gotam”, complète le procureur. Visiblement, la bande se rendait vers la Vigie, et a croisé sur son chemin l’agriculteur, qui a alors fait les frais de cette “émulation guerrière”, précise le capitaine Depit, chargé de la police judiciaire. L’enquête n’a, pour l’instant, pas permis de déterminer si les meurtres de deux jeunes, samedi et dimanche, étaient liés à la bande de Gotam ou à cette première affaire. Même chose pour l’agression d’un homme la semaine dernière, en amont de ces violences, qui a échappé à la mort mais qui est toujours hospitalisé. Un individu a toutefois déjà été interpellé et placé en détention pour cette dernière attaque.
LE CALME ENFIN REVENU ? Une chose est sûre : ce déferlement de violences a mis des bâtons dans les roues de la gendarmerie, nous dit-on. “L’opération d’interpellation était prévue initialement lundi et la mort de cet homme de 36 ans nous a obligés à nous réarticuler car cela a conduit les bandes à se disperser entre la Grande-Terre et la Petite-Terre”, analyse le commandant de gendarmerie Olivier Capelle. Qui insiste par ailleurs sur les moyens déployés par la gendarmerie, d’abord de 63 puis 95 militaires mobilisés pour procéder à ces interpellations et aussi s’interposer entre les communautés de la Vigie et de Cetam. “Sachant le passif de ces deux quartiers, nous avons sollicité quarante militaires de la gendarmerie mobile qui sont arrivés hier pour ce dispositif d’interposition, qui sont là de jour comme de nuit, pour éviter toute représaille.” Avec pour l’instant, un bon point. “Depuis dimanche, on dirait que nous avons un peu figé la situation. C’est très calme en Petite-Terre”, se gararise le commandant. Trop calme ? n C.D
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DOSSIER
Propos recueillis par R.G
POLITIQUE
POUR MANSOUR KAMARDINE, “ LES MOYENS AFFECTÉS SONT EN DEÇÀ DES BESOINS RÉELS ” FACE AUX RISQUES DE NOUVELLE FLAMBÉE ÉPIDÉMIQUE À MAYOTTE, LE DÉPUTÉ LR MANSOUR KAMARDINE MARTÈLE DEPUIS PLUSIEURS SEMAINES L'ABSENCE DE MOYENS DÉPLOYÉS PAR LE GOUVERNEMENT SUR LE TERRITOIRE. MALGRÉ LES MESURES FORTES PRISES RÉCEMMENT PAR LE PRÉFET, LE PARLEMENTAIRE REGRETTE LE RETARD À L'ALLUMAGE AU SUJET DE LA CAMPAGNE DE VACCINATION ET EXIGE LE RENFORCEMENT DE LA POLITIQUE MIGRATOIRE POUR ÉVITER DE PROVOQUER UNE NOUVELLE CRISE SOCIALE MAJEURE. 12•
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Mayotte Hebdo : Depuis le début de l'année, vous ne cessez d'alerter sur une possible reprise épidémique à Mayotte. Vos craintes se sont confirmées avec l'arrivée sur le territoire du variant sud-africain, qui a poussé le préfet à prendre des mesures drastiques, comme la mise en place du couvre-feu ce jeudi 21 janvier. Comment avez-vous accueilli ses déclarations ? Mansour Kamardine : Je dirais qu'il y a une certaine forme d'espérance dans les décisions prises par le préfet. Je souhaite qu'il y ait maintenant un renforcement des contrôles pour lutter contre l'organisation de fêtes et de mariages qui participent à la circulation de l'épidémie et qui mettent en danger la santé collective. En métropole, des moyens importants ont été déployés pour endiguer les rassemblements, notamment à l'occasion du passage à la nouvelle année. Je ne crois pas que ce soit la fin du monde si nous demandons aux habitants de ne pas se regrouper... Nous pouvons attendre un petit peu et prendre notre mal en patience, non ?! MH : L'une des autres mesures fortes annoncées par le délégué du gouvernement est l'appel à mobilisation des opérateurs nautiques privés pour participer à la détection en mer des kwassas. Que vous inspire cette demande ? M. K. : Je salue le renforcement de la protection de nos frontières. Mais l'initiative de faire appel à des opérateurs nautiques privés, qui je l'espère se mobiliseront, permet de corroborer ce que nous dénonçons depuis des mois, voire même depuis des années. Les moyens