LE MOT DE LA RÉDACTION
L'ÎLE AUX PARFUMS… POUR COMBIEN DE TEMPS ? Ses fleurs ornent l'emblème du Conseil départemental, pourtant en quelques décennies, la production mahoraise d'ylang est passée de 40 000 tonnes à 500 kilos annuels. Avec l'arrivée du droit commun, nombre d'exploitation ont cessé leur activité. Du côté de la vanille, le constat n'est pas plus réjouissant. Alors, pour que ce savoir-faire ancestral ne se perde pas, des initiatives émergent chez les institutions, les associations et les producteurs eux-mêmes. Mutualisation des moyens, nouveaux concepts, appui financier, tous les moyens sont bons pour que Mayotte puisse de nouveau prouver au reste du monde la qualité de ses produits, difficilement égalable. Préservation du patrimoine, économie, tourisme… Les enjeux sont nombreux, et le défi de taille. Bonne lecture et bonnes vacances à toutes et à tous.
PROPOSENT UNE FORMATION AU DIPLÔME D’ÉTAT DE MONITEUR EDUCATEUR A DIEPPE en MÉTROPOLE La formation d’une durée de 16 mois, alternant formation théorique et stage, permet de se présenter au diplôme d’État de Moniteur Educateur (DEME) et de travailler ensuite dans des établissements relevant du champ du handicap, de la protection de l’enfance, de la santé ou encore de l’insertion et pour des publics constitués d’enfants, d’adolescents, d’adultes et de personnes âgées. Aucune condition de diplôme n’est requise pour s’inscrire. Il faut néanmoins réussir les épreuves de sélection : une épreuve écrite et une épreuve orale. Début de la formation : 28 février 2022
Inscription sur le site Internet de l’IFCASS jusqu’au 30 novembre 2021 www.ifcass.fr Renseignement : Auprès de l’IFCASS au 02.35.82.67.18 et sur son site Internet www.ifcass.fr Auprès de LADOM au 02.69.61.51.28 et sur son site Internet www.ladom.fr www.facebook.fr/ifcass
Conditions d’entrée : Être inscrit au Pôle Emploi / avoir au moins 18 ans / Avoir un foyer fiscal à Mayotte dont le quotient familial est inférieur à un montant qui vous sera communiqué par LADOM / Ne pas avoir bénéficié d’une autre aide à la mobilité dans l’année / Satisfaire aux épreuves de sélection.
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TCHAKS
LA PHRASE
L'ACTION
LE CHIFFRE 73.87%
C’est le taux de réussite au bac 2021 à Mayotte, toutes filières confondues. La filière générale obtient un taux de réussite de 73.60% contre 54.80% pour les bac pro. Des chiffres légèrement en deçà du cru 2020, avec respectivement 80.1% et 76.50% d’admis sans rattrapage. Jusqu’à la fin de la semaine, les oraux offriront une seconde chance aux candidats malheureux. “Nous ne sommes pas surpris, cela correspond à ce à quoi nous nous attendions. Mis à part la philosophie et le grand oral, tout a été passé en contrôle continu. À la différence de 2020, il y a eu moins de semaines de confinement cette année, donc plus de notes. Cela se rapproche de la réforme du nouveau bac et nous sommes dans la vérité des prix”, réagit le recteur Gilles Halbout. Contre l’idée tenace d’un bac “bradé”. “C’est un vrai bac !”
“Il faut mettre un coup d’accélérateur Les artisans mahorais s’exposent maintenant, sinon nous sommes au comité du tourisme foutus” Comme chaque année, 20 artisans et créateurs ont envahi le comité du tourisme de Mamoudzou, à l’occasion de la vente-expo “Made in Mayotte”, qui s’y tient jusqu’au samedi 17 juillet. Gastronomie, terroir, bijoux, bois, couture, cosmétique et céramique, tout le savoir-faire mahorais, sa qualité et sa diversité y sont représentés, cette fois autour du thème de l’ylang ylang, emblème de Mayotte et de l’amour. Cette huitième édition a fait de l’association Wenka Culture son invité d’honneur. Celle-ci organise, entre autres, des ateliers autour de l’emploi des jeunes en lui inculquant le savoir-faire ancestral mahorais. De quoi trouver des cadeaux uniques à mettre dans ses valises avant de partir en vacances !
