Mayotte Hebdo n°985

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DOSE DE RAPPEL Covid-19

Grâce au rappel vaccinal, je renforce ma protection face au virus

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Pourquoi une dose de rappel est nécessaire ? La dose de rappel permet de renforcer l'immunité et éviter notamment les formes graves de la maladie La vaccination permet de nous protéger individuellement et collectivement et préserver notre territoire d'une nouvelle vague épidémique Elle permet également de conserver son pass sanitaire et donne ainsi la possibilité d'aller au restaurant et dans la plupart des lieux publics et de voyager plus facilement.

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Qui peut recevoir la dose de rappel ? Toutes les personnes de plus de 18 ans ayant un schéma vaccinal complet

Quand puis-je recevoir ma dose de rappel ? 3 mois après ma dernière injection ou 3 mois après une infection au Covid-19.

Retrouvez la carte des centres de vaccination sur le site de l'ARS MAYOTTE Pour le moment, même vaccinés, continuons à respecter les gestes barrières


LE MOT DE LA RÉDACTION

UNE LUTTE HARASSANTE La semaine dernière, nous nous attardions sur le sort de la réserve naturelle nationale de l'îlot Mbouzi, et sur l'intenable équilibre que doit tenir Mayotte, entre développement et environnement. Le kashkazi, ou “ saison des pluies ” en français, est cependant une chose naturelle, immuable, que la population est obligée de prendre en compte pour vivre au mieux. L'inondation des rues et des bâtiments privés et publics, le déversement de milliers de tonnes de terre dans le lagon chaque année, chacune de ces conséquences du kashkazi nous prouvent que rien n'a été correctement pensé à ce sujet. À l'image du texte du projet de loi Mayotte, qui a essuyé un avis défavorable unanime de la part du Département, après une année de consultations. Refuser au risque de ne rien avoir, ou accepter pour faire dans la demi-mesure ? Le choix n'en est pas un, pour une population mahoraise qui, faute d'un manque étatique dans tous les secteurs de sa vie quotidienne, meurt chaque jour. Comme cet homme, froidement massacré devant nos locaux cette semaine. C'est maintenant que Mayotte mérite un changement, et d'être traitée avec respect. Le désespoir, dans le 101ème département français, est un vice à la portée de tous, auquel il ne faut pas céder. Car, même si le mouvement est lent, les lignes bougent, à l'image du second hôpital qui verra le jour à Combani. Le défaitisme n'a jamais participé au développement social et économique, amené plus de sécurité, ni favorisé la protection de l'environnement. Bonne lecture à toutes et à tous.

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Axel Nodinot

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TCHAKS L'ACTION

LA PHRASE

+ 54%

Un podcast sur le patrimoine de Mayotte

“ Je ne vois pas comment le gouvernement pourrait poursuivre les discussions ”

C'est l'augmentation des violences sexuelles enregistrées à Mayotte en 2021, selon le service statistique Interstats, dépendant du ministère de l'Intérieur. Le 101ème département français connaît ainsi la troisième plus forte hausse parmi ses pairs sur l'année dernière. Sur la France entière, une augmentation de 33% des violences sexuelles est recensée entre 2020 et 2021. Cette hausse considérable s'explique, selon Gérald Darmanin, par la libération de la parole et une considération plus adéquate des forces de l'ordre de ces violences. Si Mayotte figure donc sur le podium des départements enregistrant les plus grosses hausses de violences sexuelles, il faut néanmoins relativiser, en se rassurant sur le fait que les victimes mahoraises de violences sexuelles et intrafamiliales osent en parler de plus en plus.

La journaliste mahoraise Abby Saïd Adinani anime un nouveau podcast consacré à l'histoire et aux légendes de l'île au lagon. Baptisé “ Halé Halélé ”, ce contenu mensuel s'attarde, lors de son premier épisode, sur le village de Mtsamboro. Mme Adinani a basé son travail sur la collection “ Cahiers des archives orales ”, compilation d'histoires de villageois réalisée dans les années 1990. “ J’ai toujours eu une appétence pour l’Histoire et le patrimoine immatériel, a-t-elle déclaré à Flash Infos. Concernant l’histoire de Mayotte, nous découvrons des choses nouvelles chaque jour et nous avons encore tant à apprendre. ” Pour écouter ces épisodes d'une quarantaine de minutes, qui sortiront tous les derniers dimanches de chaque mois, rendezvous sur les plateformes de streaming, et notamment deux d'entre elles, Spotify et Anchor.

Interrogé par Flash Infos, le sénateur de Mayotte Thani Mohamed Soilihi ne s'est pas montré tendre avec les conseillers départementaux, qui ont émis un avis défavorable unanime sur le projet de loi Mayotte. Le sénateur LREM a exprimé un “ sentiment de dégoût et de frustration ” quant à cette décision, qu'il qualifie également de “ mauvais calcul ” et de “ décision lourde de conséquence ”. Il est en quelque sorte rejoint par Ibrahim Aboubacar, ancien député, Ahmed Attoumani Douchina, ancien président du CD, et Saïd Omar Oili, maire de Dzaoudzi-Labattoir. Les trois personnalités politiques mahoraises ont en effet envoyé une lettre à Sébastien Lecornu et Ben Issa Ousseni pour leur demander de reconsidérer la situation, en s'appuyant sur sept points sur lesquels un consensus serait possible.

LE CHIFFRE

IL FAIT L'ACTU Christophe Cosker juge les auteurs wazungu Si notre chroniqueur littéraire passe encore une fois “ de l'autre côté ”, en publiant aux éditions L'Harmattan son Exotique Mayotte : l’île aux parfums vue par les écrivains wazungu, il n'oublie pas pour autant d'analyser le discours littéraire de l’île de Mayotte. Ainsi, après une étude historique et textuelle des écrivains autochtones lors de ses ouvrages précédents, il se tourne désormais vers les écrivains allochtones. Son nouveau livre embrasse successivement l’aspect positif et l’aspect négatif de l’île, appelés respectivement ombre et lumière, avant une analyse de la manière dont les écrivains réfléchissent sur leur écriture. Agrégé de Lettres Modernes et docteur en littératures francophones, Christophe Cosker est l’auteur de plusieurs ouvrages sur la littérature mahoraise, dont Petite histoire des lettres francophones de Mayotte (Anibwé, 2015), Anthologie des lettres francophones de Mayotte (L’Harmattan, 2018), L’Invention de Mayotte (La Route des Indes, 2019), La Littérature de jeunesse et Mayotte : introduction & guide (L’Harmattan, 2021).

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LU DANS LA PRESSE

Chaque semaine, découvrez le regard porté sur l’actualité locale à travers la presse nationale ou régionale

SANS QUITTER DINARD, ELLE A SCRUTÉ LES EAUX DE MAYOTTE Le 27 janvier 2022, par Marie Lenglet pour Ouest-France.

