numĂŠro 14
05.2011
gratuit
Chicago Symphony Orchestra Riccardo Muti direction Mardi 30.08.2011 20:00
Mercredi 31.08.2011 20:00
Hindemith: Symphonie in Es (en mi bémol) Prokofiev: Roméo et Juliette. Suites N° 1–3 (extraits)
Rands: Danza Petrificada Strauss: Tod und Verklärung (Mort et Transfiguration) Chostakovitch: Symphonie N° 5 en ré mineur op. 47
La première tournée à l’étranger de Riccardo Muti en tant que directeur musical du Chicago Symphony Orchestra. Extraits audiovisuels sur notre site internet.
Tickets: 45 / 75 / 95 € (< 27: 27 / 45 / 57 €) (+352) 26 32 26 32 // www.philharmonie.lu Le programme du 31.08.2011 est soutenu par
ours
sommaire numéro 14
Directeurs de la publication et de la rédaction : Bruno Chibane & Philippe Schweyer Rédacteur en chef : Emmanuel Abela emmanuel.abela@mots-et-sons.com u 06 86 17 20 40 Direction artistique et graphisme : starHlight Ont participé à ce numéro : REDACTEURS Gabrielle Awad, Cécile Becker, Emmanuel Blondeau, Olivier Bombarda, Caroline Châtelet, Baptiste Cogitore, Marie Drouet, Sylvia Dubost, Nathalie Eberhardt, Pauline Hofmann, Xavier Hug, Virginie Joalland, Kim, Nicolas Léger, Stéphanie Linsingh, Guillaume Malvoisin, Adeline Pasteur, Marcel Ramirez, Amandine Sacquin, Christophe Sedierta, Fabien Texier, Gilles Weinzaepflen. PHOTOGRAPHES Vincent Arbelet, Pascal Bastien, Vladimir Besson, Stephen Dock, Stéphanie Linsingh, Stéphane Louis, Olivier Roller, Christophe Urbain, Sophie Yerly.
05.2011
Édito 05 Cinérama 8 par Olivier Bombarda 07 Novorama spécial Bâle par Xavier Hug et Sophie Yerly 08 Une balade d’art contemporain : L’exposition Fabiola de Francis Alÿs à Bâle 12
FOCUS L’actu culturelle du Grand Est à vive allure 14 La sélection des spectacles, festivals, expositions et inaugurations à ne pas manquer 17
RENCONTRES
CONTRIBUTEURS Bearboz, Catherine Bizern, Ludmilla Cerveny, Laurie Franck, EM/M, Christophe Fourvel, Julien Rubiloni, Denis Scheubel, Henri Walliser, Sandrine Wymann.
Le festival Kill Your Pop ne doit pas mourir ! Deerhunter, les Suuns et Mogwai 30
COUVERTURE Bernard Plossu, Haight-Ashbury, San Francisco, été 1966 (photo recadrée extraite du livre Far Out !, www.mediapop.fr / www.r-diffusion.org)
Novo ouvre ses colonnes à des interventions régulières ou ponctuelles
Retrouvez entretiens, photos et extensions audio et vidéo sur les sites novomag.fr, facebook.com/novo, plan-neuf.com, mots-et-sons.com et flux4.eu Ce magazine est édité par Chic Médias & médiapop Chic Médias u 12 rue des Poules / 67000 Strasbourg Sarl au capital de 12500 euros u Siret 509 169 280 00013 Direction : Bruno Chibane u bchibane@chicmedias.com 06 08 07 99 45 Administration, gestion : Charles Combanaire médiapop u 12 quai d’Isly / 68100 Mulhouse Sarl au capital de 1000 euros u Siret 507 961 001 00017 Direction : Philippe Schweyer u ps@mediapop.fr 06 22 44 68 67 – www.mediapop.fr IMPRIMEUR Estimprim ~ PubliVal Conseils Dépôt légal : mai 2011 ISSN : 1969-9514 u © NOVO 2011 Le contenu des articles n’engage que leurs auteurs. Les manuscrits et documents publiés ne sont pas renvoyés. ABONNEMENT www.novomag.fr novo est gratuit, mais vous pouvez vous abonner pour le recevoir où vous voulez. ABONNEMENT France 6 numéros u 40 euros 12 numéros u 70 euros ABONNEMENT hors France 6 numéros u 50 euros 12 numéros u 90 euros DIFFUSION Vous souhaitez diffuser novo auprès de votre public ? 1 carton de 25 numéros u 25 euros 1 carton de 50 numéros u 40 euros Envoyez votre règlement en chèque à l’ordre de médiapop ou de Chic Médias (voir adresses ci-dessus). novo est diffusé gratuitement dans les musées, centres d’art, galeries, théâtres, salles de spectacles, salles de concerts, cinémas d’art et essai, bibliothèques et librairies des principales villes du Grand Est.
le carnet de novo Pas d’amour sans cinéma / 5 : œdipe, Demy, Bogart et moi, par Catherine Bizern 36 Le monde est un seul / 13 : La mort de Bartelby, par Christophe Fourvel 37 EM/M (www.emslashm.com) 38 Too much class : Playing football is not a shiny game, par Laurie Franck 40 Bicéphale / 5, Comme une première fois, par Julien Rubiloni et Ludmilla Cerveny 41 Sur la crête, par Henri Walliser et Denis Scheubel 41
MAGAZINE Atiq Rahimi parle de son dernier livre, de l’écriture, de la langue persane, de la censure et de l’exil 44 Thierry Aué parle de son écriture laconique et de l’humour caustique qui imprègne ses textes brefs 46 Bernard Plossu revient quarante ans en arrière dans un livre témoignage sur ses "années hip" 48 Décoré par le ministre et sélectionné à Cannes, Clément Cogitore sort un DVD 52 Gilles Tiberghien commissaire de l’exposition Pour une République des Rêves au Crac à Altkirch 56 Retour sur le parcours étonnant de Peter Weibel 60 Portrait de Paul Cox, qui signe (entre autres) l’univers graphique du Théâtre Dijon Bourgogne 62 Rubbing Glances, projet d’art contemporain initié par Simon Hitziger, invite Marion Auburtin à Nancy 64 Véronique Hubert se démultiplie à Belfort 65 La chorégraphe Olga Mesa s’installe au Frac Alsace 66 Filiamotsa se frotte à d’autres musiciens au festival Musique Action 68 Le festival Contre-Temps débute avec le concert exceptionnel de Jaki Liebezeit 64 Le metteur en scène Waut Koeken partage son enthousiasme pour Mozart 70
selecta Disques, BD et livres (les DVD sont à Cannes !) 73
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SAISON COURBET Ce e Saison Courbet réunit pour l’été 2011 la programma on ar s que de quatre musées jurassiens autour de la réouverture du musée Courbet à Ornans le 1er juillet 2011 et de son exposition inaugurale : Œuvres croisées, Courbet / Clésinger.
Gustave Courbet, La Gro e Sarrazine, 1864 © Musée des BeauxFArts de LonsFleFSaunier, cl. JeanFLoup Mathieu
dude14l’œuvre, mai année, au 18collec>on, septembre 2011 Titre © copyright
Dole
Musée des BeauxFArts 85, rue des Arènes 39100 Dole T. 03 84 79 25 85
du 8 juillet au 2 octobre 2011
Saint Claude
Musée de l’Abbaye
dona>ons Guy Bardone F René Genis
3, place de l’Abbaye 39200 SaintFClaude T. 03 84 38 12 60
du 2 juillet au 25 septembre 2011
Arbois
Musée Sarret de Grozon Grande Rue 39600 Arbois T. 03 84 37 47 90
du 2 juillet au 23 octobre 2011
Lons le Saunier
Musée des BeauxFArts place Philibert de Chalon 39000 LonsFleFSaunier T. 03 84 47 64 30
www.museesFfranchecomte.com
www.museesFfranchecomte.com Courbet contemporain avec Sylvie Auvray, Stephan Balkenhol, à Dole
Les musées de Dole et SaintFClaude présenteront une sélection d’artistes contemporains qui rendent hommage au peintre mais également réinterrogent l’œuvre de Courbet. De l’emprunt conceptuel de ses chefsFd’œuvre, à une parenté plus proche du réalisme de sa pra>que picturale, jusqu’aux engagements poli>ques du peintre, les œuvres choisies témoigneront des traces indéfec>bles que Courbet aura laissées dans l’histoire de l’art sur plusieurs généra>ons d’ar>stes.
Olivier Blanckart, Balthasar Burkhard, Nina Childress, Gérard CollinFThiebaut, Erró, André Fougeron, Jacques Fournel, Filip Francis, Gérard Fromanger, Francis Harburger, Alain Jacquet, Yan PeiFMing, Éric Poitevin, Loïc Raguénès et Gérard Schlosser à Saint Claude avec JeanFMichel Alberola, JeanFSylvain Bieth, Louise Bossut, Philippe Cognée, Gérard CollinFThiébaut, Gérald Mainier, Paul Rebeyrolle et JoëlFPeter Witkin
Courbet méconnu : l’œuvre gravé, du réalisme à la caricature Ce e exposi>on rassemblera quant à elle, un ensemble important d’estampes d’après les peintures de Courbet ainsi que les livres qu’il a illustrés. Cet aspect de son œuvre est encore à découvrir et démontre l’intérêt de l’ar>ste pour la di usion de sa peinture, à travers les di érentes techniques de l’estampe qu’il u>lisa, l’eauFforte, la lithographie et même le bois gravé.
Courbet et le Jura Ce e exposi>on relatera les rela>ons que Courbet a entretenues avec des jurassiens, le poète Max Buchon, le sculpteur et céramiste Max Claudet, l’ébéniste et collec>onneur JeanFPaul Mazaroz, le géopaléontologiste Jules Marcou, le chef d’entreprise Alfred Bouvet, mais on pourra y admirer aussi les paysages typiques qu’il a ec>onnait comme la Gro e Sarrazine, le Gour de Conches, la Roche pourrie ou la source du Lison.
Ces exposi>ons sont soutenues par la Drac FrancheFComté, le Conseil régional de FrancheFComté, le Conseil général du Jura, les Villes d’Arbois, de LonsFleFSaunier, de Dole et la Communauté de communes HautFJura SaintFClaude
Direction régionale des affaires culturelles Franche-Comté
édito par philippe schweyer
mon retour à la nature
J’ai coupé la radio. Ce n’était pas le moment de me laisser bouffer par les infos. Le monde bougeait, mais ce n’était pas mon affaire. Tout ce que je voulais, c’était passer un week-end tranquille. Surtout ne rien faire. Me vider la tête pendant que des hommes et des femmes se battaient pour sauver leur peau, au bout du monde ou juste en dessous de chez moi. Je me suis affalé dans le canapé et j’ai fermé les yeux. Alors que j’allais m’assoupir, un coup de vent a fait s’écrouler la pile de magazines qui s’entassaient jusqu’au plafond. Tout ce papier, c’était ridicule. Il fallait que je fasse le vide. Tant pis si je n’en avais pas lu la moitié. Qu’est-ce que ça changeait que je les lise ou pas ? J’ai rempli ma voiture à ras bord. À la déchetterie, j’ai croisé un type qui jetait de la vaisselle et des ustensiles de cuisine : - Ma femme s’est barrée. Je n’ai plus d’appétit. Une assiette, une fourchette et un couteau ça me suffit largement! J’ai approuvé et je suis rentré me recoucher. À peine allongé, mes yeux sont tombés sur les rangées de CD que je n’écoutais plus depuis longtemps. J’ai rempli trois grands sacs poubelle avec toute cette musique que j’avais tant aimée et je les ai déposés devant la porte du voisin. Je commençais à respirer. Qu’est-ce que j’allais faire des bouquins ? J’ai appelé un ami libraire pour qu’il vienne les récupérer, mais les livres de poche ne l’intéressaient pas. J’ai chargé ma voiture et je suis retourné à la déchetterie. Un type jetait des fringues : - Ma femme est partie. Elle aurait au moins pu emporter sa garde-robe ! Je peux récupérer quelques romans ? Je vais avoir le temps de lire maintenant… J’ai compati puis je suis reparti. Si je voulais aller de l’avant, il fallait que j’efface les milliers de photos et les vidéos qui encombraient mon ordinateur. J’ai baissé la vitre et j’ai appuyé sur l’accélérateur. Je commençais à me sentir plus léger. À un feu rouge, je me suis arrêté à côté d’un cyclotouriste pour savoir où il allait : - Vers le sud. J’ai perdu mon boulot et ma femme m’a foutu dehors. Je vais pédaler le plus loin possible. Je préfère passer l’hiver au chaud. D’autres tentaient de remonter vers le Nord, pas toujours bien accueillis. J’ai eu envie de prendre sa place. - Vous ne voulez pas échanger votre vélo contre ma voiture ? - Non merci. Je préfère pédaler. C’est mieux pour me vider la tête… Le feu est passé au vert. J’ai démarré en trombe en jouant l’air de la Cucaracha avec mon klaxon italien, histoire de lui faire regretter d’avoir renoncé aux plaisirs enfantins qui font le charme de la société de consommation. Je n’étais pas encore totalement mûr pour un retour complet à la nature.
Mauvaise nouvelle : Poly is dead (Poly Styrene, chanteuse de la formation punk pionnière X-Ray Spex, est morte le 25 avril). Très bonne nouvelle : A Star is born (Chiara Chibane-Anstett est née le 26 avril).
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www.musiqueaction.com licences : 540-249/250/251 / design graphique : studio punkat
Jean Pallandre, Marc Pichelin, L’Escabelle, Natacha Muslera, Jean-Sébastien Mariage, We killed a cheerleader 2.2, Cie Epiderme, Christine Sehnaoui, Andy Moor, Georges Aperghis, Eric-Maria Couturier, Erikm, Donatienne Michel-Dansac, Yannis Kyriakides, Pascal Battus, Carole Rieussec, Nicolas Dick, Hervé Gudin, L’école bruissonnière, The Free Light Medieval Blues Experience, Ensemble Bernica, Hubertus Biermann, Jean-Philippe Gross, Clare Cooper, École de musique de Vandœuvre, Manivelles, Collectif Inouï, Chass’spleen, Hugues Reinert, Cannibales & Vahinés & G.W. Sok, saint-pierre corporation, Cheer Accident, Howe Gelb, Ensemble Nomos, Fanny de Chaillé, Filiamotsa Soufflant Rhodes, Tenko, Giant Sand, ...
ccam : rue de parme, 54500 vandœuvre-lès-nancy tel : 03 83 56 15 00 / site : www.centremalraux.com
cinérama 8 par olivier bombarda
L’Etrange Affaire Angelica : à propos du dernier film de Manoel de Oliveira, Gérard Lefort pose la question dans Libération du « contrepoint réaliste » qu’offre Isaac se précipitant dans les vignes pour photographier des paysans au travail : ne serait-ce pas « la preuve faite film que documentaire et fiction ne sont pas condamnés au vis-àvis, que ces deux courants du cinéma peuvent fraterniser » ? Inversement, on pourrait s’étonner de la capacité d’Isaac à tirer lui-même des photographies couleurs dans une sordide chambre de bonne. N’est-ce pas là un bras d’honneur splendide au documentaire qui de fait, peut largement tirer la gueule ? Ou serait-ce le clin d’œil d’un cinéaste centenaire qui se moque de l’image vertueuse qu’on lui prête à rendre régulièrement hommage aux origines du cinéma dans ses films ? Étrange affaire…
« C’est l’ombre de la mort qui donne relief à la vie. » Ingmar Bergman
« La modestie est au mérite ce que les ombres sont aux figures dans un tableau : elle lui donne de la force et du relief. » François de La Rochefoucauld Wenders semble avoir retrouvé le talent qui lui manquait, retrouvera-t-il les spectateurs qui se détournaient de lui ? Pour Pina, le voici rasséréné dans l’acte de filmer, comme un retour à la définition du verbe : enregistrer des vues sur film cinématographique, simplement, au même titre que le pionnier. La caméra est fixe sur son trépied et l’opérateur retient son souffle.
« La vraie nouveauté naît toujours dans le retour aux sources. » Edgar Morin
« Si l’invraisemblable arrive, c’est donc que ce qui est invraisemblable est vraisemblable. »
« La simplicité véritable allie la bonté à la beauté. »
Aristote
« La simplicité est le principe de l’art. »
« La réalité dépasse la fiction, car la fiction doit contenir la vraisemblance, mais non pas de la réalité. » Mark Twain Sur les écrans, le prodige où la réalité, le documentaire et la fiction s’entremêlent porte un nom : Pina pour Pina Bausch. Pina, film spectaculaire de Wim Wenders tourné en 3D. L’œuvre est porteuse d’un destin peu ordinaire : la chorégraphe meurt en pleine préparation du tournage censé dresser son portrait. Pina s’envole avant de prendre vie sur une pellicule en trois dimensions. Dès lors Wim Wenders doit réviser son projet et, avec la troupe du Tanztheater Wuppertal, décide de faire un film « sans » mais « pour » Pina. Le souvenir de la chorégraphe impose l’humilité, Wenders se fait tout petit tandis que les danseurs se dépassent.
Platon
Bruce Lee Mieux que n’importe quel film US au montage convulsif et bariolé d’effets, Pina de Wenders montre (enfin) comment s’y prendre pour filmer en 3D : privilégier un cadre immuable avec un avant plan soutenu (mieux encore lorsqu’il est dans l’ombre comme cette rangée de spectateurs qui prolonge la salle de cinéma dans « Pina ») ainsi qu’une grande profondeur de champ tel un arrière plan qui s’évanouit dans un noir infini. Au centre enfin et en légère plongée, la magie de la pleine lumière irradie des actants en pied : les danseurs se détachent, quasi avec violence, terriblement palpables sous nos yeux. Avec Pina le spectateur n’est plus au cinéma ni face à un spectacle de danse. Dans ce contexte notre esprit vissé à nos yeux semble réaliser pour la première fois l’impression de saillie en mouvement, quitte à relativiser les propos de Louis-Martin Tard : « Notons que le cinéma est la seule activité humaine où d’abord on réalise, ensuite on projette. » En contrepoint, les images d’archives de Pina Bausch introduites dans le film se trouvent renforcées dans leurs historicités planes, héritières d’un noir et blanc lavasse où la chorégraphe, malgré son insaisissable beauté, n’est déjà plus qu’un fantôme.
« Nous pouvons améliorer les images du monde et, comme ça, nous pouvons améliorer le monde. » Wim Wenders
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novorama ➾ xavier hug
printemps 2011
photos ➾ sophie yerly
Bâle
Bâle Unlimited
Bâle fait figure d’hydre protéiforme et bouillonnante tant elle conjugue les antipodes : les institutions de réputation mondiale y côtoient les initiatives les plus osées qui font la richesse quotidienne de la ville.
Carnet d’adresses www.cargobar.ch www.werkraumwarteckpp.ch www.sud.ch www.kasko.ch www.alchemieraumbasel.blogspot.com www.vollmondimhafen.ch www.plattfon.ch www.stampa-galerie.ch www.mitte.ch www.hirscheneck.ch www.blindekuh.ch www.garedunord.ch www.cafe-merian.ch www.dasschiff.ch www.kunstmuseumbasel.ch
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Air du temps oblige, le divertissement est devenu une injonction d’autant plus urgente qu’elle conditionne un autre truisme contemporain : le bonheur. Les agglomérations sont ainsi devenues friandes en superlatif et qualificatif pour promouvoir leur image de marque, séduire les visiteurs et attirer de nouveaux arrivants, dans l’espoir de remplir cette charge. Bâle ne fait pas exception mais, pour une fois, le slogan « Culture Unlimited » ne semble pas surfait tant la vie culturelle de la ville foisonne. Au-delà des grandes institutions et moments forts, à l’instar du Carnaval, de la Fondation Beyeler, d’Art Basel ou du Vorstadttheater, la ville est une véritable fourmilière de lieux décalés. Au milieu du siècle précédent, la dérive psychogéographique est une pratique que mirent au point les situationnistes parisiens comme une manière de se réapproprier les espaces mentaux, rêvés et confisqués de l’espace public. Aujourd’hui, c’est aussi une manière de (re)découvrir
des villes que nous pensions connaître jusqu’aux bas-fonds. Se laisser guider, accepter de se perdre peut parfois amener à la découverte de lieux insoupçonnables. Le passage d’une société de production à celle de services a vidé de nombreuses usines. Autant d’espaces vacants, à la charge symbolique forte, que se sont empressés d’investir les artistes avant d’intéresser les politiques culturelles pour finir aux mains des promoteurs immobiliers. Strasbourg a installé sa nouvelle médiathèque sur une partie du môle Seegmuller ; Besançon réaménage la Rhodia en vue de la création d’un « campus culturel » ; Mulhouse s’interroge sur l’avenir du site DMC. Outre-Rhin, la culture protestante, libérale et tolérante, possède une histoire de ces réaménagements plus riche et différente : les squats existent, perdurent et les bâtiments connaissent une seconde vie moins institutionnelle.
Un des exemples les plus abouti et réussi de cette transformation s’incarne dans l’ancienne brasserie municipale : la Warteck. L’architecte Roger Diener était persuadé que le maintien en centreville d’une telle surface caractéristique était viable économiquement. Il a, dès la cession des activités brassicoles en 1990, convaincu le directoire de son intention de transformer le bâtiment en complexe résidentiel intégrant des bureaux. Mais la ville en décide autrement dans le plus grand secret. Fin 1991 est entériné l’idée de réhabiliter les lieux au profit d’un projet culturel. Depuis près de vingt ans, cet espace rebaptisé Werkraum Warteck pp, pour permanente Provisorium, reflet de l’état d’esprit dans lequel se trouvaient les initiateurs du lieu, héberge les projets les plus extravagants, les plus divers aussi. Outre des ateliers d’artistes, un SEL centré
sur la bicyclette, un bar-restaurant niché entre végétation et décor industriel, des cours de danse et de sérigraphie, le WW pp ouvre sa terrasse tous les lundis à l’heure du déjeuner. Là, autour d’un repas oriental préparé par Areerat Tanadee, vous profiterez d’une vue panoramique sur l’ensemble de la ville jusqu’aux Alpes bernoises les jours dégagés. L’endroit est déjà connu des habitués d’Art Basel comme étant le QG de Liste, la récente foire dédiée à la jeune scène de l’art contemporain et qui se déroule en parallèle de sa grande sœur. Pourtant, au-delà de ce moment clé dans le calendrier annuel, le WW pp n’est pas une coquille vide le reste du temps. Parmi les propositions régulières et notables, notons l’effort de Kaskadenkondensator, espace de réflexion et de diffusion dédié à la performance sous toutes ses formes. Véritable catalyseur d’énergies, Kaska
offre aux artistes un relais national et international et aux curieux de sérieux moments propices à bousculer leurs habitudes. Pour se remettre d’aplomb, ou simplement se changer les idées, rien ne vaut certaines soirées organisées par SUD, qui perpétue dignement les folles nuits montparnassiennes tout comme celles du cabaret berlinois de l’entre deux guerres. Le tout en préservant l’austère dignité propre au protestantisme tout de même. C’est ce qui étonne le plus, surtout pour un Français fraîchement débarqué : rigueur et calme imprègnent les lieux. Pas, ou peu, de débordements, d’effusions incontrôlées, ni endroits sordides ou lugubres qui dénoteraient franchement dans ce quartier résidentiel à l’écart des grands axes de circulation. C’est qu’il existe en Suisse une loi tacite : libre à toi d’être ce que tu veux à condition d’être respectueux. L’impression
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d’énoncer un lieu commun du contrat rousseauiste ne doit pas tromper : si tout le monde est d’accord avec ce principe, qui est prêt à avoir pour voisin direct des jeunes, des artistes, des marginaux et tous les stéréotypes qu’ils traînent avec eux ? Cette loi connaît son paroxysme au Hirscheneck, haut lieu de la contre culture bâloise, véritable patriarche de la pensée et mise en pratique anarchiste, qui a fêté l’an dernier ses trente ans d’existence. Lieu autogéré au fonctionnement horizontal et égalitaire, il n’a jamais reçu le moindre subside public. L’utopie fonctionne tant bien que mal – les germanophones liront avec profit l’onglet Die Philosophie de leur site – mais il est indéniable que boire un verre ou assister à un concert dans cet endroit a quelque chose de spécial. Ici, le mot convivialité n’est pas vain. Daniel Häni a choisi une autre voie pour réfléchir à l’élaboration d’une alternative sociétale, en mettant davantage l’accent sur la transmission des savoirs et l’élaboration théorique et pratique d’une nouvelle donne. Ouvrir Unternehmen Mitte dans une ancienne banque au sein de la place financière mondiale qu’est Bâle n’est à cet égard pas anodin. Du coup, il repose la question de la conservation du patrimoine industriel et de l’héritage ouvrier.
