LE MOT DE LA RÉDACTION
ARIDE LAGON
En 2018, année des derniers chiffres de l'Insee dont nous disposons, Mayotte comptait 48 médecins généralistes pour 100 000 habitants. La même année, la métropole en comptait en moyenne 153 pour 100 000 habitants. Couplées à un manque criant d'infrastructures de santé sur le territoire, ces données symbolisent le désert médical qu'est Mayotte. Ses habitants, quant à eux, tirent la langue, étant priés d'attendre encore l'alignement des prestations sociales sur celles de leurs compatriotes de l'hexagone. "Les pauvres ont la santé, les riches les remèdes", comme disait l'autre. Dans cette situation, il n'est guère étonnant que les pharmaciens soient les premiers généralistes de l'île, leurs clients venant autant les trouver pour des conseils que pour leur traitement. Si le second hôpital prévu à Combani apparaît comme une oasis au centre de cet erg médical qu'est Mayotte, la soif de soins de la population ne sera étanchée que très tard, le début des travaux n'étant prévu que pour le second semestre 2025. Quant à la restructuration du dinosaure qu'est le Centre hospitalier de Mayotte, à Mamoudzou, elle incombera à Jean-Mathieu Defour, son nouveau directeur. Ce dernier, entre soignants épuisés des deux ans de crise sanitaire et syndicats agacés – à tort ou à raison – de leurs conditions de travail, arrive dans un contexte au moins aussi tendu que les délais qu'il devra respecter pour améliorer l'offre de santé mahoraise. Au moins son arrivée distillera-t-elle une brume d'espoir sur l'aridité ambiante.
Axel Nodinot
HAPPY HOUR PMU *
PLUS DE 500 000 € DE GAINS SUPPLÉMENTAIRES À SE PARTAGER.** TOUS LES JOURS PENDANT UNE HEURE, UN PARI BOOSTÉ SUR CHAQUE COURSE POUR AUGMENTER VOS GAINS.
Du 4 au 15 mai, du lundi au samedi de 18h à 19h et le dimanche de 14h à 15h.*** * Heure heureuse PMU. ** Somme cumulée des montants supplémentaires à se partager entre les gagnants des rangs des rapports principaux des paris boostés entre le 4 et le 15 mai, dans les limites de leurs fonds de réserve disponibles, conformément au règlement du Pari Mutuel Urbain et sur les hippodromes. *** Toute notion calendaire et d’heure s’entend par référence à la France métropolitaine. Heures basées sur l’horaire prévisionnel du départ des courses. Le pari hippique comporte une part de hasard, le gain n’est donc pas garanti.
JOUER COMPORTE DES RISQUES : ENDETTEMENT, DÉPENDANCE... APPELEZ LE 09 74 75 13 13 (APPEL NON SURTAXÉ).
3
• M ay o t t e H e b d o • N ° 9 9 8 • 0 6 / 0 5 / 2 0 2 2
PMU G.I.E. SIREN 775 671 258 RCS PARIS © Scoopdyga
Bonne lecture à toutes et à tous.
TCHAKS
Narma Moussa
LA PHRASE
LE CHIFFRE
L'ACTION
C’est le nombre d’années de Mayotte nature environnement (MNE), la fédération d’associations environnementales créée en 2011. Elles ont comme objectif de protéger, conserver et restaurer l’espace naturel mahorais, dans le but de préserver et entretenir la richesse du patrimoine biologique de l'île au lagon. La fédération exerce son action sur Mayotte mais aussi sur l'intégralité du sud-est de l’Océan Indien. En ce mercredi 4 mai 2022, Mayotte nature environnement célèbre donc ses dix années de travail, d’action et d'évolution autour d’un cocktail dans leurs nouveaux locaux de Mamoudzou, qu'ils feront d'ailleurs visiter, mercredi à 17 heures. À 18 heures, l'organisme terminera la soirée par la projection d’un film intitulé « L’éveil de la permaculture ». Une soirée agréable pour célébrer des années de projets concrétisés.
L’école de foot Ndaka, à Kani Kéli, organise pour ses jeunes adhérents un voyage exceptionnel vers Le Mans, en métropole, du 2 au 13 mai. Cette année, une sélection de 19 jeunes a été faite. Ces jeunes sportifs sont de tous les âges, puisqu'ils sont nés de 2005 à 2010. Ce voyage a pour but de les former à une carrière de footballeur professionnel, de les perfectionner et d’améliorer leur jeu, d'apprendre l'esprit d’équipe et les codes du fairplay. Un stage permettant à chacun et chacune de réaliser son plus grand rêve et tenter sa chance d’intégrer le centre de formation du Mans FC, pour ensuite espérer intégrer le club de championnat National. Pour ces jeunes Mahorais.es, bénéficier de ce genre d'initiatives est une chance incroyable, ne serait-ce que pour pouvoir partir et se mesurer aux jeunes du Mans FC.
10
Des jeunes de Kani Kéli au Mans FC
"Il y en a marre du harcèlement […], peut-être que demain ce sera nous" Ce sont les mots prononcés par Chani, en seconde au lycée de Tsararano. À l’occasion du prix national “Non au harcèlement”, vendredi dernier, le rectorat de Mayotte a récompensé les cinq établissements lauréats de l’académie de Mayotte. Collégiens de Kawéni, de Dembéni, de Passamainty et de Sada mais aussi lycéens de Tsararano, les jeunes ambassadeurs ont redoublé d’imagination pour dénoncer ce phénomène de société qui touche entre 5 et 10% des élèves français. La réalisation de divers supports de communication créés par chacun des collèges et lycée y ont été présentés. Le concours avait pour but de donner la parole aux jeunes et de dénoncer ce problème qui les touche en particulier. Il a permis à plein de jeunes de se faire entendre et d’exposer leurs points de vue par le biais d’affiches, de vidéos ou d'œuvres peintes.
