Mayotte Hebdo n°987

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LE MOT DE LA RÉDACTION

ENTRE DEUX FEUX "Toute la journée, les jeunes carburent à la chimique". L'ensemble des quelque 200 000 jeunes de Mayotte, qu'on vous dit. Que Le Parisien vous dit, plus exactement. Le quotidien francilien a en effet profité des avant-premières de "Tropique de la violence" pour publier un pamphlet catastrophiste sur l'île au lagon, véritable ramassis de chiffres gonflés et de faits divers sordides ressassés mille fois, repris avec gourmandise par les nauséeux Valeurs actuelles et Fdesouche. Comment résumer Mayotte à cela, alors même que le début de l'article donne la parole à une jeune femme apostrophant Manuel Schapira, le réalisateur : "Vous ne croyez pas que ça donne une trop mauvaise image ?". La vérité sort de la bouche des jeunes, qui n'oublient pas les trois meurtres atroces commis en trois semaines sur l'île, sans néanmoins être obnubilés par ces actes. La jeunesse mahoraise, qui connait la beauté et le potentiel de sa terre, est pourtant prise entre deux feux : celui des traditions, de la langue, de la religion et des us, et celui de la modernité, de l'occidentalisation, matérielle comme psychologique, qui n'apporte cependant pas que du positif. Une position parfois bien difficile à tenir, pour ces nouvelles générations sur le fil du rasoir. Un équilibre qui pourrait même en dissuader certaines et certains de devenir l'avenir de leur île, en y restant pour la développer. Ce n'est certainement pas le catastrophisme qui les y poussera. Bonne lecture à toutes et à tous.

Axel Nodinot

TOUTE L’ACTUALITÉ DE MAYOTTE AU QUOTIDIEN

Lu par près de 20.000 personnes chaque semaine (enquête Ipsos juillet 2009), ce quotidien vous permet de suivre l’actualité mahoraise (politique, société, culture, sport, économie, etc.) et vous offre également un aperçu de l’actualité de l’Océan Indien et des Outremers.

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FI n°3839 Lundi 7 mars 2016 St Félicie

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FI n°3822 Jeudi 11 février 2016 Ste Héloïse

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RENSEIGNEMENTS Tél : 0639 67 04 07 | Mail : contact@mayotte-e-velos.yt

FI n°3818 Vendredi 5 février 2016 Ste Agathe

marine le Pen

environnement

Port de Longoni

ConSeil départeMental

Quel accueil se prépare pour la présiDente Du Fn ?

Le Lagon au patrimoine mondiaL de L'unesCo ?

la dsP sur la sEllEttE

pas de changement sUr l’octroi de mer

© Jonny CHADULI

Grève à Panima

TéléThon 2016

Des propositions mais toujours pas D'issue

DemanDez le programme

première parution : juillet 1999 - siret 02406197000018 - édition somapresse - n° Cppap : 0921 y 93207 - dir. publication : Laurent Canavate - red. chef : Gauthier dupraz - http://flash-infos.somapresse.com

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FI n°3997 mercredi 30 novembre 2016 St André

© CR: Gauthier Bouchet

Diffusé du lundi au vendredi, Flash Infos a été créé en 1999 et s’est depuis hissé au rang de 1er quotidien de l’île.

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Économie

SÉcuritÉ

Les appeLs à projets de L'europe

Couvre-feu pour Les mineurs

Première parution : juillet 1999 - Siret 02406197000018 - APE 5813Z - Édité par la Somapresse - Directeur de publication : Laurent Canavate - http://flash-infos.somapresse.com

OUI, je m’abonne

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Musique

Faits divers

Edmond BéBé nous a quitté

ViolEncE En cascadE

Première parution : juillet 1999 - Siret 02406197000018 - APE 5813Z - Édité par la Somapresse - Directeur de publication : Laurent Canavate - http://flash-infos.somapresse.com

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MCG VS SMart

ViCe-reCtorat

UltimatUm oU véritable main tendUe ?

l’institUtion répond aUx critiqUes

Première parution : juillet 1999 - Siret 02406197000018 - APE 5813Z - Édité par la Somapresse - Directeur de publication : Laurent Canavate - http://flash-infos.somapresse.com

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A retourner à : SOMAPRESSE - BP.60 - 7 rue Salamani - 97600 Mamoudzou

Conditions d’entrée : Être inscrit au Pôle Emploi / Avoir au moins 18 ans / Avoir un foyer fiscal à Mayotte dont le quotient familial est inférieur à un montant qui vous sera communiqué par LADOM / Ne pas avoir bénéficié d’une autre aide à la mobilité dans l’année / Satisfaire à la sélection sur dossier.

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TCHAKS LE CHIFFRE 4

C'est le nombre de mois durant lesquels le STM (Service des transports maritimes) va réduire son trafic de barges entre Grande Terre et Petite Terre. En cause, le contrôle technique nécessaire des amphidromes Polé et Karihani, nécessitant une escale de cinq semaines chacun à Maurice. Les infrastructures actuelles du STM ne permettent effectivement pas d'effectuer ces contrôles à Mayotte. Ainsi, du 7 mars au 11 juillet 2022, les nombreux usagers quotidiens des barges devront faire face à une réduction des allers-retours, et donc à des embarcations encore plus difficiles d'accès, notamment pour les véhicules. L'opération, estimée à 2,4 millions d'euros, se paiera donc également par un mécontentement accru des Mahorais, auxquels le service des transports maritimes conseille d'éviter les heures de pointe…

L'ACTION

Des bivouacs devant la préfecture Depuis une dizaine de jours, des personnes campent devant les grilles de la préfecture de Mamoudzou. Armées d'une tente, d'une table de camping et de nombreux mets et boissons, elles protestent contre l'insécurité atteignant récemment des sommets à Mayotte, et sur l'inaction de l'État à ce sujet. "On a souvent manifesté, bloqué des routes, parfois pendant des heures. Ça n'a servi à rien", affirmait ironiquement Chadhouli Youssouf, l'instigateur de ces rassemblements nocturnes, à Flash Infos. Chaque nuit, les femmes et hommes qui en ont ras-le-bol de la délinquance partagent ainsi leurs anecdotes sur les violences subies, mais également leurs propositions et solutions pour en finir l'un des principaux de l'île aux parfums. Sans que leur présence ne pousse néanmoins le préfet, Thierry Suquet, à venir à leur rencontre.

LA PHRASE

"On est prêt à aller très loin" Cette semaine, les grilles de la maison d'arrêt de Majicavo ont été la scène de manifestations menées par ceux qui les gardent habituellement. Les surveillants pénitentiaires protestent en fait contre une absence, sur leurs fiches de paie, des prestations sociales et des heures supplémentaires. Une poudrière qui a pris le feu lorsque l'administration leur a versé une prime qui n'était qu'une avance sur le salaire de février. Aisément compréhensible, la rage des gardiens de Majicavo prend donc la forme de rassemblements devant l'établissement, organisés par la CGT mais soutenus par la majorité des employés. Alors que la direction assure que les heures supplémentaires sont "en cours de régularisation", la grève des surveillants entraîne un chamboulement dans les tours de garde, au sein d'une profession déjà épuisée par la surpopulation carcérale.

ELLE FAIT L'ACTU Le logement selon Psylvia Dewas La préfecture de Mayotte vient d'enregistrer l'arrivée d’une nouvelle personne qui sera chargée de lutter contre l'habitat illégal, l'un des fléaux de l'île au lagon, et de superviser la construction de nouveaux logements. Officiellement, Madame Psylvia Dewas est nommée "experte de haut niveau (groupe III) chargée de la résorption de l’habitat illégal et de la construction de logements sociaux et de villages relais-Logement auprès du préfet de Mayotte". Auparavant directrice d'établissement sanitaire, social et médico-social hors classe, Madame Dewas a pris ses fonctions le 7 février au sein de la préfecture, suite un décret publié au Journal Officiel du 6 février 2022.

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LU DANS LA PRESSE

Chaque semaine, découvrez le regard porté sur l’actualité locale à travers la presse nationale ou régionale

IMMERSION DANS LA SOCIÉTÉ MAHORAISE VIA LE DOCUMENTAIRE INÉDIT "MAISONS DES FEMMES" LE 7 MARS Le mercredi 16 février 2022, par Ludovic Belzamine pour Megazap.fr.

À l'occasion de la Journée internationale des droits des femmes, outremer.ledoc propose le 7 mars prochain le documentaire inédit « Maisons des femmes », réalisé par Denis Buttner. Immersion dans la société mahoraise où la possession, la filiation et la transmission des biens et des terres passent traditionnellement par les femmes. Aujourd’hui, avec la départementalisation de Mayotte, la situation évolue, même si le droit coutumier demeure partiellement. La famille mahoraise est matrilinéaire, organisée autour de la femme, qui en représente le pilier central. La transmission des terres se fait aux filles. Traditionnellement, la maison (dagoni) est construite par les frères et le père sur le terrain familial. La femme y habite seulement lorsqu’elle est mariée et les époux en prennent possession lors des cérémonies du mariage.

Les parents offrent à leur fille la maison où son époux va s’installer. À l’instar d’Hidaya, de Kouraychia ou de Mariame, la majorité des Mahoraises perpétuent ce mode d’organisation familiale fondé sur ces principes de droit coutumier transmis par les femmes. Mère, travailleuse, leader, indépendante ou encore femme au foyer, la femme mahoraise a de multiples facettes, qui ont évolué au fil des générations. Peu à peu, sa place au sein du noyau familial a changé, au même titre que dans la société. Le documentaire propose de saisir le fonctionnement de cette société, empreinte de ses héritages africains, bantous et musulmans. Une société où les traditions sont toujours en vigueur malgré la départementalisation récente et sa modernisation. Le documentaire sera diffusé le lundi 7 mars à 23h35 (heure de métropole, ndlr) sur France 3 dans la case outremer.ledoc.

