LE MOT DE LA RÉDACTION
ÉQUILIBRER Le plus grand défi de l'humanité, qu'elle ne parvient pas à relever, ne serait-il pas de tirer des leçons du passé ? Il y a plus d'un siècle, en 1903 plus exactement, Jean Jaurès affirmait dans son discours à la jeunesse que "si le premier effet des découvertes qui abolissent les distances est parfois d'aggraver les froissements, elles créent à la longue une solidarité, une familiarité humaine qui font de la guerre un attentat monstrueux et une sorte de suicide collectif". Il est irréfutable que la guerre ne profite à personne, ni au peuple ukrainien, pris sous les frappes aériennes et les combats, ni au peuple russe, qui souffrira de sanctions économiques drastiques. Ni même à la démocratie française, lorsque le président sortant enclenche une dynamique de campagne basée sur le chaos, à l'est de l'Europe. Cette proximité du conflit met aussi en avant le nombrilisme de l'Occident, qui n'a pas encore appris à se considérer comme égal aux autres cultures, dans lesquelles il faut toujours imposer son mode de vie, de consommation. C'est ce qui est arrivé à Mayotte. Parmi toutes les dérives de l'occidentalisation et du capitalisme sur l'île au lagon, nous nous concentrons cette semaine sur l'alimentation, devenue plus sucrée, grasse et salée au fil du temps. Sans remâcher l'adage "c'était mieux avant", il s'agit tout simplement de trouver un équilibre entre les bénéfices, du passé et du présent. Bonne lecture à toutes et à tous.
Axel Nodinot
Mayotte Hebdo • 1/2 Page Largeur FU • 190 x 130 mm • Visuel:Grand public - Galop • Parution=04/mars/2022 • Remise le=01/mars/2022
Phil - BAT
SIMPLE JACKPOT, TROUVEZ UN CHEVAL GAGNANT OU PLACÉ ET TENTEZ DE MULTIPLIER JUSQU’À 1 000 FOIS VOTRE GAIN.* * 2 € de mise de base par pari Simple JACKPOT dont 1,5 € pour la mise du Simple et 0,50 € pour le service JACKPOT. Conformément aux dispositions de l’article 35 du règlement du pari mutuel urbain et sur les hippodromes homologué par l’Autorité Nationale des Jeux. Règlement consultable sur « www.pmu.fr/point-de-vente », rubrique « infos légales ». Coefficients multiplicateurs différents du tableau nominal selon la période promotionnelle suivante : tableau opération 1 applicable du 04/03/2022 au 13/03/2022. Le pari hippique comporte une part de hasard, le gain n’est donc pas garanti.
JOUER COMPORTE DES RISQUES : ISOLEMENT, ENDETTEMENT… APPELEZ LE 09 74 75 13 13 (APPEL NON SURTAXÉ).
3
• M ay o t t e H e b d o • N ° 9 8 9 • 0 4 / 0 3 / 2 0 2 2
PMU G.I.E. SIREN 775 671 258 RCS PARIS. © Scoopdyga
ET SI MULTIPLIER VOS GAINS DEVENAIT UNE HABITUDE ?
TCHAKS LE CHIFFRE 05/03/22
C'est la date de la réouverture totale des frontières malgaches. Jusqu'à présent réservée aux liaisons aériennes de Paris ou de La Réunion, la Grande Île sera donc accessible de nouveau à partir de ce samedi, comme l'a déclaré le gouvernement malgache dans un communiqué. Cela faisait environ deux ans que Madagascar souffrait de restrictions quant aux arrivées aériennes. Ces dernières étant levées, les commerçants, restaurateurs et hôteliers de l'île vont enfin pouvoir souffler et reprendre du service, le tourisme représentant quelque 7% du Produit intérieur brut malgache hors crise sanitaire. Les catastrophes naturelles, telles que le passage du cyclone Batsirai il y a quelques semaines, n'ont rien arrangé à la situation économique. Il faudra cependant attendre encore un peu pour Mayotte, étant donné le manque de coordination entre les compagnies aériennes et les autorités malgaches.
L'ACTION
Le collectif CIDE fait sa rentrée Réunies le week-end dernier, une trentaine de personnes représentant les 23 associations mahoraises adhérentes à Haki za Wanatsa étaient présentes sur le site de Mtsangabeach. L'occasion pour le collectif défendant les droits de l'enfant de revenir sur ses nombreux succès enregistrés en 2021, avec notamment la campagne #wamitoo en point d'orgue. Mais aussi de voir plus loin, en évoquant notamment les projets prévus pour l'année à venir. Ainsi, une reconduction de la campagne de sensibilisation, ou le comité de pilotage du nouvel observatoire départemental de la protection de l'enfance, sont par exemple au programme. L'objectif, au final, reste le même : "prévenir un maximum de drames en amont en intensifiant, visibilisant et mutualisant les outils et actions en lien avec l'éducation à la vie affective et sexuelle", explique le collectif.
LA PHRASE
"On avait pourtant parlé de quatre secteurs avec le préfet" Omar, habitant de Mtsapéré, était “ dépité ” d'apprendre que la commune de Mamoudzou n'avait pas demandé le couvre-feu. Autorisé par la préfecture, cette mesure était aussi et surtout réclamée par les habitants du village de Mtsapéré, qui ont bloqué leurs rues pendant plusieurs jours pour protester contre l'insécurité latente dans le quartier et sur l'île. Madi Madi Souf, maire de Pamandzi, n'a pas hésité à convoquer ce couvrefeu sur la commune de Petite Terre. Les Mtsapérois, quant à eux, devront se contenter des autres mesures d'urgence – jugées insuffisantes par certains. Ces dernières ne sont en effet que provisoires, et consistent en l'interdiction de la vente d'alcool à partir de 18 heures, et en l'envoi de 12 policiers du RAID et d'une garnison de gendarmes mobiles.
IL FAIT L'ACTU Marc Ducazcal grave les créolisations D'origine de Madrid, la capitale espagnole, Marc Ducazcal présente une série de pyrogravures à la bibliothèque municipale de Dzoumogné, jusqu'au 14 mars 2022. Intitulée "créolisations libertaires", cette exposition est accompagnée d'une musique d'ambiance concoctée par le guitariste et compositeur Julien Thorel. "Je veux rappeler toute la dimension antifasciste, antiraciste et antidiscriminatoire du concept de créolisation, qui est parfaitement compatible avec l'article premier de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen de 1789", précise l'artiste, également enseignant à Mtsangamouji. C'est ainsi qu'il a choisi la pyrogravure, consistant à dessiner des formes sur un morceau de bois en brûlant sa surface, pour exprimer son art. L'accès à l'exposition est gratuit.
4•
M ay o t t e H e b d o • N ° 9 8 9 • 0 4 / 0 3 / 2 0 2 2
LU DANS LA PRESSE
Chaque semaine, découvrez le regard porté sur l’actualité locale à travers la presse nationale ou régionale
À MAYOTTE COMME PARTOUT, DÉFENDONS L’ETAT DE DROIT ET LA SOLIDARITÉ Le 25 février 2022, par un collectif de personnalités du monde associatif et humanitaire pour Libération
d’attiser les divisions et d’opposer les souffrances entre elles. Piétinement des libertés associatives C’est cette vision que défend à Mayotte la Cimade, comme toutes les associations de solidarité et d’aide aux personnes migrantes : quand elles accompagnent au quotidien des femmes, des hommes et des enfants dans leur accès à leurs droits fondamentaux, en matière de logement, de soins, d’éducation… Ou quand elles s’opposent aux expulsions de bidonvilles sans relogement, poussant dans une précarité accrue des dizaines de familles, de toutes nationalités et situations administratives.