IL FAIT L'ACTU L'ancien préfet Denis Robin de retour à Mayotte Préfet de l’île de 2008 à 2009, Denis Robin est maintenant secrétaire général de la Mer. C’est dans ce cadre qu’il était à Mayotte, cette semaine, promettant au premier président du cluster maritime de Mayotte (CMM), Norbert Martinez, de venir rencontrer les entreprises. Cette réunion a donc eu lieu ce mercredi après-midi. Le port de Longoni, considéré comme « un atout majeur », a ainsi été évoqué. Celui qui a œuvré à la départementalisation souhaite « retrouver un fonctionnement harmonieux du port », en référence aux relations compliquées entre Ida Nel (PDG de « Mayotte Channel Getaway » qui gère le port) et Norbert Martinez. La question de la possibilité que celui-ci obtienne le statut de grand port maritime n’a pas été débattue, le secrétaire général renvoie la balle à « l’autorité portuaire », le conseil départemental de Mayotte ici. Il a également évoqué l’environnement. « J’étais un peu triste en revenant à Mayotte, après quatorze ans, de voir qu’il y avait toujours autant de plastique sur les plages, dans les mangroves », se désole-t-il.
4•
M ay o t t e H e b d o • N ° 9 9 8 • 0 6 / 0 5 / 2 0 2 2
LU DANS LA PRESSE
Chaque semaine, découvrez le regard porté sur l’actualité locale à travers la presse nationale ou régionale
MAYOTTE. DANS L'ENFER DE LA PRÉCARITÉ ADMINISTRATIVE Le 26 avril 2022, par Yoram Melloul pour le Courrier de l'Atlas. A Mayotte, Marine Le Pen est arrivée largement en tête avec près de 60% au second tour devant Emmanuel Macron. Un résultat pas si surprenant que ça, dans ce département en souffrance où chaque procédure administrative pour un étranger est devenue un véritable parcours du combattant. Reportage. Visage fatigué et grand sourire édenté, Abou* rigole en racontant son quotidien difficile, assis sur les marches de sa maison en tôle. Chaque soir, il fuit le bidonville dans lequel il vit pour passer la nuit à la campagne. “La PAF [police aux frontières] vient faire des interpellations, alors je préfère dormir avec les moustiques.” Abou se plaît à dire qu’il est à Mayotte “depuis Mitterrand”. Comme la grande majorité des étrangers de ce département français au large de Madagascar, il est né aux Comores. Ses deux filles françaises devraient lui permettre d’avoir droit à une carte de séjour. Mais il n’a pas de papiers. Six mois après cette rencontre, survenue fin avril, le bidonville de Miréréni, situé à l’ouest du 101e département français, n’existe plus. Il a été détruit par la préfecture. Abou, lui, dort toujours à la campagne par peur de se faire attraper, et expulser. “Être ici, sans papiers, c’est comme être mort” “L’un des grands problèmes de Mayotte, c’est qu’il y a très peu d’accompagnement pour les étrangers”, éclaire Marjane Ghaem, avocate et lauréate, pour son travail sur place, du Prix des droits de l’homme, décerné par le Conseil national des barreaux. “Les personnes ont une faible connaissance de la loi, et le taux d’alphabétisation est très bas. Ceux qui font les démarches doivent généralement se débrouiller seuls.” C’est le cas de Djamar Archafadi. Originaire de Mohéli, il a traversé l’océan en bateau depuis Anjouan, l’île comorienne la plus proche de Mayotte. Un voyage dangereux, dans lequel entre 7 000 et 10 000 personnes ont perdu la vie de 1995 à 2012, selon un rapport du Sénat. Djamar Archafadi est arrivé il y a dix ans dans l’espoir de soigner un handicap qui l’empêche de marcher et provoque chez lui de terribles douleurs. Depuis, il vit dans une petite pièce à Dembéni, à l’est de l’île. En 2015, il a obtenu une carte de séjour d’un an, qu’il garde précieusement avec tous ses papiers. Depuis, plus rien. Son handicap n’est pas reconnu et la difficulté des démarches l’a découragé. Ebéniste de formation, il vivote à Mayotte : “Être ici, sans papiers, c’est comme être mort. Tu ne peux pas travailler, tu risques de te faire contrôler, embarquer et renvoyer.” Les expulsions sont particulièrement rapides et, pour beaucoup, synonymes d’une nouvelle traversée clandestine onéreuse et dangereuse. Les forces de l’ordre enferment les personnes arrêtées au centre de rétention administrative (CRA), situé à Dzaoudzi, sur la plus petite des deux îles habitées de l’archipel. Puis les renvoient, parfois en quelques heures. Dans la très grande majorité des cas à Anjouan. “Depuis janvier, l’Etat a délivré, ici, plus de 20 000 obligations de quitter le territoire français (OQTF), commente Mathilde Detrez, chargée de projet à la Cimade locale, une association d’aide aux personnes migrantes, réfugiées et en demande d’asile. L’objectif de la préfecture, c’est plus de 30 000 renvois par an. Elle a une position très dure sur les contrôles et les expulsions.” Avant la pandémie, la moitié des personnes expulsées en France l’étaient depuis Mayotte. Un territoire d’exception pour le droit du sol Le gouvernement maintient le cap. En visite à la fin août, Gérald Darmanin, le ministre de l’Intérieur, et Sébastien