affectés sont en deçà des besoins réels ! La France doit assumer la souveraineté de Mayotte, ce n'est quand même pas la mer à boire. Il apparaît essentiel que le gouvernement opère dans les plus brefs délais un calibrage vers le haut pour endiguer le phénomène migratoire des kwassas. Car il est avéré que nous trouvons de tout à bord de ces embarcations de fortune : aussi bien des personnes porteuses du virus que des cheptels et de la contrebande. MH : Justement, n'est-ce pas un aveu d'échec de la politique migratoire pratiquée à Mayotte ? La solution ne serait-elle pas plutôt diplomatique, comme le préconise le document-cadre de partenariat francocomorien de juillet 2019 ? M. K. : À la question, faut-il développer une coopération sanitaire ? La réponse est oui, bien évidemment. L'agence française de développement (AFD) vient de mobiliser 1 million d'euros pour aider l'Union des Comores à faire face à l'épidémie. Il faut le faire sans condition ! En
apportant notre appui aux autorités comoriennes, nous réalisons une double opération : nous l'épaulons pour soigner sa population et nous nous protégeons. Mais en contrepartie, nous pouvons être plus fermes avec ses dirigeants politiques et faire en sorte qu'elle respecte sa part du marché. MH : Quant à la campagne de vaccination, elle s'est accélérée sur l'ensemble du territoire national et dans les Outre-mer, et Mayotte passe encore une fois pour la cinquième roue du carrosse… Ici, elle ne doit pas débuter avant le début de semaine prochaine. M. K. : Avec mes collègues parlementaires, nous avons appelé de nos vœux à un véritable plan actif de vaccination. Malheureusement, l'agence régionale de santé se trouve seule pour faire un appel du pied à Paris dans le but qu'on lui envoie les doses nécessaires. La population mahoraise souhaite ardemment être vaccinée ! Peut-être même plus qu'ailleurs puisque nos capacités hospitalières et logistiques sont limitées, à l'image des 16 lits en réanimation. D'autant plus que nous sommes à portée du variant sud-africain. Ce nouvel épisode démontre bien à quel point le 101ème département est totalement délaissé par le gouvernement. Ce que nous vivons actuellement, nous l'avons déjà vécu en 1981 lors de l'arrivée au pouvoir de François Mitterrand, qui souhaitait purement et simplement le largage de Mayotte à l'Union des Comores. Mais c'était sans compter sur la détermination des Mahorais. Notre histoire est comparable à la fable “ Le Chêne et le Roseau ” de Jean de La Fontaine. Nous ne rompons pas et nous continuerons à exprimer notre souffrance. MH : Selon vous, les Mahorais sont-ils prêts à respecter le couvre-feu, voire même à accepter un nouveau confinement si la situation sanitaire ne s'améliore pas d'ici 15 jours ? M. K. : Les Mahorais comprennent la nécessité du couvrefeu et l'éventualité du confinement. À condition que tous les moyens soient mis à notre disposition, comme l'envoi des bâtiments de la marine nationale pour surveiller nos côtes. Si demain, des kwassas continuent de beacher, cela va provoquer une crise sociale majeure. L'opinion ne l'acceptera pas. Et nous risquons d'aller au devant de grosses difficultés, comme des affrontements avec les forces de l'ordre... n
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DOSSIER
Propos recueillis par Nora Godeau
ENTRETIEN AVEC ROZETTE YSSOUF
QUELLE ÉVOLUTION POUR LES RAPPORTS HOMMES/FEMMES DANS LA SOCIÉTÉ MAHORAISE ? A L’HEURE DES RÉCENTS MOUVEMENTS “ ME TOO ” ET “ BALANCE TON PORC ”, NOUS NOUS SOMMES DEMANDÉ CE QU’IL EN ÉTAIT DES RAPPORTS ENTRE LES HOMMES ET LES FEMMES DANS LA SOCIÉTÉ MAHORAISE. MAYOTTE EST PASSÉE EN MOINS D’UNE VINGTAINE D’ANNÉE SEULEMENT D’UNE SOCIÉTÉ TRADITIONNELLE À UNE SOCIÉTÉ MODERNE INDUSTRIALISÉE, CE QUI N’A PAS MANQUÉ DE GÉNÉRER UNE CERTAINE ÉVOLUTION DANS CES RAPPORTS. MAIS CES CHANGEMENTS SONT-ILS VRAIMENT PROFONDS OU SIMPLEMENT SUPERFICIELS ? ROZETTE YSSOUF, PSYCHOLOGUE QUI S’EST BEAUCOUP INTÉRESSÉE À CES QUESTIONS, NOUS RÉPOND AU SEIN D’UNE INTERVIEW. Mayotte hebdo : Pouvez-vous nous décrire dans les grandes lignes la manière dont sont éduqués les hommes et les femmes dans la société mahoraise traditionnelle ? Rozette Yssouf : En termes d’éducation, certaines femmes déplorent la manière dont les hommes sont éduqués à Mayotte. Ils
