LE MOT DE LA RÉDACTION
APRÈS DIX ANS, L'HEURE AU BILAN C'était il y a dix ans, et pourtant, l'évènement semble s'être passé hier. Le 31 mars 2011, Mayotte devenait officiellement le 101ème département français, comme voulu depuis des décennies par la population insulaire. Victoire ! Du moins, sur la forme. Car dix ans plus tard, le retard n'a pas encore été rattrapé. Insécurité, insalubrité, pauvreté, chômage, immigration et même droit commun, les lacunes sont encore nombreuses. Et pour certains, cet anniversaire est celui d'un échec. Alors, politiques, figures culturelles, sociales et religieuses font le point. À Paris aussi, la situation préoccupe, du moins momentanément, puisque pour l'occasion, une cinquantaine de parlementaires ont évoqué, à travers une longue tribune, l'urgence de développer et de considérer Mayotte comme ce qu'elle est : un véritable département français pour qui l'égalité des chances ne doit plus être une chimère, mais une réalité. Bonne lecture à toutes et à tous. S.P
TOUTE L’ACTUALITÉ DE MAYOTTE AU QUOTIDIEN
Lu par près de 20.000 personnes chaque semaine (enquête Ipsos juillet 2009), ce quotidien vous permet de suivre l’actualité mahoraise (politique, société, culture, sport, économie, etc.) et vous offre également un aperçu de l’actualité de l’Océan Indien et des Outremers.
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FI n°3839 Lundi 7 mars 2016 St Félicie
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FI n°3822 Jeudi 11 février 2016 Ste Héloïse
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RENSEIGNEMENTS Tél : 0639 67 04 07 | Mail : contact@mayotte-e-velos.yt
FI n°3818 Vendredi 5 février 2016 Ste Agathe
marine le Pen
environnement
Port de Longoni
ConSeil départeMental
Quel accueil se prépare pour la présiDente Du Fn ?
Le Lagon au patrimoine mondiaL de L'unesCo ?
la dsP sur la sEllEttE
pas de changement sUr l’octroi de mer
© Jonny CHADULI
Grève à Panima
TéléThon 2016
Des propositions mais toujours pas D'issue
DemanDez le programme
première parution : juillet 1999 - siret 02406197000018 - édition somapresse - n° Cppap : 0921 y 93207 - dir. publication : Laurent Canavate - red. chef : Gauthier dupraz - http://flash-infos.somapresse.com
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FI n°3997 mercredi 30 novembre 2016 St André
© CR: Gauthier Bouchet
Diffusé du lundi au vendredi, Flash Infos a été créé en 1999 et s’est depuis hissé au rang de 1er quotidien de l’île.
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Économie
SÉcuritÉ
Les appeLs à projets de L'europe
Couvre-feu pour Les mineurs
Première parution : juillet 1999 - Siret 02406197000018 - APE 5813Z - Édité par la Somapresse - Directeur de publication : Laurent Canavate - http://flash-infos.somapresse.com
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Musique
Faits divers
Edmond BéBé nous a quitté
ViolEncE En cascadE
Première parution : juillet 1999 - Siret 02406197000018 - APE 5813Z - Édité par la Somapresse - Directeur de publication : Laurent Canavate - http://flash-infos.somapresse.com
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MCG VS SMart
ViCe-reCtorat
UltimatUm oU véritable main tendUe ?
l’institUtion répond aUx critiqUes
Première parution : juillet 1999 - Siret 02406197000018 - APE 5813Z - Édité par la Somapresse - Directeur de publication : Laurent Canavate - http://flash-infos.somapresse.com
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TCHAKS LE CHIFFRE 53 C'est le nombre de passagers sur lesquels a été testé, pour la première fois en conditions réelles, le RunCov, une méthode de dépistage rapide et innovante, récemment mis au point par des chercheurs réunionnais. Plus rapide qu'un RT-PCR , le RunCov permet de détecter "l'ensemble des variants" sans que les patients n'aient à passer par un laboratoire. Les 53 passagers testés vendredi dernier sont des ressortissants français rapatriés depuis Madagascar. Quatre cas de Covid ont ainsi été détectés. Très prochainement, le RunCov devrait être mis en place sur les vols reliant Mayotte à La Réunion.
LA PHRASE
L'ACTION
Le Parc naturel marin de Mayotte vient de vivre une année pour le moins particulière. Si la crise sanitaire a sensiblement retardé certaines de ses actions, de nombreux projets d’envergure doivent voir le jour en 2021. Dans un entretien accordé à notre quotidien Flash Infos, le directeur du parc, Christophe Fontfreyde, est revenu sur la hausse des braconnages de tortues marines et de la pêche illégale, contre lequel le parc marin a pu mener des actions renforcées lors du deuxième confinement. Désormais, les prochains dossiers devraient se pencher sur l'élaboration d'un modèle de courantologie et l'expérimentation de la pose de filets de récupération des déchets.
Mayotte ayant connu un nouveau confinement dont elle sort à peine, le fonds de solidarité y sera doublé pour les mois de février et mars, pour les entreprises de moins de 250 salariés (hors hôtels, restaurants, café, industrie du cinéma, pêche en mer, etc.), a annoncé le gouvernement. La demande d'aide doit être déposée avant le 30 avril prochain sur le site impots.gouv. fr. À ce jour, 6 198 entreprises locales ont déjà bénéficié de ce fonds, pour un montant total de 103,6 millions d'euros. 3 millions d'heures ont été indemnisées dans le cadre de l'activité partielle, à hauteur de 25 millions d'euros. 35,9 autres millions d'euros de charges sociales ont été exonérés ou reportés, pendant que les prêts garantis par l'État culminent à 81,3 millions.
"Nous ne rattraperons évidemment pas le temps perdu, mais nous avons limité la casse."
Une nouvelle aide dédiée aux entreprises locales touchées par le confinement
IL FAIT L’ACTU Un éducateur condamné pour recours à la prostitution de mineurs Un éducateur de Mlezi Maore a été condamné mercredi à trois ans de prison dont deux avec sursis dans une affaire de prostitution impliquant quatre mineures, âgées de 14 à 16 ans. Le prévenu, qui travaille auprès des jeunes dans un foyer, a prétendu méconnaître l’âge des plaignantes. L'affaire éclate en août 2019, lorsqu'un assistant social du collège de M'tsangamouji signale que quatre jeunes filles en fugues avaient été logées par un propriétaire terrien à Tsararano avec lequel elles ont eu des relations sexuelles "consenties" contre de l'argent. Face à leur refus de réitérer ces rapports, les mineures auraient été mises à la porte. L'homme condamné est désormais interdit d'exercer une activité professionnelle ou bénévole impliquant un contact avec des mineurs pendant dix ans.
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LU DANS LA PRESSE
Chaque semaine, découvrez le regard porté sur l’actualité locale à travers la presse nationale ou régionale
A MAYOTTE, DÉPARTEMENT DEPUIS DIX ANS, LA LENTE PROGRESSION VERS L’ÉGALITÉ SOCIALE Par L'Obs avec AFP
En mars 2011, l’île de l’océan Indien était départementalisée. Mais cette intégration “ progressive ” est trop longue pour les Mahorais. Dix ans après le passage de Mayotte au statut de département, 77 % de ses habitants vivent sous le seuil de pauvreté. Il s’agit du territoire le plus pauvre de France, malgré sa départementalisation le 31 mars 2011, qui avait donné l’espoir d’un rattrapage social à cette île de l’océan Indien. Le SMIC horaire brut y est de 7,74 euros (contre 10,15 euros dans les autres départements), la couverture maladie universelle et le congé paternité de 11 jours n’existent pas. La seconde vague du Covid-19 a aussi été particulièrement sévère à Mayotte, qui dispose de ressources hospitalières limitées. L’Etat s’était engagé à une départementalisation “ progressive et adaptée ” sur une durée de 20 à 25 ans. Mais c’est trop long pour les Mahorais, qui ont accepté un certain nombre d’impôts et de taxations supplémentaires avec la départementalisation. El Anzize Hamidou, secrétaire général de l’UD-FO : “ On est toujours à la traîne. Il y a des spécificités concernant le handicap, les conventions collectives, les Codes de la Sécurité sociale et de l’Action sociale ne s’appliquent toujours pas ! Par contre, quand il s’agit de ponctionner, le droit commun s’applique à la taxe d’habitation ou l’impôt sur le revenu ! ” Lente progression Depuis 2011, la situation a un peu évolué, souvent sous la pression des mouvements sociaux, de l’action syndicale et du lobbying politique. La surrémunération des salaires, portée à 40 % pour les fonctionnaires, a été achevée en 2017. Et le Code du travail de droit commun s’applique dans presque sa globalité depuis 2018. Les allocations familiales sont alignées depuis le 1er janvier sur celles de l’Hexagone. Mais la progression vers l’égalité sociale est lente. “ À chaque fois, Paris nous oppose l’argument de l’appel d’air quand on réclame l’équité et la justice pour les Mahorais. C’est insupportable ! On veut en finir avec cette aberration ”, souligne Issa Issa Abdou, 4e vice-président du conseil départemental chargé de l’action sociale, la solidarité et la santé. “ L’appel d’air ” en question, une forte immigration clandestine en provenance de l’Union des Comores et de l’Afrique des Grands Lacs, principalement. Convaincre
le gouvernement d’accélérer l’égalité sociale n’est donc pas aisé. En 2015 et 2016, c’est au prix de mouvements de grève et de blocages de l’île que le principe de l’alignement du Code du travail de Mayotte sur celui de droit commun a été accepté. Pour El Anzize Hamidou, c’est à l’État d’agir pour l’alignement des droits sociaux : “ L’article 73 de la Constitution nous donne raison. En tant que département, les Mahorais doivent naturellement bénéficier de la solidarité nationale et de l’égalité républicaine. ” D’autres épinglent les parlementaires pour leur immobilisme, voire leur désintérêt pour ce sujet. “ Chaque année, lors du vote de la loi de finances et du budget de la Sécurité sociale, la possibilité de déposer des amendements est restreinte ”, répond le sénateur RPDI Thani Mohamed Soilihi. Des assises de Mayotte Une solution pourrait permettre d’accélérer la course vers l’égalité : des assises pour discuter et hiérarchiser les problématiques sociales. “ La mairie de Mamoudzou l’a fait pour la sécurité, tout le monde s’est exprimé et des propositions ont été envoyées au gouvernement ”, affirme Daniel Zaïdani, conseiller départemental de Pamandzi. Une proposition qui se rapproche de celle de Carla Baltus, la présidente du Medef : “ Nous ne sommes pas contre un alignement plus rapide. Mais il faut une étude d’impact au préalable. Lorsque le Code du travail de droit commun est entré en vigueur, on est passé aux 35 heures. Le résultat, c’est que le salaire net des salariés a baissé ”, explique-t-elle. La compensation réalisée par l’État dans l’Hexagone ne s’est pas faite à Mayotte. Un manque d’investissement de l’État dénoncé par les syndicats. La Cour des comptes dans un rapport sur la départementalisation en 2016 notait que l’effort budgétaire par habitant à Mayotte (3 964 euros) était le plus faible des 5 départements d’Outremer (plus de 5 000 euros pour les autres) sur l’année 2014.
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10 ANS DE DÉPARTEMENTALISATION 31 mars 2011. Officiellement, Mayotte devient le 101ème département français. Après des décennies de combat, les habitants de cette "perle de l'océan Indien" obtiennent enfin gain de cause. Exit le temps du protectorat, de la collectivité, son appartenance et son attachement à la République est plus que jamais scellé et affirmé. Nombreux, dès lors, sont les espoirs à germer : celle qui souvent, est pointée du doigt comme le vilain petit canard de l'Outre-mer, va enfin pouvoir se développer comme n'importe quel autre département. Fini les inégalités, les retards structurels, les lacunes sociales et économiques. Mais dix ans plus tard, le rêve que certains s'étaient permis semble avoir pris du plomb dans l'aile.
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S.P
TÉMOIGNAGES
ENTRE DÉPARTEMENT ET RÉGION, LES ÉLUS DRESSENT UN BILAN EN DEMI-TEINTE L’ÉVÈNEMENT AURAIT PU SEMBLER HEUREUX. POURTANT, À L’HEURE DE DRESSER LE BILAN DES DIX PREMIÈRES ANNÉES DU DÉPARTEMENT, PLUSIEURS FIGURES POLITIQUES DÉPLORENT LE MANQUE DE MOYENS DE LA RÉGION, UN STATUT ACQUIS DANS LE MÊME TEMPS, MAIS QUE MAYOTTE PEINE ENCORE À EXERCER, FAUTE D'OUTILS ADAPTÉS. Alors que le département célèbre sa première décennie, l’heure n’est pas qu’à la fête et aux cotillons pour certains acteurs politiques du territoire. Car dans l’ombre du statut acquis depuis dix ans, plane celui de la région, dont Mayotte, collectivité unique, est censée depuis lors exercer les compétences. Une double casquette visiblement trop lourde à porter pour le dernier né des départements français, à en croire ceux qui le représentent. Car aujourd’hui encore, les financements reçus pour servir les missions de la région sont dérisoires face aux défis sociaux auxquels sont confrontés l’île. D’où l’idée d’un toilettage institutionnel portée par le sénateur Thani Mohamed Soilihi depuis plusieurs années. “Avec le président du conseil départemental notamment, nous avons été nombreux à porter très fort ce projet”, insiste le parlementaire.
“Le but que nous recherchons est qu’enfin, ce département-région aient les outils pour jouer pleinement et entièrement son rôle de chef de file de son propre développement. Le département doit donner l’impulsion sur le plan social, la région sur le plan économique. Le volet régional ne fait l'objet que d’un accompagnement, on constate que beaucoup d’efforts restent à faire." Preuve en est, les projets d'infrastructures et de construction piétinent, notamment sous l’effet d’une réforme foncière antérieure à l’acquisition du nouveau statut, mais qui demeurent non aboutie. “Nous avons le statut mais pas les moyens”, résume à son tour, Abdallah Hassani, autre sénateur mahorais. “Les inégalités sociales qu’on observe à Mayotte viennent en partie du fait que nous ne pouvons pas exercer les compétences régionales, sans lesquelles Mayotte ne pourra pas se développer.” Également interrogé à ce sujet, le député Mansour
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Kamardine acquiesce, lui aussi : “Il y a un décalage considérable entre les volontés politiques qui ont fait de Mayotte un département et les moyens mobilisés pour rattraper le retard de développement de l’île.”
DÉFINIR UNE LOI DE PROGRAMMATION, UNE PRIORITÉ Une poignée de jours après l’entrée en vigueur de la départementalisation de Mayotte, Daniel Zaïdani est élu à la tête de la collectivité territoriale. Il assiste aux premières loges à sa transformation, qu’il a suivi depuis ses prémices. “On s’attendait à voir s'établir à Mayotte l’on pouvait voir en métropole ou à La Réunion et que cela s'établisse de façon progressive et adaptée aux réalités du territoire. En 2001, une loi avait été adoptée pour établir un calendrier de travail sur dix ans”, se souvient-il. “La réalité, c’est que sur les dix dernières années, cette adaptation ne s’est pas faite comme envisagée.” La progressivité, quant à elle, “n'a guère avancé ces dernières années”. Et les exemples ne manquent pas : “En 2012, nous avons
instauré le RSA à l’époque où j’étais président. Entre 2012 et 2015, il est passé de 25 à 50% (du montant national, ndlr), mais depuis il n’a pas progressé en dehors de la revalorisation annuelle. Si l’on regarde les dernières années, il n’y a plus rien eu de progressif dans aucun domaine : en 2018, on nous avait donné un grand rendez-vous sur le code du travail. Et aujourd'hui encore, il n'est pas pleinement appliqué sur le territoire". Alors, Daniel Zaïdani préconise une “loi programme”, à l’instar du député Kamardine. “Cela nous permettrait d’avoir des échéances, des rendez-vous, des dotations qui permettraient de respecter les engagements des uns et des autres entre Paris et Mayotte, parce qu’aujourd’hui, nous sommes trop soumis aux engagements du gouvernement, qui ne réagit plus qu’il n’agit.” Un point que ne manque pas de détailler le parlementaire : “Toutes les promesses qui ont été faites ont été aussitôt oubliées, la première d’entre elles étant la construction de la piste longue qui devrait être en fonction aujourd’hui mais qui a été oubliée immédiatement après la départementalisation, puisqu’en 2013, elle a été repoussée à 2050 sans aucune explication”, rappelle Mansour Kamardine. “Je pense aussi à la
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promesse qui a été faite concernant l’égalité salariale, concernant les aides sociales qui ne sont pas toutes étendues à Mayotte, et quand elles le sont, ce n’est qu’à hauteur de 50%. Voilà le bilan que nous pouvons dresser, celui d’un territoire totalement à l’abandon.” Finalement, mercredi soir, à l'occasion d'une grande table-ronde entre le ministère des Outre-mer et les élus mahorais, le département reçoit enfin le cadeau d'anniversaire tant espéré : un échéancier sur les dix prochaines années. Quatre pistes sont d’ores-et-déjà posées sur la table : le renforcement du rôle régalien de l’État, “en travaillant aux causes mêmes des flux migratoires” ; la convergence sociale “pour qu’il y ait à Mayotte les mêmes droits que pour un autre département français” ; le développement pour faire face à la démographie galopante de l’île, mais aussi aux enjeux environnementaux ; et l’évolution du fonctionnement de la collectivité, qui “n’a pas les moyens financiers
de son statut ni même son organisation électorale”. “La départementalisation, cela ne veut pas dire l’uniformisation de la manière d’y travailler”, a insisté Sébastien Lecornu. Le projet a pour objectifs d’accélérer la départementalisation, le développement de l’île et surtout la convergence avec les autres DOM et la métropole, pour enfin “converger vers une égalité sociale réelle”, répondant par là à une demande forte de la population. Du 1er avril au 1er juin, les maires, les élus, les candidats, les associations et les forces vives sont invités à participer à cette consultation. À mi-parcours, au mois de mai, une visioconférence sera organisée avec les élus et les acteurs du monde économique et social tandis qu’un questionnaire sera mis en ligne sur le site Internet du ministère des Outre-mer. Une fois l’architecture du projet de loi ficelée, le ministre entend bien le présenter en conseil des ministres avant la fin du quinquennat. n
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CE QU'ILS EN PENSENT Depuis dix ans, parfois plus, ou parfois moins, ils sont aux premières loges pour porter l'intérêt des Mahorais sur la scène politique locale et nationale. Aujourd'hui, les parlementaires dressent un bilan de cette première décennie placée sous le signe de la départementalisation.
THANI MOHAMED SOILIHI, SÉNATEUR DEPUIS 2011 (LREM) "Le chemin parcouru en dix ans n’est pas si mauvais que ça. Il reste toutefois des choses à améliorer, comme le climat d’insécurité et cette immigration non contrôlée, ça ne peut plus continuer comme ça, d’autant plus que cela freine les autres politiques publiques. Pour moi, le bilan de la départementalisation est globalement positif, mais plus le temps passe et plus les choses s'aggravent. Je note particulièrement une détérioration de la question sécuritaire depuis environ 15 mois. Nous sommes même revenus à la situation d'avant 2018, alors que des moyens conséquents ont été déployés suite à la grève générale. Je suis aujourd'hui meurtri de voir que nous avons replongé. Pour moi, la cause de tout ça est une mauvaise politique des représentants de l'État sur place, une mauvaise application des moyens mobilisés. On observe aussi un sentiment d'impunité, qui s'est renforcé depuis le début de la crise sanitaire, notamment chez les jeunes qui se livrent régulièrement à des mourengués sauvages."
MANSOUR KAMARDINE, DÉPUTÉ DE 2002 À 2007, RÉÉLU EN 2017 (LR) "Pour moi, le bilan est plus que négatif. Rien de sérieux n’a été fait pour construire Mayotte. Je retiens l’explosion de l’immigration, l’explosion de la violence, les guerres communautaires, Mayotte est d’ailleurs le territoire européen avec le taux d’homicides le plus élevé d’Europe. Voilà ce que je retiens de ces dix ans. Il y a un décalage considérable entre les volontés politiques qui ont fait de Mayotte un département et les moyens mobilisés pour rattraper le retard de développement de l'île. Il manque une vraie volonté politique de considérer Mayotte telle qu’elle est : un territoire français. Le leitmotiv dans les outre-mer, c’est l’égalité réelle. Mais Mayotte est encore loin de cette considération tant il y a à rattraper. En dix ans, nous sommes passés du pacte pour la départementalisation au contrat de convergence, en passant par Mayotte 2025 et le plan d’urgence, tout ça ce sont les mêmes crédits qui sont retournés quatre, cinq, six fois pour toujours dire la même chose, mais rien de concret n’est fait pour le développement du territoire."