Lecornu, ministre des Outre-mer, informaient du renforcement des contrôles aux frontières. Ces derniers ont surtout annoncé que l’exécutif souhaitait modifier le droit de la nationalité à Mayotte. Car pour l’obtenir, contrairement aux règles en vigueur dans la métropole, les enfants nés dans le département doivent justifier de trois mois de présence légale d’un des deux parents au moment de leur naissance. Le gouvernement voudrait la faire passer à un an. “Ça ne fera que retarder un peu plus l’intégration de jeunes qui ont toutes les raisons de rester en France, s’exaspère l’avocate Marjane Ghaem. Ils sont volontaires, ils ont envie, ils n’ont rien demandé en naissant là, et ils vont être maintenus en situation irrégulière.” Bon nombre de personnes n’arrivent même pas à entamer les démarches pour obtenir une carte de séjour. “On parle beaucoup des problèmes liés à la dématérialisation des demandes de rendez-vous en préfecture en métropole, mais à Mayotte ça fait longtemps que les gens n’arrivent pas à accéder à la préfecture, poursuit Marjane Ghaem. Prenons l’exemple des jeunes nés ici : d’une part, ils ne parviennent pas à obtenir de rendez-vous, et d’autre part, ils font l’objet de procédures d’éloignement. Ils n’ont pas le temps de faire passer leur dossier.” Aurore Neel est coordinatrice de l’association Kaja Kaona qui accompagne des jeunes sortis de l’emploi et de la formation. Elle évoque le cas d’une femme née à Mayotte, dont les parents étaient en situation régulière, et qui n’a pas réussi à décrocher un rendez-vous. “Il a fallu qu’elle se fasse attraper par la PAF, et qu’on la fasse sortir du CRA pour qu’enfin elle ait un rendez-vous et un récépissé.” Près d’un jeune sur cinq en dépression Les étudiants en attente de leurs papiers perdent souvent un an ou deux. Impossible pour eux de travailler légalement, alors qu’ils risquent l’expulsion. Conséquence, beaucoup ne font rien et traînent dans la rue. A Mayotte, il y a nom pour ça : “les années blanches.” Aurore Neel en accompagne quotidiennement : “Dans l’association, ils sont au moins dix à avoir fait une ou deux années blanches avant de reprendre les études. Une vingtaine sont toujours en attente. Cela a des conséquences dramatiques. Je dirais que 24 % des jeunes avec qui je travaille sont en dépression. C’est hallucinant !” Même une fois le rendez-vous à la préfecture obtenu, les difficultés continuent pour les étrangers de Mayotte. “L’Etat délivre peu de cartes de résident parce qu’il faut un contrat de travail pour l’obtenir”, poursuit la coordinatrice de Kaja Kaona. Or, autre spécificité mahoraise, il est interdit de sortir du département avec une carte de séjour d’un an. Impossible, donc, pour les étudiants de poursuivre leur cursus en métropole ou à La Réunion. “Et puis toutes les aides sociales sont conditionnées au fait d’avoir quinze ans de situation régulière, alors qu’en métropole, c’est cinq ans.” Qu’ils soient arrivés il y a longtemps, nés à Mayotte, ou même avec un titre de séjour d’un an, les étrangers de l’île vivent un calvaire administratif. Aurore Neel désespère : “C’est une véritable précarité organisée.”
5
• M ay o t t e H e b d o • N ° 9 9 8 • 0 6 / 0 5 / 2 0 2 2
PORTRAIT Axel Nodinot
6•
M ay o t t e H e b d o • N ° 9 9 8 • 0 6 / 0 5 / 2 0 2 2
ABDILLAH SOUSOU L'HABIT FAIT LA DÉTERMINATION
Au chapitre de la vie qu'est l'injonction à se relever, qu'importe le nombre de chutes, Abdillah Sousou est le narrateur. Champion de karaté à ses plus grandes heures, le désormais quarantenaire a créé sa marque de vêtements, Soussou Sportswear, et ne songe qu'à entreprendre sans relâche, décrochant contrats et partenariats à la faveur de sa volonté. De retour aux sources depuis quelques mois, le chef d'entreprise compte bien poser sa griffe sur Mayotte. Quitte à connaître des échecs, mais sans jamais rester à terre.
7
• M ay o t t e H e b d o • N ° 9 9 8 • 0 6 / 0 5 / 2 0 2 2
PORTRAIT D'emblée, il ne faut pas le chercher sur son nom de famille, qui est aussi celui de sa marque. "Je ne comprends pas cette question. Mon nom, je ne l'ai pas choisi, comme ma couleur de peau", lance Abdillah Sousou en tenant le regard. L'œil vif, la silhouette élancée, le quarantenaire a gardé du tatami sa volonté d'en découdre, qui le fait désormais avancer dans le domaine de l'entrepreneuriat. Rien ne le destinait pourtant à réussir de la sorte. Issu d'une famille modeste, avec "ni père riche, ni mère riche, ni école de commerce", l'enfance d'Abdillah s'écrit bien vite sur le sol métropolitain lorsque son père se remarie. "À 7 ans, on vient et on te prend, on te ramène en métropole, témoigne-t-il. Tu es marqué au fer, quoi. On pense que c'est bien, mais non. J'ai plein de copains dans le même cas, et ils sont tous blessés."