ont des privilèges certains dans l’éducation traditionnelle. Dès le plus jeune âge, ils sont mieux traités que les petites filles à qui on demande beaucoup plus. Ils ont aussi plus de liberté et peuvent explorer leur environnement social plus facilement que les jeunes filles qui sont plus surveillées, du fait des risques encourus (grossesses
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seraient perçus comme des “ enfants rois ” devenus des “ adultes roi ”. Ils manqueraient d’empathie, montreraient parfois de la violence sous toutes ses formes (physique, sexuelle, verbale, psychologique, etc.). Ils se considéreraient donc comme supérieurs aux femmes et confondraient coutumes et religions pour ne prendre que les avantages des deux côtés. Néanmoins, ils existeraient aussi des hommes “ plus à l’écoute ”, et responsables, partageant les tâches domestiques et les décisions liées à l’éducation de leur progéniture. Ce sont toutefois des profils plus rares, d’après les témoignages oraux des femmes ayant un époux mahorais. M.H : Y a-t-il un modèle traditionnel de couple mahorais ? Si oui, quel est-il ?
précoces, perte de leur virginité avant leur mariage, etc.) Ainsi, les jeunes garçons sont dispensés des tâches ménagères et se font même servir parfois. Ils n’ont pas de compte à rendre et sortent de leur maison librement sans surveillance particulière. Cette liberté empiète sur celle des jeunes filles qui ne sont pas traitées de la même façon (apprentissages des tâches ménagères et de la cuisine dès 6 ans, interdiction de sortir sans la surveillance d’un adulte ou d’un grand frère etc.) En outre, elles doivent servir leur père avec respect et sans plainte. M.H : Qu’est-ce que cette différence d’éducation implique dans les personnalités des hommes et des femmes une fois devenus adultes ? R.Y. : Le résultat de cette éducation, selon nos témoignages, serait que les jeunes garçons devenus adultes auraient des comportements dominants et “ autoritaires ”. Ils seraient également passifs et absents de l’éducation ou de la vie familiale bien que présents physiquement. Certaines femmes pensent même qu’ils seraient “ machos ” et non à l’écoute des femmes. Ils
R.Y : Dans le modèle traditionnel, l’homme est d’extérieur et la femme est d’intérieur. L’homme travaille, ramène l’argent, s’occupe du bricolage et des choses plus compliquées à porter et à faire en termes de travaux dans la maison. La femme quant à elle gère sa maison (tâches ménagère, repas, éducation des enfants, organisation en général comme les courses, les factures, etc.). La petite fille, devenue “ femme, puis épouse et mère ”, est un “ pivot ”, les hommes, les pères, des “ éléments mobiles ”. Mariés, ces hommes habitent dans la maison de leur femme et doivent subvenir à leurs besoins. Le couple des parents doit également assurer à leurs propres filles une maison pour pouvoir les marier. Les filles ont donc un destin toute tracé : elles doivent se marier et devenir mère. Aujourd’hui, elles travaillent aussi et font des enfants beaucoup plus tardivement. Même instruites, elles doivent obéissance à leurs parents et surtout à la mère en devenant une bonne épouse, soumise aux désirs de son époux. Les jeunes filles sont très tôt éduquées à devenir de bonnes épouses, savoir faire à manger et s’occuper d’une maison et de leurs petits frères et sœurs. Elles sont préparées à devenir “ de parfaites femmes au foyer ”. Mayotte hebdo : Ce modèle traditionnel a-t-il évolué avec l’avènement de la modernité ? R.Y. : Pour la plupart des couples mahorais, même actuellement, la femme reste l'équilibre de sa famille, le point central. Rien ne se passe sans elle. Même en travaillant elle se doit d'être, comme dit la publicité, " une femme qui déchire ". Elle astique, elle nettoie, elle range, elle élève les gosses tout en se pomponnant pour susciter le désir de son homme. Les hommes peuvent sortir profiter de leurs week-ends avec leurs amis. Les
