LE MOT DE LA RÉDACTION À MI-CHEMIN "Augmenter la somme des renseignements que l'on possède sur ces colonies". Voilà ce qui, au milieu du 19ème siècle, a motivé le voyage du procureur impérial Alfred Gevrey à Mayotte et aux Comores. Pendant deux ans, l'homme scrute, analyse et détaille la vie d'une île qui a depuis changé de visage, de ses paysages à ses habitants, des esclaves aux ressources naturelles, du climat aux maladies… C'était il y a plus de 150 ans et pourtant, certains constats demeurent encore d'actualité : des conflits répétés entre les différentes populations et localités, une justice désorganisée, un accès aux soins restreint, un réseau routier embryonnaire, des logements inadaptés… Finalement, la plus profonde différence entre la réalité du texte et celle de nos jours repose sur le changement de statut de Mayotte et l'affirmation de son appartenance à la République Française. Depuis, l'esclavage y a été aboli, le droit commun y a progressivement été déployé… Mais reste encore à parcourir un long chemin en matière d'égalité sociale et de développement structurel, pour ne citer qu'eux. Bonne lecture à toutes et à tous. S.P.
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FINI LE BLUES DU DIMANCHE.
TCHAKS LE CHIFFRE 27’04’’
C’est le temps, à la nage, réalisé par Romain Bernard, vainqueur de la course en eau libre Escape Bandrélé. Pour la seconde édition de cette dernière, le jeune homme établit ainsi un record sur le trajet de deux kilomètres reliant l’îlot Bandrélé à la plage de Sakouli. C’est plus généralement un véritable succès pour le club de natation Phil Ô Libre, organisateur de l’événement, puisque pas moins de 189 participants étaient présents au départ de la course, ce dimanche 31 octobre. Un jour d’Halloween qui n’aura pas réservé de frayeur aux nageurs, puisque les forts courants baignant les côtes de Sakouli étaient surveillés et sécurisés par Jet Latitude et le club de kayak de Mamoudzou.
L'ACTION
Octobre rose livre un grand final à Mamoudzou
Enfants, familles, femmes et hommes… Plus de 500 personnes étaient réunies, dimanche dernier, sur la place de la République, à Mamoudzou. Cette dernière, ligne d’arrivée du “ Run to live ” de 5 kilomètres, était aussi le théâtre d’une fête célébrant à grands jets de poudre rose la prévention contre le cancer du sein. Le dépistage était en effet prôné durant ce mois d’octobre, avec une campagne de sensibilisation et plusieurs actions menées par les associations locales, et notamment l’Amalca (association mahoraise pour la lutte contre le cancer). La course reliant Kawéni à Mamoudzou a d’ailleurs eu pour marraine MarieChristine Cazier, championne de France et vice-championne du monde en salle du 100 mètres en 1985.
LA PHRASE
“Il faut d’abord employer plus”
C’est le constat de Geoffroy Roux de Bézieux, président du Medef en visite à Mayotte, vis-à-vis de l’augmentation du SMIC dans le 101ème département français. L’alignement des droits sociaux mahorais sur ceux de la France métropolitaine, prévu en 2036, ne pourra pas avoir lieu sans une baisse du chômage, selon le “ patron des patrons ”. Ce dernier, de passage à Mayotte la semaine dernière, a pu assister à une assemblée générale du Medef Mayotte ce vendredi 29 octobre. La présidente locale, Carla Baltus, partage d’ailleurs le même avis que M. Roux de Bézieux sur la question de la hausse des salaires. “ Est-ce qu’on est prêts à être au niveau du SMIC national ? ”, a-t-elle interrogé le jour de l’assemblée générale.
IL FAIT L’ACTU Maxime Zennou, directeur général de SOS Jeunesse, en visite à Mayotte Lors de ses quelques jours passés dans le 101ème département français, le DG du groupe SOS Jeunesse, au sein duquel figure l’association Mlezi Maore, a déploré le nombre de mineurs isolés sur l’île. “ S’il y avait une solution miracle, nous la connaîtrions, nous la travaillerions et la modéliserions ! ”, a-t-il déclaré à Flash Infos. Pour M. Zennou, un centre éducatif fermé, longuement envisagé à Mayotte, n’est pas une solution viable. Le directeur général de SOS Jeunesse préfère mettre l’accent sur la petite enfance, la scolarité et la prévention, mais aussi sur une cour d’appel 100% mahoraise. “ Un gamin qui ne va pas à l’école, c’est d’emblée une difficulté majeure qui va se poser ”, affirme-t-il. Quant aux décasages, M. Zennou appelle à une “ politique globale du logement ”, afin de s’occuper au mieux des enfants et des familles.
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LU DANS LA PRESSE
Chaque semaine, découvrez le regard porté sur l’actualité locale à travers la presse nationale ou régionale
TOP 10 DES CHOSES À SAVOIR SUR LES LÉMURIENS Le 29 octobre 2021, par Jennifer Matas pour especes-menacées.fr Ces sympathiques primates connus de tous sont malheureusement très menacés par la disparition de leur habitat naturel et le braconnage. Apprenez-en plus sur eux à l’occasion de leur journée mondiale, qui a lieu tous les ans le troisième vendredi du mois d’octobre.
Véritables symboles de la faune malgache, les lémuriens ne vivent à l’état sauvage que dans cette immense île de l’océan Indien – plus grande que la France –, ainsi que dans quelques îles voisines, dans l’archipel des Comores et à Mayotte. C’est d’ailleurs cet isolement géographique, loin du continent africain et de ses prédateurs, qui a permis aux lémuriens de survivre et d’évoluer de leur côté.