ELLE FAIT L’ACTU
Après une année éprouvante marquée par un nouveau confinement de cinq semaines, ce jeudi 7 juillet marque le début des vacances scolaires. Si le recteur se satisfait globalement des progrès réalisés, il concède que lourd reste encore le travail à accomplir concernant en particulier les constructions scolaires, promesse de campagne du président Macron : “Dans le premier degré, nous avons scolarisé 2.000 nouveaux élèves cette année. Ils seront 2.500 supplémentaires en août prochain. Au bout d’un moment, nous voyons bien que toutes les solutions trouvées – les classes itinérantes, le passage en rotation, les modulaires – atteignent leur limite”. Selon Gilles Halbout, l’ensemble des chantiers devrait être lancé d’ici la fin (civile) d’année. Si, toutefois, “la politique [ne vient] pas interférer dans les projets de l’Éducation nationale”, d’autant que pour certains de ces projets, le foncier est un enjeu de taille”.
Malika Djoumoi, l’excellence mahoraise qui s’exporte en Europe Mahoraise, originaire de Mamoudzou et âgée de 23 ans, Malika Djoumoi vise l’excellence. Elle fait partie des rares jeunes diplômés qui ont réussi à intégrer un cabinet d’audit du groupe Big Four. Un groupement des quatre cabinets d’audit et de conseil les plus influents au monde. Côté parcours, Malika Djoumoi est fraîchement diplômée d’un master comptabilité contrôle d’audit de l’Institut d’administration des entreprises de Poitiers. “J’ai vu qu’un cabinet du groupe Big Four recrutait un comptable au Luxembourg. J’avais l’intention de travailler en région parisienne, mais j’ai immédiatement postulé lorsque j’ai vu l’annonce”, se souvient la jeune femme, âgée de 22 ans à ce moment-là. Si elle réussit à obtenir ce poste, elle compte bien pouvoir revenir, à terme, sur son île natale, Mayotte.
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LU DANS LA PRESSE
Chaque semaine, découvrez le regard porté sur l’actualité locale à travers la presse nationale ou régionale
AGROALIMENTAIRE : MAYOTTE SE SENT POUSSER DES AILES Le 6 juillet, par Clicanoo (avec l'AFP)
L'inauguration d'un abattoir de volaille sur l'île aux parfums marque une nouvelle étape dans la construction de la filière dans un territoire confronté à la cherté de la vie, à l'insularité et à l'éloignement. Elhad-Dine Harouna est le président de la SAS l'Abattoir de volailles de Mayotte créée en 2017. "On m'a toujours dit que le Mahorais voulait manger moins cher, dit-il, moi, je crois que le Mahorais veut manger moins cher, mais de qualité." Son abattoir, d'une capacité de 1 500 tonnes de poulet annuelle, va permettre de multiplier par dix la production de la marque "Mon Pouleti", commercialisée aujourd'hui par AVM à titre expérimental. Le lancement de l'activité est prévu durant ce mois de juillet. De quoi proposer une alternative locale pour la restauration collective et les grandes et moyennes surfaces, où la majeure partie des produits sont issus de l'importation. Une situation coûteuse en raison de l'octroi de mer, cette taxe spécifique aux départements et régions d'Outre-mer censée protéger les entreprises et collectivités locales. D'après le programme 2017 du Posei - qui décline la Politique agricole commune (Pac) dans les Régions ultrapériphériques (RUP) - relatif à Mayotte, 99 % de la consommation totale de volaille est importée, soit 8 900 tonnes par an. À Mayotte, petite île de 374 km2, l'agriculture est encore majoritairement vivrière et les tentatives pour développer des filières locales font l'objet de freins, liés à l'insularité, l'éloignement et au manque de compétences et d'infrastructures. Petite taille des exploitations, difficultés à les moderniser ou à entrer dans les circuits de commercialisation : près de la moitié des ménages agricoles utilisent leur production pour leur consommation personnelle plutôt que pour la vente. Compenser les importations Pourtant, dans certains secteurs, la production locale pourrait compenser une partie des importations : outre les volailles, la filière œufs est déjà quasi autosuffisante,
