Mayotte Hebdo n°983

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DOSE DE RAPPEL Covid-19

Grâce au rappel vaccinal, je renforce ma protection face au virus La dose de rappel permet de renforcer l'immunité et éviter notamment les formes graves de la maladie La vaccination permet de nous protéger individuellement et collectivement et préserver notre territoire d'une nouvelle vague épidémique Elle permet également de conserver son pass sanitaire et donne ainsi la possibilité d'aller au restaurant et dans la plupart des lieux publics et de voyager plus facilement.

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LE DÉLIT DE NAÎTRE AILLEURS Il n'y a encore que trois décennies, sur le bras d'Océan Indien séparant Madagascar de l'Afrique continentale, les individus voguaient librement entre les quatre îles de l'archipel des Comores. Même quand la petite dernière, Mayotte, s'éprend de la France, les familles continuent de se réunir au gré des volontés politiques. Seulement voilà, l’État français et ses gros sabots n'ont pu s'empêcher de piétiner une histoire et un destin communs, érigeant une frontière maritime entre l'île au lagon et ses trois voisines, reléguant ses anciens occupants au rang « d'étrangers en situation irrégulière », de délinquants. Mais les délinquants originels ne seraient-ils pas les dirigeants ? Ceux qui, Français, regardent se noyer des dizaines de milliers de personnes dans les eaux mahoraises, instrumentalisant la peur du peuple ? Ceux qui, Comoriens, pestent contre une détresse et une misère qu'ils ont eux-mêmes entretenu ? Il est de notoriété publique que ceux qui font les lois sont aussi ceux qui les respectent le moins, prendre du recul sur la société française suffit pour s'en rendre compte. C'est ainsi que le cabinet de conseil McKinsey a empoché 496 800 euros de la part du ministère de l’Éducation nationale pour « évaluer les évolutions du métier d'enseignant », alors même que cette profession foule le pavé contre le mépris du gouvernement. La dernière preuve de ce dédain est l'hypocrisie d'Emmanuel Macron au Parlement européen, réclamant l'inscription du droit à l'avortement dans la Charte des droits fondamentaux de l'UE, quelques jours après avoir soutenu la Maltaise et anti-avortement Roberta Metsola à la direction de l'institution. Un paradoxe destiné à l'oubli, aussi sûr que frontière rime avec cimetière. Bonne lecture à toutes et à tous. Axel Nodinot

Qui peut recevoir la dose de rappel ? Toutes les personnes de plus de 18 ans ayant un schéma vaccinal complet

Quand puis-je recevoir ma dose de rappel ? 3 mois après ma dernière injection ou 3 mois après une infection au Covid-19.

Préparez le terrain pour l’Amérique. Les week-ends du 8 au 23 janvier à partir de 14 h

Retrouvez la carte des centres de vaccination sur le site de l'ARS MAYOTTE Pour le moment, même vaccinés, continuons à respecter les gestes barrières

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PMU G.I.E. SIREN 775 671 258 RCS PARIS. © Kalle Gustafsson/TRUNK ARCHIVE.

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Pourquoi une dose de rappel est nécessaire ?

LE MOT DE LA RÉDACTION


TCHAKS LE CHIFFRE

20 millions C'est le montant, en euros, de l'aide « de sauvetage » accordée par l’État français à la compagnie aérienne Air Austral. C'est le mardi 18 janvier que la Commission européenne a approuvé l'octroi de cette aide. Pour la compagnie réunionnaise, c'est la panacée, elle qui a subi des pertes considérables suite aux deux ans de crise sanitaire. « C’est une première étape franchie du travail enclenché il y plusieurs mois, mais au combien encourageante qui nous permet d’aborder une année 2022 décisive pour nous », s'est félicitée Marie Joseph Malé, Président Directeur Général d’Air Austral. La compagnie, qui dessert l'aéroport de Dzaoudzi via sa filiale Ewa Air, avait déjà enregistré une aide sous forme de prêts d'actionnaires de la part de la part de la région de La Réunion. Une manière de permettre à Air Austral d'aborder l'avenir plus sereinement.

LU DANS LA PRESSE

LA PHRASE

“Vous occuperez une fonction aussi utile que prestigieuse"

C'est solennellement que Yann Le Bris, procureur de la République, s'adressait mardi dernier aux 28 nouveaux – et premiers – conseillers prud'homaux de l'île au lagon. Devant MM. Le Bris et Ben Kemoun, président du tribunal de Mayotte, la vingtaine de bénévoles ont prêté serment et signé le procèsverbal officialisant leur statut. Hier, une assemblée élective s'est tenue pour désigner les présidents et viceprésidents des deux sections que sont l'encadrement et l'interprofession. Les 28 conseillers prud'homaux débuteront ensuite leurs missions lors d'une audience d'installation qui aura lieu le 14 février. Délaisser le tribunal du travail, jusqu'ici en vigueur, pour de véritables Prud'Hommes est une avancée considérable pour les travailleurs mahorais, qui se voient dotés d'une instance similaire à celles de tout autre département français.

L'ACTION

Des Jeux des Îles plus fournis, en attendant 2027 Le comité d'organisation des Jeux des Îles 2023, qui auront lieu à Madagascar, désiraient proposer 24 disciplines sportives lors de la compétition. C'est désormais chose faite, à la faveur du Conseil International des Jeux, qui a validé cette proposition. « J'ai accueilli cette nouvelle avec beaucoup de joie ! », s'est réjouit Madi Vita, président du Comité régional olympique et sportif (CROS) de Mayotte. Et pour cause : les 15 disciplines que le CROS souhaitait intégrer à l'édition 2023 ont été retenues. Ainsi, les sportifs mahorais pourront espérer un maximum de médailles, que ce soit en handball, en basket ou encore en pétanque, même si cette dernière est un véritable sport national à Madagascar. Étoffer les Jeux des Îles est néanmoins une très bonne nouvelle, dans la perspective d'une édition 2027 qui pourrait se dérouler à Mayotte.

ILS FONT L'ACTU

Chaque semaine, découvrez le regard porté sur l’actualité locale à travers la presse nationale ou régionale

A MAYOTTE, LE GOUVERNEMENT ESSUIE UN VÉRITABLE CAMOUFLET Le 15 janvier 2022, par Patrick Roger pour Le Monde. Le conseil départemental de l’archipel a émis un avis négatif sur le projet de loi spécifique à l’archipel, rendant très hypothétique le dépôt du texte le 2 février comme initialement prévu. C’est un sérieux revers que vient d’essuyer le gouvernement sur le projet de loi spécifique à Mayotte qui devait être présenté mercredi 2 février en conseil des ministres. Annoncé le 31 mars 2021 par le ministre des outre-mer, Sébastien Lecornu, à l’occasion du dixième anniversaire de la départementalisation de cet archipel de l’océan Indien, il avait fait l’objet d’une vaste consultation préalable avec les élus, les acteurs sociaux et économiques et la population, qui laissait envisager un assez large consensus sur le territoire. Aussi l’avis négatif émis, jeudi 13 janvier, « à l’unanimité », par le conseil départemental de Mayotte prend-il l’allure d’un camouflet pour le gouvernement. Il rend pour le moins hypothétique le dépôt du projet de loi à la date prévue. Celui-ci n’aurait, en tout état de cause, pas pu être examiné par le Parlement avant les élections présidentielle et législatives. Mais, pour l’exécutif, il s’agissait avant tout de « laisser une trace » et de ne pas prêter le flanc aux accusations d’« abandon » régulièrement proférées à son encontre par la dirigeante du Rassemblement national, Marine Le Pen, très active dans ce département confronté à une immigration massive et à des difficultés sociales structurelles, où la candidate s’est encore rendue en décembre 2021. Le ministère des outre-mer dit « prendre acte de l’avis défavorable rendu par le conseil départemental sur