Dans le village de Chirongui, les familles de Yasmina et de Joris s’affairent à la préparation de leur mariage.

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PORTRAIT Nora Godeau

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DEL ZID PÈRE DU FESTIVAL MILATSIKA

En cette triste période de crise sanitaire, faisons au moins résonner les musiques de l’océan Indien dans nos cœurs en évoquant une figure majeure du monde culturel mahorais : Del Zid. Créateur du festival Milatsika, seul festival de Mayotte à avoir survécu contre vent et marée depuis sa création en 2007, il est également musicien lui-même et mélomane depuis toujours. Son ambition est de sortir les musiques mahoraises de l’ombre et de les moderniser afin qu’elles puissent venir enrichir le répertoire musical international par leurs sonorités si particulières. 7

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PORTRAIT permettre de rencontrer des musiciens de la région et d’ailleurs », affirme Del Zid. Né à Chiconi en 1975, cet artiste et acteur culturel a toujours été un grand passionné de musique. Un fait qui n’est guère étonnant quand on sait que son village natal est réputé pour la richesse de son répertoire musical. « C’est à Chiconi qu’ont été créés le dzendzé et le gaboussi (NDLR : instruments traditionnels mahorais) », nous précise-t-il d’ailleurs. Pour autant, devenir musicien n’était pas envisageable pour lui pour les raisons familiales classiques. « Lorsque j’ai évoqué l’idée dans ma famille, on m’a traité de fou et répété sur tous les tons que musicien « n’était pas un métier ». Je me suis donc résolu à effectuer « des études nobles » », raconte le père du festival Milatsika.

« J’ai créé le festival Milatsika pour donner un lieu de visibilité aux musiciens mahorais et pour leur

le 3ème album de Del Parallèlement à la création de Milatsika, Del a finalement réussi à réaliser son rêve de devenir musicien. S’il n’a osé franchir le pas qu’en 2009, après déjà 2 éditions de son festival, il compose et interprète aujourd’hui régulièrement des chansons originales d’inspiration mahoraises. Son 3ème album, « dernier espoir », sorti en 2020, s’inspire du chigoma et du maoulida shengué (NDLR : musiques dansées traditionnelles de Mayotte). Fidèle à sa volonté d’ouverture sur le monde, l’artiste a tenté de moderniser ces sonorités en y mêlant des rythmes de blues et de jazz. Les paroles, intégralement en kiboushi, sont traduites dans le livret du CD. Elles évoquent les relations humaines en s’interrogeant sur la vacuité de l’orgueil humain. Y a-t-il un dernier espoir de guérir ces relations pour améliorer l’état du monde actuel ?

Après une enfance passée à Chiconi, il est entré au lycée et a effectué ses études supérieures en métropole dans différentes régions, du Cantal à l’Allier en passant par Valence et Lyon. Bridé dans sa passion pour la musique, il s’est tourné vers un Master en agrobiologie, obtenu en 2005. « Quelque part, cela fait sens : je m’intéresse à la culture au sens propre comme au sens figuré », s’amuse Del Zid avec un sens certain de la formule. De retour à Mayotte, il est finalement entré à l’Education Nationale où il occupe actuellement un poste de conseiller pédagogique. « Tout en me trouvant « un vrai métier » comme le désirait ma famille, je continuais secrètement à rêver de devenir musicien », affirme-il. C’est finalement « par la petite porte » qu’il a pénétré l’univers de la musique, autrement dit en passant d’abord par la création d’un festival avant d’oser passer le pas et composer son premier album en 2009.

MILATSIKA : « NOTRE CULTURE » De retour à Mayotte une fois son Master en poche, Del a été frappé par le fait qu’il n’existait à l’époque aucun lieu pour accueillir les arts. « J’avais déjà l’idée de créer un festival mahorais depuis 1999, mais je l’avais laissée mûrir dans un coin de ma tête. En constatant le désert en matière de lieux culturels à chaque fois que je revenais sur mon île pour les vacances, je me disais qu’il était urgent de faire quelque-chose », se souvient l’artiste. Pas du genre à se lancer à la va-vite, Del a auparavant attentivement observé le fonctionnement des divers festivals de musique métropolitains et fait des rencontres

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Del Zid : un surnom issu d’une vieille passion artistiques avant de tenter l’aventure. Ce fut un succès puisque la première édition du festival Milatsika a pu voir le jour en 2007. Depuis, seuls des « cas de force majeure » ont empêché le festival de se tenir chaque année à Chiconi à la mi-octobre. Ce fut le cas en 2011 lors de la grande grève contre la vie chère et en 2020 à cause de la première crise covid. S’adaptant rapidement, Del a vite formé ses collaborateurs aux nouvelles règles sanitaires pour que Milatsika puisse se tenir comme prévu en 2021. « Milatsika » est un nom mixte formé du mot shimaoré « Mila » signifiant « culture » et du mot kiboushi « tsika » signifiant « notre ». Un nom composite pour englober en une seule entité la culture de l’île aux parfums à la double origine bantoue et malgache (entre autres). En tant que chiconien, c’est tout naturellement que Del a localisé son festival dans son village natal, délocalisant par la même occasion les évènements culturels de Mamoudzou où les rares qui existaient à l’époque s’y déroulaient le plus souvent. « Je souhaitais donner une visibilité aux musiques de l’océan Indien, trop peu connues au niveau national et international », précise le père du festival. Si valoriser les musiques de son île faisait évidemment partie de ses ambitions, il souhaitait également les ouvrir sur le monde et faciliter les échanges culturels entre les îles du sud-ouest de l’océan Indien. « Même à un simple niveau régional, la musique mahoraise est très peu connue », révèle-t-il. « Elle est pourtant extrêmement riche et diversifiée, mais le problème est que nous sommes trop conservateurs. En souhaitant à tout prix conserver nos traditions, nous nous coupons du monde et nous empêchons d’évoluer », affirme le musicien qui voit également dans cet état de fait l’origine de la rupture de la transmission intergénérationnelle avec la jeunesse. « La plupart des jeunes ne se reconnaissent plus dans les musiques mahoraises. Ils se tournent plus volontiers vers des musiques importées telles que le rap, l’électro ou encore le hip-hop. C’est dommage, car ils pourraient se servir de nos musiques traditionnelles et les transformer pour les offrir au monde », affirme Del. En bref, intégrer les sonorités mahoraises à ce que l’on appelle couramment la « world music ».

CHANGER LA MANIÈRE DE CONCEVOIR LA MUSIQUE Del en tout cas s’y emploie, que ce soit à travers Milatsika ou à travers ses propres albums. Cherchant à créer de nouvelles sonorités à partir d’une base traditionnelle, il met en avant dans son festival les artistes en recherche. « Etrangement, je n’ai jamais de vrai coup de cœur, mais je me dis « tiens, cet artiste est intéressant » et je creuse », nous explique l’acteur culturel dont le tempérament très réfléchi constitue peut-être son secret de réussite. « Je prends tous les types de musique, mais j’évite tout ce qui est trop populaire. Je recherche davantage l’audace artistique, la créativité », précise-t-il. Tout en valorisant les artistes

Donner des surnoms est une sorte de « sport national » à Mayotte, essentiellement pour la gent masculine. A l’adolescence, une grande partie des jeunes garçons en sont ainsi affublés, pas toujours de bon gré d’ailleurs. Si l’organisateur de Milatsika a été victime de cette tradition, il a réussi à la détourner à son avantage pour se créer un nom d’artiste original. « Adolescent, j’étais passionné par le dessin. Je me baladais toujours avec un sac-à-dos contenant des feuilles blanches et de l’encre de chine pour faire le portrait de mes camarades. Ces derniers m’ont donc surnommé « de l’encre », ce qui ne me plaisait pas. J’ai donc bataillé pour transformer cela en « Del ». Pour cela, je taguais tous mes vêtements de ce surnom à l’encre de chine. La stratégie a fonctionné puisque tout le monde s’est mis progressivement à m’appeler Del. J’avais gagné ! », raconte l’artiste avec humour. « Zid » est simplement une abréviation de prénom. Le véritable nom de l’artiste est en réalité Zidini Saindou Dimassi. espoir de guérir ces relations pour améliorer l’état du monde actuel ? mahorais et indo-océanien, il programme à chaque fois des artistes de l’hexagone ou Africains. Il n’exclut pas non plus d’ouvrir un jour son festival à des artistes venus d’autres régions du monde, mais « c’est une question de rencontres… », explique l’organisateur qui réalise lui-même chaque année la programmation du festival Milatsika. En tout cas, il a souhaité montrer à son île « une autre manière de concevoir la musique ». « A Mayotte, la musique est traditionnellement inséparable de la danse. Avec Milatsika, j’ai voulu faire venir des artistes différents pour montrer aux gens qu’on pouvait écouter la musique autrement, en étant davantage dans l’écoute et moins dans la danse », expliquet-il. Si le festival a largement trouvé son public, il est vrai qu’il est davantage plébiscité par une certaine classe intellectuelle et/ou cosmopolite de l’île. Quoiqu’il en soit, il a pris son envol et est devenu à présent une sorte de « symbole de Mayotte » à l’instar de la célèbre course de pneus de Jack Passe. Lors de sa première édition en 2007, il n’y avait qu’une seule soirée avec principalement des artistes locaux. En très peu de temps, il s’est transformé en 3 soirées avec des artistes régionaux, nationaux et internationaux. Plébiscité par la DAC (Direction des Affaires Culturelles) et le ministère de la Culture, il bénéficie d’une certaine notoriété en métropole où il sert souvent de « porte d’entrée » dans l’univers de la world Music pour les jeunes musiciens mahorais talentueux. Une belle revanche pour Del Zid à qui on riait au nez lorsqu’il a commencé à rechercher des partenaires en 2005-2006. « La première année, on me chassait presque des bureaux en se moquant de moi », nous révèle-t-il. Un souvenir qui, pour désagréable qu’il soit, le fait à présent sourire. Comme quoi, La Fontaine ne se trompait guère en affirmant que « patience et longueur de temps valent mieux que force et courage ». n