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Häni est par ailleurs un des chefs de file du revenu garanti, un revenu inconditionnel versé à chaque citoyen pour lui permettre de vivre décemment en lui laissant toute latitude d’occuper en plus un emploi rémunéré s’il le souhaite. Cet aspect a fait l’objet d’un film librement diffusé sur Internet : Grundeinkommen. Ein Kulturimpuls (« Le revenu de base, un choix de société »). Ces quelques indices permettent aisément de se faire une idée de l’orientation du programme des rencontres qu’organise le Mitte. Ces dernières ne sont néanmoins pas cantonnées au domaine politique, on y parle autant esthétique et qualité de vie. Et il est ici aussi possible de faire autre chose que de s’impliquer dans une démarche citoyenne ou faire travailler ses méninges : suivre des cours de yoga, écouter du jazz ou simplement lire un journal disponible librement en buvant un café. Bâle est aussi et peut-être avant tout un lieu qui invite à la flânerie. La présence du Rhin, qui en impose par sa majesté confère un certain flegme à tout visiteur soucieux de l’atmosphère. Cette impression se concentre évidemment le long des quais, largement accessibles, bien entretenus et essentiellement piétons. Déambuler depuis le parc du Museum Tinguely jusqu’au Mittlere Rheinbrücke, en passant par la Solitude Promenade puis les façades cossues de la bourgeoisie protestante, nous ramène à la sensibilité romantique de ce fleuve qu’ont su canaliser avec délices de nombreux artistes et écrivains : Erasme, Holbein, Burckhardt, Böcklin, Nietzsche sans oublier Tinguely.
Tous les guides touristiques vont jetteront sur la terrasse qui se situe derrière la cathédrale pour profiter d’une vue inoubliable sur le Rhin. Mais il est un secret des mieux gardés dont ne parle guère les mêmes guides, pas plus d’ailleurs que l’institution qui l’abrite. Au quatrième et dernier étage du Museum für Gegenwartskunst, on accède à un toit plat qui fait office de point de vue où, non seulement le panorama est plus dégagé et moins fréquenté, mais est situé en plein soleil. Ce qui rend l’endroit d’autant plus agréable lors des douceurs printanières et automnales. Pour ceux qui souhaitent prendre encore un peu plus de hauteur, il est possible de monter à l’école Steiner et de couper par le parc via le Jakobsbergerholzweg avant de redescendre vers le centre. A moins que vous ne préfériez dériver encore un peu plus vers le sud est pour profiter du calme du Café Merian sis dans le parc du même nom pour un moment de volupté.
Quelques moments privilégiés peuvent être vécus si vous décidez par un dimanche ensoleillé de prendre un brunch sur le pont du Das Schiff. Situé dans le port marchand, à la croisée des frontières, cette péniche a longtemps accueilli quelques groupes musicaux les plus libres de la scène actuelle avant de se recentrer sur le clubbing. Les déçus, comme ceux qui cherchent un endroit plus cossu, iront se réfugier à la Gare du Nord - Bahnhof für Neue Musik qui vous accueille pour un verre ou un concert de musique contemporaine dans le cadre d’un buffet qui semble figé dans le temps et un espace d’écoute niché au milieu des boiseries les plus finement sculptées et richement ornées. Les nuits bâloises ne sont pas en reste et la ville n’offre pas que des soirées club qui fondent en partie sa réputation. L’association du disquaire Plattfon et du
galeriste Stampa, qui ont depuis un an ouvert un espace commun, propose à tous ceux qui ne font pas de distinction majeure entre musique et art des soirées à la croisée des deux. Le jour, la librairie comme la discothèque offrent des milliers de références pointues sur les avant-gardes, l’art outsider et brut. Pour les plus tardifs, et si vous n’êtes pas sujet au vertige, le Bernoulli Silo, géré par le Capri Bar, s’offre à vous les nuits d’été. Dépaysement assuré. Les plus audacieux auront l’opportunité de louer cet endroit pour des soirées privées. Pour satisfaire à tous les goûts, un bar éphémère ouvre à chaque pleine lune dans le quartier et décline son ambiance selon ce que lui inspire la lune du moment. Sur l’autre rive, mentionnons le Cargo Bar, à la programmation éclectique et l’ambiance décontractée. Cet endroit accueille depuis peu quelques groupes de sa voisine mulhousienne suite à un partenariat
d’échanges élaboré avec Les Copains d’Abord grâce à l’entremise de l’association Old School et de sa radio expérimentale (radiomne.com). Mais les nuits les plus extravagantes se déroulent certainement durant la foire Art Basel qui depuis son site vous renvoie vers tous les endroits où il y a à faire après la fermeture des galeries. Cet aller-retour incessant entre institutions mastodontes et secret des mieux gardés fait de Bâle une ville plaisante, riche et incontournable. Il existe une telle synergie, soutenue par une réglementation très libérale, que des endroits plus interlopes encore existent, à l’image de la remise souterraine de la papeterie de la Schlachthofstrasse ou encore de la galerie parfaitement aménagée et pourtant située à l’abri de quelques plaques de tôles derrière les lignes de la Bahnhof SBB. Cette description pourra paraitre idéale à bon nombre d’habitants des villes du grand est. Qu’ils se rassurent : pour certains bâlois, leur ville n’est qu’une belle endormie bourgeoise, pour eux la Mecque a pour nom Zürich. Ailleurs, l’herbe est toujours plus verte. ✣
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370 Fabiolas, 1 œuvre Par sandrine wymann et bearboz
L’édito du catalogue de l’exposition nous révèle que Francis Alÿs a mis bien du temps à accepter que son incroyable collection de portraits de Fabiola soit exposée à Bâle et pourtant elle s’y trouve comme une évidence. Les 370 portraits rassemblés puisent leur modèle dans une toile disparue à ce jour mais néanmoins tout à fait identifiée : un tableau du peintre réaliste Jean-Jacques Henner datant de 1885 et exposé en 1889 à l’exposition Universelle de Paris. L’événement peut être vu comme le retour en terre natale d’un peintre natif du Sud de l’Alsace. Le choix d’exposer dans la Haus zum Kirschgarten se prête très agréablement au jeu de l’artiste, à savoir à une répartition des tableaux dans un ensemble de pièces retraçant l’art de vivre bâlois au XVIIIe et surtout XIXe siècle. Une étrange rencontre opère entre un culte de nature très catholique et des intérieurs très protestants. Francis Alÿs est un artiste qui se déplace. Toutes ses œuvres sont issues de ses pérégrinations, elles sont parfois le cheminement lui-même. Dans ce travail, l’artiste invite à quelque chose d’étrange: se perdre dans son obsession pour les portraits d’une sainte dite patronne des infirmières, des femmes maltraitées et des divorcés. Bien qu’emblématique Fabiola fût assez peu connue avant d’être le personnage central d’un roman de la deuxième moitié du XIXe, écrit par un clerc anglais, et qui a conquis un très large public. On prête à J.J. Henner l’originalité d’avoir peint cette figure chrétienne, dépourvue des attributs qui ont fait sa popularité et c’est, semble-t-il, la sobriété de son tableau qui lui a valu sa notoriété. Il est vrai que cette multiplication d’une même icône est à la fois impressionnante et surprenante. Tous les portraits sont suffisamment semblables pour que l’on reconnaisse le sujet, mais en même temps, chacun est complètement unique parce que peint (parfois collé, voire sculpté) à la main. Quelques uns des peintres inconnus ont signé et daté leurs œuvres et l’on constate ainsi que nombre d’entre elles datent de la première moitié du XXe siècle. A l’heure ou la reproduction, ou le multiple, trouvait son premier souffle, la Fabiola a bénéficié d’un phénomène étrange, d’une double exponentiation par la reproduction mécanique, chère à Walter Benjamin, et par une multiple reproduction manuelle qui trouve attrait aux yeux de Francis Alÿs. Glanées dans des ventes, aux puces, de l’Amérique du Sud à l’Europe, Alÿs a accumulé ces figures à la manière d’un collectionneur et dans un souci d’abondance plus que d’exhaustivité. Il émane du principe d’Alÿs qu’il ne cherche pas toutes les Fabiolas, mais qu’elles sont si différentes les unes des autres que quand il les trouve, il lui est indispensable de les acquérir pour que chaque nouvelle venue se prête au jeu de la comparaison et du rapprochement. C’est là qu’intervient l’artiste dont l’œuvre ici est la collection et ses multiples possibilités de manipulation. C’est bien l’exposition d’une œuvre de Francis Alÿs que l’on va voir et non 370 reproductions de Fabiola. La pièce est évolutive puisque l’exposition est itinérante. Bâle est la sixième halte, après Mexico, New York, Londres ou Madrid. A chaque fois l’ensemble est montré selon un procédé différent. Alÿs a souvent privilégié l’accumulation, à Bâle, il a choisi la dissémination. De ce fait, le public cherche de salle en salle, dans tous les recoins. Sur certains murs, les Fabiolas sont accrochées selon une composition d’Alÿs, ailleurs elles se fondent dans la collection du musée, dans les intérieurs bourgeois reconstitués. Elles ne jouent alors plus seulement entre elles mais dialoguent avec d’autres objets et même toute une époque. Elles sont toutes là, peintes, dessinées, brodées, vernies, laquées, parfois rayonnantes, d’autres fois inquiétantes. Le visage couvert d’un voile rouge est la seule constante (bien que le rouge cède de rare en loin son flamboyant à un ocre passé ou à un vert triste), les traits de la sainte changent sous les doigts de chaque maître et chaque tableau s’affirme ainsi comme un original. L’exposition révèle l’obsession de Francis Alÿs pour cette image et son destin mais subtilement et de manière tenace l’artiste contamine son public qui après avoir cherché 370 Fabiolas, quitte le musée et s’attend à en voir réapparaitre au détour d’une vitrine ou sur le quai de la gare.
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Fabiola de Francis Alÿs Exposition du Schaulager à la Haus zum Kirschgarten, Elisabethenstrasse 27/29 à Bâle Jusqu’au 28 août
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1 ~ PORTRAITS D’INTéRIEURS La Filature à Mulhouse expose une superbe série de portraits réalisés à la chambre par le photographe Marc Guénard chez des habitants de la bande rhénane. Jusqu’au 3/7. www.lafilature.org 2 ~ SEB PATANE 400 sonnets in reverse, together : expo monographique de Seb Patane à partir du 8/6 à la Kunsthalle de Mulhouse. www.kunsthallemulhouse.com 3 ~ D’UNS, CERTAIN PAYSAGE Le Centre d’Art Mobile s’invite au Pavé pour un dialogue entre les toiles de Pointelin, les œuvres de Didier Marcel et celles de Barbara Puthomme. Jusqu’au 20/5. www.pavedanslamare.org 4 ~ CASBAH BOUTARIC La casbah Boutaric invite l’OutreMer les 4 et 5 juin dans le cadre de Grésilles en fête à Dijon. www.zutique.com 5 ~ LE FIMU Le Festival international de musique de Belfort fête ses 25 ans avec trois jours de concerts gratuits au cœur de la vieille ville. Du 11 au 13/6. www.mairie-belfort.fr
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6 ~ STATION TO STATION La gare, le wagon, le train sont-ils architectoniques ? Appel à contributions en ligne en vue d’un prochain colloque de l’UHA à Mulhouse. station2stationcolloquenomade. blogspot.com/ 7 ~ WILLY MAYWALD Art, culture & élégance : la haute couture sous l’objectif de Willy Maywald : expo au Musée de l’impression sur étoffes à Mulhouse jusqu’au 16/10. Photo : copyright Willy Maywald ADAGP. 8 ~ CHAUMONT 22ème Festival international de l’affiche et du graphisme de Chaumont du 21/5 au 5/6. 9 ~ JON SPENCER Séance de rattrapage pour ceux qui n’auraient toujours pas initié leurs oreilles fragiles au rock’n’roll chic et dirty de The Jon Spencer Blues Explosion le 31/5 à la Vapeur à Dijon. www.lavapeur.com 10 ~ VIEUX FARKA TOURé Après avoir joué devant plus d’un milliard de téléspectateurs lors de la Coupe du Monde 2010, Vieux Farka Touré sera à la Poudrière à Belfort en 2011 le 5/6 à 17h. www.pmabelfort.com
11 ~ APPORTE-MOI ! Une expo de Doris Drescher à Metz à l’église des Trinitaires du 12 au 28/5 et à la galerie Octave Cowbell du 12/5 au 11/6. www.octavecowbell.fr
16 ~ LE GRANIT ET LA SAVOUREUSE Julie Legrand expose des pièces aussi fragiles qu’imposantes au Granit à Belfort jusqu’au 19/6. www.theatregranit.com
12 ~ WAVE PICTURES Concert à ne pas rater le 29/5 à 18h à l’atelier ARN rue des ancêtres à Colmar. www.hiero.fr
17 ~ ROCK IT Expo de Philippe Cazal, Jérôme Conscience, Philippe Gronon et Joël Hubaut dans le cadre du festival ONE+ONE à la galerie Barnoud à Dijon jusqu’au 28/5. www.galerie-barnoud.com
13 ~ NOTRE VALLéE Un nouveau regard sur les collections contemporaines du Musée du château des ducs de Wurtemberg à Montbéliard. www.montbeliard.fr 14 ~ SCHUBERT, LA FASCINATION Le destin de Schubert a fasciné les compositeurs du siècle suivant, qui ont souvent rêvé de compléter ses musiques inachevées. Luciano Berio s’est emparé de sa 10ème symphonie pour composer une œuvre touchante interprétée par l’Orchestre de BesançonMontbéliard Franche-Comté dirigé par Jean-François Verdier le 20/5 au Théâtre musical à Besançon. 15 ~ FAR EAST Vanessa Chambard expose à la Chambre à Strasbourg jusqu’au 26/6. www.la-chambre.org
18 ~ EUROCKS Le festival joue les sioux sur un site entièrement repensé. Avec du lourd (Motörhead), du léger (Philippe Katerine), du grandiose (Arcade Fire), de l’énorme (Wu Lyf), du prometteur (The Electric Suicide Club) et notre coup de cœur québécois (Karkwa). www.eurockeennes.fr 19 ~ PLUG AND PLAY Intervention artistique hors les murs par le collectif Encastrable jusqu’au 1/7 au Lycée Cuvier à Montbéliard. www.le-dix-neuf.asso.fr 20 ~ BUREN IN SITU Après une intervention remarquable au Mudam, Daniel Buren récidive dans la Galerie 3 du Centre Pompidou à Metz. Jusqu’au 9/9. www.centrepompidou-metz.fr
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21 ~ DECTOR & DUPUY Le Frac Franche-Comté invite Dector & Dupuy à réaliser une visite guidée dans Besançon le 22/5 à 11h. La performance itinérante passera notamment par le futur bâtiment du Frac au sein de la Cité des Arts et de la Culture. www.frac-franche-comte.fr 22 ~ COURBET CONTEMPORAIN Le musée de Dole présente une sélection d’artistes contemporains qui rendent hommage au peintre mais également réinterrogent l’œuvre de Courbet. www.museesfranchecomte.com 23 ~ COUTURIER Stéphane Couturier expose à l’Espace Malraux à Colmar jusqu’au 5/6. 24 ~ ELYSIAN FIELDS + STRANDED HORSE Deux concerts pour une soirée de rêve proposée par le Moloco au Temple de Dampierre-les-Bois (25) le 20/5. © Dorian Rollin for Novo. www.lemoloco.com 25 ~ EXPOSER La troisième livraison de la Revue de la BNU apporte sa contribution à la réflexion sur l’exposition, un phénomène culturel désormais mondialisé. www.bnu.fr
26 ~ PASSAGES Le festival Passage se poursuit jusqu’au 21/5 à Metz (et en Lorraine). www.festival-passages.fr 27 ~ DEFENSE DE NETTOYER l’Estafette s’installe à Ronchamp pour organiser le festival “Défense de nettoyer en marche” les 21 et 22/5. Avec des expos, des concerts et Dj Kemicalkem : du très très très lourd (défense de rigoler !). http://lestafette.asso.fr 28 ~ FORMules Anita Molinaro et Juliana Borinski exposent à l’IS2M (Institut de Science des Matériaux de Mulhouse) jusqu’au 17/6. Avec des rencontres : « Ethique et esthétique dans les relations art et science » le 19/5, « Emulsion photographique (de la chimie au cinéma) cinéma expérimental » par Valérie Perrin le 7/6… www.is2m.uha.fr 29 ~ MARION ROGER En mai Marion fait ce qui lui plaît au Troc’afé à Strasbourg. banapiti.blogspot.com 30 ~ 6 PIEDS SUR TERRE 4ème édition de l’excellent festival écolo bio solidaire, les 24, 25 et 26 juin à Kingersheim (68). www.les-sheds.com
31 / CASANOVA Ciné-concert - Spectacle présenté au Grand Kursaal à Besançon Avec le film muet d’Alexandre Volkoff (1927) et l’Orchestre de Besançon Franche-Comté dirigé par Bob Tuohy. Direction artistique : Jean-François Verdier. Partition musicale : Georges Delerue. www.theatre-espace.fr 32 ~ BIDONVILLE “Bidonville, l’autre ville”, expo proposée par ArchiDB en partenariat avec Latitude 21 du 24/6 au 23/7 à la Ferronnerie à Dijon. Photo : Sébastien Godret www.archi-db.com 33 ~ UNE VUE D’URBANITé Expo jusqu’au 31/5 à l’Hôtel du Département à Strasbourg. www.bas-rhin.fr 34 / ALAIN CAVALIER Alain Cavalier, Jean-Paul Fargier et Amanda Roblès à la Librairie Kléber en partenariat avec r-diffusion, le 28/5 à Strasbourg. www.librairie-kleber.com 35 ~ art basel 42 Le rendez-vous incontournable des amateur d'art du monde entier. à Bâle du 15 au 19/6. www.artbasel.com
36 ~ EDWARD STEICHEN Le MNHA présente une exposition de portraits du photographe né au Luxembourg, directeur de la photographie du MoMA de 1947 à 1962. www.mnha.public.lu 37 ~ PASSION DANS LE DESERT Une création de la compagnie Roland Furieux d’après un récit de Balzac à la Maison Robert Schuman à Scy-Chazelles (57) du 16 au 22/5. 38 ~ PARCOURS DU DESIGN 4° édition du Parcours du Design Strasbourg du 6 au 11/6. Scénographie de Julie Morgen et Philippe Riehling. 39 ~ RUN DMC Pour leur diplôme, les étudiants du Quai et de l’ESADS exposeront à DMC, haut lieu de l’histoire industrielle mulhousienne en attente d’un projet de reconversion. www.lequai.fr 40 ~ SOURD MÉTRAGE Ce Festival de courts métrages à destination de tous les pubics, ouvre une fenêtre à des réalisateurs sourds du 24 au 26/5 à Nancy, Jarville et Tomblaine. www.festivalsourdmetrage.fr 41 ~ fête de l'eau Parcours expo à Wattwiller (68) du 19 au 29/6. www.fetedeleauwattwiller.org
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jean-françois robardet . . aïda salahovic . . émilie salquèbre .. philippe tytgat
sébastien gouju . . harold guérin . . simon hitziger . . marie husson . . marie jouglet
benjamin laurent-aman .. marion auburtin .. étienne boulanger .. caroline froissart
Franck Scurti, Ready Dead, 2001. Cibachrome maroufle sur aluminium, 180 x 120 cm. Collection Mathieu Mercier, Paris © ADAGP Paris 2011
FRANCK SCURTI works of chance MUSÉE D’ART MODERNE ET CONTEMPORAIN WWW.MUSEES.STRASBOURG.EU
Visuel Raoul Gilibert et Kathleen Rousset, conception graphique Polo
16 AVRIL ¼ 28 AOÛT 2011
Le Scalacabaret
Mise en scène Jean-Luc Falbriard Le Kafteur, Strasbourg – Création 2011
Taps Scala en juin du 14 au 18 à 20h30 et dim. 19 à 17h info. 03 88 34 10 36 www.taps.strasbourg.eu
> coup er
13 mai .. 24 juillet 2011
exposition .. www.rubbingglances.wordpress.com
galeries poirel .. nancy
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www.nancy.fr
par philippe schweyer photo : vincent perraud
par stéphanie linsingh
RENCONTRES & RACINES, festival les 25 et 26 juin, à Audincourt rencontres-et-racines.audincourt.com myspace.com/65minesstreet
éviDanse festival du 6 au 28 mai, au CCNFCB, et dans les rues, à Belfort (entre autres) www.evidanse.ch www.ccnfc-belfort.org
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Liberté, égalité, fraternité et ska ! Fidèle à ses valeurs humanistes, le festival le plus familial et le plus coloré du début de l’été propose un week-end de concerts dans un grand parc au bord du Doubs. Programmation variée (The Popes, Balkan Beat Box, Z.E.P., Israël Vibration…), village aux couleurs du monde, tarif imbattable (8 €, gratuit pour les moins de 12 ans), ambiance chaleureuse : on revient chaque année à Rencontres & Racines pour profiter des bonnes vibrations, boire des ti punch ou des jus de bissap et déguster des accras de morue ou des spécialités culinaires du monde entier. Initié en 1990, le festival qui n’existerait pas sans l’implication de 200 bénévoles et la présence d’une centaine d’associations, est resté fidèle à ses valeurs, l’antiracisme notamment, et à son idée de départ : faire mieux connaître les cultures du monde entier à travers la musique, mais aussi des expos et des débats. Du côté des découvertes programmées cette année, on aura plaisir à découvrir sur scène 65 Mines Street, un groupe de ska du cru qui devrait faire monter la température de quelques degrés. Influencé par le early reggae et le ska des années 80, 65 Mines Street rassemble six musiciens qui s’étaient déjà fait connaître au sein des Two Tone Club, Taste in Vibes, The Rebel Assholes et Bobby Sixkiller. Parrainé par le Moloco, futur espace musiques actuelles du Pays de Montbéliard, le groupe qui s’est taillé une jolie réputation en jouant aux quatre coins du pays, s’apprête à tourner à travers l’Europe et prépare déjà un deuxième album annoncé pour 2012. D
Transe et danse Lorsque le CCNFCB, Danse ! et l’Association interjurassienne des centres culturels s’assemblent, éviDanse 09/12 esquisse ses premiers pas. De la résidence de création à l’accompagnement des jeunes compagnies, il y a évidemment la danse, comme une ritournelle, comme une pirouette. Le projet éviDanse court depuis 2009 et offre en ce mois de mai le festival Danse aux pieds et musique aux oreilles. À Belfort, on dansera contre brises, romances et feu. Twenty Looks or Paris is Burning at The Judson Church sera à découvrir le 8 mai. Le projet en cinq parties de Trajal Harrel interroge les conséquences qu’auraient pu provoquer la confrontation du voguing (terme désignant les compétitions entre « maisons » qui tendaient à abolir la frontière entre danse sociale et performance sociale, à la fin des années 60) de Harlem avec la scène de la Judson Church, à New York, dont les artistes avant-gardistes rejetèrent les limites de la pratique et de la théorie de la danse moderne. Le 10 mai, De l’air et du vent, œuvre du chorégraphe franco-belge Pierre Droulers, apprivoisera l’insaisissable et magnifiera la poésie de l’air dans une œuvre profondément plasticienne. Le déchirement d’une feuille de papier comme un tonnerre qui retentit au loin, l’envol de sachets en plastique comme une course de nuages et les cinq danseurs qui brassent l’air rendent finalement l’invisible palpable. La danse sera ensuite à la fête, à proprement parler, avec, entre autres, Romance-s, une œuvre de Laurence Yadi et de Nicolas Cantillon « dont la trajectoire arpente le territoire du couple et celui de la danse ». Pour cette édition 2011, la danse sortira de ses murs et investira parcs, places et ruelles à Belfort et en Suisse. D
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par stéphanie linsingh photo : stephen dock
focus MUSEOGAMES, UNE HISTOIRE A REJOUER, exposition jusqu'au 21 août au musée EDF Electropolis, à Mulhouse http://museogames.com WE CAN BE HEROES, exposition jusqu'au 25 juin à l’espace Gantner, à Bourogne www.espacemultimediagantner.cg90.net
Petit éloge du jeu vidéo Du retour « nostalgeek » sur les premiers Pac Man et Super Mario aux machinimas créés à partir de Shadow of the Colussus ou GTA, le jeu vidéo est à l’honneur ce printemps. Deux expositions vidéoludiques sont à découvrir à Mulhouse et à Bourogne.