l’avant-projet de loi pour un développement accéléré de Mayotte » mais ne se hasarde pas à faire de plans sur la comète. « Le projet de loi sera présenté au moment politique opportun », se contente-t-il de répondre aux sollicitations du Monde, dissimulant à peine son embarras. Surenchère politicienne Que s’est-il passé entre la consultation du printemps et de l’été 2021, les avis et les propositions transmis à l’époque par les différents acteurs, qui ont largement inspiré l’avant-projet de loi, et le revirement de ce 13 janvier 2022 ? De quels ressorts dispose le gouvernement pour engager, malgré tout, les projets portant sur la lutte contre l’immigration clandestine et l’insécurité, la convergence des droits sociaux, le développement accéléré du territoire, la jeunesse et l’insertion, auxquels s’ajoute un volet organique qui ferait de Mayotte un département-région, au même titre que la Guyane ou la Martinique ? De toute évidence, la surenchère à l’approche des élections législatives qui suivront la présidentielle n’est pas totalement étrangère à la pièce qui s’est jouée le 13 janvier, et surtout la veille, à la mairie de Mamoudzou, la préfecture, l’hémicycle du conseil départemental étant en travaux. Avant de se prononcer en séance plénière, le conseil départemental avait réuni en visioconférence un certain nombre d’associations et de collectifs, dont le très virulent Collectif des citoyens de Mayotte, présidé par la journaliste Estelle Youssouffa, candidate déclarée aux prochaines législatives.

Les basketteurs de Mtsapéré ont rendez-vous ce soir à Alfortville C'est à 22 heures, heure de Mayotte, que le Basket club de Mtsapéré affrontera l'Union sportive Alfortville basket ce vendredi soir, dans le cadre des 16èmes de finale du Trophée Coupe de France. Les joueurs du Val-de-Marne, actuellement premiers de Nationale 3 avec une seule défaite à leur actif, accueilleront donc des Mahorais décidés à en découdre. Le staff du BCM a même demandé à décaler leur dernier match de championnat, afin de ne prendre aucun risque sur les contaminations à la Covid. La tenue de ce match est d'ores et déjà une victoire pour les basketteurs, qui ne savaient pas s'ils allaient pouvoir se déplacer en métropole après la décision de la fédération française de basket-ball, qui avait écarté les équipes ultramarines de la compétition. Heureusement, cette décision a été annulée.

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PORTRAIT

Raïnat Aliloiffa

TAHAMIDA IBRAHIM

LA POLITIQUE POUR DÉFENDRE SES IDÉES Il y a encore deux ans, Tahamida Ibrahim était inconnue du grand public. La native de Chirongui a fait son entrée en politique lors des élections municipales 2020 en devenant adjointe au maire de sa ville. Depuis, elle a pris goût à ce nouveau monde et enchaîne les mandats, puisqu’en juin 2021, elle devient la deuxième vice-présidente du Conseil départemental. Une nouvelle responsabilité qu’elle prend à bras le corps et qu’elle assume pleinement, tout en gardant son authenticité.

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PORTRAIT La porte du bureau de Tahamida Ibrahim ne reste pas fermée très longtemps. La viceprésidente du département enchaine les rendez-vous, certains programmés, d’autres de dernière minute, sans jamais rechigner, toujours le sourire aux lèvres. Elle met un point d’honneur à être accessible même si cela lui prend beaucoup d’énergie et de temps. « Je m’efforce de ne pas prendre la grosse tête. Je veux être toujours présente pour la population, être au plus près d’elle et vivre ce que tout le monde vit à Mayotte », déclare-telle. L’élue n’envisage la politique d’aucune autre manière. Préserver la proximité avec ceux qui l’ont choisie, et même ceux qui ne l’ont pas fait, est important pour celle qui met un point d’honneur à rester fidèle à ellemême. « Je tiens à garder ma simplicité. Dans les locaux du Conseil départemental je suis viceprésidente, à l’extérieur je suis Tahamida, celle qui va au champ avec les autres, qui cuisine dans les mariages », assure-t-elle. Pourtant, la politique et les nouvelles responsabilités qui lui ont été octroyées l’ont bien changée. La politicienne a dû apprendre à faire beaucoup avec peu, une situation qui la pousse à toujours se dépasser. « Les besoins sont là, on nous demande d’y répondre sans forcément nous donner les moyens. Les dotations de l’État ont baissé dans mon domaine alors je dois me débrouiller et cela accroit mon engagement et ma détermination. »

« Quand on me tape dessus, j’encaisse et je vais de l’avant » « La politique, je la vis mais je ne souhaite pas la subir » Il y a deux ans, lorsque Tahamida Ibrahim a fait le choix de s’engager en politique, elle avait une idée en tête. Celle de faire valoir ses idées et ses convictions, parmi lesquelles l’éducation, l’égalité des chances, l’accès au droit, l’environnement ou encore la culture.

C’est d’ailleurs en ce sens qu’elle est désignée adjointe au maire chargée de l’éducation à Chirongui. « La politique, je la vis mais je ne souhaite pas la subir. Il faut que je sois actrice et non observatrice », affirme-t-elle. L’élue ne voulait plus critiquer sans savoir ce qu’il se passe réellement à l’intérieur de ce monde souvent pointé du doigt. Et une fois les pieds dedans, elle réalise que tout n’est pas aussi évident que ça en a l’air. « Quand on y est, on critique moins, parce que les politiciens en font pas mal pour la population », souligne Tahamida Ibrahim.

Si les questions sociétales sont les sujets de prédilection de la quadragénaire, une fois arrivée au Conseil départemental en 2021, elle change son fusil d’épaule et est désignée vice-présidente chargée des finances, des affaires européennes et du numérique. Des secteurs bien différents de ceux qu’elle affectionne. Mais la conseillère départementale accepte de relever le défi. « J’ai eu une autre ambition, j’ai voulu aller plus haut et voir autre chose » explique-t-elle. Et pour être au service de la population, Tahamida Ibrahim a parfois besoin de la solidarité des autres politiciens, qu’importe la couleur politique de chacun. Chose pas toujours évidente à Mayotte. « Parfois on a du mal à être ensemble et faire entendre l’intérêt commun, c’est une réelle difficulté. » Une difficulté qui handicape ceux qui veulent continuer à construire le département, mais la vice-présidente ne baisse pas les bras, son amour pour son île étant définitivement plus fort que tout.