Depuis le 13 décembre, bénévoles et salariées de la Cimade sont empêchés de mener à bien leurs activités, insultés et sommés de “quitter Mayotte” par un groupe de manifestants qui bloquent illégalement l’accès au local de l’association. Ces personnes se font ainsi l’écho d’une rhétorique régulièrement relayée dans le débat médiatique et politique, par les mouvements d’extrême droite en particulier : celle qui voudrait que les associations de solidarité, en défendant l’accueil et l’accompagnement des personnes vulnérables, dont les personnes migrantes et exilées, seraient les complices objectifs de l’“immigration clandestine”, présentée par les tenants de ces discours comme la cause de tous les maux de Mayotte. Cette rhétorique est insupportable par son cynisme et par l’instrumentalisation de l’opinion qu’elle induit. Car oui les souffrances sont réelles à Mayotte, avec 77% de la population vivant sous le seuil de pauvreté, des inégalités et injustices criantes et l’espoir d’une vie meilleure qui semble s’amenuiser chaque jour un peu plus. Mais, dans ce contexte, pointer les responsabilités de personnes migrantes et exilées dont les parcours sont marqués par l’enchaînement de drames, opposer ainsi entre eux des personnes précaires, c’est oublier à dessein des causes structurantes d’inégalités sociales et économiques qui vont bien au-delà des enjeux migratoires. Et c’est surtout dangereux pour le futur du territoire, car nous avons la ferme conviction que seul le respect des droits fondamentaux de toutes les personnes vivant sur l’île permettra d’améliorer la situation de tou·te·s les habitant·e·s : pour l’avenir de Mayotte, il faut résolument faire le choix de la justice et de la solidarité, pas celui
Si nous attirons l’attention sur cette situation aujourd’hui, c’est parce qu’elle doit nous concerner et nous alarmer bien au-delà de Mayotte. Des idées de haine et de rejet de l’autre prospèrent ; des associations de solidarité sont invectivées et empêchées de mener à bien leurs missions ; les pouvoirs publics restent muets et inactifs dans leur mission de les protéger, quand ils ne renvoient pas dos à dos défenseurs des valeurs d’égalité et de solidarité, et des opposants qui font le choix de la diffamation et du piétinement des libertés associatives. Nous ne saurons accepter que le respect des droits fondamentaux de la personne humaine soit à géométrie variable et que certains départements y soient moins soumis que d’autres. Des menaces contre des acteurs de la solidarité où que ce soit doivent mobiliser tou·te·s celles et ceux qui font le choix de l’humanité contre la facilité de la haine et de l’indifférence. Ainsi, nous l’affirmons fortement les droits humains doivent être respectés à Mayotte ; les associations de solidarité doivent pouvoir mener à bien leurs missions d’utilité publique et les pouvoirs publics se doivent d’agir pour le garantir. Signataires : Didier Fassin Président du Comité pour la santé des exilés (Comede), Véronique Devise Présidente nationale, Secours catholique - Caritas France, Camille Gourdeau Coprésidente de la Fédération des associations de solidarité avec tou·te·s les immigré·e·s (Fasti), Henry Masson Président de la Cimade (à l’origine acronyme de Comité inter-mouvements auprès des évacués), Vanina Rochiccioli Présidente du Groupe d’information et de soutien des immigrés (Gisti), Dr Carine Rolland Présidente de Médecins du monde, Malik Salemkour Président de la Ligue des Droits de l’homme (LDH), et Jean-Claude Samouiller Vice-président Amnesty International France.
5
• M ay o t t e H e b d o • N ° 9 8 9 • 0 4 / 0 3 / 2 0 2 2
TRIBUNE
MAYMOUNATI MOUSSA AHAMADI, CONSEILLÈRE DÉPARTEMENTALE DE DZAOUDZI-LABATTOIR.
“ LE CONSEIL DÉPARTEMENTAL PEUT CONTRIBUER À LA SÉCURISATION DE NOTRE TERRITOIRE EN CONTRIBUANT À L’INSTALLATION OU AU RENFORCEMENT DES FORCES LOCALES DE SÉCURITÉ ” MAYMOUNATI MOUSSA AHAMADI, CONSEILLÈRE DÉPARTEMENTALE DE DZAOUDZI-LABATTOIR, ÉMET DES PROPOSITIONS AUX MAHORAIS AU SUJET DE L'INSÉCURITÉ RÉGNANT DANS LE 101ÈME DÉPARTEMENT FRANÇAIS. “ COMPTE TENU DU CLIMAT ACTUEL ET DES ÉVOLUTIONS DE L’INSÉCURITÉ À MAYOTTE, AUCUNE PROPOSITION NE SERA DE TROP ”, AFFIRME-T-ELLE.
6•
M ay o t t e H e b d o • N ° 9 8 9 • 0 4 / 0 3 / 2 0 2 2
Si le mois de février est censé être le mois de l’amour, pour Mayotte ce fut comme à son habitude le mois de la violence ! Ces termes peuvent être choquants mais c’est un quotidien qui s’éternise. Pour éradiquer ce fléau, ont été mise en place en novembre 2020, les assises de la sécurité et de la citoyenneté de Mayotte. 73 propositions réparties en 11 thématiques en ont découlé et pourtant toutes ces suggestions n’ont pas permis l’élaboration d’un plan d’action concret à ce jour. Il est urgent de créer un comité de suivi pour la création d’un schéma directif de la lutte contre l’insécurité et désigner par collectivité un élu en charge de la sécurité et de l’exécution en lien avec l’État. Un comité de suivi trimestriel assurera le bon déploiement. Parce que les Mahorais sont lassés, en colères, exaspérés et voir pour certains désespérés de cette situation et ne voient pas comment une île de 374 km2 ne puisse pas passer plus de 3 mois sans revivre la même situation d’effroi et de barbaries perpétuelles ! Car oui, les Mahorais veulent sortir de chez eux en toute assurance, oui, les enfants veulent apprendre en toute quiétude, oui, les entreprises veulent prospérer en toute sérénité et plus que jamais Mayotte veut vivre en toute sécurité. Assurer la sécurité des personnes est certes une mission fondamentale de l'État, mais c'est également un domaine qui appelle une nécessaire contribution de l'ensemble des collectivités territoriales dans les segments qui les concernent. C’est la raison pour laquelle, en tant que Département, nous pouvons également contribuer à la sécurisation de notre territoire. Certains diront est-ce que ce sont les missions d’un Département ? ma réponse est : “ Est-ce que le Département de Mayotte n’exerce que des missions de Département ? Ou de Département Région? À un moment donné, choisissons notre positionnement ”. Nous pouvons d'ores et déjà commencer par l’électrification des routes départementales les plus empruntés et demander à l’Etat de faire de même pour les routes nationales. Nous l’avons tous vu en mars 2021, une partie de l’île a été plongée dans le noir à la suite d'un accident de la route entre Kahani et Combani où le conducteur ayant perdu le contrôle de son véhicule a fini sa course contre un poteau électrique. C’est une triste réalité mais le malheur de ce conducteur nous a révélé une faille pour tous ceux qui serait tenté de commettre l’irréparable. Comme pour certaines régions de France, je vous propose également de mettre en place un fond dédié à l’implantation ou au renforcement des forces de sécurités locales qui se composerait comme suit : - Une aide aux collectivités à la création ou au renforcement de policiers municipaux. Ces renforts permettront ainsi d’avoir des brigades spécialisées en lien avec nos réalités et nos urgences, des patrouilles de jour comme de nuits (brigade de sûreté nocturne, brigade canine, brigade nautique, brigades fourrières (pour récupérer les chiens errants par exemple),