"JE NE POUVAIS DEVENIR QU'UN HOMME MAUVAIS, OU FORT" Passé de la luxuriante végétation mahoraise à la grisaille de la banlieue nord parisienne, le jeune garçon est plus proche de l'épopée d'un Gavroche que des scénarios de films hollywoodiens. Ce sont pourtant ces derniers qui le font rêver : "J'ai voulu faire un sport de combat très tôt, en voyant des films générationnels, plutôt avec Jean-Claude Van Damme que Bruce Lee, qui n'est pas de ma génération. Je me suis tourné vers le karaté parce qu'il y en avait en bas de chez moi." Cependant, à seulement 10 ans, son père le somme d'aller travailler. À l'époque, Abdillah fait donc de l'emballage – déballage sur les stands du marché aux puces de Saint-Ouen, à côté de Porte de Clignancourt. "Je venais tôt pour déballer la marchandise sur les stands, et je revenais le soir pour remballer, raconte-t-il. Ça existe. Ça m'a permis d'avoir un peu de kopecks et de payer mes premiers cours. Le jeune homme obtient donc sa première licence de karaté à 13 ans, et se classe au niveau régional jusqu'à ses 16 ans, avant d'intégrer le Sporting International de Karaté Paris (SIK), "le plus grand club du monde à l'époque, très médiatisé par Chantal Jouanno, ex-ministre, avec qui je m'entraînais et que j'ai habillée à l'occasion de son championnat de
8•
M ay o t t e H e b d o • N ° 9 9 8 • 0 6 / 0 5 / 2 0 2 2
autoentrepreneur en 2010, il est contacté par la région de la Sarthe pour s'installer au Mans en 2015, avant de passer en SAS en 2017, avec un capital de 60 000 euros. Le jeune chef d'entreprise à deux modèles économiques : "Adidas et Nike, ce sont les meilleurs. Je me considère comme un équipementier français, c'est important. Il n'y en a aucun."
UN VOL PRÉSIDENTIEL AVEC FRANÇOIS HOLLANDE
En 2020, l'entrepreneur a mis en place l'opération Bonnets solidaires auprès de 200 sans-abris.
France, sous Nicolas Sarkozy". Entre-temps, le désormais majeur rentre à Mayotte, pour un moment qui restera gravé dans sa mémoire. "J'ai revu ma mère à 18 ans, donc forcément je ne pouvais devenir qu'un homme mauvais, ou fort, assène-t-il. Ma mère était jumelle. Je m'en rappellerai toujours, à l'aéroport, elles étaient deux, mais je savais qui était ma mère. Il n'y a pas de mots."
"MERDE (SIC), C'EST UN MEC DU SIK" Marqué par la vie, Abdillah Sousou se dit dès le départ que réussir est un devoir. Alors que l'actuel père d'un fils de 7 ans et demi et d'une fille de 3 ans accumule les participations aux championnats de France et d'Europe, une révélation le frappe lors d'un combat. "Au SIK, on était les seuls à avoir une tenue commune, explique l'entrepreneur. Le survêtement n'existait pas dans les arts martiaux. Un jour, je vais combattre contre une personne très forte, pour moi, parce que son frère venait de faire les championnats du monde. Mais je ne savais pas qui c'était, elle n'avait pas de survêtement. En montant sur le tatami, avec la tenue du club, il se dit "Merde, c'est un mec du SIK". Il perd beaucoup de force psychologique, c'est important, Muhammad Ali jouait sur ça par exemple. Je le bats. Je pense être entrepreneur dans l'âme, et cette information me fait fonder Soussou Sportswear." Immédiatement, il dépose la marque en 2008, avec deux "S" pour la sonorité. Il travaille avec le SIK, ainsi que les clubs de Marseille et Colombes, grandes écuries de l'époque : "Je les habille tous gratuitement". Constitué
Début 2014. Abdillah Sousou est dans sa voiture quand il reçoit un appel. C'est l'équipe du président de la République, François Hollande. "Pourquoi moi ?", se demande-t-il encore. Le Mahorais est en fait invité pour accompagner le président lors d'un voyage. "Nous avons dû passer un entretien à l'Elysée avec mon épouse, face au conseiller spécial outre-mer et Nathalie Ianetta, conseillère spéciale sport." Seulement, le jour du départ supposé, le 24 juillet 2014, est aussi celui du terrible crash aérien d'un vol algérien au Mali, faisant 110 victimes dont 54 Français. "On ne part plus, le voyage est reprogrammé", raconte Abdillah. C'est finalement du 19 au 23 août 2014 qu'il effectue un voyage présidentiel avec François Hollande, qui reste une grande inspiration. "Il disait que c'est en étant le plus discret qu'on est le plus efficace", aime-t-il à répéter. Peut-être est-ce à fréquenter un président de la République socialiste que le fondateur de Soussou Sportswear développe une fibre sociale. En 2019, il lance en effet une opération "vêtements solidaires", consistant en un don de 200 vêtements à des sans-abris du Mans. Un an plus tard, il réitère l'opération, mais avec des "bonnets solidaires". "C'est important quand on sait d'où je viens, affirme Abdillah Sousou. Les valeurs de la marque sont courage, respect, victoire, fierté. J'ai toujours donné et je donne toujours. L'argent ce n'est rien, c'est le projet qui est important. L'argent vient car le projet est important."
DES AMIS UKRAINIENS, SPORTIFS, PARTIS À LA GUERRE Autre mesure progressiste appliquée par l'équipementier, l'utilisation de tissus recyclés à partir de bouteilles en plastique. "J'aimerais faire plus sur le volet écologique, mais le client cherche toujours son avantage financier, admet-il. Tout est possible, à Mayotte ce n'est pas le plastique qui manque ! Je l'ai fait avec le Maroc. C'est aux politiques publiques d'agir." Avant son retour sur l'île au lagon, l'ancien karatéka a bien bourlingué, dans de nombreux pays du globe, dont… L'Ukraine. "Bien sûr que ça me fait quelque chose",
9
• M ay o t t e H e b d o • N ° 9 9 8 • 0 6 / 0 5 / 2 0 2 2
PORTRAIT
avoue-t-il au sujet de l'invasion russe. "Je suis sortie avec une Ukrainienne, je connais la place Maïdan [à Kiev, NDLR], j'ai des amis làbas, sportifs ou pas, j'ai essayé d'y joindre des gens que je connais. Certains d'entre eux sont partis à la guerre. Et ce qu'ils ont fait, je ne vais pas te dire bêtement que j'aurais le courage de le faire. Je ne sais pas ce que je ferais. Mais moi, je savais qu'ils le feraient, parce qu'ils ont toujours connu ça."