LE SOUTIEN INFAILLIBLE DE SA FAMILLE Tahamida Ibrahim est issue d’une famille profondément socialiste. Mais, alors qu’elle est en métropole pour ses études, l’étudiante qu’elle était se rapproche des idées dites de droite. Lorsqu’elle décide de s’engager en politique, c’est donc tout naturellement qu’elle s’allie avec les mouvements de droite. « Ce n’était pas facile pour mes parents, il fallait leur expliquer, et ils ont compris. Je suis leur enfant donc ils me soutiennent, peu importe mes idées politiques. Le lien familial est sacré. » Son mari est aussi d’un grand soutien. « Il me conseille, me dit de me protéger et de faire

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attention, parce qu’en politique on peut tomber de haut », indique-t-elle. Et lorsqu’elle est sujette à des critiques, son entourage fait front pour la défendre, même si Tahamida Ibrahim y fait face en relativisant. « En politique, la critique est toujours là, mais il faut la vivre de manière positive et savoir

l’accepter. Quand on me tape dessus, j’encaisse et je vais de l’avant. » La vice-présidente du département essaye de toujours voir le verre à moitié plein, un trait de caractère qui la définit depuis sa jeunesse, alors qu’elle n’était que déléguée de classe. S’engager pour les autres, défendre l’intérêt commun, des convictions qui sont innées chez elle et qui la motivent tous les jours. n

Profession : enseignante « Je suis formée pour être enseignante. Je suis institutrice à l’école primaire. Lorsque j’ai commencé mon mandat à la mairie de Chirongui je pouvais continuer à enseigner. Ce qui n’est plus le cas aujourd’hui en tant que vice-présidente du département. J’ai demandé à être remplaçante. »

Sa mère, sa source d’inspiration

« Mes parents m’ont beaucoup inspirée, particulièrement ma mère qui était foundi (enseignante) à l’école coranique. Elle a toujours été dévouée et engagée pour ces enfants et je pense que c’est elle qui m’a transmis cette envie d’enseigner. » La place de la femme en politique « Il faudrait que les femmes osent et s’affirment. On doit prendre des responsabilités et les assumer. Qui a fait Mayotte ? Ce sont les femmes qui l’on mené à bout de bras. Dans les têtes de liste quand il y a des hommes, ce sont les femmes qui sont derrière et qui impulsent alors la femme a toute sa place en politique. »

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DOSSIER

1995 – 2022

27 ANS DE VISA BALLADUR

Pour les uns, c'est un acte primordial du processus de départementalisation de Mayotte. Pour les autres, il est le symbole des milliers de morts ayant tenté la traversée depuis Anjouan. Qu'importe, il demeure certain que le visa Balladur, qui fêtait ses 27 ans ce 18 juillet 2022, aura réécrit l'histoire de l'archipel des Comores. Plongée dans ce récit, aussi mouvementé que les eaux de la zone, au sein duquel l’État français a orchestré le ressac érodant les traditions et le quotidien des individus.

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DOSSIER

Axel Nodinot

POLITIQUE

MAYOTTE RETOMBE SOUS COUVRE-FEU

LE 18 JANVIER 1995, LE VISA BALLADUR, DU NOM DU PREMIER MINISTRE ET CANDIDAT À LA PRÉSIDENTIELLE DE LA MÊME ANNÉE, REDÉFINISSAIT LES LIENS ENTRE MAHORAIS ET RESSORTISSANTS DES TROIS AUTRES ÎLES. D'ORIGINE POLITIQUE, CET ACTE A PERMIS L'ANCRAGE PLUS MARQUÉ DE « MAORE » DANS LE GIRON DE LA FRANCE. MAIS AUSSI L'ISOLEMENT DES HABITANTS DE NGAZIDJA, MWALI ET NDZUANI, AU SEIN DE COMORES FRAÎCHEMENT INDÉPENDANTES ET ÉCONOMIQUEMENT DÉFAILLANTES.

LES 4 STATUTS DE MAYOTTE 1841 – 1975 Colonie française

1976 – 2001

Collectivité Territoriale

2001 – 2011

Collectivité Départementale d'outre-mer

Depuis 2011

Département français 12•

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« Mayotte, aime la ou quitte la », « Touche pas à mon visa », « Respectez votre décision »... Ces phrases, sans concession et parfois violentes, sont tirées des manifestations s'étant déroulées sur l'île il y a quelques années. En 2015, les pancartes fleurissaient suite à une tribune réclamant la fin du visa Balladur, signée par une quarantaine d'associations, de syndicats et de partis politiques. En 2017, les badauds foulaient par deux fois l'asphalte de Mamoudzou. En cause, l'hypothèse d'une gratuité du visa pour les ressortissants comoriens, émise par le Haut conseil paritaire de l'époque. Si ce dernier déclarait que la mesure permettrait de « lutter contre le trafic d’êtres humains, favoriser les mouvements légaux, tarir les passages illégaux et sécuriser les liaisons, aériennes comme maritimes », Annick Girardin, alors ministre des Outre-mer, n'a d'autre choix que le rétropédalage face à la grogne mahoraise. Que l'on y voie la manifestation du désir des habitants de devenir Français, ou une manoeuvre hypocrite ayant

mené des milliers de personnes à la mort, le visa Balladur clive, malgré son origine éminemment politique.

LA VICTOIRE DU LOBBY DES VISAS Le premier visa demandé à un ressortissant comorien à Mayotte remonte à... 1986. Voilà dix ans que « Maore », ancienne colonie française, est devenue une collectivité territoriale, à la suite de l'indépendance des trois îles comoriennes, et d'un second référendum, le 8 février 1976, ayant vu une pluie de bulletins sauvages réclamant la départementalisation inonder les urnes. Le statut de département, depuis plusieurs années, fait saliver les élus mahorais de l'époque, qui veulent être sécurisés par l'Etat français et échapper aux réclamations de l'Union des Comores. Au point de sacraliser la départementalisation, comme l'expliquait Bacar Ali Boto, vice-président du Conseil général en janvier 2007, date de son interview

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DOSSIER

QUI EST ÉDOUARD BALLADUR ?

Malgré sa campagne menée à Mayotte, Édouard Balladur n'atteint pas le second tour de l'élection présidentielle 1995.

Figure de la droite française des années 1980 à 2000, Édouard Balladur a débuté au cabinet du président Georges Pompidou, avant d'occuper les postes de député de Paris et de ministre de l’Économie et des Finances sous François Mitterrand et Jacques Chirac. Mitterrand le nomme ensuite Premier ministre. Il termine troisième de la présidentielle en 1995, derrière Lionel Jospin et Jacques Chirac, ce dernier étant élu. Ayant conseillé de nombreuses personnalités de droite, Nicolas Sarkozy y compris, Édouard Balladur a actuellement 92 ans.

« Mieux vaut pécher, Dieu pardonnera, que s'opposer au département » par le journal Kashkazi : « Quand on est contre, on est banni, c'est un sacrilège. Mieux vaut pécher, Dieu pardonnera, que s'opposer au département ». C'est cet état d'esprit qui pousse les personnalités politiques locales à faire preuve d'un zèle rare pour devenir pleinement Français, quitte à oublier les racines communes des familles des quatre îles, qui circulaient librement jusqu'ici. Se

constitue alors un véritable lobby pour l'instauration de visas entre Mayotte et ses trois cousines comoriennes, dans une volonté de solidification d'une frontière fictive. Au début des années 1990, ce lobby est représenté par trois figures politiques : Henry Jean-Baptiste, député – martiniquais – de Mayotte, Ahmed Attoumani Douchina, président du Conseil général, et Zoubert Adinani, maire de Tsingoni et figure du maintien de Mayotte au sein de la France. Leur parti, le MPM (Mouvement populaire mahorais) devenu MDM (Mouvement pour le développement de Mayotte), vise une « coopération régionale » avec l'Union des Comores, pour que cette dernière cesse de considérer l'île au lagon comme sienne. En gros, une aide financière contre la reconnaissance de Mayotte, sous peine de tourner le dos aux Comores pour la plus souple Madagascar. En 1992, le MDM signe un véritable coup d'éclat lors du référendum portant sur le

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Il en était d'autres, qui débarquaient sur les plages mahoraises avant 1995 : les Comoriens. Souvent membres d'une famille éparpillée sur plusieurs îles, comme le sont traditionnellement les habitants d'un archipel, ils voguaient entre Grande Comore, Mohéli, Anjouan et Mayotte. Sur cette dernière, des restrictions légères existaient déjà. En effet, un visa de trois mois maximum était automatiquement accordé à tout ressortissant comorien, et renouvelable à condition de quitter l'île lors de ces trois mois. C'est peu ou prou la situation à laquelle souhaitaient revenir les gouvernements Sarkozy et Hollande, et celle que défendent actuellement des associations locales, arguant que les Comoriens ne resteraient pas autant à Mayotte s'ils pouvaient y revenir régulièrement.

traité de Maastricht, essentiel dans la constitution de l'Union européenne. Sur les consignes du parti, les électeurs mahorais infligent un exceptionnel 94% d'abstention au référendum.

