LE MOT DE LA RÉDACTION
"C'EST PAS UNE VIE" Kahani, Combani-Miréréni, Koungou, Majicavo, Mtsapéré, Vahibé, Dzoumogné… Ces villages sont autant de points névralgiques de la violence mahoraise, susceptibles d'être bloqués chaque jour par les délinquants. Les habitants et travailleurs de Mayotte, eux, n'en peuvent plus de cette météo des caillassages et des barrages, qu'ils doivent consulter tous les jours en sortant de chez eux, avant de les contourner et d'être bloqués des heures sur les quelques routes de l'île. En face ou sur les réseaux sociaux, ils sont nombreux à critiquer leurs élus, pensant moins à éradiquer les bandes qu'à briguer un prochain mandat. Passée la colère, ne vient en bouche que le triste constat : "C'est pas une vie". Et il en est d'autres, sur l'île au lagon, qui ne vivent pas tout à fait normalement, car obligés de se cacher, ou du moins d'être vigilants. Il s'agit des personnes homosexuelles, bisexuelles, transgenres, bref, non-hétérosexuelles. Quasiment réduites à l'invisibilité dans la société ou les médias de l'île, nous leur donnons cette semaine la parole, afin de montrer qu'elles sont loin d'être isolées. S'il est inconcevable de les définir par leur orientation sexuelle, ces personnes sont bel et bien présentes à Mayotte, et leur nombre devrait leur permettre de vivre normalement, libres. Bonne lecture à toutes et à tous.
Axel Nodinot
TOUTE L’ACTUALITÉ DE MAYOTTE AU QUOTIDIEN
Lu par près de 20.000 personnes chaque semaine (enquête Ipsos juillet 2009), ce quotidien vous permet de suivre l’actualité mahoraise (politique, société, culture, sport, économie, etc.) et vous offre également un aperçu de l’actualité de l’Océan Indien et des Outremers.
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FI n°3839 Lundi 7 mars 2016 St Félicie
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FI n°3822 Jeudi 11 février 2016 Ste Héloïse
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FI n°3818 Vendredi 5 février 2016 Ste Agathe
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Quel accueil se prépare pour la présiDente Du Fn ?
Le Lagon au patrimoine mondiaL de L'unesCo ?
la dsP sur la sEllEttE
pas de changement sUr l’octroi de mer
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Grève à Panima
TéléThon 2016
Des propositions mais toujours pas D'issue
DemanDez le programme
première parution : juillet 1999 - siret 02406197000018 - édition somapresse - n° Cppap : 0921 y 93207 - dir. publication : Laurent Canavate - red. chef : Gauthier dupraz - http://flash-infos.somapresse.com
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Diffusé du lundi au vendredi, Flash Infos a été créé en 1999 et s’est depuis hissé au rang de 1er quotidien de l’île.
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Les appeLs à projets de L'europe
Couvre-feu pour Les mineurs
Première parution : juillet 1999 - Siret 02406197000018 - APE 5813Z - Édité par la Somapresse - Directeur de publication : Laurent Canavate - http://flash-infos.somapresse.com
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Musique
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Edmond BéBé nous a quitté
ViolEncE En cascadE
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MCG VS SMart
ViCe-reCtorat
UltimatUm oU véritable main tendUe ?
l’institUtion répond aUx critiqUes
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TCHAKS LE CHIFFRE 7
C'est le nombre de jours qu'il faudra désormais respecter pour déposer une demande d'asile à Mayotte. Auparavant longue de 21 jours, cette période de dépôt de dossier est donc divisée par trois, à la suite d'un décret paru au Journal officiel dimanche dernier. Si cette mesure ne se mettra en place qu'au début du mois de mai prochain, elle fait déjà grincer des dents. "Il s'agit d'une discrimination par nationalité, cela n'existe nulle part ailleurs en France", déclarait Gérard Sadik, responsable national des questions Asile de la Cimade, à Flash Infos. La période d'instruction des dossiers est également réduite dans le cadre de ce décret, puisqu'elle se limitera désormais à trois semaines. Ces délais raccourcis rejoignent ceux qui sont appliqués en Guyane française depuis le mois de septembre 2018.
L'ACTION
Des barrages contre l'insécurité Comme l'immense majorité des Mahorais, qui ne demandent qu'à vivre paisiblement, les habitants de Mtsapéré sont excédés de l'extrême violence frappant leur île. C'est pour protester contre la délinquance, mais aussi le manque de réaction de la part des autorités locales, que les badauds ont bloqué durant plusieurs jours différents endroits du quartier. Bloquer la circulation est semble-t-il la seule façon d'alerter, même si l'État et le département paraissent sourds à ces appels. Mardi, en effet, le préfet de Mayotte lui-même s'est déplacé sur les lieux de la colère... Sans rencontrer les habitants. Seule une table ronde réunissant le préfet, le procureur, le maire de Mamoudzou et le cabinet du directeur du CD a eu lieu. Pour les réponses concrètes, les habitants attendront, et continuent les barrages.
LA PHRASE
"Les singe de Mayotte"
C'est l'une des écritures racistes garnissant les murs des toilettes de la prison de Bois d'Arcy, qui comporte plusieurs surveillants pénitentiaires d'origine mahoraise. D'autres inscriptions xénophobes, telles que "Bande de dégulasse, tiré la chasse putain ! Français de Mayotte", figurent sur les murs de la maison d'arrêt francilienne. Les gardiens mahorais, choqués et démoralisés par ces graffitis à l'orthographe aussi approximative que la réflexion de leurs auteurs, ont logiquement été soutenus par la direction de l'établissement pénitentiaire. Cette dernière aurait effectivement annoncé qu'elle allait déposer une plainte. En 2018 et 2019, des écritures anti-Mahorais étaient déjà apparues sur les murs de la prison. Un rappel à l'ordre de la direction avait suivi. Cette fois, les graffitis ont été effacés, et leurs auteurs, attaqués.