D’aucuns prétendent que le jeu vidéo est le dixième art. Si le débat gronde, force est de constater que certains titres sont de petits bijoux de technicité, d’imageries, de sons et de scénario. Il aura fallu moins de quarante ans pour que le vidéo gaming reçoive ses premières lettres de noblesse. La console s’est peu à peu immiscée dans nos salons, et que l’on soit hardcore gamer ou joueur occasionnel, le jeu vidéo fait désormais partie de notre culture. C’est sur cette histoire vidéoludique que l’exposition Museogames - Une histoire à rejouer revient. Le visiteur-joueur peut y (re)découvrir les personnages cultes, les consoles « vintage » mythiques et les premiers jeux (Pong sur Atari, Pac Man sur Atari 2600, Super Mario Bros sur Nintendo NES, Alex Kidd sur Master System, Sonic sur Megadrive, mais aussi Tekken sur PlayStation, Okami sur
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PlayStation2 et Tetris sur Game Boy). La sélection des jeux vidéo et des consoles est représentative des époques traversées, des progrès technologiques, des types de machines qui se sont succédés, des genres de jeux plébiscités, de l’évolution esthétique au fil des années. Le parcours de l’exposition est jonché de témoignages de concepteurs de jeux, dont celui de David Cage, à qui l’on doit l’extraordinaire Heavy Rain, jeu basé sur l’implication émotionnelle du joueur. Cette implication émotionnelle semble d’ailleurs être la nouvelle convoitise, en marge des jeux qui se veulent juste amusants. Les machinimas, présentés parmi des jeux dénonciateurs des dérives de notre société et captures d’écrans de MMORPG de guerre, dans le cadre de l’exposition We can be heroes, sont le paroxysme de cette inclusion. Les joueurs deviennent créateurs, détournent leur avatar du scénario préétabli et inventent le leur à partir du décor du jeu. Leur personnage se transforme en un acteur, dirigé à la manette. Dans les machinimas des Riches Douaniers, les héros font référence aux anti-héros de la vie, le kamikaze, le suicidaire, le fou, le raté, tandis que les machinimas eux-mêmes font l’apologie de la lenteur. De plus en plus d’artistes contemporains utilisent l’esthétique du jeu vidéo et sa façon de représenter le réel comme moyen d’expression afin de réaliser des « explorations plastiques participatives ». Amputé de sa finalité ludique, le jeu devient une œuvre, qui place néanmoins le spectateur en protagoniste. D
par adeline pasteur photo : mike begnis
focus C’est moi-même que je n’ai jamais rencontré, théâtre dans le cadre de la semaine des émergences le 30 mai à 20h, au Théâtre de l’Espace, à Besançon. www.theatre-espace.fr + www.besancon.fr
En toute démence C’est l’histoire d’une journée, celle de « H », un homme qui a toujours vécu sur la corde raide et qui, soudainement, va basculer dans la folie. La Compagnie « Si t’es pressé, fais un détour » nous entraîne dans sa névrose, avec pour toile de fond une mise en scène et des dialogues finement affûtés.
Le titre à lui seul est évocateur : C’est moi-même que je n’ai jamais rencontré. H, le personnage central, vit depuis toujours avec cette impression de ne pas être seul, qu’on lui cache quelqu’un. Autour de lui gravitent son ami d’enfance, sa mère, son frère, et une hôtesse du téléphone rose, et tout ce petit monde le conforte dans cette idée. Il cherche une oreille attentive « pour comprendre », en vain. « En fait, il est clairement schizophrène, et c’est ce que l’on décèle au fil du spectacle, confie Charlotte Alibert, metteur en scène. Nous avons voulu semer le trouble tout au long de la pièce : à chaque moment, le spectateur se demande s’il est dans le vrai, ou au contraire dans la projection névrotique de H. » Le pivot de ce spectacle est la « décompensation » : cette phase cliniquement reconnue, où le patient bascule dans la folie avec laquelle il vivait depuis toujours. Sur scène, H va décompenser jusqu’à la rupture. La mise en scène marie les dialogues à un court-métrage et une bandeson, réalisée par Bertrand Betsch, qui illustrent l’évolution de l’état psychique du personnage. « Ce qui est troublant, avoue la comédienne Emilie Nakachian, c’est que l’on peut parfois se demander qui est vraiment fou. Les personnages secondaires ne sont pas hyper sains non plus ! » Pour contrebalancer le jeu permanent entre réalité et fiction, la compagnie a choisi un décor très pragmatique, qui donne un relief incroyable aux divagations de H. Il entraîne le public avec lui, dans sa déroute.
Cette création est la seconde de la toute jeune compagnie « Si t’es pressé, fais un détour ». Le précédent spectacle, 6,6 milliards de perruches, jouait déjà avec ces différents niveaux de réalités. « C’était un peu une pièce crash-test, pour voir si notre univers collait avec les attentes des spectateurs, avoue Charlotte Alibert. On cultive un style d’écriture spontané et accessible ; c’est ce qu’on aime ! » Ça tombe bien, nous aussi… D
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par philippe schweyer visuel : cécile babiole
par philippe schweyer
ETSETALA…, festival de Contes en Sol Mineur du 26 au 29 mai, à Staffelfelden (68) www.lamargelle.net + www.babiole.net www.arteradio.com
DANS(E), week-end chorégraphique du 13 au 15 mai à la Filature de Mulhouse. www.lafilature.org
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Mémoire Vive Le festival Etsetala propose quatre jours d’échanges et de fête à Staffelfelden, au cœur du bassin potassique. Au programme : une installation vidéo du photographe Marc Guénard, des balades contées à pied ou à vélo, une boom déjantée, des concerts, du théâtre… Etcetera. En alsacien, un zetala (tsétala) est un petit bout de papier utilisé comme pense-bête. À Staffelfelden, le zetala était le ticket qu’utilisaient les mineurs pour être sûrs de n’oublier personne au fond… Initié l’an passé par l’association La Margelle, en partenariat avec Sahel Vert, le festival a eu la bonne idée de faire appel à Cécile Babiole. L’artiste multimédia, décidément très présente dans la région, a conçu pour l’occasion Les Voix suspendues, une installation qui occupera une partie de la salle des pendus à Kalivie, l’ancien vestiaire de la mine JosephElse où étaient suspendus les vêtements des mineurs. Cette fois, 32 petits haut-parleurs seront suspendus juste au dessus des visiteurs et diffuseront une composition multicanale (8 canaux de sons simultanés) que Cécile a réalisée après avoir questionné et enregistré des habitantes de la région, femmes, filles, mères de mineures ou anciennes employées des mines. Il faudra s’approcher et déambuler à proximité des hautparleurs pour distinguer leurs paroles et, peut-être, découvrir ce qui poussait leurs hommes à descendre au fond de la mine. Une manière d’inviter les visiteurs à une écoute active et à se réapproprier l’histoire récente des mineurs et de leurs familles. À noter que ce beau travail de mémoire donnera lieu à un montage audio que l’on pourra très bientôt écouter sur ARTE radio. D
LET’S DANS(E) ! Après Trans(e), festival “dédié à l’expression artistique allemande, française et suisse”, Joël Gunzburger, le directeur de la Filature, et Laurence Rollet, sa conseillère pour la danse, ont imaginé un rendezvous autour de la danse le temps d’un week-end. Moins ambitieux qu’un festival, ce nouveau temps fort offre tout de même une belle visibilité à des formes courtes et à une série de propositions ambitieuses. Avec Romanze, la chorégraphe Virginia Heinen s’intéresse à la vie d’un couple au long cours. La passion qui s’amenuise, les crises à surmonter : rien de nouveau sous le soleil, mais une source d’inspiration inépuisable pour un spectacle très narratif et une chorégraphie qui se déploie dans un décor sobre, mais astucieux. Pour pimenter ce duo en vase clos avec Martin Grandperret, Virginia a choisi avec soin quelques citations de Dante, Shakespeare et… Régis Jauffret. Can you be me ? Telle est la question qui taraude Vidal Bini. À l’occasion de Dans(e), on découvrira le troisième volet de son projet autour de l’improvisation avec deux danseuses et une photographe. Les images de Candice Milon, projetées en direct sur scène, capteront un flou, un mouvement ou le grain d’une peau. Autant de détails qui échappent habituellement au spectateur. Libres de leurs mouvements dans le cadre fixé par le chorégraphe, les trois interprètes chercheront à redéfinir les règles qui influencent la relation à l’autre. À l’aune de cette proposition radicale, le chorégraphe pointe le désir d’accéder à l’autre et au monde, pour exister ensemble. Ensemble, on pourra aussi déambuler dans la ville avec Felix Ruckert ou danser le blabla-chacha au bal moderne dimanche après-midi. Let’s Dans(e) ! D
Can you be me ? ( photo : Candice Milon )
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par gabrielle awad
par marie drouet
OGRES, BRIGANDS ET COMPAGNIE : LES LIVRES POUR ENFANTS DE TOMI UNGERER exposition jusqu’au 7 août, au Musée Tomi Ungerer de Strasbourg www.musees.strasbourg.eu
Musiques Métisses, festival du 9 au 12 juin à partir de 18h30, au Cercle St-Martin, à Colmar www.lezard.org
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L’escamoteur d’images
Son neuf
À l’occasion de ses 80 ans, Tomi Ungerer vient présenter la première rétrospective consacrée à ses dessins pour enfants : des contes, fables et petites expériences graphiques qui mettent en joie petits et grands.
Il n’y aurait rien de nouveau pour cette quinzième édition du festival Musiques Métisses de Colmar. Rien de nouveau ? Si la recette du festival est effectivement bien rodée désormais, c’est pour continuer à apporter du son neuf.
L’Alsacien tendre, drôle et néanmoins lucide, s’est prêté au jeu de l’illustration sous toutes ses formes. Les événements dramatiques ou heureux qu’il a pu connaître l’ont profondément marqué, ce qui se traduit par l’évolution sensible du trait, notamment durant sa période new yorkaise (1956-1971), volet le plus significatif de sa vie d’illustrateur. La Free Library of Philadelphia, qui accueille les œuvres de Tomi Ungerer, a pris part à cette rétrospective en prêtant exceptionnellement une centaine de dessins qui n’avaient encore jamais quitté les États-Unis. Parmi ceux-ci, on redécouvre les célèbres créations de l’illustrateur : Les Trois Brigands, Le Géant de Zéralda, Jean de la Lune, mais aussi d’autres contes revisités. L’artiste réussit en deux étages à conquérir le grand public : il offre aux parents un moment intime, empli de nostalgie, et aux enfants l’émerveillement d’une sensation presque palpable, celle de l’encre sur le papier. Confrontés à des modes de narration qui contournent les codes, ils appréhendent ensemble la vie différemment. Les uns trouvent dans cette exposition l’émotion qu’ils sont venus chercher, les autres, le secret pour garder un pied dans l’enfance. Un mystère qui se chuchote et se dévoile dans les allées de ce tout jeune musée... D Les Trois brigands, 1961 Tomi Ungerer, sans titre, dessin pour Les Trois Brigands, 1961 Children’s Literature Research Collection, Free Library of Philadelphia. Photo: Council on Library and Information Resources (CLIR)
Sur le papier, le festival Musiques Métisses est fidèle à son appellation. Jazz, bossa nova, électro, musiques tziganes, des Balkans, de l’Éthiopie se côtoieront cette année. Autant de genres venus du Brésil, de Cuba, du Maghreb qui auront Colmar pour point d’attache. Les élèves du collège Molière de Colmar proposeront un petit concert en ouverture du festival. Ils ont été initiés à la pratique des percussions (instrumentales et vocales) par deux musiciens du Grand Ensemble de Méditerranée. Certains groupes donneront également des concerts en milieu carcéral, aux Maisons d’arrêt de Colmar et à la Maison Centrale d’Ensisheim. Preuve, s’il en fallait encore, que le brassage des Musiques Métisses n’est pas seulement culturel mais aussi social. Des associations colmariennes assureront la représentation des cuisines de tous horizons. Autant dire que la présence « mondiale » et métissée sera une nouvelle fois parfaitement respectée. Mais les Musiques Métisses ne sauraient se contenter d’une formule bien rôdée. Elina Duni, artiste albanaise qui mêle jazz et chansons traditionnelles de son pays, fera ici ses premiers pas sur la scène française. Zakouska et son accordéoniste funambule, Arthur Bacon, constitueront une belle découverte pour nombre de spectateurs. L’énigmatique Bal Pygmée – chansons franco-maghreboelsässich – risque d’en surprendre plus d’un. Un peu de son neuf, voici le leitmotiv de Musiques Métisses. D
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par sylvia dubost photo : vincent beaume
focus L’Immédiat, cirque du 12 au 15 mai, au Maillon-Wacken, à Strasbourg Petites formes et installations autour du spectacle du 9 au 15 mai www.le-maillon.com
La louange du désordre Ne jamais rien prévoir et vivre dans une catastrophe permanente. À partir de cette idée, Camille Boitel a « construit » avec ses complices un spectacle où tout s’écroule et déborde.
on avait envie de vraiment transmettre des choses. Le spectacle est devenu le départ de quelque chose de plus vaste : un temps d’envahissement de la ville par des œuvres satellites, comme si l’on débordait du plateau et du théâtre. On arrive longtemps en amont et l’on travaille sur des dispositifs de rue où le public nous manipule. Que reste-t-il alors désormais de l’immédiat dans le spectacle ? Le spectacle est moulé dans sa trajectoire, il en a la forme. On arrive à raconter ce désordre qu’on a essayé de construire. Il reste tous ces personnages de départ, l’environnement périlleux dans lequel nous sommes à l’épreuve tous en même temps. La matière du spectacle raconte aussi cette solidarité dans le chaos. L’Immédiat est le fruit d’une très longue gestation. D’où êtes-vous parti et où êtes vous arrivé ? L’idée était d’abord d’essayer d’attraper quelque chose de « pas attrapable », de faire un spectacle sur des gens pris dans ces événements sans jamais les prévoir, un monde de non-organisation. Cela pose une vitalité, mais en même temps la terreur de la catastrophe. Tout s’écroule tout le temps. L’immédiat est une idée riche : on ne peut pas le vouloir. Le travail a suivi beaucoup de trajectoires différentes, et au final, on a réussi à faire un spectacle raté, parce qu’au bout de dix minutes, on ne peut plus faire un pas sur scène. Cela témoigne d’un manque de conséquences total de notre part ! En tout, on a dû jouer quinze versions différentes. Pourquoi vous être arrêté sur celle-ci ? On travaillait un mois sur une version pour la jouer une seule fois. C’était un spectacle sans aucune forme définie et c’était assez invivable pour les théâtres qui nous accueillaient. Et puis au bout d’un moment,
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L’Immédiat est « rangé » dans la catégorie cirque. Pourtant, vous êtes tout aussi proche de la danse et de la performance. Cette catégorie vous convient-elle ? Pas vraiment, mais cela n’a pas une énorme importance pour moi. L’étiquette est surtout véhiculée pour attirer les foules, car le cirque est populaire. Et puis il va y avoir du risque : c’est plutôt le public qui ressemble à un public de cirque, dans l’attente que quelque chose se passe. Mais je ne suis pas vraiment inscrit dans le milieu du cirque, je me sens plutôt clochardisant, sans stratégie, construisant avant tout sur des désirs. D
par sylvia dubost photo : massimo furlan (1973)
focus Nouvelles, danse et performance, festival du 18 au 28 mai, à Strasbourg www.pole-sud.fr
Aux frontières de la danse Depuis 20 ans, le festival Nouvelles se veut le témoin d’une danse qui fouine, renifle et explore… surtout ses limites. Ainsi, l’organisateur Pôle Sud s’associe pour la troisième fois au Frac Alsace, pour une programmation qui relève autant du spectacle vivant que des arts plastiques.
Il paraît qu’il est encore des nostalgiques qui trouvent que, décidément, la danse contemporaine ne danse pas assez. Qu’on ne sait plus si c’est de la danse, du théâtre, de la performance. Certains n’auraient donc toujours pas compris que, depuis une dizaine d’années, les limites se sont irrémédiablement brouillées et qu’elles ne peuvent plus contenir les projets des artistes. Car ceux-ci ont tout à la fois besoin de gestes, de paroles, d’images, de nouvelles technologies… ou de rien de tout cela. Nombreux sont d’ailleurs les chorégraphes formés ailleurs que dans des écoles de danse : aux Beaux-Arts ou même en sciences, comme Xavier le Roy, qui avec la conférence dansée Produit d’autres circonstances raconte par le menu son immersion dans le butô, ses recherches et ses luttes avec cet art japonais dont il ne connaissait rien. A mi-chemin entre la danse et la performance, genre par essence polymorphe et inclassable, leurs œuvres sont présentées aussi bien sur scène que dans l’espace d’une galerie d’art. À l’instar des pièces de La Ribot (lire novo 12), qui profite de sa résidence à Pôle Sud pour créer avec PARAdistinguidas la suite de ses Pièces distinguées, ou de celles de Massimo Furlan, qui avec 1973 reproduit (presque) à l’identique et en intégralité le grand prix de
l’Eurovision de cette annéelà. Ancienne étudiante en esthétique à La Sorbonne, Fanny Chaillé se livre à une Gonzo-conférence en hommage à Lester Bangs, premier gonzo-journaliste. Une conférence qui n’en est pas une, donc, « une conférence subjective sur le rock pleine d’amour et de sentiments », là encore très personnelle. On la retrouvera avec d’autres propositions au Frac Alsace pour la journée particulière programmée par Olga Mesa, chorégraphe en résidence dans cet espace d’art contemporain… On pourrait dresser toute une liste d’artistes qui naviguent ainsi aux frontières sans s’y laisser enfermer. Alain Buffard, qui a lui aussi quitté depuis longtemps la danse qui danse, propose avec Tout va bien une réflexion sur les formes d’asservissement, qui finit en révolte et en cabaret viennois. À l’image de ces artistes, le festival refuse lui aussi toute mise en boîte. Comme un pied de nez final aux nostalgiques, il s’achève avec le solo proposé par Jérôme Bel, chantre de la non-danse dans les années 90, à Cédric Andrieux, interprète de Merce Cunningham. Signe que la danse danse toujours. D
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par gabrielle awad
par marie drouet
LES ATELIERS OUVERTS, du 14 au 22 mai, en Alsace www.ateliersouverts.net
Les Sœurs Mézière, théâtre du 24 mai au 28 mai à 20h30 et le 29 mai à 17h, au TAPS Gare, à Strasbourg www.taps.strasbourg.eu
focus
D’un atelier à l’autre, nous ! A l’initiative d’Accélérateur de particules, le pari insolite de la découverte d’ateliers cachés dans des friches industrielles, d’anciennes gares ou de combles réinvestis est (re)lancé. A l’occasion de la douzième édition des Ateliers Ouverts, coup de projecteur sur les illustrateurs. L’association Central Vapeur sera l’invité détonnant de cette nouvelle édition, c’est à eux que reviendra la tâche de piloter ce projet de grande envergure. En contribuant au rayonnement de l’illustration strasbourgeoise par l’activité de ses auteurs et éditeurs, le collectif rassemble un vivier considérable et insoupçonné d’artistes qui constituent le futur de l’édition française : peintres, plasticiens, photographes, vidéastes, performers mais aussi et surtout ... illustrateurs ! C’est sous une pluie d’illustrations qu’Accélérateur de Particules a décidé de nous promener à travers les 150 ateliers de Strasbourg et des 50 autres communes complices. La forme sera la suivante : une vingtaine d’ateliers d’illustrateurs est sélectionnée par Central Vapeur et deux expositions seront mises en avant, présentant des artistes locaux avec en cadeau des pointures de l’illustration d’aujourd’hui. Une expo inédite et rocambolesque fera dialoguer durant toute la semaine les dessins de Killofer et d’Anouk Ricard (visuel). L’artiste lorrain, l’un des plus grands représentants de la bande dessinées d’auteur, illustrateur pour Libération, Le Monde ou Télérama, mariera ses oeuvres à celles de la plus glamour des illustratrices canines et chanteuse strasbourgeoise foutraque à ses heures perdues. L’occasion de faire rayonner les Ateliers Ouverts à l’échelle de la région toute entière. D
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La cérémonie Faisant écho au film de Chabrol, Les Sœurs Mézière ont mis en place une véritable cérémonie. Un rituel bien rodé qui rythme leur quotidien et qui ne souffre aucune exception. Le parallèle avec le film de Chabrol se joue à plusieurs niveaux. Ici aussi, le sein de la famille est au commencement et au cœur des comportements. Ici aussi, la famille est le vase clos dans le cadre duquel l’intrigue se noue. Jeanne et Marie évoluent dans une cave, entourées de cinq congélateurs. Elles y découpent de la viande. D’où vient cette viande ? Qu’en font-elles ? Sont-elles bouchères ou anthropophages ? Quand Hélène, la troisième sœur partie depuis longtemps, revient avec son « promis » – « promis » à quoi ? –, ils font office de révélateur. Hélène, depuis toujours protégée par ses sœurs, est étrangement celle qui a socialement réussi… Chabrol est là, encore. Le spectateur découvre alors la raison d’être et la logique de la « cérémonie » fraternelle. La mise en scène et les variations tragicomiques rappellent à leur tour la façon de faire “chabrolienne” : ménageant le suspens, obéissant à un déroulé sans faille, mêlant propos graves et légers, le début mène immanquablement à la fin. La comédie effectue alors un aller-retour incessant entre le théâtre de boulevard et les allusions aux codes shakespeariens, aux photographies de Warhol. Populaire mais pas populiste. Le message se veut universel : nombreux sont les insoupçonnés, potentiels acteurs de faits-divers. Tous aussi nombreux sont ceux qui, pour n’y pas succomber, ont recours à un cérémonial ou à la supercherie qui trompera leurs pulsions socialement inavouables et qui leur permettra de continuer. De continuer, simplement. D
par cécile becker
focus FOUS D’IMAGES, festival du 24 mai au 4 juin, dans toute la Communauté Urbaine de Strasbourg www.mediatheques-cus.fr + www.strasbourg.eu
Dessine-moi un lapin BD, mangas, contes, spectacles, projection... Pour cette 3ème édition du festival Fous d’images, il n’y a pas de fil conducteur juste la volonté de laisser libre cours aux envies de chaque médiathèque de la CUS. L’originalité ? Le partenariat accentué avec le festival Strasbulles et aussi, ce lapin à lunettes ornant le visuel du festival.