LE SIMPLE FRUIT D'UNE AMBITION POLITIQUE ? Le gouvernement français, qui veut garder son pied-àterre dans le canal du Mozambique, est bien obligé de s'intéresser à la situation de Mayotte. Un homme, en particulier, se rend compte de l'homogénéité du corps électoral mahorais. Il s'agit d'Édouard Balladur, Premier ministre de droite sous le président de la République François Mitterrand, de gauche. Fort d'excellentes intentions de vote selon les sondages de l'époque, Balladur lorgne également sur l'élection présidentielle de 1995, malgré le soutien de l'UDI et du RPR, les partis de droite, à Jacques Chirac. C'est ainsi en qualité de Premier ministre, mais aussi et surtout de candidat à la présidence, qu'Édouard Balladur se déplace sur l'île au lagon en novembre 1994.

Quoi qu'il en soit, le visa Balladur entre en vigueur le mercredi 18 janvier 1995. Imposant des démarches administratives nouvelles aux habitants des trois autres îles, il matérialise la frontière Mayotte – Comores, née des référendums de 1975 et 1976. Il est aussi une grande promesse faite aux Mahorais, qui voient en ce visa un acquis pour le mouvement de départementalisation. Du côté comorien, il est vécu comme une injustice, et n'aura pas estompé les velléités de certains, revendicant encore et toujours Mayotte. Enfin, du point de vue de ceux qui sont au-dessus des peuples et de leur quotidien, il aura garanti presque 47% des voix de l'île à Édouard Balladur. Celui-ci ne termine néanmoins que troisième de l'élection présidentielle, avec 18,58%, derrière le socialiste Lionel Jospin (23,30%), vers lequel se tourneront d'ailleurs les Mahorais au second tour, et Jacques Chirac (20,84%). C'est ce dernier qui deviendra le président de la République, soutenu par un Balladur répétant le fameux « Je vous demande de vous arrêter » à ses militants, qui huaient Chirac. Et aux Comoriens, dont il ne connaissait sûrement pas grand-chose, leur imposant une frontière mahoraise. n

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DOSSIER

Propos recueillis par Axel Nodinot

ANALYSE

27 ANS QUE LA BALADE DURE LOIN DE N'ÊTRE QU'UNE MESURE ANECDOTIQUE, LE VISA BALLADUR A REMODELÉ LES RELATIONS COMORES – MAYOTTE DANS LA DURÉE. JUSQU'À OBTENIR L'UNE DES PREMIÈRES PIERRES DE LA DÉPARTEMENTALISATION, UN ACQUIS INALIÉNABLE ET DÉSIRÉ PAR LES ÉLUS DE L'ÎLE AU LAGON. MAIS AUSSI TAIRE L'HISTOIRE, CELLE DU QUOTIDIEN DES PEUPLES DES QUATRE ÎLES.

MAYOTTE VS COMORES Population officielle :

280 000 habitants / 870 000 habitants

Superficie :

376 km2 / 2612 km2

PIB :

2,1 milliards d'euros / 1,2 milliard d'euros

PIB/habitant :

8800 euros / 1400 euros

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Le sujet est complexe, sinon tabou. Comme chacun de nos actes, le visa Balladur comporte plusieurs conséquences. Certaines d'entre elles sont cependant difficiles à accepter pour une classe politique et une population qui se sont battues – ou ont vu leurs ascendants se battre – pour la départementalisation. Il tient néanmoins de se reposer sur le fait historique et la proximité géographique, difficilement réfutables. Grande Comore, Mohéli, Anjouan et Mayotte partagent le même islam sunnite chafiite, hérité des lointains princes perses et sultans. La même base linguistique, dont les habitants des quatre îles reconnaissent encore les accents. Lors des beaux jours, Anjouan est visible de Mayotte et vice-versa. Mtsamboro n'est d'ailleurs qu'à 75 kilomètres de Domoni, soit moins d'une dizaine de

plus qu'entre Mtsamboro et le sud de Mayotte. Ce sont tous ces facteurs qui rendent difficile l'appréhension du visa Balladur.

UN ESSENTIEL DIALOGUE FRANCE – COMORES Pourtant, cette obligation d'obtention d'un visa pour les ressortissants comoriens est bel et bien l'une des pierres angulaires du processus de départementalisation de Mayotte. La mobilisation des années 1990, même si instrumentalisée par les élites politiques locales, a été suivie par la population de l'île au lagon, qui voyait en ce durcissement des conditions un moyen de tendre vers le statut de département, mais aussi

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DOSSIER

LE VISA POUR MAYOTTE, UN GROS DOSSIER Une personne comorienne majeure désirant un visa long séjour pour Mayotte au motif de regroupement familial doit fournir : - Une photographie d'identité ; - Un passeport délivré depuis moins de 10 ans, comportant au minimum deux pages vierges, d'une durée de validité supérieure d'au moins trois mois à la date d'expiration du visa sollicité ; - Des originaux et des copies des documents d'état civil justifiant le lien familial ; - Un montant à acquitter de 99€, soit 48 705 francs comoriens environ. Ce dossier s'alourdit encore plus (copies de diplômes, de carte de séjour ou assurance médicale d'un an) si le motif déclaré du candidat au visa diffère.

d'échapper aux revendications de l'Union des Comores sur Mayotte. Car les dirigeants comoriens ne cessent de considérer le 101ème département comme l'une de leurs possessions, appuyant leur argumentaire sur l'illégalité du processus de rattachement à la France. Récemment, néanmoins, un relatif apaisement est ressenti à la tête de l'Union. Son président, Azali Attoumani, laissait paraître en juillet 2021 un renoncement à l'opposition systématique pour privilégier le dialogue. Une semaine plus tard, Jacqueline BassaMazzoni, ancienne ambassadrice de la France aux Comores, se félicitait de cette ouverture. Sans toutefois prôner l'immobilisme sur la question de la frontière mahoraise. « La libération des échanges entre les quatre îles, c’est la clé du succès », avaitelle déclaré lors d'une conférence de presse, arguant que le commerce, notamment, nécessitait un assouplissement des règles administratives pour les ressortissants comoriens. La diplomate française nuançait toutefois son propos en ajoutant que l'on « peut trouver des formules, mais tant que notre

101ème département continuera à être asphyxié au niveau de l’éducation, au niveau de la santé, cela ne sera pas possible ».