Ce n’est pas banal. Depuis Dinard (Ille-et-Vilaine), une jeune scientifique a étudié la profondeur d’une zone marine, à Mayotte. Et ses recherches sont suffisamment novatrices pour figurer dans la revue scientifique Remote Sensing. Sans compter qu’elles intéressent la Nasa, l’agence spatiale américaine ! Récapitulons. Alyson Le Quilleuc a 24 ans et elle est Malouine. “ Je suis née au bord de la mer et elle m’a toujours fascinée. Après le lycée, je me suis orientée vers une école d’ingénieurs, à Brest, qui proposait un cursus en hydrographie et en océanographie, expliquet-elle. Pour valider mon master de géophysique marine, je devais effectuer un stage de fin d’études de six mois. ” Son choix se porte alors, début avril 2021, sur une offre de stage de la station dinardaise de l’EPHE (École pratique des hautes études), ayant trait à l’élaboration de cartes d’habitat marin. Mais le sujet va bien au-delà… Deux satellites utilisés “ En 2018, la Nasa a lancé un satellite dédié à l’étude de la cryosphère et de la biosphère terrestre. Mais, ce satellite, Ice Sat 2, est muni d’un laser vert dont la Nasa s’est rendu compte qu’il était capable, en pénétrant la surface de l’eau, de fournir des données de bathymétrie, pour certains points précis ”, développe Alyson Le Quilleuc. Par bathymétrie, comprenez la profondeur. Alyson Le Quilleuc s’est servie des données d’Ice Sat 2 mais les quelques points fournis sur la zone marine concernée – à Mayotte – ne lui suffisaient pas pour construire une carte. Elle a donc croisé ces données avec les images optiques d’un autre satellite, Pléiade 1 : “ Ce sont des images à bandes spectrales, avec plusieurs longueurs d’onde. On peut en déduire une carte de bathymétrie à condition de calibrer celle-ci avec quelques points pour lesquels on a une mesure précise. ” Les fameux points obtenus grâce à Ice Sat 2.

Des résultats probants “ Ce travail démontre que l’on peut tout à fait étudier la bathymétrie à distance. On savait déjà le faire mais les images de Pléiade 1 sont plus précises, pose la scientifique. Les résultats obtenus ont pu être comparés avec une campagne de levés réalisée entre 2003 et 2010,à Mayotte, par le service hydro national. Ils sont bons. ” La technique utilisée par Alyson Le Quilleuc permet donc d’établir des données de bathymétrie fiables dans des endroits difficiles d’accès ou dans lesquels le déploiement de moyens plus traditionnels (sondeurs multi-faisceaux, Lidar bathymétrique aérien,…) est trop onéreux. “ Or la bathymétrie est un paramètre qui sert à l’élaboration d’autres cartes ”, fait-elle remarquer. Dont des cartes d’habitat marin. “ Ces recherches intéressaient la Nasa car ils voulaient savoir quelles difficultés j’ai pu rencontrer pour avoir accès aux données d’Ice Sat 2mais aussi parce qu’ils vont sans doute travailler sur ces possibilités, en matière de bathymétrie, et que toute étude à ce sujet est bonne à prendre, glisse la Bretonne. En tout cas, ces travaux ont été passionnants pour moi ! ” Une cartographie des crépidules Désormais en contrat pour quinze mois au centre de géo-écologie, la voilà qui planche sur deux projets bien différents mais tout aussi intrigants : “Je travaille à la cartographie du plateau des Roches Douvres (entre Jersey et les îlots de Bréhat) mais aussi à celle des crépidules – une espèce invasive de petits mollusques – en baie du Mont-Saint-Michel. ” Cette fois, elle a la possibilité d’aller sur le terrain et elle utilisera donc des techniques plus traditionnelles, pour gagner en précision. Mais il n’est pas dit qu’elle ne confronterait pas certains des résultats trouvés au large de Jersey aux données d’Ice Sat 2, si par le plus grand des hasards, il en venait à survoler la zone…

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PORTRAIT Nora Godeau

EMMANUEL GENVRIN

“ SABENA ” : LE DESTIN SULFUREUX DE 3 FEMMES DE L’OCÉAN INDIEN Sorti il y a déjà quelques mois, “ Sabena ” est le deuxième roman d’Emmanuel Genvrin, le fondateur du fameux théâtre Vollard de La Réunion. Il conte l’histoire sulfureuse de Faïza, une jeune Comorienne rescapée du massacre de Majunga de 1976 et qui, réfugiée tout d’abord à Moroni, puis à Mayotte, transmet son traumatisme à sa fille et sa petite fille. À travers l’histoire de ces femmes que la folie frôle de ses flammes, c’est tout un pan de l’histoire et des traditions de la région sud-ouest de l’océan Indien qu’Emmanuel Genvrin aborde, en le mêlant à une narration haletante et à un sens de la psychologie certain.

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PORTRAIT “ Sabena ”. Si ce titre n’évoque bien souvent rien de plus qu’un simple prénom dans l’esprit de la plupart des gens, c’est qu’il se réfère à une époque par trop oubliée de l’histoire. Le massacre des Comoriens de Majunga en 1976 fait pourtant partie des heures les plus sombres de Madagascar. Tout est parti d’un incident en apparence anodin : le 19 décembre, un enfant de l’ethnie malgache Betsirebaka s’est permis de déféquer dans la cour d’un Comorien. Ce dernier, indigné, a “ corrigé ” l’enfant en le barbouillant avec ses excréments. L’incident, pour désagréable qu’il soit, aurait pu en rester là. Mais c’était sans compter sur les traditions des Betsirebaka, pour lesquels l’acte du Comorien a constitué une forme de “ sacrilège innommable ” et a déchaîné une folie meurtrière à l’encontre de la communauté comorienne installée de longue date à Majunga. Pendant 3 jours, les Betsirebaka ont pourchassé les Comoriens dans toute la ville afin de les massacrer à l’arme blanche sans autre forme de procès. Si les chiffres exacts des morts n’ont jamais été établis avec certitude, ils varient entre 800 et 2000 selon les sources. Les rescapés du massacre ont été rapatriés aux Comores par la compagnie aérienne belge Air Sabena, d’où le sobriquet attribué aux réfugiés et donc le titre du roman d’Emmanuel Genvrin. “ Ayant un oncle malgache, j’ai toujours été attiré par l’histoire de Madagascar ”, affirme l’homme de théâtre récemment devenu écrivain. “ En 1977, lors d’un trajet en train entre Paris et Caen, j’ai lu un article dans Le Monde relatant le massacre de Majunga et cela m’a extrêmement choqué. À la fois par la barbarie en soi de ces actes, mais également par le fait de découvrir que les habitants des anciens pays colonisés pouvaient s’entre-tuer. A cette époque, j’étais jeune et je manquais de connaissances, mais ma génération avait tellement été élevée dans l’idée que la barbarie n’émanait que “ du méchant colonialiste blanc ” que le récit de ce massacre de Comoriens par une ethnie malgache m’a beaucoup surpris. Le monde était donc bien moins manichéen que ce que mon éducation m’avait laissé entendre ”, raconte Emmanuel Genvrin. Ce n’est toutefois que 40 ans plus tard, à l’occasion de la tournée de promotion à Madagascar de son 1er roman, “ Rock Sakay ”, en 2017, que l’auteur a eu l’idée de s’intéresser de plus près à cette période de l’histoire en enquêtant directement auprès des

personnes qui ont vu l’événement se dérouler sous leurs yeux. L’idée du roman “ Sabena ” a donc commencé à germer dans l’esprit de l’auteur à cette époque. Il ne lui restait plus qu’à en trouver les protagonistes.