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DOSSIER

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JEUNESSE

EN PERTE D'IDENTITÉ

Entre respect des traditions et envie de s’en émanciper, la jeune génération de Mayotte est partagée. Elle a voyagé, découvert de nouvelles cultures, mais une fois de retour chez elle, elle doit composer avec le poids des us et coutumes mahorais. Les jeunes sont en quête d’équilibre, à la recherche de leur nouvelle identité, sous le regard nostalgique des anciens qui se souviennent de leur époque, période durant laquelle les ainés avaient les pleins pouvoirs. La tradition mahoraise est-elle ainsi en perdition ? Pas encore, même si l’occidentalisation de la société mahoraise prend de plus en plus d’ampleur. Cela se manifeste notamment à travers la langue. De nos jours, de moins en moins d’enfants maitrisent le shimaoré ou le kibushi, et ne parlent que le français. Heureusement que des initiatives locales, ainsi que la volonté de certains de ces jeunes, font encore et toujours vivre la culture de l'île aux parfums. Sinon, il n'en resterait plus grand-chose.

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DOSSIER

Raïnat Aliloiffa

SOCIÉTÉ

LA JEUNESSE MAHORAISE, ENTRE TRADITION ET OCCIDENTALISATION PLUS AUTONOME, PLUS ÉMANCIPÉE ET SURTOUT PLUS FRANCISÉE, LA JEUNESSE DE MAYOTTE EST EN QUÊTE DE RENOUVEAU. LES TRADITIONS ET COUTUMES MAHORAISES NE SONT PLUS UNE PRIORITÉ POUR CES JEUNES QUI MÈNENT LEUR VIE DE MANIÈRE PLUS OCCIDENTALE SANS SE SOUCIER DU REGARD DES AUTRES. UNE ÉVOLUTION QUI MET EN PÉRIL L’IDENTITÉ PROPRE DE L’ÎLE HIPPOCAMPE. Démarche rapide, son sac dans une main, les yeux rivés sur son téléphone portable, Louwaïza est une jeune femme de 22 ans qui a des journées bien remplies. Elle doit sans cesse jongler entre son poste de professeure de français au collège, ses projets personnels et ses activités de loisirs. Fraichement diplômée, Louwaïza a fait le choix de retourner à Mayotte dès la fin de ses études. À l’image de la plupart des jeunes mahorais qui reviennent chez eux après leurs études, elle est naturellement retournée vivre chez ses parents, mais au bout de quelques semaines, la relation avec eux se dégrade de plus en plus. « Quand on part, on apprend à vivre seul, on devient adulte et lorsque l’on retourne dans la maison familiale il y a des choses qu’on ne supporte plus. Mes parents me traitaient comme l’adolescente que j’étais quand je suis partie alors que je suis une femme responsable maintenant. » Sans plus attendre,

Louwaïza décide alors de déménager et vivre seule. Une décision qui a du mal à passer auprès des adultes de sa famille qui affirment qu’une fille qui n’est pas mariée doit rester dans la maison familiale. Cette coutume ancestrale autorisant la fille mahoraise à quitter le foyer de ses parents uniquement pour vivre avec son mari est vouée à disparaitre puisque Louwaïza est loin d’être un cas isolé. Eliza, âgée de 23 ans, est allée bien au-delà des restrictions de la société mahoraise en emménageant avec son copain métropolitain. « Cela a été une grosse bataille avec ma famille. On a dû faire des compromis. Ma mère respecte mon choix et de mon côté je ne crie pas partout que je suis avec quelqu’un sans être mariée », explique-t-elle. Un nouveau mode de vie de la jeunesse mahoraise qui entraine d’autres questionnements, notamment sur le

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mariage. Serait-il désacralisé par les jeunes à Mayotte ? « Le mariage fait partie des traditions. Selon moi, c’est l’instance la plus importante et la plus représentative des traditions mahoraises. Avant les Mahorais se mariaient religieusement devant le Cadi. Cela se fait encore mais l’avenir est très incertain », déclare Combo Abdallah Combo, sociologue mahorais.

« LA TRADITION A TRÈS PEU DE PLACE DANS MA VIE » Ces petits changements de la société mahoraise laissent présager une perdition de sa culture. Cependant, selon Rozette Yssouf, psychologue clinicienne et écrivaine originaire de Mayotte, la jeunesse mahoraise n’est pas en perte d’identité et elle reste accrochée à ses racines. « Selon les témoignages des jeunes rencontrés ils semblent être fiers de qui ils sont. Ils se décrivent avant tout Mahorais soit parce qu'ils sont nés sur le territoire ou leurs parents ou bien ils y sont depuis leur plus jeune âge. L’identité mahoraise

« L’IDENTITÉ MAHORAISE EST FORTE » est forte. » Pourtant, les coutumes propres à Mayotte ne semblent plus convenir à une partie de la jeunesse de l’île. « La tradition a très peu de place dans ma vie de femme. Dans tout ce que l’on ma appris certaines valeurs ne me correspondaient pas alors j’ai laissé de côté et j’ai pris ce qui me paraît juste, en accord avec moi-même », souligne Louwaïza. Et elle n’est pas la seule à faire le tri. À 27 ans, Fardi se considère comme « un homme du monde » et se dit « ouvert à tout ». « J’ai ma culture mahoraise

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DOSSIER

« CERTAINES VALEURS NE ME CORRESPONDAIENT PAS, ALORS J’AI LAISSÉ DE CÔTÉ »

ancrée en moi mais je ne renie pas mes racines arabes, l’expérience que j’ai eu en métropole, je prends tout. » Cette jeunesse qui a soif d’émancipation, qui s’ouvre au monde a paradoxalement envie de préserver les traditions mahoraises. « La nouvelle génération garde certaines choses mais de manière générale on est en train de se perdre, on se dirige vers une occidentalisation de notre culture. Ce n’est pas une bonne chose. On ne doit pas oublier d’où l’on vient », rappelle Fardi. Un ressenti partagé par la psychologue clinicienne Rozette Yssouf. « On tend vers la francisation totale, la perte de la culture, des us et coutumes, des rituels, de la langue maternelle au profit d'une culture occidentale. »

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« ON SE DIRIGE VERS UNE OCCIDENTALISATION DE NOTRE CULTURE. » LES BONNES CHOSES SE PERDENT L’évolution des modes de vie des différentes générations a engendré la disparition de certaines règles et pratiques, comme le constate Combo Abdallah Combo. « La socialisation dans la société traditionnelle mahoraise passe par l’école coranique. C’est une éducation religieuse mais c’est là où on apprend à l’enfant les règles de base de la vie.

Aujourd’hui les écoles coraniques sont en crise. Comment peuton vouloir transmettre la tradition mahoraise si ses bases sont ébranlées ? » L’école coranique n’est pas le seul concept menacé de disparaître. De manière générale, « ce sont les bonnes choses qui disparaissent », affirme Rozette Yssouf. « L’entraide, l’éducation traditionnelle où l’adulte avait un droit de regard sur l’enfant, la solidarité entre villageois etc. Tout cela se perd parce que l’on est entrés dans une société de consommation et individualiste française », précise-t-elle. En somme, le modèle de société dans lequel nous vivons divise la population mahoraise, et particulièrement les plus jeunes, qui doivent constamment jongler entre tradition et occidentalisation. « Il faut trouver le juste milieu et je pense que pour le moment on n’y est pas encore. Me concernant, je suis encore en train de travailler là-dessus », conclut Eliza. La préservation des traditions mahoraises repose désormais sur les enfants d’aujourd’hui, les adultes de demain. n

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DOSSIER

Axel Nodinot

LANGAGE

WAWE ULAGUWA SHIMAORÉ ? ALORS QUE LA JOURNÉE INTERNATIONALE DE LA LANGUE MATERNELLE SE TIENT LE 21 FÉVRIER, LE SHIMAORÉ SEMBLE ÊTRE EN RELATIVE DÉSUÉTUDE CHEZ LA JEUNESSE DE L'ÎLE. ENTRE MANQUE DE RIGUEUR DES PARENTS ET ABSENCE D'ENSEIGNEMENT DANS LE PREMIER DEGRÉ, LES JEUNES MAHORAIS.ES DOIVENT FAIRE PREUVE DE VOLONTÉ POUR EXERCER LES LANGUES RÉGIONALES DE LEURS ANCÊTRES, HÉRITAGES IRRÉFUTABLES DE LA CULTURE ET DE L'IDENTITÉ DE L'ÎLE. "Je parle shimaoré, mais pas bien, je bafouille", avoue Saandati, 24 ans, des regrets dans la voix. Ce constat, loin d'être un cas particulier, culpabilise de nombreux jeunes de la société mahoraise. Si les nouvelles générations sont les héritières de langues plus orales qu'écrites, telles que le shimaoré et le kibushi, les quelques stigmatisations vécues lors de bégaiements sont bien réelles, symboles d'un manque d'apprentissage sérieux des idiomes. "Un jeune était avec des amis, qui l'ont charrié parce qu'il n'a pas su compter", raconte Spelo Rastami, président de l'association Shimé, pour "Shimaoré méthodique". Un témoignage qui, selon lui, en rejoint beaucoup d'autres : "Les gens viennent très souvent pour pallier un certain nombre de manques. Ils se rendent compte qu'ils font beaucoup d'erreurs, et qu'ils ne sont pas totalement capables de ne parler qu'en leur langue." Spelo Rastami constate donc un "shimaoré dégradé" chez les jeunes, qu'il impute aux parents, "premiers responsables" de cette baisse de qualité linguistique. "Ils ne pourvoient pas à leurs enfants du vocabulaire ou une correction lorsqu'ils font des erreurs, continue-t-il. Ils sont laissés à l'abandon et portés par le flot, en quelque sorte". Des mots

forts, qui restent cependant une hyperbole du quotidien des foyers mahorais, ayant peu à peu délégué l'éducation des enfants à l'école. Nassem, heureux papa d'un garçon d'un an, avoue ne pas s'adresser à son fils en shimaoré. "Mais j'aimerais qu'il le parle, rétorque-t-il. Ce n'est pas volontaire, c'est juste que les parents sont entourés de gens qui parlent français, c'est instinctif". Mlaili Condro, enseignant et docteur en sciences du langage, confirme : "Il y a moins d'attention portée par les familles sur la transmission".