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plus tendres, plus ouverts et seraient aussi de bons papas. Les jeunes couples partagent désormais des moments plus complices dans les restaurants, ils voyagent ensemble à la rencontre de nouveaux pays, ils s'affichent et font leur déclaration d'amour sur les réseaux sociaux...Ils parlent également plus librement de leur couple. Des compromis sont installés et chacun se ménage des moments pour soi dans la semaine. M.H : La polygamie concerne-t-elle l’ensemble des hommes mahorais ? En rebute-telle certains ?
femmes peuvent sortir raisonnablement pour le travail et les manzarakas (grand mariage traditionnel). Leur priorité absolue doit cependant rester leur mari et leurs enfants. Les moments en famille ont lieu sous forme de voulé (barbecue) à la plage ou dans leurs maisons. Les moments de couples sont rares, peut-être en début de noces, mais dès qu'il y a les enfants, cela reste du luxe de s'octroyer des périodes en amoureux. Le couple est à reconstruire, à retravailler pour qu'ils puissent s'autoriser des moments plus complices et tendres. Toutefois, certaines femmes voient que les nouvelles générations des hommes changent et se comportent de manière égale à elles. Ces hommes de la nouvelle génération seraient plus respectueux,
R.Y. : La polygamie concerne tous les hommes, ils peuvent sous certaines conditions épouser au maximum quatre femmes. Selon le verset 3 de la sourate “ Les Femmes ” : “ Il est permis d’épouser deux, trois ou quatre, parmi les femmes qui vous plaisent mais, si vous craignez de n’être pas juste avec celles-ci, alors une seule suffit. ” Quelques conditions sont requises pour la pratique de la polygamie : chaque épouse doit avoir son propre lieu d’habitation, l’homme doit être équitable envers chaque femme sans faire de préférence, le partage du temps entre les femmes doit être équitablement réparti. Les femmes en général n’aiment pas ça. Elles se plient à la religion, car le statut d’une femme célibataire est très mal perçu dans le contexte mahorais. Certaines font le choix de rester seules plutôt qu’avoir un mari polygame, mais elles le paient cher, à moins de s’ouvrir à d’autres possibilités que les hommes mahorais. Nous pouvons donner des exemples concrets. Un jeune homme de 32 ans quittait sa femme car celle-ci lui aurait été infidèle, alors que lui se donne le droit de la tromper au vu de tous sans remord ni culpabilité. À la question de savoir ce qu’il pensait de la souffrance qu’a pu ressentir sa femme face à ses infidélités répétitives, il répond : “ j’ai le droit, elle n’en a pas ”. Et pour lui, une femme ne souffre pas, elle encaisse en se taisant. Et c’est normal. À Mayotte, certaines femmes préfèrent être mal accompagnées que de rester seules. Auraient-elles peur de l’isolement ? Peur
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de manquer du besoin physiologique ? Peur de ne pas bénéficier de l’assistance matérielle que d’autres femmes bénéficient ? Une chose est sûre, c’est que, dans la société mahoraise, une femme célibataire est très mal vue…Les hommes à Mayotte se décrivent comme étant des polygames liés à leur culture, ils expliquent également leurs infidélités par la pression sociétale : “ un vrai homme c’est celui qui trompe sa femme ”, sinon ils sont rejetés par leurs pairs… M.H : Y a-t-il beaucoup de violences psychologiques ou physiques contre les femmes dans la