brigade des transports en commun (par exemple pour Mayotte, des brigades à la barge) etc... Les communes bénéficiant de cette aide devront ainsi répondre aux fonds interministériels de prévention de la délinquance (FIPD) qui leur permettra de prendre en charge une partie du coût d'acquisition de gilets pare-balles, caméras embarquées et d’autres équipements. Le GIP Europe A Mayotte et ses professionnels, pourront les aider à acquérir des Fonds Européens type FEDER par exemple afin de financer leurs immobilisations. - Aussi, il sera exigé à ces collectivités une coordination et une coopération entre les polices municipales par le partage d’information en lien avec les actes de délinquances et les personnes concernées par ces actes surtout pour les communes limitrophes. Actuellement la coopération se fait uniquement avec la Gendarmerie Nationale. Il faut savoir que souvent ce sont les mêmes personnes ou bien les membres de leurs réseaux qui vont vers les autres territoires pour commettre ces actes, nous l’avons tous constaté avec les derniers affrontements par exemple au lycée de Pamandzi où certains délinquants ont pris la barge pour commettre leurs délits. Comment des délinquants peuvent prendre la barge armés ou non pour aller commettre des délits ? N’est-il pas temps de nous questionner par exemple sur la mise en place d’une police navale à l’instar de la police ferroviaire ? Ou bien dans ce cas précis, la brigade des transports en commun de la police municipale ne serait-elle pas la bienvenue ? Je tiens par ailleurs à saluer l’action immédiate du Préfet Délégué du Gouvernement, d’envoyer des renforts sur l’ensemble du territoire, 15 policiers et 72 gendarmes extérieurs afin d’assurer la tranquillité publique, ainsi que toutes les mesures en lien avec cette situation. Malgré le fait que l’État ait augmenté les effectifs de plus de 400 militaires en rotation depuis ces 5 dernières années selon les derniers chiffres, ce n’est pas suffisant ! Mayotte manque fortement de fonctionnaires de Police Nationale pour assurer la fonction régalienne de sécurité publique dans les zones urbaines. Les délibérations du 12 Avril 2021 et du 07 Décembre 2021 portant sur la loi 3DS portaient sur l’instauration d’une zone Police dans les zones urbaines de Petite Terre, Koungou et dans la mesure du possible, une zone Police dans les zones périurbaines du Nord (dans la commune de Tsingoni) et du Sud de Mayotte (dans la commune de Chirongui). La question est : “ où en est cette demande ? Y a-t-il un réel suivi ? ” Mes chers concitoyens, parce que Notre liberté est menacée par le besoin de sécurité et parce que notre sécurité est le moteur du développement de notre société et face à l’urgence, je reste persuadée de la volonté des forces vives de l’île pour co-construire et co-produire ensemble sur ce sujet majeur pour Mayotte. “ On dit toujours que les montagnes sont faites de petites pierres, commençons déjà par ces petites pierres et le résultat sera visible très rapidement. ” n
7
• M ay o t t e H e b d o • N ° 9 8 9 • 0 4 / 0 3 / 2 0 2 2
PORTRAIT Nora Godeau
8•
M ay o t t e H e b d o • N ° 9 8 9 • 0 4 / 0 3 / 2 0 2 2
NADJIM MCHANGAMA UN JEUNE POÈTE MAHORAIS EST NÉ
Nadjim Mchangama, jeune professeur des écoles âgé de 23 ans, a publié au mois d’octobre dernier un premier recueil de poèmes aux éditions Project’îles, portées par les écrivains Nassuf Djaïlani et Jean-Luc Raharimanana. Intitulé “ Amère ”, il évoque les relations complexes qu’il entretient avec sa mère au sein d’une autofiction en vers libres qui mêle ressenti réel et éléments imaginaires. Ne souhaitant pas en rester là, Nadjim a bien l’intention de poursuivre ses activités littéraires afin d’atteindre son but : devenir écrivain professionnel.
9
• M ay o t t e H e b d o • N ° 9 8 9 • 0 4 / 0 3 / 2 0 2 2
PORTRAIT
“ Qui suis-je vraiment ? ”, s’est interrogé Nadjim Mchangama au cours de son adolescence, à l’instar de tous les autres jeunes de son âge. “ Au sein de la famille, on est obligé de s’en tenir à un certain comportement, à une certaine image de nous-mêmes, celle que nos parents souhaitent que l’on ait. Avec nos amis, en revanche, on n’est souvent pas la même personne. Du coup, ça nous amène à nous interroger sur notre identité. Je pense que c’est un phénomène assez universel. ”, affirme
le jeune homme qui a tenté de traduire ce mal-être adolescent au travers de son recueil de poèmes centré autour de la figure de sa mère. Il insiste toutefois sur le caractère fictif de son narrateur : “ Bien sûr, le personnage central est inspiré de moi, mais il reste un personnage et l’histoire que je raconte n’est qu’une fiction inspirée d’éléments de ma propre vie, ce n’est pas complètement autobiographique ”.
10•
M ay o t t e H e b d o • N ° 9 8 9 • 0 4 / 0 3 / 2 0 2 2
Nous sommes donc au sein d’un genre que l’on nomme l’autofiction, utilisé couramment dans la littérature contemporaine et particulièrement adapté à l’écriture poétique. “ Quand j’ai commencé à écrire, au sein des ateliers d’écriture que donnait Jean-Luc Raharimanana au CUFR, je ne savais pas que ce que j’écrivais était considéré comme de la poésie. C’est lui qui me l’a appris ”, confie le jeune homme qui avait simplement pour intention de “ retranscrire à l’aide d’images les émotions qu’il ressentait ”. Nadjim Mchangama était alors étudiant en Lettres Modernes et ces ateliers d’écriture lui ont permis de révéler sa fibre artistique. “ Amère ” a été conçu au sein de ces ateliers, qui devenaient de plus en plus sérieux et intensifs à mesure que Jean-Luc Raharimanana trouvait un écho positif chez ses étudiants. A ceux qui “ sortaient du lot ”, l’écrivain a proposé un projet de publication, d’abord au sein de la revue régionale “ Lettres de Lémurie ”, puis au sein de la toute jeune maison d’édition Project’îles, créée en 2021 avec l’écrivain mahorais Nassuf Djaïlani. Cette dernière, prolongation de la revue littéraire du même nom, a débuté ses activités le 1er octobre dernier en publiant 5 titres dans des collections différentes, chacune issue d’une île différente du sud-ouest de l’océan Indien. Nadjim Mchangama a été choisi pour représenter Mayotte dans la catégorie “ poésie ”.
UN REFLET DE LA RUPTURE TRANSGÉNÉRATIONNELLE Si Nadjim a bien raison d’insister sur l’universalité des interrogations sur l’identité vécues à l’adolescence, il n’en reste pas moins que les siennes s’inscrivent fortement dans la rupture transgénérationnelle qu’a vécu Mayotte ces dernières années. Né en 1998 en Grande-Comores, le jeune homme est arrivé à l’âge de 9 mois à Mayotte. Sa mère devait y rejoindre son père qui travaillait en tant que menuisier sur l’île aux parfums. Mais à l’arrivée, il n’était pas là comme convenu et le petit Nadjim n’a finalement été élevé que par sa mère en Petite-Terre où il a effectué l’intégralité de sa scolarité avant d’entrer au CUFR de Dembeni. “ J’ai une sœur de 10 ans plus âgée que moi, qui a rapidement été envoyée en métropole, et un petit frère qui a toujours été plutôt turbulent. J’étais donc celui sur qui résidait tous les espoirs de ma mère et je me suis construit sur cette image de “ l’enfant modèle ” avec toute la pression que cela implique ”, explique le jeune poète. Dans la culture locale, la notion “ d’enfant modèle ” désigne naturellement celui qui travaille bien à l’école et obtient un bon métier après ses études, idéalement en tant que fonctionnaire, mais également celui qui reste fidèle aux valeurs de l’islam. Et c’est là que le jeune Nadjim a “ commis un écart ” en refusant une année de faire le ramadan, provoquant la colère et la déception de sa mère. “ A un moment de ma vie, je me suis interrogé sur les croyances
religieuses que l’on m’a inculquées et je les ai remises en question. Ma mère l’a très mal pris et nous sommes restés 2 mois sans nous parler ”, raconte le jeune homme qui regrette aujourd’hui d’être allé dans la confrontation au lieu de faire les choses plus diplomatiquement. “ Les parents des jeunes mahorais d’aujourd’hui ont encore pour la plupart une conception du monde très traditionnelle, basée sur la religion, tandis que, nous les jeunes, nous avons eu d’autres apports issus de la culture occidentale. Nous ne pouvons donc pas adhérer complètement aux valeurs de nos parents. Certaines choses passent, d’autres pas du tout. Actuellement j’évite d’afficher trop brutalement les choses qui peuvent heurter ma mère, mais je ne renonce pas à ce que je suis pour autant ”, explique-t-il. Cette confrontation qu’il regrette aujourd’hui lui a néanmoins permis de faire naître “ Amère ”, reflet du malêtre qu’il a ressenti devant le rejet de sa mère face à sa différence. Cette cassure dans l’image de “ l’enfant sage et pieux ” qu’on avait voulu lui imposer a laissé des traces dans son intériorité dont il s’est servi comme matière poétique. “ Comme le dialogue avec ma mère était impossible, l’écriture a été une forme d’exutoire pour moi ”, révèle-t-il tout en indiquant que la publication de son ouvrage a été une forme de réconciliation avec sa mère et avec lui-même. Parallèlement à ses activités littéraires, le jeune homme a travaillé en tant que chargé de communication pour la compagnie Kazyadance qui l’a beaucoup soutenu et a actuellement décroché un poste de professeur des écoles contractuel. Un travail qui lui convient particulièrement bien étant donné sa passion pour la transmission. Son objectif à long terme est toutefois de réussir à vivre de sa plume tout comme Jean-Luc Raharimanana, son modèle.