3 générations de femmes traumatisées Si le roman prend sa source dans le massacre de 1976, il raconte également l’histoire de trois générations de femmes dont l’auteur a puisé les modèles psychologiques au sein de la société. “ Les dernières découvertes faites en épigénétique ont démontré d’une manière scientifique que les traumatismes vécus par une personne marquaient son ADN et pouvaient donc se transmettre d’une génération à l’autre ”, explique Emmanuel Genvrin. La première femme traumatisée de son roman est Faïza, une Comorienne de Majunga dont la mère a été tuée pendant les événements et qui a été elle-même violée et blessée avant d’être paradoxalement sauvée par son bourreau. Rapatriée à Moroni par Air Sabena en même temps que les autres réfugiés, sa beauté sombre et envoûtante attire l’attention de Bob Denard en personne à La Rose Noire, une boîte de nuit célèbre que fréquentaient les mercenaires français des années post-coloniales. N’osant repousser ses avances, la jeune Faïza lui cède et de leur union fugace naît une enfant, Habiba, dite Bibi. A travers cette fiction, Emmanuel Genvrin en profite pour évoquer la chaotique histoire postcoloniale des Comores et le rôle ambigu qu’a joué la France en plaçant le mercenaire Bob Denard dans l’ombre de “ présidents fantoches ”. Si l’histoire de Faïza est naturellement fictive, il n’en reste pas moins que le mercenaire a eu de nombreux enfants lorsqu’il “ régnait ” sur les Comores. Dans le roman, lorsqu'il est chassé fin 1989, il envoie l’héroïne et sa fille à Mayotte, où il a des contacts, pour lui offrir une nouvelle vie, à l’abri du chaos politique des Comores. Le lecteur découvre alors l’île aux parfums des années 90 où Habiba grandit dans l’ombre d’une mère qui, déçue par la vie et frôlant la folie, ne s’occupe guère d’elle. “ Ces personnages de belles femmes au caractère sombre m’ont été inspirées par une adolescente mahoraise dont j’ai eu à m’occuper lorsque je

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Echati à Mayotte, la fait venir à La Réunion pour l’assister dans ses activités délictueuses.

Une solution à mi-chemin entre la psychologie et la sorcellerie “ Dans ce roman, les mères n’élèvent pas leurs filles, mais ces dernières nourrissent une profonde admiration pour elles et veulent leur ressembler. Même dans leurs aspects les plus sombres ”, affirme Emmanuel Genvrin. C’est finalement Echati, la dernière fille de la lignée, qui apportera un certain apaisement au traumatisme originel. Envoyée en foyer après l’arrestation de sa mère, elle tombe sur un psychologue qui avait connu sa grand-mère Faïza du temps où elle vivait à Moroni. Elle le convainc alors de partir à sa recherche, Faïza s’étant enfuie à Majunga après un accès de folie, où elle a tout simplement disparu sans laisser de trace. travaillais comme psychologue à l’APECA de La Réunion [ancien foyer pour mineurs difficiles, NDLR] ”, raconte Emmanuel Genvrin. “ Elle était sublime, mais terrifiante et entretenait des relations destructrices avec les hommes. C’était comme si elle avait été victime d’un mauvais sort ”, se rappelle l’écrivain. Ses sources d’inspiration sont toutefois multiples puisque Bibi, une fois adulte, devient une “ reine de l’arnaque ” sur l’île Bourbon. Une situation directement inspirée d’un personnage réel, Sitti Soumaïla, célèbre arnaqueuse mahoraise qui a sévi plusieurs années à La Réunion. “ Elle a été régulièrement jugée, mais comme elle séduisait à chaque fois le juge, elle n’a été mise en prison qu’en 2012 après avoir fait face à une femme ”, se souvient le réunionnais d’adoption. Sitti Soumaïla sévissait en compagnie de sa fille qu’elle appelait “ sa nièce ” pour ne pas dévoiler son âge aux hommes qu’elle escroquait. Exactement comme le personnage de Bibi dans le roman qui, après avoir abandonné sa fille

Après l’avoir retrouvée, errante et n'ayant plus conscience de sa propre identité, le psychologue et sa petite fille se lancent dans une quête de guérison en utilisant les traditions rituelles situées à mi-chemin entre l’islam et l’animisme malgache. Une particularité typique de la région, où règne un syncrétisme issu des différents peuples installés par couches successives sur ces îles. Objet d’une sorte d’exorcisme, Faïza en sort non pas guérie, mais apaisée, comme si “ le djinn ” qui était en elle s’en était allé. Une explication à laquelle adhèrent les protagonistes de l’histoire. Pas forcément l’auteur, qui demeure sceptique sur le sujet et ne manque pas d’évoquer la dimension psychosomatique des choses, formation de psychologue oblige. On sent toutefois poindre une certaine ambiguïté à ce sujet chez cet auteur aux origines multiples, de Madagascar à Haïti, des îles où la croyance aux mondes invisibles reste profondément ancrée…n

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DOSSIER

KASHKAZI

MAYOTTE DÉBORDE

Ces dernières semaines, les rues et routes de Mayotte se trouvent inondées d'eau, de boues et de déchets. Si la saison des pluies, “ kashkazi ” en shimaoré, se reproduit chaque année comme son nom le suggère, on peut néanmoins s'interroger sur ses conséquences, qui frappent elles aussi les Mahorais tous les ans. On ne compte plus le nombre de bâtiments inondés, d'incidents sanitaires, de dégâts environnementaux. Alors que la saison cyclonique se raccourcit et promet de plus en plus d'eau à Mayotte, les problématiques sont, comme les responsabilités, plurielles.

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Gwen Le Bigot

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DOSSIER

Raïnat Aliloiffa

ENVIRONNEMENT

“ L’ENNEMI NUMÉRO UN D’UNE ROUTE, C’EST L’EAU ” LE RÉSEAU ROUTIER DU 101ÈME DÉPARTEMENT DE FRANCE EST SOUVENT AU COEUR DES PRÉOCCUPATIONS DES HABITANTS, NOTAMMENT EN SAISON DES PLUIES, PÉRIODE DURANT LAQUELLE LES ROUTES SONT INONDÉES PAR L’EAU NON ÉVACUÉE. SOUSDIMENSIONNEMENT DES FOSSÉS, ENTRETIEN DIFFICILE À RÉALISER, LES CAUSES DE CE FLÉAU SONT NOMBREUSES, MÊME SI DES SOLUTIONS EXISTENT POUR RÉSOUDRE LE PROBLÈME. C’est devenu une habitude. À chaque saison des pluies, certaines routes de Mayotte deviennent quasiment impraticables à cause de l’eau qui stagne sur la voirie. La principale cause de ce problème est l’assainissement pluvial, qui n’est plus à la hauteur du développement des villes. Les fossés réalisés il y a des décennies correspondaient à un environnement naturel, avec peu de constructions autour. L’eau s’infiltrait donc naturellement dans la terre, mais l’époque a changé. “ Nous avons un environnement plus urbain autour des routes et les réseaux d’eaux pluviales ne sont plus en adéquation avec la réalité d’aujourd’hui ”, explique Christophe Trollé,

directeur adjoint de la Direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement, la DEAL. De plus, l’aménagement urbain ne suit pas la progression démographique, en particulier celle des bidonvilles. “ Il n’y a pas du tout de gestion pluviale dans ces endroits. Chacun construit comme il veut et l’eau suit des chemins qui n’ont pas été prévus. C’est ce qui crée les désordres sur les habitations et les routes ”, ajoute le directeur adjoint de la DEAL. D’autres facteurs viennent s’ajouter à cette problématique, notamment le curage des

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“ Chacun construit comme il veut et l’eau suit des chemins qui n’ont pas été prévus ”

fossés qui n’est pas toujours bien réalisé. “ Le défaut de curage des réseaux d’évacuation des eaux de pluies, le défaut de continuité des réseaux et celui d’élagage le long des voies… Le défaut de surveillance du réseau pendant les épisodes pluvieux, il n’y a pas d’analyse des points sensibles. Tout cela explique ce phénomène ”, reconnaît Salime Mdere, le premier vice-président du Conseil départemental en charge de l’aménagement du territoire, des infrastructures et du foncier.