Portrait de Princesse par Charlotte Gastaut.
L’année dernière, sur la couverture du programme de Fous d’Images, il y avait un magnifique chien plongeur aux lunettes psychédéliques qui venaient rappeler, selon l’édito de Souad El Maysour, la créativité de notre époque. Je l’aimais bien ce chien. Alors cette année, j’exulte à la réception du programme, à quoi va ressembler le nouveau visuel ? Peut-être un hibou vengeur avec une cape ? Trop facile. La sentence tombe : un superbe lapin tigré à lunettes qui vous fixe de son air cromignon, c’est évident, c’est un lapin intelligent, il sait lire. Je l’imagine alors gambader gaiement à la lecture de ce programme. En regardant cette image on s’imagine des histoires, à la manière, sûrement des illustrateurs. Souad El Maysour, déléguée à la culture à la Communauté Urbaine de Strasbourg, a chapeauté le projet : « Ce festival permet toujours de réinterroger le monde dans lequel on vit à travers les illustrations, quelles qu’elles soient. Et Strasbourg a vocation à devenir un pôle d’excellence dans ce domaine, notamment avec la présence des Arts décoratifs d’où sont issus de nombreux artistes du dessin et surtout au vu du fonds extraordinaire dont dispose la médiathèque André Malraux dans le domaine de l’image. Mais chacune des 22 médiathèques du réseau est fortement impliquée et libre de représenter l’un ou l’autre courant de l’illustration. » Le point de ralliement sera donc la médiathèque Malraux, là-bas, on retrouvera Simon Hureau, dessinateur de BD amateur des forbidden places : bâtiments abandonnés où tout peut arriver, il y aura même des pirates avec Ratafia de Nicolas Rothier et Frédérik Salsedo. À noter l’omniprésence de l’œuvre du génial
Peter Weibel, directeur du ZKM à Karlsruhe, l’homme aux multiples facettes dont chacune sera représentée en plusieurs lieux du festival (à lire le portrait page 60) : la poésie à la médiathèque Malraux, l’installation Augmented Reality chez Apollonia et les performances filmées au MAMCS. Qui dit bande-dessinée, dit aussi enfance, loin d’être oubliée avec la présence notamment de Jeanne Ashbé à la médiathèque du centre ville où le spectacle sur fond de commedia dell’arte Les Pieds Nickelés en vadrouille avec marionnettes présenté lui, un peu partout. Des conférences, des dédicaces, où l’on rencontre, et même où l’on pourrait apprendre à écrire les images. Tout ça, cette année, en partenariat avec Strasbulles qui se déroule le 4 et le 5 juin. Le lapin peut bien gambader, il faudra partir à point. D
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par cécile becker
par emmanuel abela
LA BIENNALE DI VENEZIA NEL MONDO, du 4 juin au 23 septembre à l’institut culturel italien, à Strasbourg www.iicstrasburgo.esteri.it
QUINTET LOUIS SCLAVIS (+ EBONY-5T), concert le 28 mai à L’Arsenal, à Metz www.arsenal-metz.fr
focus
L’Italie sans frontières
Creuser un puits
Pour la première fois, la Biennale de Venise valorise la création italienne transfrontalière en diffusant lors du prestigieux événement des vidéos présentant les expositions d’artistes italiens travaillant dans le monde. Deux artistes proposés par l’institut culturel strasbourgeois, parmi d’autres, sont cette année à l’honneur.
Quand un clarinettiste rencontre d’autres clarinettistes, ils ont bien des choses à se raconter. Le Quintet Louis Sclavis croise le bois avec Ebony-5t, et la clarinette retrouve l’espoir.
L’institut culturel italien installé à Strasbourg a bien l’intention de marquer cet événement d’une pierre blanche en organisant une admirable exposition autour de deux artistes italiens : Rafael Pareja Molina et Gea Casolaro (visuel) travaillant tous deux sur le concept de frontières. L’Italie, modèle esthétique, a fasciné dès le XVe siècle les artistes qui venaient de l’Europe entière s’imprégner de cette culture. Aujourd’hui, il en est autrement. Gea Casolaro explique : « On peut constater que les artistes italiens émigrants à l’étranger, en Europe ou ailleurs, sont de plus en plus nombreux. Ce n’est pas l’intention des organisateurs, mais cela rend encore plus évident le phénomène de la fuite des cerveaux. C’est ce propos que j’ai choisi d’illustrer lors de cette exposition ». À partir d’une lettre La Lettera où elle critique l’Italie qui ne lui a pas laissé d’autres choix que de partir, elle présente plusieurs photographies ou vidéos réalisées dans différents pays sur l’idée des frontières analysées d’un point de vue existentiel. Rafael Pareja Molina, lui, s’est penché avec La Voie sacrée (photographie, peinture) sur Verdun, frontière chargée d’histoire, et le vide laissé par la Première Guerre mondiale. Une exposition touchante permettant de comprendre la vision d’artistes exilés sur des éléments de notre quotidien. D
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On se souvient qu’un jour on lui avait posé la question des passerelles qu’il jetait entre les genres musicaux. Louis Sclavis nous avait répondu fermement qu’il ne jetait pas de passerelles, mais qu’il creusait un puits. L’image nous a poursuivi longtemps, elle nous semblait pleine d’un espoir véritable, mais un peu plus de dix ans après, nous découvrions la gravité de ce clarinettiste, qui compte parmi les jazzmen les plus talentueux de sa génération. Il nous affirmait alors son profond pessimisme. « Instinctivement, fondamentalement, il me semble impossible d’être optimiste », nous affirmait-il alors. « J’ai pas mal voyagé, notamment en Afrique et les dernières fois que je m’y suis rendu, j’y ai vécu les choses de manière négative. Par ailleurs, quand on aborde un sujet tel que le réchauffement de la planète, on se dit que c’est cuit ! Il n’y a pas beaucoup de raisons de penser que ce sera autrement, et pourtant, il y a des gens qui vous disent qu’il existe des solutions. J’envie ces gens, ils ont raison ! » Et de vanter les mérites d’une forme de transmission. « Ce qui importe finalement, c’est de pouvoir communiquer et échanger. » Et justement, ça sera le cas lors d’une soirée organisée autour de lui, à l’occasion de laquelle il croise la route d’Ebony-5t. Cet autre quintet, exclusivement composé de clarinettistes fait appel aux talents du compositeur Sclavis pour ce qui s’annonce comme une orgie de clarinettes : clarinettes mutines, clarinettes mutantes, clarinettes câlines… D
par gabrielle awad
par cécile becker
LES IMAGINALES, festival, du 26 au 29 mai, à Epinal (et aussi à Colmar, Metz, Dijon, Belfort, Mulhouse, Nancy...) www.imaginales.fr
Season of Victory ? exposition jusqu’au 10 juin, au Castel Coucou, à Forbach castelcoucou.over-blog.com
focus
Parlons fantasy
Sur le ring, l’art
Cette année, les Imaginales vivent leur 10ème anniversaire à Épinal, dans les Vosges, terre de légende. Entre deux montagnes, s’entremêlent plus d’une centaine d’illustrateurs, éditeurs, critiques ou scientifiques venus du monde entier, pour le plus grand plaisir des lecteurs de fantastique.
Quelles différences y a t-il entre le sport et l’art ? Pour le commun des mortels, l’antinomie est cinglante. Pour Sébastien Montag, ces deux mondes se tutoient dans une harmonie étonnante.
C’est dans la lignée de Tolkien et la grande tradition d’Alexandre Dumas que les Imaginales célèbrent la littérature d’aventure. Entre cafés littéraires, débats, tables rondes, expos et petits dej avec les artistes, les 20 000 visiteurs auront une fois de plus le plaisir de parcourir les allées de la plus grande librairie de l’imaginaire quatre jours durant. La présence de personnalités du monde des lettres et de l’édition confirme la capacité des Imaginales à fédérer des talents issus de tous les horizons. Parmi eux, des auteurs de renom comme Philippe Claudel (prix Goncourt 2004), Bernard Werber ou Robin Hobb, marraine cette année. On y ajoute la dimension d’un festival vivant au service de la littérature et de la chaîne du livre, pour le plus grand bonheur des lecteurs et jeunes auteurs en quête de renommée. Speed dating jeunes auteurs / éditeurs, ateliers d’écriture et d’illustration, tout est conçu pour faciliter la rencontre du public avec les créateurs. Et c’est bien de là qu’Imaginales tire toute sa force. En décernant des prix littéraires qui récompensent le meilleur de la production de fantasy de l’année, le monde de la critique, les média et les lecteurs lui octroient un gage de qualité. D
Un uppercut dans la bien-pensance, un crochet du droit dans le conformisme, à y bien penser, finalement entre boxe et art il y a seulement trois lettres qui diffèrent et une autre qui s’ajoute. Alors à quoi bon les distinguer ? Sébastien Montag a étudié à l’école supérieure d’art d’Épinal, à Villa Arson et depuis l’âge de neuf ans il boxe. Il est seulement amateur mais gagne plusieurs championnats de France. Son monde s’écroule lorsqu’il perd contre l’Ukrainien Andreï « Plutonium » Kouïantsev : « Une défaite majestueuse, dit-il, qui a accéléré mon raccrochage de gants. J’ai préféré alors me consacrer à l’art, là où pour moi, il y avait moins de sacrifice, mais autant de sueurs ». Il transpose alors la boxe et l’art, et surtout la boxe et la vie ; un glissement sémantique : on provoque, on esquive, on lutte. Le boxeur devient romantique et beau : « Bien sûr, l’art et la boxe sont deux milieux bien distincts. Mais sinon ? Depuis Marcel Duchamp et ses ready-made, depuis Arthur Cravan et ses performances, quelles frontières pourrait-on poser entre ces deux disciplines ? » Aucune ! Et au Castel Coucou, le spectateur prendra part au décloisonnement des deux disciplines. Des photographies, deux installations (dont l’une donnera lieu à une performance avant le décrochage le 10 juin), des dessins au feutre ou au vernis, ou une pluie de Monkey Business Dollars (dollars revisités avec les portraits d’Adam Smith et de Karl Marx) au-dessus du ring. Une exploration visuelle du champ lexical de la boxe où le spectateur devient le point de suture de deux mondes. D
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par emmanuel abela
photo : ada par tobias vollmer
focus END OF SEASON PARTY, le 24 juin à la Philharmonie Luxembourg www.philharmonie.lu Concours digital DJ : informations sur www.lessentiel.lu
Party allegressima Grandmaster Flash, DJ Hell, DJ Koze, Ada, c’est tout un pan de l’histoire du deejaying qui défile au Foyer de la Philharmonie Luxembourg. Une manière festive de clore la saison classique sur les sons du moment.
« Flash is fast, flash is cool », l’hommage de Blondie à Grandmaster Flash est appuyé dans Rapture, le morceau qui évoque l’explosion du hip hop à New York à la toute fin des années 70. Grandmaster Flash – un pseudo qui fait allusion à sa dextérité et à sa rapidité – reçoit l’hommage et le réutilise dans The Adventure of GF on the Wheels of Steel, le single qu’il publie en 1981, avec des samples de Blondie, Chic et Queen. Cette réactivité, cette écoute, cette manière de réutiliser les sons des autres pour se les approprier, c’est bien la marque de fabrique de ce pionnier du rap : c’est même la pierre artistique qu’il apporte à son siècle au même titre que la technique du scratch dont on lui attribue les premières manifestations scéniques, bien involontaires selon la légende. On l’oublie, mais derrière le rappeur au phrasé identifié, il y a surtout un DJ d’exception qui puise dans tous les sons qui passent pour créer les orientations esthétiques et les rythmes du futur, comme ce fut le cas avec la fameuse ligne de basse de Cavern du groupe Liquid Liquid qu’il a popularisée avec son hit planétaire White Lines. Après la séparation des Furious Five en 1984, il a mené une carrière en dents de scie, mais son come-back en 2008 a été à la hauteur de la légende : adulé par ses héritiers, il continue aux platines de faire la preuve de son inventivité, avec toujours un temps d’avance sur les pratiques de deejaying du moment. Sa présence à l’End of Season Party, en clôture de la sixième saison de la Philharmonie Luxembourg, revêt une dimension historique d’autant plus qu’elle s’inscrit dans le cadre d'un plateau exceptionnel : dans le Foyer, la ravissante Ada, Djette de Cologne adepte de rythmes très colorés, DJ Koze et le célèbre DJ Hell, autre dénicheur compulsif de sons très “deutsche neue Welle” en provenance de Hambourg, se suivent dans des styles très différents, mais avec la même volonté dans toute leur diversité de mettre le feu au plancher. À signaler l’organisation d’un concours digital qui permettra à un DJ en région d’ouvrir la soirée. Une bien belle initiative qui accorde leur importance aux meilleurs DJs d’aujourd’hui, mais aussi de demain. D
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par philippe schweyer
focus WALKING THROUGH…, exposition jusqu’au 6 novembre au Mudam (Musée d’Art Moderne Grand-Duc Jean), au Luxembourg. www.mudam.lu
À TRAVERS LE PAYSAGE Alors qu’il ne reste que quelques jours pour découvrir le travail in situ de Daniel Buren dans le Grand Hall (jusqu’au 22/5), la nouvelle exposition du Mudam explore la relation des artistes au paysage, en pointant leur rapport à l’espace mais aussi au temps.
Melik Ohanian, Selected Recording n°99, 2003
Partant de l’idée un peu bateau du “paysage” (voir page 59) pour ensuite resserrer leur propos autour des œuvres d’une vingtaine d’artistes de la collection du Mudam, les commissaires Marie-Noëlle Farcy et Clément Minighetti ont construit un cheminement très stimulant. L’œuvre de Didier Marcel qui accueille le visiteur – une tranche de terre labourée posée sur un socle – rappelle d’entrée que rien n’est plus beau que ce qui est sous nos yeux et que l’on ne voit pas habituellement. Plus loin, La plage, un paysage panoramique de Xavier Veilhan nous invite à faire un grand écart temporel. Carreaux de mosaïque ou pixels ? Tout est question de distance. Le paysage est ici un décor balnéaire désuet dans lequel des personnages énigmatiques posent, un requin blanc échoué à leurs pieds. Plutôt que de s’arrêter sur les œuvres remarquables de Richard Long, Guillermo Kuitca, Christian Hidak ou Geert Goiris, on préférera insister sur les trois vidéos qui apportent une touche de poésie à l’ensemble. Avec Met losse Handen (Sans les mains, 2004), Maijke van Warmerdam appréhende le paysage de la manière la plus banale pour en tirer deux minutes quarante de magie hypnotique. On regarde le paysage (une petite route de campagne) à travers les yeux d’un cycliste. Lentement, la caméra se tourne vers le ciel puis se balance de part et d’autre de la route pour finir par revenir vers le sol. On se laisse ensuite attirer par la musique sud-américaine qui emballe une vidéo magnifique de David Zink Yi (La Cumbia, 1999) dans laquelle deux doigts, tels deux jambes miniatures, dansent en parcourant un corps nu peint en vert. Si, pour les commissaires, la vidéo fait écho aux variations graphiques de Cy Twombly et Janaina Tschäpe exposées à proximité, c’est aussi une manière très personnelle de parcourir un paysage. La peau verte, tout en faisant songer aux extraterrestres, à Hulk ou aux performances de Bruce Nauman et de Yves Klein, rappelle
la couleur des paysages colombiens. Le corps nu devient paysage, mais aussi révélateur de l’état mental de l’artiste. Fasciné, on balance entre ravissement et nostalgie. Last but not least, le parcours se termine par Mistelpartition (Mistle Score, 2006), un lent travelling de Su-Mei Tse à travers un paysage hivernal. Une fois le silence mélancolique du début rompu, le paysage d’arbres dénudés se transforme en une partition lumineuse, lointain reflet d’une musique oubliée… D
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rencontres par emmanuel blondeau
photos : vincent arbelet
K.Y.P it Alive Le dernier festival Kill Your Pop était un très grand cru. L’été était en avance, les lieux culturels à Dijon ont résonné aux sons des têtes chercheuses invitées par l’association Sabotage et le public a répondu présent. Partout. Seul ombre au tableau, on parle de cette huitième édition comme de la dernière. À moins que…
Au dernier jour de l’ultime concert du Kill Your Pop 2011, les avis étaient unanimes : c’était la plus belle édition ! Les festivaliers avaient été particulièrement gâtés et Sabotage, comme à son habitude n’a pas eu son pareil pour concocter une programmation à la fois exigeante et exaltante. Les premiers émois commencèrent d’ailleurs lors de la soirée de présentation du festival où l’on put assister au concert parfait des Dark Dark Dark dont leur son unique emprunte aussi bien au jazz qu’au cabaret et aux grands espaces américains. Tout en apesanteur. Il ne fallait
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cependant pas compter sur le premier jour du festival pour redescendre sur terre car les fous furieux de Cheveu avaient décidé de sidérer d’entrée tous les spectateurs du Consortium avec leur électro mutante. Le ton était donné. Deerhunter ne sachant donner que des concerts magiques, n’a pas dérogé à sa règle et si l’on se fie à l’humeur fantasque du ténébreux Bradford Cox ce soir-là à la Vapeur, on se dit que ce festival a quelque chose de spécial. Et c’est d’ailleurs pour toutes ces raisons que Lonesome French Cowboy est un partenaire privilégié du festival et que depuis huit éditions des artistes comme Sebastien Tellier, Elysian Fields ou Josh T. Pearson ont donné des prestations magiques. Sabotage sait recevoir, l’ambiance familiale des “saboteurs” y est pour beaucoup : pour les artistes, Kill Your Pop ne se résume pas à des balances dans des lieux interchangeables. Ici, entre les murs d’un musée d’art contemporain, la cale d’une péniche, devant le comptoir d’un café culturel résonne une passion pour les musiques indépendantes. Ce festival est rare et donc précieux. Seulement comme dans toutes les vraies familles, les équilibres sont fragiles et les “saboteurs” ne veulent pas fragiliser ce qui fait le caractère unique du Kill your Pop. Alors oui ici et là, la mort dans l’âme, on parle de dernière édition. Enfin… Lorsqu’au terme d’un magnifique concert de Motorama on croise des regards à la fois embués et déterminés, on se prête à imaginer une suite à l’aventure. La plus belle édition du Kill Your Pop est peut-être encore à écrire. ❤
Deerhunter, retour en grâce Ces dernières années, peu de groupes peuvent se targuer d’avoir l’aura de Deerhunter. Mystère, compositions hypnotiques et maladie rare, le cocktail défraie la chronique bien au-delà des États-Unis. Mais cette fois-ci Bradford Cox est heureux. Rencontre rare et sincère avec l’une des dernières icônes américaines.
choses qui faisaient sens pour moi. Cet album n’a pas été véritablement composé par le groupe. Il n’y a pas cette matrice du moins.
Vous semblez ravi d’être là… Je ne pensais pas que nous serions aussi attendus en Europe, j’avoue que je suis comblé. En même temps, c’est la première fois pour cette tournée que j’arrive à prendre quelques moments de liberté sur la route. Je regarde autour de moi, je prends le temps de m’arrêter et de découvrir. Les dernières fois tout allait bien trop vite, je baignais dans la vitesse et le stress. À Zurich par exemple, j’ai pris le temps d’aller voir le Cabaret Voltaire, un lieu très important à mes yeux. Alors oui, je prends le temps d’explorer, de regarder les choses avec plus d’acuité. On a l’impression que pour votre dernier album en date, vous avez essayé de nouvelles orientations musicales… Je voulais à tout prix moins de guitares et m’éloigner du rock. J’avais envie d’expérimenter, mais je ne sais pas vraiment me débrouiller avec les claviers. J’ai pris le problème à l’envers en essayant d’enregistrer des
En 2005, Pitchfork aux États-Unis vous a vraiment porté aux nues, et je sais qu’il y a eu des dégâts dans le groupe, comment vous êtes vous relevé de cela ? Tu sais, j’ai grandi en vénérant des artistes comme David Bowie et d’autres icônes énigmatiques. Ils avaient le contrôle sur leur image et c’est sans doute ce qui les rendait intouchables. Je suis un peu responsable de ce qui m’est arrivé, j’ai joué la carte de la transparence, les gens avaient toutes les informations pour me connaître intimement. Après, je ne vais pas nier le fait que j’ai une personnalité forte et je comprends que les médias ont besoin d’identifier immédiatement la personnalité forte dans un groupe de rock. Les autres membres de Deerhunter sont inévitablement moins exposés, il n’y a pas d’expertise sur leurs personnalités. Je prends du recul par rapport à tout cela, je l’accepte ou je l’ignore suivant les cas. C’est drôle car pour notre nouvel album, j’ai composé toutes les chansons seul et il suffit d’une minute de nos concerts pour que les gens comprennent que dans ce groupe chaque personne est essentielle. [long silence, ndlr] Tu sais, je ne suis pas en train de te dire que je me compare à David Bowie, c’est un artiste intemporel, presqu’irréel… Notre génération est en manque d’artistes de cet acabit, ce que je cherche surtout c’est de pouvoir rester moi-même. Nous avons tous des caractéristiques plus ou moins étranges, des tendances bizarres, on peut les masquer avec du maquillage, une façon de parler... Moi je veux être considéré pour moi-même, pour le pire et le meilleur. ❤
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rencontres par cécile becker
photo : stéphanie linsingh
Z’héros pointés « From Zeroes to Heroes », titraient les blogs s’extasiant de ce titanesque bordel, ce bruit ambiant, cette musique abordable, mais pas si facile, qui finit par vous happer vers le tréfonds d’une musique minimale impénétrable, d’un post-punk hybride made in Canada : les Suuns.