“ danger critique ” d’extinction, comme par exemple le grand hapalémur, l’hapalémur doré, le vari noir et blanc ou encore le propithèque de Verreaux. De fait, les lémuriens remportent le terrible titre de “ groupe de mammifères le plus menacé au monde ”. Et la situation ne semble pas s’arranger : la déforestation, l’une des principales causes de la disparition des lémuriens, se poursuit à Madagascar. Depuis les années 1950, l’île a perdu près de 45 % de ses forêts naturelles. Par ailleurs, les captures et la chasse se poursuivent, que ce soit pour faire de ces primates des animaux de compagnie ou pour consommer leur chair. Leur cas est malheureusement susceptible d’empirer avec le Covid : confrontés à une extrême pauvreté et à des pénuries, les Malgaches privés des recettes de l’écotourisme n’ont pas d’autres choix que de se tourner vers la forêt pour trouver leurs moyens de subsistance, au détriment des dernières populations de lémuriens.
#2. Ils sont arboricoles
#5. Ce sont des primates mais pas des singes
Ils sont essentiellement arboricoles : les lémuriens passent la majorité de leur temps en hauteur dans les arbres et ne descendent que très peu au sol. Là-haut, ils trouvent non seulement un abri face aux prédateurs, mais aussi de quoi se nourrir, les lémuriens étant principalement herbivores. Leur régime alimentaire se compose surtout de feuilles, de fleurs et de fruits qu’ils accommodent d’insectes ou encore d’écorce et de sève d’arbre. Rare exception, les makis cattas passent pas mal de temps à terre en comparaison avec les autres espèces de lémuriens.
La confusion est très courante et mérite donc de faire le point : les lémuriens sont effectivement des primates, mais ce ne sont pas des singes. En réalité, l’ordre des primates regroupe quatre branches distinctes : les singes, les lémuriens, les tarsiers et les loris.
#1. Les lémuriens ne vivent qu’à Madagascar, Mayotte et aux Comores
#3. Il existe plus d’une centaine d’espèces Quand on pense aux lémuriens, on se représente souvent le maki catta, probablement le lémurien le plus connu, popularisé par la saga Madagascar où le roi Julian est représenté sous les traits d’un lémur catta. Il s’agit aussi de l’espèce de lémuriens la plus représentée dans les parcs animaliers français, beaucoup de personnes ont donc pu en observer en vrai sans avoir mis les pieds à Madagascar. Mais les lémuriens sont en réalité une très grande famille composée de 112 espèces identifiées à ce jour, et peut-être plus encore que nous ne connaissons pas encore. D’ailleurs, la dernière découverte d’espèce de lémuriens à Madagascar est très récente et remonte à 2020. Il s’agit du microcèbe de Jonah, un petit primate d’à peine 60 grammes.
#4. 98 % sont menacées Le chiffre a de quoi impressionner… et inquiéter : 98 % des espèces de lémuriens existant encore à ce jour sont menacées de disparition, selon la mise à jour 2020 de la liste rouge de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN). Parmi elles, 33 espèces sont en
#6. Certains ont les yeux bleus C’est joli, et après ? Eh bien il s’agit là d’une caractéristique très peu répandue chez les mammifères puisqu’à l’exception du cuscus tacheté aux yeux bleus, un petit marsupial originaire d’Indonésie, cela ne concerne que le lémur aux yeux turquoise. Quid des humains aux yeux bleus ? Des tigres blancs ? Et des panthères de l’Amour ? En effet, d’autres mammifères ont également les yeux bleus, mais cela ne concerne pas toute l’espèce dans son ensemble, uniquement certains individus. Chez l’homme par exemple, seule 8 % à 10 % de la population mondiale a les yeux bleus et la panthère de l’Amour est une sous-espèce de léopard. Quant aux tigres blancs, il ne s’agit pas d’une espèce, ni d’une sous-espèce, mais de tigres du Bengale atteints de leucisme.
#7. Les femelles dominent Les lémuriens sont des animaux sociaux qui vivent en groupe de plusieurs individus. A contrario de ce que l’on observe généralement chez les autres mammifères grégaires, ce ne sont pas les mâles mais les femelles qui mènent la danse. Et ce, dans la plupart des différentes espèces de lémuriens ! Une étude parue en 2015 dans la revue Nature avance que cette dominance féminine est d’ailleurs ancestrale. Les femelles n’hésitent pas à asseoir leur supériorité en faisant preuve d’agressivité, en subtilisant la nourriture aux mâles ou en marquant leur territoire.
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#8. L’aye-aye est associé au mal Certaines croyances ont causé beaucoup de tort aux animaux et ont encore la vie dure. L’aye-aye, un lémurien nocturne qui se distingue par son physique peu ordinaire et son troisième doigt de la main démesurément long, en a malheureusement fait les frais. Il est en effet associé au mal par certains Malgaches, ce qui lui a valu des années de persécution injustifiée. Il est également victime d’autres menaces importantes, dont la disparition de son habitat naturel. Aujourd’hui, l’espèce Daubentonia madagascariensis est classée “ en danger ” d’extinction par l’UICN et ses dernières populations sauvages continuent de décliner.
#9. L’indri chante en rythme Contrairement à l’aye-aye, l’indri serait quant à lui perçu comme un bon présage pour tous ceux qui croiseraient sa route. Mais c’est pour un talent particulier que ce lémurien bicolore fait partie de ce top : il serait le seul mammifère, avec l’humain, à être capable de chanter en rythme. Ce sont des scientifiques qui en sont arrivés à cette conclusion, dans une étude parue dans Current Biology en octobre 2021. Ils distinguent le rythme du
chant, car de nombreuses espèces peuvent en effet chanter, mais très peu savent le faire en suivant un certain rythme, défini par les auteurs de l’étude comme “ des modèles de durée composés de sons et de silences ”. On ignore cependant pourquoi ces lémuriens ont développé une telle faculté, mais on pense qu’il pourrait s’agir d’une question de communication longue distance et de défense du territoire.