"À MAYOTTE CE N'EST PAS LE PLASTIQUE QUI MANQUE !"
"Il n'a pas trouvé mieux que son lopin de terre", chantait Francis Cabrel en 1977. "Après avoir fait le tour du monde, tout ce qu'on veut, c'est être à la maison", rappait Orelsan en 2011. Ces leçons, Abdillah Sousou les assimile l'été dernier : "Je vais avoir 42 ans, et mes parents ont vraiment besoin de moi. Il n'y a pas que ça, il y a aussi la conjoncture. J'étais très bien au Mans, même si je voyageais beaucoup. J'ai aussi
décidé de venir parce que je sais que je peux apporter des choses". Alors, en août 2021, M. Sousou emmène femme et enfants sur l'île aux parfums. Si l'entrepreneur a un petit point de vente sur Dzoumogné, il cherche désespérément un local pour sa marque, les choses n'avançant pas assez rapidement pour cet homme qui veut tout, tout de suite. "Je suis un combattant, un fou, soutient-il. Il faut
10•
M ay o t t e H e b d o • N ° 9 9 8 • 0 6 / 0 5 / 2 0 2 2
Soussou Sportswear propose des gammes de vêtements fabriqués à base de tissu recyclé.
Aujourd'hui, il est directeur, et je vais entreprendre avec lui. C'est une fierté. Je ne sais pas ce qu'ont fait les autres, mais lui je l'ai retrouvé". Une histoire qui plait au délégué du gouvernement à Mayotte, et qui devrait valoir à Abdillah d'être l'un des chantres du développement de la pratique du karaté à Mayotte.
entreprendre, oser, être audacieux. Celui qui ne connaît pas d'échecs n'avance pas."
L'ÉQUIPE DE FRANCE DE KARATÉ À MAYOTTE Cette audace le pousse à aborder Thierry Suquet, le préfet de Mayotte, dans la rue, mais aussi à refuser de passer par son cabinet. "Ça lui a plu, il m'a donné ses coordonnées", se réjouit-il. Le karatéka s'emploie alors à lui montrer des preuves de son implication à Mayotte, avec une vidéo de 2012 dans laquelle il entraîne quelque 170 enfants de Labattoir. "À l'époque, dit-il, nous avons fait l'interview d'un jeune garçon comorien lors de ce cours.
Mais l'essor de sa marque n'est jamais loin. Regorgeant de projets, dont certains sont encore indicibles, M. Sousou dessine actuellement les tenues du racing Club de Mamoudzou et du Comité d'athlétisme, ainsi que pour d'autres organismes. Du 20 au 22 mai, il organisera un événement avec Patricia Girard, multiple championne du monde et médaille de bronze aux JO de 1996 sur 100 mètres, et Nasrane Bacar, multiple championne de France sur 60 mètres. "J'ai toujours adoré les conférences", avoue-t-il. Mais ce n'est pas tout : en juin, l'hyperactif équipementier fera venir à Mayotte Benoît Gomis, entraîneur NBA de l'élite du basket français telle que Rudy Gobert, Nicolas Batum, Frank Ntilikina ou Sekou Doumbouya. Enfin, en juillet, Abdillah organisera un stage de karaté avec l'équipe de France, ainsi que des rencontres avec les Comores et Madagascar. Une ambition qui n'a donc d'égale que son culot, sans limites. n
11
• M ay o t t e H e b d o • N ° 9 9 8 • 0 6 / 0 5 / 2 0 2 2
DOSSIER
Santé à Mayotte
L'ATTENTE Alors que le second hôpital de l'île au lagon, qui sortira de terre à Combani, ne recevra ses premiers coups de pioche qu'en 2025, c'est l'intégralité de l'offre de soins de Mayotte qui est à refaire. Désormais, ce chantier tout aussi urgent que titanesque tient son contremaître, en la personne de Jean-Mathieu Defour, nouveau directeur général du Centre hospitalier de Mayotte. Fraîchement arrivé sur le territoire, l'infirmier de formation s'est aussi révélé bâtisseur en Guyane française et en Corse. Un motif d'espoir pour les Mahorais.es, qui attendent encore un système de santé efficace.
12•
M ay o t t e H e b d o • N ° 9 9 8 • 0 6 / 0 5 / 2 0 2 2
13
• M ay o t t e H e b d o • N ° 9 9 8 • 0 6 / 0 5 / 2 0 2 2
DOSSIER
Propos recueillis par Alexis Duclos
ENTRETIEN
JEAN-MATHIEU DEFOUR VEUT CONSTRUIRE LE NOUVEL HÔPITAL ET RESTRUCTURER L'ACTUEL DEPUIS LE 19 AVRIL, LE CENTRE HOSPITALIER DE MAYOTTE (CHM) COMPTE UN NOUVEAU DIRECTEUR GÉNÉRAL EN LA PERSONNE DE JEAN-MATHIEU DEFOUR. ARRIVÉ RÉCEMMENT DE BASTIA (HAUTE-CORSE), IL A ?UVRÉ SUR PLUSIEURS RESTRUCTURATIONS ET LA CRÉATION D’UN NOUVEL HÔPITAL. DEUX MISSIONS QU’IL EST CHARGÉ DE REMPLIR À NOUVEAU SUR L’ÎLE.