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TRIBUNE
ENGAGEONS-NOUS À PARACHEVER LE PROCESSUS DE DÉPARTEMENTALISATION ENTAMÉ EN 2011 ! EUX AUSSI, ONT PENSÉ À CÉLÉBRER LE DIXIÈME ANNIVERSAIRE DU DÉPARTEMENT. 54 DÉPUTÉS ISSUS DES SEPT GROUPES SUR LES NEUF QUE COMPTENT L'ASSEMBLÉE NATIONALE ET PORTÉ PAR MANSOUR KAMARDINE ONT PUBLIÉ UNE TRIBUNE APPELANT AU PARACHÈVEMENT DE LA DÉPARTEMENTALISATION DE MAYOTTE. Le 31 mars 2001, Mayotte devenait le 101ème département français. 10 ans après l’accès au statut de collectivité unique d’Outremer, exerçant les compétences des départements et des régions relevant de l’article 73 de la constitution, Mayotte demeure au milieu du gué ! L’accès à l’égalité des territoires et l’accès à l’égalité des chances des citoyens ne sont pas encore pleinement acquis. Aussi, nous appelons à ce que la République se fixe pour objectif de combler les déficits d’infrastructures, des politiques publiques et les manquements en termes d’égalité sociale, selon un agenda clair, pour une départementalisation pleine et entière, à l’horizon 2030 au plus tard.
UN LONG COMBAT PORTÉ PAR DES GÉNÉRATIONS SUCCESSIVES L’intégration institutionnelle de Mayotte à la République française fut un long combat porté par des générations successives de mahorais. Que de chemin parcouru depuis 1841, lorsque Mayotte fut placée sous protectorat français à la demande de son sultan, afin de se protéger des visées colonisatrices et des razzias des îles voisines du canal de Mozambique ! Colonie dès 1843, territoire d’Outremer en 1946, collectivité territoriale d’Outremer à titre temporaire en 1976, collectivité départementale en 2001, puis, enfin, collectivité unique exerçant les compétences des départements et régions en 2011 ! Le chemin fut long et
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semé d’embuches. Nos compatriotes mahorais ont dû, à chaque fois, les contourner ou les enjamber, avec une détermination sans faille et en s’appuyant sur l’un des principes les plus fondamentaux de la charte des Nations-Unies de 1945, c’est à dire le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. Il fallut 52 ans et 5 consultations populaires successives de 1974 à 2009 pour que la République accède à la demande d’intégration, par la départementalisation, du “ petit peuple mahorais ” au peuple français.
est, également, une importante base d’appui à l’exercice de notre souveraineté sur nos zones économiques exclusives régionales qui représentent le double de celle de la Métropole. Enfin, les fortes perspectives de développement économique de l’Afrique australe et de l’Afrique de l’Est, notamment en ce qui concerne le très stratégique secteur énergétique, font de Mayotte un point d’appui stable et de droit français, pour développer le rayonnement économique français et européen.
UNE FIERTÉ FRANÇAISE
UNE PRISE DE CONSCIENCE TARDIVE DE LA SITUATION DE DÉNUEMENT
L’émancipation des mahorais au sein du peuple français, contestée par l’Union des Comores, composée de 3 anciens sultanats, qui ont choisi l’émancipation par l’indépendance et qui ont tenté de saisir l’occasion de leur séparation d’avec la France pour coloniser Mayotte est une fierté française. En cette période où des forces centrifuges multiples et puissantes taraudent l’unité de la Nation, accablent son passé, fracturent le corps social et amenuisent sa puissance économique, Mayotte est l’expression vivante de la perpétuation des valeurs universelles portées par la France, la démonstration de leur vitalité au 21ème siècle, l’affirmation que la République assure aux hommes qu’ils naissent libres et égaux en dignité, sans distinction d'origine, de race ou de religion. A Mayotte, la flamme du siècle des lumières continue à briller dans les yeux d’une jeunesse qui a soif de liberté et d’égalité !
UN TERRITOIRE STRATÉGIQUE POUR LA FRANCE ET L’EUROPE Mayotte est également une chance pour la France et l’Europe. En effet, après avoir participé au développement du programme spatial Ariane, en permettant à la France d’implanter, en territoire français, une base de suivi des lancements de fusées effectués de Guyane, mais encore en permettant d’implanter, en territoire français, un important centre d’écoute électromagnétique quand les américains sont contraints d’implanter le leur pour l’Afrique australe en territoire étranger, Mayotte prend toute sa part à l’autonomie stratégique de notre pays, des années 1970 à nos jours. Quant au canal du Mozambique, au milieu duquel est située Mayotte, il demeure une voie maritime commerciale d’importance mondiale et une voie alternative au canal de Suez, en cas de blocage, qui nécessite une surveillance permanente pour sécuriser le transport de marchandises. Le 101ème département
Mayotte souffre d’un sous-développement historique de ses infrastructures collectives, de sous-développement économique malgré d’importantes potentialités, notamment portuaires, aéroportuaires et agricoles. Quant aux services de base à la population, ils sont déficients, qu’il s’agisse de l’accès à l’eau, à l’électricité, à la salubrité publique, à la santé et à l’éducation nationale. En 2021, 40% des habitations sont en tôle et situées dans des zones à risques naturels. De plus, 30% des habitants n’ont pas accès à l’eau courante. L’unique centre hospitalier est saturé du 1er janvier au 31 décembre, engendrant 2000 évacuations sanitaires annuellement… 800 classes de primaires manquent à l’appel pour scolariser les enfants, selon les normes nationales. 77% des habitants vivent sous le seuil de pauvreté et l’espérance de vie est inférieure de 8 ans, à la moyenne nationale. Au 21ème siècle, un département français possède donc des ratios sociaux du tiers monde. Le rattrapage et la mise à niveau des services publiques et des infrastructures de bases attendus de la départementalisation de 2011 sont mises en échecs par une immigration illégale de masse qui met en concurrence, sur 374 km², un tiers monde français, désormais minoritaire, à un quart monde étranger, créant ainsi de fortes tensions communautaires du fait de l’appropriation des terres, des provocations comoriennes et d’une délinquance de plus en plus violente. Cette situation volcanique conduisit à la grave crise sociale qui s’étala de septembre 2017 à mai 2018, lors de laquelle l’opinion publique française prît conscience, avec stupéfaction, de la condition de dénuement de nos compatriotes mahorais, ce qui poussa les pouvoirs publics à réagir.
DES EFFORTS RÉELS MAIS INSUFFISANTS Le renforcement, à partir du second semestre 2018, des moyens de lutte contre l’immigration clandestine et des
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forces de l’ordre pour endiguer l’insécurité sont notables, mais insuffisants pour stabiliser la situation. Le feu couve sous des braises encore brulantes, alimentées quotidiennement par des arrivées de kwassa-kwassas et la violence barbare de bandes de jeunes désocialisés et armées qui écument nos villes et nos campagnes mahoraises. Les plans du second hôpital, annoncé en octobre 2019, demeure à tracer. L’eau, bien essentiel, ne coule pas tous les jours dans toutes les communes du département. Le SMIC est toujours inférieur de 20% au SMIC de droit commun. Les principales aides sociales sont toujours plafonnées à 50% de celles des autres départements français. Les pensions de retraite pour une carrière complète sont inférieures, pour la plupart, au RSA servi en métropole. Il manque 200 classes de
plus en 2021 qu’en 2018. Bref, la marche vers l’égalité sociale stagne et l’horizon de l’égalité des chances s’éloigne. Mayotte a donc, plus que jamais, besoin d’une volonté politique réaffirmée qui soit appuyée par des actions résolues, afin de dynamiser son processus de départementalisation.
LE STATU QUO DANS LA RELATION FRANCE-UNION DES COMORES N’EST PLUS TENABLE Les tensions bilatérales concernant Mayotte, entre la France et l’Union des Comores, pays formé en 1974 du rassemblement des 3 îles de Mohéli, Anjouan et Ngazidja, procèdent d’un travestissement de l’histoire qui n’a été permis que par le contexte de la lutte des
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blocs issue de la seconde guerre mondiale. En effet, chaque île de l’archipel géologique des Comores est historiquement un micro-état. Mayotte n’a jamais fait partie d’un ensemble indépendant rassemblant les îles de l’archipel. Aussi, les velléités permanentes de l’Union des Comores d’intégrer, de force, Mayotte à son Etat relève, au 21ème siècle, d’un abject colonialisme. La perpétuation du différend territorial, depuis 45 ans, n’a été possible que par le relativisme et le manque de résolution de notre diplomatie, souvent prompte à évoquer des problématiques plus larges pour ne pas résoudre la situation. Or, l’acceptation internationale de la francité de Mayotte est un horizon indépassable pour amorcer un codéveloppement porteur d’avenir pour les peuples de la région. Le libre choix des mahorais doit enfin être accepté par l’Union Comores. Le temps est venu, pour notre diplomatie, de sortir du statu quo et de favoriser l’émergence d’une relation bilatérale mature et respectueuse du choix des Mahorais.
Mansour Kamardine – LR – Mayotte Ramlati Ali – LAREM - Mayotte Christian Jacob – Président de LR Damien Abad – Président du groupe LR Jean-Christophe Lagarde Président du groupe UDI Olivier Serva – Président de la délégation aux outre-mer – LAREM Annie Genevard - Vice-présidente de l’Assemblée Nationale – LR Yves Le Fur - Vice-président de l’Assemblée Nationale – LR Philippe Gosselin – Vice-président de la commission des lois - LR
UN APPEL À LA MOBILISATION POUR L’ÉGALITÉ SOCIALE, L’ÉGALITÉ DES TERRITOIRES ET L’ÉGALITÉ DES CHANCES Si la période 2011-2020 fut celle du lancement de la départementalisation, il convient désormais de faire de la période 2021-2030 celle de l’achèvement du processus. Cela nécessite de fixer 3 agendas distincts : celui de l’égalité sociale et celui de la mise à niveau des services publics, à l’horizon 2025, celui de mise à niveau des infrastructures, à l’horizon de la fin du 2ème programme des fonds européens, en 2027, et enfin celui de la reconnaissance internationale de la francité de Mayotte, à l’horizon 2030. Nous appelons donc les responsables politiques en fonction actuellement et ceux qui aspirent à des responsabilités, à partir de 2022, à se saisir du parachèvement de la départementalisation de Mayotte, pour les mahorais, pour la France et pour l’Europe. / n
Jean-Marie Sermier – Viceprésident de la commission du développement durable - LR
Manuéla Kéclard-Mondésir - PC
Jean-Pierre Door – Vice-président de la commission des affaires sociales - LR
Brigitte Kuster – LR David Lorion – LR
Stéphanie Kerbarh – LAREM
Josette Manin - PS
Nathalie Bassire – LR
Olivier Marleix - LR
Valérie Bazin-Malgras - LR
Nicolas Meizonnet – RN
Philippe Benassaya - LR
Emmanuelle Ménard - RN
Sylvie Bouchet-Bellecourt - LR
Jean-Philippe Nilor - PC
Ian Boucard – LR
Jean-François Parigi – LR
Fabrice Brun - LR
Jean-Luc Poudroux - LR
Sébastien Chenu – RN
Didier Quentin – LR
Gérard Cherpion - LR
Michel Herbillon – Vice-président de la commission des affaires étrangères – LR
Dino Cinieri - LR
Charles de la Verpillière – Viceprésident de la commission de la défense – LR
François Cornut-Gentille – LR
Constance Le Grip – Viceprésidente de la commission de la culture et de l’éducation – LR
Pierre-Henri Dumont - LR
Julien Dive – Vice-président de la commission des affaires économiques – LR
Meyer Habib - UDI
Richard Ramos Robin Réda – LR
Pierre Cordier – LR
Maïna Sage - AGIR Raphaël Schellenberger – LR
Bernard Deflesselles – LR
Sira Sylla - LAREM Robert Therry – LR
Claude de Ganay – LR
Agnès Thill – UDI Laurence Trastour-Isnart - LR
Yannick Haury - LAREM
Frédérique Tuffnell - MODEM
François Jolivet - LR
Stéphane Viry – LR
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MICRO-TROTTOIR
QUEL BILAN FAITES-VOUS DE LA DÉPARTEMENTALISATION ? LA PAROLE EST AUX MAHORAIS. ET LORSQU'IL S'AGIT DE DRESSER UN BILAN DE LA PREMIÈRE DÉCENNIE DU DÉPARTEMENT, CHACUN SEMBLE AVOIR UN AVIS BIEN TRANCHÉ.
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YOUSSRAH MAHADALI, HABITANTE DE PAMANDZI DE 23 ANS “ Malheureusement, je n’en fais pas un constat positif… Pour ma part, on nous a vendu énormément de rêves au moment où on votait, mais entre les attentes et les choses effectuées, il y a quand même un gros fossé. Autant il y a eu des avantages, la départementalisation nous a amené un petit peu le nouvel aéroport, nous a permis d’avoir des infrastructures, ou dans des communes comme Labattoir, des espaces de loisirs, qui se mettent de plus en plus en place. Et finalement, c’est toutes ces aides de l’État et de l’Europe qui sont arrivées avec la départementalisation qui ont permis ça. Je pense aussi aux logements sociaux comme on peut le voir à Mgombani ou à Pamandzi au niveau du stade. Mais encore une fois, tout ceci reste minime face à tout ce qu’il faut faire à Mayotte. On a encore cette sensation “de ne pas être légitime” en France. Nous par exemple, en tant que jeune, quand on arrive en métropole pour les études, il faut qu’on fasse une dizaine de changements au niveau des papiers parce que la sécu n’est pas reconnue à Mayotte, parce qu’ils n’ont pas accès aux impôts de nos parents, etc. C’est plein de choses qui avaient été promises avec la départementalisation comme allant vers l’amélioration, mais en fait, on y est pas du tout. ”
BABAN CHELSEA PAPALAHI “ Le processus de la départementalisation s’étend jusqu’en 2036. Il faut encore attendre 15 ans pour avoir tout ce qui compose un département français. ”
ALI ABDOU HAKIM, PRÉSIDENT DU COMITÉ RÉGIONAL DE BASKET DE MAYOTTE “ Au niveau juridique, Mayotte est maintenant reconnue dans les ministères et à travers toutes les fédérations. Ce qui nous permet, nous dirigeants des ligues, d’être en relation directe avec les présidents de fédération, sans avoir besoin de passer par des intermédiaires. Ce statut nous permet de faire des demandes selon nos besoins en matière de formation, d’équipements ou d’accompagnement. Il faut noter que des comités existent encore sur le territoire et dépendent des ligues de La Réunion comme le tennis ou l’athlétisme. Mais la situation tend à se développer. La départementalisation a permis à l’État d’investir dans les infrastructures sportives tels que les gymnases, les plateaux couverts ou même la piscine ainsi que d’avoir notre place aux Jeux des Îles et peut-être même de les organiser en 2027. Si Mayotte obtient l’organisation, cela permettra à l’île de s’ouvrir sur sa région mais aussi à travers le monde sportif. Le ministère des sports, à travers les fédérations, facilite l’accès à la pratique du sport. En offrant des choix tels que les compétitions, les loisirs, le sportsanté, les détections des jeunes ou même les intégrations de jeunes dans les centres de formation en métropole. La communication a aussi évolué dans le milieu sportif… mais beaucoup reste à faire. Nous pouvons encore nous améliorer dans le département avec une meilleure organisation et davantage d’accompagnements au niveau des équipements et de la pratique. Nous devons offrir à notre jeunesse les choix pratiques et un peu plus de liberté dans l’expression de jeu afin qu’ils puissent réaliser leurs rêves. Pour finir, je dirais que nous avons le statut de département, mais pas encore tous les outils qui vont avec. En tout cas pour le moment. ”
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MATTHIEU POISSON SALIMA CHAAMBANY “ Mayotte avance à petits pas malgré les difficultés rencontrées sur son chemin… Elle est abandonnée par des élus qui oublient que la population lui a donné une mission : œuvrer pour le bien-être de chacun et se battre pour la liberté, l’égalité et la fraternité. Et ça, nous sommes loin du compte avec la politique africaine du ventre ! ”
MAD JAMES “ On a endormi la population en insistant sur les avantages et non sur les inconvénients… Jacques Chirac avait vu juste en dotant l’île du statut de collectivité départementale, sans vouloir brûler les étapes. Mais bon, peut-être que cela prendra forme avec le temps. ”
FANNY OMR “ 10 ans de cauchemar ! ”
“ Ce qui est triste, c’est que la très grande majorité de la population n’a pas lu le pacte de départementalisation et a voté oui, pour ensuite se plaindre de ce qui était écrit noir sur blanc (et en plusieurs langues). La départementalisation est, à mon avis, arrivée trop tôt, Mayotte n’était pas prête. Quand c’était collectivité, il y avait moins de problème. Mayotte est française pour toujours, département ou pas. ”
ISABELLE GMYREK “ Je n’ai pas l’impression d’être dans un département français, tant la différence est grande. Les Mahorais n’ont pas les mêmes privilèges économiques et sociaux que les métropolitains. Comment voulez-vous que les Mahorais s’en sortent avec des loyers et des prix à la consommation presque deux fois supérieurs à ceux de métropole et des revenus deux fois inférieurs ? Pouvons-nous envisager aujourd’hui que l’ensemble des Mahorais se soumettent à la digitalisation de leurs démarches administratives et commerciales avec des capacités d’équipements aussi insuffisantes ? Près de 80% de la population vit en dessous du seuil de pauvreté… Notre volonté de progresser est malheureusement très peu présente, ou bien stoppée par des autorités trop minimalistes ou égocentriques – faites le choix – alors que nous pouvons compter sur une jeunesse porteuse de savoir et de créativité. Bref, j’en passe… Il y a une multitude de freins qui empêchent Mayotte de briller ! ”
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RIAVA CHEIK AFSAR “ Jamais ce territoire, département ou pas, ne brillera tant que le peuple mahorais continuera de prendre l’État comorien pour son ennemi. L’idéologie issue des combats Serrer-la-main / Soroda est en train de s’essouffler, pendant que les ressortissants des Comores se trouvent au cœur des instances décisionnelles de votre collectivité. Rien de consistant ne se construira dans la haine née de la bipolarisation Mayotte-Comores. Aux nouvelles générations d’apaiser les tensions et de se réconcilier pour espérer un développement harmonieux de vos îles. ”
CHARABOU NABAOUIA “ Je pense que les choses se mettent en place petit à petit, mais les mentalités restent les mêmes. ”
AMBDI GAU “ En métropole, beaucoup de régions et de départements ont mis des années avant de devenir ce qu’ils sont maintenant. Regardez La Réunion, elle a mis presque 40 ans pour en arriver là. Après seulement 10 années de départementalisation, nous ne pouvons pas faire le même rattrapage que les autres. Soyons optimistes, voyons les côtés positifs. ”
SAID SAID ALIAS
PATOU MARTINEZ SASTRE “ Mayotte n’était pas prête ! Pour y avoir vécu 6 ans avant la départementalisation et pour avoir des amis mahorais et comoriens, je trouve la situation actuelle bien triste… Le pouvoir est fautif, mais le peuple aussi ! ”
“ Mayotte n’a de “ département ” que le nom, elle est toujours une collectivité unique, il ne faut pas se leurrer. Avant 2011, nous n’avions pas les mêmes problèmes, car nous n’avions ni les mêmes demandes ni les mêmes attentes. Aujourd’hui, l’État et le gouvernement doivent vraiment s’engager dans leurs missions à Mayotte, tout comme les élus locaux. ” 19
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L.S
TÉMOIGNAGE SALIM NAHOUDA, SECRÉTAIRE GÉNÉRAL DE LA CGT MAYOTTE
“SANS LES SYNDICATS À MAYOTTE, RIEN N’AURAIT ÉVOLUÉ”
IL EST À LA TÊTE DE L'UN DES PRINCIPAUX SYNDICATS DE L'ÎLE. ET PUISQUE LE DROIT COMMUN EST L'UN DES ENJEUX CLÉS DE LA DÉPARTEMENTALISATION, SALIM NAHOUDA FAIT LUI AUSSI LE POINT. “Mon bilan de la départementalisation ? Je ne pourrai parler que de déception. Évidemment, je ne suis pas déçu que Mayotte soit devenue département français, c’était une lutte louable et respectable menée par nos aïeux, que nous avons soutenus vers l’acquisition de ce statut. D’ailleurs, lors de la consultation, les trois syndicats que comptait alors Mayotte s’étaient prononcés en faveur de la départementalisation. Par contre, la feuille de route présentée ne nous convenait pas. La CGT a estimé que
nous avions besoin d’un cadre juridique pour pouvoir lutter avec les mêmes armes que les autres départements d’Outre-mer pour la conquête des mêmes droits sociaux. Entre 2011 et 2012, il y a eu des négociations interprofessionnelles. Mais à partir de 2012, les employeurs de l’île, représentés par le Medef, les ont refusées, concernant notamment l’augmentation des salaires. Toutes les évolutions ont été bloquées pour le secteur
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"...PARIS DOIT ARRÊTER DE CONSIDÉRER MAYOTTE COMME UNE CHARGE..." privé, alors que les choses avançaient pour le public. La CGT a demandé à plusieurs reprises l’ouverture de négociations permettant de travailler sur la transposition des conventions collectives nationales à Mayotte. En 2010, plusieurs engagements avaient déjà été pris par une commission consultative du travail, qui réunissait l’Etat, les employeurs et les syndicats, et des engagements avaient été pris à l’époque, mais ils n’ont pas été respectés par la partie patronale et par l’Etat. On nous disait qu’on allait appliquer le code du Travail, qu’on allait travailler sur les conventions collectives, sur l’évolution de la retraite à Mayotte, dont l’alignement des cotisations a été reporté à 2036, chose que nous n’avons jamais demandée… Quand je parle de déception, cela concerne surtout le secteur privé. A chaque fois qu’il y a eu des mouvements sociaux, la direction de la Dieccte a toujours, selon nous, été du côté du patronat. On a toujours donné raison aux employeurs, au détriment des droits des travailleurs. Je ne dirais pas que c’est un échec de la départementalisation, mais c’est une volonté de pousser les salariés de Mayotte a des révolutions, et nous n’y échapperons pas puisque les choses n’évoluent pas. Je parlerai plutôt d’une manipulation de certains pouvoirs, à Paris mais à Mayotte également, pour pousser la population et les salariés à regretter d’avoir choisi la départementalisation. Mais cela n’arrivera jamais !