#10. Le plus petit lémurien est aussi le plus petit primate Dans la famille des lémuriens, il y en a des grands qui mesurent plus d’un mètre de long et aussi des tout petits : les microcèbes. Il en existerait 24 espèces différentes – la dernière, le microcèbe de Jonah, a été décrite en 2020 – qui ont toutes la particularité de réunir des primates de très petite taille, ne pesant que quelques dizaines de grammes. Le plus petit d’entre tous est le microcèbe de Madame Berthe. Avec son poids plume – à peine 30 grammes – et sa taille minuscule – un corps de 10 cm et une queue légèrement plus grande – il remporte d’ailleurs la palme du primate le plus petit au monde.
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PORTRAIT
Raïnat Aliloiffa
ERIKA BLANC 8•
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MANNEQUIN MAHORAISE À 17 ANS, ELLE DÉFILE POUR LES PLUS GRANDES MARQUES Son nom figure déjà parmi les jeunes mannequins en herbe qui ont du potentiel. À seulement 17 ans, Erika Blanc défile pour les plus grandes marques et se fraie un chemin lors des fashion-weeks. Les podiums de Paris, Milan, Londres, n’ont plus de secrets pour cette jeune métisse mahoraise qui vit un rêve depuis maintenant un an. 9
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PORTRAIT
“ Elle est incroyable, elle est courageuse, c’est une battante ! ” Antissoimou Mdere, la mère d’Erika Blanc, ne tarit pas d’éloges lorsqu’elle parle de sa fille. Et du courage, il en faut lorsque l’on entre dans le monde du mannequinat à un si jeune âge. Erika Blanc en sait quelque chose : pour cette jeune femme originaire de Mayotte, l’aventure a commencé alors qu’elle n’avait que 16 ans. “ Il y a un an, mon agent actuel m’a repérée sur les réseaux sociaux parce que j’avais posté des photos de moi, et c’est là que tout a commencé ”, raconte la principale concernée. Tout s’enchaîne rapidement pour l’adolescente qui doit jongler entre le lycée et sa nouvelle vie. Après avoir passé le bac à 17 ans, Erika Blanc décide de quitter sa région de Haute-Savoie pour s’installer dans la capitale. “ Quand on est mannequin, il vaut mieux habiter à Paris ”, remarque-t-elle. Bonne pioche ! L’habituée des objectifs se démarque rapidement de ses concurrentes lors des castings. Et en l’espace de quelques mois, elle signe dans trois agences de
mannequins mondialement connues. “ Une à Paris, une à Londres et l’autre à Milan ”, précise-t-elle. Cela lui permet d’être notamment au devant de la scène lors des défilés très convoités des fashion-week de Paris, Milan, et Athènes. Dior, Sport Max, Ermanno Scervino, Giambattista Valli… Erika Blanc défile pour toutes ces grandes marques haute couture. “ À Paris, j’ai clos le show de Giambattista Valli. Ouvrir ou fermer un show, c’est le Graal pour un mannequin car ça lance la carrière. Pour ma part, j’ai eu plein d’opportunités depuis cet événement ”, indique-t-elle. De quoi lui ouvrir des portes, mais aussi gagner confiance en elle. “ Plus jeune, je ne me trouvais pas jolie, j’étais trop mince, je manquais d’assurance. Grâce à mon métier, je suis plus sûre de moi et je suis plus forte ”, assure l’adolescente.
“ MAYOTTE C’EST L’AMOUR DE MA VIE ” Du haut de ses 17 ans, Erika Blanc a déjà tout d’une grande. Même si le succès a
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frappé à sa porte très tôt, elle sait que rien n’est acquis et qu’elle doit assurer ses arrières. “ Le mannequinat ne va pas durer toute ma vie et il faut que j’ai quelque chose à côté, je poursuis donc mes études ”, analyset-elle avec une certaine maturité. Actuellement en première année de psychologie, elle n’imagine pas une seconde abandonner son cursus, même s’il lui est impossible d’assister aux cours. “ Je n’aime pas l’échec, je vais tout faire pour réussir, quitte à ne pas dormir la nuit. Je veux réussir mes études et je veux continuer le mannequinat. ” Tout en vivant ce rêve éveillé, la top model se projette déjà dans l’avenir. Son horizon : Mayotte et nulle part ailleurs. Plus tard, elle veut “ contribuer à faire développer l’île. ” “ Mayotte c’est l’amour de ma vie. J’ai eu le coeur déchiré quand j’ai dû la quitter il y a quelques années ”, confie-t-elle. Et même si Erika Blanc voyage partout dans le monde, rien ne peut égaler l’île aux parfums. “ Quand on a vécu sur une île, ce n’est pas facile de s’adapter à la vie en métropole ou ailleurs en Europe. Ce n’est pas le même train de vie, les gens ne sont pas pareils. ”
LA FAMILLE, SA SOURCE DE MOTIVATION “ Je pense qu’être mannequin à 16 ou 17 ans c’est trop jeune car c’est un monde méchant et très compétitif. Mais j’essaye de garder la tête sur les épaules et je fais preuve de responsabilité ”, poursuit la jeune fille. Heureusement, ses parents, qui gardent un œil attentif sur elle, ne sont jamais bien loin. “ Son père et moi la suivons beaucoup, nous signons les documents parce qu’elle est encore mineure. Je me méfie de ce milieu, car il y a beaucoup de jalousie et les gens sont prêts à tout pour être les premiers ”, admet la mère d’Erika qui joue pleinement son rôle de maman poule. Antissoimou Mdere est le soutien infaillible dont a besoin Erika Blanc pour gravir les échelons. Il faut dire que rien ni personne ne semble pouvoir la détourner de l’univers de la mode. Pas même le poids des traditions mahoraises. “ Je suis musulmane, Erika est musulmane, mais cela ne l’empêchera pas d’être mannequin, ce n’est pas incompatible. Je l’encouragerai toujours à aller plus loin, car je sais qu’elle en est capable ”, explique sa mère. Prochaine étape ? La fashion-week de New-York qu’elle a manqué cette année, faute de visa. Une chose est sûre, on n’a pas fini d’entendre parler d’Erika Blanc. n
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DOSSIER
Photos d'illustrations prises dans les années 80 à 90
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1870 MAYOTTE
COLONIE FRANÇAISE Entre 1866 et 1868, Alfred Gevrey, procureur impérial à Pondichéry, séjourne à Mayotte, “ chef-lieu des établissements français dans le canal du Mozambique ”, pour étudier l'île et ses trois voisines comoriennes. “ Ce sont mes notes incomplètes que je réunis ici sous le titre d'Essai sur les Comores ”, écrit-il en 1870, juste avant la fin du Second Empire. “ Puisse ce modeste essai ajouter quelques faits nouveaux aux excellentes notices qui ont été publiées sur ces îles, et contribuer à faire connaître un petit pays, trop vanté, trop décrié, auquel le percement de l'isthme de Suez, la transformation de la marine marchande, et l'établissement de relations régulières avec la côte d'Afrique, peuvent donner une sérieuse importance. ” Florilège.