IL FAIT L'ACTU El-Farouq Adinani, l'écho des assos Le président de l'association Sirel 976 a lancé cette semaine l'application "Eh, Co !", subtil jeu de mots reprenant "l'écho" français et le "Co" shimaoré, qui signifie "Viens, venez". L'objectif de cette nouvelle plateforme est de recenser les événements et actions à venir des associations mahoraises, listées par date et réparties sur la carte satellite de Mayotte. Une manière pour la population de se tenir au courant des activités proposées par les différents organismes de l'île au lagon, via la simplicité et l'ergonomie d'une application mobile. Autre point fort, la gratuité de cette dernière. Eh, Co ! est en effet soutenue par la préfecture de Mayotte, ce qui procurera aussi une plus grande visibilité à la plateforme, également disponible sur Internet : ehcomayotte.yt
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LU DANS LA PRESSE
Chaque semaine, découvrez le regard porté sur l’actualité locale à travers la presse nationale ou régionale
A MAYOTTE, DES HABITANTS BLOQUENT LES ROUTES POUR PROTESTER CONTRE LA VIOLENCE Le 23 février 2022, par L'Express avec l'AFP. sait pas ce qu'il y a derrière, on leur permette de torturer ici, et puis on les voit le lendemain se promener comme si de rien n'était, comme s'il n'y avait pas de justice", s'emporte également Ahmed Soilhi, un habitant de M'tsapéré. Dans la nuit de lundi à mardi, plusieurs habitants ont tenté de couper la circulation sur la route nationale qui contourne la commune, entraînant une intervention des forces de l'ordre. Selon le commissaire Laurent Simonin, directeur territorial de la police nationale de Mayotte, vingt-cinq grenades lacrymogènes ont été tirées pour empêcher une quinzaine de tentatives de bloquer cette route nationale. - " Utopie " A Mayotte, pour protester contre une flambée de violences des habitants barrent les accès à leur quartier voire tentent de bloquer des axes de circulation, dans une île marquée par cinq meurtres ou tentatives depuis le début de l'année. A l'origine de ces violences, des affrontements entre jeunes de quartiers rivaux ou contre les forces de l'ordre quand elles interviennent pour les séparer. Automobilistes et passants font aussi les frais de ces violences. C'est ainsi qu'un habitant du quartier de M'Tsapéré, au sud de Mamoudzou, a été tué au début du mois, avec un coupe-coupe. Un mineur de 16 ans a été mis en examen et écroué. En tout, ce sont cinq meurtres ou tentatives de meurtre que le procureur Yann Le Bris dénombre depuis le 1er janvier 2022. Un premier blocage a eu lundi lieu à Vahibe, sur une route du centre de Mayotte confrontée à ces affrontements récurrents entre bandes rivales. Depuis lundi, les habitants du village de M'Tsapéré ont également décidé de bloquer les accès routiers à leur quartier, en signe de protestation. "On est en paix parce que la petite route qu'on a fermée, c'est cet endroit-là qui servait de champ de bataille pour les jeunes, et donc aujourd'hui le fait qu'on a fermé, eh bien on dort bien", explique Sara une habitante de M'tsapéré interrogée mercredi par l'AFP, qui n'a pas souhaité donner son nom. "Dans quel département ou dans quelle région de la France ou peut avoir trois morts et où il n'y a personne qui réagit ? On ne demande pas d'argent, on ne demande pas plus de policiers, on demande juste que la loi française soit appliquée sur ce territoire", interroge Banali Chams Eldine, un manifestant.
Une colère accentuée par l'intervention lundi sur l'antenne de Mayotte La 1ère du préfet Thierry Suquet qui a assuré que "penser qu'on peut éradiquer la violence et la délinquance, ça fait partie de l'utopie" avant d'ajouter que "lutter contre la violence et la délinquance, c'est, avec persévérance, être présent sur le terrain". "Il y a un contexte sécuritaire sensible, la situation se tend depuis quelques semaines", reconnaît une source proche du dossier. "Au cours des deux premières semaines de février, il y a eu 3 homicides", "une augmentation des atteintes physiques et matérielles" et "une quinzaine de cars de transport scolaire ont été dégradés, soit un par jour", selon cette source. En conséquence les opérations de rétablissement de l'ordre sont "fréquentes": elles mobilisent "de 20 à 50 gendarmes" tous les deux jours environ, ajoute cette source. Déjà en 2018, une grave crise sociale avait éclaté pour dénoncer l'insécurité sur l'île et s'était traduite par sept semaines de blocage des routes et un ralentissement de l'économie locale. Un plan de 1,3 milliard d'euros avait alors été mis sur la table, mais ses effets peinent à se faire sentir au quotidien. En 2021, le parquet de Mamoudzou a enregistré une augmentation de 25% des saisines pour des faits criminels à Mayotte et de 21% pour des délits. Un tiers des délits sont le fait de mineurs, selon le parquet de Mamoudzou dans une île qui manque de classes pour prendre en charge tous les jeunes du territoire. Le maire de Mamoudzou, Ambdil Wahedou Soumaïla, estime que la situation pourrait encore se dégrader. "Si nous n'apportons pas de solutions immédiates, ça peut inciter un certain nombre de citoyens à se rendre justice eux-mêmes, ce serait une ligne rouge et la rupture du pacte républicain", prévient-il.
"Les gens de M'tsapéré, on commence à en avoir ras-le-bol, que ces jeunes-là, qu'on appelle +jeunes+ parce qu'on ne
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TRIBUNE
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MANSOUR KAMARDINE, DÉPUTÉ LES RÉPUBLICAINS DE MAYOTTE. "FACE AU RISQUE DE BASCULEMENT DU 101ÈME DÉPARTEMENT VERS LA GUERRE CIVILE, JE DEMANDE AU GOUVERNEMENT D’AGIR SANS DÉLAI, AVEC FORCE ET EN COORDINATION AVEC LES ÉLUS LOCAUX" La violence de bandes barbares avec son cortège d’assassinats, de mutilations, d’incendies, de vols et de terreur qui frappe Mayotte et plongent ses habitants dans la torpeur depuis plusieurs années risque de déclencher une nouvelle grave crise politique dans le 100ème département. Faut-il rappeler qu’en quelques années, Mayotte a basculé d’un territoire parmi les plus sereins de France en région qui subit le taux d’homicides le plus élevé d’Europe ! Pourtant, les élus de Mayotte n’ont eu de cesse d’alerter les pouvoirs publics et d’émettre des propositions pour faire face à la crise sécuritaire fortement liée à Mayotte à l’immigration clandestine. Souvenons-nous qu’il a fallu plus d’un an pour que le gouvernement accepte la tenue et sa participation à des assises de la sécurité à Mayotte, alors même que la sécurité est la 1ère des compétences de l’Etat ! J’ai moins même interpelé des dizaines et des dizaines de fois le gouvernement depuis 2017, à l’Assemblée Nationale, en commission, en séance publique, par courrier, par questions publiées au journal officiel, par voie de presse. A chaque fois mes interpellations étaient assorties de propositions concrètes en matière législative, en matière réglementaire, en matière de moyens, d’infrastructures, d’administration et de
personnel, concernant notamment les forces de l’ordre et l’institution judiciaire. Toujours, avec l’ensemble des élus locaux, nous nous sommes efforcés de maintenir le fil du dialogue pour que la raison gagne les esprits à Paris. Même si l’arrivée de Gérald DARMANIN au ministère de l’intérieur a permis une meilleure prise en compte d’exigence de sécurité, globalement le gouvernement demeure sourd aux souffrances des Mahorais et à leur aspiration à la sérénité. En réalité, concernant Mayotte, la gesticulation prévaut souvent sur l’action résolue et le gouvernement intervient toujours trop peu et trop tard ! Mayotte est de nouveau au bord du gouffre. Par voie de conséquence, je demande solennellement au gouvernement d’agir sans délai, avec force et en coordination avec les élus locaux en : - Convoquant en urgence une réunion interministérielle à Paris sur la sécurité à Mayotte ; - Dépêchant une équipe composée des ministres de l’intérieur, de la Justice et des Outre-mer pour arrêter, en concertation avec les élus de Mayotte, les mesures et les moyens urgents qui s’imposent pour faire reculer l’insécurité et éviter le basculement du territoire dans la guerre civile.