société mahoraise ? Si oui, pouvez-vous nous donner des exemples de ces violences ? R.Y : Comme partout ailleurs. Mayotte n’est pas une exception à la règle, bien au contraire. Je n’ai pas de chiffre exact mais beaucoup de femmes restent silencieuses face à ces violences. Il y a également beaucoup de violences sexuelles au sein des couples et dans la famille. Des jeunes filles se font agresser également…Et on les stigmatise bien souvent au lieu de les accompagner dans leurs traumatismes (elles deviennent doublement victimes et se font même expulser de leur village). Désarmées et en souffrance psychologique, non prises en charge, elles se développent de façon instable avec des comportements à risque (prostitution, drogue, alcool, grossesse précoce, etc). M.H : Avez-vous pu observer une évolution dans l’éducation des enfants avec le temps ? R.Y. : Non, on est loin du compte. Cette éducation persiste même si quelques parents tentent de faire autrement. Cette éducation traditionnelle est ancrée en nous, et nous avons plutôt l’habitude de reproduire consciemment ou inconsciemment la manière dont nous avons été éduqués. C’est ce que l’on appelle “ la compulsion de répétition ”. On éduque avec ce que l’on sait, en essayant d’autres pratiques éducatives, mais la base ou la référence reste l’éducation traditionnelle. Par exemple, parler à nos enfants de moyens de contraception, pour certaines mères vues en groupe de parole, c’est inciter nos enfants à avoir des rapports sexuels précoces. Malgré tout, la virginité reste importante encore de nos jours, cela reste une fierté de marier sa fille vierge pour certaines femmes. M.H : En dehors des relations de couples et familiales, quels sont les rapports entre les hommes et les femmes dans la société mahoraise générale ? Des amitiés sont-elles par exemple possibles ?
R.Y. : Ce sont des rapports “ cordiaux ”, ils sont ensemble, mais chacun doit garder sa place définie par la société. Les rapports ne sont pas forcément égaux bien que les choses évoluent dans ce sens. Les femmes s’affirment de plus en plus et ne se laissent plus dominer par les hommes (car elles travaillent aussi et peuvent même gagner plus qu’eux et occuper des postes à responsabilités). L’amitié entre un homme et une femme est quasi inexistante, cela reste des rapports basés sur la séduction et la sensualité… D’ailleurs un homme et une femme non mariés ne doivent pas rester seuls, cela est mal vu et peut suggérer des relations “ pas trop musulmanes ”. Entre une femme et un homme, la troisième personne invisible entre eux est le “ shaytoini ”, le diable qui les feraient faire des choses interdites, des péchés pouvant les emmener à l’enfer (le zina : l’adultère, les relations libertines, etc.). M.H : On dit souvent que les femmes jouent un rôle important dans la société mahoraise, notamment en ce qui concerne les combats politiques. Confirmezvous ce fait ? Cela leur confère-t-il un certain pouvoir sur les hommes ? R.Y : La femme mahoraise a toujours joué un rôle très important dans la société mahoraise, notamment dans le combat pour que Mayotte reste française avec les “ Chatouilleuse ”. Aujourd’hui la femme mahoraise ose se mettre en avant en politique et occuper des postes qui jusque-là n’étaient réservés qu’aux hommes. C’est encore très récent et le chemin reste long à faire, mais les femmes mahoraises veulent être actrices de leur vie et ne veulent plus la subir et surtout ne plus exister que pour leurs hommes, se mettant derrière eux, dans une position de soumission et d’infériorité vis-à-vis d’eux. Les hommes mahorais ont peur de ces femmes modernes et instruites pouvant prendre de grandes responsabilités. Elles font fuir les hommes étant donné leur niveau d’instruction et leurs capacités intellectuelles. Ces femmes affirmées, qui ne se laissent pas dominer et s’imposent dans la sphère privée, rebutent certains hommes qui ne peuvent pas les contrôler ni les influencer en ayant une emprise sur elles. Elles savent ce qu’elles veulent et n’hésitent pas à quitter ce qui ne leur convient pas quitte à se retrouver seule et à être critiquées par la société. Ces femmes modernes restent souvent célibataires ou finissent par se marier ou se mettre avec des hommes occidentaux ou des hommes qui les comprennent et les acceptent comme elles sont. n