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DOSSIER
L'ADMINISTRATION “ Après la prise de possession du 10 juin 1843, les trois îles Mayotte, Nossibé et Sainte-Marie furent administrées par des commandants particuliers dépendant du gouverneur de la Réunion. Une ordo nnance royale, du 29 août 1843, les plaça sous l’autorité d’un commandant supérieur, résidant à Nossibé, et l’établissement prit le nom de Nossibé et dépendances ; une nouvelle ordonnance, du 10 novembre 1844, transféra le siège du gouvernement à Mayotte ; enfin un décret, du 18 octobre 1853, détacha Sainte-Marie de l’établissement de Mayotte et dépendances qui ne comprend plus aujourd’hui que Mayotte, siège du gouvernement central et résidence du commandant supérieur, et Nossibé, résidence d’un commandant particulier. Mayotte et Nossibé sont donc réunies sous une administration et une législation communes et pourtant ces deux îles sont placées dans des conditions bien différentes ; Nossibé est une île malgache ; sa population, facilement assimilable, diffère complètement par les moeurs, la religion, le caractère et les besoins, de la population musulmane de Mayotte. De plus, par sa position à quelques kilomètres de Madagascar, Nossibé est essentiellement un centre de commerce, tandis que Mayotte, isolée au milieu du canal de Mozambique, est exclusivement agricole et industrielle. Les questions les plus graves et les plus délicates pour Nossibé sont souverainement jugées par le conseil d’administration de Mayotte, composé de fonctionnaires qui, pour la plupart, ne connaissent que Mayotte dont la seule observation ne peut donner une idée exacte des besoins et des intérêts de Nossibé. Espérons donc qu’un jour le gouvernement accordera la séparation administrative que la population des deux îles appelle de tous ses voeux.
Mayotte et ses îlots sont divisés administrativement en quatre quartiers, deux au versant oriental : Dzaoudzi et M’Sapéré, deux au versant occidental : Combani et Miréréni. Un agent européen de l’administration intérieure, ayant le titre de commissaire de quartier, réside dans chacune de ces circonscriptions où il est chargé de la police administrative et judiciaire et de diverses attributions en matière de contribution, de douanes et administration maritime. ”
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POPULATION DE MAYOTTE EN 1843 :
3 300 HABITANTS
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DOSSIER
LA GÉOGRAPHIE “ Le rocher, ou pour me servir de l’expression consacrée, le plateau de Dzaoudzi est le chef-lieu de la colonie. C’est un îlot rond et bas, de 250 à 300 mètres de diamètre, dont les bords N. et S. forment deux bourrelets hauts de 15 à 20 mètres au-dessus du niveau de la mer. Le centre est déprimé et traversé, de l’ouest à l’Est, par une petite vallée correspondant à deux jetées insuffisantes et inabordables pour les embarcations pendant la basse mer. C’est dans cette vallée que sont construits les édifices publics et les habitations des fonctionnaires, c’est-àdire l’hôtel du gouvernement, l’hôpital, la caserne, l’arsenal, le magasin général, la cure, la chapelle, les bureaux de l’administration, du génie, du port, du trésor, l’école laïque, l’école des soeurs, et le camp des soldats indigènes. Il n’y a pas de tribunal ; autrefois il y en avait un très-confortable qui fut découvert par le fameux coup de vent de 1864 ; on aurait pu le recouvrir pour 400 francs et le conserver, mais on ne le répara pas parce qu’il était question de transférer le siège du tribunal à la Grande-Terre, conformément aux demandes réitérées de la population.