14•
M ay o t t e H e b d o • N ° 9 9 8 • 0 6 / 0 5 / 2 0 2 2
15
• M ay o t t e H e b d o • N ° 9 9 8 • 0 6 / 0 5 / 2 0 2 2
DOSSIER
UN ANCIEN INFIRMIER À LA TÊTE DU CHM À 57 ans, le nouveau directeur général a un parcours atypique. « J’ai été dix ans infirmier. J’ai même été aide-soignant en maison de retraite », raconte-il. Il est notamment passé par les Hospices civiles de Lyon, avant de suivre une formation de directeur d’hôpital. Un métier qu’il a d’abord exercé dans le Sud-Ouest. Il y a été directeur général du centre hospitalier Ariège-Couserans. Il a de plus de l’expérience en Outre-mer (voir par ailleurs), puisqu’il a été directeur général de l’hôpital de Saint-Laurent-duMaroni, en Guyane. Comme à Mayotte, il a supervisé la construction d’un nouvel hôpital qui a vu le jour en 2018. Bastia, où il y avait « une restructuration lourde » à effectuer, a finalement été son expérience la plus courte avec deux ans et demi.
16•
M ay o t t e H e b d o • N ° 9 9 8 • 0 6 / 0 5 / 2 0 2 2
17
• M ay o t t e H e b d o • N ° 9 9 8 • 0 6 / 0 5 / 2 0 2 2
DOSSIER
LE SECOND HÔPITAL DE COMBANI, RENDEZ-VOUS EN 2025
Mayotte Hebdo : De quelle manière ce poste [Christophe Blanchard assure l’intérim depuis un an, NDLR] vous a été proposé ? Jean-Mathieu Defour : Cela a été décidé en janvier. On m’a demandé de mener à bien la construction du nouvel hôpital et la restructuration de celui de Mamoudzou. Ce que j’ai déjà fait en Guyane et à Bastia. Ils ne m’ont pas pris pour mes beaux yeux. M. H. : Vous êtes sur place depuis une quinzaine de jours maintenant. Quelles sont, selon vous, les priorités ? J.-M. D. : Le plus urgent est d’assurer la continuité des soins. Il faut également que le personnel ait de bonnes conditions de travail. Et la troisième priorité est de lancer les travaux de restructuration dès cette année. M. H. : Qu’en est-il de ce chantier justement ? J.-M. D. : La semaine dernière, nous avons eu la visite du Cnis (Conseil national des investissements en santé). C’est la procédure sur les chantiers de plus de 150 millions d’euros [120 millions d’euros ici, NDLR]. Ce groupe d’experts écrit un rapport, attendu pour juillet, qui doit
Le deuxième hôpital de Mayotte, dont le début des travaux est prévu au second semestre 2025, comportera "entre 380 et 420 lits", selon Olivier Brahic. Le directeur général de l'Agence régionale de santé souhaite effectivement copier peu ou prou la capacité du centre hospitalier de Mamoudzou, qui comportait 473 lits en 2020, pour la doubler. De nombreux services seront également dupliqués du chef-lieu à Combani, afin d'avoir le plus grand nombre de pôles médicaux possible. Enfin, l'accès au futur établissement sera rendu possible par une amélioration du réseau routier à l'intérieur du village et sur sa périphérie, sous la responsabilité partagée de l'Etat, via la DEAL, du département et de la commune de Tsingoni. ensuite être validé par un comité de pilotage. Vingt millions d’euros sont déjà engagés, dont trois chantiers sont prévus cette année. Il y a la psychiatrie pour quatre millions d’euros, la gynécologie avec 1.9 million et le service de néonatalité pour 500.000 euros. M. H. : Votre prédécesseur a déjà avancé sur ce dossier. Est-ce qu’il va y être associé ? J.-M. D. : Oui, Christophe Blanchard, en plus de ses fonctions, assure la direction des opérations.
18•
M ay o t t e H e b d o • N ° 9 9 8 • 0 6 / 0 5 / 2 0 2 2
LES PROJETS DU CHM EN 2022 Outre l'arrivée de Jean-Mathieu Defour, nouveau directeur du CHM en provenance du CH de Bastia, sont prévus un agrandissement du bloc obstétrical et des urgences gynéco obstétriques, l'augmentation du nombre de box de néonatalogie, la mise en place d’une unité dédiée de psychiatrie à Petite-Terre, et l'acquisition d’un second scanner. Pour ces projets d’investissement, le CHM va bénéficier de 134,5 millions d’euros d’aides, dont les 67 millions du Ségur de la Santé. Un ingénieur doit arriver cet été pour l’épauler. Il y a un médecin et un conducteur des travaux qui sont déjà mobilisés sur cette mission. Et j’ai demandé au directeur des soins qu’un cadre de santé les rejoignent. M. H. : En tant qu’ex-directeur d’un hôpital en Guyane, quelles difficultés avez-vous rencontré sur un tel projet ? J-M. D. : Bien sûr, il y a l’insularité. Vous savez que les matériaux sont plus compliqués à acheminer. Il faut aussi trouver les entreprises qui peuvent se positionner. Mais contrairement à la Guyane où il fallait construire un nouveau à la place de l’ancien, là, nous devons construire un hôpital neuf et rénover l’actuel par ce que nous appelons des opérations à tiroir. M. H. : Quel est l’objectif d’un tel projet sur le long terme ? J.-M. D. : Ce n’est pas une petite opération. En restructurant, l’hôpital doit durer vingt ans de plus.
pas à rougir par rapport aux établissements de métropole. Je pense aux services de réanimation, maternité, radiologie ou au laboratoire. M. H. : Le recrutement sur un territoire comme Mayotte reste un problème. Vous avez sans doute déjà connu ça en Guyane. J.-M. D. : C’est vrai, il y a un manque de médecins et de sagefemmes. Mais sur ce dernier point, ce n’est pas spécifique à Mayotte, c’est le cas sur tout le territoire national. Elles sont très mobiles, donc elles ont la possibilité de pouvoir prendre de l’expérience où elles le veulent. Et ici, nous connaissons en plus une suractivité. En ce moment, nous avons des renforts de la réserve sanitaire, mais nous ne pouvons pas compter que sur elle. C’est pour ça qu’il faut renforcer notre attractivité. M. H. : Avez-vous des moyens d’y remédier ?