UN PROJET AUTOUR DE LA LITTÉRATURE ORALE Nadjim nous a confié que son prochain projet tournera autour de la littérature orale. “ Je prépare un recueil de textes courts dont les narrateurs seront des habitants de Mayotte et des Comores qui raconteront leur vie. Ce seront des personnages de tout âge, vivant dans toutes sortes de conditions et s’exprimant selon leur propre langage ”, révèle l’écrivain en herbe. Son objectif est à terme de faire des lectures publiques de ces textes. “ Ici, nous avons une culture orale très riche et je pense qu’il est important de la perpétuer ”, poursuit le jeune homme. Ce dernier a en tête un partage oral de ses écrits un peu à la manière des contes traditionnels, mais en y introduisant la notion moderne de “ performance artistique ”. “ J’aimerais interpréter mes textes en y introduisant de la musique et en échangeant ensuite avec le public ”, explique-t-il. Un beau projet qui trouvera sans doute beaucoup d’écho chez la jeune population de l’île aux parfums, friande de performances scéniques. n
11
• M ay o t t e H e b d o • N ° 9 8 9 • 0 4 / 0 3 / 2 0 2 2
DOSSIER
12•
M ay o t t e H e b d o • N ° 9 8 9 • 0 4 / 0 3 / 2 0 2 2
MALBOUFFE
MAYOTTE MANGE MAL
Trop sucrée, trop grasse, trop salée… Les excès de l'alimentation à Mayotte sont aussi nombreux que les carences de sa population. Cette dernière, durant les décennies passées, a dû faire face à un changement de son mode de consommation, dicté par les importations de produits transformés. Les taux de sucres, par exemple, n'ont été surveillés que depuis 2013 dans les départements d'outre-mer. Une malbouffe qui occasionne chez les Mahoraises et Mahorais des maladies telles que le diabète et l'obésité, pour ne citer qu'elles. Il s'agit désormais de retrouver une alimentation saine, en retournant aux basiques que sont l'équilibre et la modération.
13
• M ay o t t e H e b d o • N ° 9 8 9 • 0 4 / 0 3 / 2 0 2 2
DOSSIER
Raïnat Aliloiffa
ANALYSE
L’ÉVOLUTION DE L’ALIMENTATION DES MAHORAIS À TRAVERS LA MONDIALISATION BANANES OU PÂTES, LA GASTRONOMIE MAHORAISE JONGLE ENTRE TRADITION ET MONDIALISATION. LES MAHORAIS ONT RAPIDEMENT ADOPTÉ LES PRODUITS IMPORTÉS SANS JAMAIS OUBLIER LES RECETTES DE GRAND-MÈRE, QUI RÉSISTENT AU TEMPS. PROBLÈME, À MAYOTTE ON MANGE DE PLUS EN PLUS MAL ET LA SANTÉ EN PÂTIT. À Mayotte, la nourriture est synonyme de partage et de convivialité. Encore aujourd’hui, les plats traditionnels sont présents dans les assiettes mahoraises. Les familles se retrouvent toujours autour d’un m’tsolola, d’un batabata (plats à base de bananes et maniocs), ou de riz avec du romazave (brèdes). Mais l’alimentation des Mahorais a évolué en raison de la mondialisation et les produits importés se sont peu à peu glissés dans leurs habitudes alimentaires. Les mabawas (ailes de poulet), tant affectionnés par la population, arrivent à Mayotte dans les années 1980. Ils sont importés d’Afrique du Sud par Ida Nel et deviennent rapidement
l’aliment incontournable des habitants de l’île. Ils s’approprient cette nouvelle forme de viande au détriment de leur santé, puisqu’en réalité, les mabawas sont très gras. Mais qu’importe, avec l’apparition des magasins tels que la SNIE, Sodifram, Cora, la transition nutritionnelle de l’île aux parfums est opérée. Les sodas et les produits transformés influent sur la gastronomie mahoraise, en premier lieu lors des grandes festivités. “ Avant dans les mariages on donnait aux invités de l’eau de coco à boire et puis les sodas sont arrivés et les familles en achetaient pour montrer qu’elles ont de l’argent ”, explique Daniella
14•
M ay o t t e H e b d o • N ° 9 8 9 • 0 4 / 0 3 / 2 0 2 2
Abdou Moussa, experte-nutritionniste. De nos jours, les boissons gazeuses et sucrées sont devenues la norme, et il est impossible de déroger à la règle au risque de s’attirer les foudres des biens penseurs de la société.
“ AVANT DANS LES MARIAGES ON DONNAIT AUX INVITÉS DE L’EAU DE COCO À BOIRE ET PUIS LES SODAS SONT ARRIVÉS ” 15
• M ay o t t e H e b d o • N ° 9 8 9 • 0 4 / 0 3 / 2 0 2 2
DOSSIER
“ EN SEMAINE C’EST COMPLIQUÉ DE CUISINER LES PLATS TRADITIONNELS ” D’autres produits venus d’ailleurs se sont aussi rajoutés et ils sont aujourd’hui considérés comme partie intégrante de la cuisine traditionnelle mahoraise. “ Il y a eu par exemple les sardines en boîtes venues du Maroc. C’est arrivé dans les années 1950 ”, expliquait en 2018 Isabelle Denis, historienne spécialiste de l’alimentation. Le riz a fait son apparition un siècle avant, dans les années 1850, et devient rapidement indispensable. Il est d’ailleurs le premier produit de nécessité des Mahorais selon une étude de 2013,
de David Guyot sur les comportements alimentaires des Mahorais.
LES CATÉGORIES SOCIALES, UN FACTEUR DE POIDS Aujourd’hui les pâtes, les steaks, les conserves, ou les surgelés sont tout aussi présents dans l’alimentation des Mahorais, et ils sont particulièrement affectionnés par la jeune génération et les personnes actives. “ Quand je rentre du travail, je suis fatiguée alors je prépare ce qu’il y a de plus simple comme des pâtes, des frites, ou des légumes en surgelés ”, indique Lina, mère de famille et enseignante âgée de 29 ans, au détour d’une conversation avec des amies. “ En semaine c’est compliqué de cuisiner les plats traditionnels parce que je n’ai pas le temps. C’est seulement le week-end ou pendant mes jours de congés que je les prépare ”, ajoute Rachida, 33 ans également mère de famille.
16•
M ay o t t e H e b d o • N ° 9 8 9 • 0 4 / 0 3 / 2 0 2 2
Une chose est sûre, les habitudes alimentaires varient selon les catégories sociales. Daniella Abdou Moussa en distingue trois : les aisés, la classe moyenne et les précaires. Cette dernière catégorie mange essentiellement “ ce qui est accessible pour elle c’est à dire les sardines en boîte, les mabawas, et le riz. Ça peut être ça tous les jours. ” La classe intermédiaire fait un mélange entre les produits locaux et ceux achetés en grandes ou petites surfaces. Puis en haut de l’échelle sociale se trouvent les personnes aisées, qui “ consomment du déjà prêt comme les plats préparés parce qu’ils peuvent payer le service ”, précise Daniella Abdou Moussa.