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PORTRAIT R.G
JOSIANE HENRY
MÈRE DES 650 INFIRMIERS MAHORAIS DIPLÔMÉS À 68 ans, Josiane Henry tire sa révérence et prend sa retraite après 35 ans de bons et loyaux services au sein du centre hospitalier de Mayotte. Une carrière pleine dédiée à la formation des professionnels de santé locaux et à la direction des soins.
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PORTRAIT
« Ça a été une aventure passionnante ! » Officiellement retraitée depuis la fin de semaine dernière, Josiane Henry troque une carrière longue de 35 ans au centre hospitalier pour un repos bien mérité. « Lors de mon arrivée en octobre 1979, je pensais venir pour deux ans », sourit la provinciale du Berry, au moment de jeter un coup d'œil dans le rétroviseur. Âgée alors de 26 ans, elle débarque avec son mari, Jean-Claude, et son bébé sous le bras. « Mayotte commençait son chemin singulier après
le référendum de décembre 1976 », retrace-telle. « Chaque semaine, il y avait quelque chose de nouveau. » En charge de l'encadrement des soins sur le site de Mamoudzou le matin et de la formation des infirmiers locaux l'après-midi, elle se confronte à la dure réalité de cette toute récente collectivité territoriale, située à 8.000 kilomètres de la métropole. « Des conditions de vie très rustiques, eau courante et électricité encore rares, deux routes et des pistes, très peu de maisons
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en dur, sauf les mosquées et les administrations. » Le niveau scolaire de sa première salve d'étudiants varie du CM2 à la 4ème... Chaque sortie de promotion coïncide avec l'ouverture de nouveaux dispensaires. « Nous participions activement à la construction du service de santé », souligne Josiane Henry, entourée de Mariata, Fatima, Habibou, Oussene Saidy jeudi dernier à l'occasion de son pot de départ. Quatre des cent premiers infirmiers formés entre 1977 et 1991. « Une bonne moitié sont déjà à la retraite. »
UNE COUPURE DE SEPT ANS L'année suivante marque le lancement de l'école d'aidessoignants suivie de l'école d'auxiliaires de puériculture en 2016, débouchant toutes les deux sur des diplômes nationaux. Une première étude d'implantation d'un institut de formation en soins infirmiers se réalise en 1996. « J'ai rempli le premier dossier », se remémore-t-elle. Puis vient l'heure de procéder à une coupure. « Il fallait au bout de 16 ans que j'aille voir ce qu'il se passe en hôpital public. » Josiane Henry part à l'école nationale de santé publique de Rennes avant de devenir directrice des soins au centre hospitalier départemental Félix Guyon de Bellepierre à La Réunion pendant cinq ans. « Je voulais vivre cette expérience avant de rentrer. »
À son retour en 2003, Josiane Henry occupe un poste à la direction des soins, comme adjointe pendant sept ans puis en tant que coordinatrice générale durant trois années. Une décennie durant laquelle elle travaille d'arrache-pied pour faire monter l'établissement en compétences. En 2013, elle revient à son premier amour : la formation des professionnels de santé. Elle reprend la coordination de l'IFSI (officiellement ouvert en 2001 et devenu universitaire en 2009), de l'IFAS et de l'IFAP. « En vingt ans, nous avons diplômé 550 infirmiers d'État auxquels il faut ajouter les 100 du début. Je me suis régalée ! » Un dossier de partenariat noué en 2018 avec les IFSI CroixRouge de Nîmes et de Toulouse permet d'y envoyer 15 étudiants. Un autre voit le jour en septembre dernier avec l'IFSI Croix-Rouge de Quétigny en Bourgogne Franche Comté. « Nous en formons 35 infirmiers chez nous et 30 en métropole », se réjouit Josiane Henry. Un quota qui ne cesse d'augmenter au vu des besoins exponentiels dans le 101ème département ! « J'ai l'impression d'avoir posé la première pierre de quelque chose de grand. L'IFSI a pour avenir de s'installer dans le second hôpital à Combani. Aujourd'hui, ce n'est encore que l'embryon de ce qu'il sera demain. » C'est le cœur lourd, mais le sentiment du devoir accompli que cette bâtisseuse acharnée passe le flambeau à Carine Piotrowski. n
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DOSSIER
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LGBT+
VIVRE LIBRES
En 2022, à Mayotte, un couple homosexuel peut voir une mairie refuser de célébrer son mariage. Une femme bisexuelle peut vivre des années sans s'afficher avec une femme. Un homme gay peut être lynché à la sortie d'une boîte de nuit. Ces comportements homophobes, qui sont aussi présents dans l'Hexagone, tendent à effacer une partie de la population mahoraise. Sauf que, quoi qu'on en pense, les personnes homosexuelles, bisexuelles, transgenres ou encore pansexuelles existent à Mayotte. Elles ont d'ailleurs la parole cette semaine, et, qu'importe l'orientation sexuelle, la volonté est commune à toutes et à tous : vivre en paix.
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DOSSIER
Axel Nodinot et Raïnat Aliloiffa
SOCIÉTÉ
UN MARIAGE PAS ENCORE POUR TOUS
PROMULGUÉE LE 17 MAI 2013, LA LOI PERMETTANT AUX COUPLES HOMOSEXUELS DE SE MARIER S'EST LOGIQUEMENT DÉPLOYÉE SUR MAYOTTE. SEULEMENT, LES OPPOSANTS À CETTE LOI DEMEURENT NOMBREUX SUR LE TERRITOIRE, TOUT COMME LES ENTRAVES AUX UNIONS DE PERSONNES DE MÊME SEXE. EXEMPLE AVEC CE COUPLE HOMOSEXUEL DU SUD DE MAYOTTE, À QUI L'ON REFUSE L'UNION. « Je ne suis pas disponible pour le moment, veuillez me laisser un message. » C'est désormais la seule réponse que nous avons d'Abdou Rachadi, maire de la commune de Kani Kéli, lorsque nous voulons l'interroger au sujet d'un couple homosexuel que sa mairie a refusé de marier à plusieurs reprises. La première fois que nous l'avons contacté pour avoir des explications quant à cet imbroglio marital, il s'est fait passer pour un conseiller municipal, en nous donnant un faux numéro... Avant de ne plus répondre. Quant au directeur général des services de la mairie du sud, il refuse de parler de cette affaire. Cette dernière débute il y a quelques mois, lorsque Thomas et Gaël*, habitants de la ville du sud, décident de se marier. « On tenait à ce que le mariage se fasse le 12 février, mais on nous l'a refusé parce qu'il y avait des indisponibilités », déclare Gaël, débutant un récit aussi long que les démarches du couple : « On a ensuite demandé le 14 février. On s'est pointés le 14,
et on nous a dit qu'il y avait eu un défaut de communication, que personne n'était renseigné. Nous avons alors rencontré le maire en personne, avec nos témoins, à la mairie. Il nous a confirmé de sa bouche qu'il célèbrerait notre mariage le samedi 19, à 8 heures du matin, en nous disant qu'il avait une réunion à 9 heures. » Cette promesse orale, Abdou Rachadi refuse néanmoins d'en fournir une preuve écrite. « Il était déjà décidé à ne pas le faire », juge le futur mari à posteriori. À partir de cette entrevue le lundi 14 février, le couple se prépare en effet pendant la semaine, quand, le jeudi soir, ils reçoivent un message d'un numéro privé, qui leur demande de se présenter à la mairie le lendemain, le vendredi 18, pour vérifier et éditer les actes de mariage. « Nous l'avons fait, et pour nous, c'était bon ! », se remémore Gaël. Le matin du grand jour, les mariés se préparent donc. Il est 7 heures, une heure avant la cérémonie, quand ils reçoivent un appel, une nouvelle fois en privé. C'est l'un des agents administratifs de la mairie de
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Kani Kéli. « Le maire a dû prendre l'avion de toute urgence », annonce-t-il aux jeunes hommes, échaudés par cet énième report. « Finalement, il nous a dit que le maire s'était enquéri de l'opinion de la population de Kani Kéli, alors que les bans étaient affichés depuis des semaines ! », fulmine Gaël. « On nous a aussi dit qu'un conseil municipal avait eu lieu, dans lequel les gens se sont montrés en désaccord avec cette union. Monsieur le maire a peur de se mettre sa population à dos. Il s'agit clairement d'homophobie. »
" IL S'AGIT CLAIREMENT D'HOMOPHOBIE "
« NOUS NE SOMMES PAS LÀ POUR DÉCLENCHER UNE GAY PRIDE À KANI KÉLI ! »
premier temps, Thomas et Gaël ont même pensé à se rabattre sur un PACS, « plus simple et plus rapide ». « La question, c'est est-ce que l'on se bat pour la communauté LGBT, ou égoïstement pour notre couple ? », s'interroge Gaël.