L’histoire commence simplement : en 2007, Ben et Joseph, respectivement chanteur et guitariste décident de faire de bruit. Dans leur cave, ils enchaînent les non-sens musicaux de dix minutes, sans se poser de questions. Arrivent alors le batteur Liam O’Neill et Max Henry au clavier. Le groupe est installé et fabrique, de leurs influences diverses, une musique éthérée et organique. Un travail naturel, presque inconscient, réuni sous le nom du groupe, Zeroes, devenant Suuns durant l’enregistrement de leur album, dont le titre vient rendre hommage à ce nom dont ils restent fiers : Zeroes QC. Ben explique dans un français pas loin d’être parfait : « À un moment, on a dû penser à autre chose que la musique, à des questions de droits, quelqu’un utilisait déjà notre nom. C’était embêtant mais ça n’a rien changé. On avait de toute façon une idée très claire de ce à quoi devait ressembler l’album ». Pendant les deux semaines d’enregistrement, les Canadiens savent ce qu’ils veulent, cela viendrait-il peut-être de leurs origines ? À Montréal, les communautés françaises et anglaises se côtoient mais les anglophones sont moins nombreux, alors une sous-culture s’est créée : ils s’organisent et doivent parfois se battre pour obtenir une date minuscule dans un café minuscule. Mais les Suuns finissent par sortir du lot. Parce que dans ce brouhaha contemporain où l’on a du mal à suivre les sorties de disques, jeunes et téméraires, en accord avec leur génération, les Suuns s’inspirent de tout : indie
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rock, folk ou techno, ils mélangent tout. Ils racontent même se lancer des défis et écouter toute la discographie de AC/DC en boucle, pour la forme. Dans ce vivier de groupes nourris par la musique des années 80, eux préfèrent autre chose : « Le résultat est peut-être plus années 70 parce qu’on utilise des guitares électriques vintage et des amplis assez particuliers, ça donne des sons spécifiques. Les années 80 sont synonyme de décadence, je crois qu’on préfère se tourner vers le côté viscéral des choses », expose Joseph. C’en est presque primitif, et tout leur univers se prête à une hypnose saine : la gestuelle et l’intonation de Ben, les reverbs des guitares qui se posent sur des lignes techno, le clip sombre et sensuel de Pie IX inspiré par le travail de Gaspard Noé où une jeune fille nue se tortille sous les flashs. Les Suuns ne sont plus des zéros et se posent en dignes représentants d’une génération melting pot, qui s’inspire de tout ce qu’elle trouve. Ils récoltent et sèment une nouvelle espèce : transgénies ? ❤
par + photo : stéphanie linsingh
Pour leur dernier opus, les cinq garçons de Glasgow ont renoué avec le producteur de leur début, Paul Savage. Des retrouvailles entre vieux amis pour un nouveau souffle, plus accessible, mais toujours aussi intense... Rencontre avec Stuart Braithwaite, guitariste et leader de Mogwai.
Mogwai will never die Mogwai ne tient pas en place. Cinq mois à peine après la sortie de leur premier live Special Moves, le groupe écossais revient avec un nouvel album. Quand on lui pose la question de ces publications rapprochées, Stuart Braithwaite répond avec humilité que « sortir ce disque dans la foulée [leur] permet de rappeler aux gens [leur] existence ». Le titre, Hardcore Will Never Die But You Will, est une sorte de blague, des propos qu’un ami a entendu, un jour, lors d’une conversation houleuse. « Nous nous sommes dit que cela ferait un bon titre d’album, explique le guitariste en un sourire, c’est tout à fait en accord avec notre sens de l’humour ». Cette saugrenuité se retrouve d’ailleurs dans les titres des différents opus. Ils viennent de choses entendues, écrites, dites… Ce qui change dans ce dernier disque, c’est le retour aux voix. Des voix au vocodeur qui donnent aux titres Mexican Grand Prix et George Square Thatcher Death Party une dimension plus accessible. À ceux qui regrettent cette approche plus pop, Stuart répond en riant : « Ils n’ont qu’à écouter nos anciens disques ». Parce qu’il se trouve dans la lignée de Tortoise et compose des morceaux essentiellement expérimentaux et musicaux, Mogwai est toujours décrit comme un groupe post-rock. Cela ne fait pas sens pour Stuart, qui répond de manière incisive : « Nous sommes un groupe de rock, comme Black Sabbath ou Joy Division ! » Leurs premiers émois musicaux ? Des formations écossaises, dont Jesus And Mary Chains, Primal Scream, Teenage Fanclub et The Pastels. Mais des groupes comme Neu! et Kraftwerk font également partie de leur background musical. « Je pense que nous avons été obsédés par leurs disques pendant des années, il fallait bien que quelque chose en sorte ! » Ce quelque chose, c’est Mexican Grand Prix, une plage aux sonorités
krautrock. Outre l’électricité, la pop et les guitares saturées, il y a aussi quelques bijoux de mélancolie sur ce Hardcore… Preuve supplémentaire en est la piste bonus, subtile et spacieuse. « Nous ne pensions pas que ce morceau, créé pour accompagner une installation artistique, sortirait un jour en tant que disque. Mais quand nous l’avons terminé, nous nous sommes dit que les gens aimeraient l’entendre ». Ils sont comme ça, les garçons de Mogwai : généreux. Et le succès leur importe peu. « Nous sommes déjà très heureux de notre popularité… si nous ne sommes pas largement diffusés à la radio, tant pis. » C’est d’ailleurs avec la même simplicité que Stuart raconte d’où sort le titre You’re Lionel Richie : « Je l’ai vu un jour à l’aéroport, j’avais la gueule de bois et je me suis exclamé face à lui : Vous êtes Lionel Richie ! C’était drôle… » ❤
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Mudam Luxembourg, I. M. Pei Architect Design. Photo Š Christian Aschman
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Pas d’amour sans cinéma / 5 Par Catherine Bizern
Œdipe, Demy, Bogart et moi « Mon enfant, on n’épouse pas ses parents » chantait la fée Seyrig à la jeune Deneuve avant qu’elle ne devienne Peau d’Ane… Bien sûr, on l’a toujours su, mais cela sonnait presque comme une révélation et depuis lors, on le sait tout à fait. Pourtant chez Demy coucher avec son père n’est pas toujours une catastrophe… Just a mistake ! Dans 3 places pour le 26, elle couche avec lui, il est tellement formidable ! Il couche avec elle, elle lui rappelle tellement quelqu’un ! Au matin, tandis que le spectateur s’inquiète déjà du dénouement, elle comprend… et s’en va, sans tarder, faire le bonheur de sa mère ! Car chez Demy coucher avec son papa est la meilleure façon de se réconcilier avec sa maman. Marion va donc chercher Mylène, sa mère avec qui elle s’est disputée pendant toute la durée du film, pour monter à Paris avec Yves Montant, son amant d’autrefois, qui retrouve ainsi celle qu’il n’a jamais oubliée… Recomposition en chanson d’une bien jolie famille sur les marches de la gare de Marseille. Happy end ! Bien entendu, le père a été à la hauteur de la situation, il lui a suffi de ne rien dire et d’ouvrir grand les bras. L’histoire ne dit pas si la mère aura compris quelque chose à ce tour de passe-passe, mais la mère ce n’est ni l’affaire de Demy, ni la nôtre. « Mon enfant, on n’épouse pas ses parents »… pourtant entre Jean Marais, le père et Jacques Perrin le prince charmant c’est sans hésiter Jean Marais que je choisissais. Plus fort, plus décidé, plus beau, lui qui tirait l’épée dans Le bossu. Le jeune Jacques Perrin me semblait sans charisme, sans fougue, sans envergure.
D’ailleurs, dans Les demoiselles de Rochefort c’est à Gene Kelly que va ma préférence. Il a quelque vingt années de plus que la Dorléac, mais chez Demy on fait fi des années. Dorléac qui est courtisée bien ouvertement par Monsieur Dame celui-là même que la mère des jumelles n’a pas voulu épouser. Gene Kelly vient la ravir juste à temps. Au moins, s’il pourrait l’être, il n’est pas son père cette fois… mais il ressemble tellement au mien ! Enfin pas tout à fait : il chante, il danse et malgré sa prestance, il est bien trop extraverti ! Non celui qui ressemble vraiment à mon père c’est Bogard. Un homme brun d’1m73 à la virilité incontestable. Au-delà de la ressemblance plus ou moins réelle, je voyais chez mon père la même assurance, la même détermination et cette même façon de ne jamais se départir d’une certaine distance. Peu de familiarité, aucune jovialité inutile, répugner à séduire et séduire tout de même. Et puis soudain des moments de charme comme des coups d’éclats. Mon père n’est pas un aventurier, il n’en a même jamais consommé les signes – pas de poker, pas de whisky, pas même de cigarette – pourtant à la fin de l’enfance, je lui ai parfois prêté en secret des idylles formidables avec de belles inconnues épanouies et indépendantes. Des femmes auxquelles j’aurais pu m’identifier. Des femmes avec lesquelles aussi, si elles avaient existé, j’aurais sans doute été féroce. Et comme Slim dans le Port de l’angoisse, j’aurais menacé d’en venir aux mains avec la belle blonde pulpeuse, si celle-ci s’était approchée de trop près... Mais, si je n’ai jamais douté que mon père plaisait aux femmes comme Bogart, je savais aussi que je n’avais rien à craindre : mon père comme Bogart ne se laissait pas facilement séduire et comme Bacall, à 10 ans, je n’avais pas de rivale.
Jacques Perrin et Gene Kelly dans Les Demoiselles de Rochefort.
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Le monde est un seul / 13 Par Christophe Fourvel
La mort de Bartelby (1) Par un mélange heureux de circonstances, grâce aussi au courage ou à l’argent, à la couleur de sa peau ou à sa religion, l’homme a toujours pu envisager de fuir le danger qui le menaçait. Il a pu choisir de (tenter de) combattre ou (tenter de) fuir toutes les tyrannies. Le nazisme a épargné le continent américain. Les dictatures sudaméricaines n’ont pas atteint les communistes allemands. Les bombes tombent à des endroits relativement précis du globe. Les catastrophes africaines épargnent les européens. L’apartheid n’a jamais sévi en Australie, le choléra en Norvège et les inondations n’atteignent pas les terres non baignées de mer, de fleuve, de cours d’eau. Il a toujours existé une part du globe où l’homme pouvait, par la conjonction d’une chance, de son pouvoir à se déplacer, de sa juste vision des politiques et des forces en place, s’imaginer libre et indemne. Ainsi des hommes ont pu choisir de ne pas entrer dans la tourmente de l’Histoire. Ils se sont dégagés, loin de ceux qui s’engageaient. On parlait souvent de totalitarisme mais à l’échelle de la planète, il s’agissait toujours d’un totalitarisme partiel. Plusieurs surréalistes ont opté pour l’exil américain au moment de l’occupation. Nombreux se sont enfermés dans une absence au monde ou un univers personnel, refusant d’entendre et de voir ce qui se passait. L’absence, dont la forme extrême est une folie, constitua de tout temps l’asile des plus humbles. Des moins armés. Des plus habités. C’était donc vrai et parfois miraculeux pendant les guerres, les dictatures, les génocides. Mais ce recours a toujours aussi concurrencé les vies ordinaires, pendant des temps moins agités. Toute société, à tout moment de son histoire, a ménagé une marge dans laquelle des âmes fragiles ou bougonnes ont choisi de se recroqueviller. C’est là un des plus beaux paysages littéraires ; le jardin de la cohorte des Bartelby et du fameux
“I would prefer not to” que le héros de Herman Melville objectait à la moindre “invitation à faire”. Songeons au lointain Diogène dans son tonneau, à Emily Dickinson, à Robert Walser. Songeons aux personnages de Tarjei Vesaas perclus dans les monts norvégiens (à Mattis, dans sa barque, scrutant l’absolu immobilité du temps), à tous les vieux qui lisent des romans d’amour au fin fond des fôrets amazoniennes et dans les romans de Sepulveda. Songeons à Henri David Thoreau au bord de l’étang de Walden, aux deux frères du sublime Miel de Bourdon de l’écrivain suédois Torgny Lindgren. Aux villages isolés qui sont les décors des plus beaux livres de l’écrivain japonais Akira Yoshimura. L’ailleurs est bien le paysage le plus intime de la littérature. Un jour, une création humaine est venue anéantir ce recours et ainsi piétiner nos marges. Ainsi, au regard de la seule dimension géographique, le nucléaire est devenu le pire danger auquel l’homme ait jamais été confronté. L’accident, par définition moins prévisible, surpasse même étrangement l’acte de guerre. Pour la première fois de l’histoire, n’importe quel homme s’est situé dans le champ d’une contamination possible. Nous sommes tous unis dans ce voyage, sans exception, ce qui ne fut jamais le cas avant, avec le nazisme, la peste ou la sécheresse. Face à cette menace, si tenté que nous la considérions comme telle, nous n’avons plus le choix entre la fuite et le combat. Il n’y a plus d’ailleurs ; je ne peux donc m’abstraire de ce que je nomme catastrophe. Bien sûr, je sais et admets que nous pouvons défendre cette énergie et en assumer les risques ; qu’il est imbécile de mettre ici en balance une volonté d’extermination et un hypothétique accident de grande ampleur. Mais ce que je voulais signifier est que Tchernobyl comme Fukoshima ont mis un terme à notre mythe de l’ailleurs. Nous ne pouvons nous abstraire de ce mondialisme inventé par quelques uns dans le silence complice d’une multitude d’autres. Désormais nous savons tous comment est mort Bartleby : irradié. (1) Bartelby incarne dans une nouvelle de Melville, la résistance à l’autorité. Il est employé comme scribe, à Wall street. Il ne sort de son silence que pour refuser, d’un “j’aimerais mieux pas” placide, les invitations à travailler et les injonctions de son patron.
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Too much class Par Laurie Franck
Playing football is not a shiny game Nous avions prévu un match de foot avec une boule à facettes. Parce qu’on trouvait ça beau et que ça nous aurait fait rire. Ça nous aurait fait poiler de voir ça. Ça nous aurait fait poiler de voir ça de loin. Le match se serait déroulé la nuit. Éclairé seulement par un projecteur. Les joueurs auraient été empruntés à un petit club de la région. Il y aurait eu deux équipes entières mais peut-être pas un match entier. Nous leur aurions demandé de jouer pour de vrai, de jouer vraiment avec la fausse balle. Notre vision du match aurait été aussi fragmentée que celle des miroirs. La lumière renvoyée les aurait probablement gênés. Il aurait fallu que quelqu’un tienne le projecteur afin qu’il suive tout le temps le trajet de la boule à facettes au sol, ou en l’air. Nous aurions été obligées de demander aux joueurs de ne pas courir trop vite, de saccader leurs mouvements afin qu’une trace correcte puisse être enregistrée. La vidéo montée aurait montré la gêne des joueurs, leur difficulté à courir lentement pour frapper dans la boule tout en donnant l’impression de jouer un match ordinaire. L’exercice aurait été contraignant tant pour eux que pour nous. Le terrain aurait été éloigné de la ville, les gradins vides, le stade éteint. Que ce soit inquiétant et à la fois magique. Peut-être que cela aurait demandé que les joueurs ne soient pas forcément vêtus de leur tenue habituelle. Les possibles auraient été énormes. La vidéo aurait été prise de haut. Pas des gradins mais d’au-dessus des joueurs. Les photos auraient été prises à la fin, les joueurs alignés sur
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plusieurs rangs pour la photo, tenant la boule comme si c’était un trophée de chasse ou une coupe pour un match important. Le projecteur aurait été maintenu sur la boule à facettes durant tout ce temps-là. Les facettes éclairant les joueurs et les éblouissant parfois. Fêtant leur victoire dans un silence inapproprié. Jouant une fête qui n’aurait pas eu lieu. Un match sans réels gagnants. Ils fêtent leur victoire dans le silence. Un match vient de se jouer. Le terrain est plongé dans le noir. Les gradins sont vides.
Bicéphale / 5
Sur la crête
Par Julien Rubiloni et Ludmilla Cerveny
Henri Walliser + Denis Scheubel
Comme une première fois
CANDIDAT N°1 L’ANALYSTE HERE WE GO !
HERE THEY COME ! À ce point là Tout n’est que le regard Sur chaque chose D’un intérêt particulier L’amour la seule affaire Le feu ardent Embrassera nos âmes Et la texture du temps Dans notre être Disparu Le faux du vrai Disparu Comme une première fois Fera naître sous nos yeux La vie sous forme image La vie sous forme vraie Le mensonge des cinq sens Un désir avant tout Reconnaître Une fois
To be continued...
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Entrez dans le monde de
l’Orchestre !
L’ORCHESTRE FAIT SON CINÉMA Jeudi �� juin I ��h Kursaal I Besançon
Orchestre de Besançon Montbéliard Franche-Comté Bob Tuohy I direction
CASANOVA
L’orchestre accompagne en direct le film légendaire d’Alexandre Volkoff Musique de George Delerue
Ciné-Concert
En coproduction avec :
Jean-François Verdier I direction musicale
vendredi 10 juin Ă 19 h 30 entrĂŠe libre SOIRĂ&#x2030;E DE PRĂ&#x2030;SENTATION DE LA SAISON 2011-2012 EN PRĂ&#x2030;SENCE Dâ&#x20AC;&#x2122;ARTISTES mardi 14 juin Ă 11 h OUVERTURE DES ABONNEMENTS
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Scène nationale â&#x20AC;&#x201C; Mulhouse
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20 allĂŠe Nathan Katz
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68090 Mulhouse cedex
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Maudit soit Dostoïevski de Atiq Rahimi, P.O.L
Roman et vérité par sylvia dubost
photo : Hélène Bamberger / P.O.L
Lui s’en désole, mais on ne peut s’en empêcher. Lorsqu’on rencontre Atiq Rahimi, prix Goncourt avec son précédent roman, Syngue Sabour, on commence par parler littérature, on finit toujours par parler de l’Afghanistan. Et cette fois encore, la conversation autour de son dernier livre, Maudit soit Dostoïevski, de l’écriture et de la langue, a un peu dérivé…
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Quelle a été la première pierre dans la construction de votre dernier roman ? Je voulais écrire l’histoire d’un individu qui, pendant une guerre civile, tue une vieille dame. Pris de remords, il se rend à la justice, et personne ne veut faire son procès. Mais au moment d’écrire la première phrase, Crime et Châtiment de Dostoïevski a ressurgi, et cela m’a paralysé [rires, ndlr]. Après quelque réflexion, j’ai choisi de faire un jeu littéraire, philosophique, social, sur la culpabilité dans un pays musulman. Que se passe-t-il, dans un pays de guerre, dans la tête d’un individu conscient de son crime ? Et pourquoi ceux qui tuent au nom d’Allah ou de n’importe quelle idéologie n’ont-ils pas cette conscience ? C’est aussi un livre qui rend hommage à un écrivain visionnaire, qui a tout dit. Le titre est plutôt la plainte de l’écrivain. Après lui, que nous reste-t-il à dire ? Oscar Wilde disait déjà qu’après Dostoïevski, il ne nous reste que des adjectifs. C’est vrai, et en plus, mon drame, c’est qu’après lui, tout le monde a déjà utilisé tous les adjectifs, il ne me reste donc que celui de « maudit » ! Vous avez à nouveau choisi le français pour ce roman… d’ailleurs, est-ce réellement un choix ? Barthes dit que le système le plus dictateur est la langue. C’est vrai, c’est la langue qui s’impose toujours. Et tant mieux. Si on écrit en choisissant tout, c’est pénible, il faut se laisser attaquer par les mots. J’écris instinctivement : si la première
phrase vient en français, je continue en français. Si elle vient en persan, je continue en persan. Mon histoire de Dostoïevski, je l’ai d’abord écrite en persan. Mais je n’étais pas content du résultat. Ce livre n’avait pas la même veine, la même écriture, que mes trois autres livres écrits en persan. J’ai cherché ce qui n’allait pas, je l’ai laissé de côté et j’ai écrit Pierre de patience [Syngue Sabour, ndlr]. En français, parce que la première phrase est venue en français. J’ai ensuite repris mon histoire de Dostoïevski mais en français. À ce moment-là, c’était juste une expérience pour voir ce qu’une langue pouvait apporter à une écriture, à quel point elle influence la structure, la construction des personnages. Et j’ai vu que là où la version persane trébuchait, la langue française me permettait de retrouver confiance en mon écriture. Que vous permet la langue persane que ne permet pas la langue française, et inversement ? D’abord, la langue persane est plus rhétorique que le français. À chaque fois qu’on essaye d’écrire quelque chose, cela devient très métaphorique. Je voulais prendre des distances par rapport à cela. Parce que je crois que notre culture a maintenant besoin que l’on soit direct, que l’on remette en question beaucoup de choses. Inconsciemment, à chaque fois que j’écris en persan, je vais vers une sorte de
conte, une prose très poétique. J’adore la poésie mais cela ne remet pas en question beaucoup de choses. Les métaphores viennent aussi de l’autocensure. On ne peut pas dire les choses clairement, donc on se cache derrière les symboles. Et là, c’est un combat pour moi de sortir de cette écriture très métaphorique où le sens est très caché, comme la vérité dans la religion. Cela signifie-t-il que la censure et la religion ont fait évoluer la langue persane ? La religion a structuré la pensée humaine, on ne peut pas y échapper. Même les matérialistes, les marxistes, raisonnent par rapport à toute la pensée religieuse qui les a précédés. Dans la pensée musulmane, la vérité est cachée et on n’arrive jamais à la saisir. Il n’y a que les métaphores qui nous aident à nous en approcher. Ensuite, la censure religieuse, peut-être due à cette manière de penser et aux régimes politiques, nous amène à une
sorte d’autocensure. La pensée mystique persanophone se nourrit aussi de la pensée indienne. Contrairement aux religions monothéistes qui s’acharnent à atteindre la vérité, les religions bouddhiste et hindouiste disent : la vérité ne m’intéresse pas. Ce qui m’intéresse, c’est la délivrance de ma souffrance. Oui, cette censure est très ancrée en nous, et l’art du roman est le seul qui nous permette de nous en défaire. Où se situe cette censure aujourd’hui en Afghanistan ? Officiellement, il n’y en a pas. La loi constitutionnelle assure la liberté de parole. On peut tout dire, politiquement. Mais on ne peut pas attaquer la religion. Ce n’est pas le régime qui interdit cela, mais la société, ce qui crée une sorte d’autocensure chez les écrivains et chez tous les Afghans. C’est pour cela que je vis en France, car avec ce que j’écris, je n’ai pas ma place làbas. Dans Pierre de patience, je remets en cause la société phallocrate, la tradition, la
religion, ça perturbe énormément les bonnes mœurs des Afghans. Mais l’écriture c’est ça. Il faut prendre certains risques, sinon, à quoi bon écrire ? [rires, ndlr] Vous sentez-vous comme un écrivain en exil ? Pour moi, tous les écrivains sont en exil [rires, ndlr]. Dès que l’on écrit, on quitte la société, on vit en marge, et notre seule terre est la feuille blanche. Maurice Blanchot disait que la parole est errante et l’écrivain encore plus errant que la parole. Le fait d’être en exil corporellement, socialement, concrétise cet exil. i
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Dernières parutions : L’Homme de Trop et L’Horloge au Pays du Levant, aux éditions de La Dernière Goutte
Derrière L’Homme de Trop et L’Horloge au Pays du Levant, recueils publiés par La Dernière Goutte, se dérobe Thierry Aué. À la terrasse d’un café, il nous parle avec flegme de son écriture laconique et de l’humour caustique qui imprègne chacun de ses textes brefs.