Quand la Guyane s’est mobilisée en 2017 (contre l’insécurité et le retard en termes de développement structurel), elle a obtenu gain de cause et les élus avaient participé au mouvement aux côtés de la population. A Mayotte, après chaque mouvement social, ce sont les élus locaux qui en tirent profit. Les luttes n’avancent pas pour qu’ils puissent mettre en place leur politique ou servir leur intérêt personnel. Un ancien préfet l’avait même reconnu : sans les syndicats à Mayotte, rien n’aurait évolué. Si les textes nationaux étaient appliqués ici, on donnerait plus de pouvoir d’achat aux salariés, plus de poids, de légitimité. C’est pourquoi notre combat aujourd’hui demeure l'application de l’ensemble des mesures qui s’appliquent aux autres départements d’Outre-mer. Paris doit arrêter de considérer Mayotte comme une charge, car nous pouvons aussi beaucoup apporter, ne serait-ce qu’avec nos eaux territoriales qui rapportent beaucoup pour le pays, tout comme le volcan, le gaz dans le canal du Mozambique. Donc Paris devrait plutôt considérer Mayotte comme une chance ! La départementalisation, oui, mais avec les ingrédients qu’il faut pour que les Mahorais se sentent bien dans ce département. Le combat n’est pas fini !” n
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R.G
COMMÉMORATION
À MAMOUDZOU, UN ANNIVERSAIRE PORTÉ PAR LE CONSEIL MUNICIPAL DES JEUNES PAS DE GRAND RASSEMBLEMENT OU DE SCÈNE DE LIESSE POUR CE DIXIÈME ANNIVERSAIRE DE LA DÉPARTEMENTALISATION. MAIS À SON ÉCHELLE, LA MAIRIE DE MAMOUDZOU A VOULU MARQUER D'UNE PIERRE BLANCHE CETTE DATE Ô COMBIEN SYMBOLIQUE EN METTANT LE CONSEIL MUNICIPAL DES JEUNES SUR LE DEVANT DE LA SCÈNE, AINSI QU'UNE CLASSE DE CM2 DE KAWENI STADE.
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Place de la République. Mercredi, 15h. Les techniciens de la mairie de Mamoudzou procèdent aux derniers réglages avant le lancement du live Facebook pour célébrer les dix ans de la départementalisation. À l'abri des regards indiscrets, Rosemina Ali parcourt une dernière fois les grandes lignes de son speech. “ J'ai appris à midi que j'allais prononcer le discours. Mes collègues ont eu trop peur ”, confie le sourire aux lèvres la demoiselle de 17 ans, élue au conseil municipal des jeunes depuis maintenant deux ans. Si l'événement est à marquer d'une pierre blanche dans l'histoire de Mayotte, la crise sanitaire empêche la population de se réunir en masse comme elle en a l'habitude lorsqu'il s'agit de rappeler son appartenance à la France. “ Nous avons appris par l'arrêté du 26 mars que nous étions [malgré tout] autorisés à organiser des manifestations dans l'espace public ”, rembobine Fatou Chauveau, directrice de la jeunesse, de la culture et de la politique de la ville au sein de la ville chef-lieu. “ Il a fallu s'organiser en deux jours... ” L'ancienne directrice de la MJC de Kawéni prend alors contact avec l'établissement scolaire de Kawéni Stade qui a bénéficié en 2019 du projet chant chorale à l'école, porté par l'inspection de l'Éducation nationale de Mamoudzou Nord. Un projet mis en suspens par le Covid-19... Une parenthèse qui n'enlève en rien le talent des élèves de la classe de CM2 D de Monsieur Moudjibou, “ la première génération de la départementalisation ”, invités à entonner la Marseillaise en direct, après les quelques mots d'introduction du premier adjoint au maire de Mamoudzou, Dhinouraine M'Colo Mainty.
LA JEUNESSE, LA RESSOURCE PREMIÈRE DU TERRITOIRE Avant l'entrée en scène de Rosemina Ali. Plus question de se débiner ! “ Je suis née sous Mayotte, collectivité territoriale française, et aujourd'hui me voilà citoyenne du 101ème département français. […] En revendiquant la départementalisation, nos aînés ont vu le moyen d'ancrer, le plus solidement possible, Mayotte au sein de la République française ”, déroule-t-elle, d'une voix claire, les yeux tournés vers l'objectif. Un exercice oral pour le moins stressant, tant désiré par le maire Ambdilwahedou Soumaïla, qui voulait mettre sur le devant de la scène son conseil municipal des jeunes, “ les adultes responsables de demain ”, en cette date symbolique. “ Il faut composer avec la jeunesse qui est souvent vue comme un problème alors qu'elle est la ressource première du territoire ”, insiste Zaidou Tavanday, le directeur de cabinet du premier magistrat. Derrière son pupitre toujours, Rosemina Ali continue sa plaidoirie d'une main de maître. “ À l'horizon des dix prochaines années, soit en 2031, notre territoire devra garantir un meilleur épanouissement de la jeunesse de Mamoudzou, une meilleure offre d'éducation des enfants, avec des possibilités d'insertion et d'entrepreneuriat pour tous ”, insiste en guise de conclusion celle qui aspire à jouer sa partition dans la politique locale. Pas peu fière d'avoir réussi ce pari en seulement quelques heures de préparation, la jeune femme se montre même perfectionniste. “ Je trouve que j'ai un bugué sur la fin, mais le message est passé, non ?! ” n
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C.D
SOCIÉTÉ
RETROUVER UNE PLACE DANS LE JEUNE DÉPARTEMENT, LE COMBAT DES CADIS RATTRAPÉS PAR LE TEMPS DEVENUS DE SIMPLES MÉDIATEURS SOCIAUX AVEC LA DÉPARTEMENTALISATION, LES EX-JUGES MUSULMANS DE MAYOTTE ŒUVRENT AUPRÈS DE LA JEUNESSE ET LORS DES CONFLITS, DANS LE BUT D’APAISER LES TENSIONS. MAIS ALORS QUE MAYOTTE FAIT FACE À UNE INSÉCURITÉ CHRONIQUE, LE CONSEIL CADIAL PEINE À RETROUVER SON INFLUENCE, SURTOUT AUPRÈS DES JEUNES, PLUS PROCHES DE LA JUSTICE DE DROIT COMMUN. Cadi Ahamada Ouirdane Chamassi passe un doigt précautionneux sur le vieux document jauni qu’il vient d’extirper de l’une de ses étagères. “Là, vous voyez, c’est un acte de naissance, en date de 1967. Vous avez encore écrit “Territoire des Comores”, dessus”, lit le représentant musulman la
tête perdue plusieurs années en arrière, au milieu de ces vestiges de l’Histoire. Dans ce petit local loué par le conseil départemental, à deux pas de la mairie de Bandrélé, quelques piles d’archives témoignent encore du rôle central des cadis avant le passage progressif de Mayotte au
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statut de département. Tout à coup, un homme fait irruption dans la pièce, des boitiers dans les mains. C’est le mécanicien qui doit s’occuper du téléphone. “Avant, les bâtiments étaient délabrés, mais compte tenu de l’importance de notre travail, nous commençons à être mieux équipés”, souligne le cadi de Bandrélé, de retour en 2021. A n c i e n s j u g e s mu s u l m a n s a u x f o n c t i o n s administratives, civiles et religieuses, à la fois maires et notaires, en charge de l’héritage, de l’état civil, du mariage comme de la résolution des conflits, les cadis ont vu leur rôle s’effriter avec l’alignement progressif de Mayotte sur le droit commun. À leur grand dam, la départementalisation a achevé de les priver de leurs prérogatives officielles, au profit de la justice de la République, qui s’attire encore aujourd’hui la méfiance d’une partie de la population. Et dans ce tout nouveau département, où plus de la moitié des habitants ont moins de 18 ans, les cadis ont aussi perdu de leur influence auprès d’une jeunesse “en manque de repères”,
estime Younoussa Abaine, le directeur de la médiation et de la cohésion sociale au conseil départemental.
“CONSOLIDER LEUR RÔLE DANS LA PRÉVENTION ÉDUCATIVE” En effet, rares sont les jeunes qui voient encore le cadi comme une autorité de référence. Et si, parmi ceux que nous avons interrogés, certains regrettent ce juge de proximité qui avait le mérite de rappeler rapidement à l’ordre les délinquants dans les villages, beaucoup se contentent d’un haussement d’épaules dubitatif. “Le cadi ? On n’entend presque plus parler de lui, on voit les panneaux dans la rue. Mais c’est une autorité religieuse, cela ne peut pas fonctionner avec la laïcité ”, confie ainsi Farouk, un lycéen de Koungou. Hochements de têtes approbateurs de ses camarades . Démodés, les cadis ? Pas de l’avis de Younoussa Abaine. “J’ai été choisi en 2016 par le président pour la mission de médiation sociale, il s’agissait d’installer
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un service composé des cadis et des maîtres coraniques et de consolider leur rôle dans la prévention éducative”, raconte-t-il. Car dans ce département en proie à une insécurité chronique et à une forte délinquance juvénile, redonner une place à cette autorité traditionnelle relève selon lui d’enjeux à la fois sécuritaires et institutionnels. D’où la mise en place progressive de ce conseil cadial, consulté régulièrement par les différentes autorités de l’île, que ce soit l’agence régionale de santé, quand il s’agit de véhiculer les gestes barrières contre le coronavirus, ou encore la préfecture et le Département, quand des affrontements éclatent au sein des villages. “Si l’institution cadiale ne peut effectivement plus se prévaloir d’être une autorité juridique pour ses missions traditionnelles de médiation sociale et familiale, elle conserve une influence, un magistère moral important”, confirme le président
du conseil départemental Soibahadine Ibrahim Ramadani. “L’aspiration collective des habitants à la sécurité appelle des réponses diversifiées et collectives, impliquant aussi bien les associations, les clubs que le rôle des cadis.”
DES FONCTIONNAIRES DU CONSEIL DÉPARTEMENTAL Pour qu’ils exercent au mieux leurs nouvelles fonctions, les 19 cadis de Mayotte (18 cadis et le Grand Cadi) passent désormais obligatoirement par une formation sur la laïcité, le diplôme universitaire “Valeurs de la République et religions”, délivré par le CUFR. Rémunérés entre 1.500 et 2.500 euros par le conseil départemental, ils occupent officiellement un poste de fonctionnaire, de catégorie C ou A (pour le Grand Cadi notamment), avec pour mission la médiation sociale.
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Par ailleurs, des conventions ont été signées entre certaines communes de l’île, comme Bandrélé, ou récemment Mamoudzou à la suite des Assises de la sécurité en novembre 2020, pour consolider leur rôle dans la prévention éducative.
“ILS NOUS ONT PRIS TOUTES NOS COMPÉTENCES” “Nous travaillons de 7h à 15h30 environ, mais en réalité, notre travail n’est pas de rester dans les bureaux et nous portons un point d’honneur à être présent quand on nous appelle”, décrit le cadi Ahamada Ouirdane Chamassi. Avec son homologue de Sada, Mohamed Abdallah, ils mènent d’ailleurs des actions de sensibilisation auprès des élèves à chaque rentrée des classes un peu tendue. “Nous allons à 5h du matin aux arrêts de bus pour leur dire
qu’ils doivent étudier pour leur avenir et non pas amener la bagarre à l’école”, se gargarise Mohamed Abdallah. Même fierté du côté du cadi d’Acoua, Yahaya Lihadji, présent en octobre dernier pour calmer les tensions entre les habitants des villages de Miréréni et Combani. “Avec la départementalisation, ils nous ont pris toutes nos compétences. On nous a dit de nous contenter d’aller au travail, de dormir là, un point c’est tout. Aujourd’hui, ils voient le bénéfice du cadi”, se réjouit-il. Pour autant, l’avenir de l’institution cadiale est encore semé d’embûches. La première ? Préparer la relève. “J’ai peur que là où un cadi part à la retraite, il n’y ait pas d’embauche pour le remplacer. Certains s’occupent déjà de deux bureaux… C’est une façon de casser les cadis”, souffle Yahaya Lihadj le regard dans le vague. Comme blessé pour la seconde fois. n
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Raïnat Aliloiffa
STATISTIQUES
DES INDICATEURS SOCIOÉCONOMIQUES POSITIFS PENDANT DIX ANS MAYOTTE 2021 N’EST CERTAINEMENT PAS LA MÊME QUE MAYOTTE 2011. LA POPULATION A NETTEMENT AUGMENTÉ, UNE PARTIE S’EST ENRICHIE TANDIS QU’UNE AUTRE S’EST APPAUVRIE. LES INFRASTRUCTURES SE SONT DÉVELOPPÉES, MAIS MALGRÉ TOUS CES CHANGEMENTS, LE 101ÈME DÉPARTEMENT DE FRANCE CUMULE UN LARGE RETARD QUI LUI VAUT LA TRISTE RÉPUTATION DE DÉPARTEMENT LE PLUS PAUVRE DE FRANCE. Le nombre d’habitants à Mayotte a toujours été au cœur du débat public, avant même la départementalisation. En 2017, l’Institut national de la statistique et des études économiques a recensé 256.000 habitants sur l’île. Un comptage sous-évalué selon une majeure partie de la population, qui n'a jamais cessé de rabâcher le nombre de 400.000... “ Nous ne pouvons pas combattre la croyance populaire. Cette polémique va rester en l’état. Mais il n’y a jamais eu d’éléments techniques pour contester le chiffre officiel”,
relate Jamel Mekkaoui, ancien chef de l’Insee à Mayotte. Depuis cette même année, le nombre d’habitants a augmenté, mais n'a jamais atteint le chiffre fantaisiste prôné par certains. Quatre ans plus tard, le territoire compte 289.000 administrés. “C’est une estimation fiable. Les autres chiffres sont des fakes news ! Actuellement, nous sommes en train de faire le recensement et les agents sont des Mahorais qui vont partout et même dans les bangas. S’il y a des gens qui se
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MAYOTTE, 10 ANS APRÈS LA DÉPARTEMENTALISATION chiffres-clés Une forte croissance économique, reflet d'un rattrapage en cours Tourisme
Créations d'entreprises
PIB par habitant 2018
2020
2019
2011
9 251 €
1 350
65 500
7 222 €
27 % du PIB / hab. France
2010
2012
22 % du PIB / hab. France
48 200 touristes
700 Pouvoir d'achat individuel : + 3.5 % / an en moyenne
Une forte croissance de la population, portée par des naissances très nombreuses Naissances
Population 2017
2021
256 500
289 000 (estimation)
Part des étrangers
2019
2017
9 770
48 %
2012
2007-2012
2012
212 600
7 100 *
40 %
+ 3,8 % / an
* en moyenne / an
Des créations d'emploi insuffisantes face au dynamisme de la population Emplois
Nombre de cadres 2020
2009
33 500
2017
49 400
2007
31 %
2 200
4 700 12 %
6% des emplois
32 % des 15-64 ans en emploi
Des conditions de vie encore difficiles Logements en tôle
Population sans eau dans le logement
Taux de pauvreté monétaire
2017 2012
38 % des résidences principales
39 %
2017
2012
30 % des habitants
29 %
2012
84 % des habitants
2017
77 %
Pour aller plus loin https://www.insee.fr/fr/statistiques?debut=0&categorie=2&geo=REG-06
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DOSSIER
cachent dans les bois parce qu’ils ont peur, nous pouvons en rater une poignée mais pas 150.000”, martèle Bertrand Aumand, l’actuel responsable du service régional. Pour rappel, en 2012, la population était estimée à 212.600 âmes, ce qui représente une hausse de 3,8% par an.
LES INÉGALITÉS SE SONT ACCENTUÉES En 2011, selon l’Insee, le PIB par habitant était de 7.222 euros, contre 9.251 euros en 2018. Le pouvoir d’achat individuel a augmenté en moyenne de plus de 3,5% durant cette période. Pour une simple et bonne raison : la création d'une multitude d'entreprises, synonyme de production de richesses. Si l’Institut n’a pas encore actualisé ces chiffres, la crise de 2018 et le Covid-19 ont de fortes chances d'impacter le monde économique. “Les nouveaux résultats risquent d’infléchir, mais c’est pareil en métropole et même en Europe", prévient Bertrand Aumand. Et pourraient ainsi rebattre les cartes du seuil de pauvreté, passé de 84% à 77% entre 2012 et 2017. “J’aurais tendance à dire que le taux de pauvreté monétaire ne devrait pas chuter, il pourrait peut-être même légèrement augmenter”, nuance le chef du service régional de l'Insee à Mayotte.
BON EN AVANT POUR LES INFRASTRUCTURES “Mayotte est loin du compte. Elle est très loin des normes métropolitaines et même des autres territoires ultramarins, qui sont également en retard par rapport à la métropole”, souligne Jamel Mekkaoui. Malgré cela, difficile de nier le développement rapide du territoire. L’aéroport de Mayotte en est le parfait exemple : son standing actuel est à des années lumières des dernières décennies. Quant aux routes, elles étaient tout bonnement impraticables sans l'aide de gros 4x4. “Lorsque je suis arrivé en 2013, nous devions passer à côté des bosses et des trous pour rouler”, se remémore, un brin nostalgique, Jamel Mekkaoui. Même son de cloche pour Internet, avec un haut débit inexistant avant la date fatidique de la départementalisation. Partie tout en bas de l'échelle, l'île aux parfums poursuit son bonhomme de chemin et peut envisager à son rythme un avenir prometteur. “Mayotte est un département depuis seulement 10 ans, il faut être patient. Quand nous regardons en arrière dans l’histoire, les autres départements se sont développés lentement”, tempère Bertrand Aumand. Rendez-vous dans 10 ans pour voir si les projets en cours auront tenu leurs promesses. n
Au-delà des chiffres, son prédécesseur a observé un changement de mode de vie selon la classe sociale durant ses sept années à Mayotte. “Une partie de la population s’est enrichie, nous l'avons vu dans les budgets des familles. Cela s’est concrétisé par l’achat de voitures neuves. Quand je suis arrivé à Mayotte il y en avait très peu. Aujourd’hui, il y a un parc automobile de qualité”, rapporte Jamel Mekkaoui. Tandis que certains se sont enrichis, d’autres se sont appauvris. Pour preuve, les logements en tôles ont augmenté de 1% de 2012 à 2017, tandis que, sur la même période, le nombre de foyers n'ayant pas accès à l’eau courante n’a que très légèrement régressé (30% contre 29% cinq ans plus tard).
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DOSSIER
L.S.