DES CONSÉQUENCES DRAMATIQUES L’État français n'hésite donc pas à se reposer sur l'écart économique régnant entre les quatre îles pour continuer sa politique migratoire, alors même que c'est l'appartenance à la France, couplée à une gestion exécrable des dirigeants comoriens, qui a creusé ce fossé. Ce comportement visà-vis des immigrés ne se montre toutefois pas efficace, comme l'ont prouvé Tiziano Peccia et Rachele Meda dans « Les Comores, le Visa Balladur et l’hécatombe au large de Mayotte : une analyse transdisciplinaire de la question complexe des migrations comoriennes » en 2017. Actuellement, entre 15 000 et 25 000 individus en situation irrégulière sont expulsés chaque année de Mayotte vers Anjouan, pour un coût estimé de 50 à 70 millions d'euros par an. Une somme considérable, à laquelle il faut ajouter de nombreux mineurs isolés suite au renvoi de

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leurs parents, et pour lesquels la délinquance semble être l'une des seules voies viables. La plus grande conséquence du visa Balladur reste cependant les milliers de personnes noyées ou naufragées lors de la traversée, obligées de prendre des risques inouïs pour esquiver les intercepteurs de la gendarmerie et de la police aux frontières. Ce « Calais de l'Océan Indien », selon une expression des deux auteurs, aurait mené entre 7000 et 20 000 individus à la mort, des chiffres évidemment difficiles à vérifier. Dernière conséquence

durable du visa Balladur : la fragilité de la situation des Comoriens qui vivent sur l'île au lagon. Leur irrégularité les oblige d'abord à être exploités par des personnes qui sont, elles, en situation régulière, en ayant toujours en tête l'angoisse de la dénonciation et de l'expulsion. Ils doivent ensuite faire face à une « humiliation » de la part de certains, accusant les Comoriens de l'ensemble des maux de l'île. Cependant, une fois ces constats mis sur la table, rien ne dit que la situation serait différente autrement... n

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DOSSIER

Propos recueillis par Axel Nodinot

ENTRETIEN

« EST-CE QUE LES GENS NE VIENNENT PLUS ? »

ENGAGÉE AUX CÔTÉS DES IMMIGRÉS, DES SANS-PAPIERS ET AUTRES DEMANDEURS D'ASILE DEPUIS PLUSIEURS DÉCENNIES, LA CIMADE JOINT LES ACTIONS À SON SLOGAN : « IL N'Y A PAS D'ÉTRANGER SUR CETTE TERRE ». À MAYOTTE, SON ANTENNE LOCALE DÉPLORE LES CONSÉQUENCES DU VISA BALLADUR, AYANT ENTRAÎNÉ DES MILLIERS DE PERSONNES À LA MORT LORS DE LA TRAVERSÉE ANJOUAN – MAYOTTE. DOMINIQUE SÉGARD, CONSEILLÈRE NATIONALE DE L'ASSOCIATION POUR L'OCÉAN INDIEN, EXPLIQUE CE QU'EST AU QUOTIDIEN UNE TELLE MESURE, TOUT EN PRÔNANT UN ALLÈGEMENT DE LA PROCÉDURE POUR RÉDUIRE LA VAGUE MIGRATOIRE.

Mayotte Hebdo : Que représente pour vous le visa Balladur ? Dominique Ségard : Ce que l'on ne dit pas, ce sont toutes les conséquences du visa Balladur, depuis janvier 1995 : les naufrages, le fait que Mayotte se soit transformée en une nasse dont les gens ne bougent plus, la séparation des familles, les deuils... Cela fait beaucoup de choses. Il y a une espèce d'idéologie qui dit qu'il faut préserver Mayotte des autres îles, qu'il n'y a pas

d'autre solution. On ne regarde pas les faits réels, c'est-à-dire toutes les conséquences désastreuses sur les populations. M. H. : Aujourd'hui, est-il difficile d'obtenir un visa pour un ressortissant comorien ? D. S. : C'est très compliqué. Nous avons sans arrêt des personnes qui nous demandent des informations. Il est souvent plus facile d'avoir un visa pour aller en métropole que pour venir à Mayotte, alors que la

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solutions concrètes, agitent comme des épouvantails la peur de l'autre. Les gens s'occupent donc de ça et pas d'autre chose.

« ON NE VOIT ÇA NULLE PART AILLEURS » M. H. : D'ailleurs, où en êtes-vous par rapport au blocage de vos locaux par un collectif ? D. S. : Une plainte a été déposée auprès du procureur de la République. Nous espérons que les autorités vont nous aider à retrouver l'usage de nos locaux, parce qu'on est quand même une association vieille de plus de 80 ans, présente dans l'Hexagone et les départements d'outre-mer, reconnue d'utilité publique et agréée par le ministère de l'Éducation nationale. Dans un pays libre comme la France, ce n'est pas du tout normal que nous soyons bloqués comme ça. Il y aussi des banderoles très diffamatoires. C'est lourd pour les bénévoles et les salariés engagés dans ce mouvement, avec beaucoup de

circulation dans l'archipel est évidemment historique. Il y a énormément de liens familiaux, des mariages, qui nécessitent de circuler. Pour des rassemblements familiaux, qui sont importants, les visas sont très difficilement accordés. À la Cimade, on a des familles séparées, des mineurs isolés, beaucoup de détresse. M. H. : Il y a eu plusieurs tentatives d'allègement des conditions d'obtention du visa, sous les présidences de Nicolas Sarkozy ou de François Hollande. Mais certains Mahorais s'y sont toujours opposés. Comment expliquez-vous cette réticence ? D. S. : Ce que l'on voit, c'est que ce système ne règle rien. Il y a eu des discussions, dans les précédents gouvernements, d'assouplissement. Mais, dès que l'on en parle, ça déclenche des tollés, parce qu'on touche à quelque chose de très idéologique. Sur ce plan, on n'analyse pas concrètement les faits. Est-ce que ça a réglé les problèmes de Mayotte ? Est-ce que les gens ne viennent plus ? Cela, on ne le regarde pas, on reste sur ce schéma, sans aucune réflexion. Je pense qu'il y a beaucoup d'instrumentalisation. Il y a une insécurité sociale, et une insécurité tout court à Mayotte. Ces climats de tensions, souvent, n'amènent pas la sérénité et la possibilité de réfléchir. Il existe aussi des visées électoralistes qui, au lieu de trouver des

« Beaucoup de détresse » courage. Donc nous espérons une protection de l'État par rapport à cela, que l'on puisse fonctionner comme dans les autres départements. On ne voit ça nulle part ailleurs. Mais ça ne nous empêche pas de mener nos activités, on ne les fait pas toutes au local. Du fait de la crise sanitaire, nous fonctionnerions déjà moins dans nos locaux que d'habitude. Mais, à un moment donné, il faut que l'on en retrouve l'usage, sans aller dans une confrontation brutale non plus. Nous voudrions tout simplement que les choses s'apaisent. Je peux concevoir que les gens ne partagent pas nos idées, mais ce n'est pas comme ça qu'il faut fonctionner. Nous, on veut bien parler avec tout le monde. M. H. : Revenons sur le visa Balladur. Depuis sa mise en application, on évoque des milliers de morts entre Anjouan et Mayotte, voire des dizaines de milliers. Comment éviter d'emplir ce véritable « cimetière marin » ? D. S. : C'est très difficile. Nous avons sorti un guide sur les morts et disparus dans l'archipel des Comores,

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DOSSIER

« De toute façon, c'est l'endroit où ils vivent et ils essaieront d'y revenir »

principalement pour aider leurs proches dans les démarches administratives, l'identification des corps, l'organisation des sépultures... Il a été rédigé en français et en shimaoré, pour qu'il soit plus facile à appréhender. Nous avons essayé de chiffrer les personnes décédées, mais c'est très compliqué. On parle toujours des fameux 12 000 à 20 000 personnes, mais la fourchette est vraiment très large. Nous savons qu'à un moment donné, il y a eu énormément de naufrages non-répertoriés, puis un peu moins, parce que les embarcations étaient de meilleure qualité et moins surchargées. Mais le fait d'intensifier les moyens de la police aux frontières fait prendre de plus en plus de risques aux passeurs, et il nous semble donc qu'il y a une recrudescence de naufrages ces derniers temps.