ÉDUCATION NATIONALE, CONTEXTE RÉGIONAL Le manque de pratique des langues régionales au sein du foyer, que ce soit à Mayotte, en Bretagne ou en Alsace, semble effectivement logique. Cependant, pour compenser ces lacunes de transmission de la langue, l'éducation nationale devrait rentrer en piste. Malheureusement, dans le 101ème département français, le compte n'y est pas, ou du moins pas encore. "À l'école, on nous interdisait de parler shimaoré, même pendant la récréation !", fulmine une jeune Mahoraise. Le même constat se faisait, il y a quelques décennies, dans des

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départements tels que la Corse, où les jeunes insulaires étaient priés de laisser de côté leur langue, malgré la force et l'enracinement de la culture régionale sur l'île de Beauté. Mais, d'une île à l'autre, "La langue de la République est le français", précise l'article 2 de la Constitution. "Les langues régionales appartiennent au patrimoine de la France", répond l'article 75-1. À Mayotte, ce patrimoine peinait néanmoins à exister, tant la priorité était donnée à la maîtrise du français chez les jeunes Mahorais. Jusqu'au 21 mai dernier, date de la promulgation d'une loi visant à la promotion des langues régionales. En juin 2021, le rectorat de Mayotte signait, avec le Conseil départemental, le CUFR et l'association Shimé, une convention pour l'apprentissage du shimaoré et du kibushi dans le premier degré. Quasiment un an plus

tard, Spelo Rastami ne constate que des évolutions "très timides" : "Il n'y a pas de grandes avancées. La balle est dans le camp du département, et du rectorat".

PROMOUVOIR L'IDIOME DU VILLAGE Parole à la défense donc. Gilles Halbout, recteur de Mayotte, détaille les mesures qui ont été prises par l'État et le département quant à cet apprentissage. "Dans le cadre du master MEEF, enseigné au CUFR, les enseignants sont formés pour avoir des notions de shimaoré et de kibushi, et s'acculturer, affirme-t-il. Cela permet d'avoir un accueil bienveillant en langue maternelle. Un enseignant familiarisé peut aussi faire des ponts entre les deux langues pour que les élèves fassent des progrès en français." Si cette formation a de multiples avantages, elle est

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DOSSIER

En juin 2021, le recteur de Mayotte, Gilles Halbout, signait la convention visant à promouvoir les langues régionales à l'école.

également complétée par un enseignement des langues régionales dès le premier degré et l'école maternelle. "À certains moments de la journée, on travaille le plurilinguisme, afin que l'enfant ait cette pratique même s'il ne parle pas la langue régionale à la maison", continue Gilles Halbout. Enfin, le Conseil départemental et l'association Shimé ont aussi planché sur une structuration de la langue, en formalisant sa graphie, "histoire que le shimaoré ne soit pas juste un patois, un créole", conclut le recteur. Pour Mlaili Condro, cette convention et ses applications dans les établissements scolaires mahorais est "un motif d'espoir". "Jusqu'à récemment, on a vu une certaine réticence de l'éducation nationale quant aux langues régionales, explicite-t-il. Mais depuis quelque temps, on observe un changement de position sur les langues mahoraises, désormais

bienvenues à l'école. On vise le plurilinguisme, et des individus qui sont capables d'appréhender le réel, le monde, à travers plusieurs langues." Le docteur en sciences du langage félicite également "ces jeunes artistes mahorais", qui écrivent "toutes ces chansons en shimaoré" (voir encadré). "Il n'y a plus rien qui ne nous empêche d'aller de l'avant", abonde encore Spelo Rastami. Maintenant que les bases sont posées, en effet, tout est possible. Ce lundi 21 février, à l'occasion de la journée internationale de la langue maternelle, le rectorat se rendra au Conseil départemental afin d'évoquer le bilan de cette convention. Mais pas seulement, comme nous le glisse un Gilles Halbout ambitieux. "On va aussi tracer des perspectives pour voir où on en est dans la formalisation, parce que je pense que tout le monde a envie d'aller plus loin dans cet apprentissage des langues régionales, affirme-t-il. Pour qu'un jour, on ait le shimaoré comme option au bac !" n

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] L'association Shimé propose des cours à celles et ceux qui souhaitent apprendre le shimaoré.

LES LANGUES RÉGIONALES OFFICIELLES EN FRANCE - basque - breton - catalan - corse - créole - gallo - occitan-langue d'oc - langues régionales d'Alsace - langues régionales des pays mosellans - francoprovençal - flamand occidental - picard - tahitien - langues mélanésiennes (drehu, nengone, paicî, ajië) - wallisien - futunien - kibushi - shimaoré

LES ARTISTES CHANTENT EN SHIMAORÉ

Nombreuses et nombreux sont les jeunes artistes de l'île à écrire leurs textes en shimaoré. C'est le cas de Terrell Elymoor, fameux rappeur et chanteur mahorais. "C'est important, parce que j'ai l'impression qu'un nouveau créole se crée, et ce serait dommage de perdre notre langue", déclare-t-il

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DOSSIER

Raïnat Aliloiffa

SOCIÉTÉ

LES JEUNES PRENNENT LE POUVOIR AU DÉTRIMENT DES ANCIENS ILS ONT ÉTÉ LE CIMENT DE LA SOCIÉTÉ MAHORAISE PENDANT PLUSIEURS GÉNÉRATIONS. LES AÎNÉS, AUTREFOIS PLACÉS AU SOMMET DE L’ÉCHELLE SOCIÉTALE, SONT AUJOURD’HUI RELÉGUÉS AU SECOND PLAN. ILS PERDENT PETIT À PETIT LEUR POUVOIR, ET LEUR REGARD SUR LES GÉNÉRATIONS PLUS JEUNES EST DE PLUS EN PLUS CRITIQUE. « De nos jours le respect des ainés n’existe plus. » C’est avec amertume que Hamida, âgée de 82 ans, évoque le monde dans lequel nous vivons aujourd’hui. Au fil des années, elle a observé, impuissante, les personnes âgées comme elle mises de côté par la jeune génération. Même si elle comprend l’envie des jeunes de se faire une place dans la société, elle regrette le comportement de certains. « Les enfants veulent commander à la place des parents. À mon époque, nos parents décidaient pour nous et on acceptait sans rien dire », raconte-t-elle. C’est ainsi qu’elle se maria avec un homme qu’elle ne connaissait pas à seulement 16

ans alors qu’elle en aimait un autre. « Il allait demander ma main à ma famille mais celle-ci n’a pas voulu de lui parce qu’il était pauvre. Mon grand-frère a trouvé un autre prétendant de notre rang social et je n’ai pas eu mon mot à dire. J’ai dû accepter et je n’avais pas le droit d’être en colère parce que c’était mon aîné qui avait pris la décision », se souvientelle. Si l’histoire de cette grand-mère peut paraitre anecdotique aujourd’hui, elle était monnaie courante à l’époque de sa jeunesse. Les mariages arrangés définissaient en partie les anciennes générations, et cela semblait normal.

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Aujourd’hui, même s’ils existent encore dans la société mahoraise, ce n’est plus la norme. « Les jeunes de maintenant ont raison de choisir eux-mêmes leur partenaire. Je n’ai jamais imposé qui que ce soit à mes enfants », affirme Hamida. Le couple typique mahorais a également été sujet au changement. Si les adultes de la famille, et parfois même du village, avaient un

droit de regard sur la relation conjugale, ce n’est plus le cas aujourd’hui. Du moins, pas officiellement. « Quand j’avais un problème avec mon mari, les aînés de la famille nous réconciliaient automatiquement et je devais écouter ce qu’ils me disaient », indique Hamida. Une situation inimaginable aujourd’hui pour certains couples. « Quand je me suis marié j’ai immédiatement prévenu mes

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« DE NOS JOURS LE RESPECT DES AINÉS N’EXISTE PLUS » proches. Je leur ai dit que ce qui se passait dans mon couple ne concernerait que ma femme et moi », indique Fardi, du haut de ses 27 ans.