Moins d'une semaine plus tard, la déception a laissé place à l'amertume chez le couple. « Il y a un côté malsain dans cette histoire, parce qu'ils ont cherché à nous humilier, continue le futur marié. Quand vous faites venir quelqu'un en tenue de mariage, le 14, jour de la Saint-Valentin, et que vous lui dites que finalement ça ne va pas pouvoir se faire, c'est quand même mesquin ! Pour nous c'était vraiment important, on avait accordé de l'importance à cette journée. » Dans un
Le couple a finalement opté pour la première option, cherchant à faire transférer leur dossier à la mairie de Mamoudzou, bénéficiant de plus de lumière et ne pouvant donc se permettre de décaler ou annuler une union sous prétexte qu'elle concernerait deux personnes de même sexe. « Mais quand bien même, ça voudrait dire que la mairie de Kani Kéli s'en laverait les mains », regrette un Gaël en pleine incompréhension. « On a expliqué au
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DOSSIER
LGBTQIA... L : Lesbiennes G : Gays B : Bisexuels T : Transgenres Q : Queers I : Intersexes A : Asexués P : Pansexuels 2S : « Two-spirit », bispirituels
maire que l'on ne cherchait pas à bouleverser les traditions, on veut juste jouir de nos droits civiques, comme tout le monde, et après chacun reprend sa vie dans son coin, continue-t-il. Nous ne sommes pas là pour déclencher une gay pride à Kani Kéli ! À partir du moment où Monsieur a décidé d'être maire, il faut qu'il assume de faire des choses qui ne lui plaisent peut-être pas. » Les deux jeunes hommes ont enfin débuté des démarches judiciaires, afin de punir le comportement illégal de la municipalité de Kani Kéli.
27 SEPTEMBRE 2013, LE PREMIER MARIAGE GAY À MAYOTTE
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Cette affaire, loin d'être orpheline, révèle le rôle encore prépondérant des traditions sur la société mahoraise, où le regard des autres est un jugement sans appel, encore plus pour les responsables politiques locaux. Pourtant, de nombreux mariages gays se sont déroulés sur le territoire. Le premier d'entre eux a eu lieu le 27 septembre 2013, quelques mois après la promulgation de la loi sur le mariage pour tous. Ce sont alors un métropolitain et un Cubain qui s'unissent dans la mairie de Mamoudzou, devant laquelle sont amassés des dizaines de curieux. Jeunes ou plus âgés, plus ou moins sceptiques, ces derniers regrettent que la cérémonie ait été décalée, justement pour les empêcher d'interférer. Si certains d'entre eux déclarent à l'époque "s'en foutre", que "la loi c'est la loi", d'autres fulminent, laissant échapper des "On n'est pas d'accord", "ça va péter" ou "c'est honteux" au milieu du brouhaha.
Il faut dire que la société mahoraise, marquée par les traditions et la religion musulmane, ne constituait pas un terreau fertile à l'homosexualité. "C'est un mariage qui n'est pas comme les autres, affirmait même Abdourahamane Soilihi, maire de Mamoudzou à l'époque. J'ai dû répéter deux fois "Voulez-vous prendre comme mari Monsieur Untel". Il ne faut pas les vexer, je les respecte." L'ancien sénateur, résolument opposé au mariage pour tous, avouait même ne pas avoir regardé quand les deux époux s'étaient embrassés. Deux ans plus tard, le 28 mars 2015 plus exactement, le même hôtel de ville accueillait le premier mariage entre deux hommes mahorais, âgés de 25 et 30 ans. Malgré de nombreuses cérémonies depuis, les réticences sont toujours présentes, à l'image de l'imbroglio autour de l'union de Thomas et Gaël. . n * Les prénoms ont été modifiés.
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DOSSIER
Axel Nodinot
TÉMOIGNAGES
LES MAHORAISES N'AIMENT PAS QUE LES HOMMES TOUT COMME "LA FEMME" N'EXISTE PAS, IL S'AGIT DE PARLER AU PLURIEL DE L'IDENTITÉ DES MAHORAISES. CERTAINES D'ENTRE ELLES, LESBIENNES, BISEXUELLES OU ENCORE PANSEXUELLES, SEMBLENT EFFACÉES DE L'ÉQUATION SOCIÉTALE. CES FEMMES MAHORAISES NON-HÉTÉROSEXUELLES EXISTENT POURTANT BEL ET BIEN, ASPIRANT À UNE VIE NORMALE SUR UN TERRITOIRE QUI NE LE PERMET PAS TOTALEMENT. À Mayotte comme dans le reste du monde, l'homophobie ne connaît pas d'armistice. Le soir du 11 novembre 2021, un homme était roué de coups à la sortie d'une boîte de nuit de l'île, à cause de son homosexualité. Cette violence extrême, qui reste heureusement rare, ne doit pas cacher le reste des injures, remarques et jugements que subissent les personnes ayant une orientation autre qu'hétérosexuelle. Et, sur l'île au lagon, les femmes lesbiennes et bisexuelles sont traitées différemment de leurs homologues masculins, comme le remarque une Mahoraise connue sous le nom de Meenleemurat sur Instagram. « L'homosexualité des hommes est très critiquée, avec notamment le mot "sarambavi", qu'on pourrait traduire par "pédé", regrette-t-elle. Pour la femme, c'est complètement différent, car tabou. Il faut que la femme ait une certaine pudeur, qu'elle se marie... Les femmes font leurs choses en soum-soum. » La jeune femme, pansexuelle avec une appétence pour les femmes, est avant tout
sapiosexuelle, attirée par l'intelligence. « J'ai compris très tôt que j'aimais les filles, affirme-t-elle. J'en ai parlé à l'infirmière du collège, parce que ça ne me semblait pas naturel, et elle m'a dit qu'il ne fallait pas y penser. » Il n'y a que quelques années, alors qu'elle vit en Angleterre, que Meenleemurat ose sauter le pas avec sa mère, qui lui rend visite outre-Manche. « Elle est complètement dans le déni, mais ça m'a permis d'être soulagée », explique-t-elle. Ses cousines, elles, l'acceptent comme elle est. Quant aux autres personnes, la jeune femme réussit à les ignorer complètement : « Maintenant, je me moque de la réaction des gens. » Même son de cloche chez Sanae, communicante pour une association mahoraise, qui a avoué son attirance pour les femmes à ses parents lors de son retour d'études, il y a un an et demi : « Une partie d'eux le savait, car je suis assez garçon manqué, l'autre partie est dans le déni, analyse-t-elle. C'est aussi parce que je ne le montrais pas, que je mettais de la distance avec ça. Après, j'ai de la chance d'avoir des parents assez ouverts d'esprit. »
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Sur Instagram, Meenleemurat défend le droit des LGBT+ à vivre normalement.