STATISTIQUES
MAYOTTE, DÉPARTEMENT D’UN POINT DE VUE ADMINISTRATIF IL Y A DIX ANS MAINTENANT, MAYOTTE DEVENAIT OFFICIELLEMENT LE 101ÈME DÉPARTEMENT FRANÇAIS. UN CHANGEMENT DE STATUT PLEIN D’ESPOIR POUR LES MAHORAIS, QUI ATTENDAIT NOTAMMENT UNE ÉGALITÉ RÉELLE VIS-À-VIS DES AUTRES DÉPARTEMENTS. EN RÉALITÉ, TOUTES LES PROBLÉMATIQUES DE L’ÎLE DE NE SONT PAS ENVOLÉES EN UN CLIN D'ŒIL, ET DE NOUVELLES S’Y SONT MÊME AJOUTÉES. Selon l’INSEE, à Mayotte, encore 77% de la population vit sous le seuil de pauvreté. Un chiffre énorme pour la France où en 2017, seulement 14,1% de la population vivait sous ce seuil. S’ajoutent à cela les conditions insalubres de vie, les maisons en taule, parfois très précaires, sans électricité, ou sans eau. Elles représentent 39% des habitations selon l’INSEE, plus d’un tiers des logements sont donc particulièrement sensibles en cas de tempêtes, coulées de boue ou autres catastrophes. Loin des idées reçues, les maisons en taule ne sont pas exclusivement habitées par des clandestins, beaucoup sont aussi habitées par des ressortissants français. L’INSEE recense aussi 29% de la population mahoraise vivant sans eau courante. Un chiffre inquiétant, d’autant plus cette année, alors qu’une épidémie mondiale nécessite de se laver les mains régulièrement.
UNE POPULATION JEUNE, MAIS SANS EMPLOI Mayotte est le département le plus jeune de France. D’un point de vue administratif certes, mais aussi d’un point de vue humain. La maternité de Mamoudzou est toujours la plus grande du pays, avec plus de 9 000 naissances par an depuis 2015, 9770 en 2019. Si les nouveaux nés sont en majorité de mères comoriennes, ces jeunes restent en général sur le territoire. Ce qui fait que plus de la moitié de la population a moins de 20 ans. Mais parmi ces jeunes, si environ 1 sur 4 continue les études, les trois-quarts sont sans diplôme, et sans emploi selon
l’INSEE. C’est deux fois plus qu’en métropole. Ce manque de diplôme sur l’île entraîne par conséquent un taux de chômage élevé. En 2020, seuls 31% des 15-64 ans avaient un emploi. Et si la crise sanitaire a augmenté le nombre de chômeurs, le chiffre reste toutefois révélateur du désert que représente Mayotte en termes d’emploi.
DE NOUVELLES PROBLÉMATIQUES MIGRATOIRES “Avant on avait l’immigration de l’archipel, maintenant, on a aussi toute l’Afrique de l’Est”, se plaint un habitant de Mamoudzou. L’immigration, sur l'île de Mayotte, a toujours été très présente. Les liaisons entre les îles des Comores et le nouveau département ont toujours été nombreuses, les familles ayant souvent des membres installés sur les quatre îles. Et malgré les tentatives politiques et policières de lutte contre les arrivées régulières de kwassa, les étrangers sont de plus en plus nombreux sur l’île. Il n’est plus seulement question des cousins comoriens, mais aussi congolais ou mozambicains, voyant à Mayotte un moyen d’atteindre plus facilement la France, et l’Europe. Selon l’INSEE, la part d’étrangers à Mayotte a dépassé les 50%, alors qu’elle était de 40% en 2012. C’est une situation difficile à vivre pour les Mahorais, qui affichent clairement leur mécontentement, et demandent même le départ de ces populations. Une immigration que les locaux rattachent à la départementalisation, même si elle existait déjà auparavant. n
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DOSSIER
TRIBUNE LIBRE PAR MOUHOUTAR SALIM, AUTEUR ET CONFÉRENCIER
DIX ANS DÉJÀ
EN DEVENANT FRANÇAIS EN 1841, LES MAHORAIS ONT TROUVÉ LA GARANTIE DURABLE DE LEURS LIBERTÉS. EN 1958, LA CONSTITUTION FRANÇAISE, EN DISTINGUANT LES DÉPARTEMENTS D’OUTRE-MER DES TERRITOIRES D’OUTRE-MER, A PROMIS LES PREMIERS À L’INTÉGRATION DANS L’ENSEMBLE FRANÇAIS ET LES SECONDS À L’INDÉPENDANCE OU À UNE LARGE AUTONOMIE. AUSSITÔT, LA POPULATION MAHORAISE ASSEMBLÉE EN CONGRÈS À TZOUNDZOU I, A CRÉÉ L’UNION POUR LA DÉFENSE DES INTÉRÊTS DE MAYOTTE (U.D.I.M) DEVENUE LE MOUVEMENT POPULAIRE MAHORAIS (M.P.M). DÈS LORS, MALGRÉ TOUTES LES PRESSIONS, TOUS LES EFFORTS, ET TOUTES LES EXACTIONS, LES MAHORAIS ONT DEMANDÉ DE FAÇON CONSTANTE, CLAIRE ET QUASI-UNANIME LA DÉPARTEMENTALISATION DE LEUR ÎLE. LA LÉGITIMITÉ DE CETTE REVENDICATION A TOUJOURS ÉTÉ RECONNUE PAR LES AUTORITÉS FRANÇAISES, PUISQUE LA LOI DU 24 DÉCEMBRE 1976, QUI CRÉAIT LE STATUT DE COLLECTIVITÉ TERRITORIALE DE MAYOTTE, ANNONÇAIT DÉJÀ CETTE POSSIBILITÉ. DEPUIS 1976 ET APRÈS PLUSIEURS REPORTS (1979, 1984, 1986) DE LA CONSULTATION DE LA POPULATION, LE GOUVERNEMENT A FINALEMENT ACCEPTÉ AUX VŒUX DES MAHORAIS. AINSI 95 % DES MAHORAIS ONT CONFIRMÉ LE CHOIX DU DÉPARTEMENT, LORS DE LA CONSULTATION DU 29 MARS 2009. LE 31 MARS 2011, MAYOTTE DEVENAIT LE 101ÈME DÉPARTEMENT FRANÇAIS ET LE 5ÈME DÉPARTEMENT D’OUTRE-MER DE LA FRANCE. CE TERRITOIRE EST CERTES LE PLUS JEUNE DES DÉPARTEMENTS FRANÇAIS, MAIS IL EST CELUI QUI SE RÉCLAME DE LA PLUS LONGUE HISTOIRE ET DE LA PLUS GRANDE TRADITION MILITANTE EN FAVEUR DE CE STATUT. Traduite en termes individuels, cette revendication collective des Mahorais s’analyse, comme une volonté des Mahorais de demeurer français et d’échapper aux destins des Comores indépendantes. Ils veulent être Français simplement et complètement. C’est aussi leur droit à la liberté – “ nous voulons être
Français pour être libre ”, scandaient les Mahorais en 1974 - que les Mahorais ont voulu protéger en devenant français. Cependant, il reste que la devise républicaine n’est pas divisible et que, Mayotte étant française, il faudra bien la lui appliquer intégralement l’égalité sociale. Et enfin, ils veulent
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garantir le développement de leur île grâce à la solidarité de l’État, de l’Europe par l’intervention des fonds européens ainsi que le respect de l’identité mahoraise et la personnalité de Mayotte. Ces objectifs sont tellement proches de la devise républicaine de liberté, égalité et fraternité, dont il serait la concrétisation à Mayotte, que la France s’honorerait en respectant ses propres principes. Il est évident que l’expectative statutaire qu’a connu Mayotte avant la départementalisation, a permis de faire durer les inégalités les moins fondées. Les attentes de la population étaient essentiellement contenues dans cette réponse extrêmement laconique qu’on peut résume de la façon suivante : “ vous n’êtes pas encore un département … ”. Et dès que Mayotte a accédé au statut de département, il n’était plus possible d’opposer aux revendications des Mahorais. Depuis cette date, il y a une libération de la parole à Mayotte. Cependant, dix ans plus tard, il est évident que les attentes de la population sont loin d’être satisfaites. Et la vie de l’île est marquée par un climat social lourd, renforcé par un contexte démographique dynamique et singulier - population très jeune, forte pression migratoire de population étrangère. Des niveaux de développement économique et de ressources qui sont très en retrait par rapport à la métropole – chômage très élevé, forte précarité. Ta n d i s q u e l e s a u t o r i t é s n a t i o n a l e s e t départementales n’ont pu redonner de l’espoir aux Mahorais, qui désespèrent de voir arriver les changements positifs promis que devrait induire l’évolution statutaire de leur île. Nombreuses ont été pendant ces dix derniers années, les crises sociales et les grèves dans les secteurs publics et privés qui se durcissaient sur un fond démographique qui constitue au-delà des discours officiels, un décor désormais permanent. Les Mahorais n’ont pas cessé d’une part, de protester contre la cherté de la vie en 2011, la crise de l’eau en 2017, l’insécurité et l’immigration clandestine en 2018 et d’autre part, de revendiquer la refonte du mode de gouvernance locale avec davantage d’autonomie et la mise en place des certaines conventions collectives dans les entreprises. Et Mayotte offre encore aujourd’hui des conditions insuffisantes de salubrité pour ses habitants : 29% des ménages n’ont pas accès à l’eau, le prix de l’eau est toujours aussi cher, l’assainissement, la
collecte et le traitement des déchets ne sont pas suffisamment organisés. Le désenclavement de l’île disait-on. La piste longue est reportée sine die, le billet d’avion est toujours aussi cher. Intervention directe d’EDF avait-on promis, est abandonné. Le désenclavement terrestre avec les routes et surtout avec le projet du contournement du grand Mamoudzou. Et enfin, ces dix années de statut départemental, n’ont pas permis d’apporter aux familles mahoraises l’alignement de leurs droits sociaux sur ceux des autres familles françaises, de généraliser les crèches et les cantines qui les libèreraient et leur permettraient de travailler, de donner à Mayotte les aides au logement. Cependant deux évènements ont marqué sur un plan administratif les dix ans de la départementalisation. La transformation du vice-rectorat de Mayotte, en un rectorat de plein exercice. Il s’agit d’un service déconcentré du ministère de l’Éducation nationale, et du Ministère de l’Enseignement supérieur et de la recherche, qui cumule les missions d’un rectorat et d’une inspection académique dans un département qui connaît un développement démographique rapide. Cette création a été votée à l'Assemblée nationale le 15 février 2019, lors de l'examen du projet de loi "pour une école de la confiance". La création d’une ARS de plein exercice, le 1er janvier 2020 au terme d’un long processus de préfiguration. Jusqu'à cette date, Mayotte dépendait de l'ARS de l'océan Ibdien, basée à La Réunion. Mais à l'issue du mouvement social qui avait paralysé l'île pendant plus de deux mois en 2018, le premier ministre Édouard Philippe, avait accédé en avril 2018, à l'une des demandes de la population d'avoir une ARS de plein exercice. Il s’agit pour l’île aux parfums d’une évolution institutionnelle importante permettant de recueillir sur le terrain, les premiers fruits d’une lutte acharnée pour une départementalisation toujours en devenir. Pour nous il faut réfléchir sur un véritable projet de développement économique, social et culturel, remettant Mayotte sur les voies de la prospérité mais aussi de l’égalité sociale et de la responsabilité locale. D’autant plus qu’avec la départementalisation et l’intégration progressive des Mahorais dans le droit commun, il était attendu une grande visibilité des élus dans la prise des décisions locales. Dans encore bien des domaines ayant trait à des problèmes de proximité, c’est toujours le préfet qui est visible. n
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DOSSIER
THOMAS M’SAÏDIÉ, MAÎTRE DE CONFÉRENCES EN DROIT PUBLIC AU CENTRE UNIVERSITAIRE DE MAYOTTE
REGARD CRITIQUE SUR L’ACCESSION DE MAYOTTE AU REGIME DE DEPARTEMENT (1) "LORSQUE LA MAISON BRÛLE, ON NE S’OCCUPE PAS DES ÉCURIES". À L’IMAGE DE CETTE CITATION QUE L’ON DOIT À CHOISEUL, L’ÎLE DE MAYOTTE N’A SUSCITÉ QU’UN INTÉRÊT SECONDAIRE. DEPUIS LA MISE EN PLACE DE LA SOUVERAINETÉ FRANÇAISE EN 1841, MAYOTTE A HÉRITÉ DE PLUSIEURS STATUTS INÉDITS, QUI N’ONT JAMAIS RÉELLEMENT ÉTÉ CONFORMES À LA VOLONTÉ DE LA POPULATION ET DES ÉLUS. APRÈS L’ACCESSION DES COMORES À L’INDÉPENDANCE EN 1975, L’ÉTAT FRANÇAIS A MULTIPLIÉ LES CONSULTATIONS, QUI DEVAIENT EN PRINCIPE ABOUTIR À UN STATUT STABLE, DE DROIT COMMUN : CELUI DE DÉPARTEMENT. FAUTE DE POUVOIR LIVRER LES MAHORAIS À LA VINDICTE DE LEURS VOISINS COMORIENS, LA FRANCE DEVAIT FAIRE PARTIELLEMENT DROIT À CE SOUHAIT, EN REPORTANT TOUTEFOIS À QUATRE REPRISES – EN 1976, 1979, 1984 ET 2002 – L’OCTROI DE CE STATUT, QUE LES COMORIENS, MOLLEMENT SOUTENUS PAR DES MAJORITÉS DE CIRCONSTANCE À L’ASSEMBLÉE GÉNÉRALE DES NATIONS UNIES, RÉFUTAIENT PAR AVANCE POUR CAUSE D’ILLÉGITIMITÉ AU REGARD DU DROIT INTERNATIONAL. 34•
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Sur le fondement de l’article 72 de la Constitution, Mayotte a hérité d’un statut de "collectivité territoriale de la République". La particularité de cette collectivité "innommée" résidait dans le fait qu’elle n’entrait "ni dans la catégorie des TOM, ni dans celle des départements". Le statut sui generis dont l’île a été dotée en vertu de la loi de 1976 était évolutif. Cependant, aucune consultation n’est intervenue dans les délais fixés par le législateur. La loi de 1979 a prorogé ce délai de cinq ans. Outre d’autres raisons qui seront évoquées ci-après, la cristallisation du débat autour des tensions provoquées par une intégration pleine de Mayotte à la République a eu un effet retardateur sur le changement statutaire de l’île. Il s’agissait là d’une appréciation erronée, sinon illusoire que de croire que la passivité de l’État français sur l’avenir institutionnel de Mayotte allait apaiser les tensions. En effet, en refusant de doter l’île du statut tant convoité, la France laissait apparaître un éventuel infléchissement de sa position consistant à en faire un département, ce qui a eu pour effet d’exacerber les pressions. Or, l’érection de Mayotte en département, nonobstant les tensions internationales, en plus de répondre à une demande légitimement exprimée par la population Mahoraise, aurait eu pour effet de mettre en exergue l’inanité de leurs pressions, mais probablement de les en dissuader. Ce choix n’a pas été privilégié par le législateur français. Le statut de collectivité sui generis imposé par le législateur de 1976 devait assurer, pendant une période transitoire, la mise en place progressive du statut de département. Elle devait en principe intervenir après une période de cinq ans prévue par la loi de 1979, au cours de laquelle Mayotte devait se doter d’institutions départementales : un représentant du gouvernement, un Conseil général, des cantons, des communes, des services d’État. À cet effet, Henry Jean-Baptiste, ancien député de Mayotte, avait souligné le 8 novembre 1997 à l’occasion des cérémonies marquant le 20e anniversaire de la création du Conseil général de Mayotte, devant JeanJack Queyranne, alors secrétaire d’État à l’outre-mer, que "le conseil général fut dès l’origine considéré certes comme un emprunt à l’institution départementale de droit commun, mais déjà comme un premier pas dans l’évolution de Mayotte vers le statut de DOM". La mise en place de ces institutions dans le cadre du statut provisoire préfigurait l’érection de Mayotte en département d’outre-mer. En effet, après cette période transitoire, le changement de statut devait intervenir
sans à-coups. Pourtant, le statut particulier mis en place par le législateur de 1976 est resté sclérosé jusqu’en 2001. Sous l’impulsion de l’accord sur l’avenir de Mayotte du 27 janvier 20005, approuvé par référendum à plus de 72% des suffrages exprimés le 2 juillet 20006, le législateur de 2001 a tiré les conséquences de l’organisation et du fonctionnement institutionnel de Mayotte qui étaient calqués sur le model du droit commun. Il a voulu rompre avec la longue période d’hésitation caractérisant le statut provisoire, en érigeant l’Île en collectivité territoriale de la République portant le nom de "collectivité départementale". Les dispositions de l’article 1er de la loi n°2001-616 du 11 juillet 2001 relative à Mayotte sont à cet égard très éclairantes. Aux termes dudit article "Mayotte constitue, conformément à l'article 72 de la Constitution, une collectivité territoriale qui prend le nom de "collectivité départementale de Mayotte". Il s’agit concrètement du prolongement du statut sui generis mis en place en 1976, à une exception formelle près qu’on retire les mots "de la République", et on rebaptise le statut au passage. Néanmoins, ce statut sui generis va connaître un tournant décisif dès la loi organique n° 2009-969 du 3 août 2009 entérinant les résultats du référendum du 29 mars 2009 (95,2% des suffrages exprimés en faveur du statut de collectivité unique). Auparavant, l’appartenance de Mayotte à la République a connu une consécration constitutionnelle, puisque la réforme constitutionnelle du 28 mars 2003 a procédé à l’énumération à l’article 72-3 de toutes les collectivités territoriales de la République, y compris celles situées outre-mer. Les lois organique et ordinaire du 7 décembre 2010 vont ériger Mayotte en collectivité unique nommée maladroitement "Département de Mayotte". Ces éléments marquent les péripéties les plus importantes de la départementalisation de Mayotte. La question relative à l’accession de Mayotte au régime de département a été reportée à quatre reprises, sans raison convaincante. La départementalisation de Mayotte a constitué, selon la position officielle, un processus progressif et adapté d’un point de vue historique et juridique. Le gouvernement n’a eu de cesse qu’il n’ait réfléchi pendant plusieurs décennies aux schémas institutionnels qui serait plus en phase avec les intérêts de Mayotte dans la République, paradoxalement sans tenir réellement compte de la volonté des élus et de la population Mahoraise. Confronté à des exigences constitutionnelles et des
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contraintes juridiques, l’État français, tout en voulant conjuguer avec la situation internationale délicate de l’île, a opté pour une solution provisoire. En vertu de la loi du 7 décembre 2010, l’île au Lagon s’est vu effectivement doter du statut de "Département de Mayotte". Cependant, pour atteindre ce résultat initié depuis 1958, tant espéré par la population depuis plusieurs générations, le législateur a opté pour une démarche inhabituelle, qui résiste difficilement à l’exégèse. En effet, le passage du régime provisoire dans lequel l’île a été enfermée pendant plusieurs années au statut de département s’est fait selon des modalités inédites et critiquables (I). La mise en place même du régime de département prévu à l’article 73 de la Constitution a été faite au mépris de certaines règles institutionnelles et constitutionnelles fondamentales (II).
LES MODALITES INHABITUELLES DU PASSAGE AU STATUT DE DEPARTEMENT Mayotte a toujours bénéficié d’un traitement singulier quant à l’accès au statut de département, là où les autres ont pu y accéder sans coup férir. Ce statut devait intervenir depuis 1958, mais a été reporté à plusieurs reprises pour des raisons nébuleuses (A). Ave c b e a u c o u p d ’ i n s i s t a n c e, l e s négociations aboutissant à l’octroi de ce statut ont repris, si ce n’est que Mayotte s’est vu soumettre préalablement au régime du droit commun.
LE REPORT CRITIQUABLE DE L’OCTROI DU STATUT DE DEPARTEMENT L’octroi du statut de département ne s’est pas fait sans difficulté. D’une part, dans un contexte international tendu, le législateur s’est montré hésitant, en faisant fi de la volonté de la population exprimée à de nombreuses reprises. Et d’autre part, il s’est fondé sur un conflit supposé entre deux principes constitutionnels pour
repousser l’octroi du statut de département aux Mahorais.