De la fulgurance par stéphanie linsingh & gabrielle awad
photo : stéphanie linsingh
Après la musique, la photographie, vous vous lancez dans les textes courts. Est-ce une envie récente ? J’ai commencé par écrire, pour moi. Je ne m’inquiétais pas si ça ne donnait rien de concret. J’ai toujours écrit ; le plus dur pour moi étant de ne pas écrire. J’ai fait de la musique et de la photo, mais depuis une dizaine d’année, je me consacre uniquement à l’écriture. J’aime la fulgurance des textes courts. Je commence toujours par écrire des textes longs et je sabre beaucoup. Je suis un réducteur de tête. J’essaie d’arriver au moment où je ne peux plus rien enlever. J’adore revenir constamment sur mes textes… Dans le dernier recueil, un récit évoque un homme obnubilé par la symétrie. Dans votre processus d’écriture, y a-t-il aussi quelque chose de cet ordre là ? Oui. Il faut qu’il y ait quelque chose de symétrique ; j’aime beaucoup la symétrie. Pour aimer le contraire de la symétrie, il faut d’abord aimer la symétrie. Pour pouvoir bouger des choses, il faut d’abord les mettre en place. Je les pose donc, et je ne les développe pas – au contraire de beaucoup d’écrivains, j’essaie plutôt de les réduire. Quelle est la part d’autobiographie dans vos textes ? Il n’y a rien de vraiment autobiographique. Cela dit, selon moi, les écrivains ne sont pas tout à fait clairs au niveau
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psychologique, sinon ils n’auraient pas besoin d’écrire. Ecrire, c’est quand même quelque chose d’assez louche. Ça demande du temps. Quelque fois, je m’observe et je me dis « tu es complètement bizarre de rester comme ça, douze heures par jour à écrire des choses que tu vas probablement effacer d’ici deux jours ». Pour moi, l’écrivain doit entrer dans l’observation des choses dans toute leur bizarrerie, leur complexité… S’il en fait matière à écriture, c’est qu’il y a forcément une question thérapeutique là-dessous. à la lecture de vos textes, on a l’impression d’une écriture spontanée et ensuite retravaillée. Est-ce le cas ? Oui, oui… Ça murit très lentement dans ma tête, puis ça part, ça gicle. C’est fulgurant. Et ensuite, il faut revenir, parce que je ne peux pas laisser les choses brutes, ça ne m’intéresse pas. Ceux qui prétendent faire de l’art brut se trompent. En réalité, l’art brut n’existe pas. Il n’y a rien de plus travaillé que ces petites constructions qui semblent fragiles et simplistes. Il y a des métaphores surprenantes, comme celle qui compare des jambes à des quenelles dans de la sauce béchamel. Sont-elles spontanées ? En général, je n’aime pas trop les métaphores, mais c’est vrai que celle-là… Il faut qu’elle soit un peu étonnante, et non trop bien léchée. Il y en a qui viennent
spontanément et que je n’analyse pas. Elles dépendent de l’atmosphère que je désire donner à un texte. Certains textes ont une musicalité importante, c’est sûrement en lien avec votre parcours de musicien ? Stravinsky le disait pour la musique, je le dirais pour l’écriture : il faut que cela sonne ! Je peux écrire un mot parce que j’aime sa sonorité. Les métaphores un peu bizarres viennent peut-être des sonorités qui me conviennent… Quand j’ai le choix entre le sens et le son, je privilégie le son, au détriment du sens. D’un recueil à l’autre, les textes passent de l’abstrait, voire de l’exercice de style, à l’intrigue… Les textes très courts sont forcément plus formels : il faut vraiment ramasser
les choses, aller à l’essentiel. Mais c’est vrai que lorsqu’ils sont plus longs, il y a des personnages qui se mettent en place. Du coup, le style importe un peu moins. Moi, la plupart des romans, j’ai du mal à les lire. Quelquefois, je m’arrête à la page 20. Je me dis que si je vais plus loin, je vais m’ennuyer. Il y a beaucoup de romans qui mériteraient de s’arrêter à la page 20. Pas tous. Mais il paraît que les lecteurs aiment avoir le temps de rentrer dans une histoire… à partir de quel moment considérezvous que le texte est achevé ? Raymond Carver, qui aimait aussi la révision de façon pathologique comme moi, disait qu’il savait qu’il avait fini de réviser un texte quand il enlevait la dernière virgule qu’il venait de rajouter, quand il remettait en place la dernière chose qu’il avait déplacé. C’est un peu comme ça pour
moi : j’enlève un mot et quelque temps après, je me rends compte que je n’aurais pas dû et je le remets. Alors, je me dis qu’ainsi, mon texte est bon. Beaucoup des textes reposent sur la chute, qui laisse le lecteur sur sa faim. Pourquoi ? La chute, c’est une question très bizarre dans la littérature. On ne peut pas faire reposer un texte sur sa chute. C’est trop facile. Tout le texte est orienté vers la fin ; c’est la fin qui justifie les moyens. J’ai tendance à vouloir aussi faire une chute, pour mettre un point final et passer à autre chose ou pour contenter le lecteur. Mais non, il faut qu’il y ait une frustration parce qu’écrire cela vient d’une frustration qu’il faut communiquer avec le lecteur et non pas simplement le faire sourire facilement. Puis, j’aime quand ça continue : comme on ne sait pas ce qui se passe, on l’imagine, et ça continue en vous. i
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Big Sur coast, été 1966
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FAR OUT ! par philippe schweyer
Bernard Plossu revient sur ses “années hip” dans un livre en forme de témoignage qui rassemble de nombreuses photographies, mais aussi deux reportages écrits par l’auteur pour Rock & Folk en 70 et 71. Petit résumé d’une aventure au long cours.
Lorsque j’apprends que Bernard Plossu sera à Besançon pour le vernissage de son exposition Versant d’Est, le Jura en regard au Musée des Beaux-arts, je m’arrange pour obtenir un rendez-vous avec le photographe que je rêve de rencontrer depuis longtemps. Le 1er octobre 2009, Bernard Plossu arrive à Besançon les bras chargés de livres, dont une édition originale du Voyage mexicain. De quoi compléter les quelques vitrines qui rappellent judicieusement son attachement aux livres. De mon côté, je lui ai apporté le numéro 44 de Limelight, la revue éditée dans les années 90 par Bruno Chibane, le complice avec lequel nous éditons désormais Novo. Bernard Plossu y redécouvre avec un plaisir non dissimulé trois de ses images en noir et blanc accompagnées d’un beau texte de Michel Crozatier. Dans le musée, ses tirages les plus célèbres côtoient les paysages jurassiens qu’il a saisis au vol ses derniers mois, souvent en marchant. Pour poursuivre plus intimement notre conversation, nous sortons nous installer à une terrasse. Après quelques échanges au sujet de l’exposition, la conversation dérive et Bernard Plossu en arrive à me parler de ses articles sur Goa et sur la Californie publiés
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dans Rock & Folk en 70 et 71. J’en profite pour lui confier que je rêve de publier un livre de lui dans une nouvelle collection autour de la musique baptisée “Sublime”. Il me parle de “la musique de l’amour”, une série de photos de sa femme et de leurs deux enfants, exposée récemment à Corigliano en Calabre. Avec moi, il y aurait peut-être quelque chose à faire sur “la musique du silence”. Le projet auquel il pense s’appellerait “les non-sommets” et rassemblerait des sommets photographiés depuis les collines environnantes. En fait, la seule fois où il a vraiment eu envie
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d’illustrer de la musique, c’est au moment de sa rencontre avec Françoise Nuñez, elle aussi photographe. Ils projetaient de faire un livre sur les musiques de l’Islam, ils ont fait des enfants à la place ! En attendant que l’idée d’un petit livre fasse son chemin, je lui propose de choisir une de ses photos pour la couverture du prochain Novo. Le 7 octobre, il m’envoie quatre photographies prises en 1990 à Cabo de Gata en Espagne. Nous tombons d’accord sur une belle photo en couleurs de Françoise et de leurs deux enfants de dos sur la plage. Alors que Novo n’est
pas encore sorti, Bernard a une nouvelle idée : faire un livre sur la musique des nomades du Niger illustré par ses photos des Peuls Bororos et des Touaregs. Le livre serait accompagné d’un CD reprenant les musiques du 33tours désormais introuvable qu’il a sorti avec François Jouffa en 1976. Quelques jours plus tard, en découvrant ses reportages dans les vieux Rock & Folk qu’il a photocopiés pour moi, j’abandonne aussi sec la piste africaine. Lorgnant désormais vers San Francisco et Goa en plein trip hippie, je rêve d’un livre qui raconterait de l’intérieur, via le témoignage et le regard
Le 26 août, Bernard trouve le titre définitif du bouquin : « Far Out ! ».
tendre de Bernard Plossu, comment une partie de la jeunesse a sincèrement cru qu’il était possible de changer le monde. Me confortant dans mon idée, mon ami Fanfan, à qui je parle de l’article de 70, se souvient immédiatement de la photo du hippie nu sur la plage à Goa dans son premier Rock & Folk, un numéro dévoré alors qu’il faisait du camping avec des Hollandaises près de Besançon et qui semble l’avoir marqué durablement ! Amusé par cette drôle de coïncidence et par mon enthousiasme, Bernard est partant pour se replonger dans ses archives et ses souvenirs de l’époque
dès qu’il aura un peu de temps. Le 7 avril 2010, il m’envoie un mail enthousiaste : « J’ai retrouvé toutes les vieilles diapos de Frisco pendant les années 60, Big Sur et l’art de vivre sur la côte nord californienne, GOA, les Sâdhus en Inde : Inouï ! Il va falloir se voir pour faire le choix et décider de tout… C’est, je crois, vraiment super ! Hâte de te montrer ça ! Accolade à la mexicaine, Bernardo ! » Le 21 mai, nous profitons de son passage à Besançon pour passer un long moment à regarder les fameuses diapos dans sa chambre d’hôtel. Je devine quelques merveilles. Nous trouvons même un titre provisoire : “La génération hip”. Dè s l o r s , i l a p p a ra î t clairement que ce ne sera pas un livre de Bernard Plossu comme les autres, puisqu’il comprendra beaucoup d’images en couleurs au grand angle (En 1975, il a renoncé aux séductions du grand angulaire pour ne plus travailler qu’avec un objectif de 50 mm). L’idée de faire un livre différent (surtout pas une expo !), nous plaît à tous les deux. Je devine que Bernard aimerait rendre hommage à tous ses amis de l’époque. Des pacifistes qui lui ont ouvert l’esprit et qui étaient pour la plupart des écologistes avant l’heure. À son retour, il m’envoie un peu de documentation (des coupures de presse de l’époque, le livre de Steven Jezo-Vannier San Francisco, l’utopie libertaire des sixties, etc). Moi qui ai toujours préféré l’énergie et le “no futur” lucide des punks à l’apathie et au “peace and love” naïf des hippies, je commence à mieux les comprendre et à envier leur idéalisme. Plus tard, je découvre que les articles de Rock & Folk ont déjà été repris en partie dans Les années cool, le livre de Martine Ravache. Qu’importe ! Nos échanges de mails se font de plus en plus réguliers. Le 10 août, je prends le train de nuit avec Bruno pour rejoindre Bernard Plossu, chez lui à La
Ciotat. Françoise, qui nous a tant fait rêver sur les photos de Bernard, nous accueille merveilleusement. Manuela est là aussi. La petite fille qui court sur la plage de Cabo de Gata en couverture d’un numéro de Novo est désormais une jeune femme épanouie. Entre deux repas, nous enregistrons nos conversations sur la terrasse, histoire “d’accumuler de la matière” comme dit Bruno. Bernard est enthousiaste comme jamais. Il nous raconte sa rencontre avec Henry Miller, ressort des tas de bouquins, des vieux magazines, des affiches psychédéliques… Je photographie tant bien que mal ces documents qu’il aimerait reproduire dans son livre. Après deux jours de bonheur et de discussions sans fin, il nous raccompagne à la gare et, avant la dernière accolade, nous immortalise devant la plaque qui rappelle que c’est ici que Louis Lumière, en photographiant l’entrée d’un train en marche, a réalisé l’un des premiers films qui sont à l’origine du cinématographe. Le 26 août, Bernard trouve le titre définitif du bouquin : « Far Out ! ». Ensuite, c’est au tour de Lionel d’entrer en scène. À lui les images à traiter et la mise en pages, à moi les enregistrements à décrypter et les articles à retaper. Dans ce livre, c’est décidé, tous les textes seront de Bernard Plossu. De la première à la dernière page, ses photos et ses mots apporteront un éclairage affectueux sur une époque qu’il n’a jamais reniée. J’ai remarqué depuis que nous échangeons par mail que Bernard adore les points d’exclamations. Egalement très nombreux dans le livre, ils en disent long sur son enthousiasme. Toujours avec Bruno, nous attendons Bernard Plossu en gare de Nancy le 26 février, pile le jour de ses 66 ans ! Le soir, chez Lionel et Aude à Dompaire, près d’Epinal, on fête dignement son anniversaire. Le lendemain, on se met au travail de bonne heure tous les quatre. C’est le meilleur moment. En quelques heures tout se met en place. Chacun donne son avis, défend ses idées. Quand il s’agit d’éliminer ou de rajouter une image, Bernard a naturellement le dernier mot. Jamais travail collectif n’a été aussi agréable. Et alors que l’on s’était fixé une limite à 144 pages, on se retrouve avec un livre de 160 pages. Quand on se quitte à la fin du week-end, le travail est pratiquement terminé. Il reste à Bernard à écrire les introductions de chaque chapitre et à compléter la liste déjà longue des personnes qu’il souhaite remercier. Le 1er juin, le livre sera en librairie. Far Out ! i far out!, De Bernard Plossu chez médiapopéditions. www.mediapop.fr + www.r-diffusion.org
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Stories, Édition DVD monographique chez Ecart Production Compilation de fictions, vidéos et installations vidéos (texte de Marie-Thérèse Champesme) www.ecartproduction.net
La frontière d’un ailleurs Par emmanuel abela, Stéphanie linsingh et amandine sacquin Photo : Stéphanie linsingh
En ce printemps 2011, Clément Cogitore est incontournable : décoré par le ministre de la culture du Grand Prix du salon d’art contemporain de Montrouge, il voit l’un de ses courts métrages sélectionné à la Quinzaine des Réalisateurs à Cannes. À l’occasion de la sortie de son premier DVD monographique chez Écart Production, nous échangeons cinéma avec cet artiste pluriel.
Dans tes films, on traverse des espaces aussi bien géographiques, physiques que mentaux. La notion de passage est-elle contenue dans le dispositif filmique lui-même, notamment au niveau du montage ? Je crois que ça fait partie d’un langage assez spontané. Rétrospectivement, tu te rends compte de la manière dont tu as abordé la chose. Mais pour moi la scène de la rave party dans Parmi nous est symptomatique de ce que j’essaie de raconter : plus que l’espace lui même c’est le passage d’un espace à un autre qui importe. Spécifiquement, c’est en tournant cette scène que je me suis rendu compte que ce n’était pas la scène elle-même qui m’intéressait, mais plutôt comment on y arrivait et comment on en sortait. Les clandestins dans le film circulent sur une trajectoire qui, tout d’un coup, est perturbée parce que d’autres personnes l’empruntent elles aussi. En général, quand on parle de la situation des clandestins en occident, on parle de flux, de flux migratoire. Là, le flux, ce n’est plus eux. Ils sont pris dans un autre flux qui est celui des “raveurs” ou des voyageurs. Du coup j’inverse les
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signes : je passe de la caméra à l’épaule à un dispositif plus statique, c’est-à-dire que je place Amin, le personnage principal, au milieu d’une foule qui le porte. Avant d’accéder à la danse, il y a l’instant d’acquisition de ce nouvel espace indéterminé, nouveau et tout à fait inconnu. Contrairement à cela et ce que l’on a pu voir dans d’autres films te concernant, non seulement tu interroges la limite mais tu entraînes ton spectateur dans l’interrogation de cette limite. Oui, complètement. En fait la question de la frontière dans le film n’est pas, en termes de récit ou d’enjeu dramatique classique, la frontière politique telle qu’on l’entend généralement. Au début, on s’attend à ce que le film raconte cette frontière-là mais il est très vite question
d’autres frontières, qui souvent prennent la forme de micro frontières. Dans cette scène, Amin, le jeune clandestin, se rend compte qu’il a franchi une frontière mais à l’intérieur d’un même espace : cet espace qui lui était familier est soudain investi par d’autres gens. Ça n’est plus son espace, mais le leur ; il était seul, mais ne l’est plus. Les humanités se mêlent. Ce qui est surprenant c’est qu’à une époque on s’attachait au réel, et toi, tu éprouves ce réel-là avec une approche qui accorde son importance au surnaturel. On tend à une forme de métaphysique. Le réel te sert de base vers un ailleurs… Oui, pour reprendre l’exemple de cette scène, ce qui m’intéresse dans la manière d’appréhender le réel ce sont les formes rituelles qui transforment, voire transfigurent, ce réel. La musique par
exemple, dans le cadre d’une rave party, fait partie de ces rituels. On rassemble des gens autour des enceintes dans un dispositif presque liturgique. Il y a une dimension collective, mais l’expérience reste solitaire. Dans le scénario, j’avais écrit que le personnage principal arrivait au milieu de gens « seuls ensemble ». Il me semble intéressant de chercher ce que la religion apportait autrefois pour un groupe ou une communauté, ce qui n’est
aujourd’hui plus donné ou plus accepté, et de le trouver sous une autre forme. Ça me permet de maintenir un rapport à la célébration, au sacré ou à l’invisible. Le personnage lui, a cru vivre quelque chose de l’ordre du collectif, et finalement non. Le réveil est un peu triste, il ne sait s’il a vécu la situation ou s’il l’a simplement rêvée, et du coup se retrouve dans une forme de désenchantement, un sentiment que je prolonge jusqu’à la scène dans l’espace
intérieur de la maison, dont on ne sait si elle fantasmée ou réelle, ou celle de la sortie aux flambeaux autour de ce corps qui revient. À la vision presque onirique j’oppose un retour brutal au réel et c’est justement ce qui m’intéresse : faire cohabiter des scènes qui, à partir d’éléments documentaires, basculent vers l’épopée ou le lyrisme, et nous conduisent à l’acceptation de l’inconnu ou de l’incompris, à la limite d’une frontière située là, et pas ailleurs.
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J’ai la certitude que le cinéma est un art sculptural, au sens soustractif du terme.
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Il y a des retours entre le réel et l’ailleurs, mais aussi des retours, visuellement j’entends, entre le présent et le passé. Le travail sur la lumière que tu mènes depuis quelques films avec Sylvain Verdet, ton chef opérateur, nous renvoie étonnamment au baroque. Avec Sylvain on se connaît bien ; il y a un désir partagé d’images très plastiques, très carrées où la lumière joue un rôle assez fort. Sylvain est un vrai peintre de la lumière. J’aime le rapport entre cadre et figure, avec des cadres tirés au cordeau, assez rigides, dans un dispositif très solide, à l’intérieur duquel la figure, donc le corps, va se battre, résister. La question du hors-champ et la manière de faire surgir la figure dans le cadre, tout cela crée de la tension et j’aime beaucoup jouer là-dessus. Tu t’attaches également au corps : le buste dans la scène de l’étang est d’une grande plasticité. Oui, et pour moi il s’agit presque d’un travail de plasticien. Tout d’un coup on se retrouve dans un espace de champ / contre-champ entre un corps et un paysage à moitié hanté. On ne sait pas qui le traverse, mais on suppose quelque chose d’instable. Le baroque insistait sur l’instantanéité d’un événement magnifié par la lumière. Toi, au contraire, tu joues sur une temporalité qui nous inscrit dans un passé qui dure. Et en même temps, une des choses qui m’intéresse vraiment dans le baroque est qu’il s’agit d’une esthétique qui accepte que deux choses complètement contradictoires puissent cohabiter dans la même image. C’est une chose sur laquelle j’essaie de travailler aussi. Dans mes films j’essaie de ne jamais être dans une émotion unilatérale, il y a toujours une forme d’ambigüité, on ne sait jamais si on doit se réjouir ou si l’on doit s’effrayer de ce qui est en train de se
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passer. Les références visuelles au baroque sont finalement plus instinctives que composées. Quand je tourne la scène du retour du corps avec les flambeaux, je recrée une scène de Déposition dans les formes rituelles d’acceptation de la mort ou de la disparition, de la guérison ou du miracle, mais l’on n’est jamais ouvertement dans l’un ou dans l’autre. Je fais appel à ce rapport à l’action, au geste et à la manière de le représenter aussi. Dans Parmi nous, on est saisi par le monologue de Khalifa Natour… Oui, Khalifa Natour est un acteur incroyable. Il est bon de rappeler les conditions de sa présence sur le tournage. Pour cette scène, j’avais d’abord pensé à un autre acteur mais qui s’est cassé la jambe quelques jours avant le tournage. Il devenait donc impossible de tourner. Je rentre en catastrophe à Paris, où l’on me fait rencontrer des comédiens qui savent qu’ils sont appelés en remplacement ; j’avais le sentiment d’être dans l’impasse. Mon producteur m’interroge sur un nom et je lui donne celui de Khalifa Natour, un des comédiens principaux de Peter Brook, qui a joué chez Amos Gitaï, travaillé avec Mahmud Darwich... On l’imaginait inabordable, mais comme nous avons réussi à obtenir son contact à Londres nous faisons le pari de l’appeler dans l’urgence pour lui parler du film : ma directrice de production lui propose un tournage débutant dans les quarante-huit heures, en Normandie, de nuit, pour à peu près le tiers de ce qu’il gagne d’habitude. Il nous
demande simplement de lui envoyer ses scènes, ce qu’on s’empresse de faire dans la soirée à 22h. On le rappelle à minuit et là, il nous dit qu’il « adore », qu’il veut simplement me rencontrer avant d’accepter. Il n’avait que six jours off avant la première de la nouvelle pièce de Peter Brook au festival de Madrid, ce qui correspondait pile au temps du tournage pour son rôle. Le lendemain, je prends l’Eurostar, dans un état de trac et d’anxiété totale, et me retrouve deux heures plus tard en face de cet homme élégant, généreux et charismatique, à parler pendant six heures de théâtre, de littérature et de cinéma dans un pub près de Waterloo. Le surlendemain, il était là, devant ma caméra… J’ai compris ce jour là à quel point, le désir et la conviction étaient deux énergies qui pouvaient balayer tous les obstacles sur un tournage. Un autre court métrage a été retenu à la Quinzaine des Réalisateurs, Bielutin – Dans le jardin du temps, l’histoire d’un couple russe qui entrepose chez lui des chefs-d’œuvre des grands maîtres de la peinture, Leonard de Vinci, Titien, Rubens... J’avais entendu parler de cette histoire, mais je ne savais pas s’il s’agissait d’une légende urbaine ou pas, et si ces gens vivaient encore. J’en parle à Cédric Bonin de Seppia, qui me dit que ça valait le coup de faire quelques recherches. En cherchant, je suis tombé sur deux journalistes, la première à Moscou, la seconde à L’Express. Elles étaient entrées dans l’appartement, et avaient pu y passer quelques heures.