“ Dzaoudzi devait naturellement être choisi pour résidence ”
reconnu combien étaient peu fondés la crainte des indigènes et les préjugés qui présentaient la Grande-Terre comme inhabitable pour les Européens, on devait s’empresser de transporter le chef-lieu à Mayotte même. Quels changements dans les résultats si, depuis 20 ans, le chef-lieu était établi sur un point quelconque de la Grande-Terre ! Les habitations européennes se seraient entourées d’une ville indienne, malgache et arabe, un centre de population et par conséquent de commerce et d’approvisionnement se serait créé par la force des choses, sans qu’on eût besoin de s’en occuper ; notre contact eût civilisé peu à peu les indigènes, leur eût donné l’idée des besoins qu’entraîne la civilisation et eût créé à notre commerce local un débouché, infime d’abord, mais qui se serait étendu rapidement aux autres Comores. Tous les malheureux essais de culture que l’on a fait sur l’aride îlot de Pamanzi, uniquement parce qu’on l’avait sous la main, on les eût fait sur le sol fertile de la GrandeTerre, et aujourd’hui la colonie aurait des revenus qui lui permettraient de se passer de la subvention métropolitaine. La Grande-Terre se serait couverte de routes donnant accès au chef-lieu ; une foule de terrains improductifs auraient pu être mis en valeur. ”
Dzaoudzi loge 39 fonctionnaires et 10 habitants européens ou créoles blancs, 27 officiers, sous-officiers et soldats européens, 86 sous-officiers et soldats indigènes, et 134 habitants indigènes, en tout 296 personnes. Isolé au milieu du bassin oriental, défiant toute surprise, en tous cas facile à défendre contre les indigènes, et entouré de rades admirables, Dzaoudzi devait naturellement être choisi pour résidence par les fondateurs de l’établissement, mais dès qu’on eût
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DOSSIER
L'AGRICULTURE “ Il eût été facile d’établir dans les belles vallées de Koéni, Passamenti, Débeney, etc., 100 hectares de cocotiers et 50 hectares de caféiers ; un hectare peut recevoir 1.500 caféiers qui produisent chacun 0.500 de café par an ; en estimant seulement à 0 fr. 50 le rendement de chaque pied, ces 50 hectares de caféiers eussent produit 37.500 fr. Mais il eut fallu attendre 3 à 4 ans les caféiers et 7 à 8 ans les cocotiers ; or dans un pays malsain comme Mayotte, le temps presse, il faut un résultat immédiat ; l’hectare cultivé en canne pouvant, au bout de 10 mois, produire 4 ou 5 tonneaux de sucres c’està-dire 2 à 3.000 fr., on sacrifia les cocotiers et les caféiers et on se mit à cultiver la canne et à établir des usines. A-t-on eu raison ? Il a été longtemps permis d’en douter ; mais depuis quelques années, les progrès sont tellement grands que le succès est aujourd’hui assuré. Il ne serait pas impossible ni même difficile de fabriquer des tuiles avec les argiles qui abondent à Mayotte ; mais personne n’y a songé, ou tout au moins, ne l’a fait jusqu’à présent. Il y a à Mayotte douze usines, pouvant manipuler le double des cannes qui les entourent ; il faudrait, aujourd’hui, établir des routes nombreuses et bien ferrées qui permissent aux charrettes de circuler avec des chargements de cannes. Les routes actuelles sont insuffisantes ; on s’est contenté pour les faire, de découvrir la terre et de tracer deux fossés, sans empierrer la voie, aussi les charrettes, même vides, y enfoncent-elles jusqu’au moyeu, dans la poussière, pendant la saison sèche et dans la boue pendant l’hivernage. Quelques bonnes routes permettraient aux petits concessionnaires de planter des cannes et de les porter aux usines pour les faire manipuler. La fabrication du sucre prendrait ainsi une grande extension.
Il a été récolté sur ces concessions, en 1867, environ 3.000 kilos de café, 112.000 kilos de riz, et 93.000 cocos. Le café de Mayotte est très-fort et excellent, dans quelques années il sera un article sérieux d’exportation ; la vanille croit parfaitement et donne de superbes gousses quand elle est bien fécondée ; on n’en cultive que pour la consommation. L’île est pleine de magnifiques ricins, d’indigotiers et de pignons d’Inde qui poussent spontanément et qu’on pourrait exploiter. Mais il faudra procurer des frets d’aller aux 25 ou 30 navires qui se rendront de France à Mayotte ; c’est alors que s’établira naturellement à Mayotte un vaste entrepôt de produits européens où se pourront charger les nombreux boutres qui, chaque année, partent sans lest des Comores pour se rendre à la côte d’Afrique et à Madagascar. ”
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MOYENNE DES TEMPÉRATURES ANNUELLES EN 1867 : 27,4°C MOYENNE DES PLUIES TOMBÉES À DZAOUDZI EN 1867 : 1.075 M 19
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DOSSIER
L'INSALUBRITÉ “ Mayotte est loin d’être un pays sain. Sur le littoral on vit dans l’atmosphère empestée des marais mixtes ou salés qui garnissent toutes les criques ; une large ceinture de bancs de vase et de corail tenant aux assises de l’île, découvre, à mer basse, ainsi que l’immense surface de polypiers, des récifs ; il s’en dégage, sous un soleil ardent, des effluves éminemment malsaines. Dans l’intérieur, les pluies torrentielles de l’hivernage entraînent les terres mises à nu par d’imprudents défrichements, délayent un humus chargé de matières organiques en décomposition et le charrient dans les vallées, ravinent les terres argileuses et ocreuses formées par l’altération de roches volcaniques récentes, et produisent des émanations telluriques à peu près aussi nuisibles que celles des marais.
lieu d’être la règle, n’y sont plus que l’exception, dans la première année de séjour, car, au delà de ce temps, elles deviennent fréquentes ; et l’on compte peu d’individus qui, après la 2è ou 3è année, soient assez privilégiés pour n’en avoir pas été atteints. Autant les affections paludéennes sont fréquentes à Mayotte, autant les autres affections des pays chauds y sont rares et bénignes. Celles qu’on y rencontre quelquefois sont la dysenterie et la colique sèche. Pas plus à Mayotte que dans les autres pays chauds où les maladies paludéennes existent à un degré élevé, l’Européen ne peut songer à jouir longtemps de l’intégrité de sa santé.
Ce qui frappe tout d’abord, écrivait M. le docteur Daullé dans sa remarquable thèse sur les maladies de Mayotte, c’est l’unité d’affection. Le fond de la pathologie de cette île est la fièvre intermittente sous toutes ses formes, avec tous ses types, depuis l’accès le plus simple jusqu’à celui qui se termine en quelques heures par la mort. En effet, des mois entiers se passent sans voir dans l’hôpital de Mayotte autre chose que des manifestations de l’intoxication p a l u d é e n n e. [ . . . ] L e s ch a n g e m e n t s a t m o s p h é r i q u e s i n t ro d u i t s p a r l a succession des saisons n’engendrent pas de nouvelles maladies, mais ils ont une grande influence sur leur développement, leur forme, leur type, leur complication et leur degré de curabilité.