de même que les fruits et légumes, même si la majorité de la production finit sur des étals de fortune au bord des routes. L'économie informelle capte plus de 70 000 tonnes de fruits et légumes sur les quelque 71 000 cultivés, d'après une étude de la Direction de l'alimentation, de l'agriculture et de la forêt (DAAF) de Mayotte. "Ces vendeuses de bord de route s'auto-organisent pour aller chercher la marchandise directement chez les agriculteurs", explique Bastien Chalagiraud, chef du service Économie agricole à la DAAF, qui tache justement de formaliser le secteur pour garantir traçabilité et sécurité des produits. "Les agriculteurs qui veulent vendre n'ont pas forcément les moyens, de locomotion, de stockage, pour accéder au marché formel, sauf ceux qui sont dans des circuits formalisés, quelques dizaines", note-t-il. Pour autant, les initiatives se multiplient ces dernières années afin de proposer une alternative de qualité au consommateur, poussées depuis 2014 par les aides du Fonds européen agricole pour le développement rural, le Feader (plus de 83 millions d'euros pour la programmation 2014-2022), et du Posei (six millions d'euros par an). Financée à 90 % par le Feader, la coopérative Uzuri Wa Dzia propose depuis mars 2020 ses gammes de lait local à raison de 200 litres par semaine. Un statut coopératif qui a déjà fait ses preuves pour les fruits et légumes avec l'Ucoopam, l'Union des coopératives agricoles de Mayotte, née en 2017. "Le fait de se regrouper nous permet de bénéficier d'une exonération d'octroi de mer et donc de réduire les coûts des intrants nécessaires aux agriculteurs. Et nous proposons aussi un réseau de distribution pour nos adhérents", expose Bryce Bouvard, le coordinateur. Grâce au Feader, une nouvelle plateforme de stockage et de distribution doit sortir de terre pour "multiplier par trois nos capacités", aujourd'hui limitées à 200 tonnes annuelles, développet-il. En octobre 2019, le président Emmanuel Macron, en déplacement à La Réunion, avait annoncé une politique adaptée pour tendre vers l'autonomie alimentaire dans les départements et régions d'Outre-mer d'ici 2030.
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DOSSIER
VANILLE ET YLANG
UN PARFUM DE RENOUVEAU Leurs qualités sont reconnues dans le monde entier, et pourtant, l'ylang et la vanille de Mayotte ont connu une forte décroissance ces dernières décennies. Alors, associations, entreprises et institutions se mobilisent pour redonner un nouveau souffle à l'exploitation de ces produits et au savoir-faire qu'ils nécessitent.
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DOSSIER
L.S
TÉMOIGNAGE
LA VANILLE ET L’YLANG, DEUX FILIÈRES SOUS EXPLOITÉES DANS L’HISTOIRE
À MAYOTTE, LA CULTURE DE L'YLANG ET DE VANILLE EST UNE TRADITION DE LONGUE DATE. ET SI LES DEUX PRODUITS SONT CONNUS POUR ÊTRE D’UNE TRÈS BONNE QUALITÉ SUR L’ÎLE, LE DÉVELOPPEMENT DES FILIÈRES EST UN CHEMIN LENT ET SINUEUX. RETOUR SUR L’HISTOIRE DE LA PRODUCTION DE L’YLANG ET DE LA VANILLE DANS LE 101ÈME DÉPARTEMENT FRANÇAIS, DONT LA CULTURE LUI A VALU LE SURNOM D’ÎLE AUX PARFUMS.
L’huile d’ylang est produite à Mayotte depuis les années 1900. Entre 1950 et 1980, il y avait plus de 1 000 hectares d’ylang sur l’île, dont une large partie - 15 tonnes par an - était déjà exportée à l’international. Il existait alors trois grands domaines de production sur l’île : la Bambao, la SPPM et Achery-Bellemare. Toutes ont cessé leur activité dans les années 90, avec le changement de statut de l’île, qui les a contraintes à payer leurs petits mains non plus à un prix arbitraire, mais au tarif imposé par les dispositifs légaux.