« LES ANCIENS NE PRENNENT PAS ASSEZ LEUR PLACE » Cette évolution des coutumes mahoraises est en général perçue de manière positive par les anciens de l’île, mais d’autres aspects de l’occidentalisation ne sont pas vus d’un bon œil, à l’exemple des tenues

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vestimentaires des femmes qui ont sans aucun doute évolué au fil des années. « Avant on couvrait le corps avec un salouva et un châle en toutes circonstances. Seul l’époux avait le droit de nous voir. Aujourd’hui les filles sortent à moitié nues et tout le monde trouve cela normal. C’est désolant… », fait remarquer Soraya, âgée de 77 ans. L’installation progressive des habitudes occidentales sont à l’origine de l’évolution des pratiques de la jeunesse mahoraise. Cependant, toutes les personnes âgées ne tiennent pas la France pour coupable de ces changements. « L’arrivée de la France a été une bonne chose pour nous. Elle a su nous prendre en main et son influence n’est pas forcément négative », soutient Hamida. Et à Soraya d’ajouter, « Les Mzungus ne sont pas responsables du comportement de nos enfants. Nos jeunes n’étaient pas obligés de les imiter mais ce sont les parents qui ont laissé faire », soupire Soraya. Des parents qui n’ont visiblement plus d’autorité sur leurs progénitures. « Les anciens ne prennent pas assez leur place. Aujourd’hui ce sont les jeunes qui prennent le dessus. Ils s’expriment et donnent le tempo. On tend

« AUJOURD’HUI LES FILLES SORTENT À MOITIÉ NUES ET TOUT LE MONDE TROUVE CELA NORMAL » vers une société qui se base sur le jeunisme », constate Combo Abdallah Combo, sociologue mahorais. Et ce phénomène prendra de l’ampleur dans les prochaines années, comme l’affirme la psychologue clinicienne et écrivaine mahoraise, Rozette Yssouf. « Dans le futur, les aînés vont petit à petit perdre leur pouvoir et leur aura, ils ne seront plus écoutés. La place sera pour les jeunes qui en veulent, et ont une vision différente de Mayotte de demain. » Nos anciens sont-ils condamnés à être oubliés par les prochaines jeunes générations ? C’est du moins ce qui est présagé par les observateurs de la société et les principaux concernés, mais le combat pour trouver le juste équilibre n’est pas perdu. n

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DOSSIER

Axel Nodinot

RELIGION

UNE FOI DÉCROISSANTE

SI LE PROGRESSISME DU SUNNISME CHAFÉITE, OBÉDIENCE D'UNE GRANDE PARTIE DE LA POPULATION MAHORAISE, PERMET UNE PRATIQUE MODÉRÉE DE L'ISLAM, FORCE EST DE CONSTATER QUE LA JEUNESSE DE L'ÎLE CROIT MOINS. AU POINT D'IMPACTER LES RELATIONS ENTRE INDIVIDUS ? C'EST EN TOUT CAS CE QUE PENSENT LES PRINCIPAUX INTÉRESSÉS, REGRETTANT UN MANQUE DE RESPECT PATENTÉ CHEZ LES JEUNES GÉNÉRATIONS. Jeudi matin, comme deux à trois fois par semaine, Combani était la scène de la violence des jeunes de la zone. Cette fois, le barrage enflammé de leur colère s'embrasait sur la route menant à Kahani, à côté de la station-essence. Si l'on peut douter que la délinquance soit un résultat de lacunes religieuses, le manque d'éducation, lui, en est sûrement une cause. C'est en tout cas le constat de Badirou Abdou. Celui qui est directeur de la culture, des associations, de la jeunesse et des sports de Sada est aussi et surtout un Tsingonien fier et engagé pour la jeunesse de sa commune. "Quand je suis passé ce matin, j'ai vu un jeune en train de ramasser une pierre pour caillasser un bus, avec des gens qui lui disaient de ne pas le faire, témoigne-t-il. Il ne les a même pas écoutés ! Il y a 20, 30 ans, ce gamin-là aurait pris des baffes ! Non seulement des adultes qu'il n'écoute pas, mais aussi de ses parents une fois à la maison."

LE RESPECT EST DANS LE CORAN "L'éducation se fait d'abord par les parents", confirme Badirou Abdou, qui déplore que des familles ne se fassent plus obéir de leurs enfants. Mais l'augmentation

exponentielle de la population et l'occidentalisation de la société mahoraise a aussi effacé la solidarité villageoise, qui permettait un meilleur cadre pour les jeunes de la zone. "Il y avait aussi le tonton, le grand frère, le villageois quelconque qui était là, continue le Tsingonien. À l'époque, ne serait-ce que le kwezi était systématique. C'est l'une des valeurs, des richesses culturelles de Mayotte, qui ne sont pas inscrites dans la religion." C'est cette dernière qui, selon le sociologue Combo Abdallah Combo, apporte les bases du savoir-vivre à Mayotte. "La socialisation dans la société traditionnelle mahoraise passe par l’école coranique, déclaret-il. C’est une éducation religieuse mais c’est là où on apprend à l’enfant les règles de base de la vie". Badirou Abdou ne peut qu'abonder en ce sens : "À l'époque, un enfant allait à l'école coranique dès l'âge de trois ans. Mes parents sont allés voir le foundi pour lui dire que je viendrai tous les jours et que je serai sous sa responsabilité, il y avait le Fatiha de bienvenue, où l'on est salué par tous les autres autour. Ça commençait par là." La fraternité d'une mosquée serait donc vecteur de valeurs sociales, au sein d'une communauté, construisant l'individu autour des valeurs, autorisations et interdits du livre saint.

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" IL Y A 20, 30 ANS, CE GAMIN-LÀ AURAIT PRIS DES BAFFES ! "

Pour les jeunes garçons et filles, c'est l'école coranique qui complète leur enseignement, non seulement religieux mais aussi civique. Une institution en berne, selon l'employé de la mairie de Sada : "J'estime que l'ancienne génération a appris à l'école coranique les valeurs et les principes de la religion musulmane."

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"C'EST EN ÉDUQUANT QUE L'ON RÉUSSIRA" La madrassa, Saïd l'a fréquenté étant petit. Aujourd'hui, l'entrepreneur avoue ne pas axer son quotidien sur les enseignements qu'il y a reçu. "Je crois en Dieu mais je ne pratique pas forcément, affirme-t-il. Je fais tout pour que ma boîte marche bien, je profite, j'essaie juste d'être un mec bien, mais je ne vais pas souvent à la mosquée." Que les heures passées à l'école coranique semblent lointaines, pour celui qui a pourtant un oncle foundi. "J'ai retenu les bases, se défend Saïd. C'est le principal." Le jeune homme n'est évidemment pas le seul à avoir quelque peu délaissé la religion au fil des années, malgré une éducation religieuse importante et constante. Pourtant, assure Badirou Abdou, "on apprend beaucoup en lisant le Coran." Celui qui a de nombreux projets pour les jeunes des quatre villages de sa commune (Miréréni, Combani, Mroalé et Tsingoni)

avoue être désappointé par les nouvelles générations de l'île au lagon. "Le respect est fondamental, déclare-t-il. Maintenant, ça n'existe plus chez la jeunesse actuelle : celle qui est entourée d'une famille qui a appris les fondamentaux, les principes, n'est pas forcément celle qui est dehors dans les embrouilles." Un discours d'autant plus tangible dans la commune du centre, ravagée par les affrontements des bandes combaniennes et miréréniennes. Nonobstant, Badirou Abdou ne perd pas espoir, loin de là, prônant logiquement l'éducation : "C'est en éduquant que l'on réussira. Mais je suis persuadé que ça se fera en passant par l'école laïque, qui occupe la grande partie du temps de l'enfant, ainsi que par l'école coranique, qui rappelle les valeurs fondamentales de l'humanité. Ce ne sera pas réussi que par la religion, ni par la République. C'est en travaillant ensemble que l'on y arrivera." Encore faut-il avoir assez de place dans les écoles, qu'elles soient coraniques ou républicaines. n

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" C'EST EN ÉDUQUANT QUE L'ON RÉUSSIRA "

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DOSSIER

Julien Perrot

ENQUÊTE

20 MARS 2009, LA PREMIÈRE ENQUÊTE IPSOS SUR LES STYLES DE VIE DES JEUNES MAHORAIS IL Y A 13 ANS, LE JOURNALISTE JULIEN PERROT RÉSUMAIT POUR MAYOTTE HEBDO LA PREMIÈRE ÉTUDE IPSOS ANALYSANT LES STYLES DE VIE DES JEUNES MAHORAIS. CETTE ÉTUDE REGROUPAIT LA JEUNESSE DE L'ÎLE EN CINQ CATÉGORIES SOCIALES. VOICI L'ARTICLE DE L'ÉPOQUE. Habitué à réaliser ce type d'enquête à travers le monde et dans les Dom en particulier, c'est la première fois qu'Ipsos relève, parmi les 5 "socio-styles" définis à Mayotte, une différenciation des groupes en fonction du sexe des personnes interrogées : 2 groupes essentiellement constitués d'hommes, 2 groupes de femmes et un mixte. De plus, si on considère ensemble les profils des "jouisseurs" et des "frustrés", les deux groupes

masculins, l'institut constate que la situation sociale est "potentiellement explosive" pour 40% de la jeunesse mahoraise. L'enjeu est de réussir à proposer à ces groupes des emplois, des espoirs, sous peine d'en perdre complètement le contrôle. Vendredi dernier, Jean-Paul Brouchot, directeur général de l'institut d'études et sondages Ipsos océan Indien a présenté

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LES 5 SOCIO-STYLES MAHORAIS EN 2009 L'étude sur les socio-styles menée par Ipsos fait apparaître 5 principaux groupes, avec bien évidemment des nuances. Voici quelques éléments qui permettent de repérer ces 5 catégories, parmi de nombreux autres éléments mis à jour par cette étude qui porte pour chacun sur près de 2.000 questions. Les achats envisagés à court terme, les achats sur lesquels des économies pourraient être réalisées si nécessaire, le type de commerce fréquenté, les choix politiques, la position face à l'alcool, les drogues, la polygamie, l'homosexualité, les mzungus ou les clandestins… Avec cette étude, ces données existent désormais pour chaque catégorie, chaque tranche d'âge, en fonction du niveau d'études, des revenus disponibles… Nous vous présentons là un aperçu de ces groupes.