M. H. : L'État a-t-il un rôle dans ces drames ? D. S. : On donne souvent l'illusion, à propos des kwassas, que leurs passagers sont toujours de nouveaux arrivants des Comores, comme une espèce de foule qui viendrait envahir Mayotte. Mais tout le monde sait bien que ce sont des allers-retours, et que plus il y a de personnes expulsées, plus il y en a qui reviennent. Il y a des gens qui ont toute leur vie ici, sans pouvoir être en ordre administrativement. Nous avons même eu des bacheliers qui sont venus passer leurs épreuves en kwassa ! On peut mettre n'importe quel dispositif en place, de toute façon, c'est l'endroit où ils vivent et ils essaieront d'y revenir, en prenant de plus en plus de risques inconsidérés. C'est aussi ça, le visa Balladur : une alimentation énorme des réseaux de passeurs, presque mafieux. M. H. : Vous évoquiez un allègement des règles, pour que les ressortissants comoriens ne s'obligent pas à rester à Mayotte. Seon vous, pourquoi le pouvoir ne s'empare-t-il pas de cette solution ?

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D. S. : C'est ce qui est difficile à comprendre pour nous. On voit qu'il y a un blocage des personnes sur l'île, et qu'on fait tout pour que ça reste ainsi. Le visa empêche la circulation naturelle entre les îles, mais le titre de séjour spécifique à Mayotte empêche aussi les personnes de quitter l'île, même en situation régulière ! Ce titre est renouvelable chaque année, mais il y a des règles spécifiques, et notamment la possession d'une carte résident qui nécessite un revenu que la personne ne peut quasiment pas atteindre à Mayotte. Les gens sont donc bloqués sur l'île, contraints d'y rester. On rend également de plus en plus difficile l'accès à la nationalité aux jeunes ayant passé toute leur enfance à Mayotte, et donc leur liberté de circuler. Ils ne peuvent pas être expulsés, puisque pas expulsables, mais sont eux aussi mis dans la nasse. On a l'impression que les mesures sont faites pour qu'il y ait le plus de personnes sur l'île, sans mobilité possible, et avec des situations sociales qui engendrent évidemment des tensions et des problèmes. On va toujours dans le même sens, pour ne rien provoquer. n

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Abdou Moustoifa

COMORES

VISA BALLADUR : UNE TRAGÉDIE D'UN QUART DE SIÈCLE INSTAURÉ À DES FINS ÉLECTORALES, LE VISA BALLADUR A ÉTÉ PERÇU COMME UNE VICTOIRE PAR LES PARTISANS DU NON-RETOUR DE MAYOTTE DANS SON GIRON NATUREL. MAIS LES HABITANTS DES AUTRES ÎLES INDÉPENDANTES, CONVAINCUS QUE L’ARCHIPEL DES COMORES EST INDIVISIBLE, CONTINUENT À REJOINDRE MAYOTTE, PARFOIS AU PÉRIL DE LEURS VIES. ON ESTIME À PLUS DE 20 000 LE NOMBRE DES PERSONNES MORTES PENDANT LA TRAVERSÉE SOUS LES REGARDS DE LA FRANCE. "Moyens de subsistance insuffisants et absence de volonté de quitter le territoire après l’expiration du visa". Voici les deux principaux motifs notifiés à Ismael Abdou lorsqu’il est venu récupérer son passeport auprès du service consulaire de l’Ambassade de France à Moroni. Début octobre, ce notaire s’est en effet vu interdire l’entrée à Mayotte, une des quatre îles composant l’archipel des Comores. Six ans après la décès de sa mère, il ne pourra donc pas aller se recueillir sur la tombe de celle-ci. Pourtant, il avait réuni tous les documents nécessaires, assuret-il. " Les fiches de réservation de l’hôtel, les

attestions de travail. J’avais tout présenté. Le temps d’organiser un douaa [une prière, NDLR] en la mémoire de maman. J’avais prévu un budget de 3000 euros pour un séjour de six jours. Mais ils ont refusé. C’est incompréhensible", peste Ismael, l’air déçu. Le juriste n’a finalement pas fait le voyage et ne verra donc pas la tombe de sa maman, morte alors qu’il était âgé de seulement 21 ans. Ce récit bouleversant n’a rien d'un scoop. Loin s’en faut. Des cas similaires, on en compte des tonnes depuis que les autorités françaises ont érigé une "barrière

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administrative" il y a déjà 27 ans. Ce mur a un nom : le visa Balladur. Le 18 janvier 1995, le gouvernement d’Édouard Balladur a décidé d’imposer un visa d’entrée aux habitants des autres îles indépendantes qui veulent se rendre à Mayotte, "occupée" illégalement par l’ancienne puissance coloniale, selon les résolutions des Nations Unies. C’est lors d’une visite qu’Édouard Balladur, alors Premier ministre de la République française, a fait l’annonce en espérant conquérir l’électorat de l’île aux lagons. Mais, pour les autorités comoriennes, l’instauration de ce visa est une violation flagrante du droit international. "Une honte" pour la France, pour reprendre les mots de Me Ali Abdou Elaniou, ancien président du comité Maoré.

FIN DE LA CIRCULATION Cette énième frontière érigée par la France a surtout pour but de limiter la circulation des biens et des personnes au sein de l’archipel, officiellement indépendant depuis 1975. " C’est un désastre national, car à cause de ce visa, on a perdu beaucoup de gens dans la mer. C’est une nasse politique tendue aux Comoriens dans le but de les diviser", dénonce Me Elaniou. Natuk Mohamed Mouzaoir, premier secrétaire du parti Ulezi, ne manquera pas d’interpeller lui aussi la France . "Ce visa a été instauré pour mettre fin à la circulation des personnes dans leur propre territoire. Une décision unilatérale dont les conséquences catastrophiques et humaines sont

« C’est une surenchère politique » innombrables. L’État ne peut séparer un peuple, des familles par un visa", a-t-il martelé. Si, trois décennies après, les partisans d’un rattachement de Mayotte à la France s’en réjouissent, le visa Balladur, lui, est considéré comme un "crime", notamment en raison de ses conséquences dramatiques. Actuellement, il est difficile de donner des chiffres officiels. Mais l'on estime à plus de 20 000 les personnes mortes alors qu’elles tentaient de se rendre à Mayotte. "Soit donc 2% de la population comorienne, estimée à un million d’habitants. C’est une hécatombe", tance Mohamed Idriss. D’autres pensent que ce nombre est sous-évalué, dans la mesure où il ne passe pas un mois sans qu’au moins une embarcation ne disparaisse ou chavire. Pas plus tard que le 11 décembre dernier, cinq corps ont été repêchés au large de Mayotte. Officiellement, c’est un naufrage. Cependant, cette version reste largement contestée. La gendarmerie maritime de Mayotte est souvent remise en cause dans ces incidents. Elle est accusée de faire

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Une prière à chaque 18 janvier

ceux qui s’aventurent à la mer. À bord des kwassa-kwassas, ces embarcations de fortune, ils regagnent Mayotte, séparée d’Anjouan par quelque 70 kilomètres. Mais la plupart de ces traversées deviennent périlleuses, faisant des eaux comoriennes l'un des plus grands cimetières maritimes du monde, après la Méditerranée. Car traqués et harcelés en mer par les autorités françaises, les passagers sont obligés d’emprunter des longues et dangereuses routes, parfois au péril de leurs vies. En 2021, la police aux frontières se vantait

temps que les Comores et la France s'assoient autour de la table pour abolir le visa Balladur, car il a causé de nombreux dégâts humains. "Nous sommes un seul peuple composé de quatre îles, et unis par des liens familiaux, linguistiques, religieux et culturels, malgré ce qui se dit ici et là. Ce visa doit arrêter de nous séparer. Il faut que tout le monde puisse circuler librement", a-t-elle plaidé. Un avis que partage Me Elaniou. "Ce sont des hommes qui meurent tous les jours dans ce bras de mer, à cause d'un visa qui n’avait aucune raison d’être. C’est une surenchère politique".