Des lors, des petits producteurs se sont installés progressivement sur Mayotte, sur des terrains personnels de moins d’un hectare. L’huile d’ylang mahoraise est considérée comme supérieure aux autres du fait de la qualité de ses fractions “Extra S” et “Extra”, ce qui lui donne beaucoup d’atouts auprès des parfumeurs. Elle a été choisie pendant sept ans par Guerlain, entre 1995 et 2002, avant qu’il se retire car la main-d'œuvre devenait “trop chère” comparée à celle des Comores ou de Madagascar pour une huile de qualité plus ou moins similaire. À titre d’exemple,
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à Anjouan, un litre d’huile d’ylang était acheté deux fois moins cher qu’à Mayotte par les parfumeurs. Aujourd’hui, le potentiel de Mayotte en termes de production d’ylang serait de cinq tonnes d’huile essentielle par an. Mais la plupart de ces plantations sont vieilles de 50 à 70 ans. Peu d’exploitations sont récentes, on compte seulement une dizaine d’hectares plantés depuis 2005 selon la direction territoriale de l’alimentation, de l’agriculture et de la forêt (DAAF). Les producteurs ont maintenu leurs plantations par passion et volonté de continuer la tradition de la culture d’ylang. Et depuis l’arrivée des aides européennes sur Mayotte, ils sont incités
à garder leurs arbres et à faire perdurer leur savoirfaire. Les subventions leur permettant de ne pas se noyer face à un coût de production extrêmement cher et peu de ventes. En 2010, le recensement agricole estimait qu’il existait 198 exploitations d’ylang sur Mayotte, qui se partageaient 145 hectares.
MOINS D’UNE TONNE DE VANILLE PRODUITE CHAQUE ANNÉE La vanille noire de Mayotte, très grasse, est réputée pour sa qualité. Depuis le 19ème siècle, elle est reconnue dans l’océan Indien, et même bien plus
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DOSSIER
loin, puisqu’elle a été récompensée par les médailles d’or et d’argent au concours agricole de Paris. Les représentants de la Compagnie des Comores notent dans un courrier des années 1860 que “la vanille croît parfaitement et donne de superbes gousses quand elle est fécondée”. Une belle production qui serait liée au climat de l’île. Dans les années 1940, l’inspecteur colonial de la circonscription de Mayotte
déclare que la vanille est un point clé de l’économie de l’archipel [des Comores] et une source de revenus non négligeable. À l’époque, chaque année 3,5 tonnes de vanille sont produites à Mayotte, contre 36 tonnes à Anjouan et 80 tonnes en Grande Comore. On produit à Mayotte moins d’un tonne de vanille par an, contre 35 tonnes à La Réunion ou encore 140 tonnes aux
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Comores. En plus de la concurrence régionale, la vanille doit faire face à la concurrence artificielle. En effet, dans le monde, on vend six fois plus de vanille artificielle que naturelle ! Sa production en faible quantité sur l’île aux parfums en fait de plus un produit rare, qui fait, bien sûr, monter son prix et réduire les ventes. Aujourd’hui, 85 producteurs de vanille sont déclarés à Mayotte, mais 80% d’entre eux ne parlent pas français, un gros frein pour l’exportation de ce
produit de qualité, a fait remonter le ministère de l’agriculture et de l’alimentation en novembre 2020. Les producteurs sont aussi pour la plupart âgés, environ 60 ans, leurs exploitations pourraient donc être laissés à l’abandon si le savoir-faire traditionnel ne se transmet pas. On note aussi une technique de production peu efficace en termes de rendement, une un marché déstructuré qui ne permet pas une bonne expansion de la filière et une qualité des gousses inégales liée aux différents moyens de production.