à l'Auberge du rond-point la première enquête sur les styles de vie des jeunes Mahorais. Cette première étude multidimensionnelle de l'impact des "socio-trends internationaux" sur les "socio-styles de vie locaux" des jeunes Mahorais a été réalisée en septembre 2008 à partir d'un échantillon représentatif de 370 personnes âgées de 15 à 24 ans qui ont passé des entretiens d'une heure et demie. Depuis huit ans, Ipsos océan Indien a mené des études similaires à Maurice, Madagascar et la Réunion. A Mayotte, l'institut a travaillé avec l'agence Angalia pour recueillir les informations (voir encadré). Elaborée par Bernard Cathelat dans les années 1970, la méthode de l'étude des styles de vie considère l'individu dans sa globalité et dans toutes ses dimensions psychologiques et comportementales, ce qui permet de déterminer les grandes tendances pour les 7 à 8 années à venir (voir encadré). C'est "un tableau de bord de l'évolution et de la diversité des mentalités, des modes et des styles de vie", explique Jean-Paul Brouchot, "un tour à 360° de l'individu".

UNE DIFFÉRENCIATION DES GROUPES EN FONCTION DU SEXE Grâce à un croisement entre les tendances sociopolitiques, de consommation et d'informationcommunication des individus, on peut définir une typologie des différents "socio-styles de vie" pour chaque groupe d'individus. Dans les Dom, Ipsos a mené des études similaires en 1999-2000 et en 2007 et a pu dégager par exemple 8 socio-styles aux Antilles et 12 à

la Réunion. A Mayotte, 5 "socio-styles" des jeunes ont été définis : 28,1% sont des "cocooners", 23,7% des "jouisseurs", 22,6% des "raisonnables", 18,5% des "frustrés" et 7,1% des "hédonistes". Les cocooners sont de très jeunes filles à la recherche d’une vie tranquille et sage, entre ouverture moderniste et cocooning familial, dans une société paisible sous la protection d’un Etat paternaliste et de dirigeants de grande moralité. Les jouisseurs sont des adolescents qui rêvent de vivre enfin libres pour profiter de la vie, partagés entre les sirènes d’une consommation de frime et une utopie écolo. Les raisonnables sont des jeunes femmes partagées entre leur destin programmé de mère de famille soumise et moraliste et un rêve de Cendrillon. Les frustrés sont des jeunes gens défavorisés, peu éduqués, frustrés de "chances", crispés sur une identité culturelle de rejet défensif et sur les traditions machistes. Les hédonistes enfin sont à la recherche individualiste de plaisirs matérialistes et d’épanouissement personnel indépendant, dans une société ouverte à la modernité, c'est le seul groupe vraiment mixte. Jean-Paul Brouchot relève que les hédonistes sont beaucoup moins nombreux que dans les autres Dom et la Métropole et précise que "plus de 40% des jeunes sont potentiellement une source d'explosion sociale : les frustrés ont envie de consommer et les jouisseurs veulent profiter pour eux seuls". D'autant que, comme l'institut l'a constaté dans tous les pays développés et dans les Dom, la mondialisation peut construire un stress permanent sur les individus à cause de l'imprévisibilité, de la précarité et de l'incommunicabilité des sociétés modernes.

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DOSSIER

74% PENSENT QU'ILS SERONT HEUREUX DEMAIN, CONTRE 46% AUJOURD'HUI

"hyper-moralisme répressif" où la loi, l'ordre et le contrat sont érigés en valeurs absolues, dans une stratégie défensive.

Face à la mondialisation, les individus ont à la fois une stratégie de répulsion et de fascination, sauf à Maurice, qui est "le seul territoire au monde où il n'y pas de répulsion", précise Jean-Paul Brouchot. Pour fuir l'insécurité globale de la société, les individus peuvent effectuer un repli sur eux-mêmes, sur leur sphère privée, familiale et individualiste : c'est ce qu'on appelle le "bunkering", le "cocconing" ou le "zen". A l'inverse, ils peuvent se prononcer pour un

Dans les résultats de cette enquête, on apprend que 79% des jeunes sont pour le département, 26% pour l'autonomie associée et 2% sont indépendantistes, sachant que cette étude prend en compte par extrapolation et selon la méthode des quotas, toute la population de l'île, y compris les clandestins. Cette volonté d'autonomie ou d'indépendantisme est par exemple très sensible chez les "frustrés" qui, exclus de la société de consommation par l'absence

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LES COCOONERS (28,1%) Les cocooners sont à 86% des jeunes filles, avec une grande proportion qui ont fait des études supérieures longues. D’origine et de culture subjective "africaine-malgache", elles ont une culture TV de romances et cartoons (sur CanalSat). Leur modèle social est le communautarisme de cohabitation tolérante, mais elles ont un certain rejet de "trop" de Comoriens. Elles ont pour objectif de vie l'installation dans un cocooning de vie familiale harmonieuse où la femme aurait plus de personnalité, de liberté et de pouvoir. Peu religieuses, mais assez traditionalistes, leur morale personnelle est stricte sur la sexualité. Leur morale sociale prône à la fois le respect des règles, le rejet de la violence et de la drogue. Ouvertes au progrès moderne, aux voyages de découverte, elles veulent cependant garder les jeunes au pays et sont contre l’expatriation. Avec un sentiment positif à l’égard de la France, leur vision du progrès social est la plus optimiste, notamment sur l’insertion des jeunes, mais sans envie de militer ni participer : leur priorité reste le recentrage familial. Elles considèrent cependant avec méfiance les chefs religieux, les journalistes et les politiciens carriéristes. Elles sont en attente de leaders plus éthiques. Leur image des entreprises locales est médiocre et "frileuse" et elles ont une préférence pour un développement économique d’initiative étatique publique, donnant une plus grande importance au tourisme, non seulement pour l’argent mais aussi les échanges humains. Elles sont théoriquement favorables à la lutte contre la pollution, sauf à toucher à l’automobile.

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LES HÉDONISTES (7,1%) Les hédonistes sont de jeunes adultes de plus de 21 ans, des jeunes femmes pour les 2/3. Ils constituent la catégorie la plus aisée et la plus active et sont surtout des employés du service public. Ils sont à la recherche d’un travail stable, d’épanouissement personnel dans une bonne ambiance, comme le métier d'enseignant. Les hédonistes sont les plus voyageurs, les moins nés à Mayotte, d’origine "africaine-malgache" et de culture subjective "créole" ou "chrétienne". Ils sont anti-communautaristes et ouverts à la mixité d’habitat, bien qu'ils demeurent réticents devant "trop de Comoriens". Ils appartiennent à une classe sociale privilégiée, sont clients de supermarchés, sensibles à la publicité et aux produits nouveaux à essayer en promotion. Heureux et optimistes, égocentrés, pas pressés d’assumer la charge d’une famille, ils ont une grande permissivité sexuelle et sont socialement préventifs plutôt que répressifs. Bon vivant, innovateurs, aspirant à la réussite et à l’argent pour profiter du progrès moderne, les hédonistes sont la catégorie la plus équipée en high tech et voiture (d’occasion) et la plus équipée en produits financiers. Les hédonistes sont très sensibles à l’écologie et prêts à des efforts personnels. C'est le profil le plus consommateur d’informations locales et internationales et le plus demandeur de nouveaux media. Très méfiants vis-à-vis des religieux, des juges et surtout des politiciens "pourris, carriéristes, de mauvaise foi", les hédonistes sont favorables à un développement autarcique, mais ouverts aux compétences de travailleurs étrangers et au tourisme comme meilleure chance de développement à partir du secteur loisirs. Les hédonistes sont toutefois frustrés que Mayotte soit "oubliée" de la France et de l’Europe et moins bien traitée que les Dom.

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LES RAISONNABLES (22,6%) Les raisonnables sont de jeunes adultes de plus de 21 ans, à 80% des jeunes femmes. Issues de familles nombreuses, modestes ou pauvres, c'est le profil le plus déjà marié. Ce sont surtout des ouvrièresemployées du secteur privé ou des chômeuses. Les raisonnables sont les plus "comoriennes" et les plus musulmanes et religieuses parmi les jeunes, mais elles se sentent aussi "citoyennes du monde", sont contre le communautarisme et désireuses que les Comoriens soient mieux intégrés à la société mahoraise. Plutôt optimistes pour leur avenir personnel, les raisonnables acceptent le modèle programmé d’un mariage et d’une maternité précoces, d’une vie de famille traditionnelle, tout en espérant cependant plus de considération et de liberté pour les femmes. Rêvant d'une belle maison et d’une voiture familiale, elles sont à la recherche d’une vie équilibrée entre travail et famille, sage, discrète. Elles sont d’une grande moralité, surtout sexuelle, avec des valeurs raisonnables du travail, de l'effort et de la persévérance. Mais elles rêvent aussi d’un coup de chance pour vivre une autre vie plus libre : "partir ailleurs" pour s'épanouir dans un travail de bureau ou de tourisme. Les raisonnables sont les plus pessimistes sur l’évolution sociale : à la fois le climat social et la moralité, la délinquance et le pouvoir d’achat, les inégalités et la peur de la mondialisation, malgré des progrès dans l’éducation. Sans aucune préférence politique, elles sont très critiques de tous les politiciens qui ne dialoguent pas, et sont en attente de leaders plus éthiques et plus à l’écoute. Elles sont néanmoins les plus confiantes en général, surtout dans les religieux, la justice et les médias. Plutôt favorables à un développement économique autarcique, appuyé sur la France, à partir des activités traditionnelles, en plus du tourisme, elles sont en même temps insensibles à l’écologie. Consommatrices modestes, attirées vers les entrepôts, elles regardent surtout RFO Mayotte, avec une préférence pour les love stories et les novelas.

d'études ou d'emploi, se réfugient dans un très fort repli sur eux-mêmes et rejettent tout ce qui vient changer leur système, tout comme les "jouisseurs" qui profitent au maximum du système, se pensent "malins" et peuvent imaginer perdre de leur liberté dans un cadre départemental plus formel. Le changement de statut suscite tout de même de nombreux espoirs chez les jeunes qui pensent qu'ils seront heureux demain à 74%, contre 46% aujourd'hui, mais comme le souligne Jean-Paul Brouchot, "c'est un espoir matérialiste et financier plus que social". 71% des jeunes ont confiance dans la France et 79% estiment être respectés par les wazungu. De l'autre côté, on note un rejet des Comoriens : 71% se méfient des Comoriens installés à Mayotte et 68% estiment qu'ils sont trop nombreux sur l'île (alors qu'un tiers de l'échantillon interrogé est constitué de jeunes clandestins d'origine comorienne…).