PUDEUR MAHORAISE À l'extérieur de sa famille, Sanae n'a jamais vécu de situations brutales liées à sa sexualité, « juste des propos déplacés, au sein de discussions, où l'on me rappelait la religion, et notamment les versets qui les intéressent, pour justifier que ce que je faisais était mal. » En effet, l'homophobie latente sur le territoire mahorais
s'explique premièrement par sa religion musulmane, considérant l'homosexualité comme "haram", interdite. « Certaines familles sont très violentes, avec des personnes qui se retrouvent à la rue, confirme Meenleemurat. À Mayotte, il y en a pour qui l'homosexualité est une maladie. C'est triste. » Deuxième facteur de mépris vis-à-vis des femmes pansexuelles, bisexuelles et lesbiennes, la place de la femme dans la société mahoraise : «
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Quand tu es une femme, tu dois forcément avoir envie de maternité », déplore Sanae, avant d'ajouter : « Mais, même avec un homme, je n'aurais pas eu envie d'avoir des enfants ». Enfin, la communicante avance un troisième facteur pour le manque de représentation de la communauté LGBT+ sur le territoire : la pudeur mahoraise. « Il y a aussi une pudeur qui tient de la culture mahoraise, que l'on retrouve aussi chez un couple hétérosexuel. Nous ne sommes pas du genre à se tenir la main dans la rue ou à s'embrasser », analyse la jeune femme, qui ne se cache pas pour autant. À l'instar de Meenleemurat, qui affiche fièrement et sans complexes ses attirances : « Si j'ai envie d'embrasser ma copine en public, je le fais. Mais je respecte ceux qui se cachent, et je les comprends, surtout à Mayotte. » Se cacher, c'est ce qu'a fait pendant des années Nely, bisexuelle exilée
en métropole pour continuer ses études, qui apprécie également d'y être pour vivre sa vie comme elle l'entend, sans prendre en compte le regard des autres. « Ça se passe mieux, parce que je n'ai pas ma famille ou Mayotte qui me regarde, déclare-t-elle. Ici les gens se moquent de ma vie, je suis qui je suis. Mayotte est une petite île, tout le monde se connaît, c'est musulman, donc on ne peut pas trop venir avec des idées différentes. Quand on me voyait avec un homme, on le disait à ma mère. »
"MA TANTE A DIT À MA COUSINE DE MOINS ME FRÉQUENTER, COMME SI J'ALLAIS LA CONTAMINER !" Lorsque l'étudiante avez un rendez-vous avec une femme à Mamoudzou, elle se bridait pour ne pas éveiller les soupçons
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Leurs messages à la jeunesse non-hétéro Nely
« Ce n'est pas obligatoire d'en parler, moi je ne ressens pas le besoin de le dire, je vis juste ma vie comme je l'entends. Mais c'est en s'imposant qu'ils accepteront. Et, même s'ils ne l'acceptent pas, ils ne pourront pas faire grand-chose. »
Sanae
« Aimez-vous vivants. Quand vous serez morts, vous ne pourrez plus aimer la personne que vous avez envie d'aimer. »
@meenleemurat
des badauds. « Sur ma sexualité, je suis assez discrète. On ne s'embrassait pas en public, on se voyait comme deux amies et on repartait chacune de notre côté », regrette-telle. Si cette discrétion a permis à Nely de ne subir aucune violence liée à son orientation sexuelle, elle l'a également empêchée d'être elle-même, redoutant les réactions de sa famille, comme lorsque sa mère a découvert qu'elle sortait avec une femme. « Elle l'a mal pris, et m'a interdit de voir des filles, continue l'étudiante. Une de mes tantes l'a aussi su, et a dit à ma cousine de moins me fréquenter, comme si j'allais la contaminer ! » Quant à Meenleemurat, elle a déjà subi crachats et lancers de verre de la part d'homophobes. Sanae, enfin, prend du recul sur des expériences parfois difficiles à vivre, comme lorsque des hommes veulent "s'ajouter" à son couple. « Quand on dit non, on est tout de suite traitées de putes, de goudous... C'est plutôt drôle », relativise-t-elle. L'espoir est cependant de mise pour la communauté LGBT+ de Mayotte, à la faveur de jeunes qui parviennent tant bien que mal à s'émanciper des
« Être homosexuel ne te définit pas en tant qu'être humain, tu n'es pas obligé de faire ton coming-out. Les hétéros n'en font pas. Il faut se sentir en confiance, en sécurité, parce qu'on est arrivé à un point où on se fait insulter, on se fait tabasser. Tu es tout à fait normal, ça va bien se passer. » traditions, sans pour autant les remettre en cause. Un compte Instagram, @lgbt_mayotte_, représente même la communauté mahoraise. « Oui, Mayotte est de plus en plus ouverte d'esprit, grâce à notre génération et à celle d'avant, parce qu'on voyage plus, parce que toutes les réponses sont sur Google, affirme Meenleemurat. Mais on n'est pas encore arrivés au bout du chemin. » Sur ce chemin, Sanae voudrait y faire « une marche » des fiertés, afin de rendre visibles les femmes et les hommes dont on dit encore trop souvent qu'ils n'existent pas à Mayotte. n
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Propos recueillis par Raïnat Aliloiffa
ENTRETIEN
ANSUFIDDINE, HOMOSEXUEL ET TRANSGENRE 100% ASSUMÉ ANSUFIDDINE A 19 ANS, IL EST EN PREMIÈRE ANNÉE DE LICENCE DE GÉOGRAPHIE AU CUFR DE DEMBÉNI. IL SE CONSIDÈRE COMME UNE PERSONNE NORMALE, QUI MÈNE UNE VIE QUELCONQUE, MAIS IL EST CONSCIENT QUE TOUT LE MONDE NE PORTE PAS LE MÊME REGARD SUR LUI. ANSUFIDDINE EST UN HOMOSEXUEL TRANSGENRE QUI S’ASSUME ENTIÈREMENT. IL S’HABILLE ET SE MAQUILLE COMME UNE FEMME SANS SE PRÉOCCUPER DES CRITIQUES. UN CHOIX DE VIE QUI N’EST PAS DE TOUT REPOS DANS UNE SOCIÉTÉ MAHORAISE QUI PEINE À ACCEPTER LA COMMUNAUTÉ LGBTQ. Mayotte Hebdo : Comment vous définissez-vous ? Ansufiddine : Je me définis comme une personne normale, qui a une vie normale. Certains ont une autre opinion et disent que les gens comme moi sont différents, alors qu’être homosexuel ou transgenre ce n’est pas être différent des autres. Ils veulent nous écarter de la société. Ces gens-là n’essayent pas de voir au-delà de ce qu’ils pensent connaître, de leurs a priori, et c’est dommage pour eux. Oui je suis gay et transgenre, et je sais que c’est interdit dans l’islam, c’est ce qu’on nous enseigne à l’école coranique, mais je n’y peux rien. Je suis né comme ça, je n’ai pas choisi d’être qui je suis, tout comme les hétérosexuels qui n’ont pas choisi de l’être.