DES SOLUTIONS POUR MIEUX MANGER Les habitudes alimentaires des mahorais ont évolué, ainsi que leur mode de vie. Il y a encore quelques dizaines d’années, les Mahorais dépensaient beaucoup d’énergie en marchant, en allant aux champs, en s’occupant des enfants. Aujourd’hui, la sédentarité a pris le dessus, les trajets se font principalement en voiture, et de plus en plus de personnes travaillent derrière un bureau. “ On dépense moins d’énergie aujourd’hui alors qu’on
en consomme plus avec notre alimentation ”, remarque l'experte-nutritionniste. Autre point préoccupant, la qualité de l’assiette typique mahoraise. Selon l’Agence régionale de santé de Mayotte, “ l'alimentation qui demeure traditionnelle à Mayotte, se caractérise par de faibles apports en produits laitiers, calcium, fruits et légumes et vitamine B1 (thiamine). Elle est peu variée et vise avant tout la satiété. ” C’est la raison pour laquelle l’Agence régionale de santé de Mayotte, en collaboration avec pas moins de 80 autres partenaires, a décliné le Programme national nutrition santé 20192023 (PNNS-4) et le Programme mahorais alimentation, activité physique et santé 2021-2023 (PMAAPS). “ Il vise à ce que les Mahorais prennent conscience de l’impact de l’alimentation et de la sédentarité sur leur santé, et qu’ils améliorent leur hygiène de vie, dans des conditions et un environnement favorables ”, indique l’ARS de Mayotte. Le projet s’articule sur cinq grands axes. L’objectif est de permettre à chaque habitant de l’île de se nourrir en quantité et en qualité suffisante à travers des actions de proximité qui feront, entre autres, la rééducation alimentaire des Mahorais. Un défi de taille qui doit être relevé car il en va de leur santé. n
17
• M ay o t t e H e b d o • N ° 9 8 9 • 0 4 / 0 3 / 2 0 2 2
DOSSIER
Axel Nodinot
ENQUÊTE
LE SUCRE, POISON BLANC DES OUTRE-MER
PENDANT LONGTEMPS, LES TERRITOIRES ULTRAMARINS FRANÇAIS SOUFFRAIENT DE TAUX DE SUCRES BIEN PLUS ÉLEVÉS QU'EN MÉTROPOLE. MALGRÉ LA LOI LUREL DE 2013, LES INDUSTRIELS SE SONT RENDUS COUPABLES DE MAINTENIR UN TAUX DE SUCRES TROP ÉLEVÉS DANS LES YAOURTS ET LES SODAS, SUR LESQUELS NOUS NOUS CONCENTRONS. SI LA SITUATION SEMBLE RÉSORBÉE EN 2022, L'ÉTAT ET LE SECTEUR DE LA GRANDE DISTRIBUTION ÉTAIENT COMPLICES DE CE MANQUEMENT À LA LOI, QUI ONT OCCASIONNÉ UNE HAUSSE DU DIABÈTE ET DE L'OBÉSITÉ CHEZ LES POPULATIONS D'OUTRE-MER. Dans un tube de 2003, le rappeur et chanteur Baby Dash parlait en filigrane d'une drogue qui le rendait accro. Le nom de ce titre, remixé maintes fois depuis, était "Suga suga", "sucre" en français. L'artiste ne s'est pas trompé en nommant sa chanson : le sucre, en plus de favoriser de multiples maladies, est hautement addictif. C'est d'ailleurs l'un des problèmes sanitaires les plus alarmants des départements d'outre-mer français, et notamment de Mayotte. Sur l'île au lagon, le diabète touche par exemple 10,6% des adultes, selon l'étude “ Unono wa Maoré ” réalisée par Santé publique France en 2018 et 2019. C'est exactement le double du niveau national. En effet, la maladie occasionnant complications cardiaques, vasculaires, rénales ou oculaires ne concerne que 5,3% de la population française. La condition sociale est, comme bien souvent, au centre de l'arène, puisqu'on observe généralement
plus de diabète là où le niveau de vie est plus faible et la précarité plus élevée.
1,6 MILLION DE PACKS VENDUS CHAQUE ANNÉE Pourtant, la situation était bien pire il n'y a que dix ans. En moyenne, les sodas commercialisés en outre-mer comportaient en effet 40% de sucre en plus que les sodas vendus en métropole. Cette situation catastrophique a poussé le député guadeloupéen Victorin Lurel à porter un projet de loi visant à contrôler les taux de sucre dans les produits vendus dans les régions ultramarines françaises. Logiquement nommée "loi Lurel", cette dernière est promulguée en 2013, et veut dissoudre le poison blanc courant dans les veines des ultramarins. Mayco, entreprise
18•
M ay o t t e H e b d o • N ° 9 8 9 • 0 4 / 0 3 / 2 0 2 2
Chaque année, Mayco écoule une dizaine de millions de bouteilles de différents sodas à Mayotte.
présente à Mayotte depuis de nombreuses années et productrice de sodas, a dû s'adapter, comme le défend Thomas Widlund, directeur technique de la firme. "Toutes nos recettes et normes qualité sont données par The Coca-Cola Company, et sont incluses dans les lois, explique-t-il. Depuis 2009, on a eu des modifications de nos recettes, de l'ensemble des produits, pour que l'on soit compatibles avec la loi Lurel. Avant que Mayotte ne soit département, la loi française n'était pas suivie." Si le "manufacturing director" chez Coca-Cola Company admet que "des erreurs de production" dues au fait que "les opérateurs avaient du mal à régler les taux de sucre" ont pu advenir, il souligne que "les recettes continuent à changer en fonction des lois, encore cette année pour réduire le taux de sucres. Ça ne change pas grand-chose, c'est juste qu'on adapte notre préparation, et ça nous arrange puisqu'on n'importe moins de sucre". Ce dernier remplit tout de même quelques containers : Mayco, à elle seule, importe 630 tonnes de sucre par an à Mayotte. Sur la même durée, 1,6 million de packs sont vendus par la société ! "Il y a une taxe sur
les sucres à l'import, et on doit justifier quel chiffre est parti sur le marché. On ne peut donc pas se permettre de faire de grosses erreurs, sous risque d'amendes", déclare encore Thomas Widlund. À cette taxe s'en ajoute une autre, sur les boissons sucrées, datant du 1er juillet 2018 et visant la grande distribution.
2 GRAMMES DE SUCRE DE PLUS PAR 100 MILLILITRES Cet arsenal de mesures, destiné à protéger les populations ultramarines contre les dangers du sucre, n'est néanmoins pas suffisant. En 2021, une enquête de la DGCCRF (direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes) a lieu, pour vérifier l'application de la loi Lurel, huit ans après sa promulgation. Seulement, l'étude tarde à être publiée. Le fait est que les résultats étaient tellement accablants que le gouvernement français a tout fait pour retarder leur promulgation, selon des révélations du Canard
19
• M ay o t t e H e b d o • N ° 9 8 9 • 0 4 / 0 3 / 2 0 2 2
DOSSIER
1 MAHORAIS SUR 10 PRÉFÈRE BOIRE DU SUCRE Selon une étude de 2013, 90% des Mahorais citaient un soda, une boisson sucrée non gazeuse ou un jus comme boisson préférée. 8% seulement citaient l'eau, et 1% des boissons alcoolisées.
Enchaîné en août 2021. Les chercheurs de la DGCCRF ont en effet recensé une moyenne de 2 grammes de sucre de plus par 100 millilitres de boisson dans les outre-mer que dans la France hexagonale. Un rapport scandaleux, pour les porteurs de la loi de 2013, Victorin Lurel et Hélène Vainqueur-Christophe, qui se fendent immédiatement d'un communiqué appelant le gouvernement à "rendre immédiatement public ce rapport afin de […] mettre fin à ces pratiques industrielles trompeuses et dangereuses pour la santé de la population", et à "sanctionner les entreprises qui s'obstinent à ne pas jouer le jeu" au mépris de la loi. Le député réunionnais Jean-Hugues Ratenon envoie également une missive à Bruno Le Maire, ministre de l'Economie. "Les populations des Outre-Mer seraient-elles mises en danger volontairement pour protéger la toute-puissance de l’argent ?", y questionne l'Insoumis, qui pointe aussi du doigt la complicité du secteur de la grande distribution. C'est fin octobre 2021 que l'enquête paraît. "Les résultats montrent que ce dispositif est connu des professionnels et qu’il est globalement bien respecté", annonce finalement la Répression des fraudes, imputant le retard de la parution à la crise sanitaire. Une surprise pour les parlementaires ultramarins, qui, derrière Olivier Serva,
député de la Guadeloupe, dénoncent un "rapport bâclé".