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DOSSIER
Solène Peillard
REPORTAGE
L’YLANG, ENTRE ESSENCE ET RENAISSANCE EN QUELQUES DÉCENNIES, LA PRODUCTION MAHORAISE D’YLANG EST PASSÉE DE PLUSIEURS DIZAINES DE MILLIERS DE TONNES À SEULEMENT QUELQUES CENTAINES DE KILOS. SI LE NOMBRE DE PRODUCTEURS A CRUELLEMENT CHUTÉ, CERTAINS RÉINVENTENT LEUR ACTIVITÉ AFIN DE CONTINUER À VIVRE DE L’EXPLOITATION DE LA FLEUR QUI ORNE LE DRAPEAU DU 101ÈME DÉPARTEMENT. PARMI EUX, AROMAORÉ SEMBLE AVOIR TROUVÉ LA FORMULE GAGNANTE. Son nom signifie “le village où il n’y a rien”. Pourtant Ouangani abrite l’une des plus anciennes exploitations d’ylang ylang de Mayotte encore en activité à ce jour. Rien d’étonnant pour la commune la plus agricole de l’île, après Combani. Une fois passé le cimetière, il suffit de quelques pas sur un chemin de terre rouge comme ils sont légion ici pour découvrir le havre de paix et de fleurs d’Hassani Soulaimana. Sur ses 3,5 hectares, ce trentenaire fait cohabiter des dizaines d’espèces végétales en agroforesterie. Une technique agricole permettant de développer la biodiversité tout en préservant les sols et leur ressource en eau. De quoi garantir une qualité optimale pour la fameuse fleur jaune devenue l’emblème du 101ème département. Ici, l’ylang se récolte et se distille depuis 1916, sur la parcelle cultivée, d’abord de façon vivrière, depuis le 17ème siècle. Dans les années 60 à 80, Mayotte
comptait un millier d’hectares d’ylang pour 40 000 tonnes d’huiles essentielles produites chaque année, puis envoyé à Grasse pour la confection de parfums, dans le luxe notamment. Mais entre les années 90 à 2000, la production passe à 500 kilos. Ils ne sont désormais plus que 20 producteurs, répartis sur environ 70 hectares. En cause, le changement de statut de l’île et l’alignement du coût du travail sur les standards métropolitains, même si le SMIC mahorais n’est toujours pas à la hauteur de celui de Paris. Pour les exploitants, cela contraint à rémunérer les cueilleuses bien plus cher. Alors, à l’époque, nombreuses sont les sociétés à préférer poursuivre leur activité agricole ailleurs, à Madagascar ou aux Comores essentiellement. Scientifiquement, la qualité de l’ylang mahorais a largement été prouvée. Mais alors qu’un litre d’huile essentielle coûte 30 euros sur la Grande Île, 15 dans
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l’archipel voisin, il vaut ici 300 euros. En deçà, les producteurs revendent désormais à perte.
LA FIN DES PARFUMEURS “Ne plus vendre aux parfumeurs est finalement ce qui me permet de vivre”, assume Hassani. Aujourd’hui, l’agriculteur, par ailleurs l’un des instigateurs du pôle d’excellence rurale, tire 60% de son chiffre d'affaires de la vente de sa récolte, auprès d’artisans locaux et d’une pharmacie en Guadeloupe notamment. Le reste de ses recettes ? Des visites qu’il organise pour le grand public presque quotidiennement, en y incluant des ateliers sur la beauté mahoraise, des gommages avec des produits naturels locaux ou encore le tressage des feuilles de cocotiers. “La filière n’est pas vouée à mourir, il suffit que les producteurs se diversifient”, défend fermement Hassani, qui n’hésite pas à inculquer son savoir-faire à d’autres agriculteurs pour leur permettre de se développer à leur tour. “Tant qu’il y aura des fonctionnaires, des profs, des flics, des infirmières, j’aurais toujours du travail.
Parce que lorsque la famille de ces gens viennent leur rendre visite à Mayotte, ils recherchent des activités comme celles que je propose !” Le sens des affaires, Hassani l’a, assurément. Et ce presque depuis toujours. Lorsqu’il était enfant, son père tirait de l’exploitation un chiffre d’affaires ne dépassant pas les 800 euros à l’année. Alors, le garçonnet commence à vendre des fioles d’huile à ses professeurs, aux passants dans la rue. Puis, il grandit en apprenant les bons gestes sur l’exploitation qui est désormais la sienne. En 2005, il fonde Aromaore et se spécialise dans l'écotourisme, tout en continuant sa production et sa distillation, à raison de 100 kilos par semaine. De quoi produire 2,5 litres d'huile dite “complexe”. “Pour remplir un flacon de 10 millilitres, il faut environ 400 fleurs !”, précise Clara Levy, étudiante en agronomie et stagiaire sur l’exploitation, pendant qu’en face d’elle et du gros alambic servant à la distillation, un petit groupe de visiteurs confectionne des paniers tressés, assis sur une natte, dans une atmosphère aux effluves fleuries. Ces mêmes odeurs qui ont valu à Mayotte le surnom d’île aux parfums.