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Propos recueillis par Nora Godeau
AMÉNAGEMENT
“OUI À LA PISTE LONGUE, MAIS PAS AU DÉTRIMENT DE L’ENVIRONNEMENT” LE TEMPS PRESSE ET LE DÉBAT EST LOIN D’ÊTRE CLOS. L'ALLONGEMENT DE LA PISTE DE L'AÉROPORT NE FAIT PAS L’UNANIMITÉ TANT SUR LE FOND QUE SUR LA FORME. LES ASSOCIATIONS ENVIRONNEMENTALES SONT SOUVENT POINTÉES DU DOIGT, ACCUSÉES D’ÊTRE UN FREIN AU DÉVELOPPEMENT DE MAYOTTE. LA FÉDÉRATION MAHORAISE DES ASSOCIA-TIONS ENVIRONNEMENTALES EXPLIQUE CLAIREMENT SA POSITION. SON PRÉSIDENT, ALI MADI, EST FAVORABLE À LA PISTE LONGUE, MAIS L’ENVIRONNEMENT NE DEVRAIT PAS EN FAIRE LES FRAIS. UNE AUTRE ALTERNATIVE EST POSSIBLE. Mayotte Hebdo : Quelles sont vos réticences, vos peurs, concernant le projet de la piste longue qui date de 2011 ? Ali Madi : Le problème est qu’ils veulent mettre de la terre pour remblayer alors que la terre brut envase la mer. C’est nocif pour le lagon et les espèces qui vivent dedans. À cela s’ajoute la question de l’aménagement. Déjà en 2011, nous nous demandions ce que nous ferions des personnes qui habitent à Pamandzi et vers la colline de Four à Chaux. Entre temps, des habitations se sont rajoutées, la gendarmerie de Pamandzi a été agrandie,
et maintenant nous sommes en train de construire une caserne de pompiers. La station-service, qui a été rénovée, est un établissement sensible classé, un avion ne peut passer au-dessus. L’aménagement ne correspond pas au projet de l’aéroport. Pour ce faire, il faudrait tout enlever et quel élu courageux tien-drait ce discours ? Aucun car beaucoup d’argent a été investi. Si je devais avoir peur d’une chose, ça serait des politiques non consensuelles, des poli-tiques qui disent que nous allons faire la piste longue alors qu’ils font tout pour que cela ne se fasse pas. Parce qu’en autorisant toutes ces construc-tions et
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rénovations, ils montrent clairement leurs intentions de ne pas ral-longer la piste. MH : Que risquons-nous si nous rallongeons la piste longue sans prendre compte de tous ces paramètres ? A. M. : Il faudra s’inquiéter pour la santé des gens qui seront autour et qui ab-sorberont tous les jours du kérosène. Il y a aussi la pollution sonore ! À cause du bruit, les maisons se fisseront. Et je vous laisse imaginer les dégâts si un avion tombe sur la station-service. MH : Quelle alternative proposez-vous ? A. M. : Il faudrait plutôt mettre des pierres et du béton comme cela a été fait à La Réunion pour la route du littoral. Cela permettra de créer une piste convergente sur pilotis. Nous faisonscette proposition depuis 2011, mais les autorités n’en veulent pas car cela coûte beaucoup plus cher. Nous devons faire cet aéroport, Mayotte en a besoin, mais nous demandons des mesures compensatoires. La FMAE demande la protection des espèces marines qui sont dans cette zone. Nous pouvons les déplacer, cela implique un coût non négligeable, mais c’est absolument nécessaire. Et cela doit être écrit noir sur blanc. Je lance un appel pour que nous nous mettions au travail. Nous avons jusqu’en 2023 pour trouver la meilleure solution, et pour cela, il faut un comi-té locale qui suivrait les travaux. Ce qui n’est pas le cas, puisqu’actuellement c’est la seule direction générale de l'aviation civile, basée à La Réunion, qui est en charge. Et elle ne fait rien. Les Mahorais doivent porter leur projet. MH : Avez-vous des exemples de