M.H. : À quel âge avez-vous su que vous étiez attiré par les hommes ? A. : Dès l’âge de 10 ans je l’ai su. Je savais ce que je voulais mais je n’ai rien dit jusqu’à mes 16 ans. J’ai essayé d’étouffer mes envies en me focalisant sur autre chose, en sortant avec des filles mais je ne ressentais rien pour elles et j’étais triste. J’ai fini par révéler la vérité. M.H. : Comment a réagi votre entourage à ce moment-là ? A. : Il y a eu des conséquences. Certaines personnes qui prétendaient être mes amis m’ont tourné le dos, mais je m’en fiche. Je suis en paix avec moi-même et c’est le plus important. Mes parents l’ont mal pris. Je ne vis plus avec eux parce que mon père
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n’accepte pas mon mode de vie. On se parle mais la relation avec lui n’est pas au top. Ça se passe mieux avec ma mère, elle ne me soutient pas mais elle n’essaye pas de me changer non plus. M.H. : Vous êtes également transgenre, vous vous maquillez et habillez comme une femme, comment avez-vous sauté le pas ? A. : Je pense que je me suis toujours senti trans, c’est arrivé comme ça, naturellement, quand j’avais 17 ans. J’aime
m’habiller en femme mais je mets aussi des vêtements d’homme. J’ai deux styles vestimentaires, c’est plutôt cool ! Je me maquille aussi, j’adore le maquillage. Quand j’ai commencé à me maquiller je le faisais en cachette, un jour mon père m’a surpris, il m’a crié dessus et a jeté tout mon maquillage. Ça m’a blessé. J’ai continué à en acheter et il continuait à les jeter. Puis, au fur et à mesure, j’ai pris confiance en moi et je me suis maquillé pour aller en cours, depuis ce jour je ne me cache plus.
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M.H. : De quelle manière réagissent les gens lorsqu’ils vous voient dans la rue ? A. : Ils me regardent bizarrement mais ça me fait rire ! Et puis je les ignore aussi. De toute façon ils peuvent dire ce qu’ils veulent, rien ne me touche. Toutes les critiques m’encouragent à aller de l’avant. Je vais montrer à tous ces gens que je peux être quelqu’un. Je vais finir mes études et créer mon entreprise de maquillage.
M.H. : Vous assumez qui vous êtes envers et contre tout. Comment êtes-vous parvenu à forger votre caractère ? A. : Avant les garçons de mon quartier m’embêtaient beaucoup, mais je ne me laissais pas faire. Quand ils me frappaient, je les frappais aussi. Je n’ai jamais porté plainte, tout se réglait entre nous. Lorsqu’ils ont vu que je ne me laissais pas faire, ils m’ont laissé tranquille. C’est comme ça que j’ai réussi à avoir la paix.
M.H. : Pensez-vous que votre vie serait plus facile si vous viviez ailleurs ? A. : Pas du tout. À la Réunion, en métropole ou même en Amérique, il y a les mêmes idiots avec la même mentalité. Cependant je pense que je pourrais vivre autrement, mes droits seraient plus respectés, ainsi que la loi. À Mayotte j’ai l’impression que la loi n’est pas respectée, que les transgenres ou homosexuels n’ont aucun droit.
M.H. : Est-ce que vous vous considérez comme un modèle pour tous ceux qui n’osent pas s’assumer comme vous ? A. : Absolument ! Certains viennent me parler en privé et me disent que je suis un exemple et ça me touche. Si je peux donner confiance aux personnes qui n’osent pas parler alors tant mieux. Il n’y a aucun tabou avec moi, je me dévoile complètement. n
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Propos recueillis par Raïnat Aliloiffa
MICRO-TROTTOIR
LA COMMUNAUTÉ LGBTQ+ VUE PAR LES MAHORAIS LA SOCIÉTÉ MAHORAISE, PROFONDÉMENT MUSULMANE ET ENCORE TRÈS ATTACHÉE À SES TRADITIONS, A DÛ COMPOSER AVEC L’APPARITION DE NOUVELLES LOIS TELLES QUE LE MARIAGE POUR TOUS. MAYOTTE N’A PAS EU D’AUTRE CHOIX QUE D’ACCEPTER CES NOUVELLES RÈGLES QUI VONT À L’ENCONTRE DES CROYANCES DE LA POPULATION. EN 2022, ON POURRAIT CROIRE QUE SEULE L’ANCIENNE GÉNÉRATION NE TOLÈRE PAS L’HOMOSEXUALITÉ ET LES PERSONNES TRANSGENRES, MAIS FORCE EST DE CONSTATER QUE LA JEUNESSE S’INSCRIT DANS LA MÊME LIGNÉE. NOUS AVONS INTERROGÉ UN PANEL DE PERSONNES AYANT DIFFÉRENTS PROFILS, VOICI LEURS RÉPONSES.
ET SI VOTRE ENFANT VOUS ANNONÇAIT QU’IL OU ELLE ÉTAIT HOMOSEXUEL.LE ?
ABDILLAH, 36 ANS ANIMA, 22 ANS Je l’éloignerais de moi et l’enverrais dans un pays très loin pour ne plus le voir parce que je suis musulman et l’islam interdit l’homosexualité. Je ne pourrais pas le garder près de moi car je pourrais mourir de chagrin.
Je respecte les personnes qui sont homosexuelles ou transgenres. Chacun est libre de vivre sa vie comme il l’entend. Qui suis-je pour les juger ?
YOUMNA, 29 ANS
J’aurais le c?ur brisé, je ne serais pas heureuse. Malgré tout, je ne serais pas capable de m’en séparer ou de le renier parce qu’il reste mon enfant. Je serais obligée d’accepter tout en souffrant.
NOÉMIE, 30 ANS L’homosexualité est haram dans l’islam donc j’aurais du mal à m’y faire. Cependant, si mon enfant est heureux comme ça, avec le temps je finirais par accepter son choix. Mais je prie vraiment pour que ça n’arrive pas.