M. H. : Vous avez pu vous rendre dans l’hôpital. Qu’avezvous constaté ? J.-M. D. : Au-delà des projets, il y a un vrai sujet sur l’entretien et la maintenance des locaux. J’étais surpris par les dégradations. Il y a beaucoup de travaux à prévoir. M. H. : Vous pensez à un service en particulier ? J.-M. D. : Il y en a plusieurs. Mais vous pouvez regarder les urgences tout simplement, qui est pourtant la porte entrée de l’hôpital. Il faut que le personnel puisse travailler dans de bonnes conditions. J’y suis très attaché, sans doute à cause de mon passé en tant qu’infirmier. Cependant, il n’y a que du négatif. En termes d’équipement, je trouve qu’il n’y a
J.-M. D. : Nous sommes en train de mettre en place une cellule de recrutement. Elle fera un travail de chasseurs de tête et facilitera les conditions d’installation. Je sais que le logement est toujours un problème ici. Je vais travailler aussi avec les partenaires sociaux, nous devons éviter les micro-conflits en amont. Pour attirer, il faut que les gens s’y plaisent, et pour ça, il faut de bonnes conditions de travail. M. H. : L’un de vos objectifs est la construction du second site à Combani. Où en êtes-vous ? J.-M. D. : Nous sommes encore en phase d’études. Les premiers coups de pioche sont prévus en 2025. n
19
• M ay o t t e H e b d o • N ° 9 9 8 • 0 6 / 0 5 / 2 0 2 2
L.G
« EST-CE VRAIMENT CE QUE NOUS VOULONS POUR NOTRE ÎLE ET POUR NOS ENFANTS ? » C’est le titre alarmiste de l’association environnementale Nayma ! Dans un post partagé sur sa page Facebook, la structure pointe du doigt l’état détestable de la mangrove de Majicavo Koropa où ses salariés en insertion interviennent depuis plusieurs semaines. « La nature étouffe sous les déchets plastiques des villages voisins, sous le poids des habitudes que nous refusons de changer, par paresse, par confort ou par méconnaissance », met-elle en garde. « Nous tuons nos écosystèmes à petit feu et osons espérer que nous leur survivrons. Mais sans mangroves, que ferons-nous ? Elles nous protègent des catastrophes naturelles
en réduisant l’impact de la houle et des vagues, tout en préservant nos stocks d’eau sous-terraine. La multitude des espèces qu’elles abritent représente une source d’alimentation riche et variée, ce qui en plus d’assurer notre santé, constitue un vivier économique et écologique considérable. En bref, si nous ne protégeons pas nos mangroves, nous courrons à notre propre perte. Alors qu’attendons-nous pour agir ? » Un message poignant pour faire prendre conscience à toute la population qu’il est grand temps de se retrousser les manches ! n
20•
M ay o t t e H e b d o • N ° 9 9 8 • 0 6 / 0 5 / 2 0 2 2
21
• M ay o t t e H e b d o • N ° 9 9 8 • 0 6 / 0 5 / 2 0 2 2
LITTÉRATURE
LISEZ MAYOTTE Abdou Salam Baco, Contes inédits de Mayotte, Archives départementales de Mayotte, 2010.
Abdou Salam Baco est né à Mzouazia. Après des études secondaires à Maoré et à la Réunion, il débarque à Saint-Etienne en 1983 pour poursuivre ses études supérieures. Titulaire d’un DEUG d’AES (Administration économique et sociale), il s’oriente vers les sciences économiques. Après avoir préparé un diplôme supérieur de conseil en développement, il entreprend des études doctorales sur l’histoire de Mayotte, qu’il clôt par la soutenance de sa thèse en avril 1993. C’est donc en Docteur ès Histoire Économique qu’il débarque à Mayotte en mai 1993 avec femme et enfant. Abdou S. Baco est l’auteur de trois romans – Brûlante est ma terre, Dans un cri silencieux et Coupeurs de tête – et de deux recueils de nouvelles : La Belle du jour et Cinq femmes. Il est également musicien, fondateur du groupe Mobissa à Mayotte. Il travaille dans le milieu culturel dans son pays.