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DOSSIER
Solen Soidiki
TÉMOIGNAGES
DES FILIÈRES PLEINES DE PROMESSES
QU’EN EST-IL DE L’AVENIR DE LA FILIÈRE VANILLE ET DE L’YLANG À MAYOTTE ? FACE À LA CONCURRENCE DÉLOYALE OPÉRÉE DANS LES COMORES, LE MARCHÉ SEMBLE INCERTAIN MAIS DE BON AUGURE.
L’association Saveurs et Senteurs a installé un séchoir au pôle rural d’excellence. Une véritable innovation dans ce secteur ! Selon le président de la structure, Chadhuili Soulaimana, la filière de la vanille et de l’ylang est durable à Mayotte. “On s’organise dans de bonnes conditions”,précise-t-il, dans l’objectif de répondre à la demande croissante de jeunes qui s’installent à Coconi pour apprendre à travailler la vanille. La filière se développe particulièrement ces dernières années : “On a commencé en 2018, au bout de trois ans, on a déjà une tonne de vanille verte. L’année prochaine, on va sûrement dépasser la production d’une tonne.” Objectif atteint pour 2021, et probablement aussi pour l’année suivante, selon les dires du président de l'association, qui attire même les entreprises. En effet, un restaurant à l’aéroport de Pamandzi, en Petite Terre, utilise de la vanille issue de Saveurs et Senteurs. Alors, des cuisiniers se sont également intéressés à la production de vanille de l’association mahoraise et lui achètent de grandes quantités.
Mais qu’en est-il de la concurrence avec les autres de l’archipel à long terme ? Sur ce point, le président est catégorique, la qualité fait la différence. “Au niveau qualité, on est intraitable ! Il y aura toujours de la concurrence, on peut la limiter, mais c’est pour cela qu’on vend la vanille de Mayotte à des endroits précis. On ne vend pas sur les marchés de Mayotte par exemple.” Les entreprises qui décident de s’approvisionner dans les îles voisines ne bénéficient pas de la qualité “made in Mayotte”. Une implication de l’Etat et des pouvoirs publics n’est donc pas négligeable pour poursuivre le développement de la filière. L’association Saveurs et Senteurs a des projets et compte bien les tenir : “On fait des formations d’agriculteurs pour améliorer la production, avoir des vanilles de meilleure qualité. Il est possible de vivre de la vanille à Mayotte : on peut produire un hectare de vanille et obtenir l’équivalent d’un salaire normal facilement”, assure le président de l’association. Autrement dit, il est bien plus rentable de vivre de la production de vanilles que de bananes.
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L’actuelle expo-vente “Made in Mayotte”, sous le toit du comité du tourisme à Mamoudzou, prouve d’ailleurs la possible rentabilité de la filière de la vanille et de l’ylang sur le territoire. Aux côtés d’autres stands d’artisanat, se trouve celui de Terre de rose, spécialisée dans les domaines de la parfumerie et des produits cosmétiques. Pour la boutique, la vanille et l’ylang sont véritablement un atout majeur, d’autant plus que les prix varient de 6,50 euros à 15 euros selon le produit proposé. Un tarif raisonnable pour des produits de qualité “made in Mayotte”, allant de l’huile essentielle jusqu’au flacon d’huile végétale, en passant par des bougies d’intérieur. “On collecte l’ylangyang au jardin d’Imany à Combani, qui garantit nombre de bienfaits !”, se réjouit la société, qui développe
le processus de fabrication. “Pour fabriquer l’huile, elle est conditionnée dans les distillateurs, directement sur place. Pour les bougies, nous assurons nous-même la transformation. Dès qu’on parle de vanille et d’ylang, on sait que cela va fonctionner. Déjà, l’ylang est la fleur emblématique de Mayotte ! Un confrère vend lui aussi des produits, notamment des parfums à l’ylang à l’hôtel Caribou, à Montarcis, au Beauvallon”, ajoute la gérante, Houdjati Asman. À Mayotte, il existe des points de vente à différents endroits pour capter la demande. “Les clients sont soit touristes, soit locaux. Les locaux ne sont pas à négliger !”, précise-t-elle encore. En effet, grâce au bouche-à-oreille, nombreux sont ceux qui viennent.