COMMENT SORTIR DE L’IMPASSE ? “ L’ennemi numéro un de la route, c’est l’eau ”, indique Christophe Trollé. Alors comment faire pour que la pluie ne soit plus un obstacle ? Lorsque l’on aménage une ville, il est important de créer un réseau d’assainissement pluvial suffisamment dimensionné qui prend en compte

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le climat tropical, où l'on a généralement de fortes pluies. Il est également primordial de les entretenir. Les routes nationales et départementales sont entretenues par la DEAL avec un budget de cinq millions d’euros par an. “ L’Etat fournit les moyens

humains et matériels, le Département assure l’immobilier et du matériel ”, précise le premier vice-président du conseil départemental. Les routes communales sont la responsabilité des communes ou des intercommunalités, et c’est là tout le problème, car “ elles n’ont

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pas forcément les moyens ”, selon le directeur adjoint de la DEAL.

“ Ça n’est pas insupportable mais cela nécessite de dimensionner tout un réseau de gestion pluvial ”

Les autorités doivent aussi maîtriser l’eau qui provient des hauteurs, dont le circuit a été modifié à cause de constructions sauvages. “ Ça n’est pas insupportable mais cela nécessite de dimensionner tout un réseau de gestion pluvial ”, indique Christophe Trollé. Les autorités veulent investir dans la voirie. À travers le contrat de convergence, l’État octroie 31,5 millions d’euros pour réaliser des travaux sur les routes nationales. Le département met également la main à la poche. “ Pour les années à venir 2022-2025, une enveloppe de 30 à 35 millions d’euros est à prévoir afin de lancer, en plus de l’entretien classique des routes et de leurs dépendances, les opérations de sécurisation des traversées d’agglomérations ” assure Salime Mdere. Malgré cet apport financier, nul ne peut assurer la fin des inondations des routes en saison des pluies. Les différents responsables des réseaux routiers ont-ils réellement la capacité de les entretenir en bonne et due forme ? C’est la question cruciale, qui n’a pour l’instant pas de réponse. n

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DOSSIER

Axel Nodinot

LOGEMENT

PLAFONDS ET LOCATAIRES PLEURENT AVEC LA SAISON DES PLUIES S'ACCUMULENT LES INFILTRATIONS D'EAU DANS LES LOGEMENTS MAHORAIS, QUI MANQUENT BIEN SOUVENT AUX NORMES DE CONSTRUCTION EN VIGUEUR. LES RISQUES DE MOISISSURES ET D'INCIDENTS ÉLECTRIQUES SE DÉMULTIPLIENT ALORS, SANS QUE LES GESTIONNAIRES NE S'EN PRÉOCCUPENT CEPENDANT. C'EST LE CAS D'AÏDA* ET DE SES ENFANTS, EN DANGER À CHAQUE FOIS QU'IL PLEUT. Son fils s'est fait électriser en allumant la lumière, et a failli mourir d'une crise d'asthme due à l'humidité. Voilà les pires étapes du calvaire d'Aïda, locataire d'un appartement SIM (Société immobilière de Mayotte) dans la commune de Mamoudzou. Voilà deux ans qu'elle vit là, dans un logement qui aurait tout de charmant si le plafond ne s'émiettait pas à chaque épisode de pluie. Et, en plein kashkazi, autant dire que le quotidien n'est pas de tout repos, comme le rappelle Nizar Assani Hanaffi, président d'Action Logement à Mayotte : “ La saison des pluies est assez compliquée pour les Mahorais dans leur habitation. Le logement mahorais est souvent le produit de l'autoconstruction, peu de normes sont suivies. Il subit donc les intempéries, du fait de l'insalubrité ”. Les bâtiments publics ne sont pas épargnés : les bureaux de la Cadema étaient impraticables l'année dernière, la mairie de Pamandzi, inondée, a fermé en janvier, et certaines pièces du Centre

hospitalier de Mayotte ont également été victimes des eaux.

“ MAMAN, J'AI SENTI DU COURANT DANS MES DOIGTS ” Mais ce sont bien les particuliers qui vivent les situations les plus critiques. Chez Aïda, en saison des pluies, la rigueur est de mise. Devant sa douche, un pan entier du plafond tombe morceau par morceau, laissant l'eau s'écouler dans la bassine placée là par la mère de deux enfants, mais aussi le long du mur, jusqu'à tomber directement sur l'interrupteur de la salle de bain. Il y a quelques jours, son fils s'est électrifié en tentant d'allumer la lumière. “ La dernière fois, j'ai entendu mon fils crier, donc je lui demandé ce qu'il se passait, témoigne-t-elle. Il m'a dit “ Maman, j'ai senti du courant dans mes doigts ”. Ce jour-là, on a été obligés de prendre un balai pour allumer la

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Chez Aïda, des morceaux de plafond tombent à chaque fois qu'il pleut.

lumière, ce n'est pas normal ! ” Autre problème, de taille : les difficultés respiratoires de son fils, qu'elle a bien failli perdre. “ J'en ai ras-le-bol, se désespère Aïda. Mon fils est asthmatique, l'humidité est vraiment dangereuse pour lui. Un soir, j'ai été obligée d'appeler le SAMU, qui a contacté le CHM pour qu'il soit pris en urgence. Là-bas, on m'a dit que j'avais eu de la chance de venir à temps ! ” Le personnel soignant a en effet dû administrer une centaine de bouffées de ventoline au jeune garçon, qui continue néanmoins de souffrir à chaque ondée. Se sentant concerné par la situation, un voisin alerte même la SIM pour mise en danger. Interrogé sur les dégâts des eaux provoqués par la saison des pluies, Ahmed Ali Mondroha, directeur de la Société immobilière de Mayotte, affirme que ses équipes “ essaient d'intervenir ” en cas de sinistre. “ De toute façon on n'a pas le choix ”, ajoute-t-il. Et pourtant. “ J'ai envoyé des mails, des courriers en recommandé avec accusé de réception, expliquant la situation, enrage Aïda. Ils n'ont jamais envoyé qui que ce soit. Je leur ai demandé de me trouver un autre logement, même plus petit, ça n'a jamais été fait. Ils se foutent vraiment de moi. J'ai fait des vidéos. On m'a dit “ Madame, on est au courant de votre situation mais on n'a pas de solution ”. ”

LA SIM ÉGALEMENT DÉBORDÉE La locataire, éligible aux logements sociaux, a même submergé de demandes la société lorsque celle-ci construisait de nouvelles résidences près du stade de