"FACE À DES PRODUITS SANS SUCRES, LES LOCAUX ONT L'IMPRESSION DE SE FAIRE VOLER" À Mayotte, les résultats de cette étude ne pointent qu'un seul manquement, concernant "une boisson énergisante commercialisée non conforme". Pour nous assurer de ces conclusions, deux ans après l'enquête, nous avons voulu comparer les taux de sucres de différents sodas dans deux centres commerciaux : le Leclerc de Romillysur-Seine, dans l'Aube, et le Baobab de Cavani, à Mayotte. Et force est de constater qu'ils sont similaires, en témoignent les étourdissants 10,6 grammes de sucre pour 10 centilitres du Coca-Cola. Seule diférence, minime, une différence de 0,1 gramme par 100 millilitres pour le Fuze Tea. Chez Mayco, qui produit et embouteille les sodas tels que Fanta, Sprite, Fuze Tea, Monster et évidemment Coca-Cola, on soutient que "l'objectif est de réduire les taux de sucres". "Il y avait l'aspartame, mais qui n'est pas admis dans les pays européens, donc on avait
20•
M ay o t t e H e b d o • N ° 9 8 9 • 0 4 / 0 3 / 2 0 2 2
remplacé par la stevia, pour le Fanta orange par exemple", affirme Thomas Widlund. Le directeur technique avoue néanmoins qu'il est complexe de faire accepter des boissons sans sucres aux Mahorais. "Le problème, à Mayotte, c'est que ce sont principalement les mzungus qui achètent les produits sans sucre, explique-t-il. Face à des produits sans sucres, les locaux ont l'impression de se faire voler. Ça met du temps, et c'est un problème qui est inhérent à tous les DOM-TOM." En effet, le rapport de la Répression des fraudes, en plus de pointer les taux de sucres supérieurs dans les sodas ultramarins, prévenait également contre la consommation abusive de ces boissons par les locaux. Un
foyer guadeloupéen, par exemple, consomme 57% plus de sodas qu'un foyer métropolitain. Cela peut s'expliquer par une eau moins disponible qu'en Hexagone, en témoignent les récents taux de manganèse dans l'eau mahoraise, ainsi que les prix exorbitants des packs d'eau en supermarché. De quoi favoriser la consommation de sodas, et donc le diabète, l'obésité, et tant d'autres problèmes de santé chez les habitants des outre-mer. Ces maladies sont d'autant plus importantes qu'elles se transforment en comorbidités dans le contexte de crise sanitaire liée au Covid, et ont plus de chances d'envoyer leurs porteurs en réanimation. Si appréciable soit-il, le sucre peut tuer. n
21
• M ay o t t e H e b d o • N ° 9 8 9 • 0 4 / 0 3 / 2 0 2 2
DOSSIER
Raïnat Aliloiffa
PRATIQUE
LES BONNES ASTUCES POUR MIEUX MANGER
“ MANGER CINQ FRUITS ET LÉGUMES PAR JOUR ”, “ NE PAS MANGER TROP SUCRÉ, NI TROP GRAS, NI TROP SALÉ ”… DES RECOMMANDATIONS QUE LES PROFESSIONNELS DE LA NUTRITION RÉPÈTENT SANS CESSE À QUI VEUT BIEN LES ÉCOUTER. MAIS ENTRE LA THÉORIE ET LA PRATIQUE, IL Y A TOUT UN MONDE ET CE N’EST PAS TOUJOURS FACILE DE RESPECTER CES RÈGLES. PARTICULIÈREMENT À MAYOTTE, OÙ LES PRODUITS FRAIS ET DE BONNE QUALITÉ NE SONT PAS ACCESSIBLES À TOUS. AUTRE POINT SENSIBLE, L’OCCIDENTALISATION DE L’ALIMENTATION DES MAHORAIS AU FIL DES ANNÉES. DÉSORMAIS LES SODAS, LES CHIPS, LES CONSERVES ET AUTRES PRODUITS TRANSFORMÉS REMPLISSENT LES CHARIOTS DES MAHORAIS. ALORS COMMENT MANGER DE MANIÈRE PLUS SAINE SANS TROP SE RUINER À MAYOTTE ? L’EXPERTENUTRITIONNISTE DANIELLA ABDOU MOUSSA NOUS LIVRE QUELQUES ASTUCES QUI SONT À LA PORTÉE DE TOUS. CONSOMMEZ LES PRODUITS LOCAUX “ On peut faire une assiette équilibrée avec les produits locaux. Prenez des féculents tels que les bananes vertes, le manioc, le fruit à pain, les patates douces ou du riz même si ce n’est pas local. Vous ajouter une portion de légumes, il y a plusieurs variétés à Mayotte, ou du féliki (les brèdes). Sans oublier la part de protéines, cela peut être de la viande, du poulet ou du poisson. On peut finir avec un produit laitier, local de préférence. On a la chance d’en avoir en abondance et il y a des associations qui luttent pour la consommation de produits laitiers locaux. Et on boit de l’eau ! Tout cela peut faire une assiette mahoraise
équilibrée avec des aliments que l’on trouve sur le territoire. ”
PRÉFÉREZ LES SURGELÉS AUX CONSERVES “ Pour ceux qui veulent manger de manière plus occidentale, malheureusement à Mayotte on n’a pas d’autre choix que de manger les surgelés. Cependant ce n’est pas forcément mauvais car les surgelés préservent un pourcentage important de nutriments. Et c’est préférable aux conserves parce que dans les conserves il y a des additifs. Concernant les pâtes, cela reste un bon féculent. Et pour les steaks, on peut en manger une fois
22•
M ay o t t e H e b d o • N ° 9 8 9 • 0 4 / 0 3 / 2 0 2 2
“ EN NUTRITION RIEN N’EST MAL, TOUT EST UNE QUESTION DE QUANTITÉ ” 23
• M ay o t t e H e b d o • N ° 9 8 9 • 0 4 / 0 3 / 2 0 2 2
DOSSIER
“ ON PEUT FAIRE UNE ASSIETTE ÉQUILIBRÉE AVEC LES PRODUITS LOCAUX ” de temps en temps, ça ne fait pas de mal mais il ne faut pas en consommer tous les jours. ” Diversifiez les modes de cuisson “ Il faut savoir qu’en nutrition rien n’est mal, tout est une question de quantité. La friture n’est pas interdite, si on veut se faire plaisir une fois par semaine en faisant frire un aliment on peut le faire. Il ne faut pas se frustrer. Si cela devient régulier, c’est là que ça pose problème. Il faut savoir diversifier les modes de cuisson. On peut aussi faire bouillir ou faire griller, c’est très bon aussi. ”
CULTIVEZ VOUS-MÊME VOS FRUITS ET LÉGUMES “ Plus on a va dans l’accessibilité des fruits et légumes plus on a de produits avec des pesticides. Le bio n’est pas accessible à tout. Ceux que l’on trouve au bord des routes ne sont pas du tout bio. Même lorsque les coopératives à Mayotte qui disent travailler sans pesticides ce n’est pas complètement vrai, il y en a mais en moindre quantité. Pour être sûr de manger bio, c’est mieux de cultiver soi-même ses produits. L’avantage qu’on à Mayotte, c’est que les maisons ont des cours et on peut aménager
24•
M ay o t t e H e b d o • N ° 9 8 9 • 0 4 / 0 3 / 2 0 2 2
QUE CONSOMMER LORSQUE L’ON SORT D’UNE GROSSESSE ?
Chaque femme mahoraise qui sort d’une grossesse a dû avaler des litres de oubou, une sorte de soupe de riz blanc avec des épices. Le oubou est systématiquement donné aux femmes qui viennent d’accoucher, sans trop savoir pourquoi. L’experte nutritionniste nous éclaire. “ On disait aux femmes qui sortent d’une grossesse de boire du oubou car c’est un liquide chaud et ça permet de s’hydrater. Alors si on n’aime pas ça, on peu le remplacer par de la soupe aux légumes, du thé etc. Un liquide chaud et léger. ” un coin pour faire un potager de fruits et légumes, planter des bananiers, les brèdes etc. On peut aussi le faire sur le toit, ça marche plutôt bien. ”
SOYEZ PATIENTS AVEC LES ENFANTS QUI N’AIMENT PAS LES LÉGUMES “ Il faut varier la manière de cuisiner le légume. Par exemple s’il n’aime pas les épinards, vous pouvez lui proposer en féliki,
LA BANANE VERTE N’EST PAS UN LÉGUME !