LES ATERMOIEMENTS DISCUTABLES DU LEGISLATEUR La question relative à l’évolution institutionnelle de Mayotte n’est pas nouvelle. Elle a pris une ampleur considérable à partir du congrès de Tsoundzou de 1958 mené entre autres par Georges NAHOUDA, le chantre du mouvement départementaliste. Devant l’assemblée territoriale des Comores, les représentants Mahorais avaient demandé dès 1958 l’érection de Mayotte en département d’outre-mer, marquant ainsi leur divergence avec les trois autres îles (Anjouan, Grande Comore, Mohéli). En 1974, cette rupture entre l’île au Lagon et les autres îles de l’archipel des Comores se traduit par le rejet sans appel du projet d’indépendance par les Mahorais, là où les autres îles ont montré leur attachement (95% des suffrages) à l’accession des Comores à la pleine souveraineté internationale8. Après l’accession des Comores à la pleine souveraineté internationale, l’État avait décidé de consulter la population sur la transformation de Mayotte en département. Dès le 8 février 1976, les Mahorais ont derechef à 99,4% des suffrages montré leur souhait de demeurer au sein de la République, rejetant là encore vertement toute idée d’indépendance. Le maintien du statut de "Territoires d’outremer", empruntant le nom de "territoire des Comores", n’était plus souhaitable, ni justifiable après l’indépendance des Comores, dès lors que celui-ci impliquait les quatre îles. Il contenait encore, de manière traumatisante9, les vestiges de la domination exercée par la Grande Comore sur la population mahoraise. Le statut de département constituait un rempart contre toute intégration de Mayotte à l’État des Comores. Ces éléments ont justifié que le statut de TOM proposé lors du référendum du 11 avril 1976 ait été massivement rejeté par la population, qui souhaitait une véritable intégration
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au sein de la République, qui ne pouvait passer que par une véritable départementalisation. Tirant les conséquences du rejet massif du statut de TOM en 1976 et de la réaffirmation claire des Mahorais de leur désir de voir leur île doter du statut de département dès 1976, un projet de loi du 12 mai 1976 faisait de Mayotte "un département d’outre-mer" au sein de la République. Il a même fait l’objet d’un examen en commission. Bien que le gouvernement eût prévu une départementalisation progressive, il n’en demeure pas moins qu’il s’agissait d’une prise en compte heureuse de la volonté affirmée des Mahorais. Le projet a été abandonné sans qu’aucune raison officielle ne soit fournie. La loi n° 76-1212 du 24 décembre 1976 a doté Mayotte d’un statut sui generis, et a précisé qu’au terme d’un délai de trois ans à compter sa promulgation, les Mahorais allaient être consultés sur leur avenir institutionnel en ayant plusieurs choix. Plus précisément trois choix allaient s’offrir à eux : le maintien du statut sui generis, la transformation de Mayotte en département et enfin l’adoption d’un statut différent. Parmi ces choix, seul le statut de département était convoité. Le législateur avait pris soin de confier l’initiative de la consultation au Conseil général. Il suffisait que celui-ci se prononçât à la majorité des deux tiers de ses membres en faveur d’un nouveau statut, pour que le législateur procédât à la consultation. Tout en maintenant les mêmes choix statutaires, la loi n° 76-1212 du 22 décembre 1979 va abroger la loi de 1976, et va fixer un délai de cinq ans à compter de sa promulgation avant la consultation des Mahorais. Elle va retirer au Conseil général l’initiative de la consultation, qui dispose d’un simple pouvoir de consultation, en ce sens qu’il peut donner son avis. Toutefois la consultation de la population est subordonnée à l’avis du Conseil général, là où il était investi du droit d’initiative par le législateur de 1976. La consultation du Conseil général, en plus d’être symbolique, n’est pas contraignante. En effet, selon le Professeur François Luchaire, "Mayotte n’étant pas un territoire d’outre-mer, l’article 74 de la Constitution ne s’y applique pas. Il n’y a donc aucune obligation constitutionnelle de consulter le Conseil général de Mayotte". La consultation a été remise sine die par le projet de loi du 19 décembre 1984, lequel n’a jamais été adopté. La population n’a pas été consultée à l’issue de l’échéance prévue par la loi de 1979. Le statut mis en place par la loi de 1976, supposé être provisoire est demeuré dans la pratique durable.
Le consentement requis de la population par les lois de 1976, 1979 pour la transformation éventuelle de Mayotte en "département d’outre-mer" ne découle d’aucune disposition constitutionnelle. En effet, à cette période, le changement statutaire à l’intérieur de la République n’était pas subordonné au consentement de la population. Il suffisait simplement de consulter le Conseil général. Seul un changement statutaire hors de la République (c’est-à-dire en cas de cession, échange ou adjonction du territoire de Mayotte), tel qu’envisagé par l’article 53, alinéa 3 de la Constitution exigeait la consultation de la population. Se pose alors la question de savoir les motivations qui ont gouverné le législateur à imposer la consultation de la population avant la création éventuelle du statut de département. Cette question laisse apparaître le malaise dû aux rapports tendus entre l’État français et l’État comorien, sur la question de Mayotte. Alors même qu’elle n’est exigée nulle part dans la Constitution dans la version qui était applicable, la consultation devait en quelque sorte apaiser les tensions, en offrant aux Mahorais à tout moment la possibilité de revenir sur leur choix pourtant clair de demeurer au sein de la République. Ainsi, l’État comorien gardait l’espoir de voir l’île au Lagon intégrer la nouvelle fédération fraichement reconnue par les organisations internationales. L’ambiguïté rédactionnelle des lois n° 76-1212 du 24 décembre 1976 et n° 76-1212 du 22 décembre 1979, a fini par mettre de côté le véritable enjeu pour les Mahorais, celui consistant en la transformation de Mayotte en département d’outre-mer. Le projet de loi du 19 décembre 1984 est illustratif de cette volonté de rassurer l’État comorien. Il mentionne qu’ "à une date et selon des modalités qui seront fixées par une loi, la population de Mayotte sera consultée sur le point de savoir si elle souhaite que Mayotte demeure au sein de la République française ou en soit détachée". Ledit projet de loi va être abandonné, là aussi sans aucune raison apparente, sans que la consultation prévue par la loi de 1979 ait eu lieu. L’idée de consultation a été une nouvelle fois abandonnée. Les gouvernements successifs ont préféré maintenir le statut sui generis mis en place en 1976. Il est constant que ces atermoiements critiquables du législateur trouvent leur justification dans le conflit qui oppose la France à l’Union des Comores. À cet égard, l’ancien Premier ministre Michel Rocard, considérait que "le cas de Mayotte comporte de la part du Parlement français, le manquement explicite aux règles internationales. On n’en est d’ailleurs pas encore sorti".
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De plus les territoires bénéficiant du statut de "territoire d’outre-mer" avaient vocation à accéder à la pleine souveraineté internationale, alors que ceux érigés en département devaient bénéficier d’une assimilation plus poussée. Les motivations ayant incité les gouvernements successifs et le législateur à repousser l’érection de Mayotte en département d’outre-mer ne sont pas d’ordre juridique12, mais d’ordre purement politique et diplomatique13. En effet, selon le Professeur Jacques Ziller, "la vraie raison est d’ordre diplomatique, la France préférant laisser une impression de provisoire plutôt qu’une intégration définitive à la République d’une manière qui aurait été dénoncée comme provocante par de nombreux États membres de Nations Unies et de l’Organisation de l’Unité Africaine y compris des pays africains traditionnellement amis". Il convenait d’atténuer les tensions internationales provoquées par une pleine intégration de Mayotte à la République. Ce dernier argument nous semble peu solide dans la mesure où seule une intégration de Mayotte au Comores aurait pu" réduire les tensions régionales et internationales". Or, une telle intégration n’était pas envisageable sans l’assentiment de la population, conformément à l’article 53. De manière générale, les motivations politiques et diplomatiques susmentionnées ne nous paraissent pas convaincantes, dès lors que la stratégie adoptée par le législateur consistait à réduire, de manière significative, les collectivités bénéficiant du statut de territoire d’outre-mer, au détriment du statut d’intégration renforcée, à savoir celui de département d’outre-mer. À cet égard, Michel Debré, avait affirmé en 1959, en réponse à une question écrite, que "la Constitution n’a jamais prévu la possibilité pour un département de se transformer en un territoire d’outre-mer (…)". Il y avait une politique de généralisation du statut de département. C’est pour cette raison que le territoire de Saint-Pierre-et-Miquelon s’est retrouvé régis par ledit statut en vertu de la loi du 19 juillet 197616, malgré
l’opposition de la population. Cependant, cette politique a été avortée s’agissant du cas de Mayotte. Au-delà de ces considérations, les pouvoirs publics centraux se sont fondés sur une difficulté insurmontable, pour refuser de doter Mayotte du statut de département dès 2001.
LA DIFFICILE CONCILIATION ENTRE LE PRINCIPE DE SPECIALITE ET LE STATUT DE DEPARTEMENT La loi n°2001-616 du 11 juillet 2001 relative à Mayotte17, constitue une évolution majeure de la situation institutionnelle de Mayotte. Après les hésitations susmentionnées, sous l’impulsion de l’accord sur l’avenir de Mayotte du 27 janvier 200018, approuvé par référendum à 72,9% des suffrages exprimés le 2 juillet 200019, le législateur voulait mettre un terme à la "longue période d’incertitude liées à un statut provisoire". L’île de Mayotte va être érigée en collectivité sui generis portant le nom de "collectivité départementale", qui n’est rien d’autre qu’un pis-aller. Le nouveau statut "prend en compte la volonté des Mahorais de se rapprocher du statut de département d’outre-mer, tout en tirant les conséquences du constat de l’impossibilité de transformer immédiatement Mayotte en département d’outre-mer compte tenu de spécificités" de la situation de l’île. Il s’agissait d’une étape intermédiaire avant sa transformation en département et région d’outre-mer. Cette étape traduit avant tout l’impossibilité de concilier deux principes constitutionnels : le principe de spécialité et le principe d’identité. Il semble, selon une interprétation stricte des dispositions de la Constitution, que le principe de spécialité ne soit pas compatible avec le statut de département. Ce statut admet uniquement des adaptations tenant compte des caractéristiques et contraintes particulières.
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Pourtant le maintien transitoire des mesures relevant du régime de spécialité, et donc dérogeant au droit commun, peut être concilié avec le statut de département, dès lors qu’elles ont une portée limitée et ne sont pas renouvelables. Cet argument a été retenu par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 2 décembre 2010, pour justifier la constitutionnalité des dispositions litigieuses. De plus, si l’on remonte un peu en arrière, la loi du 19 mars 194624, qui a érigé les quatre vieilles colonies en département français, avait maintenu le principe de la spécialité, en vertu duquel les lois et règlements ne sont applicables que si une mention expresse le prévoit. Cette solution pragmatique n’a pas été retenue par le législateur, qui a d’abord souhaité soumettre Mayotte au régime du droit commun avant le changement de son statut.
LA SOUMISSION PREALABLE AU DROIT COMMUN DEPARTEMENTAL La soumission de Mayotte au droit commun a été initiée par la loi n° 1871-08-10 du 10 août 1871 relative aux conseils généraux, laquelle a été étendue par l’ordonnance n° 77-449 du 29 avril 197726. En vertu de l’article 2 de ladite ordonnance, "pour l’application à Mayotte des dispositions de la loi du 10 août 1871 les expressions "collectivité territoriale de Mayotte" et "commission restreinte" sont substituées aux expressions "département" et "commission départementale". En vertu de ladite ordonnance, Mayotte est assimilée à un département, sur le fonctionnement duquel l’île est calquée. Par la loi de 1976, Mayotte emprunte le régime juridique du département sans en être un. Son organisation administrative est alignée sur le modèle départemental. La vocation départementale de l’île est plus explicite depuis l’intervention du législateur de 2001. Mayotte demeure soumise de manière inhabituelle au régime d’identité alors qu’elle dépendait de celui de spécialité. Guidé par une démarche tendant à l’intégration de Mayotte au régime du droit commun, le gouvernement a adopté le "Pacte pour la départementalisation de Mayotte". Le Pacte constitue une feuille de route traçant les grandes lignes, les étapes de la mise en oeuvre de la départementalisation. Il s’agit là d’une situation inédite et discutable.
LA SOUMISSION INCONGRUE A L’IDENTITE LEGISLATIVE Alors qu’elle relevait constitutionnellement du régime de spécialité prévue à l’article 74 de la Constitution, Mayotte a été soumise au régime d’identité assorti des éléments relevant de la spécialité. Ce cas très inédit, si l’on se base sur l’histoire institutionnelle et constitutionnelle de l’outre-mer, a été mis en oeuvre afin d’amorcer le passage à l’identité législative. Après avoir énuméré les matières relevant du régime d’identité – huit domaines : nationalité ; état et capacité des personnes ; les régimes matrimoniaux ; les successions et les libéralités ; le droit pénal ; la procédure pénale ; la procédure administrative contentieuse et non contentieuse ; droit électoral ; postes et télécommunications –, l’article 3 de la loi de 200128, rappelle le principe applicable à Mayotte, à savoir le principe de spécialité législative. Cependant, le législateur de 2001 avait assorti ce principe de dérogations tenant aux matières encadrées par les lois, ordonnances et décrets, "qui en raison de leur objet, sont nécessairement destinés à régir l’ensemble du territoire national". La loi organique n°2007-223 du 21 février 2007 est venue inverser la tendance en rendant applicable de plein droit les lois, ordonnances et décrets applicables en France continentale, sauf si une mention spécifique écarte Mayotte du champ d’application desdits textes. Toutefois, les matières relevant de la loi organique prises sur le fondement de l’article 74 étaient maintenues, ainsi que six domaines – 1) impôts, droits et taxes ; 2) Propriété immobilière et droits réels immobiliers, cadastre, expropriation, domanialité publique, urbanisme, construction, habitation et logement, aménagement rural ; 3) Protection et action sociales ; 4) Droit syndical, droit du travail, de l’emploi et de la formation professionnelle ; 5) Entrée et séjour des étrangers et droit d’asile ; 6) Finances communales – régis par le principe de spécialité dont l’extension ne pouvait dès lors s’opérer qu’en vertu d’une mention expresse. Alors même que le législateur n’hésite pas à recourir abusivement à l’expression "Département de Mayotte", l’île ne se voit reconnaître qu’une partie insignifiante des compétences dévolues aux départements. Au 31 mars 201129, l’île était régie par le principe d’identité prévu à l’article 73, assorti d’exceptions relevant du principe de spécialité prévu à l’article 74. Ces exceptions étaient encadrées par les dispositions
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d’une loi organique régissant le statut de Mayotte. Le juge constitutionnel a validé le maintien de certaines de ces dispositions, en ce qu’il s’agissait de mesures transitoires dérogeant au droit commun visant à garantir le changement de régime sans interruption de sa gestion. Néanmoins le passage du régime de l’article 74 à celui de l’article 73, a entraîné une confusion autour du maintien de mesures encadrées par une loi organique et l’application des mesures prises sur le fondement d’une loi ordinaire. Le nouveau statut devait être régi par une simple loi. Outre cette confusion, certaines mesures transitoires allaient parfois au-delà de simples adaptations permises en vertu de l’article 73, alinéa 1er. D’une part, elles dérogeaient au droit commun départemental. D’autre part, elles s’inscrivaient dans un registre particulier prévu par l’article 74. Confronté à une situation similaire, le Conseil constitutionnel, dans sa décision n° 82147 DC du 2 décembre 1982, considère que "le statut des départements d’outre-mer doit être le même que celui des départements métropolitains sous la seule réserve des mesures d’adaptation que peut rendre nécessaires la situation particulière de ces départements d’outre-mer". Le Conseil constitutionnel souligne que "ces adaptations ne sauraient avoir pour effet de conférer aux départements d’outre-mer une organisation particulière, prévue par l’article 74 de la Constitution pour les seuls territoires d’outre-mer". Le juge constitutionnel aurait pu sanctionner le recours trop abusif par le législateur de mesures d’adaptation. Cependant, leur portée limitée et leur caractère non renouvelable ont permis d’être regardées comme conforme à la Constitution31. Pourtant, à l’heure actuelle où nous rédigeons ces lignes, plusieurs mesures relèvent du régime de spécialité législatif, bien que la généralisation de l’identité législative ait été accentuée. À cet égard, le rapport de la Cour des comptes est particulièrement éclairant. Selon la Cour "l’accession au statut de Département devait s’accompagner du passage de la spécialité à
l’identité législative, c’est-à-dire à l’alignement sur le droit commun métropolitain, sous réserve des éventuelles adaptations pour les DOM prévues par l’article 73 de la Constitution. Ce chantier d’envergure a été mal anticipé par l’État et le travail d’adaptation se poursuit encore à ce jour".
LE CARACTERE DISCUTABLE DU "PACTE POUR LA DEPARTEMENTALISATION DE MAYOTTE" Le "Pacte pour la départementalisation", qui trace les grandes lignes avant l’accession de Mayotte au régime de département, constitue une feuille de route, un cahier des charges dont la rédaction et le contenu sont discutables. Il a été imposé de manière unilatérale et n’a fait l’objet d’aucune publication officielle, alors que l’accord de Paris de 2000 a, quant à lui, été soumis à l’approbation populaire et a été publié au journal officiel. L’auteur du "Pacte pour la départementalisation" n’est pas identifiable. Il marque la volonté du gouvernement d’imposer une période transitoire avant et après l’attribution du statut tant attendu. En effet, il entend tracer les grandes lignes relatives à l’accession de Mayotte au statut de département. Le pacte, qui constitue un acte qui n’a aucune valeur contraignante d’un point de vue juridique, prévoit que "les transferts de compétences, là où la décentralisation n’a pas été complète, seront engagés". La justice "cadiale", exercée par les "cadis", qui sont des religieux à qui on reconnaît une autorité morale, a été remplacée par la justice républicaine en vertu de l’ordonnance du 3 juin 2010. Le texte prévoit la maîtrise de la langue française par les Mahorais. Ces derniers se voient imposer de procéder à l’acquisition d’une “ identité incontestable ”. À cet égard, il est prévu la création d’une administration de mission – Commission de Révision de l’État-Civil (CREC) – qui doit disparaître à la veille du département. Cette question d’identité "incontestable"
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suggère d’une part que l’identité des mahorais est "contestable". Or, celle-ci n’est rien d’autre que la traduction du statut personnel visé par l’article 75 de la Constitution. De ce fait, elle est non pas contestable, mais différente de celle classiquement utilisée en France continentale. Cette exigence, faite sous couvert d’une volonté de garantir aux Mahorais des droits, ne trouve aucun fondement légal incontestable. En effet, le Pacte impose aux Mahorais qui n’ont pas le statut civil de renoncer à leur statut personnel. En faisant de cet élément un préalable à l’érection de Mayotte en "Département", et en indiquant que ce statut ne permet pas de se voir reconnaître les droits attachés à la citoyenneté française, les rédacteurs (inconnus) du Pacte violent manifestement les dispositions de l’article 72-3 et 75 de la Constitution. Le juge constitutionnel, dans une décision n° 2003-474 DC du 17 juillet 2003, avait jugé qu’une lecture combinée de ces dispositions permettait aux citoyens de la République ayant conservé leur statut personnel de jouir "des droits et libertés de valeur constitutionnelle attachés à la qualité de citoyen français et sont soumis aux mêmes obligations". Cette position est d’autant plus critiquable que le Pacte précise que "cette situation est inacceptable pour l’État". La seule chose inacceptable ici, en ce qu’elle n’est pas compatible avec la Constitution, est de tenir de tels propos et en se fondant sur le fait que les Mahorais ne disposerait pas d’un "état-civil fiable". Si l’accession au régime de département prévu à l’article 73 s’est fait de manière inhabituelle, la mise en place de ce régime ne s’est pas opérée sans critique.
LES MODALITES CONTESTABLES DE MISE EN PLACE DU REGIME DE DEPARTEMENT Conformément à l’article 72-4 de la Constitution, la mise en place du régime de département devait passer par la consultation de la population. Cependant, le législateur a opté pour un fondement juridique particulièrement contestable. Ce choix ouvre le débat sur le référendum du 29 mars 2009. De plus, en érigeant Mayotte au régime de département, il a opté, là aussi avec une maladresse défiant toute logique juridique, pour une formulation polémique.
LA DISCUSSION AUTOUR DU REFERENDUM DU 29 MARS 2009 La création d’une collectivité se "substituant" à un département et une région d’outre-mer, suppose avant tout que les deux collectivités visées aient existé. Or, Mayotte n’a jamais été ni département ni région. De ce fait le dernier alinéa de l’article 73 de la Constitution ne peut servir de fondement à la mise en place du "Département de Mayotte". Si l’article 73, alinéa 7 ne peut servir de fondement à la transformation de Mayotte en collectivité unique (1), il faut s’en remettre à l’article 72, alinéa 1er.