projets de développement qui ont été créés et acheminés à M ayo t t e e t q u i f i n a l e m e n t d é g ra d e n t l’environnement ? A. M. : En 1995, nous avons déjà allongé la piste avec de la boue. L’ensemble de la mer de Pamandzi était rouge. À cause de cela, la falaise de Petit Moya est en train de s’écrouler parce que nous avons dévié les courants. La même chose s’est produite au port de Longoni. Nous avons mis de la boue partout en utilisant la technique de dragage qui consiste à mettre un filet entre la mer et la terre. Sauf que le filet s’est ouvert et la boue s’est déversée sur le lagon. Il suffit d’un rien pour que ce type d’incident se
produit. Nous avons construit le nouveau marché de Tsararano sur une zone humide et mainte-nant il n’est pas fonctionnel. Idem pour le collège d’Iloni alors que nous avions mis en garde les autorités et que nous avions fait une autre proposi-tion qui n’a jamais été prise en compte. Aujourd’hui, l’ensemble des salles sont fissurées. Nous sommes en train de mettre des préfabriqués sur le par-king en guise de salles de classe et certains élèves sont envoyés dans d’autres établissements. MH : Vous semblez faire beaucoup de propositions sans jamais être réellement écouté. Êtes-vous sûr que cette fois-ci votre avis sera pris en compte ? A. M. : Oui, parce que jusqu’à maintenant, tout se jouait à Mayotte. Mais de-puis la prise de parole du président de la République, Emmanuel Macron, nous avons le soutien de l’autorité environnementale. Son avis doit être pris en compte. Les décisions seront prises à Mayotte, mais également à Paris et à Bruxelles. C’est ce qui embête les détracteurs des associations environne-mentales d’ici. MH : Qu’avez-vous à dire à ceux qui accusent les associations environnemen-tales d’être un frein pour le développement de Mayotte, notamment à travers la piste longue ? A. M. : Les Mahorais disent que des projets environnementaux se font à La Réunion, mais ils ne se demandent jamais de quelle manière. Là-bas, les as-sociations environnementales ont leur mot à dire. Nous mettons toutes nos propositions par écrit. Elles sont faites pour être lus, donc que ces gens-là se mettent à lire. Qu’ils consultent l’avis de l’autorité environnementale, et aus-si le projet de 2011. Les mêmes questions étaient déjà posées et elles n’ont jamais reçu de réponses. C’est bien beau d’aller crier à la radio et à la télé, mais en attendant, nous n’avons rien de concret de l’autre côté. C’est du fai-néantisme et de la bêtise de ne pas le faire. Tous ces élus et autres autorités ne le font pas parce qu’ils ont peur d’assumer leurs propos. La piste longue est un projet structurant pour Mayotte. Nous le soutenons fortement mais pas au détriment de l’environnement. Nous nous battrons pour que ce projet soit fait comme ailleurs c’est-à-dire en respectant l’environnement. n
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MAGAZINE D’INFORMATION NUMÉRIQUE HEBDOMADAIRE Edité par la SARL Somapresse au capital de 20 000 euros 7, rue Salamani Cavani M’tsapéré BP 60 - 97600 Mamoudzou Tél. : 0269 61 20 04 contact@mayottehebdo.com Directeur de la publication Laurent Canavate canavate.laurent@mayottehebdo.com Directeur de la rédaction Mohamed El Mounir dit “Soldat” 0639 69 13 38 soldat@mayottehebdo.com Rédactrice en chef Solène Peillard
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Couverture :
Délinquance Le régne de la terreur
Journalistes Romain Guille Raïnat Aliloiffa Constance Daire Direction artistique Franco di Sangro Graphistes/Maquettistes Olivier Baron, Franco di Sangro Commerciaux Cédric Denaud, Murielle Turlan Thomas Lévy Comptabilité Catherine Chiggiato compta@mayottehebdo.com Secretariat Annabelle Mohamadi Première parution Vendredi 31 mars 2000 ISSN : 1288 - 1716 RCS : n° 9757/2000 N° de Siret : 024 061 970 000 18 N°CPPAP : 0121 I 92960 Site internet www.mayottehebdo.com