CONTES ET CULTURE MAHORAISE
AGRÉGÉ DE LETTRES MODERNES ET DOCTEUR EN LITTÉRATURES FRANCOPHONES, CHRISTOPHE COSKER EST L’AUTEUR DE NOMBREUX OUVRAGES DE RÉFÉRENCE SUR LA LITTÉRATURE DE L’ÎLE AUX PARFUMS, NOTAMMENT UNE PETITE HISTOIRE DES LETTRES FRANCOPHONES À MAYOTTE (2015) DONT IL REPREND, APPROFONDIT ET ACTUALISE, DANS CETTE CHRONIQUE LITTÉRAIRE, LA MATIÈRE. Dans cette nouvelle série, qui en constitue une deuxième sur le conte, nous souhaitons passer en revue les sept volumes de hale dirigés par Abdou Salam Baco en collaboration avec les Archives départementales. Nous avons déjà indiqué que chaque volume est introduit par un avant-propos du Président du Conseil général de Mayotte Ahamed Attoumani Douchina. Dans une chronique précédente, nous avions cité son incipit, début dans lequel il insistait sur le rapport entre la forme du conte et le passé. Mais le conte est également lié au présent de la façon suivante : « Il ne s’agit pas seulement de figer les traces du passé. Ces textes passionnants, souvent drôles, parfois effrayants, sont aussi destinés aux enfants d’aujourd’hui : ils pourront transmettre aux jeunes Mahorais le goût de la lecture et l’intérêt pour la culture de leur île. » (p. 5) Différents lecteurs peuvent donc faire leur miel des contes de Mayotte : les enfants qui apprennent à lire et reçoivent une culture en partage, les adultes de Mayotte qui se souviennent et ceux d’ailleurs qui découvrent, les curieux et les érudits amateurs de recherche en littérature. Le premier volume s’intitule « Fables » et l’écrivain francophone de Mayotte Abdou Salam Baco en définit l’objet comme « [des fables] destinées presque uniquement à l’amusement. Il s’agit de mauvais tours joués par des animaux voleurs, par des monstres ou par des hommes. Ici, il n’est pas question d’origines ou d’explications, mais de facéties et d’amusement ; mais il arrive que, par jeu, le récit se termine
par des questions posées aux auditeurs, et qu’il s’ensuive un débat ludique et sans conclusion. Ce genre est très répandu à Mayotte. Qui ne connaît pas à Mayotte les facéties du légendaire Banawassi, ou les ruses du lièvre Soungoura ? » (p. 10) On entre donc dans les contes de Mayotte par la porte du divertissement et sous l’égide du trickster. Et ce premier volume contient dix textes respectivement intitulés : « Banawassi », « Les Tribulations du lièvre », « Fouroudji », « Une famille nombreuse », « La voleuse de keya », « Ourouva », « chez les chauvesouris », « Mbouanatsa », « Racines profondes » et « Moussa et l’anneau du sultan ». À tout seigneur tout honneur, nous offrons au lecteur le premier d’entre eux, celui qui met en scène le personnage de Banawassi dont nous souhaitons d’abord expliquer le nom avant d’en étudier les histoires. Il s’agirait en effet de la déformation du nom d’Abou Nouas, un poète arabe d’origine persane qui vécut au VIIIe siècle à la cour d’Harun Al Rachid et dont la célébrité serait liée à la poésie du vin. Dans l’archipel des Comores, Banawassi – dont le nom connaît de nombreuses variantes graphiques - est le personnage de basse extraction qui réussit à triompher des puissants par sa ruse. Dans le conte qui inaugure toute la série, un roi veut bien marier sa fille. Il fait donc chercher, dans chaque village de Mayotte, l’homme le plus intelligent. Mais à chaque fois qu’il les invite dans son palais, il n’en est pas satisfait et les décapite. Banawassi se
22•
M ay o t t e H e b d o • N ° 9 9 8 • 0 6 / 0 5 / 2 0 2 2
prête au jeu mais se montre scrupuleusement obéissant envers le sultan, ce qui lui permet de garder la tête sur les épaules et de faire un beau mariage. À la fin du conte, le roi justifie ainsi sa conduite : « Mes chers enfants, je vais vous expliquer enfin aujourd’hui pourquoi j’ai tranché toutes les têtes de ces prétendus hommes intelligents. Oh ! je sais à quel point la population était terrifiée, et à quel point j’apparaissais comme le diable en personne. Mais il fallait que j’en passe par là pour confier votre destin non pas à un profiteur, un homme sans manières, sans éducation, mais à un homme comme Banawassi, un homme pieux, respectueux, intelligent, patient, bref un homme qui saura conduire de la meilleure manière la destinée de ce pays. Aujourd’hui je peux donc partir en paix, avec l’assurance que la relève sera bien assurée. »
Ainsi remarque-t-on plusieurs décalages d’avec les canevas habituels, le roi n’est pas mauvais et la décapitation est à prendre, au sens symbolique, comme une insatisfaction qui permet de passer au prétendant suivant. De même, Banawassi n’est pas vraiment ici rusé, seulement habile, voire docile. C’est ce texte, que dans l’une de nos premières chroniques, nous avions étudié réécrit par Nassur Attoumani qui, dans Les Anachroniques de Mayotte (2012), transforme Banawassi en Lodosomono. En effet, dans « Un bouvier incroyable », Lodosomono rapporte au roi la vache la plus impressionnante de son royaume, qui s’avère être une brochette d’analphabètes !
Christophe Cosker
23
• M ay o t t e H e b d o • N ° 9 9 8 • 0 6 / 0 5 / 2 0 2 2
MAGAZINE D’INFORMATION NUMÉRIQUE HEBDOMADAIRE Edité par la SARL Somapresse au capital de 20 000 euros 7, rue Salamani Cavani M’tsapéré BP 60 - 97600 Mamoudzou Tél. : 0269 61 20 04 contact@mayottehebdo.com Directeur de la publication Laurent Canavate canavate.laurent@somapresse.com Directeur de la rédaction Mohamed El Mounir dit “Soldat” 0639 69 13 38 soldat@mayottehebdo.com Rédacteur en chef Axel Nodinot
# 998
Couverture :
Santé à Mayotte : l'attente
Journalistes Axel Nodinot Romain Guille Raïnat Aliloiffa Lise Gaeta Alexis Duclos Direction artistique Franco di Sangro Graphistes/Maquettistes Olivier Baron, Franco di Sangro Commerciaux Cédric Denaud, Murielle Turlan Comptabilité Catherine Chiggiato comptabilite@somapresse.com Première parution Vendredi 31 mars 2000 ISSN : 1288 - 1716 RCS : n° 9757/2000 N° de Siret : 024 061 970 000 18 N°CPPAP : 0121 I 92960 Site internet www.mayottehebdo.com