Cavani. “ Du jour au lendemain, tous les bâtiments étaient occupés, déclare-t-elle. On m'a dit qu'ils étaient réservés ! J'occupe un de leurs logements et je suis en difficulté, je suppose que je suis prioritaire, non ? ” L'incompréhension est totale chez la mère de famille, qui est épuisée de ces déboires : “ Ils me laissent pourrir ici avec mes enfants ”. Si Olivier Gauttron, directeur du patrimoine et de la gestion locative au sein de la SIM, pondère en abordant les difficultés de gestion causées par les copropriétés, le lot d'appartements dans lequel réside Aïda n'en est pas une. “ C'est sûr, on a quelques trous dans la raquette ”, avoue-t-il néanmoins, conscient que la société immobilière ne peut faire face à toutes les demandes. “ Les remplacements de toitures sont compris dans nos investissements, explique-t-il. On essaie d'anticiper, ce qui n'est pas toujours facile, car certaines toitures se dégradent beaucoup plus vite que prévu. Ça perturbe les prévisions, et modifie la programmation de travaux. ” Les équipes de la SIM vient ainsi au gré des urgences, courant après les délais, laissant les locataires dans l'attente, voire dans la détresse. “ Pour les infiltrations dans les toitures, nous avons des contrats de travaux avec des artisans de Mayotte, et nous pouvons envoyer un couvreur en urgence, en attendant que l'on remplace la toiture, continue Olivier Gauttron. Aïda, quant à elle, attend depuis deux ans cette intervention d'urgence. Comme tant d'autres Mahorais, “ trous dans la raquette ” vivant au quotidien avec des trous dans les murs ou les plafonds. n *Le prénom a été modifié.

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Raïnat Aliloiffa

ENVIRONNEMENT

ENVASEMENT ET DÉCHETS MENACENT LE LAGON LA SAISON DES PLUIES EST SUPPOSÉE ÊTRE UNE BÉNÉDICTION POUR MAYOTTE, QUI SOUFFRE CHAQUE ANNÉE DE SÉCHERESSE. POURTANT, AU FIL DES ANNÉES, CETTE PÉRIODE EST DEVENUE UN VRAI FLÉAU POUR L’ENVIRONNEMENT, ET NOTAMMENT POUR LE LAGON. LES TONNES DE DÉCHETS ET DE BOUE QUI SE DÉVERSENT LORS DES FORTES PLUIES NUISENT À L’ÉQUILIBRE DES ESPÈCES MARINES. LES ASSOCIATIONS ENVIRONNEMENTALES MONTENT AU CRÉNEAU ET MULTIPLIENT LES ACTIONS POUR FREINER CE PHÉNOMÈNE QUI PREND DE L’AMPLEUR, MAIS LEURS EFFORTS NE SUFFIRONT PAS SI LES AUTORITÉS NE PRENNENT PAS DE MESURES FORTES. Pendant la saison des pluies, l’eau bleu cristalline et turquoise de la mer qui fait le charme de Mayotte est effacée par une couleur marron qui encercle les côtes de l’île. Un phénomène qui se répète chaque année. Mais à quoi est-ce dû ? Il s’agit tout simplement de la terre provenant des champs et des chantiers de construction, emportée par la pluie se déversant en mer. “ Les zones les plus responsables du départ de cette terre sont les zones urbaines, parce qu’elles sont proches du littoral, et donc, quand il y a de la

terre qui s’en va, elle arrive directement dans les ravines et ensuite dans le lagon. Il n’y a aucune possibilité de l’arrêter entre-temps ”, explique Jean-François Desprats, ingénieur au Bureau de recherches géologiques et minières et chef du projet Leselam, lancé en 2015 pour lutter contre l’envasement et l’érosion. En réalité, le problème n’est pas tant le développement de ces zones urbaines, mais les constructions qui se multiplient et qui ne sont pas faites dans le respect de l’environnement et ne sont pas contrôlées.

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Les chantiers ne sont pas l’unique cause de ce drame, les zones agricoles ont également une part de responsabilité. L’agriculture à Mayotte a largement évolué au cours des trente dernières années et le modèle historique du jardin mahorais a disparu pour laisser place à des monocultures de bananes et maniocs principalement. “ On retrouvait sur une même parcelle tout un tas de cultures différentes, cela protégeait le sol en permanence pendant la saison des pluies. Avec les pratiques agricoles actuelles et les parcelles de plus en plus en pente quand il pleut violemment, la terre glisse et va directement dans les ravines puis descend en mer ”, précise le professionnel. À cela s’ajoutent les déchets qui font également leur chemin jusque dans le lagon sans être arrêtés à temps. Sans grande surprise, “ ils proviennent principalement des quartiers dits informels parce

qu’ils n’ont pas d’infrastructures pour la gestion des déchets ”, assure Latufa Msa, chargée de mission à la Fédération mahoraise des associations environnementales. Les conséquences de l’envasement et des déchets qui atterrissent au fond des eaux mahoraises sont graves, et parfois irréversibles. “ Il y a une trentaine d’années, on pouvait pêcher du poisson et des poulpes depuis la plage. Aujourd’hui, l’habitat naturel de ces espèces n’est plus. Pour qu’il y ait du poulpe, il faut qu’il y ait du corail, et la première bande de corail qu’on avait à Mayotte est devenue de la boue ”, dénonce Ali Madi, le président de la FMAE. Il faut donc aller toujours plus loin pour pouvoir pêcher, mais également pour voir des dauphins et autres espèces marines, qui sont de plus en plus difficiles à apercevoir.

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20tonnes 000 de terre par an dans le lagon

“ LA GESTION DE NOTRE TERRITOIRE FAIT QUE LE KASHKAZI EST UNE CATASTROPHE POUR MAYOTTE ” Tout cela est le résultat d’un manque de considération envers l’environnement de la part de la population et des autorités. “ La gestion de notre territoire par les citoyens et les institutions fait que le kashkazi est une catastrophe pour Mayotte. Les élus et l’État ont démissionné de cette mission de préservation de l’environnement ”, accuse le président de la FMAE, particulièrement agacé par tant de laxisme. La gestion des déchets incombe

aux communes. Celles-ci ont délégué cette compétence au SIDEVAM 976, le syndicat intercommunal d’élimination et de valorisation des déchets de Mayotte. Mais, selon Ali Madi, “ il n’y arrive clairement pas. ” Une partie de la population a également une part de responsabilité, puisqu’elle semble peu préoccupée par le phénomène, même lorsque les communes mettent les moyens. À Koungou par exemple, la ville a mis en place des filets dans les caniveaux pour retenir les déchets. Mais les habitants ont rapidement manifesté leur mécontentement. “ Des riverains disent que les déchets retenus provoquent des inondations dans leurs maisons, ils veulent donc casser les caniveaux pour que l’eau circule ”, indique Ali Madi. Et cela l’inquiète, puisque les quelques solutions proposées ne semblent pas être efficaces. Quant à la boue, les institutions sont encore une fois en ligne de mire. “ D’un côté, il y a les particuliers qui construisent et qui ne sont pas suivis ni aidés pour faire les choses dans les règles. Et de l’autre côté, il y a les remblaiements qui continuent dans les zones humides. Le plus inquiétant dans tout cela, c’est que rien n’est fait pour se réveiller ”, déplore le président de la FMAE, qui réclame des sanctions fortes pour dissuader les plus récalcitrants.