Sa couleur peut nous induire en erreur mais la banane verte n’est pas un légume. “ On fait souvent l’erreur mais il s’agit d’un féculent tout comme le manioc, la pomme de terre ou la patate douce ”, rappelle l’experte-nutritionniste. Cependant lorsque la banane devient jaune c’est un fruit. ou faire un gâteau aux épinards, ou encore une quiche aux épinards etc. Soyez inventifs ! Il ne faut pas être trop dur parce que l’enfant a le droit de ne pas tout aimer. Même les adultes n’aiment pas tout. Il faut plutôt lui proposer l’aliment plusieurs fois et c’est à lui de choisir s’il aime ou pas. Vous pouvez aussi laisser des fruits et légumes sur la table pendant des jours voire des semaines. Même si l’enfant n’en mange pas au début, à un moment ou un autre il sera curieux et aura envie de les gouter. ” n
25
• M ay o t t e H e b d o • N ° 9 8 9 • 0 4 / 0 3 / 2 0 2 2
Publi-information
Le Saphir Étoilé, l’adresse gastronomique des gourmets Situé dans un quartier calme en Z.I. Nel, à une centaine de mètres de la cour d’appel, Le Saphir Étoilé propose depuis juin dernier une cuisine gastronomique métissée avec des mets savoureux proposés du jeudi au samedi soir, et c’est une nouveauté le samedi midi également. L’établissement propose depuis la rentrée un menu encore plus délicat en faisant venir des produits frais directement de Rungis. En plein cœur de Kawéni, Le Saphir Étoilé rayonne dans la pénombre de la zone industrielle. La devanture métallique cache un intérieur tamisé et végétal, où des plantes suspendues amorcent l’entrée dans un univers intimiste et chaleureux. Comme pour incarner le virage chic opéré par l’établissement ces derniers mois, les nappes blanches au drapé impeccable cohabitent avec de larges fauteuils d’un bleu léger. Aux manettes de cet établissement cosy et convivial : Christophe Lemoosy, entrepreneur bien connu sur place. Depuis le mois de juin 2020, le propriétaire affiche même une nouvelle corde à son arc, avec la présence dans ses rangs de l’ancienne équipe du restaurant Le Panna Cotta, qui a ainsi troqué ses fourneaux de la route de Vahibé contre les cuisines de Kawéni. L’idée de cette démarche : opposer une version gastronomique le soir et le samedi midi à la brasserie des cadres et chefs d’entreprise du midi en semaine. Un pari qui se ressent immédiatement dans l’assiette des convives. En ouverture de bal, les cocktails et un jus de fruits frais maisons proposés permettent aux clients de s’installer dans cette atmosphère cosy. Vos papilles accueilleront singulièrement les Saint-Jacques au caviar, un foie gras et son chutney de mangue ou encore un crémeux de châtaignes pour les entrées, suivront le filet mignon de porc, la pièce de bœuf maturée ou bien le filet de bar, et en clôture vous découvrirez la fameuse tarte aux citrons déstructurée ainsi que la tarte tatin glacée accompagnée de fruits rouges.
Publi-information Une succession de plats à agrémenter de grands vins, « Nous venons de renouveler la carte des vins », précise le patron. Désormais, grands crus et excellents vins moins connus et abordables se côtoient – et la sélection est heureuse pour accompagner la succulence des mets et le plateau de fromages que l’établissement propose.
Rien à voir avec le petit “boui-boui”, qui avait tant charmé le restaurateur à son arrivée à Mayotte, il y a déjà plusieurs années. Fort de tout ce chemin parcouru, Le Saphir Étoilé se distingue dorénavant comme une adresse incontournable et une référence. « Ici, il n’y a pas de mauvaises surprises. Les clients peuvent venir
les yeux fermés, ils ne repartiront pas déçus », assure Christophe Lemoosy, impatient de dévoiler ces nouveautés gastronomiques, tout en continuant à former et à faire monter en compétences l’élite et la jeunesse de demain dans les métiers de la restauration, aussi bien en salle que derrière les fourneaux.
Un renouvellement des vins aussi, qui fait écho au renouvellement de la carte. Entrées, plats, desserts proposés ne sont en effet pas immuables. En début de chaque mois, des mets laissent place à de nouvelles recettes pour le plus grand plaisir des gourmets et des habitués. Par exemple, le parfait au chocolat fait son apparition et détrône le banoffee et le civet de cerf est sur le point de se substituer au tajine d’agneau. Et plusieurs autres surprises attendent le client dans quelques jours. Une explosion gustative pour les papilles, qui peuvent donc s’attendre à d’autres surprises dans les prochains mois. L’équipe du Saphir Etoilé aura le plaisir de vous recevoir tous les soirs du jeudi au samedi, et également le samedi midi. Cette année, un deuxième menu, encore plus raffiné, fait son entrée dans le restaurant pour le plaisir des fins gourmets. Christophe Lemoosy a laissé carte blanche à son chef sur le choix des produits importés par avion en direct de Rungis pour l’élaboration de ces nouveaux plats. Ce dernier nous confie être fier de l’évolution de son établissement, qui passe notamment par la mutualisation des compétences de ses serveurs et le développement de la créativité de ses cuisiniers locaux, sous la houlette du chef Fabien Gimenez, maître escoffier restaurateur et enseignant au lycée professionnel de Kawéni.
INFOS PRATIQUES Zone industrielle Nel à Kawéni 06 39 27 98 55 Ouvert de 19h à 23h du lundi au samedi
R.G
LA PRESQU'ÎLE DE BOUÉNI GARNIE DE 2.200 PLANTES
Durant deux semaines, une cinquantaine de salariés en insertion de l'association Nayma ont participé à une opération de restauration écologique de la presqu'île de Bouéni. Un projet qui leur a permis de se familiariser avec les espèces exotiques envahissantes, mais aussi de planter pas moins de 2.200 plantes et ainsi redonner une seconde jeunesse à cet espace naturel sensible.
28•
M ay o t t e H e b d o • N ° 9 8 9 • 0 4 / 0 3 / 2 0 2 2
V“ C'était du sport. Pas besoin d'aller dans une salle de gym ! ”, sourit Fatima Daoud, encadrante technique chez Nayma, quelques jours après la fin de l'opération de restauration écologique de la presqu'île de Bouéni. Il faut dire que la cinquantaine de salariés en insertion de l'association n'a pas chômé pendant les deux semaines d'intervention, entre le défrichage et la plantation. Cette action s'est inscrite dans le cadre d'une concertation entre le conservatoire botanique national des mascarins de Mayotte et la direction de l'environnement, du développement durable et de l'énergie du conseil départemental.
initial est largement atteint, à savoir leur apporter des connaissances en termes de biodiversité. Mission accomplie. n
Sur environ trois hectares, les employés ont appris à identifier les multitudes d'espèces exotiques envahissantes et à assimiler différentes techniques de lutte : écorçage pour l'acacia adulte, arrachage pour l'acacia jeune, coupe à la base pour l'avocat marron, coupe puis arrachage pour le choka vert et la corbeille d'or... “ De par mes notions, j'ai pu sensibiliser les groupes avec Yohann des Naturalistes sur les mauvaises herbes présentes autour d'eux ”, se remémore l'agricultrice aguerrie, qui résume ce chantier participatif à “ une sacrée aventure ” environnementale.