La collection aurait été protégée à l’époque de la Révolution et aurait traversé la Russie du XXe siècle, mais les journalistes ont mis à jour la vraie provenance de ces œuvres : le butin de l’Armée Rouge, après la Seconde Guerre mondiale. Ça n’est pas ce que le couple raconte dans le film. Non, justement, c’est un point de départ. Je me suis dit qu’il y avait quelque chose à jouer, entre le documentaire d’investigation et le roman russe. Au bout d’un an de coups de téléphone, d’envois de bouteilles de vin et de chocolat, j’arrive à les convaincre de me laisser entrer. Et là, je me retrouve dans une espèce de tombeau : un endroit qui n’a été ni aéré, ni lavé depuis près de trente ans, avec tous ces chefs d’œuvre de l’histoire de la peinture présents partout, du sol au plafond. Je me suis retrouvé plongé dans cet univers étrange, entre elle, avec sa drôle de perruque, et lui, qui manifestait une force presque brutale. Je me suis rapidement rendu compte que le projet de film qu’on avait autour de cela était impossible, mais qu’il y avait potentiellement un autre film à faire, plus délirant. En fait, j’ai pu constater qu’ils ne défendaient aucune des deux versions que j’évoquais – ils ne racontaient pas un mensonge pour protéger une histoire, ce qu’ils ont sans doute fait à la fin de la perestroïka, dans les années 90 –, mais qu’ils étaient complètement fous. Le mensonge qu’ils ont échafaudé autour de ces œuvres leur avait coupé tout lien au réel : ils emprisonnent des images, mais se retrouvent eux-mêmes prisonniers dans un monde parallèle. C’est précisément ce qui m’intéresse et ça me permet de débuter une collection autour des hommes et des images. Tu as un autre projet, au Chili, pour alimenter cette collection. Oui, le titre provisoire est Gardiens. Le long des grandes routes près de Santiago, des hommes vivent derrière des panneaux publicitaires. Ils sont payés par les multinationales pour protéger ces images publicitaires ; ils doivent empêcher les gens de voler des ampoules ou du métal. Ça nous donne une situation métaphorique de notre rapport à l’image marchande, qui devient un totem. Du coup, on obtient une sorte de diptyque : dans le premier, les hommes emprisonnent des images et dans le second ils sont eux-mêmes prisonniers des images.
Et dans le premier, on se pose la question de la conservation des œuvres dans cet appartement insalubre, alors que dans le second on recrute des hommes pour assurer la protection d’images publicitaires. Oui, j’aimerais faire en sorte que mes films marchent par contraires : dans l’un tu ne vois pas la lumière du jour, tu n’as aucun rapport à l’extérieur ; dans l’autre, tu te retrouves dans un espace nu, avec un personnage qui a un rapport mystique au paysage. Il passe sa journée à regarder la cordillère des Andes face à lui, et un jour il y voit le visage de Dieu… Ce qui intrigue dans chaque film, c’est la place que prend le silence. Nul besoin de dialogue, tout se ressent dans ce silence. J’ai un principe très simple : tant que quelque chose peut être communiqué hors de la parole, je ne fais pas appel à la parole. D’où des films principalement portés sur les gestes, les corps, les sensations. J’ai la certitude que le cinéma est un art sculptural, au sens soustractif du terme.
De la même manière que tu enlèves toute la matière en trop sur un bloc de marbre pour parvenir à la forme sculpturale, quand tu construit un cadre, avant même de décider ce qui sera dans ce cadre, tu décides de ce qui n’y sera pas. C’est pareil pour le scénario : tu te saisis d’un bloc de temps en sachant à peu près ce qu’il va s’y passer, et tu enlèves tout ce qui te semble dispensable. L’aboutissement de cela étant bien sûr le montage où en examinant ce que tu as tourné, tu évacues tout ce qui est de trop, tout ce qui résiste au récit. Il y a une histoire que j’aime beaucoup : elle se passe pendant la Renaissance dans l’atelier de Donatello dans une rue de Florence. Tous les jours un enfant passe devant la fenêtre où on voit travailler l’artiste. Un jour, il le voit attaquer le bloc de marbre, une forme se dessine et au bout de quelques jours, l’enfant découvre alors le cheval que Donatello a sculpté. Ce jour-là, l’enfant entre dans l’atelier, et va à la rencontre du sculpteur : « Comment savais-tu que là-dedans, il y avait un cheval ? » Le cinéma est exactement cela pour moi : trouver, révéler cette forme vivante cachée à l’intérieur de la matière. i
Une présence tous azimuts Festivals :
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64ème festival international du film de Cannes 2011 Quinzaine des réalisateurs, Sélection de Bielutin Dans le jardin du temps Production : Seppia / ARTE / MDR Ce film, présenté dans La Lucarne d’Arte en 2012, sera complété d’une deuxième partie sous la forme d’un web documentaire et d’une enquête interactive produit par Seppia et Arte (webdocs.arte.tv)
Programmation du travail vidéo à Madrid au Musée Reina Sofia, Musée national d’art moderne et contemporain, du 23 au 29 mai dans le cadre des Rencontres internationales Paris Berlin Madrid Art contemporain et nouveau cinéma. www.art-action.org
— Festival Indielisboa – 8ème Independent international film festival of Lisbon Sélection de Visités en programme spécial
Projection avant-première : Parmi Nous, le 7 juin 2011 au Gaumont Opéra, à Paris Prod : Kazak Productions - France 2
Expositions : 56ème Salon de Montrouge, jusqu’au 1er Juin 2011 Panorama de la jeune création contemporaine Commissariat : Stéphane Corréard
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POUR UNE RÉPUBLIQUE DES RÊVES, exposition du 15 juin au 11 septembre au CRAC Alsace, à Altkirch www.cracalsace.com
Né sur un cimetière indien par Amandine Sacquin
Il y a quelque chose de lumineux chez Gilles Tiberghien, philosophe et commissaire de la prochaine exposition du CRAC Alsace Pour une République des Rêves. Rencontre dans son bureau parisien où se confrontent les choses comme autant de regards différents sur le monde. Comment s’est faite la rencontre avec Sophie Kaplan, la directrice du CRAC Alsace, à Altkirch ? Ce fut une belle rencontre. J’ai reçu une lettre d’elle un jour dans laquelle elle me disait apprécier ma façon de procéder et avoir lu un certain nombre de mes livres, en particulier Land Art Travelling. Ce livre avait beaucoup compté pour elle dans sa façon de voir l’Histoire de l’art, de considérer le rapport aux objets et aux textes et elle me proposait une carte blanche pour la prochaine exposition du CRAC Alsace, que j’ai très vite acceptée.
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photo (recadrée) : Vladimir Besson
D’où est venue cette idée de piocher dans la collection des FRACs ? Nous sommes vite tombés d’accord sur l’idée d’une contrainte qui était de piocher dans les FRACs du grand Est. J’avais tout à disposition, d’où l’impression de fouiller dans un grand grenier rempli d’objets hétéroclites. En une trentaine d’années, les FRACs ont assemblé de nombreuses pièces, certains de manière plus spécialisée que d’autres. Il a donc fallu trier, regarder, et monter l’exposition en fonction du thème que j’avais choisi. L’exposition qui a lieu en ce moment à la Kunsthalle de Mulhouse s’intitule L’idée de nature, entre Land Art, art environnemental et destruction créative. S’agit-il d’une simple coïncidence ? Les deux expositions vont se suivre dans deux centres d’art assez proche. Constate-t-on un regain d’intérêt pour la nature ? Nous avons aujourd’hui une nouvelle façon de regarder la nature à travers l’art et en particulier à travers l’écologie, l’environnementalisme. Cela est lié aux problèmes planétaires et climatiques que l’on connaît. Ces préoccupations nous
masses mais de faire prendre conscience, surtout de faire voir et de produire un effet de loupe sur des réalités que l’on ne voit pas forcément sans eux. On vous connaît comme un spécialiste du Land Art, quelle place aura-t-il dans cette nouvelle exposition ? La concordance entre les deux expositions du CRAC Alsace et de la Kunsthalle de Mulhouse est fortuite et le rapport, je pense, est assez lointain. Au CRAC il ne s’agit pas d’une exposition sur le Land Art, la nature ou le paysage. Il s’agit d’une exposition qui, à travers ce titre un peu énigmatique, Pour une République des Rêves, traverse les thèmes de la cartographie, du paysage, de la nature ou du voyage. Il s’agit de construire une sorte de récit qui fait appel à l’imaginaire des spectateurs et des artistes. Ces thématiques sont englobées dans le thème de la nature à travers une mise en scène du rêve, liées à des représentations, à des images et à des propositions artistiques.
touchent certainement beaucoup plus qu’il y a quarante ans, à l’époque où les artistes du Land Art commençaient à travailler. À cette époque-là l’environnementalisme était quelque chose qui existait aux États-Unis depuis longtemps, depuis le XIXe siècle, en gros, mais qui était différent du courant écologique qui commençait à naître. L’environnementalisme s’est développé dans le sillage des transcendantalistes comme Ralph Waldo Emerson et Henry David Thoreau, et a été relayé plus tard par John Muir et Aldo Leopold. Ces gens avaient un rapport direct avec la nature : Muir était naturaliste, Aldo Léopold était forestier. L’écologie ou l’écologisme apparaît plutôt dans les années soixante en Amérique avec un aspect politique et scientifique qu’il aura tout de suite en Europe à la même époque. J’ai l’impression
qu’aujourd’hui il y a beaucoup plus de réalisations concrètes qui démontrent que ces idées sont passées dans les mœurs. Du coup, l’art étant une caisse de résonance du monde dans lequel il se produit, il est assez naturel que des expositions de ce genre commencent à fleurir un peu partout. Peut-on parler d’une prise de position nouvelle dans l’art ? Joseph Beuys avait créé un parti politique, dans les années soixante-dix, si bien qu’il avait dilué l’art dans la politique. La « sculpture sociale » était son projet. Mais même si cette idée a fait son chemin, elle n’a pas transformé complètement les pratiques des artistes qui restent des artistes et non des politiques. Ils traitent les choses à leur façon et leur rôle n’est pas de rentrer dans un parti ou de soulever les
Pour l’occasion, vous endossez le rôle de commissaire. Quelle expérience avez-vous du commissariat d’exposition. J’ai rédigé le scénario et j’ai orchestré l’exposition d’Alex McLean en 2003 au Passage du Désir à Paris dont Dominique Carré était le commissaire attitré. Cette exposition au CRAC est ainsi ma première véritable expérience de commissaire d’exposition. C’est passionnant. Sophie Kaplan m’apporte une assistance extrêmement efficace et stimulante. Ça me donne vraiment envie de recommencer ! Vous exercez plusieurs activités. Est-ce que vous cultivez cette transversalité ? Je me laisse guider par les occasions. Comme je suis curieux – ce qui est moteur –, j’ai le sentiment de pouvoir approfondir quelque chose qui occupe mon esprit. Faire de l’édition, diriger des collections, écrire des livres, enseigner, faire des conférences, voyager, etc. Tout cela fait partie d’un volume global d’activités. Je n’envisage pas cette diversité comme une dispersion malgré le caractère apparemment hétéroclite des objets dont je m’occupe. En vérité, tout cela est lié.
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Évariste Richer, Le Rayon vert, 2005 Néon, transformateur, programmateur, calendrier. 315 cm., diam. 1 cm. Collection 49 Nord 6 Est FRAC Lorraine
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Dans cette exposition, il y a aussi des références à la science et à la poésie ; des croisements et des ouvertures qui sont intéressantes... Oui, je pense que si on cantonne l’art et l’art contemporain en particulier aux seuls objets et manifestations auxquels on l’identifie le plus souvent, on ne comprend rien à cet art qui est, en fait, nourri de références multiples appartenant aussi bien à l’Histoire, à la psychologie, aux voyage, à la littérature, à la science... Si on empêche toutes ces possibilités d’ouverture, on ne peut rien saisir de cet art, car on reste alors dans un formalisme qui n’a rien à voir avec les réalités auxquelles les artistes se confrontent aujourd’hui ni avec les œuvres qu’ils produisent. L’ouvrage que vous publierez aux éditions des Presses du Réel, semble dépasser la démarche du simple catalogue. Au début, ça devait être un catalogue classique, avec ses quelques variations de textes, d’images et de légendes, mais on en a fait un livre-catalogue. Il est construit et architecturé comme un livre, avec, par exemple, des inserts de poèmes en ouverture de chapitre, car il me semblait que la parole poétique avait quelque chose à voir avec cette affaire de rêve et d’imaginaire qui traverse l’exposition.
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Avec ces carnets de voyages, on va au-delà du commissariat finalement, il y a une implication très personnelle de votre part dans le catalogue. Oui, les textes qui ferment chacun des chapitres sont tirés des journaux que j’ai écrits systématiquement depuis trente ans, chaque fois que je voyage. J’ai donc une longue habitude de cela. Mais les journaux que j’ai sélectionnés et publiés ici l’ont été sans repères temporels. Ainsi, différentes périodes sont parfois superposées, et l’on regarde les lieux, les pays visités, comme par transparence. C’est intentionnel et c’est caractéristique pour moi d’un certain rapport au voyage qui procède d’une sorte d’infiltration temporelle. On regarde à travers des calques ce que l’on voit. Avec des effets variés de transparence et d’opacité, puisqu’en revenant sur mes pas, des éléments saillants la première fois ont disparu alors que d’autres, au contraire, alors quasi inaperçus prennent plus de corps ou de couleurs. J’ai donc fait cela délibérément, si bien que tout est vrai parce que j’ai vu et vécu tout ce que je raconte. Et en même temps, tout est faux parce que rien n’est daté et seuls les jours sont indiqués. Parfois on sent un décalage, par exemple il y a un journal en Tchécoslovaquie, où je me rends avant la chute du mur, puis j’y retourne après et on s’aperçoit que c’est en redécouvrant le pays
que je prends conscience de son état passé. L’idée était de montrer mes impressions in actu, mais avec tout ce qu’elles supposent aussi de mémoire et d’imagination. Une démarche dont je parle dans l’introduction du livre. Vous êtes né en Amérique. Cela a-t-il influencé votre perception de l’espace ? Je ne dis pas souvent que je suis né en Amérique, mais je me suis aperçu que cela comptait pour moi [il pointe sur des cartes accrochées au mur l’endroit où il a vécu dans le Rhodes Island, ndlr]. Ce sont des cartes qui étaient dans le bureau de mon père lorsque j’étais enfant. J’habitais en pleine campagne jusqu’à l’âge de 6 ans, à côté d’un cimetière indien. Cela a développé en moi un imaginaire très particulier. Mais la maison de mon enfance était située sur la côte Est, en Nouvelle Angleterre ; il ne s’agissait donc pas des grands espaces de l’Ouest américain que j’ai découvert plus tard. C’était tout de même un endroit entouré d’une nature extrêmement belle et sauvage et cela m’a beaucoup marqué, mais je ne m’en suis vraiment rendu compte que relativement tard. Je ne dis pas que c’est à cause de ça que je me suis intéressé au Land Art, mais le rapport assez particulier que j’avais déjà avec l’espace m’y a conduit tout naturellement, pourrais-je dire. C’est en travaillant avec le paysagiste Michel Desvigne à la Villa Médicis et en constatant les relations formelles qui existaient entre son travail et les œuvres de certains artistes du Land Art que j’ai commencé à les regarder avec plus d’attention et à les étudier. Ensuite, on m’a proposé d’écrire un livre mais le projet est tombé à l’eau. Je me suis tout de même accroché à cette envie d’écriture. J’ai trouvé un éditeur, Dominique Carré, qui était enthousiaste et on a fait Land Art, un livre publié en 1993, qui est maintenant épuisé mais qui va ressortir à l’automne, dans une édition revue et augmentée de deux chapitres et d’images supplémentaires. i
L’Alsace pittoresque, l’invention du paysage, exposition jusqu’au 26 juin au musée Unterlinden, à Colmar Le goût de la nature, exposition jusqu’au 15 août au musée des Beaux-Arts, à Strasbourg L’idée de nature, exposition jusqu’au 22 mai à la Kunsthalle, à Mulhouse
Into the wild par Sylvia dubost
Du nord au sud de l’Alsace, trois expositions explorent la place de la nature et du paysage dans l’art, de 1770 à nos jours.
L’appel de la nature semble se faire toujours plus pressant. Question de saison ? Sans doute. Question d’époque ? Sûrement. L’exposition consacrée au peintre des montagnes Giovanni Segantini vient à peine de s’achever à la fondation Beyeler, que le musée des Beaux-Arts de Strasbourg, le Musée Unterlinden de Colmar et la Kunsthalle de Mulhouse nous replongent dans la nature. À Colmar, un siècle de paysages alsaciens (17701860) témoigne de toutes les possibilités de la peinture de paysage, genre alors à son apogée. Ruines, cascades, forêts, plaines et montagnes… les peintres ont commencé par tout explorer. Puis ils ont expérimenté. Entre le XIX e et le début du XXe, le paysage est, comme le montre l’exposition strasbourgeoise, le terrain de jeu favori des romantiques comme des naturalistes, des impressionnistes comme des nabis, accompagnant le passage du souci de l’exactitude à l’expression d’une subjectivité. Paysages de sous-bois inquiétants, de montagnes immuables qui rappellent la puissance de la nature, de ruines pittoresques qui relient l’homme à son passé et à sa mortalité, de paisibles campagnes où les activités humaines semblent toujours empreintes d’insouciance… quelle que soit l’époque, la nature représente un idéal de vie saine aussi bien qu’un espace propice à la solitude et à la pensée. De ces deux expositions partenaires à celle de la Kunsthalle, le visiteur fait alors un saut temporel pour passer directement du début à la fin du XXe siècle et enjam-
ber une période où, de toutes les façons, la nature n’est plus guère un thème ni un exercice pour les artistes. Ils s’en éloignent tandis que leurs contemporains la maltraitent. Elle ne réapparaît réellement dans l’art que lorsqu’elle devient un patrimoine à protéger. Là où le graveur du XVIIIe s’émerveillait, l’artiste contemporain est inquiet. Si les techniques se sont multipliées et que photographie, vidéo et installation côtoient désormais la peinture, on retrouve néanmoins les mêmes motifs et les mêmes sentiments : paysages avec campagne, avec eau, avec arbres, montagnes évoquent tour à tour la mélancolie, l’impuissance et l’humilité… auxquelles s’ajoutent peut-être désormais la culpabilité. i
Philippe-Jacques de Loutherbourg, Paysage de la région des lacs de Llambris Lake, Strasbourg, musée des Beaux-Arts. Photo : M. Bertola
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Peter Weibel, Autoportrait en femme, 1967
Un homme
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No limits, arts jusqu’au 2 juillet, à Strasbourg Exposition jusqu’au 28 mai à l’espace Apollonia et jusqu’au 2 juillet à la médiathèque Malraux Performances, vidéos, journée d’étude et concert jusqu’au 28 mai au musée d’Art moderne www.apollonia-art-exchanges.com
En France, on connaît mal le media art (ou arts médiatiques). Et l’on connaît encore plus mal l’un de ses pionniers : Peter Weibel. Avec la programmation No limits, Apollonia revient sur l’étonnant parcours de cet artiste et théoricien majeur, commissaire d’exposition et directeur de musée, ancien mathématicien et actionniste viennois.
de médias par sylvia dubost
Peter Weibel ne croit pas à la répartition du travail. C’est lui-même qui le dit. Artiste, directeur d’institution, éditeur, commissaire d’exposition, enseignant : toutes ses activités font pour lui partie de son œuvre. Son héros, c’est Pierre Boulez, qui « a fondé l’Ircam, a écrit des choses merveilleuses, dirige en concert ses propres œuvres avec celles de Varèse ou Berlioz. » Un multitasking plutôt mal vu dans le monde de l’art, « où chacun défend son territoire ». Ce dont l’érudit Weibel, qui rêverait d’une maison faite entièrement de livres, n’a cure… Le titre de la manifestation strasbourgeoise, No limits, lui va comme un gant. Né en 1944 à Odessa, Peter Weibel étudie la médecine et les mathématiques à Vienne – car il voulait « modéliser le fonctionnement du cerveau » –, la littérature, la philosophie et le cinéma à Paris – parce que « très touché par la poésie française et la Nouvelle vague ». Sans jamais réellement abandonner les mathématiques, puisqu’il participe encore à des colloques, il choisit la voie de l’art. « J’ai eu une jeunesse troublée, l’art était plus attirant. Pourtant, j’ai publié des choses en mathématiques, j’étais un talent… » Curieux de tout, « à un âge on l’on veut tout lire », il répond à l’invitation d’un tract qu’on lui tend dans un café viennois. « Il y avait des gens qui faisaient des choses très étranges avec des femmes nues dans des caves… » Weibel entre rapidement dans leur cercle. « Ils travaillaient, mais il leur manquait la théorie.