COMPLICITÉ DES ACTEURS MAHORAIS L’ex-président du comité Maoré ajoutera : "C’est une honte pour la France, car elle scinde de façon cynique et inique une population qu’elle sait unie. Mayotte est devenue une aubaine pour toute la classe politique française". Et la première responsabilité incombe à la France, accuse Mohamed Idriss, militant et fervent défenseur de la sauvegarde de l’intégrité territoriale. "Maore a été coupée des autres îles en 1975 pour des affrontements politiciens internes en France. D’abord par un gouvernement centriste mené par Giscard et un parlement dominé par les Gaullistes, remontés contre un gouvernement qui les a éjectés du pouvoir. Ensuite, il y a eu le mur marin, le visa instauré sur fond de luttes politiciennes en 1995", rappelle celui qui est aussi l'un des fondateurs du comité Maore. Si Mayotte a été éloignée, c’est aussi avec la complicité des séparatistes mahorais, poursuivra Idriss. "Les Français les ont utilisé et les utilisent toujours dans leur stratégie d'annexion de l'île", dira-t-il.

couler "sciemment" les embarcations. Car si Ismael Abdou a accepté de tourner la page en refaisant sa vie à la Grande Comore, d’autres concitoyens, motivés par diverses raisons, refusent cette fracture imposée par l’ancienne puissance coloniale.

ABOLIR LE VISA Ceux-ci estiment qu’en tant que Comoriens, unis par des liens de sang, ils ont le droit de circuler librement entre les îles. Et, alors qu'obtenir un visa est quasi impossible, en raison notamment de la paperasse exigée par l’ambassade de France, nombreux sont

d’avoir intercepté 34 kwassas, rien qu’au mois de juin. Pourtant, a rectifié la présidente de Ngo’shawo, contrairement à ce qu’on veut laisser entendre, ces personnes partent pour se soigner dans leur majorité, non pas pour des raisons professionnelles ou par manque de vision. Ngo’shawo – Nouvelle aube en français – est un mouvement citoyen créé en 2006, dans le but de conscientiser la jeunesse comorienne sur les problèmes sociaux, économiques et politiques. Aujourd’hui, il est dirigé par Djabhana Said Ibrahim. Pour cette dernière, il est

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La passivité des gouvernements comoriens, accusés d’être insensibles à ces tragédies, ne peut être ignorée. Non seulement depuis deux ans, les gardescôtes comoriens traquent depuis Anjouan leurs compatriotes qui souhaitent se rendre à Mayotte. Même après le naufrage, il n’y a jamais de réaction de la part des gouvernements, comme si ces milliers de morts n’avaient aucune importance à leurs yeux. Heureusement que des artistes et des écrivains se battent pour que l’histoire ne les oublie pas. Parmi eux, Souef Elbadawi, qui a consacré plusieurs pièces de théâtres au sujet, Saindoune Ben Ali ou encore le poète Anssoufoudine Mohamed. L’association créée par ce dernier, le club Soirhane, a même érigé en 2019 une stèle pour la première fois à Mirontsy, à Anjouan.

RECONDUITS Depuis, une prière est organisée à chaque 18 janvier, date d’entrée en vigueur du visa Balladur, en hommage

aux personnes disparues dans le bras de mer séparant Mayotte et Anjouan. "À l’échelle d’un archipel que l’on dit habité depuis au moins 1000 ans, 27 ans ce n’est rien. Mais si l’on s’en tient à l’humain, le visa Balladur dépasse de loin les 13 000 victimes du massacre de Mahajanga car il génère à ce jour 20 000 morts", a souligné Anssoufoudine Mohamed, qui est également cardiologue. Et comme le visa Balladur ne dissuadait pas, les Comoriens qui réussissent à entrer à Mayotte sont souvent victimes de "persécution". Taxés d’étrangers et de clandestins, ils sont souvent renvoyés à Anjouan. En 2011, 24 278 personnes y ont été reconduites. Si cette situation perdure toujours, c’est aussi parce que les gouvernements successifs comoriens ont capitulé, regrette Mohamed Idriss. "Les dénonciations n’ont jamais été à la hauteur", a reconnu Natuk, qui appelle les responsables politiques à faire de cette question un sujet national et non partisan. Dernièrement, le président Azali Assoumani répétait à qui voulait l’entendre que les Comoriens des autres îles étaient chez eux à Mayotte. Mais derrière, il a accepté d’accueillir ses concitoyens chassés suite à un accord qu’il a signé le 22 juillet 2019 avec son homologue français. Une preuve de reddition, tranche Mohamed Idriss. "Mayotte était punie et isolée. Une sorte de blocus qu'Azali a rompu sous pression française. Depuis, les gouvernants successifs ont capitulé. Azali semble sur le point de reconnaître formellement que Maore c'est la France", regrette-t-il. n

UNE CONDAMNATION DES NATIONS UNIES La déclaration de l'octroi de l'indépendance aux pays, ratifiée le 14 décembre 1960 par la France et d'autres anciens empires coloniaux, explique dans son sixième point que « l'intégrité territoriale des anciennes colonies doit être préservée ». C'est sur ce point que la communauté internationale condamne l’État français vis-à-vis de Mayotte.

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L.G

3,2 TONNES DE DÉCHETS PRIS AU PIÈGE À KOUNGOU DANS DES FILETS RÉVOLUTIONNAIRES Posés depuis une semaine à Koungou et à Pamandzi, de nouveaux filets de ramassage de déchets ont été relevés ce jeudi 20 janvier. Une action portée par le Parc naturel marin de Mayotte, en lien notamment avec les entreprises Pollustock et Enzo Recyclage, qui pourrait s’étendre sur l’ensemble des communes du territoire à partir de 2023. Les déchets ? Quelle plaie ! Pour lutter contre la pollution du lagon de Mayotte, le Parc naturel marin et ses collaborateurs ont imaginé un “pansement”. Des filets en polyéthylène conçus par l’entreprise Pollustock, basée dans les Alpes-Maritimes. Avec une capacité de trois mètres cubes, il aura suffi d’un seul épisode pluvieux pour remplir les mailles de ces dispositifs installés la semaine passée. Après quelques réglages techniques du camion benne d’Enzo Recyclage pour soulever le contenu du filet, le constat est sans appel : pas moins de 3.2 tonnes de déchets ont été récoltés en quelques heures. “C’est un pansement par rapport à une situation qui ne devrait pas exister !”, affirme Fanny Cautain, chargée de mission communication et sensibilisation

au sein du Parc naturel marin. Canettes, bouteilles, sacs plastiques… Les deux filets placés respectivement à Koungou et à Pamandzi attrapent les matières non biodégradables. De quelques mois à plusieurs milliers d'années, ces objets indésirables jouent de manière négative sur l’ensemble de la chaîne alimentaire. D’abord dans les cours d’eau puis dans l’estomac des poissons, les déchets viennent finir leur course dans l’assiette des Mahorais. “100% des animaux marins que nous avons disséqué à la suite d'échouages avaient des microplastiques, voire même des pelotes de matières plastiques dans leurs organismes”, explique Annabelle Djeribi, directrice déléguée adjointe du parc marin. De quoi couper l’appétit !