DES PETITES ACTIONS MENÉES POUR RÉGLER UN PROBLÈME MAJEUR 20•

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“ Le plus inquiétant c’est que rien n’est fait pour se réveiller ” Les associations environnementales sont les plus investies dans la lutte contre les déchets en mer. La FMAE les accompagne à mettre en place des actions en faveur de la protection de l’environnement. “ Souvent, ce sont des actions de nettoyage. Avant le début de la saison, on nettoie certains quartiers, et on le fait aussi à la fin de la saison ”, précise Latufa Msa, la chargée de mission de la fédération. Mais est-ce réellement efficace ? Il n’est pas rare de voir des déchets réapparaître seulement quelques jours après une séance de nettoyage. “ Ces actions sont efficaces parce qu’elles permettent de diminuer les déchets ”, assure Latufa Msa. Mais elles ne sont pas suffisantes. La population doit être sensibilisée pendant encore des années pour qu’il y ait un réel impact. Cela passe par les maraudes de sensibilisation qu’effectuent les membres de la FMAE, mais également à travers l’éducation des enfants, qui doivent comprendre l’intérêt de la préservation de l’environnement dès le plus jeune âge. “ Malgré tout ce travail fait en amont, sans les

infrastructures adéquates, on aura toujours le même problème dans quelques années ”, rappelle Latufa Msa. La FMAE travaille avec le Parc naturel marin pour empêcher les déchets de se déverser dans le lagon. Ils mènent une expérience avec trois communes qui ont installé des filets à certains endroits stratégiques pour les retenir. “ Il y a trois sites visés, Ourovéni à Combani, Sada, et Koungou. Mais si Koungou a joué le jeu, on n’a pas de retour des deux autres ”, regrette le président de la FMAE. De plus, ce projet ne peut être efficient que si “ d’autres mécanismes, notamment de gestion des eaux pluviales, ou de reboisement, sont menées par les autorités. ” En 2012, en constatant les dégâts que faisaient l’envasement sur le lagon, la DEAL a mis en place une feuille de route qui a pour objectif de mettre en place des projets pour lutter contre l’érosion. Le projet Leselam est donc lancé en 2015, il est dirigé par le BRGM et le constat fait sur le terrain est sans appel. “ On a montré en 2018 qu’il y avait 20 000 tonnes de terre par an qui arrivaient dans le lagon. Il y a 40 ans c’était à peu près 5000 tonnes ”, rappelle Jean-François Desprats, ingénieur au BRGM et chef du projet Leselam. Des mesures ont été mises en place pour limiter le phénomène. Si elles sont respectées, en 2035 on devrait redescendre à 15 000 tonnes. En revanche, “ si on continue à faire n’importe quoi dans les zones urbaines et dans les zones agricoles, on augmenterait l’érosion de 20% et on passerait à plus de 25 000 tonnes de terre dans le lagon chaque année ”, avertit l’ingénieur. De quoi alerter les autorités, qui doivent plus que jamais prendre le problème à bras le corps. Le lagon de Mayotte est connu pour être l’un des plus beaux au monde, il ne faudrait pas qu’il perde de sa superbe. n

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DOSSIER

Propos recueillis par Axel Nodinot

ENTRETIEN

“ LES DÉGÂTS SERONT CATASTROPHIQUES ” LES INTENSES VENTS ET PLUIES QU'A CONNU L'ÎLE AU LAGON CES DERNIERS JOURS ÉTAIENT LA CONSÉQUENCE DIRECTE D'ANA, PREMIÈRE TEMPÊTE TROPICALE DE LA SAISON CYCLONIQUE 2021-2022. CETTE DERNIÈRE SE RACCOURCIT D'ANNÉE EN ANNÉE, SELON LAURENT FLOCH, QUI ÉVOQUE AUSSI BATSIRAI, CYCLONE MENAÇANT MADAGASCAR. SUR LE LONG TERME, LE DIRECTEUR TERRITORIAL DE MÉTÉO FRANCE À MAYOTTE PRÉVOIT AINSI DE PLUS FORTES PLUIES EN DÉBUT D'ANNÉE SUR L'ÎLE AU LAGON. Mayotte Hebdo : La semaine dernière, Mayotte a connu un épisode de forts vents et pluies dû à la tempête tropicale Ana. Comment s'annonce la saison cyclonique cette année ?

moitié environ se transforme en cyclones. Cette année, on est dans une prévision moyenne, légèrement au-dessus, donc potentiellement une douzaine de systèmes dont six se transformeraient en cyclones.

Laurent Floch : Nous avons constaté dès novembre un retard du début de la saison des pluies, et également de la saison cyclonique. Il y a une tendance assez claire sur ce retard, y compris dans les dizaines d'années à venir, même s'il n'interviendra pas tous les ans. Mais la période ne se déplace pas, elle se raccourcit. La saison cyclonique a effectivement commencé très tardivement, on n'a pas vu ça depuis 50 ans. Habituellement, un système pointe son nez dans l'Est du bassin fin novembre – début décembre. En moyenne, une dizaine de systèmes peuvent naître dans le bassin qui est sous la responsabilité de Météo France, c'est-à-dire une sorte de rectangle entre l'équateur et le 60ème parallèle Sud et entre les côtes africaines et le 90ème parallèle Est. La

M. H. : C'est le cas de Batsirai ? L. F. : Le premier système de la saison, Ana, ne s'est pas transformé en cyclone, et a atterri sur les côtes mozambicaines au stade de tempête tropicale modérée. Le cyclone Batsirai, lui, est en cours d'activité sur le Nord-Est des Mascareignes. Il y a malheureusement des terres habitées sur sa trajectoire, dont Saint-Brandon, chapelet d'îles au Nord de Maurice. Nous n'anticipons pour l'instant pas d'impact direct ni sur La Réunion, ni sur Maurice, qui vont quand même le sentir passer. L'impact sur Madagascar fait peu de doutes, surtout qu'il rencontre des conditions favorables à son développement. Il fait donc aussi peu de doutes qu'il fera des dégâts considérables sur Madagascar. Mayotte n'a

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Batsirai, premier cyclone de la saison, devrait toucher Madagascar.

quasiment aucun risque d'être directement touchée. Indirectement cependant, un tel système va quand même déformer les isobares à très grande distance, il va piloter la circulation du vent sur Mayotte et potentiellement des précipitations.

et des trajectoires plus standard que les années précédentes, où l'on avait des trajectoires Ouest – Sud-Ouest. Si les cyclones naissent au milieu du bassin, potentiellement, ces trajectoires pourraient donc rencontrer des terres habitées.

M. H. : Est-ce que des systèmes aussi intenses qu’Éloïse, l'année dernière, sont à prévoir cette année ?

M. H. : Quelles conséquences concrètes aura ce raccourcissement de la saison cyclonique sur le territoire mahorais ?

L. F. : Nous n'avons pas de visibilité sur les cyclones, à l'échelle d'une saison, à ce stade de la science. On peut juste anticiper une zone située plus à l'Ouest

L. F. : Si la saison cyclonique se raccourcit, les quantités de précipitations ne faiblissent que très peu, de l'ordre de moins de 10%. Avec le changement

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“ On n'a pas vu ça depuis 50 ans ” climatique, et une situation que l'on a adapté à la région, on voit par exemple une diminution de 40% dans 40 ans. Ça a déjà commencé. Le premier trimestre, et toute la saison de recharge, de janvier à avril, risque d'être plus intense en termes de précipitations. Cette année ressemble beaucoup à ce qui est projeté dans les modèles de changement climatique.