L’INAPPLICABILITE MANIFESTE DE L’ALINEA 7 DE L’ARTICLE 73C Les Mahorais ont été consultés le 29 mars 2009 sur leur avenir institutionnel. Ils devaient répondre à la question suivante : "approuvez-vous la transformation de Mayotte en une collectivité unique appelée "Département", régie par l’article 73 de la Constitution, exerçant les compétences dévolues aux départements et aux régions d’outre-mer ?". La consultation des électeurs a été faite en application des articles 72-4 et 73 de la Constitution37. Dans un avis du 8 janvier 2009, le Conseil d’État a estimé que l’on pouvait consulter la population sur une même question portant pourtant sur deux objets distincts : l’un sur le passage du régime prévu à l’article 74 à celui prévu à l’article 73, l’autre sur la transformation de Mayotte en collectivité unique. Il s’agit là d’une appréciation manifestement erronée, en ce qu’elle révèle une lecture approximative par le Conseil d’État des dispositions susmentionnées. Dans l’analyse menée par le Conseil d’État, trois articles ont, semble-t-il, servi de fondement à cette consultation. D’abord, il a rappelé l’article 72-3 qui énumère toutes les collectivités territoriales situées outre-mer. Ensuite, il prend soin de citer les articles 72-4 et 73 de la Constitution. L’article 72-4 exige le consentement de la population pour tout changement de régime. Et l’article 73, alinéa 7 impose là aussi que soit requis le consentement de la population pour toute fusion de deux collectivités en collectivité unique. Dans les deux cas, la Haute juridiction de l’ordre administratif s’est bornée à rappeler que ces deux procédures demeurent subordonnées au consentement des électeurs intéressés. Pourtant, il avait pointé du doigt de manière incidente la spécificité du référendum
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prévu au dernier alinéa de l’article 73, qui ne concerne que les départements et régions d’outre-mer déjà régis par l’article 73 de la Constitution. Mais cet argument était sans doute secondaire et ne faisait pas obstacle à ce que ledit article ne soit violé, pourvu qu'on en masque la violation par une consultation de la population. L’argument tiré de la violation de la constitution, selon nous, s’impose avec une obsédante évidence, pour le peu qu’on fasse une lecture scrupuleuse dudit article. À cet égard, le dernier alinéa de l’article 73 est d’une limpidité qui échappe à tout commentaire, et justifie de ce fait qu’il soit utilement repris. “ La création par la loi d'une collectivité se substituant à un département et une région d'outre-mer ou l'institution d'une assemblée délibérante unique pour ces deux collectivités ne peut intervenir sans qu'ait été recueilli, selon les formes prévues au second alinéa de l'article 72-4, le consentement des électeurs inscrits dans le ressort de ces collectivités ”. Il est vrai que le Conseil d’État devait veiller au respect effectif des règles constitutionnelles relatives au consentement des électeurs s’agissant tant du passage à l’article 73 que du choix d’instituer une collectivité unique. Néanmoins, selon une interprétation grammaticale, le verbe "se substituer" utilisé par le constituant, suggère que les deux collectivités territoriales devant fusionner pour donner naissance à une collectivité unique aient auparavant existé. Du latin "sub-statuere" signifiant par extension "mettre à la place de", le verbe se substituer impose le remplacement d’un élément identifié par un autre élément. Il en découle que l’analyse menée par le Conseil d’État est hasardeuse, dès lors que la création d’une collectivité unique, qui doit prendre en principe la place d’un département et région d’outre-mer, ne peut être opérée qu’à la seule et unique condition que les deux entités infraétatiques aient auparavant existé. À l’aune de ces considérations, le choix d’imposer aux Mahorais deux questions
ayant un objet distinct relevant de deux dispositions différentes pour y obtenir une seule réponse n’est pas admissible au regard du droit, en ce sens qu’il constitue une violation manifeste de la Constitution. Il aurait fallu qu’il y eût une première consultation au sens de l’article 72-4, comme ce fut le cas en Guyane et en Martinique en 2010, prévoyant le passage de l’article 74 à l’article 73, autrement dit prévoyant la création d’une organisation avec deux collectivités distinctes, à savoir le département et région d’outremer. L’on pourrait, seulement après la création de deux assemblées distinctes, que sont le conseil départemental et le conseil régional, procéder à une deuxième consultation, cette fois-ci en application du dernier alinéa de l’article 73 pour créer la nouvelle collectivité unique de Mayotte. L’utilisation du verbe "se substituer", comme il a été dit, imposait implicitement cette étape intermédiaire raisonnable avant l’adoption des dispositions prévues au dernier alinéa de l’article 73.
L’UTILISATION IMPROBABLE DE L’ARTICLE 72 ALINEA 1ER Selon la précédente analyse, la création de la collectivité unique de Mayotte n’a pas pu trouver son fondement dans le dernier alinéa de l’article 73 de la Constitution. Se pose donc la question du fondement juridique applicable à la création de la collectivité unique de Mayotte. À cet égard, cette jeune collectivité territoriale pourrait trouver son fondement dans l’article 72, alinéa 1er. En effet, aux termes du premier alinéa dudit article "toute autre collectivité territoriale est créée par la loi, le cas échéant en lieu et place d’une ou plusieurs collectivités mentionnées au premier alinéa". En laissant le soin au législateur de créer une collectivité à statut à particulier "en lieu et place" d’une ou plusieurs autres collectivités, le constituant l’a investi un pouvoir de création générale. Autrement dit, il peut créer de nouvelles catégories de collectivités, mais aussi de nouvelles
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collectivités au sein même de catégories existantes. Dans sa décision n° 82-138 DC du 25 février 1982, le Conseil constitutionnel a explicité le sens du passage selon lequel "toute autre collectivité est créée par la loi". Selon lui, ce passage "n’exclut nullement la création de catégories de collectivités territoriales qui ne comprendraient qu’une unité ". Il a ajouté qu’il s’agissait là de "l’interprétation retenue par le législateur lorsque, en métropole, il a donné un statut particulier à la ville de Paris et, outre-mer, il a créé la collectivité territoriale de Mayotte" . Ici l’expression "toute autre" doit être comprise comme l’ensemble des collectivités, y compris donc la collectivité unique de Mayotte. Des collectivités à statut particulier dérogeant aux règles de droit commun peuvent donc être créées, dès lors que la loi qui y procède "ne comporte pas de disposition qui puisse, en tant que telle, être regardée comme portant atteinte au caractère indivisible de la République et à l’intégrité du territoire national" (considérant 9). La notion de "statut particulier" n’emporte aucunement dislocation de l’unité nationale. Le juge constitutionnel a réaffirmé sa position dans sa décision 91-290 DC du 9 mai 1991 (toujours à propos du statut de Corse). Sur le fondement des articles 34 et 72 le législateur peut créer "une nouvelle catégorie de collectivité territoriale, même ne comprenant qu’une unité, et la dote[r] d’un statut spécifique". De ce fait, l’argument selon lequel le fondement juridique de la collectivité de Mayotte découlerait d’une lecture combiné des dispositions de l’article 72-4, alinéa 1er et de l’article 72 alinéa 1er, est juridiquement défendable. Bien que l’article 72 alinéa 1er, ne vise pas explicitement la transformation de deux collectivités territoriales en collectivité unique, il n’en demeure pas moins qu’il vise toutes les catégories de collectivités territoriales, même celles formant une unité. La collectivité à statut particulier dont Mayotte est dotée correspond à une catégorie de collectivité territoriale composée d’une seule unité, au sens de la décision du Conseil constitutionnel du 25 février 1982. Son régime juridique n’en demeure pas moins régi par l’article 73 de la Constitution.
LA DISCUSSION AUTOUR DE LA FORMULE "DEPARTEMENT DE MAYOTTE" En analysant sa situation statutaire, l’on constate que Mayotte a bénéficié d’un statut "génétiquement modifié", si l’on se fonde sur une approche comparatiste.
Le statut de Mayotte est entièrement à part, pour paraphraser Aimé Césaire. Cette appréciation se trouve corroborée par l’appellation maladroitement choisie par le législateur. Du fait que la désignation "Département de Mayotte n’emporte aucun effet juridique", il semble judicieux de s’en remettre à son régime juridique prévu à l’article 73 de la Constitution", pour mieux appréhender la nature juridique de la collectivité de Mayotte.
L’INOPERANCE DE L’APPELLATION "DEPARTEMENT DE MAYOTTE" Tirant les conséquences du référendum organisé le 29 mars 2009, la loi organique n° 2010-1486 du 7 décembre 2010 érige l’île au Lagon en "Département de Mayotte". Cependant, pour qualifier la "collectivité départementale de Mayotte" le législateur organique a privilégié une formulation maladroite et polémique dont la portée juridique est nulle. Il a employé un "D" majuscule comme pour marquer la singularité de ce nouveau statut, en ce qu’il s’agit bel et bien d’un nom, d’une appellation. La formulation envisagée, s’agissant du référendum le laisse apparaître clairement. En effet, la population de Mayotte devait se prononcer sur "la transformation de leur île en collectivité unique appelée "département", exerçant les compétences reconnues aux départements et aux régions d’outre-mer". Si l’on procède à une analyse grammaticale, l’on constate que le nom dont Mayotte a hérité est un "département", avec l’utilisation inhabituelle des guillemets. On sait que la ponctuation, au-delà de sa fonction principale, consistant à organiser le texte et à en faciliter la compréhension, ajoute certaines informations, en complétant le message de l’auteur. L’emploi des guillemets, outre la mise en exergue du mot "département", a pour principal but de démontrer que le mot tel qu’utilisé ici n’a pas la même signification littérale que celle habituellement reconnue. Il s’agit alors, de "guillemets ironiques". Or, on sait que ce type de guillemets est souvent utilisé dans un registre péjoratif, comme pour marquer une distance avec le mot utilisé. Il conviendrait de marquer une distance entre l’appellation choisie et le régime auquel Mayotte est soumise. De plus, la formulation choisie est elle-même source de confusion. Dès lors, la clarté de la consultation alléguée par le Conseil d’État dans son avis du 8 janvier 2009 est discutable. Confronté à une situation
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analogue, à propos de la consultation des populations intéressées de la NouvelleCalédonie, le Conseil constitutionnel avait sanctionné le choix fait par le législateur, comme pour Mayotte, d’imposer une question comportant deux objets distincts relevant de deux dispositions constitutionnelles différentes. Selon lui, ce choix ne respectait pas l’exigence constitutionnelle de clarté. En effet, il a estimé qu’ "en prescrivant d’interroger les populations intéressées de Nouvelle-Calédonie au moyen d’un choix entre l’indépendance et le maintien au sein de la République avec un statut dont les éléments essentiels auront été portés à leur connaissance, l’article premier de la loi réunit dans une même question deux objets distincts relevant de deux dispositions constitutionnelles différentes". Selon lui "cette confusion aggravée par l’absence de concordance entre la question fondée sur le futur statut et la réponse correspondante qui n’en fait pas mention, est de nature à altérer la signification de la consultation". Outre l’ambiguïté de la question posée aux Mahorais, le corps électoral n’avait pas tous les éléments d’information lui permettant de mesurer la portée du statut d’une collectivité unique. La cristallisation des débats autour du mot "département" a eu pour effet de retirer du débat public la partie essentielle de la question qui portait sur la transformation de Mayotte en collectivité unique. Lors de la campagne précédant le scrutin, les électeurs n’avaient pas connaissance des conséquences qu’un tel choix pouvait emporter. Ils ignoraient totalement les éléments du statut de la nouvelle collectivité unique. La question posée aux votants était manifestement équivoque si bien que pour l’ensemble de la population mahoraise la consultation avait pour seul objet la manifestation d’un unique choix en faveur du statut de département. L’utilisation abusive tant par le législateur que par le Conseil constitutionnel des deux expressions "collectivité départementale de Mayotte" et "Département de Mayotte" entretient cette confusion, et conforte au passage la volonté inavouable des autorités
compétentes de laisser la population dans ce flou. Par ailleurs, l’emploi du "D" majuscule confirme l’idée selon laquelle il s’agirait du prolongement du statut sui generis dont Mayotte est dotée par la loi n° 2011-616 du 11 juillet 2001, laquelle avait repris la désignation de "collectivité départementale de Mayotte". L’utilisation de l’expression "Département de Mayotte" est susceptible d’induire en erreur, en ce sens qu’elle suggère de manière incorrecte que Mayotte est exclusivement un département. Or, d’un point de vue constitutionnel Mayotte n’avait pas exclusivement des compétences reconnues aux départements, dans sa situation fixée par une loi organique conformément à l’article 74. Dans sa situation prévue par une loi ordinaire en vertu l’article 73, elle s’est vu attribuer les compétences dévolues aux départements et aux régions d’outre-mer. De ce fait l’on ne saurait l’enfermer dans un registre strictement départemental, qui aurait pour fâcheuse conséquence de voiler le volet régional. Cette attitude justifie que la conception qu’ont les Mahorais de leur collectivité territoriale est biaisée, dès lors qu’ils la considèrent comme un département au sens strict du terme. Le nouveau nom donné à la première collectivité unique de la République trouve ses justifications moins dans des motivations juridiques, que dans le fort attachement de la population mahoraise au mot "département". Ce faisant, le législateur s’est écarté de son rôle principal : celui consistant à adopter des actes de portée normative, pour se livrer à une action de portée purement psychologique. Alors même que le contenu a été totalement dénaturé, l’expression "Département de Mayotte" ou "collectivité départementale de Mayotte" visait essentiellement à maîtriser les réactions prévisibles de la population mahoraise devant le nouveau statut de l’île. La dénomination choisie apparaît ainsi, selon la formule de M. Hugues BERINGER, comme un acte de "consolation" et d’apaisement.
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La formule retenue est dépourvue de toute charge normative, de toute portée juridique, pourtant le choix fait habituellement par le constituant et le législateur, s’agissant des statuts des outre-mers44, renvoie à une réalité juridique parfaitement identifiable. L’on peut considérer que d’un point de vue constitutionnel, "cette dénomination n’emporte aucun effet de droit", ainsi qu’a jugé le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2004-490 DC du 12 février 2004, s’agissant de la désignation de la Polynésie française comme "Pays d’outre-mer".
LA SOUMISSION PERTINENTE AU REGIME JURIDIQUE DE L’ARTICLE 73C Le législateur désigne, de manière critiquable, cette collectivité unique comme "Département de Mayotte". Cette dénomination n’est conforme à la Constitution qu’à la seule condition de purger sa substance de toute valeur juridique et donc de neutraliser tous ses effets de droit, y compris la valeur constitutionnelle reconnue au mot "Mayotte" en vertu de l’article 72-3. Elle ne parvient qu’à renforcer l’idée selon laquelle les statuts, dont Mayotte a pu bénéficier, se distinguent par leur caractère éphémère, innovant, mais surtout par leur "bizarrerie", leur singularité. Dans sa décision la décision n°2010-619 DC du 2 décembre 2010, le Conseil constitutionnel se borne à rappeler la dénomination sciemment choisie par le législateur organique46, sans prendre soin de rappeler que la collectivité territoriale à statut particulier exerce à la fois les compétences dévolues au département d’outre-mer et à une région d’outremer, alors qu’il fait ce rappel dans sa décision n° 2011-636 DC du 21 juillet 2011. Ce silence révèle, d’une part, le malaise du Conseil devant la confusion qu’il y a autour de ce statut, et d’autre part, la complexité de son fondement juridique. Cependant, ce choix par coquetterie, ne préjuge en rien des compétences reconnues à la nouvelle collectivité unique, laquelle se voit confier les compétences attribuées à un département d’outre-mer et à une région d’outre-mer. Celles-ci lui sont attribuées en vertu du régime juridique prévu à l’article 73, qui lui est applicable. Cette analyse impose une prise en considération limitée au régime juridique auquel Mayotte est soumise, en ce qu’il constitue le seul élément pertinent, d’un point de vue constitutionnel. En effet, elle est régie par l’article 73 de la Constitution comme les deux départements et régions d’outremer et les deux autres collectivités uniques. Seule
cette appréciation juridique doit emporter l’adhésion. L’appellation choisie par le législateur importe peu.
CONCLUSION L’accession de Mayotte au régime de département a emprunté des voies méandriques et inhabituelles. On se souvient que le législateur du 19 mars 1946 avait érigé les "quarte vieilles" colonies en département français, sans à-coups, sans une autre précision. Telle qu’envisagée, l’expression département français impliquait une assimilation pleine de ces territoires. La loi n° 76-664 du 19 juillet de 1974 avait doté SaintPierre-et-Miquelon du statut de département, là aussi sans condition supplémentaire. La situation de Mayotte a cela de particulier qu’elle s’est vue soumettre à une longue et interminable période transitoire, marquée par un statut provisoire. Et lorsque le législateur a finalement décidé d’entériner la volonté sans cesse exprimée de la population, il a eu recours à des procédés critiquables, alors qu’il lui suffisait d’octroyer le statut de département tout en favorisant les adaptations. En effet, la loi du 12 mai 1976 devait doter Mayotte du statut de département d’outre-mer, et avait envisagé une extension et des adaptations des textes de nature législative. Mais le projet a été abandonné, pour des raisons politiques et diplomatiques discutables. En 2001 le législateur décide de renoncer au statut sui generis dans lequel Mayotte est enfermée depuis 1976, et trace la vocation départementale de l’île. Tirant les conséquences de la consultation de mars 2009, la loi de 2009, puis celle de 2010 va doter l’île du statut de "Département de Mayotte". On aurait pu s’en satisfaire si ce n’est que ce statut de collectivité unique ne parvient pas à déployer la plénitude de ses effets, du fait de la non prise en compte de la situation particulière de l’île. Il est constant que l’on ne peut revenir sur les modalités du passage au statut de département, il semble en revanche toujours possible de revoir les modalités de sa mise en place. Il est hautement souhaitable de se débarrasser des éléments du statut qui obèrent inutilement le fonctionnement de l’île. Ce faisant, l’analyse critique sur l’accession de Mayotte au régime de département constitue un outil sur le fondement duquel l’on pourrait proposer une évolution institutionnelle, ou du moins un approfondissement Institutionnel à l’intérieur du cadre prévu à l’article 73 de la Constitution, sans refaire les mêmes erreurs n
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Faïd Souhaïli
COUP D'OEIL DANS LE RÉTRO
MAYOTTE DÉPARTEMENT SANS PRÉSIDENT
CE JEUDI, TOUT MAYOTTE S’APPRÊTAIT À FÊTER LA DÉPARTEMENTALISATION À MAMOUDZOU. MAIS À 9H15, L’ÉLECTION DU PRÉSIDENT DU CONSEIL GÉNÉRAL A TOURNÉ COURT, AVEC UN SCÉNARIO DIGNE DES PLUS GRANDS FILMS À SUSPENS D’HOLLYWOOD. FAUTE DE QUORUM, LE CG N’A PAS ÉLU SON NOUVEAU PRÉSIDENT ET LA SÉANCE EST REMISE À DIMANCHE. LA MINISTRE A ALORS REPOUSSÉ SA VENUE. LE DÉPARTEMENT EST CRÉÉ CONFORMÉMENT À LA LOI DU 3 AOÛT 2009, MAIS SANS PRÉSIDENT. “ C’est une insulte à la population, c’est indigne de la République ! ” Daniel Zaïdani et Ibrahim Aboubacar ne mâchent pas leurs mots quand, vers 9h15, Ahamed Attoumani Douchina proclame qu’en raison d’un trop faible nombre d’élus au sein de l’hémicycle Bamana, le président du CG ne peut être élu. Pourtant à 8h40, les choses s’annonçaient plutôt bien lorsque 10 élus sur 19 ont fait leur entrée dans l’hémicycle. Détendus, souriants, ils se sont installés côté gauche de l’hémicycle. Le seul qui a une feuille devant lui est Daniel Zaïdani. Il semble préparer son discours de président. Mais au fur et à mesure des minutes qui passent, toute l’assistance de l’hémicycle se demande où sont passés les élus de l’UMP. “ Il faut jouer le match et qu’ils soient déclarés forfaits ”, ironise Raos. À 8h55, Ahamed Attoumani Douchina fait son apparition. À
9h00, heure du début de la session, ils sont donc 11 élus dans l’hémicycle. C’est assez pour que la session se tienne et que le département soit officiellement en place, conformément à la loi, mais insuffisant pour élire le président puisqu’il faut un quorum de 2/3 des élus, soit 13 élus. L’appel effectué par Daniel Zaïdani, benjamin de l’assemblée, confirme l’absence des élus UMP, de Mirhane Ousseni, de Jacques Martial Henry et d’Issihaka Abdillah. Quelques minutes plus tard donc, après la constatation du quorum non-atteint, Ahamed Attoumani Douchina et JeanClaude Louchet (DGS) quittent l’hémicycle. “ Population de Mayotte, restez, nous allons élire symboliquement notre président et notre bureau ”, intiment les élus progressistes à l’assistance dans le brouhaha le plus total. “ L’UMP, c’est l’Union des mauvais perdants. Si la ministre pense venir pour saboter cette
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majorité, c’est raté ”, indique pour sa part Saïd Salimé, conseiller général de Chiconi. “ Ca augure mal de l’installation du département ”, affirme pour sa part Elie Hoarau, député européen pour la France de l’océan Indien. Les progressistes ont trouvé suspect qu’aucun représentant de l’État ne soit présent, mais la préfecture souligne que sa présence au CG le matin n’était pas prévue. À 9h30, Daniel Zaïdani en tant que benjamin des élus restés dans l’hémicycle et Sarah Mouhoussoune en tant que doyenne continuent l’élection, même si juridiquement elle n’est pas valide, en demandant une minute de silence pour Ahmed Madi, ancien conseiller de Bouéni décédé dans la nuit de mercredi à jeudi. Un quart d’heure plus tard, c’est sous les ovations qu’il est constitué, et la Marseillaise résonne. À la sortie de l’hémicycle, pour beaucoup de Mahorais, y compris partisans de l’UMP, c’est l’incompréhension.