SITTI, 47 ANS Je le chasserais de chez moi, je le renierais parce que l’homosexualité est interdite dans notre religion musulmane.
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LOULOU, 22 ANS
Je pense que je lui dirai que c'est interdit dans la religion musulmane pour qu’il ou elle soit au courant, mais sans plus. En tant que mère ça ne me dérangerait pas. Je souhaite laisser mes enfants libres dans leurs choix de vie.
IBOU, 29 ANS
Je serais surpris, je me demanderais où est-ce que j’ai échoué… Aucun parent n’espère voir son fils gay ou sa fille lesbienne. Je serais gêné, son comportement ne sera pas une fierté pour moi, mais je ne pourrais jamais renier mon enfant. Je ne le frapperais pas non plus et ne l’insulterais pas. Si ça m’arrive, j’espère que Dieu me donnera la force de supporter car c’est lui qui fait tout et si mon enfant est différent alors ainsi soit-il ! Je serais obligé de vivre avec.
YOUMNA, 26 ANS
Si mon enfant m’annonce qu’il est homosexuel, je serais profondément choquée parce que ce n’est pas ce que l’on espère de son enfant. Je l’avoue, je n’arriverais pas à l’accepter. Aujourd’hui nous sommes dans une société qui évolue, maintenant le mariage pour tous est légalisé, donc être homosexuel c’est normal. Mais en tant que Comoriens, Mahorais et musulmans on considère cela comme quelque chose de mauvais.
PENSEZ-VOUS QUE LA SOCIÉTÉ MAHORAISE STIGMATISE LA COMMUNAUTÉ LGBTQ+ ?
ABDILLAH, 36 ANS
C’est vrai qu’ils sont encore stigmatisés, on ne les respecte pas ici. Mais je comprends la réaction des gens car même si nous sommes français, nous sommes avant tout sur une terre musulmane, on ne peut pas accepter des homosexuels. Je trouve que la situation des LGBTQ a tout de même évolué car avant ils se faisaient frapper tout le temps et personne ne disait rien. Aujourd’hui c’est moins violent pour eux, on ne peut pas se permettre de les agresser sans être puni par la loi.
SITTI, 47 ANS
Non je ne trouve pas. Il faudrait même être plus dur avec ces gens là et leur enlever leur droit de se marier. Certes ce n’est pas ma vie, mais ce n’est pas une vie à mener non plus ! C’est une honte, surtout si c’est quelqu’un qui a la même culture et même religion que moi. Un mzoungou ça passe mais pas un Mahorais ou un Comorien.
YOUMNA, 26 ANS
IBOU, 29 ANS
Je ne trouve pas que la communauté LGBTQ soit maltraitée à Mayotte. Qu’ils aillent aux Comores, ils verront qu’ils n’auront pas du tout le même traitement, là-bas c’est pire. Mayotte est française et c’est la loi française qui prime. Ici ils ont des droits et qu’on le veuille ou non on doit les respecter. Alors qu’aux Comores ils sont insultés, tabassés, jugés. Je ne suis pas non plus d’accord avec ceux qui font cela et les stigmatisent. Ils prétendent être musulmans mais l’islam ne dit pas de juger ou de maltraiter son prochain, qu’importe son orientation sexuelle ou ses croyances.
LOU, 22 ANS
Oui ils sont stigmatisés, car ils ont des droits et la plupart des gens ici ne veulent pas assimiler cela. Quand tu es Mahorais ou Comorien, et musulman c’est pire, l’origine de la personne devient un handicap pour son orientation sexuelle. Mais on ne peut pas dire que cela se passe qu’à Mayotte. Dans beaucoup de pays, les homosexuels sont maltraités. Cependant, la jeune génération est assez ouverte d’esprit et c’est déjà une bonne chose.
On n’est pas durs avec eux, je dirais plutôt que c’est difficile d’accepter cette différence. Je comprends les gens qui peuvent être choqués car on a beau dire que deux personnes du même sexe qui s’aiment c’est normal, mais non ce n’est pas normal.
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L.G
DES QUARTIERS SENSIBLES À L’ÎLOT M’BOUZI
Mardi 22 et mercredi 23 février 2022, l’îlot M’Bouzi et ses gardes accueillaient dix mineurs encadrés par les Apprentis d’Auteuil. Au programme : des chantiers éducatifs. L'objectif ? Montrer à ces jeunes issus de secteurs prioritaires et éloignés du circuit scolaire qu’une insertion dans le monde du travail est possible.
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Violence, misère, exclusion… Dans certains quartiers de l’île aux parfums, difficile de sortir la tête de l’eau. Portés par la dynamique de groupe, dix jeunes âgés de 16 à 18 ans arpentent l’îlot M’Bouzi. Guidés par les deux gardes de la réserve naturelle nationale, ils découvrent ces mardi 22 et mercredi 23 février un écosystème riche et fragile qu’il faut à tout prix préserver. En français puis en shimaoré, les explications s'enchaînent. “On leur apprend à différencier les plantes endémiques et indigènes des espèces envahissantes”, détaille Halidou Anrif, l’un des gardiens de cet écrin de verdure. Plus loin son collègue Nicolas Gommichon ajoute : “Le fléau sur l’îlot, c’est le Lantana Camara. Pendant ces deux journées, les jeunes nous aident à arracher ses pouces qui étouffent les autres végétaux de la réserve.” Ni la chaleur ni le soleil ne viennent altérer la détermination des travailleurs. Les bras chargés de mauvaises herbes et le cœur à l’ouvrage, les jeunes de Mamoudzou et ses villages s’activent.
« Ils participent à une activité qui a du sens » “Ces jeunes ne veulent pas se contenter de vivre dans l’errance. Ils ont envie de faire autre chose et de se construire un avenir meilleur”, explique Lucie Gagnepain, l’une des membres des Apprentis d’Auteuil qui les supervise durant cette immersion grandeur nature. Si leurs conditions de vie sont difficiles, leur situation n’est pas une fatalité. Au travers d’ateliers comme celui-ci, ils partent à la découverte des plantes, de la nature, mais aussi de perspectives en matière d'insertion professionnelle. “Ils sont contents d’être là, ils participent à une activité qui a du sens, loin des violences de leurs quartiers”, avance l’éducatrice spécialisée. “Ce sont des jeunes que nous avons rencontrés sur le terrain et que l’on accompagne au quotidien.” À la suite de cette opération, les jeunes bénévoles se verront remettre une attestation de participation. Un outil précieux pour montrer leur volonté à s’insérer dans la société. Dans un cadre idyllique et convivial, les adolescents apprennent à voir leur territoire autrement et à fréquenter des jeunes d’autres coins du 101ème département. Une initiative vertueuse pour l’île, ses habitants et son patrimoine naturel. n
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LITTÉRATURE
LISEZ MAYOTTE
MAYOTTE (RA)CONTÉE AGRÉGÉ DE LETTRES MODERNES ET DOCTEUR EN LITTÉRATURES FRANCOPHONES, CHRISTOPHE COSKER EST L’AUTEUR DE NOMBREUX OUVRAGES DE RÉFÉRENCE SUR LA LITTÉRATURE DE L’ÎLE AUX PARFUMS, NOTAMMENT UNE PETITE HISTOIRE DES LETTRES FRANCOPHONES À MAYOTTE (2015) DONT IL REPREND, APPROFONDIT ET ACTUALISE, DANS CETTE CHRONIQUE LITTÉRAIRE, LA MATIÈRE.