UN RADAR MÉTÉO À MAYOTTE POUR 2025 M. H. : Depuis le début de la saison des pluies, on voit régulièrement des rues et des logements inondés. Quels dispositifs existent pour prévenir de fortes pluies ? L. F. : Le fait qu'il y ait des fortes précipitations à Mayotte, ce n'est pas un phénomène nouveau. Mayotte est le troisième département le plus arrosé de France, après La Réunion et la Guyane, et devant les Pyrénées-Atlantiques. Nous sommes donc sur des précipitations importantes, et sur quelques mois. On a des plans ORSEC qui couvrent ce risque naturel. Deux plans ORSEC nous concernent : le “ plan événements météorologiques dangereux ” et le “ plan cyclones ”. Ils sont rédigés par la préfecture en étroite collaboration avec Météo France.

Donc les conseils de comportement donnés par la préfecture le sont en fait par Météo France. M. H. : Quels sont ces conseils ? L. F. : Lors des pluies torrentielles, il y a effectivement des comportements de bon sens à mettre en ?uvre. Ne pas se situer à proximité d'une ravine, par exemple, d'une rivière qui sort de son lit lorsqu'il pleut. En ville, des travaux sont au cours pour améliorer l'évacuation des eaux pluviales, mais on sait qu'il y a d'autres endroits où il ne faut pas laisser sortir ses enfants pour qu'ils jouent dans les caniveaux. C'est la première chose à diffuser. M. H. : Les meilleures réponses ne se trouveraient-elles pas dans la prévention ? L. F. : Au niveau des actions à mener pour améliorer la prévention, nous menons en ce moment une action phare, celle de terminer une étude sur l'implantation d'un radar météo à Mayotte. C'est le seul département qui ne dispose pas d'une couverture radar. Il faut trouver le bon équilibre entre la protection de l'environnement et la construction de dispositifs essentiels pour la protection des personnes. En 2018, la commission sénatoriale aux risques naturels avait identifié le besoin d'un radar météo à Mayotte. En 2019, Météo France et la DEAL ont impulsé une étude. On arrive au terme de cette étude, et nous avons privilégié le site de La Vigie, en hauteur, pour avoir une visibilité à 360 degrés. On espère avoir une livraison en 2024. Il y a ensuite six mois environ de calibrage, grâce à des pluviomètres au sol, que nous sommes en train de mettre en place sur Grande Terre. Cela nous donnera environ trois heures d'anticipation sur les précipitations et les vents, ce que nous n'avons pas aujourd'hui. L'idée est d'avoir une livraison opérationnelle début 2025. Il servira aussi pour les systèmes dépressionnaires, puisque la question

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En janvier 2021, le cyclone Éloïse dévastait Madagascar et le Mozambique.

“ Mayotte est le troisième département le plus arrosé de France ”

n'est pas de savoir si l'on va avoir un cyclone à Mayotte, mais de savoir quand. M. H. : Le risque est-il élevé ? L. F. : Nous sommes incapables de dire si ce sera cette année, l'année prochaine ou dans dix ans. Le dernier date de 1986, il y avait moins de 100 000 habitants à Mayotte [environ 70 000, NDLR], et il y a eu 10 000 sans-abris. Aujourd'hui, compte tenu de sa population grandissante et de ses constructions précaires, mais aussi du relief de l'île, les dégâts seront catastrophiques. n

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L.G

21 000 NOUVEAUX BACS À ORDURES À MAYOTTE Depuis quelques semaines, le syndicat intercommunal d’élimination et de valorisation des déchets de Mayotte (Sidevam 976) déploie plus de 6.000 nouveaux bacs poubelles individuels et collectifs sur l’ensemble du territoire. Près de 15.000 autres doivent rejoindre le 101ème département dans un avenir proche. Un objectif fixé en 2020 par les bureaux d’études Scorval et Ecobox à la suite d’un état des lieux de la collecte des déchets ménagers et assimilés. Ce mardi matin, alors que Saïd se réveille au pied du manguier qui fait face à sa maison, une drôle d’espèce à pousser… Fini les deux bennes trouées et débordant de détritus, place à une grande poubelle de 240 litres flambant neuve ! Un moyen d’éviter que les déchets terminent leur course dans le lagon ? C’est ce qu’espère en tout cas le président du Sidevam 976, Houssamoudine Abdallah. “Nous avons réfléchi en partenariat avec les communes et les intercommunalités afin de répartir efficacement de nouveaux bacs sur l’île”, prévient le maire de Sada. Détériorée par le temps, brûlée, insuffisante et ou tout simplement inexistante, il était urgent de donner une cure de jouvence à la flotte. Au total, le Sidevam 976 compte acquérir pas moins de 21.000 bacs. Et ainsi répondre efficacement à la prolifération des déchets et leur gestion, sur une île où la démographie est en constante expansion. Des points de collecte et de nouveaux véhicules

À Sada, le service en charge de la propreté urbaine se réjouit déjà de ces nouvelles dotations. “À l’heure actuelle, nous avons reçu 80 bacs. Au quotidien, nous accompagnons le Sidevam et nous collectons les déchets là où ses employés ne peuvent pas passer”, explique Maheme, le chef de ce service au sein de la municipalité du centre-ouest. Présents sur le terrain du lundi au vendredi, la vingtaine d’employés municipaux ramassent, nettoient et vident les corbeilles disposées dans les rues. Un travail non négligeable, mais qui reste encore insuffisant pour certains habitants. “Les camions poubelles passent le lundi, le mercredi et le vendredi, mais dès qu’ils sont en panne les déchets s’accumulent”, commente Asma, une habitante de la ville en question. Une problématique dont les équipes du syndicat intercommunal d’élimination et de valorisation des déchets de Mayotte sont bien conscientes et qu’elles espèrent régler

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cinq à dix tonnes supplémentaires par secteur”, se félicite Houssamoudine Abdallah. Un motif d’espoir donc pour le syndicat qui a de nombreux projets pour l’année à venir avec notamment des travaux de médiation et de sensibilisation. De plus, la consigne pourrait bien faire son grand retour dans les épiceries mahoraises. L’objectif ? Responsabiliser la population. Une feuille de route bien chargée et un long chemin à parcourir vers une Mayotte plus propre… n

dans les mois à venir. “Depuis 2020, nous travaillons à notre structuration. Aujourd’hui, de nombreux projets arrivent à maturité et seront bientôt déployés”, affirme Houssamoudine Abdallah. Après le déploiement des bacs poubelles, le Sidevam 976 prévoit l’aménagement de points de collecte pour optimiser le ramassage des ordures ménagères, mais aussi l’acquisition de véhicules qui devraient rejoindre ceux déjà en service d’ici fin 2023.