DÉSAFFECTION POUR LA POLITIQUE, MAIS PAS POUR LA RELIGION A l'instar des études qui ont pu être menées sur les jeunes en Métropole ou dans les Dom, on note également une

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DOSSIER

LES JOUISSEURS (23,7%) Les jouisseurs sont des scolaires de moins de 21 ans, à 95% des jeunes hommes. Ils se définissant le plus "Blanc" (10%) et le plus né en Métropole ou dans les Dom (24%), mais avec des doubles racines à la fois avec la France et Mayotte, malgré une frustration à l’égard de la France qui traite moins bien Mayotte que les Dom. C'est le profil le plus "citoyen du monde" (18%) et anti-communautariste, le plus favorable au métissage et à la mixité sociale d’habitat, tout en jugeant indésirables les Comoriens trop nombreux. Vivant assez mal leur enfance, les jouisseurs sont optimistes et veulent s’en sortir, avec une émancipation rapide pour vivre en indépendant. Pour les jouisseurs, la vie idéale est intense, sportive, jouissive, mobile, amorale, avide de sexe (mais contre l’homosexualité) dans une société permissive idéalement, tolérant la polygamie. Ils veulent un travail technologique mais cool, sans stress où l’on est son propre patron, et avec une retraite précoce. Ils rêvent d’expatriation et de voyages dans le monde, satisfaits en partie à travers le web aujourd’hui. Ils ont pour autant une vision très critique et pessimiste de la société (communautarismes, méfiance mutuelle, drogue et délinquance des jeunes, perte d’identité culturelle) qui leur donne “envie de vomir“. Se disant de plus en plus politisés et militants, en attente d’un leader à poigne avec des idées originales, fonceur (plutôt que moraliste), les jouisseurs sont attirés le plus par le parti Vert et ont l’attitude la plus écologiste, mais avec un modèle de développement économique libéral, par les entreprises et non l’Etat, à travers le high tech, le tourisme et le commerce, malgré une grande méfiance des patrons. Ils ont une culture de TV satellite ouverte aux influences mondiales : musiques rock-reggae-rap-électro, séries et films "adrénaline" américains. Ils sont fascinés par le high tech (mobiles, PDA, Web, Mp3), par les marques et le haut de gamme. Ils sont sensibles au sponsoring et attirés vers le e-commerce. Grignoteurs, buveurs d’alcool, possesseurs de 2 roues, ils rêvent de voiture sporty-frimeuse. Cette catégorie peut basculer vers les "frustrés" en cas de chômage, d'absence de revenu, de travail, ou alors se retrousser les manches et basculer vers les "conquérants" pour prendre part à la construction de l'avenir et faire avancer l'île. C'est ce défi qui doit mobiliser les élus et différents responsables de l'île.

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LES FRUSTRÉS (18,5%) Les frustrés sont des jeunes hommes pour les 2/3. Issus de milieux défavorisés, ils sont les moins scolarisés, les plus chômeurs, les plus pauvres. Sous-consommateurs, ils vivent de petits boulots précaires, sont prêts à prendre n’importe quel travail juste pour l’argent, tout en rêvant d’un travail à responsabilité plus valorisant et mieux payé. C'est cet espoir là qu'il faut leur proposer par la création d'emplois, rapidement, sous peine d'aboutir à de graves désagréments. Ils sont les plus malheureux aujourd’hui et sont pessimistes sur leur avenir personnel, se sentant sans autre avenir, frustrés de ne pouvoir participer à la consommation moderne. Ils sont donc le profil le plus communautariste défensif, le plus enraciné : ils refusent l’expatriation, même pour les études, et se définissent le plus "Mahorais", le plus "Français", le plus "Créole", le plus né ici (85%). Crispés sur une identité culturelle défensive, les plus anti-touristes, les plus anti-Comoriens, les plus antimariages mixtes, les frustrés sont la catégorie la plus attachée à des racines micro-locales ("là où je vis"), xénophobe, avec une sensibilité FN, et sont désireux d’imposer le shimaoré comme "langue officielle". Sûrs de leur droit, ils sont figés dans des certitudes intransigeantes conservatrices de prérogatives machistes : ils sont pour la polygamie et pour que l’homme soit le chef de famille, et sont contre toute évolution du statut des femmes et contre l’homosexualité. Les frustrés sont à la fois socialement répressifs si on leur fait du tort, mais complètement laxistes pour eux-mêmes, sans autre règles que les leurs. Ils sont les moins écologistes. Ils sont confiants dans la France et l’Europe, et dans les autres Dom dont ils attendent l'assistance. Non militants, mais attirés par des partis d’ordre (FN, UMP), ils sont en attente de leaders experts et beaux parleurs. Ils sont les plus confiants dans la classe politique locale, le gouvernement, les entreprises et les patrons locaux. Malgré cela, ils sont très pessimistes sur la société qui leur donne "envie de vomir", par sa régression surtout sur l'éducation, la santé, la sécurité, le racisme, les épidémies, et par le règne de l’argent et de la bureaucratie… ce qui pourrait les rendre prêts à l’explosion sociale. Les frustrés sont partisans d’une économie ultra-libérale où les entreprises se débrouillent seules, avec des investisseurs privés étrangers sans subvention, et où l’on renvoie les étrangers pour réserver le travail aux locaux. Téléspectateurs réguliers de RFO pour les infos en shimaoré, les frustrés sont fans de films d’action et de foot. C'est le groupe le plus en difficulté aujourd'hui, le plus sensible, celui qui nécessite une prise en compte, une prise en charge rapide.

nette désaffection pour la politique au profit d'un intérêt pour les mouvements associatifs : 47% n'ont pas de préférence politique locale, 45% n'ont pas envie de voter, 73% n'ont pas envie de militer en politique, mais 58% sont prêts à donner du temps bénévole et 61% à faire partie d'associations culturelles et sportives. Les hommes politiques locaux sont quant à eux jugés très sévèrement : 77% sont considérés comme "opportunistes", 76% comme ayant des "visions personnelles" et 70% sont "sourds". Pourtant, 73% des jeunes ont confiance dans le gouvernement, beaucoup plus éloigné… Même si les valeurs occidentales matérialistes sont de plus en plus intériorisées par les jeunes Mahorais, il en est tout autrement du rationalisme cartésien, de la désaffection de la pratique religieuse et du relativisme des croyances que l'on peut constater

en Métropole : 89% des jeunes Mahorais estiment que la religion est importante, 78% déclarent être pratiquants (dont 41% réguliers), 91% croient en la prière, 70% au cadi, 63% aux guérisseuses et 56% aux sorts. Concernant le monde économique, les jeunes ne semblent pas avoir une grande estime pour les patrons : 65% pensent qu'ils sont frileux, 64% qu'ils ne sont pas solidaires et 60% qu'il n'y pas de dialogue avec eux. Enfin, le futur changement de statut suscite de grands espoirs, car aujourd'hui 80% des jeunes Mahorais estiment qu'ils sont moins bien traités et reconnus que dans les autres Dom-Tom, 66% que Mayotte est une île oubliée, 62% qu'ils sont une charge, 59% s'estiment incompris et 56% pensent qu'ils ne sont pas respectés. Il y a donc beaucoup de travail pour changer tout ça. n

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Propos recueillis par R.G

« NOUS ALLONS DÉPENSER CINQ MILLIONS D’EUROS PAR MOIS DANS LE BTP » Le lancement officiel du projet Caribus permet d’y voir plus clair sur les quatre lignes, le calendrier affiché, les montants investis ou encore sur l’après-travaux. Entretien avec Romain Girault, chargé de mission mobilités au sein de la direction générale aménagement et environnement de la communauté d’agglomération de Dembéni-Mamoudzou. Mayotte Hebdo : La première phase de la ligne 1 a officiellement débuté ce jeudi 10 février avec la pose de la première pierre du terminus sud. En quoi consistet-elle ? Et quel calendrier la communauté d’agglomération de Dembéni-Mamoudzou s’est-elle fixée ? Romain Girault : Il faut savoir que sur les quatre lignes, il n’y en a qu’une seule en site propre à construire. En d’autres termes, c’est celle qui nécessite le plus de travaux, à savoir l’élargissement de l’emprise de la voirie pour créer une voie dédiée aux bus. Cette première phase est le tronçon entre Passamaïnty et Baobab, qui va prendre 18 mois à partir d’aujourd’hui et qui doit être finalisée en août 2023. Date à laquelle nous pourrons mettre en service, de manière

provisoire, cette ligne 1 sur toute la partie sud. Le chantier de la seconde phase entre la rue Martin Luther King (rond-point SFR) et les Hauts-Vallons se déroulera sur la période 2023-2025. Sans oublier en parallèle la réalisation du dépôt de bus en face du Jumbo. Pour les trois autres lignes, nous utilisons la circulation classique. Les travaux consistent à la relation des arrêts. Ce sera beaucoup plus simple et cela impactera moins le trafic. Par exemple, ceux des lignes 2 et 3 seront réalisés au cours de l’année 2022. M. H. : Pourquoi ne pas avoir fait le choix de tout réaliser d’un coup pour limiter les désagréments dans le temps ? R. G. : D’un point de vue technique, nous ne