“ Pour cette journée historique, c’est vraiment honteux et inadmissible que les choses se soient passées ainsi ”, ont-ils déclaré. Il est clair qu’avec tous les yeux de la Nation rivés sur nous et un tel spectacle, les élus mahorais n’ont pas donné une belle image de Mayotte. Ce sera à eux d’expliquer leur choix à la population et de l’assumer. Dimanche, les 19 conseillers généraux sont attendus pour élire le président. Et quoi qu’il en soit, ce sera la bonne puisque l’article L 3122-1 du Code général des collectivités locales précise que même si le quorum n’est pas atteint, l’élection peut avoir lieu. Zaïdou Tavanday, l’un des élus absents, joint par téléphone a pour sa part déclaré n’avoir aucun commentaire à faire pour le moment. n
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COUP D'OEIL DANS LE RÉTRO
MICRO-TROTTOIR Madame Mdzadzé C’est spectaculaire ! On observe, on regarde, mais franchement on ne comprend pas, rien de rien, mais bon, peut-être que ce sont des stratégies. En tout cas, on est encore sous le choc, voilà ! Hassani Abdallah Ce n’est pas normal ! Ce n’est pas républicain. On a jamais vu ça depuis les années 80, jamais ! Qu’on ne soit pas une majorité, c’est normal parce qu’il y a un choix à faire. Ça ne doit pas se faire comme ça ! Hanima Ibrahima, maire de Chirongui Il est fort dommage de voir les élus convoquer la population pour venir élire le président du conseil général et s’absenter, humilier la population ainsi. Ce sont des conseillers généraux qui vont devoir gérer le territoire pendant trois ans ? Comment la population peut accepter cela ? Comment on peut humilier à ce point, rabaisser à ce point la population mahoraise ? Youssouf Bouchourani, UMP On s’attendait à connaitre le nom du président - je n’ai pas tout bien saisi -, mais à ce qu’il paraît certains élus ne se seraient pas présentés à l’assemblée, par conséquent il n’y avait pas suffisamment de monde pour voter. Il y avait 11 conseillers, ils devaient être 13, le vote est reporté. Maoulicharia Ridjali, enseignant Labattoir 4 J’ai laissé ma maison vide pour venir connaître le nom du nouveau président et voilà, une fois ici j’apprends de la bouche du président sortant que les votes sont reportés. Tous les Mahorais sont extrêmement déçus, voire dégoutés. Certains sont venus de très loin, des quatre coins de l’île. Il y a beaucoup de tension ici, les gens sont en colère, sans compter sans doute tous ceux qui sont devant leur télé. Une mama de Passamainty Je me suis déplacée exprès pour le maoulida shengué, mais j’attends de savoir ce qui se passe. Je n’aimerais pas être venue jusqu’ici et pas voir de fête, ça serait vraiment dommage et ça donnerait une très mauvaise image de Mayotte. Laissez-nous quand même faire la fête ! Hamide Attoumane, Kani-Kéli Moi, ce que je veux, c’est la départementalisation de Mayotte. Dites-nous quand nous devons revenir pour la fête et je reviens, c’est tout ce qui compte pour moi. Une mama de Bandrélé Ce qui se passe aujourd’hui c’est simple. Celui qui a déjà bien mangé ne veut pas donner l’opportunité aux autres de manger aussi... Quand le combat de Mayotte a commencé, je n’étais même pas encore mariée. Je voyais ma mère souffrir, ma famille toute entière. Nous nous sommes battus pour nos enfants et aujourd’hui que c’est à eux d’en profiter, certains le leur interdisent. Les élus seuls sont responsables de cet état. En particulier un élu qui achète les votes au lieu de laisser s’exprimer la démocratie.
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Lima Wild Ces élus ont des raisons d’agir ainsi. Mais on les a élus, on a considéré qu’ils étaient responsables, alors il faudrait qu’ils prennent leurs responsabilités. Pour la première journée de la départementalisation, ils ont brillé par leurs gestes. Cette journée symbolique restera dans les annales. Vu ce qui s’est passé aujourd’hui, ça promet pour l’avenir ! Haladi Toihibou, Acoua Personne ne s’attendait à ça, c’est plus une tristesse qu’une fête. Les leaders politiques ont gâché la fête. Ils essayent de faire de la politique, mais ce n’est pas encore ça, il devrait revoir leur méthode.
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Méla Mahamda, Tsingoni Les choses auraient du bien se passer aujourd’hui, au final vous voyez… Aujourd’hui, les élus se disputent entre eux, et c’est encore une fois nous, le petit peuple, qui payons les pots cassés. Il fut un temps où ils se sont embrouillés entre eux en France métropolitaine, aujourd’hui ça se passe ici. Nous ne pouvons qu’être inquiets. Sachez les élus que la voix que vous représentez est la voix du peuple. C’est nous, les citoyens, qui vous ont mis à vos places. C’est notre voix que vous devez faire entendre et non la vôtre. C’est nous qui décidons de votre sort. Nous attendons dans trois ans et nous ne réélirons aucun d’entre vous. Wahab Manroufou, Kani-Kéli Je suis abattu car ce département était attendu depuis si longtemps, presque 50 ans. Certains de nos élus ne sont pas allés jusqu’au bout du souhait des Mahorais, c’est triste. Une deuxième chose m’attriste, c’est ce qui s’est passé après. Ceux qui se sont présentés ont procédé à un vote symbolique. Ils ont pris le benjamin de l’assemblée pour le nommer président du conseil général. Je sais que Zaïdani est un jeune bien diplômé, mais je crains qu’il ne soit rien d’autre qu’une marionnette de Giraud. Ce n’est pas sérieux tout ça. Anrfati, Koungou Les choses se sont très mal passées. Nous ne pouvons qu’être déçus. Les élus qui ne sont pas venus auraient dû respecter la population et venir quand même, pour une bonne ou une mauvaise chose, c’est ainsi, ils auraient dû venir, c’est tout. C’est un département gâché ! Mais malgré tout, pour la prochaine fête je serai au rendez-vous. Ousseni Moina Peu importe ce qui s’est passé aujourd’hui, je ne peux qu’être heureuse. Auparavant, nos parents nous confiaient les enfants à garder pendant qu’eux allaient lutter pour ce combat de Mayotte française, tout ça pour un avenir meilleur. Même si je suis un peu inquiète parce que je ne comprends pas tout sur ce qui s’est passé aujourd’hui, je ne peux qu’être heureuse d’avoir vu la départementalisation. Pour le reste, nous continuons à prier Dieu pour que la paix et le calme reviennent et que toute l’île puisse savourer comme il se doit la départementalisation.
RÉACTIONS Daniel Zaïdani, conseiller général MDM de Pamandzi Je suis réellement indigné par rapport à ce qui vient de se passer. Je constate que la politique de la chaise vide est toujours d’actualité. Je constate que le jour où nous devions installer la départementalisation de Mayotte, un certain nombre d’élus ont refusé de venir siéger dans l’hémicycle afin d’installer la départementalisation souhaitée et voulue par nos parents depuis plus de 53 ans. (…) Nous n’admettrons pas qu’une minorité d’élus nous empêche de départementaliser l’île de Mayotte. Nous reviendrons dimanche, et nous installerons la départementalisation qu’ils le veuillent ou non. Je le répète, il est essentiel que l’ensemble de la population prenne conscience qu’il y a ici des gens qui sont minoritaires qui refusent de départementaliser Mayotte en présence d’Adrien Giraud, de Marcel Henry et de Zaïna Méresse. Ceci est un véritable scandale fait à la population mahoraise qui s’est battue. Pour ma part, et ce quelle que soit la majorité qui vient ici, lorsque nous sommes des élus,
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lorsque nous décidons de nous présenter à des élections, il est indispensable que chacun d’entre nous accepte le choix des urnes. Nous voulons départementaliser l’île, remettre en œuvre le conseil général et il y a des gens qui ne veulent pas faire cela à Mayotte. (…) C’est un scandale républicain ! Saïd Omar Oili, conseiller général de Dzaoudzi-Labattoir Je n’ai jamais assisté à un coup d’État. Mais là, c’est la première fois que je le vis en chair et en os, et c’est inacceptable. Les urnes ont parlé. L’UMP a été battue et je ne comprends pas que des gens qui se disent républicains ne viennent pas dans la salle pour voter démocratiquement. Je trouve ça franchement scandaleux ! Mouhoutar Salim, porte-parole de l’alliance des Forces progressistes Nous comprenons aujourd’hui que les élus de l’UMP sont de mauvais perdants, et nous comprenons aussi pourquoi il y a systématiquement des élections recommencées à Sada. (…) Nous avons notre majorité. Ils attendront 2014. Nous allons voter notre bureau, et nous n’irons pas accueillir la ministre, puisqu’elle n’a pas voulu de notre président. Abdoulatifou Aly, député Modem de Mayotte C’est une tentative de refus d’application de la loi républicaine. En démocratie, même si chacun est libre de faire ce qu’il envie de faire, on n’est pas libre du tout de refuser l’application de la loi. En démocratie, la liberté, c’est de justement de faire respecter la loi. Et ceux qui ont choisi de s’absenter aujourd’hui, ceux-là ne souhaitaient pas que la loi s’applique, au contraire de ceux qui sont présents. Encore une fois, chacun est libre de faire ce qu’il souhaite. La ministre est libre d’avoir les idées et les opinions que l’État a, mais ce que nous disons, c’est que l’État ne peut pas faire abstraction de la loi. La loi est au-dessus de tout le monde et personne n’est au-dessus de la loi. Saïd Ahamadi, dit Raos, conseiller général PSM de Koungou Je suis scandalisé. Je m’attendais à tout sauf à ça. L’UMP est pire que l’Union des Comores ! Ce sont des indépendantistes. Michel Taillefer, président du Medef Je suis atterré par le comportement des élus qui ne se sont pas présentés dans l’hémicycle du conseil général. C’est une insulte contre les Mahorais et la France. J’ai honte pour eux.
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Kalathoumi Abdil-Hadi
COUP D'OEIL DANS LE RÉTRO
LA FÊTE GÂCHÉE, REPORTÉE À DIMANCHE
ON NOUS AVAIT PROMIS UNE FÊTE POUR CE 31 MARS 2011 ET BIEN IL N’EN A RIEN ÉTÉ. CEUX QUI N’ONT PAS PU SE RENDRE À MAMOUDZOU, CEUX QUI ÉTAIENT AU TRAVAIL N’ONT RIEN RATÉ, LES AUTRES SONT FRUSTRÉS. LA FÊTE EST REPORTÉE À CE DIMANCHE. Ça devait être la journée des Mahorais et Mahoraises. Tôt ce matin, à travers toute l’île, les femmes se sont vêtues de leurs plus beaux salouvas choisis pour l’occasion. Les unes avaient un châle bleu, le haut blanc et le salouva rouge, d’autres sont toutes de rouge vêtues, de blanc ou de bleu. En chemin, on croisait certaines avec les mêmes salouvas. Dans les taxis, on ne parlait que de ça : la départementalisation de l’île, l’arrivée de la ministre Marie-Luce Penchard, l’élection du président du conseil général de ce tout nouveau département... L’heure était à la fête. “ Ca fait si longtemps qu’on l’attend ce département ”, déclare une femme… et patatras. La fête, attendue depuis des dizaines d’années, est gâchée. L’élection du président n’a pas lieu et il faut tout reporter à dimanche. On en oublie presque que cela ne change rien et qu’on est officiellement le 101ème département de France, le 5ème Département d’Outre-mer. Sauf que sans un président au conseil général, la ministre Marie-Luce Penchard a préféré reporter à dimanche sa venue à Mayotte. Les visages sont fermés à l’annonce de cette nouvelle : “ C’est vrai ça ? Je me disais que j’allais faire la
fête après, mais elle ne vient vraiment plus… ” Non, elle ne vient pas la ministre… Sur le parvis du front de mer, là où siège le comité du tourisme, cette même place qui devait être inaugurée ce jour et changer de nom pour s’appeler “ La place du 101ème département ”, les podiums sont prêts, les drapeaux tricolores et européens virevoltent au vent. On attendait jusqu’à 30.000 personnes, hommes, enfants et surtout des femmes. Mais la nouvelle est partie comme une trainée de poudre. Environ un millier de personnes tout au plus sont là, la police vérifie les dernières mesures de sécurité, mais l’ambiance n’y est plus. Il va falloir se préparer à nouveau pour dimanche. Et d’ici là que les passions retombent et que l’esprit de la fête revienne. Certains chantent mais le cœur n’y est pas. Sur l’ancienne place du marché, les chapiteaux sont dressés, mais le maoulida shengué prévu est reporté aussi, et plus tôt que prévu le parvis du comité du tourisme se vide… Les gens rentrent chez eux avec une frustration et une amertume certaine. Il va falloir se remobiliser pour faire la fête dimanche, et célébrer comme il se doit ce nouveau département. n
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Denise Marie Harouna
COUP D'OEIL DANS LE RÉTRO
1966-1975 : LE COMBAT DES FEMMES
LA DÉPARTEMENTALISATION DE MAYOTTE N’AURAIT SANS DOUTE JAMAIS VU LE JOUR SANS LA HARGNE DES MAHORAISES : ZÉNA M’DÉRÉ, ZAÏNA MÉRESSE, COCO DJOUMOI, MOUCHOULA, ECHA SIDI ET DES CENTAINES D’AUTRES. BEAUCOUP DE CES FEMMES SONT AUJOURD’HUI MORTES, CERTAINES, POUR LA PLUPART OCTOGÉNAIRES, VOIENT ENFIN LEUR RÊVE S’ACCOMPLIR. ELLES SONT ALLÉES À CONTRE-COURANT DE L’HISTOIRE, ET POURTANT ELLES CONTINUENT À REVIVRE À TRAVERS ELLE. EN 1987, LES CINQ ”CHATOUILLEUSES” CITÉS PLUS HAUT ONT ACCORDÉ UNE INTERVIEW AU MAGAZINE JANA NA LÉO, DIRIGÉ PAR HÉLÈNE MAC LUCKIE. RETOUR SUR LES TRACES D’UN COMBAT, AU FÉMININ. 53
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Les prémices de ce combat ont incontestablement débuté en 1958. L’ensemble comorien : Mayotte, Mohéli, Anjouan et la Grande Comore se voit doté par la France d’un embryon d’exécutif sous forme d’un conseil de gouvernement. L’archipel bénéficie alors d’une autonomie de gestion qui correspond dans les faits à un début d’autonomie interne. Élection d’un président : Saïd Mohammed Cheikh, l’homme qui est à l’origine du mouvement d’émancipation des îles. Il est de Grande Comore. Il n’est donc pas sentimentalement attaché à Mayotte et il se persuade très vite que le maintien de l’administration centrale sur l’îlot de Dzaoudzi est une impossibilité dans l’optique d’un territoire moderne. La France approuve. Les ennuis commencent pour Mayotte… En 1962, le siège de l’administration comorienne et des services français sont donc transférés à Moroni. Désespoir et fureur des Mahorais, “ parce qu’il était président, M. Auriol n’a pas fait transférer la capitale de la France en Haute-Garonne, et M. Coty n’est pas allé s’installer au Havre ”, déclarent des Mahorais, propos repris par le Figaro du 27 juin 1975. Quoi qu’il en soit, en 1966, c’est terminé. Les derniers grands services ont quitté Mayotte. L’île s’endort… Sans crédits pour investir. Sans lumière après minuit. Sans vraie route. Avec une adduction d’eau rudimentaire… Les Mahorais qui pensaient disposer d’un droit d’antériorité concédé par l’histoire, étant Français depuis 1841, bien avant les autres îles, se retrouvent à la fois lâchés, ulcérés et surtout appauvris.
“ On a commencé à s’occuper de politique parce que les hommes qui réclamaient n’obtenaient jamais rien. C’était la misère, tout le monde souffrait, les femmes, les enfants, les hommes. Mayotte régressait. Ça ne fait pas plaisir de voir son pays en pleine décadence ! ”
Zéna M’déré
“ Le départ de la capitale à Moroni était catastrophique pour Mayotte. À l’hôpital pas de nivaquine, pas d’infirmier véritable. Pas de riz, pas de sucre, pas de savon dans le commerce. Il n’y avait plus rien ! Nous nous disions : "si cela continue nous allons tous mourir !" ” Dans les souvenirs des cinq Chatouilleuses, les premières femmes à avoir milité étaient Soua Saïdi, Zoubadi Abdou, Coco Madi, entre autres. Ces jeunes femmes d’antan se réunissaient quotidiennement pour parler de leur avenir.
Echa Sidi
Coco Djoumoi
“ Les Comores nous avaient pris tous les bureaux, beaucoup d’hommes étaient partis, alors il fallait agir ! Les villageoises se voyaient
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en situation difficile et elles se sont mises en action pour défendre les intérêts de Mayotte. ” La grossièreté du député Ahmed Sabili, qui avait répondu ainsi aux femmes : “ Bientôt, pour calmer vos ardeurs, il faudra vous mettre du gingembre et du piment dans la chouchoune ! ”, provoqua une vague de protestations. Ces déclarations ont choqué à un tel point les femmes de Labattoir et M’tsapéré que le mécontentement se propagea sur toute l’île. Ces femmes ont alors formé, avec des centaines d’autres dans chaque village, le commando des “ Chatouilleuses ”.