Entre 5 et 10 tonnes supplémentaires par secteur Si pour certains, l’achat de nouveaux bacs à ordures n’est qu’une goutte d’eau dans un océan de détritus, à en croire le Sidevam 976, les effets se font déjà ressentir. “Au mois de janvier 2022, nous avons constaté une augmentation du nombre de déchets collectés. Entre

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LITTÉRATURE

LISEZ MAYOTTE

LES CLASSIQUES : MAYOTTE, BRIBE D'EMPIRE COLONIAL AGRÉGÉ DE LETTRES MODERNES ET DOCTEUR EN LITTÉRATURES FRANCOPHONES, CHRISTOPHE COSKER EST L’AUTEUR DE NOMBREUX OUVRAGES DE RÉFÉRENCE SUR LA LITTÉRATURE DE L’ÎLE AUX PARFUMS, NOTAMMENT UNE PETITE HISTOIRE DES LETTRES FRANCOPHONES À MAYOTTE (2015) DONT IL REPREND, APPROFONDIT ET ACTUALISE, DANS CETTE CHRONIQUE LITTÉRAIRE, LA MATIÈRE.

Abdou Salam Baco, Brûlante est ma terre, éditions L'Harmattan, 1991.

"Brûlante est ma terre" est un récit autobiographique au long duquel le jeune auteur évoque, parfois avec ironie, les rapports entre "wazungu" (Blancs) et "baco" (Autochtones), l'effervescence du climat politique à Maoré dans les années 70, l'excès de sévérité des instituteurs, etc. Bref, l'auteur nous restitue ici la vie quotidienne des Maorais, les us et coutumes d'un peuple qui a peutêtre une identité française, mais une âme certainement africaine. Un roman plein de chaleur, l'un des premiers écrits sur l'île aux parfums, où l'ambiance des innombrables fêtes prime malgré tout sur les turpitudes qui sont le pain quotidien des peuples dits sous-développés.

L’autre classique dont nous souhaiterions immédiatement parler est Brûlante est ma terre, publié par Abdou Salam Baco, en 1991, dans la collection “ Encres noires ” de L’Harmattan. Ce roman, deuxième texte édité de la littérature de Mayotte, a marqué les esprits à la fois par sa position chronologique et idéologique. En effet, il fit scandale. Isabelle Mohamed, libraire à Passamainty et témoin privilégié de l’histoire littéraire récente de l’île, rappelle les faits dans un article paru en 2011 sous le titre “ Écrire à Mayotte : entre excès et asphyxie ” : “ Abdou Salam Baco, jeune auteur révolté ou croyant l’être, provoque chez le public un sentiment très partagé voire singulièrement hostile. Lors de la parution de Brûlante est ma terre, qui retrace le vécu d’un jeune garçon et pose la question des relations entre les Mahorais et les “ blancs ” dans les années 1970, les lecteurs qui font l’opinion du moment, entendons les “ wazungu ”, se sentent attaqués et refusent de prendre la mesure de ce qui est un témoignage nécessaire et une parole obligée dans un espace comme Mayotte. ” (p. 145) Ouvrons donc le livre pour voir ce qu’il en est. L’histoire commence par une évocation idyllique, par un jeune enfant, de la vie à Mayotte, entre moissons, fêtes musulmanes et tam-tam b?uf. Mais ce paradis de l’enfance est bientôt détruit, non seulement parce que l’enfant prend de l’âge et prend davantage conscience du monde qui l’entoure, mais parce qu’il grandit à Mayotte, à l’époque de la perspective de l’indépendance comorienne,

moment où l’île aux parfums se déchire en deux camps : d’un côté les soldats partisans de Mayotte française, de l’autre les serrer-la-main, partisans de Mayotte comorienne. Et la violence entre opposants est féroce. Il nous semble que c’est là le n?ud le plus douloureux du livre. Mais il est vrai que le colon en prend également pour son grade, comme le montre cette boutade : “ C’est quoi un colon ? – C’est un m’zoungou qui se prend pour Dieu dans un autre pays que le sien ” (p. 67). Il semble donc qu’il y ait à Mayotte problème entre les baco – mahorais – et les wazungu – métropolitains parce que les premiers ont l’impression d’être floués par les seconds qui occupent les places de pouvoir. Nous reviendrons à plusieurs reprises et plus longuement sur le terme mzungu (singulier)/ wazungu (pluriel) pour comprendre les enjeux liés à ce mot qui désigne une catégorie humaine. Le roman autobiographique culmine dans un épilogue qui prophétise que la France ne départementalisera jamais Mayotte, hypothèse devenue contrefactuelle : “ Debout là, au milieu de cette foule, de tous ces “ wazoungou ” rigolards, enivré par les paroles de mon Sage, je n’avais qu’une seule envie : apostropher Monsieur le ministre et lui faire part de tout ce que Soufou et la vie m’avaient appris ; mais avant que je n’eusse le courage de risquer une telle entreprise, Monsieur le ministre s’envola vers la Métropole, laissant derrière lui sa signature – une de plus – de ce qui fut jadis le fameux empire français et

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emportant avec lui toute illusion quant à une éventuelle départementalisation de l’île, illusion sans laquelle beaucoup d’entre nous ouvriraient peut-être un peu mieux les yeux pour voir la douce et cruelle vérité en face. ” (p. 131) Mais c’est moins l’aspect idéologique du roman, qui présente néanmoins un grand intérêt documentaire sur l’ambiance à Mayotte à l’époque de l’effervescence indépendantiste que sur l’aspect stylistique que nous aimerions terminer cette chronique. Car le style d’Abdou Salam Baco, parfois critiqué, nous paraît mériter une réhabilitation, notamment à la lecture du beau prologue de Brûlante est ma terre, belle évocation de Mayotte en princesse de conte de fée. Nous laissons le lecteur savourer le passage :

“ Tout au bout du wharf crasseux se dresse un poteau en béton au bout duquel luit jusqu’au petit matin un fanal rouge. Tous les soirs, un vieux, gauchement et paresseusement assis sur son vélo, parcourait quelques kilomètres pour aller allumer ce qui, depuis des années, guide les navires dans cette île perdue au milieu de l’immense océan indien. […] Car un beau jour, effectivement, un géant passait par là ; enchanté par les merveilles de ce paradis terrestre, mais aussi hanté par l’envie de compenser une perte qu’il venait d’essuyer dans sa lutte pour bâtir un empire, il décida de s’y installer. Depuis ce paradis est devenu son royaume, écartant de son chemin, d’une façon machiavélique, tous ceux qui ont essayé de mettre fin à son règne : c’est l’étranger au paradis. ” (p. 11) Christophe Cosker

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MAGAZINE D’INFORMATION NUMÉRIQUE HEBDOMADAIRE Edité par la SARL Somapresse au capital de 20 000 euros 7, rue Salamani Cavani M’tsapéré BP 60 - 97600 Mamoudzou Tél. : 0269 61 20 04 contact@mayottehebdo.com Directeur de la publication Laurent Canavate canavate.laurent@mayottehebdo.com Directeur de la rédaction Mohamed El Mounir dit “Soldat” 0639 69 13 38 soldat@mayottehebdo.com Rédacteur en chef Axel Nodinot

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Couverture :

Kashkazi : les conséquences

Journalistes Axel Nodinot Romain Guille Raïnat Aliloiffa Lise Gaeta Direction artistique Franco di Sangro Graphistes/Maquettistes Olivier Baron, Franco di Sangro Commerciaux Cédric Denaud, Murielle Turlan Comptabilité Catherine Chiggiato compta@mayottehebdo.com Première parution Vendredi 31 mars 2000 ISSN : 1288 - 1716 RCS : n° 9757/2000 N° de Siret : 024 061 970 000 18 N°CPPAP : 0121 I 92960 Site internet www.mayottehebdo.com



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