Chez plusieurs, la cachexie est très prononcée. Les malheureux, parvenus à cet état, ont encore l’aveugle courage de se dire acclimatés parce qu’ils ont eu mille fois la fièvre et que la fièvre ne les a pas tués ! Voilà ce que c’est que l’acclimatement à Mayotte. La première année se passe facilement, malgré les accès de fièvre souvent nombreux ; mais après cela le sang s’appauvrit, l’intelligence s’use de la même manière que le corps ; les travaux sont pénibles, on est alourdi, paresseux, tout ce qu’on fait est empreint de mollesse ; les sens sont émoussés ; certaines facultés diminuent d’une manière déplorable, la mémoire surtout ; on vit dans une sorte de torpeur ; les fonctions de la vie de relation sont embarrassées de la même manière que celles de la vie organique ; le mouvement vital est constamment attaqué dans sa source.Un seul parti reste à prendre : la fuite ; encore ne faut-il pas trop attendre, car les remèdes échoueraient contre une constitution ruinée, des viscères atones, des muscles inertes et une innervation
Depuis la fin de 1850, l’état sanitaire de Mayotte s’est heureusement modifié ; les affections paludéennes y existent toujours, les militaires, les employés et les colons en sont atteints, tous à peu près ; mais les fièvres pernicieuses, au
“ On vit dans une sorte de torpeur ”
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ayant perdu son rythme physiologique. ” Voilà la vérité sur Mayotte. Est-ce à dire qu’aucun Européen ne puisse y rester ? Non ; il est possible d’y passer quelques années en s’entourant de certaines précautions ; par exemple arriver en mai ou juin ; loger dans une case isolée du sol par une charpente ou un massif de pierres sèches, sur un coteau sec et élevé au-dessus des brouillards des marais et non sur les alluvions insalubres du fond des vallées, comme la plupart des colons ; s’abstenir de toutes sortes d’excès ; se
procurer une nourriture saine et substantielle ; se préserver, autant que possible du soleil, de la pluie et des miasmes condensés des marais pendant la nuit. Avec ces précautions un Européen pourra, sans grand danger, passer à Mayotte trois ans si son tempérament est bilieux, six ans s’il est sanguin, et huit ou dix ans s’il est lymphatique. ”
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DOSSIER
LE COMMERCE “ Mayotte n'est plus une colonie onéreuse pour la France ” “ Il est entré à Mayotte, en 1867, pour 835,754 fr. de marchandises étrangères, il est sorti pour 1.130.227 fr. de produits du pays ; ce qui donne une balance de 294.473 fr. en faveur de la colonie. Il est bon de remarquer que, chaque année, les droits perçus en France à l’entrée des sucres de Mayotte, remboursent largement la Métropole des dépenses qu’elle fait pour sa colonie ; Mayotte n’est donc plus aujourd’hui une colonie onéreuse pour la France. Jusqu’à présent le sucre forme le seul article sérieux d’exportation. Sur les 3.093.500 kil. De sucre produit en 1867 1.711.273 kil. Restaient en magasin au 31 décembre, 252.000 kil avaient été vendus ou livrés en payement à des commerçants Arabes ou indiens établis
à Mayotte, et avaient formé la plus grande partie du fret des boutres allant à Bombay et à Zanzibar. C’est un heureux commencement que le placement de ces sucres dans le pays, car l’objectif des colons doit être de payer les frais d’exploitation avec les produits et de s’affranchir autant que possible des ruineux envois de fonds qu’ils sont obligés de demander à la Réunion ou à la France. Les concessionnaires sont parvenus, grâce, il faut le dire, à l’appui constant du gouvernement, à faire de Mayotte une petite colonie agricole et industrielle dont les valeurs créées représentent aujourd’hui une somme de 6 à 7 millions, et dont le succès est désormais assuré. Elle pourrait même, avec une législation favorable entrer sérieusement en relations avec la côte d’Afrique et Madagascar, et réaliser jusqu’à un certain point les espérances qu’on avait conçues sur son avenir commercial. ”
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DOSSIER
LA JUSTICE “ Les Codes métropolitains, civil, de procédure, d’instruction criminelle et pénal, ont été promulgués à Mayotte, sans aucune modification ; les formalités du Code de procédure offrent de grandes garanties en France mais, à Mayotte, elles sont impraticables et entravent la marche des affaires ; les procès se débattent, sans le ministère d’avoués, d’avocats, ni même d’huissiers spéciaux, entre les parties agissant et comparaissant ellesmêmes, et le plus souvent étrangères à l’étude du droit ; il importe donc d’introduire la plus grande simplicité dans la marche de la procédure et, sous ce rapport, les dispositions du décret du 28 novembre 1866 portant organisation de l’administration de la justice à la Nouvelle-Calédonie, relatives au tribunal de première instance, pourraient être avantageusement appliquées à Mayotte.