Zéna M’déré
“ Des ministres, des membres du gouvernement, toutes sortes de notables censés s’occuper de nos affaires venaient régulièrement à Mayotte, jusqu’à 3 ou 4 fois par semaine. Cependant, comme il ne se passait rien ici, que nos revendications ne trouvaient pas écho, nous nous demandions : que viennent-ils faire ici ? Ces gens ne voulaient pas nous aider, ils coupaient les bourses d’études à nos enfants qui ne pouvaient pas partir en Métropole. Ils nous "assénaient des coups de marteaux" pour nous achever ! Nous, nous voulions les empêcher de venir nous narguer. Nous n’osions pas frapper des personnalités… Nous étions à la recherche d’une solution qui nous éviterait des sanctions de la justice. C’est ainsi que peu à peu, entre sérieux et plaisanterie, l’idée a germé et s’est affirmée : "on va les chatouiller". Ils ne vont plus venir ! Aucune peine de prison n’était prévue contre la chatouille. ”
Zaïna Méresse
“ Le premier homme qu’on a chatouillé ? C’était un homme originaire de Mtsamiouli… Ah ! Son nom est Mohamed
Dahalane. Il est mort à présent. On ne savait pas de quoi il était ministre, la seule chose qui comptait, c’était son appartenance au gouvernement. Nous étions à Pamandzi. Chacune à nos activités quotidiennes. Nous avions convenu d’un cri de ralliement… Un youyou modulé qui ne ressemble pas à celui des fêtes villageoises. Une espèce de cri d’oiseau. Les femmes, en entendant le cri, devaient le reproduire à leur tour et sortir des maisons. En un rien de temps, toutes celles de Pamandzi se dirigeaient vers la rue du Commerce. Mohamed Dahalani marchait seul. Il se baladait. Les premières arrivées l’entourent à 3 ou 4, sans animosité. Elles commencent à se plaindre en douceur. Pourquoi ne vous occupez-vous pas de Mayotte ? Pas de goudron… Pas d’école… Pas de travail… Pas d’électricité… Rien de rien ! Pourquoi Mayotte ne compte-telle pas ? etc… Dix, quinze, vingt femmes arrivaient. On commençait à le toucher, à le complimenter : "Belle cravate ! Beau cheveux !…" Soudain, l’une d’entre nous commence la chatouille sur son côté droit. Très vite il se tord. On le déshabille : sa veste lui est ôtée et on le chatouille de plus belle. Bientôt il n’arrivait plus à respirer… Pendant ce temps, des gens qui ne partageaient pas nos idées, des "Serrer-la main", étaient partis à bicyclette prévenir la gendarmerie. Il me semble que le commandant du peloton se nommait Béton. Monsieur Béton. Quand il est arrivé, le ministre était seul, écroulé dans la poussière. Un peu remis, assis dans la Jeep, il a dit qu’il ne savait pas qui étaient ces femmes qui l’avaient agressé. Les gendarmes l’ont ramené à la résidence. Le lendemain, il a pris l’avion pour Moroni et là-bas a tout raconté à ses amis, ses collaborateurs. Eh bien ceux-ci se sont moqués de lui. Des femmes ? Des chatouilleuses ? Ridicule ! Nous, nous ne nous serions pas fait avoir ! Le malheureux avait beau affirmer qu’elles étaient au moins trente, chacun a décidé de tenter l’aventure. C’est ainsi que le second est arrivé. Il avait pris la précaution de se balader avec 3 ou 4 amis, des Grands Comoriens. Déjà dans tous les quartiers le hululement caractéristique avait ameuté les femmes. Rapidement nous étions une dizaine près d’eux, psalmodiant le leitmotiv : "Pourquoi venez-vous ici alors que vous ne nous aidez pas ?" "Repartez chez vous !" L’un d’entre eux nous a répondu : "Qu’est-ce que vous pouvez contre nous ?" Hop ! En un clin d’œil ces messieurs n’avaient plus de vestes ni de chemises et gigotaient entre nos mains. Dès qu’ils se sont mis à suffoquer, les femmes ont dit : Attention, ils vont mourir ! Nous nous sommes dispersées, et les avons laissés dans la poussière. ” Selon les “ Chatouilleuses ”, beaucoup d’hommes du gouvernement sont venus à Mayotte goûter à leurs chatouilles. Ces élus ne voulaient pas croire à l’efficacité de ces assauts tant qu’ils ne leur étaient rien arrivés. L’un des derniers dirigeants à avoir été chatouillé est
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l’ancien ministre et député Ahmed Sabili. Lorsqu’une petite délégation de femmes est allée lui faire part des difficultés que rencontrait Mayotte, l’homme les aurait insultées.
Zaïna Méresse
“ Il a affirmé que nous n’étions motivée que par notre excitation sexuelle, que Mayotte ne nous intéressait pas vraiment, que nous n’avions qu’à nous arranger ensemble, devenir des gouines. Notre fureur était sans égal ! Le jour de son départ pour Moroni, toutes les femmes étaient rassemblées à l’aéroport. Pas 20 ou 30, mais plus d’une centaine. L’aéroport était barricadé. Il y avait un gendarme m’zungu plutôt balèze. "Madame Méresse", me dit-il, "faites partir les femmes !". "Cent femmes ! Je ne peux pas, je ne peux pas…" Hop, on l’a chatouillé et nous sommes toutes rentrées en courant. Des gendarmes en Jeep gardaient l’avion. Prises de frénésie vengeresse, les femmes ont sauté par-dessus les voitures et enfin attrapé Ahmed Sabili qui était déjà sur la passerelle. Elles ont pu arracher un seul côté de ses vêtements : une manche, une jambe de pantalon, une chaussure, son chapeau. Les femmes criaient : "Mais tu es Mahorais ! Reste à Mayotte ! Lutte avec nous ! C’est pour ça qu’on a déchiré ses habits en deux : un morceau à Moroni, un morceau à Mayotte, comme la mentalité de cet homme !... Après cela, Ahmed Sabili est resté 6 années sans revenir à Mayotte. ”
venaient questionner dans les familles, ils nous demandaient sévèrement : "Vous avez chatouillé ?" "Non, non, ce n’était pas moi, je n’étais pas là." Personne ne nous a jamais pris en flagrant délit. Et pourtant les gendarmes étaient du côté des Comoriens. Je rappelle que c’étaient les Comores qui gouvernaient au temps de l’autonomie interne. Le pouvoir était chez eux là-bas, reconnu par la France… Nous voulons le département pour être libre, je ne cesserai de le répéter. La France est l’un des pays les plus libres du monde, nous ne serons jamais Comoriens. Ici on peut discuter, ici on peut parler. Vous voyez leurs élections à nos voisins : tout le monde veut le pouvoir. Nous, nous voulons être libres. ” n Cet article a été repris tel quel dans le Mayotte Hebdo n°515 du vendredi 1er avril 2011
À cet époque, déclare Madame Méresse, les femmes avaient du caractère. Elles disaient "allons" et c’était parti. Jusqu’en 1975, ces femmes affirment avoir chatouillé même des Mahorais comme elles. Mais aussi des Anjouanais qui vivaient à Labattoir depuis 20 ans et qui avaient commencé à parler contre Mayotte.
Zaïna Méresse
“ Ah, il fallait voir Mouchoula et Coco Djoumoi dans ces moments là ! Mouchala était alors mariée à un Anjouanais. Cet homme n’a cessé d’aller en prison à cause de nos activités et Mouchoula avec. Les gendarmes
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Denise Marie Harouna
COUP D'OEIL DANS LE RÉTRO
LA CHATOUILLE, UNE MÉTAPHORE POUR UN COMBAT MAMA BOLÉ EST L’UNE DES CHATOUILLEUSES ENCORE EN VIE DE NOS JOURS. AU COMMENCEMENT DU COMBAT POUR MAYOTTE FRANÇAISE, LA GRAND-MÈRE ÉTAIT ALORS ÂGÉE D’ENVIRON UNE QUARANTAINE D’ANNÉES. AUJOURD’HUI, L’OCTOGÉNAIRE EST UNE ”COCO” HEUREUSE : DE SES YEUX, ELLE VA BIENTÔT ASSISTER AU DÉNOUEMENT DU COMBAT DE SA VIE. UNE BATAILLE QUI, MALGRÉ LES ANNÉES, EST RESTÉE GRAVÉE À JAMAIS DANS SA MÉMOIRE. Dans la lignée des grandes Chatouilleuses reconnues sur cette île, le nom de Sidi Echat alias Mama Bolé apparaît nulle part. L’île loue Zéna M’déré, Zakia Madi, Zaïna Méresse, Coco Djoumoi, Bouéni M’titi, Mouchoula, etc. Mais Mama Bolé, jamais. Rares sont les personnes qui la connaissent. Le docteur Martial Henry, l’un des figures historiques du combat pour Mayotte Française, compagnon de route de Younoussa Bamana et de son oncle Marcel Henry, désigne pourtant cette dame comme l’une des têtes emblématiques à l’origine du combat des Mahorais.
Elle poursuit, “ du combat pour Mayotte Française, ce dont mes yeux ont souvenir, ce sont surtout les jets de cailloux, les affrontements avec des bouts de bois, les injures en tous genres… Mais les chatouilles ? Je n’en ai pas vues. Alors plutôt que de vous raconter des mensonges, je préfère vous parler des choses auxquelles j’ai assisté ”. Sidi Echat est aujourd’hui âgée d’environ 85 ans. Une solide petite grand-mère qui se souvient encore parfaitement des événements qui ont bouleversé Mayotte au moment de la séparation avec les Comores.
Une grande Chatouilleuse qui serait passée aux oubliettes ? “ Mais non mes enfants, je ne suis pas une Chatouilleuse jetée aux oubliettes ! Disons que je n’ai pas beaucoup voulu faire parler de moi, car voyezvous, je suis un instrument de Dieu, je ne raconte que des choses que mes yeux ont vues. Et sur cette histoire de "chatouille", de mes yeux, moi Sidi Echat, je n’en ai jamais vue. Et comme souvent, vous les journalistes, vous vous intéressez principalement à ces histoires de "chatouilles", j’ai préféré me taire, n’ayant rien à dire là-dessus ”, explique avec beaucoup d’humilité la vieille dame.
“ FACE À NOUS SE DRESSAIENT DES COMORIENS BIEN DÉCIDÉS À S’ACCAPARER MAYOTTE ” “ Ce combat, mes enfants, si nous l’avions mené principalement avec des chatouilles, croyez-moi nous aurions été battus. Face à nous se dressaient des Comoriens bien décidés à s’accaparer Mayotte et sachez que c’étaient eux qui détenaient le pouvoir, par conséquent les fusils et les grenades. Je pense que ceux ou celles qui ont étendu ce mode de combat de "chatouille" ont voulu transmettre une métaphore. Voyez-vous, comme
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nous n’étions pas armées par rapport à nos adversaires, souvent on y allait au culot. Il n’y avait que des femmes, les hommes eux avaient trop peur : s’ils bougeaient ils perdaient leur travail ou se retrouvaient emprisonnés. Vous voyez comment ça marche quand les femmes entrent en scène pour aller se battre ? Il y a des bousculades, des crêpages de chignons, des frottements, des cris, des youyouyous, etc. Des femmes au combat ! C’est peut-être ça qui a fait de nous des Chatouilleuses ? ” Aux balbutiements de l’indépendance des Comores, Mama Bolé, comme la plupart des femmes qui ont été à l’origine du soulèvement de Mayotte, vivait à l’extérieur de l’île. “ Avec mon mari, un Grand Comorien, nous étions à Majunga. Zéna M’déré aussi vivait à Madagascar. Coco Djoumoi elle, était mariée à un Grand Comorien et habitait la Grande Comore. ”
Un dicton mahorais dit : “ Lorsqu’un scolopendre veut te mordre, toi qui est la cible, tu ne vois pas son arrivée. Ce sont ceux qui sont éloignés de toi qui l’aperçoivent en premier ”, parle en sage coco Mama Bolé. Par cette expression, la vieille dame entend que ce sont particulièrement les femmes qui évoluaient à l’extérieur de l’île qui ont, en premier lieu, senti le danger sur l’évolution des Comores et la mainmise sur Mayotte.
“ VOUS SAVEZ, QUAND LES M’ZUNGUS SONT À TABLE, ILS PARLENT BEAUCOUP… ” “ Mon mari travaillait comme boy chez un M’zungu. C’est de là que je suivais toute l’évolution politique des Comores. Vous savez,
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quand les M’zungus sont à table, ils parlent beaucoup… À les écouter, c’est une mine d’or d’informations. Mon mari Grand Comorien, donc fier de l’être, ne cessait de me narguer au retour du travail. Il me disait : "ça en est fini de Mayotte. Vous êtes des petits joueurs. Les grands vont prendre les responsabilités. Les administrations vont être transférées à Moroni. Bientôt Mayotte ne sera rien d’autre qu’un champ où nous irons cultiver les maniocs. Vous quitterez un à un votre petite île pour venir nous voir, nous les grands." ” À ces mots, le cœur de Mama saignait : “ C’était comme si on me transperçait la poitrine avec un couteau. À force d’entendre ces railleries, j’ai fini par déclarer : je rentre chez moi. ” Mama Bolé quitta Majunga à bord du bateau "Scandinavie". Elle fit escale trois jours à la Grande Comore. “ J’ai été stupéfaite de voir tous les hommes de Labattoir à Moroni. Ça annonçait déjà la gravité des choses à Mayotte. ” Et lorsque la femme frôla enfin le sol de Dzaoudzi, un spectacle de désolation s’offrait à elle : “ À Dzaoudzi, village jadis rayonnant, fierté de la présence française à Mayotte, il n’y avait plus rien. Seuls les bœufs et les moutons broutaient l’herbe, un petit garçon les nourrissait. La place du bâtiment des finances était recouverte par les mauvaises herbes. Non loin de là, des bâches couvraient des malles en bois, qui sans doute suivaient tout le reste vers la Grande Comore. Des feuilles blanches volaient partout, telles des papillons, seules empreintes des activités qu’il y eut ici jadis. ” Mama Bolé se précipita chez elle, elle y déposa ses bagages, et revint de nouveau à Dzaoudzi nostalgique. “ J’y suis revenue chaque jour que Dieu fit mes chers enfants, pour constater encore et encore l’étendue des dégâts. Je râlais ! À longueur de journée. Les policiers Chaduli et Yahaya, toujours postés là, me prenaient sans doute pour une folle : cette Ma Kouraïchia n’a rien d’autre à faire de ses journées à part venir tous les jours râler ici. ”, s’intriguaient les agents. Bientôt, les verbiages de Mama Bolé eurent un premier écho : “ Je me suis mise certains habitants de Labattoir à dos. Ils me traitaient de vantarde car je disais : si ce genre de chose était arrivée à Madagascar, jamais les Malgaches ne se seraient laissés faire comme ça. Ils seraient partis demander des comptes à leur gouvernement. Les gens qui étaient contre moi, disaient : voilà, madame a voyagé un peu et ça y est, elle se prend pour madame je sais tout. ” Puis enfin le jour de la reconnaissance arriva : “ Une délégation venant de
Pamandzi est venue me chercher : "viens avec nous, tu es appelée chez Coco Madi." ”
“ POUR CALMER VOS ARDEURS, IL FAUDRAIT VOUS METTRE DU GINGEMBRE ET DU PIMENT DANS LES FOUFOUNES… ” “ J’avoue que là, je faisais moins la fière. Quand je suis arrivée chez cette dame, le jardin entier était rempli de femmes. Mon cœur battait très fort, je me disais : Echat dans quel pétrin tu t’es encore fourrée ? Mais toute cette délégation de femmes présentes dans cette cour espérait au final la même chose que moi : lancer un cri de revendication contre le gouvernement comorien. Nous nous sommes saluées et ensemble nous prenions l’engagement de nous soulever et amener nos revendications jusque dans les oreilles qu’il fallait. ” Ahmed Sabili, alors député représentant Mayotte à l’assemblée comorienne, était justement à Mayotte. Les femmes marchèrent à sa rencontre. “ On lui a demandé d’agir, mais comme nous n’étions que des femmes, il s’est moqué complètement de nos revendications. Il nous riait au nez, en nous disant : "je ne peux pas vous épouser toutes. Je n’aurais pas assez de pain pour vous, prenez du manioc amer. Et bientôt, pour calmer vos ardeurs, il faudra vous mettre du gingembre et du piment dans les foufounes…" ” Inutile de décrire la colère qui s’empara alors des femmes. Le mouvement s’est amplifié soudainement. Les bouénis de Labattoir ont rejoint définitivement celles de Pamandzi, la révolte a ainsi pris forme. “ On ne le laissa plus jamais tranquille. À chacun de ses pas, nous étions derrière lui. Mais vous savez, avec du recul je crois que ce jeu l’arrangeait bien. Comme par hasard, nous étions toujours prévenues des moindres de ses faits et gestes. Je me demande s’il ne s’est pas servi de nous, pour alimenter la tension entre Mayotte et les Comores ? ”, analyse avec du recul la Chatouilleuse. L’affaire finit tout de même par arriver aux oreilles du gouvernement comorien. Said Mohammed Cheikh, le président du conseil de gouvernement, décide lui-même de se précipiter à Mayotte pour régler le problème. “ C’est à ce moment-là que Zéna M’déré, la mère de ce combat, est sortie réellement de l’ombre. Vous savez, depuis toujours les foundis disaient que le combat de Mayotte serait conduit par une femme, mais jusqu’à ce fameux jour Dieu avait gardé cette femme en secret. Said Mohamed Cheikh arriva à Mayotte un lundi. Dimanche, nous nous sommes réunies et chacune se demandait qui allait oser l’affronter. Aujourd’hui encore, je me
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questionne sur moi. Aurai-je osé ou non affronter Cheikh ? C’était un grand homme, un président, tu n’avances pas vers lui si tu n’as pas d’arguments solides. ” Coco Moirangué, l’une des femmes, recommanda alors Zéna M’déré. C’est donc ce fameux dimanche qui marqua l’entrée en scène dans la politique de la matriarche du combat pour Mayotte Française. “ Zéna M’déré souffrait depuis un moment de maux de tête accentués par des douleurs terribles aux yeux. Elle avait prévu de se rendre à Anjouan. Là-bas, il y avait des guérisseurs réputés qui auraient pu l’aider ”, se souvient Mama Bolé. Mais l’histoire en a décidé autrement : “ Malgré sa souffrance, elle a accepté de nous suivre pour aller parler avec Cheikh. Le lundi, lorsque ce dernier est arrivé, Zéna M’déré l’a affronté droit dans les yeux. Que Dieu est grand, sa maladie s’était envolée. ” La foule constituée uniquement de femmes s’était rassemblée sur l’actuel quartier Zardéni, l’emplacement où se trouvent les locaux de Mayotte Première. “ Avant, c’était là où se rendaient les députés, les ministres. Cheikh était protégé par des policiers, entouré par ses ministres et députés. Malgré notre nombre, nous ne sommes pas parvenues à en découdre avec lui ce jour-là. Il nous a dit : "revenez demain à 9h." Une petite délégation s’est tout de même déplacée l’après-midi pour essayer encore, et là on a compris que même le lendemain il n’avait pas l’intention de nous recevoir. ”
“ MA FATIMA SOUMKODZÉE VERSA LES PREMIÈRES GOUTTES DE SANG AU NOM DU COMBAT POUR MAYOTTE FRANÇAISE ” “ Cheikh avait semble-t-il un début de mal de tête, causé par nos chamailleries du matin ”, expliquait son entourage. Ce début de malaise ne refoula nullement les actions des Petites-Terriennes. “ Le mardi matin, nous nous rassemblions en masse et réclamions coûte que coûte de le voir. Il a fini par accepter, mais ne voulait discuter qu’avec Zéna M’déré. ” Hors de question, défendaient les femmes, qui craignaient des dessous de table. “ Nous
savions que si elle rentrait seule, ils allaient sans aucun doute lui proposer de l’argent, pour acheter son silence, c’était leur façon de faire. Soit on rentrait toutes, soit rien ! ” Un début de mouvement commença alors, “ on s’accrochait comme on pouvait à Zéna M’déré. Ça tirait de tous les cotés. Les policiers tentaient de la faire rentrer et nous, nous essayions de la faire sortir. Et c’est là que quelqu’un, une voix sortie de nulle part a lancé : Ahhh Chaduli ! Tu frappes Coco Djoumoi ! À cet instant précis mes enfants ! Même les pèlerins à Minat ne pouvaient avoir la force qui s’était emparée de nous. Nous avons bondi sur les cailloux qui traînaient dans les parages… ”. L’affrontement débuta. Dans l’agitation, Ma Fatima Soumkodzée versa les premières gouttes de sang pour le combat de Mayotte Française. “ J’ignore comment c’est arrivé, on l’a juste vue saigner de la tête. Nous avions cassé des vitres, piétiné des gens. Said Mohamed Cheikh a été insulté comme jamais il ne le fut de toute sa vie. Il tentait de nous calmer en répétant : "mes sœurs, nous pouvons trouver un arrangement". Mais il était trop tard… Nous répondions : "tu pilles Mayotte, tu n’as aucune considération pour nous, tu ne seras jamais notre frère, tu n’es rien d’autre qu’un voleur. ” Cet événement, gravé à jamais dans la mémoire de Mama Bolé, marqua l’entrée en scène des Chatouilleuses… Ce jour-là, les policiers réussirent à évacuer Saïd Mohamed Cheikh qui quitta Mayotte, selon la tradition orale, recouvert d’un drap, tellement l’homme se serait senti humilié par le comportement des Mahoraises. Jusqu’à sa mort le 16 mars 1970 à Antananarivo, le président du conseil du gouvernement ne remit plus jamais les pieds à Mayotte. Le mouvement des femmes de la Petite-Terre prenait quant à lui un nouvel élan, bientôt des actions de ce type se répétèrent sur toute l’île. n Cet article a été repris tel quel dans le Mayotte Hebdo n°515 du vendredi 1er avril 2011
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MAGAZINE D’INFORMATION NUMÉRIQUE HEBDOMADAIRE Edité par la SARL Somapresse au capital de 20 000 euros 7, rue Salamani Cavani M’tsapéré BP 60 - 97600 Mamoudzou Tél. : 0269 61 20 04 contact@mayottehebdo.com Directeur de la publication Laurent Canavate canavate.laurent@mayottehebdo.com Directeur de la rédaction Mohamed El Mounir dit “Soldat” 0639 69 13 38 soldat@mayottehebdo.com Rédactrice en chef Solène Peillard
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Couverture :
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