Claude Allibert, Contes mahorais, éditions de l’Académie des sciences d’outre-mer et Centre universitaire Méditerranéen, 1978.
Claude Allibert a réuni des contes locaux en interrogeant la population à la fin des années 1970. Les contes sont assez enfantins, et toutefois caractéristiques de la culture mahoraise. Parmi d'autres, les concepts de génie et de famille sont largement exposés dans ces contes authentiques. L'introduction est une courte histoire de l'archipel des Comores.
Claude Allibert fait partie des noms qui comptent pour qui veut connaître et comprendre Mayotte. Il en est effet l’un des premiers archéologues à mener des fouilles dans l’île aux parfums ; et il expose ses résultats dans un essai intitulé Mayotte plaque tournante et microcosme de l’océan Indien occidental. Son histoire avant 1841 (1984). Mais son intérêt pour l’île n’est pas seulement historique et archéologique, il est également littéraire. C’est la raison pour laquelle, six ans plus tôt, en 1978, il fait paraître, aux éditions de l’Académie des sciences d’outre-mer et Centre universitaire Méditerranéen, un recueil de Contes mahorais. Un mot sur l’auteur. Claude Allibert est né en 1941 à Lyon. Il poursuit des études littéraires qui le mènent au CAPES et il commence, en 1964, sa carrière d’enseignant en Guyane. Il découvre l’ile de Mayotte en 1973 et y demeure deux années environ, jusqu’en 1975. Aussi le recueil Contes et légendes de Mayotte et des Comores estil prêt depuis 1976. Claude Allibert profite également de ces années pour soutenir, en 1977, un doctorat de IIIe cycle sur l’histoire de Mayotte avant 1841, c’est-à-dire avant l’arrivée colonisatrice des Français. C’est auprès de ses élèves de Kwale que Claude Allibert a recueilli une quarantaine de contes qu’il présente de la façon suivante : titre en langue vernaculaire, mais texte en français. Entre les deux, on trouve un chapeau avec le nom de l’informateur, le village d’origine du conte ainsi que la langue dans laquelle il a été transmis. L’historien est notamment attentif au personnage de Bwanawassi, dans lequel il voit un avatar du décepteur bantou Sungura : « Sungura et Safurankanga (Le lièvre et le porc-épic) », «
Bwanwassi », « Bwanawassi et le roi Pefu » et « Sungura na kukuy (Le lièvre et le coq) ». On trouve aussi un assez grand nombre de contes animaliers : « Le coq du roi », « Le corbeau et le chien », « Le caméléon et le cochon », « Le rat et le chat », « Le lièvre et le hérisson », « Moineau et sauterelle », « Les époux pintades », « Le chat et le chien » et une histoire végétale : « La légende de la courge » Les êtres humains ne sont pas pour autant laissés de côté et on trouve une importante galerie de personnages féminins : « La femme qui a voulu perdre son enfant », « Histoire de l’orpheline élevée par une marâtre », « La Fille qui ne marche pas Ndindi », « Les Quatre tresses de Bama », « Comment le pauvre épouse la fille du roi ». On remarque que les frères vont souvent par quatre, « Les Quatre frères Bunku, Mladje, Sumbui et Laul », « Quatre frères qui étaient têtus » et que les contes permettent de faire le tour de Mayotte, de « La légende de Pamanzi » à l’« Histoire de Kani-Kély » en passant par « Msapere » Arrêtons-nous un instant sur l’avantdernier conte du recueil, pour son aspect mystérieux. Il est relayé par un certain Mansour Kamardine de Sada : « Un pêcheur, un jour, attrapa un très grand poulpe. Il le ramena à la maison pour le faire sécher. Il le mit sur le toit dans ce but. Il le laissa longtemps sur le toit. Il continua à aller à la pêche à marée basse et quand il rentrait chez lui, tout était prêt. Le repas était préparé, la chambre était balayée. Un jour, il fit semblant d’aller à la pêche et se cacha sous le lit. Il vit le poulpe descendre du toit, chanter, aller puiser de l’eau, faire la cuisine, faire le lit. » (p. 134) Devant ce prodige, l’homme n’a d’autre choix que d’épouser ce poulpe si résistant
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et dévoué. Mais ce ne sera pas un happy ending parce qu’une dispute incitera un jour poulpe à retourner dans sa flaque. Le conte se fonde donc sur une pratique avérée à Mayotte : la pêche au poulpe, à marée basse, sur le platier. Le texte se fait ensuite fantastique à partir du moment où le poulpe reprend vie. Mais ses actions ne sont pas mystérieuses car il se comporte comme l’épouse qui manque au foyer du pêcheur en vaquant aux occupations domestiques : puiser l’eau, nettoyer l’habitation et faire à manger. On peut donc supposer sans mal que le poulpe devient assez rapidement une femme et que sa disparition finale peut notamment faire songer à un autre conte matrimonial d’origine
malgache dans lequel la sirène Zazaviranou finit par retourner elle aussi dans l’élément liquide. Nous ne pouvons pas terminer cette chronique sans mentionner le fait que Claude Allibert est aussi « l’inventeur » de Nassur Attoumani étant donné que c’est lui qui l’incite à « taper » son manuscrit afin qu’il puisse le transmettre aux éditions L’Harmattan. Claude Allibert préfacera successivement, en 1992 puis 2009, La Fille du polygame ainsi que Le Turban et la capote.!
Christophe Cosker
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• M ay o t t e H e b d o • N ° 9 8 8 • 2 5 / 0 2 / 2 0 2 2
MAGAZINE D’INFORMATION NUMÉRIQUE HEBDOMADAIRE Edité par la SARL Somapresse au capital de 20 000 euros 7, rue Salamani Cavani M’tsapéré BP 60 - 97600 Mamoudzou Tél. : 0269 61 20 04 contact@mayottehebdo.com Directeur de la publication Laurent Canavate canavate.laurent@mayottehebdo.com Directeur de la rédaction Mohamed El Mounir dit “Soldat” 0639 69 13 38 soldat@mayottehebdo.com Rédacteur en chef Axel Nodinot
# 988
Couverture :
LGBT+ - Vivre libres
Journalistes Axel Nodinot Romain Guille Raïnat Aliloiffa Lise Gaeta Direction artistique Franco di Sangro Graphistes/Maquettistes Olivier Baron, Franco di Sangro Commerciaux Cédric Denaud, Murielle Turlan Comptabilité Catherine Chiggiato compta@mayottehebdo.com Première parution Vendredi 31 mars 2000 ISSN : 1288 - 1716 RCS : n° 9757/2000 N° de Siret : 024 061 970 000 18 N°CPPAP : 0121 I 92960 Site internet www.mayottehebdo.com