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DOSSIER
TROIS QUESTIONS À LATUFA YOUSSOUF, RESPONSABLE DE LA FILIÈRE COSMÉTIQUE ET PHARMACOPÉE AU SEIN DE LA CHAMBRE DU COMMERCE ET DE L’INDUSTRIE Mayotte Hebdo : La filière de la vanille et de l’ylang-ylang peut-elle disposer d’une implantation durable ? Latufa Youssouf : La production d’ylang-ylang occupe une centaine d’hectares sur le territoire. L’huile essentielle d’ylang-ylang mahoraise possède une qualité unique, aujourd’hui scientifiquement prouvée. Ces dernières décennies, la filière a connu une baisse de productivité puisque le savoir-faire était surtout détenu par des personnes âgées. On retrouve
cependant quelques jeunes agriculteurs qui reprennent l’affaire familiale, c’est le cas du Jardin d’Imany et d’Aromaoré. Un plan de la relance de la production et de la valorisation de l’ylang-ylang a été mis en place sur le territoire. Plusieurs aides financières sont disponibles afin d’accompagner et maintenir ce savoir-faire local (aides POSEI, FEADER…). La structuration de la filière reste primordiale pour instaurer une implantation durable. La CCI via le projet “Comptoir des PAPAM” et le cluster cosmétique récemment créé, accompagne la structuration des ces filières. De plus, le pôle de d’excellence rural de Coconi met à disposition un pôle économique, un pôle recherche et un pôle écotouristique pour le soutien de la filière ylang. Concernant la vanille, sa production occupe une faible superficie sur l’île et demande à être développée.
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M. H : Qu’en est-il de la concurrence avec les Comores ? L. Y : Il est clair que le coût de la main d’œuvre et des matières premières est l’atout principal des îles voisines. Bien que l’ylang ylang de Mayotte soit de qualité supérieure, les industriels peuvent se tourner vers les produits moins coûteux des îles voisines. Pour la vanille, la concurrence est rude dans la région. La vanille de Madagascar et de La Réunion sont de très bonne qualité, mais la force de Mayotte par rapport aux Comores et à la Grande Île est le « made in France » et l’accès au marché européen. Un grand travail reste cependant à faire sur la réglementation afin de mettre à disposition des matières premières sûres et contrôlées. Les projets plateformes de la CCI, la Technopole et le Multilab, vont mettre à disposition les outils nécessaires au contrôle qualité et au développement de produits associés.
Sans réserve, la filière de l’ylang-ylang et des PAPAM en général présente un fort potentiel économique. Cela passera forcément par la structuration des activités associées à la filière et à la construction d’une chaîne de valeur pérenne. M. H : Concernant la réglementation du commerce de cette filière, existe-t-il des partenariats avec des entreprises implantées en métropole ou à l’étranger ? L. Y : La réglementation est en effet le talon d’Achille des entreprises mahoraises pour avoir accès aux marchés extérieurs (Europe, international). Concernant la filière des PAPAM, la CCI travaille avec les entreprises afin de parvenir progressivement à les former sur le respect de la réglementation. La Cosmetic Valley, Qualitropic et Cap Business sont les principaux partenaires du projet porté par la CCI.
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MAGAZINE D’INFORMATION NUMÉRIQUE HEBDOMADAIRE Edité par la SARL Somapresse au capital de 20 000 euros 7, rue Salamani Cavani M’tsapéré BP 60 - 97600 Mamoudzou Tél. : 0269 61 20 04 contact@mayottehebdo.com Directeur de la publication Laurent Canavate canavate.laurent@mayottehebdo.com Directeur de la rédaction Mohamed El Mounir dit “Soldat” 0639 69 13 38 soldat@mayottehebdo.com Rédactrice en chef Solène Peillard
# 963
Couverture :
Filière Ylang & vanille
Journalistes Romain Guille Raïnat Aliloiffa Constance Daire Direction artistique Franco di Sangro Graphistes/Maquettistes Olivier Baron, Franco di Sangro Commerciaux Cédric Denaud, Murielle Turlan Thomas Lévy Comptabilité Catherine Chiggiato compta@mayottehebdo.com Secretariat Annabelle Mohamadi Première parution Vendredi 31 mars 2000 ISSN : 1288 - 1716 RCS : n° 9757/2000 N° de Siret : 024 061 970 000 18 N°CPPAP : 0121 I 92960 Site internet www.mayottehebdo.com
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