Retourner le pot et pousser Puis est venu le temps de redonner une seconde jeunesse à ce site exceptionnel. “ Il y avait au moins un kilomètre de marche, nous avons dû faire trois ou quatre voyages pour transporter tous les végétaux jusqu'en haut des montages ”, détaille la trentenaire, originaire de Miréréni dans la commune de Chirongui. Tandis que certains se sont chargés des trouaisons sur des placettes circulaires de 20 mètres carrés dans lesquels ils réalisaient 20 trous à l'aide d'angades, d'autres se sont occupés de repiquer et de recouvrir la base de matière organique afin de garder l'humidité. “ Je leur ai montré ma technique pour enlever les plants en toute délicatesse : il suffit de retourner le pot et de pousser au milieu, ça sort tout seul ”, confie malicieusement Fatima Daoud, heureuse d'avoir partagé son astuce. “ Ils étaient tous impressionnés ! ” Au total, pas moins de 2.200 pieds de tamarin et de nato ont été plantés en trois jours. “ Ils ont hâte de voir le résultat d'ici deux ou trois ans. ” Le seul regret de ces jardiniers en herbe ? Ne pas voir grandir d'arbres fruitiers dans cet espace naturel sensible ! Qu'importe, l'objectif
29
• M ay o t t e H e b d o • N ° 9 8 9 • 0 4 / 0 3 / 2 0 2 2
LITTÉRATURE
LISEZ MAYOTTE
TERRE MAHORAISE, CONTES MALGACHES AGRÉGÉ DE LETTRES MODERNES ET DOCTEUR EN LITTÉRATURES FRANCOPHONES, CHRISTOPHE COSKER EST L’AUTEUR DE NOMBREUX OUVRAGES DE RÉFÉRENCE SUR LA LITTÉRATURE DE L’ÎLE AUX PARFUMS, NOTAMMENT UNE PETITE HISTOIRE DES LETTRES FRANCOPHONES À MAYOTTE (2015) DONT IL REPREND, APPROFONDIT ET ACTUALISE, DANS CETTE CHRONIQUE LITTÉRAIRE, LA MATIÈRE.
Claude Allibert, Contes mahorais, éditions de l’Académie des sciences d’outre-mer et Centre universitaire Méditerranéen, 1978.
Claude Allibert a réuni des contes locaux en interrogeant la population à la fin des années 1970. Les contes sont assez enfantins, et toutefois caractéristiques de la culture mahoraise. Parmi d'autres, les concepts de génie et de famille sont largement exposés dans ces contes authentiques. L'introduction est une courte histoire de l'archipel des Comores.
Parmi les particularités de Mayotte, on trouve notamment la présence, aux côtés de la langue vernaculaire qu’est le shimaore, d’une variante de malgache, appelée kibushi, parlée par un tiers de la population et trace de l’ancienneté de l’immigration de la Grande Île vers Mayotte. Le deuxième recueil de contes publié relativement à l’île aux parfums s’intitule Contes comoriens en dialecte malgache de l’île de Mayotte et paraît en 1990. Comme le titre relativement complexe l’indique, les contes de Mayotte sont traités comme des contes comoriens : “ Ce sont des contes comoriens, parce qu’ils sont contés par des habitants de Mayotte, l’une des îles Comores, et que ces récits appartiennent à la tradition orale comorienne. Mais ils sont contés en malgache, qui est la langue maternelle d’un tiers à peu près des habitants de cette île. Certains villages sont de langue malgache (le malgache est parlé dans l’île voisine, Madagascar, c’est une langue de la famille austronésienne), et les autres villages parlent le comorien (une langue de la famille bantu). ” (p. 1) Ainsi le premier conte du volume s’intitulet-il Miriry holono ata farany nahazo kaka : à force de dédaigner les hommes elle a eu un ogre. C’est dire si l’île est un carrefour et un lieu de métissage qui bat en brèche la construction du “ mahorais pur ”, shimaore swafi. Voici comment l’auteur tente d’attirer le lecteur vers un volumineux livre de quatre cents pages : “ Qu’arrive-t-il aux filles dédaigneuses qui repoussent les bons maris bien honnêtes que leurs parents leur proposent ? Mais elles se retrouvent mariées à des ogres, des djinns, des monstres, tout hérissés de poils, de griffes, de défenses, de cornes
et de queues… à moins que ce ne soit quelque petit animal bien incapable de les satisfaire. Les unes s’en tirent, les autres non. De toute manière le mariage est une affaire bien inquiétante et ce ne sont pas les maris qui diront le contraire. ” (Quatrième de couverture) Le point de vue sur les contes est ici social et problématique. La situation de départ est la suivante : une fille refuse le mari que ses parents ont choisi pour elle. C’est, à Mayotte, une première faute contre l’ordre social traditionnel. Par conséquent, la fille qui choisit elle-même son mari se retrouve avec un monstre. Fort heureusement, le conte se terminant bien, elle réussira à échapper aux griffes de son époux et à revenir saine et sauve. Les moments forts du texte sont notamment le refus initial du mariage, la cécité de la jeune femme sur la monstruosité de son nouvel époux et enfin la révélation spectaculaire de celle-là, que nous ne résistons pas au plaisir de citer : “ Elle entendait le mari, au moment où il rentrait, la nuit, en pleine nuit : ouh, ouh, boum, boum, boum, il s’approche… Les cornes sont sorties, ouh ! Le corps tout couvert de poils ! Une queue, une queue étrange ! En arrivant il se heurtait à la porte : bang ! ” (p. 29-31) L’oralité du texte est notamment rappelée par les nombreuses onomatopées qui rappellent le caractère sonore de la scène. Le but du conte est de montrer les dérives du choix individuel dans une société où le groupe l’emporte. C’est aussi de réfléchir sur cette inquiétante affaire – ce pari - qu’est le mariage :
30•
M ay o t t e H e b d o • N ° 9 8 9 • 0 4 / 0 3 / 2 0 2 2
“ La grande affaire mahoraise, aussi bien dans la littérature que dans la vie. C’est bien que ce mariage est aussi un risque, et même un péril : c’est une alliance bien fragile, bien rarement fondée sur une entière confiance en cet étranger (cette étrangère) qu’on épouse. Et jamais cette alliance ne pourra faire équilibre, encore moins se substituer, à la seule vraie famille, qui est la famille de naissance. Dans les contes, l’époux est un ogre, un djinn, un animal tout hérissé de poils, plumes, cornes, dents et queues, et il parle un langage bizarre, ogresque… qui n’est bien souvent qu’une légère déformation du parler du village voisin. Il ne faut pas aller les chercher bien loin, ces ogres, ces djinns si dangereux et si familiers ! ” (p. 8-9) Ce conte, dont Noël Jacques Gueunier fournit un nombre pléthorique de variantes, est notre conte préféré et un canevas important de la littérature de Mayotte. Nassur
Attoumani ne s’en souvient-il pas lorsque, dans Mon Mari est plus qu’un fou : c’est un homme (2006), il raconte la manière dont une jeune femme est éblouie par un mari prestigieux en apparence seulement, ou encore dans La Fille du polygame (1992), lorsque Fatiha, après avoir été rendue malheureuse par un mariage d’amour, se résigne à un mariage arrangé et endogame ? Nous signalons enfin que ce volume n’est pas isolé ; il fonde une série dont les prolongements sont de nouveaux thèmes qui complètent le panorama des Contes comoriens en dialecte malgache de l’île de Mayotte : “ L’Oiseau chagrin ” en 1994, “ Le Coq du roi ” en 2001 et “ La Quête de la sagesse ” en 2011. !
Christophe Cosker
31
• M ay o t t e H e b d o • N ° 9 8 9 • 0 4 / 0 3 / 2 0 2 2
MAGAZINE D’INFORMATION NUMÉRIQUE HEBDOMADAIRE Edité par la SARL Somapresse au capital de 20 000 euros 7, rue Salamani Cavani M’tsapéré BP 60 - 97600 Mamoudzou Tél. : 0269 61 20 04 contact@mayottehebdo.com Directeur de la publication Laurent Canavate canavate.laurent@somapresse.com Directeur de la rédaction Mohamed El Mounir dit “Soldat” 0639 69 13 38 soldat@mayottehebdo.com Rédacteur en chef Axel Nodinot
# 989
Couverture :
Mayotte mange mal MALBOUFFE
Journalistes Axel Nodinot Romain Guille Raïnat Aliloiffa Lise Gaeta Alexis Duclos Direction artistique Franco di Sangro Graphistes/Maquettistes Olivier Baron, Franco di Sangro Commerciaux Cédric Denaud, Murielle Turlan Comptabilité Catherine Chiggiato comptabilite@somapresse.com Première parution Vendredi 31 mars 2000 ISSN : 1288 - 1716 RCS : n° 9757/2000 N° de Siret : 024 061 970 000 18 N°CPPAP : 0121 I 92960 Site internet www.mayottehebdo.com