M’Sapéré et de Sada, tous musulmans. Il eut été impolitique de laisser à ces musulmans le monopole de la justice indigène sur les Indiens, les Malgaches et les Africains qui ne connaissent pas le Coran, aussi les difficultés entre les diverses classes indigènes sont-elles jugées par le Commandant supérieur en présence des cadis et des chefs de village assemblés en kabar. Cette heureuse institution efface l’action des cadis devant l’autorité du Commandant, et prépare la voie à l’acceptation par les indigènes du tribunal européen, auquel la plupart ont déjà recours pour les affaires purement d’intérêt et contentieuses. ”
“ Ses juges sont les cadis de Pamanzi, de M’Sapéré et de Sada ” Les affaires criminelles sont instruites à Mayotte et transmises à la Cour de la Réunion. Peut-être y aurait-il économie, au lieu de transporter à la Réunion un nombre quelquefois très-grand de prévenus et de témoins, à envoyer un des conseillers de la Cour de Saint-Denis tenir des assises à Mayotte lorsque le cas se présenterait. On y gagnerait aussi, comme effet moral, d’exercer la répression sur le lieu même du crime. Les indigènes sont soumis à nos lois pénales, et justiciables en matière de police des tribunaux européens. On leur a reconnu le droit de faire juger leurs différends civils par des juges indigènes. Ses juges sont les cadis de Pamanzi, de
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L.G
Mayotte Nature Environnement
LA LUTTE CONTRE LES RAVAGEURS DES CULTURES FAIT MOUCHE À MAYOTTE Les 26, 27 et 28 octobre au pôle d’excellence rural de Coconi, le réseau d’innovation et de transfert agricole (RITA) de Mayotte organisait un séminaire de restitution de ses projets 2015-2021. L’occasion pour les différents partenaires de présenter le résultat de leurs recherches et projets innovants. Parmi eux Philippe Ryckewaert et Pierre Baby exposaient leurs travaux sur les ravageurs des cultures à Mayotte. Mouches, papillons, coccinelles… Autant de petites bêtes qui peuvent paraître inoffensives, et pourtant ! Chaque année, les cultures mahoraises sont ravagées par les larves, les cochenilles ou encore les champignons. Que faire pour lutter contre ces fléaux ? Bien souvent, les agriculteurs ont recours aux produits phytosanitaires. Mais à en croire Philippe Ryckewaert, ce n’est pas la bonne démarche à suivre. “En utilisant des pesticides de manière non raisonnée, nous tuons les ravageurs, mais aussi les auxiliaires : des insectes qui ont
un impact positif sur les cultures et qui peuvent repousser les espèces ravageuses”, détaille le chercheur au centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (Cirad). En effet, l’utilisation de la “lutte biologique” semble porter ses fruits dans le 101ème département. Après avoir inventorié les espèces d’insectes présentes sur les cultures et favorisé les ennemis naturels des ravageurs, les résultats sont là : les pertes lors des récoltes sont considérablement réduites et les cultures s’épanouissent.
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UN TRAVAIL EN RESEAU Pour mener à bien ses recherches dans le cadre du réseau d’innovation et de transfert agricole (RITA), le Cirad a travaillé en partenariat avec le lycée agricole de Coconi, la chambre de l’agriculture de la pêche et de l’aquaculture de Mayotte, la direction des ressources terrestres et maritimes de Mayotte et la coopérative des agriculteurs du centre de Mayotte. Ensemble, ils ont créé un réseau d’épidémio-surveillance. “Notre objectif avec ce projet se résume en quatre points : observer, comprendre, agir et transmettre”, détaille Pierre Baby, chargé de mission ecophyto au sein du lycée de Coconi. “Chaque mois, nous publions un bulletin de santé du végétal pour encourager les acteurs à observer les cultures, accompagner les observateurs et communiquer sur les enjeux de l’agroécologie”, explique l’ingénieur. Le travail en équipe au sein du RITA a notamment offert aux différents acteurs une visibilité, un accompagnement et une coordination. Preuve que l’union fait la force, aujourd’hui les méthodes agroécologiques expérimentées au sein de ce projet
depuis 2019 fleurissent et les projets innovants bourgeonnent dans la tête des chercheurs. Après les filets à insectes et les études sur les ravageurs, ces innovateurs projettent de développer la production d’agrumes de qualité sur l’île aux parfums avec un suivi et des expérimentations au champ à partir de 2022. Des projets que l’on espère vivaces sur le territoire. n
LE RITA QU’EST-CE QUE C’EST ? Mis en place dans les départements d’Outre-mer français en 2011, les réseaux d’innovation et de transfert agricole (RITA) visent à accompagner le développement local des productions de diversification animale et végétale dans les DOM. Ils regroupent l’ensemble des acteurs du dispositif “recherche-formation-développement” des départements ultramarins. Leur objectif ? Réaliser des recherches et du développement, des expérimentations, des démonstrations et des transferts afin de répondre aux besoins locaux des professionnels agricoles.
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LITTÉRATURE
LISEZ MAYOTTE
LA BANGA, UNE EXTENSION MATÉRIELLE ET SOCIALE DU VILLAGE
La vie quotidienne à Mayotte, par Sophie Daurel-Blanchy (aux Editions L'Harmattan) Sophie Daurel-Blanchy nous livre le fruit de son immersion dans la vie quotidienne des Mahorais. Au lieu de juger à partir de références extérieures, elle procède par empathie et tente une approche phénoménologique de l'expérience subjective. À travers une analyse du langage et des pratiques sociales, l'auteur cherche à dégager les fondamentaux de la culture commune que partagent les Mahorais. A la lecture de ce livre, il apparaît une société qui multiplie les liens interpersonnels et les formes de sociabilité. (1990)