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R. G. : Le matériel roulant est en cours de définition : nous n’avons pas encore choisi si nous allons prendre des bus standards de 12 mètres ou des bus articulés de 18 mètres. Dans tous les cas, le dépôt bus est compatible avec les deux options ! Nous réfléchissons également à abaisser à sept ou huit minutes la fréquence de passage qui est pour le moment fixée à dix minutes. Même si tous les giratoires seront transformés en carrefours multicolores, les feux disposeront de boîtiers permettant de détecter les bus et leur donner la priorité. Pour la ligne 2, entre Passamaïnty et l’université de Dembéni, ce sera beaucoup plus compliqué d’avoir cet ajustement de timing ! Nous serons davantage sur une fréquence au quart d’heure ou à la demi-heure, mais nous espérons que ce projet va réduire le nombre de véhicules en amont et ainsi limiter la congestion. n

pouvons pas procéder à tous les travaux sur l’ensemble du linéaire en simultané en raison notamment des capacités matérielles et humaines des entreprises. Pourquoi ? Parce que tous les grands projets structurants du département commencent en même temps : le second hôpital à Combani, les collèges et les lycées, la piste longue… Tout cela alors que nous n’avons que deux entreprises de BTP sur l’île ! Donc elles ne peuvent pas être partout à la fois. Mais nous restons très ambitieux sur le Caribus : nous allons dépenser cinq millions d’euros par mois dans le BTP. Une première dans l’histoire de Mayotte selon le gouvernement. Et puis, il faut aussi prendre en compte le volet financier. La réalisation de la première tranche, évaluée à 86 millions d'euros, va aussi permettre de rassurer les investisseurs. M. H. : Août 2023, synonyme de mise en service provisoire, arrive à grands pas. Il ne va pas falloir traîner par rapport à l’après-travaux…

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LITTÉRATURE

LISEZ MAYOTTE

DES WAZUNGU PERDUS À MAYOTTE AGRÉGÉ DE LETTRES MODERNES ET DOCTEUR EN LITTÉRATURES FRANCOPHONES, CHRISTOPHE COSKER EST L’AUTEUR DE NOMBREUX OUVRAGES DE RÉFÉRENCE SUR LA LITTÉRATURE DE L’ÎLE AUX PARFUMS, NOTAMMENT UNE PETITE HISTOIRE DES LETTRES FRANCOPHONES À MAYOTTE (2015) DONT IL REPREND, APPROFONDIT ET ACTUALISE, DANS CETTE CHRONIQUE LITTÉRAIRE, LA MATIÈRE.

Janine et Jean-Claude Fourrier, Un M'zoungou à Mamoudzou, Chronique mahoraise, éditions L'Harmattan, 2001.

" Ces femmes vont me lapider, ici, comme un chien. Pourquoi moi ? " Ainsi s'interroge le vétérinaire Gérald Devaux - dit le " bakoko ". Pourtant, en arrivant à Mayotte, le bakoko pense sa vie tracée : un séjour de quatre ans et, au terme du contrat qui le lie à la Collectivité départementale, le retour en métropole. Pris entre ses problèmes sentimentaux, ses obligations professionnelles - l'éradication des chiens errants, cet homme chroniquement désabusé mais fin observateur n'aspire qu'à un tranquille anonymat. C'est compter sans la malchance. Bien malgré lui, il devient le héros d'un fait divers tragique.

Qu’est-ce qu’un mzungu ? Ceux qui lisent cette chronique se souviennent peutêtre de la réponse en forme de boutade d’un des personnages d’Abdou Salam Baco dans Brûlante est ma terre (1991). Nous avons précédemment caractérisé l’écrivain d’origine métropolitaine Patrick Turgis comme un mzungu. Pour continuer à traquer ce qui se cache derrière ce terme que tout Métropolitain de passage à Mayotte a entendu à son propos, nous souhaitons revenir sur un diptyque écrit à quatre mains. En effet, 2001, année de la publication du premier livre de Patrick Turgis, est aussi celle pendant laquelle Jean-Claude et Janine Fourrier éditent un manuscrit relatif à Mayotte : Un M’zoungou à Mamoudzou. Chronique mahoraise. Ce titre, à forte allitération en « m », raconte une bourde de Gérald Devaux, surnommé Bakoko (le vieux), Métropolitain venu éradiquer les chiens à Mayotte et qui perd un sachet de strychnine. Le protagoniste est donc un mzungu : « « M’zungu ou m’zoungou : étranger, blanc métropolitain. Pluriel wazungu. » (p. 18). Mais on trouve aussi dans le livre une autre définition plus poétique et fantaisiste : « « mzé » signifie « monsieur », « monsieur accompli » et « ungu », « ciel », « céleste ». (p. 116-117). On croise également deux autres personnages féminins entre lesquels, pourrait-on dire, balance le cœur du protagoniste, une jeune femme de Mayotte prénommée Moina et une enseignante venue de Métropole, Françoise. En plus de l’art littéraire déployé par les deux auteurs, et qui rend la lecture agréable, c’est également le catalogue des idées reçues

sur Mayotte qui retient notre attention. Dans le premier ouvrage, c’est surtout l’idée de l’île qui rend fou qui ressort : « ce pays rend le m’zungu totalement fou » (p. 136), « le soleil finissait par taper sur la tête de tous ces wazungu, la sienne comprise, dans ce monde si différent, ils perdaient leurs repères. » (p. 218). Outre l’écriture à quatre mains, ce qui nous intéresse encore dans cette entreprise littéraire est qu’elle connaît une suite : Le Retour du m’zungu. Mayotte vingt ans après (2018). On remarque d’emblée le changement de graphie du terme mzungu, d’une orthographe française complexe vers une nouvelle, phonétique et plus simple. Gérald et Françoise reviennent à Mayotte qui est restée aussi belle, en surface à tout le moins : « Large terrasse à vue splendide, avec en premier plan un fouillis de bananiers d’où émerge un cocotier dont le tronc mince s’élance vers le ciel ; au second plan, le lagon ; à l’arrière la masse confuse de la côte qui borde l’horizon. Sur la terrasse, table, chaises, fauteuils aux couleurs vives, profusion de plantes vertes, bougainvillées en cascades. Perché sur la rambarde, un maki à longue queue, lémurien chapardeur surpris au cours d’une visite. » (p. 30) Ils croisent de nouveaux personnages comme Hervé, reporter venu enquêter sur Mayotte et Joséphine, jeune femme métropolitaine originaire de Fougères. Se présentant lui-même comme un reportage ou une chronique, le nouveau roman met en abyme les discours sur Mayotte, en particulier le journalisme : « Le journal de Mayotte retransmis par France Ô et présenté par la charmante Géniale Attoumani. La

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rumeur rapportait que son père, professeur d’anglais et auteur de pièces de théâtre, arrivé en retard à la clinique et apprenant la naissance de sa fille, se serait exclamé : « C’est génial ! ». De mauvaises langues colportaient une autre version. Le père désirant que l’on pense de lui qu’il était « génial », c’est que ce que l’on disait chaque fois que l’on prononçait « Génial(e) Attoumani » (p. 29) Dans ce pèlerinage vingt ans après, on retrouve aussi la boîte de nuit de Petite Terre, - le Ninga -, la barge, la mangrove, le Conseil départemental, les promenades en aquavision, le tombeau d’Adriantsouli ou celui du frère de Balzac. Deux romans donc, à lire en miroir, pour voir ce qui a changé ou non à Mayotte, très bel endroit où le genre humain donne parfois à voir un triste spectacle !

Christophe Cosker

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MAGAZINE D’INFORMATION NUMÉRIQUE HEBDOMADAIRE Edité par la SARL Somapresse au capital de 20 000 euros 7, rue Salamani Cavani M’tsapéré BP 60 - 97600 Mamoudzou Tél. : 0269 61 20 04 contact@mayottehebdo.com Directeur de la publication Laurent Canavate canavate.laurent@mayottehebdo.com Directeur de la rédaction Mohamed El Mounir dit “Soldat” 0639 69 13 38 soldat@mayottehebdo.com Rédacteur en chef Axel Nodinot

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Couverture :

Jeunesse, la déroute...

Journalistes Axel Nodinot Romain Guille Raïnat Aliloiffa Lise Gaeta Direction artistique Franco di Sangro Graphistes/Maquettistes Olivier Baron, Franco di Sangro Commerciaux Cédric Denaud, Murielle Turlan Comptabilité Catherine Chiggiato compta@mayottehebdo.com Première parution Vendredi 31 mars 2000 ISSN : 1288 - 1716 RCS : n° 9757/2000 N° de Siret : 024 061 970 000 18 N°CPPAP : 0121 I 92960 Site internet www.mayottehebdo.com


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