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Des eaux et débats Financé par la section recherche et développement du plan France Relance à hauteur de 1.2 million d’euros, ce projet regroupe l’achat, la conception, la pose et le relever les filets. Debout devant l’ouvrage situé dans le centre de Majicavo Koropa, Mounirou Ahmed Boinahery, le directeur général adjoint des services à la mairie de Koungou, rappelle l’importance de la gestion des déchets, en particulier dans les quartiers informels. “Il est important de mettre en place des solutions adaptées pour que chacun ait la possibilité d’accéder à des bacs poubelles.” Mais cette innovation ne fait pas toujours l’unanimité. Les riverains restent dubitatifs face à cet immense récupérateur à ordures. “Récolter les déchets, c’est bien, mais j’ai peur que lorsque des encombrants dévaleront le lit de la rivière, celle-ci ne soit totalement obstruée, et que l’eau inonde nos maisons”, s’inquiète

Asma*. Des remarques que les différents acteurs liés au projet ne manquent pas de noter afin d’effectuer un travail à l’écoute et dans l’intérêt des habitants.

Une première à Mayotte Si le projet n’en est qu’à sa phase de test, les différents acteurs mobilisés espèrent obtenir des résultats concluants et étendre le dispositif aux autres cours d’eaux de l’île. “À partir de 2023, les communes seront autonomes dans la gestion des filets et l’enlèvement des déchets”, précise Annabelle Djeribi. En attendant, les mairies peuvent compter sur le soutien du Parc marin et de l’équipe d’Enzo Recyclage pour gérer ces nouveaux outils de dépollution. Un petit geste à l’échelle du territoire qui pourra, on l’espère, faire changer durablement les mentalités… n * le prénom a été modifié

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LITTÉRATURE

LISEZ MAYOTTE

LES CLASSIQUES : UN PREMIER OUVRAGE PLEIN DE SECOND DEGRÉ

Youssouf Saïd, Mayotte, légendes et histoires drôles, éditions UDIR, 1986.

Comportant de nombreuses illustrations en couleur et en noir et blanc, signées Saindou Abdallah, l'ouvrage a été présenté par Sophie Blanchy, tandis que la photo de couverture est signée Laurent Stieltjes.

AGRÉGÉ DE LETTRES MODERNES ET DOCTEUR EN LITTÉRATURES FRANCOPHONES, CHRISTOPHE COSKER EST L’AUTEUR DE NOMBREUX OUVRAGES DE RÉFÉRENCE SUR LA LITTÉRATURE DE L’ÎLE AUX PARFUMS, NOTAMMENT UNE PETITE HISTOIRE DES LETTRES FRANCOPHONES À MAYOTTE (2015) DONT IL REPREND, APPROFONDIT ET ACTUALISE, DANS CETTE CHRONIQUE LITTÉRAIRE, LA MATIÈRE. Savez-vous quel fut le premier manuscrit littéraire francophone publié par un Mahorais ? Il s’agit de Mayotte : légendes et histoires drôles. Cet ouvrage, paru en 1986 sous la signature de Youssouf Saïd, aux éditions de l’UDIR – Union pour la Défense des Intérêts Réunionnais – est un classique ignoré de la littérature de Mayotte, d’autant plus qu’il en constitue l’alpha. Cet ouvrage est reconnu comme tel, notamment par Nassur Attoumani qui le mentionne dans un entretien : « Youssouf Saïd avec Mayotte, légendes et histoires drôles en 1986, son épouse Zaharia Soilihi avec Furukombe en 1990/1991 et moi-même sommes les premiers à écrire à partir de nos îles, loin des maisons d’édition. » (p. 175) Cette reconfiguration de la vie littéraire à Mayotte permet à Nassur Attoumani de se départir d’Abdou Salam Baco, alors étudiant en métropole et de se placer parmi les pionniers de la littérature, aux côtés du couple formé par Youssouf Saïd et Zaharia Soilihi. Mais le rapprochement mérite d’être nuancé parce que Youssouf Saïd est l’auteur d’un hapax legomenon qui, de plus, fait figure d’origine – il est l’homme d’un seul livre et du premier livre – tandis que Zaharia Soihili est collaboratrice de Sophie Blanchy dans deux ouvrages d’édition scientifique des contes de Mayotte, La Maison de la mère et Furukombe, avec, entre autres, N.J. Gueunier, M. Saïd.

Mayotte : légendes et histoires drôles apparaît comme une sorte de transition entre littérature orale et écriture. L’ouvrage présente la particularité de manifester un style qui fait sienne la matière mise en forme par l’auteur. Dans cet ensemble de textes brefs plein d’humour, le premier donne le « la ». Il s’intitule « Comment Mayotte fut placé sous protectorat français » et commence, de manière presque folklorique, par l’explication de l’origine du nom d’un lieu au sud de la Grande Terre, les bwe foro, ou pierres percées. Leur origine coïnciderait avec la colonisation de Mayotte. En effet, lorsque les Français débarquent dans l’île aux parfums, leur obsession est de faire signer un traité. Les Mahorais, circonspects et interdits, répondent aux Français l’interjection qui, en langue vernaculaire, marque – aujourd’hui encore – la surprise : bwi ! Mais les Français, volontairement ou involontairement, entendent « oui » et s’installent dans l’île. Quand les autochtones s’en rendent compte, ils décident d’abandonner la Petite Terre aux colons en partant avec la Grande Terre. Pour ce faire, ils percent des trous dans les rochers du sud de l’île, y passent une corde qu’ils attachent à des pirogues avant de partir en ramant. Mais cette stratégie ne s’avèrera pas payante et il faudra subir les affres de la colonisation. Ce recueil fonctionne comme un réservoir de thèmes dans lequel les écrivains qui

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suivent n’hésitent pas à puiser. Dans le texte intitulé « Parmi les hommes, il y a des animaux », Nassur Attoumani retient la dernière phrase, morale de l’histoire, comme épigraphe à son recueil de Contes traditionnels de Mayotte (2003). Alain-Kamal Martial réécrit l’histoire des animaux d’une basse-cour transformés en autant de filles à marier par un père trop prompt à la promettre à plusieurs hommes. C’est la préface de La Rupture de la chair (2004). On retrouve la dérision de la justice cadiale dans Le Turban et la capote (1997) de Nassur Attoumani, pièce d’abord publiée par Grand Océan, puis reprise par L’Harmattan en 2009. Nous ne résistons pas au plaisir de citer le passage qui fait le sel de cette histoire : « C’est alors que commencent les man?uvres destinées à influencer le jugement définitif. Si la femme se sent

coupable et veut cependant sauver l’affaire, elle demandera à intervenir à nouveau. Usant de tout son charme, prenant des positions provocantes, elle terminera par : Kadi, namua haki ! (Cadi, sois équitable !) Et ces paroles seront appuyées d’un geste du doigt montrant discrètement mais nettement la partie la plus intime de son anatomie qu’elle propose ainsi comme récompense. Si l’homme est avisé et a suivi la scène, il demande lui aussi la parole, et terminant par le même « Kadi, namua haki ! », il claquera des mains, les dix doigts réunis, ce qui veut dire 1.000 F (alifu kumi)… » (p. 36) À suivre….

Christophe Cosker

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MAGAZINE D’INFORMATION NUMÉRIQUE HEBDOMADAIRE Edité par la SARL Somapresse au capital de 20 000 euros 7, rue Salamani Cavani M’tsapéré BP 60 - 97600 Mamoudzou Tél. : 0269 61 20 04 contact@mayottehebdo.com Directeur de la publication Laurent Canavate canavate.laurent@mayottehebdo.com Directeur de la rédaction Mohamed El Mounir dit “Soldat” 0639 69 13 38 soldat@mayottehebdo.com Rédacteur en chef Axel Nodinot

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