AGRÉGÉ DE LETTRES MODERNES ET DOCTEUR EN LITTÉRATURES FRANCOPHONES, CHRISTOPHE COSKER EST L’AUTEUR DE NOMBREUX OUVRAGES DE RÉFÉRENCE SUR LA LITTÉRATURE DE L’ÎLE AUX PARFUMS, NOTAMMENT UNE PETITE HISTOIRE DES LETTRES FRANCOPHONES À MAYOTTE (2015) DONT IL REPREND, APPROFONDIT ET ACTUALISE, DANS CETTE CHRONIQUE LITTÉRAIRE, LA MATIÈRE. La Vie quotidienne à Mayotte (1990) apparaît comme un texte de connaissance qui permet de mettre en perspective le texte de plaisir qu’est le texte littéraire. Néanmoins, nous ne prenons pas pour argent comptant tout ce qui se trouve dans l’ouvrage de Sophie Blanchy, un ouvrage dans lequel, selon son essai intitulé Mayotte : identité bafouée (2003) Nassur Attoumani voit des inexactitudes : “ Jwa la tsini qui est, en shimaore, une contraction de jwa la utsini, le soleil est en bas, signifie, en traduction libre, le soleil va se coucher ou plus simplement le soleil couchant, c’est à dire [sic] le sud car en vérité, à Mayotte, le soleil se couche au sud-ouest. Contrairement à ce que note Sophie Blanchy, la traduction française du manuscrit de Cheikh Mkadara par Saïd Ahmed Saïd Ali, sur ce point bien précis, n’est ni maladroite, ni erronée. En vérité, pour les autochtones concernés par les karamu za m’bingo, le terme jwa la tsini comprenait Boueni Hamwanatrindri, Hagnoundrou, Mzoizia et M’boinatsa. ” (p. 50) Nous laisserons chacun juger du bien-fondé de la remarque et de l’ampleur du péché. Voici ce que, dans La Vie quotidienne à Mayotte, on trouve sur la banga : “ Case d’une seule pièce. Case d’adolescent ou de célibataire. Abri construit dans le champ. Banga la upishia : abri construit dans la cour domestique et sous lequel on cuisine. Situées à la périphérie du village, les mabanga sont parfois groupées à plusieurs, formant un quartier de jeunes. ” (p. 213)
Le sens du terme banga est ici sensiblement élargi. Même si l’on part ou presque de l’acception de la garçonnière, la banga est surtout un habitat d’un seul tenant qui peut servir à l’adolescent ou au célibataire, mais aussi à l’agriculteur ou à celui ou celle qui cuisine. Mais ce qui surprend le lecteur de Sophie Blanchy, c’est la place de cette information, dans le glossaire, en fin d’ouvrage. Il convient donc de reprendre la façon dont l’ethnologue conçoit l’habitat à Mayotte pour cerner l’importance réelle de la garçonnière d’adolescent. Dans la première partie consacrée au monde matériel et social dans une perspective culturelle, l’auteur s’intéresse d’emblée à l’espace et concept cardinal de village. En d’autres termes, le mot clef auquel il convient d’articuler la banga est dagoni dont voici une première approche : “ À Mayotte, l’habitat est groupé en villages, entités politiques ayant un nom en propre et possédant au moins une mosquée et un point d’eau potable. Après avoir eu à leur tête, il y a quelques décennies, des ‘chefs de villages’ désignés pour les rapports entre la population et l’administration française, les villages sont actuellement regroupés en dixsept communes ayant élu un maire et un conseil municipal. Chaque village n’en possède pas moins sa structure traditionnelle, un groupe d’anciens, notables et hommes d’expérience, qui sont consultés sur de nombreux problèmes concernant la communauté. ” (p. 29)
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Cette citation permet de retrouver, sous la ville française exogène, le village mahorais endogène. Ce dernier se caractérise par quatre critères : un nom, une mosquée, un point d’eau et un conseil de sages. Dans cette perspective, le dagoni apparaît comme une entité relativement figée alors qu’il n’en est rien : “ L’extension du village se fait de deux façons : vers l’extérieur, à l’occasion de construction des banga (pluriel mabanga, case à une pièce) des jeunes garçons, sur des terrains limitrophes ” (p. 30) La banga apparaît donc comme un moyen d’extension du village en fonction de la démographie, mais aussi de l’agriculture. Elle permet aux jeunes de rester entre eux et aux cultivateurs d’être au plus près de leurs champs : “ Un faux village : le tobe ou village de gratte. Faux car il ne présente aucune caractéristique du village dago, communauté structurée. Situé plus près des lieux de culture, il est fait de cases d’une seule pièce plus souvent que de deux pièces ; généralement pas de cour fermée par une barrière, pas d’éléments (greniers, poulailler, abri-cuisine, voir plus bas l’espace-maison). Ceux qui montent au tobe essayent donc de redescendre le plus souvent possible, et au moins
le vendredi pour la prière commune et quelques achats : il n’y a là-haut ni mosquée, ni boutique. Bien qu’il soit orienté vers la famille, car il soude ses membres dans des activités agricoles intensives, le tobe prive les gens du contact social caractéristique du village. ” (p. 31) Si l’on suit le raisonnement de Sophie Blanchy, le tobe est constitué par un ensemble de mabanga qui réunissent les agriculteurs. Mais cet habitat groupé ne peut prétendre au titre de village – dagoni – à la fois en raison de son absence de commerce, mais aussi et surtout de religion. Par conséquent, de même que le tobe s’oppose au dagoni du point de la structuration sociale de l’habitat, de même, la banga, mise en valeur par toute une littérature, occulte la vraie maison mahoraise, la maison de la femme, qui se nomme aussi, de façon métonymique dagoni, et dont les parties sont : la baraza (varangue), le shanza (cour), le fuko la mutru baba (pièce masculine), le fuko la mutru mama (pièce féminine) et le mraba wa sho (aire de toilette : douche et latrines).
Christophe Cosker
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MAGAZINE D’INFORMATION NUMÉRIQUE HEBDOMADAIRE Edité par la SARL Somapresse au capital de 20 000 euros 7, rue Salamani Cavani M’tsapéré BP 60 - 97600 Mamoudzou Tél. : 0269 61 20 04 contact@mayottehebdo.com Directeur de la publication Laurent Canavate canavate.laurent@mayottehebdo.com Directeur de la rédaction Mohamed El Mounir dit “Soldat” 0639 69 13 38 soldat@mayottehebdo.com Rédactrice en chef Solène Peillard
# 973
Couverture :
1870, Mayotte colonie française
Journalistes Romain Guille Raïnat Aliloiffa Constance Daire Lise Gaeta Axel Nodinot Direction artistique Franco di Sangro Graphistes/Maquettistes Olivier Baron, Franco di Sangro Commerciaux Cédric Denaud, Murielle Turlan Thomas Lévy Comptabilité Catherine Chiggiato compta@mayottehebdo.com Secretariat Annabelle Mohamadi Première parution Vendredi 31 mars 2000 ISSN : 1288 - 1716 RCS : n° 9757/2000 N° de Siret : 024 061 970 000 18 N°CPPAP : 0121 I 92960 Site internet www.mayottehebdo.com
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