Je l’avais, alors j’ai écrit des articles dans des magazines révolutionnaires. Je leur ai donné le nom d’actionnistes viennois. » Il proposera lui-même des actions, notamment avec sa compagne d’alors, Valie Export. Après le scandale de l’action L’Art et la Révolution en 1968, à laquelle il participa et qui conduit à l’exil des actionnistes à Berlin, puis à leur séparation, Weibel se concentre sur la vidéo et la télévision. Il démarre l’une de ses séries les plus marquantes : les Télé-actions, en direct sur la première chaine de la télévision autrichienne qui en compte alors deux. « Pour la première fois dans l’histoire de l’Autriche, nous avions un gouvernement social-démocrate, précise Weibel. Pendant les cinq premières années, il était très ouvert sur les arts ». Dans TV-News (TV Death 2), le présentateur du journal annonce ainsi les nouvelles une cigarette à la bouche et finit par disparaître dans sa propre fumée, comme s’il était enfermé dans le téléviseur. « Il lisait des nouvelles vieilles d’un an, mais personne ne s’en est rendu compte. Ce qui a choqué, c’était qu’il fumait à la télévision. Je voulais montrer qu’à la télévision, le décorum était plus important que le contenu. » La chaine diffusera également son film sur Kurt Gödel, « le plus grand génie des mathématiques du siècle », pour lequel Weibel a réalisé des modélisations sur l’ordinateur. « Dans les années 60, personne ne croyait qu’on pouvait réaliser des images avec un ordinateur, sauf moi. D’ailleurs, en
1964, le fabricant allemand d’ordinateurs a voulu en vendre à son gouvernement. On lui a dit : « Non merci, on en a déjà un. » On pensait que les ordinateurs n’avaient pas d’avenir. » Il soutient le contraire et se fait traiter de fou à la fois par ses amis mathématiciens et artistes. Vingt ans plus tard, la New York University vient le chercher pour fonder le premier Digital Art Laboratory. Lui qui enseignait déjà la peinture et la sculpture à l’école des Beaux-arts de Vienne ne cessera plus désormais de transmettre, au sein de plusieurs universités d’Europe et d’Outre-Atlantique, la théorie et l’art des médias. « L’avant-garde aujourd’hui, c’est l’art des médias. Parce que c’est un art qui s’occupe du monde réel. On peut dire que l’art abstrait, ça suffit. Non ? » Aujourd’hui directeur d’un des plus importants musées des médias (le ZKM de Karlsruhe), éditeur de plus de 600 ouvrages, consulté à plusieurs reprises par la task force de l’Élysée sur le retard français dans le domaine, Peter Weibel est un activiste au service de ces formes encore mal connues et de ceux qui les pratiquent. Il a ainsi profité de sa présence à la dernière biennale de Moscou, pour rendre visite à 300 artistes dans leur atelier. « Je veux voir par moi-même, pas me contenter de ceux qu’on me conseille. Je n’en ai retenu que dix, mais ce sont des artistes qui n’ont jamais été vus. C’est important de faire ce travail de recherche. » Quitte à négliger, depuis les années 80, la communication autour de son propre travail. Depuis ses performances historiques, pour l’occasion réactivées, jusqu’à Réalité augmentée, une exposition visible uniquement via des iPad disponibles à Apollonia, en passant par installations, sculptures, photographies et journée d’études, No limits remet enfin en lumière son œuvre et son parcours. i
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« Combien êtes-vous ? Tout homme est un gâteau feuilleté. Ma pensée fonctionne comme un ascenseur qui s’élève et plonge incessamment d’un niveau à l’autre au cœur d’une tour à nombreux étages dont chacun a sa loi propre qui s’oppose à celle de l’étage au-dessous. Ce qui a valeur à un niveau n’en a plus à l’autre. Ce qui est vrai au cinquième est faux au sixième, y perd même tout sens (...) » Jean Dubuffet, Réponse à vingt-quatre questions de Valère Novarina, 1982
Paul Cox l’œuvre à venir par caroline châtelet
C’était il y a tout juste deux ans. Une image simple et lisible – en l’occurrence une table sur un fond vert – illustrait le festival Théâtre en Mai à Dijon. Un « visuel » valant porte d’entrée pour les paysages imaginaires de Paul Cox, qui, s’il signe (entre autres) l’univers graphique du Théâtre Dijon Bourgogne, chemine patiemment vers une peinture à venir.
Si j’avais été : un enfant des années 1990 et suivantes, j’aurais lu l’un de ses livres jeunesse ; un lecteur de presse des années 1990, j’aurais vu ses dessins dans les grands quotidiens ; un lecteur de l’édition du 17 janvier 2005 de La Tribune de Genève, j’aurais découvert avec stupeur ses à-plats de couleurs substitués aux photos du journal ; un adepte de romans Harlequin publiés en 1989, j’aurais tourné les pages de récits adaptés par lui ; un spectateur d’opéra, j’aurais observé ses décors et costumes à Nancy, Genève ou Paris ; un étudiant des
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Beaux-Arts de Dijon ou de l’École de design de Montréal, j’aurais participé à l’un de ses workshops il y a quelques semaines... N’étant rien de tout cela, c’est par sa collaboration avec le TDB que j’ai découvert le monde de Paul Cox. Un univers peuplé de figures simples et lisibles, aux couleurs franches et aux formes rondes et douces : le type même de production faisant en premier lieu penser à de l’illustration jeunesse – comprenez naïve, voire niaise. Mais la naïveté chez Cox n’est qu’apparente et si son travail est aisément lisible, il
plonge ses racines dans l’Histoire de l’art et l’imagerie populaire – des images d’Épinal aux images russes. Chacun des dessins produits pour le TDB offre ainsi un subtil contrepoint au spectacle qu’il illustre, ouvrant à d’autres perspectives. Pour autant, nous ne parlerons pas ici des travaux précédemment cités. Car relevant de commandes, ces productions ne constituent que la face visible des recherches de Paul Cox. Et celui qu’on peut tour à tour nommer graphiste, illustrateur, concepteur de logos, plasticien – la preuve avec son Funambule haut perché sur les toits du TDB –, se définit plutôt comme un « peintre. C’est le champ le plus important dans les différents que je cultive et dans la pratique, c’est de là que tout vient pour moi. Ce sont le dessin et la peinture sans application concrète, sans commande qui nourrissent tout le reste. » Un peintre autodidacte – « quoiqu’on ne le soit jamais entièrement » – dont la « culture est nécessairement bizarre, originale, faite de bric et de broc. L’autodidacte garde un complexe d’ignorance qui le rend plus curieux... » Curieux, peut-être, éclectique, sans aucun doute, et la diversité des travaux auxquels Cox se prête lui fournit « une formidable aide à l’invention. Les contraintes me dictent des formes dont je n’aurais pas eu l’idée et pouvant, par la suite, trouver leur place dans mon travail spontané. » D’autant que le processus entre production personnelle et de commande est semblable, Cox « écoutant
le désir, l’intuition du moment, avant de l’aménager pour s’inscrire dans le cadre. » Mais là où la commande impose le cadre, quel est-il pour son travail personnel ? « Outre les contraintes liées au moment, à mon état d’esprit, je choisis avant de dessiner un vocabulaire limité, pertinent avec l’outil choisi. L’idée de se planter modestement devant le motif et de rendre compte avec ces moyens de ce qu’il dit est pour l’instant la contrainte la plus fertile trouvée. Le travail
est juste lorsqu’il y a une harmonie parfaite entre l’outil et soi. » Le plus dur serait alors de « parvenir à entendre l’intuition initiale. Arriver à transcrire ce premier murmure d’une vision », cette « forme proche de l’indicible. C’est pour cela que c’est difficile à noter, à saisir en croquis, c’est quelque chose qui est vraiment dans l’esprit sous forme d’images. » Actuellement, c’est le paysage qui intéresse Paul Cox : « Mon projet est modeste mais je dessine beaucoup la vue de ma terrasse,
nourri que je suis d’un amour absolu pour le peintre Jean-Baptiste Corot et sa science des bruns, des ocres, des gris. » Une façon détournée de revenir à une fascination ancienne pour la carte, provenant d’un « goût d’enfant pour le fait de connaître un territoire. La carte a une situation ambiguë : elle figure un espace de manière nonperspective et a à voir avec le tableau. Mais je m’en suis maintenant un peu éloigné. C’est-à-dire que je deviens concret, j’ai fini par atterrir et regarde désormais en face, vers l’horizon, pas de mon ciel une terre où je n’étais pas vraiment... » Cette évolution n’est pas la seule en cours et son travail des couleurs change également : « Marqué par un goût pour l’imagerie populaire et fasciné par Mondrian, j’ai souvent joué avec la superposition des couleurs primaires. Je tends maintenant vers un raffinement, je deviens plus savant. » Sans savoir où ce cheminement le mène, Paul Cox a « le sentiment de ne pas avoir commencé » ce qu’il veut faire. « Il y a cela chez certains artistes, le fait de fatiguer toutes les possibilités pour creuser une chose qui résume les autres positions. Bien souvent, cette phase d’expérimentations n’est pas si longue, mais dans mon cas, elle se prolonge. Je crois que je tends vers un idéal, composé de la mémoire de toutes les choses admirées dans les œuvres du passé et des nourritures prises ici et là. J’espère y arriver un jour... » i
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Rubbing Glances, exposition jusqu’au 24 juillet, à la Galerie Poirel, à Nancy www.rubbingglances.wordpress.com Loop Island, exposition du 27 juin au 4 juillet, à la Galerie 9, à Nancy www.marionauburtin.com
La jeune artiste Marion Auburtin expose à Nancy, dévoilant ainsi une ode à la Renaissance et à l’ornement. Marche vers un univers sordide et intense.
À corps et âme ouverts par pauline hofmann
Interrogée par le chantier de l’ARTEM, Marion Auburtin joue les voyantes à la Galerie Poirel. Pour le troisième et dernier volet de Rubbing Glances, projet d’art contemporain initié par Simon Hitziger, un pendule suspendu au plafond incarne le futur intrinsèque du lieu de vie en devenir qu’est le chantier. À l’instar de l’instrument divinatoire, les fondations du campus interdisciplinaire de Nancy prédisent en quelque sorte l’avenir de ceux qui arpenteront ce nouvel espace. La longue verticale du pendule évoque également le fil de plomb, outil du maçon mais aussi de l’artiste. Les frontières entre art, artisanat et commerce s’effondrent ainsi sous l’impulsion de l’ARTEM et de Rubbing Glances. Cette installation pourrait marquer une rupture franche avec l’univers et les peintures de Marion Auburtin, où les corps et le morbide occupent le devant de l’estrade. Mais, il n’en est rien. Selon elle, « le lien est direct. Esthétiquement, l’ornement, le doré, ce sont des choses qui se rejoignent. ». Et la Renaissance s’impose comme une influence persistante. Pour preuve de cette continuité, elle participe également à Loop Island, une exposition de l’association Ergastule à la Galerie 9 de Nancy, où elle fait tour-
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ner ses danseuses difformes grâce aux mécanismes de boîtes à musique. Sous la main de Marion Auburtin, les petites poupées de porcelaine tournoyant sur la Lettre à Elise deviennent des corps aux malformations dérangeantes se mouvant sur des sons sans mélodie. Remonter le mécanisme invite à un voyage dans un univers proche de celui de Freaks, chef d’œuvre du cinéma des années 30 tourné par Tod Browning : « Je suis partie de ses recherches à lui [Tod Browning, ndlr] pour faire mes recherches à moi. ». Elle a donc écumé les manuels d’anatomie, sans toujours beaucoup de plaisir, pour pouvoir façonner ces figurines de céramique. C’est Benjamin Laurent Aman qui s’est occupé de mutiler les cylindres des boîtes à musique à coup de tronçonneuse, les transformant en quelques secondes en instruments de musique expérimentale. Ces sons, en résonance dans les boîtes en céramique et dans le sous-sol de la Galerie 9, soulignent ce que la chair a simultanément d’attirant et de répugnant. Et parfois de dérangeant. i
Alibi II / Dispersion, exposition du 9 juin au 25 septembre à l’Espace multimédia Gantner, à Bourogne, au CCNFC (Centre Chorégraphique National de Franche-Comté), au musée des Beaux-arts et au musée d’Histoire de Belfort dans le cadre de l'exposition L'Audace monumentale : aujourd'hui sculpter. http://veroniquehubert.free.fr
Véronique Hubert teste le monde par amandine sacquin
On a qualifié l’art de Véronique Hubert d’« épidémik ». N’en déplaise à Joël Hubaut, cela lui sied à merveille. Après Utopia et Alibi, la fée de Spotniavie revient au mois de juin en investissant la ville de Belfort avec pas moins de quatre expositions.
Véronique Hubert est hyperactive, prolifique, exponentielle, et se définit elle-même comme un « aspirateur à information ». Cette artiste parisienne met en scène depuis 1996 ses personnages à travers une production multiple. Après un an de résidence au Triangle à Rennes et à Belfort, elle présente dans différents lieux son projet Alibi II / Dispersion. Elle y incarne Utopia, une fée affublée d’une structure cubique, qui déambule et parasite la ville. Celle-ci s’est promenée de Rennes à Belfort, et invente la nouvelle ville de Belnes avec une certaine obsession de la quête du bonheur, que l’on peut même voir par défaut comme une recherche d’absence de tristesse. La vidéo issue de ce projet sera le point d’ancrage des quatre expositions puisque présentée simultanément dans les quatre lieux, accompagnée de dessinsphotos encadrés, de vidéos-projections ou du cube blanc, prothèse-sculpture portée par la fée Utopia. Nul ne sait quelle part d’autobiographie Véronique Hubert a glissé dans son personnage mais c’est en nous baladant dans ses contes qu’elle réussit à nous faire perdre toute notion de soi, et insidieusement à rentrer dans la peau d’Utopia. Cette diffusion de l’être et de l’espace fait alors place dans la vidéo phare à un rassemblement de transe collective, moment suspendu dans une galerie
marchande... Le rêve a un goût amer, il s’apparente à une forme de désillusion et l’œuvre d’art se pose en acte de résistance. Malgré tout, l’engagement de Véronique Hubert prend aussi un ton plus léger avec Utopia fait son cinéma. Cette performance visuelle et sonore qu’elle pratique depuis 2004 nous fait partager dans un de ses mix des comédies musicales, des vidéos d’artistes, de la danse, de la littérature ou de la poésie sonore. Une soirée de clôture
est également prévue le 23 septembre à l’espace Gantner où elle se produira en live. Un bel événement en perspective où elle convie également l’écrivain Daniel Foucard et le plasticien Vincent Madame. La fée n’a donc pas fini de se cogner contre les murs car comme elle le dit « Je suis petite mais pleine d’espoir ! ». i
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Olga Mesa, danse et arts visuels, résidence de création au Frac Alsace à Sélestat, du 23 mars au 22 mai (résidence ouverte au public)
El Lamento de Biancanieves, le 22 mai au Frac dans le cadre de Nouvelles Strasbourg Danse http://frac.culture-alsace.org
Pendant deux mois, la chorégraphe Olga Mesa s’installe dans l’espace d’exposition du Frac Alsace à Sélestat pour la création El lamento de Biancanieves, Premier chapitre du projet labOfilm. A partir du Blanche-Neige de Robert Walser et de son adaptation par Joao Cesar Monteiro, elle tente de donner à la caméra une vraie place sur scène.
Le corps opérateur par sylvia dubost
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photo : Susana Paiva
Le projet est téméraire… aussi bien pour l’artiste que pour ceux qui l’accueillent. Le Frac Alsace n’est a priori pas un lieu de résidence, encore moins pour des chorégraphes, quand bien même ils naviguent, comme Olga Mesa, entre les arts de la scène et les arts visuels. D’autant plus téméraire qu’il est complexe et ambitieux. labOfilm est une étape cruciale pour l’artiste, qui explore depuis des années la
question de la caméra sur scène. D’abord utilisée pour capter ses spectacles, elle a fini par prendre une vraie place sur le plateau, à devenir une vraie protagoniste, qui ne se contente plus d’observer mais participe à l’action, voire la détermine. A insi, for te de ses précédentes ex p ér imentat ions e t de plu sie urs résidences récentes en Espagne et au Portugal qui l’ont aidé à mûrir le projet, Olga Mesa propose un objet parfaitement hybride, à la fois performance, tournage et projection. Olga Mesa et Sarah Vaz dansent et se filment avec deux caméras fixes et une caméra au poing. Elles se déplacent dans un labyrinthe, dont on devine qu’il a des choses à cacher. Le spectateur, installé au bord du plateau, n’a qu’une vision fragmentaire de l’action, déjà « cadrée » par les murs du labyrinthe. Dans un deuxième temps, le décor démonté fait place à la projection des images filmées par les trois caméras qui, placées côte à côté, « font apparaître un autre espace », comme dit Olivier Grasser, le directeur du Frac. En juxtaposant le champ, le contre-champ et le hors-champ, elles montrent tout ce que l’on n’a pas vu, en tout cas pas comme ça. Elles posent de manière très concrète et sensible la question du cadrage, du point de vue, du montage, bref, de la construction d’une image… Ici c’est la danse qui prend en charge le cinéma. C’est elle qui déplace la caméra, qui « fait le noir » en passant devant l’objectif. Elle est simultanément action, réalisation et montage. C’est ce qu’Olga appelle « le corps opérateur ». Mais « labOfilm est plus qu’un objet visuel, expliquet-elle. C’est une articulation entre les mots, les sons et le corps. C’est un objet de construction dramaturgique. » Manière de rappeler que si le dispositif technique est complexe et nécessite une grande précision de la part des deux danseuses,
il n’est pas le sujet. Le sujet, c’est BlancheNeige. Pas celle des frères Grimm, celle de Robert Walser (1878-1956), qui a imaginé une suite au conte populaire, où la jeune fille rejoint brutalement la réalité. Son entourage se révèle plus complexe qu’il n’y paraissait. La belle-mère n’est peut-être pas si méchante, le chasseur pas si gentil, et le prince pas si amoureux. Et le miroir, que dit-il désormais ? « Blanche-Neige fait partie des archétypes qui ont traversé les générations et les conditions sociales. Je me suis intéressé à cette chaîne de transmission », explique Olga. Voilà pour le « récit » du spectacle. L’autre pilier du projet, c’est l’adaptation de la pièce de Walser par le cinéaste portugais João Cesar Monteiro. Un « objet cinématographique paradoxal », comme le décrit Olivier Grasser, une suite de plans noirs, où l’on entend le texte de Walser. « Dans son texte, Robert Walser fait dire à Blanche-Neige : « J’aimerais entendre plutôt que voir », explique Olga Mesa. Mais pourquoi Monteiro a-t-il été aussi radical ? Pourquoi a-t-il nié l’image ? Ce film n’a pas été présenté comme du cinéma expérimental, c’est du cinéma ! » Et de répondre : « Il donne de l’espace à l’écoute, à la mémoire, et l’image arrive d’une autre manière : par l’évocation, l’imagination. Cette question du hors-champ me suit depuis très longtemps. » Elle va évidemment à nouveau traverser tout le projet de labOfilm : qu’est-ce qui en dehors de l’image participe à sa création ? « La double vision » du spectateur, d’abord de la performance puis du film, devrait lui apporter quelques réponses, de même que toute une série de propositions parallèles qui accompagnent sa résidence au Frac. Il ne s’agit pas de proposer au public de « voir le petit singe qui travaille », comme dit Olivier Grasser, mais de lui proposer des entrées dans le travail d’Olga, en exposant ses collages d’images à partir desquelles elle travaille, une sélection de vidéos opérée dans la collection du Frac, une série de rencontres avec l’artiste, une discussion avec Jean-Luc Nancy, dix minutes de vidéo par semaine sur youtube et la possibilité de jeter un œil dans l’espace de répétition. Un œil dont le cadrage, évidemment, sera resserré… manière d’habituer le spectateur à imaginer le hors-champ, même sur un plateau de danse. i
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Filiamotsa soufflant Rhodes à Musique Action, concert le 5 juin à la salle des fêtes, à Vandœuvre (avec le soutien de L’Autre Canal) www.musiqueaction.com filiamotsasoufflantrhodes.bandcamp.com
Quand le violon rencontre seul la batterie, il y a du psychédélisme dans l’air. Quand Anthony rencontre Émilie, il y a romance. Alors quand le duo Filiamotsa se frotte à d’autres musiciens, d’autres instruments, il y a comme des étincelles.
Filiamotsa s’entiche de Rhodes par cécile becker
Au début de l’histoire, il y a Anthony et Émilie, batteur et violoniste. Le duo Filiamotsa se forme aux détours d’une improvisation à la radio, naît ensuite un rock progressif aux sonorités uniques. Il y a la force de la batterie entraînant le violon dans une lutte fiévreuse et contrairement, la douceur des cordes faisant plier les percussions vers des rythmes entêtants. Sous ces compositions se cachent d’abord une histoire humaine,
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une histoire qu’ils ont voulu enrichir en conviant d’autres passionnés. 2 + 3 = 5, Filiamotsa + 2 instruments à vent et un clavier Rhodes = Filiamotsa soufflant Rhodes. Cette formation est lancée à l’origine pour un seul concert enregistré au festival Musique Action, mais une tournée s’organise et un album est à sortir
en automne. Anthony explique : « C’est un projet éphémère, une sorte d’extension de Filiamotsa, mais il peut durer 6 mois ou 3 ans, l’important reste la portée de cette collaboration. Elle nous ouvre de nouveaux possibles : pour notre nouvel album nous avons désormais envie de faire participer toutes sortes d’instruments. Quelque chose s’est passée entre nous et ces musiciens, entre nous et notre musique. Cet échange a changé notre façon d’interpréter notre musique. Je pense que tous les musiciens devraient pratiquer ce genre de collaboration pour continuer à évoluer. » Antoine Arlot au saxophone, Véronique Mougin au clavier et Youssef Essawabi au trombone, coquillages et flûte peule apportent une nouvelle énergie au duo : sous les traits classiques de leurs instruments se cachent des techniques originales comme ce trombone sous disto. Le résultat se fait entendre sur Zittern, extrait mis en image dans un joli petit teaser. Agrémenté des arrangements des trois musiciens, le morceau créé par Filiamotsa avec Philippe Orivel, révèle toute sa puissance : du krautrock à l’état brut, de la noise dissonante, mais mélodique et fluide. Parallèlement, les deux Filiamotsa continuent leurs explorations individuelles pour mieux se retrouver et faire grandir leur musique, ils recroiseront un jour ou l’autre d’autres musiciens. La prochaine fois, c’est promis, ce sera Steve Shelley, le batteur de Sonic Youth. i
JAKI LIEBEZEIT & BURNT FRIEDMAN, concert le 2 juin à l’Auditorium du MAMCS, à Strasbourg dans le cadre du festival Contre-Temps www.contre-temps.net
Des rythmes sous le sable par emmanuel abela
La 8ème édition du festival Contre-Temps débute avec le concert exceptionnel de Jaki Liebezeit et de Burnt Friedman à l’auditorium du MAMCS. Une manière de placer le célèbre festival de musique electrogroove et cultures urbaines sous le signe de la maestria rythmique.
Dans le dernier film de Tran Anh Hung, Norwegian Wood (La Ballade de l’impossible) d’après le roman autobiographique de Haruki Murakami, il est surprenant de constater que le réalisateur utilise la musique de Can, avec quelques titres choisis parmi lesquels le magnifique Mary Mary So Contrary sur l’album Monster Movie ou le jazzy She Brings The Rain déjà exploité comme bande originale par le passé. Quand on lui pose la question de l’utilisation de ces chansons, le réalisateur répond que Jonny Greenwood, guitariste de Radiohead, lui a suggéré ce son-là, représentatif de la fin des années 60 et du début des années 70 « mais en plus moderne ». Au-delà du fait qu’on soit ravi de découvrir qu’une figure comme Greenwood compte parmi ses groupes préférés la célèbre formation allemande, ce qui se révèle le plus c’est l’étonnante actualité des sons de ces musiciens, et notamment leur inventivité rythmique qui emprunte très tôt et de manière presque anachronique au funk séminal, aux musiques africaines et même au dub. Cela tient naturellement à l’esprit d’aventure du bassiste du groupe, Holger Czuckay, mais aussi et surtout à un batteur d’exception, Jaki Liebezeit. Ce dernier né à Dresde quelques mois avant le début de la Seconde Guerre mondiale, a évolué très tôt dans des formations de freejazz, avant de s’ouvrir au psychédélisme et
à un genre tribal que seules les formations allemandes les plus singulières ont su développer à l’époque. Son style énergique, reconnaissable entre mille, lui a valu d’être gentiment raillé par ses amis au sein de Can, qui s’interrogeaient sur sa condition “mi-homme mi machine”. Quoi qu’il en soit, il résulte de cette expérience quelques aventures rythmiques inouïes, qui se sont prolongées dans des univers encore plus audacieux au côté de Brian Eno mais aussi et surtout au côté d’un autre franc-tireur, Jah Wobble. Avec l’ex bassiste de Public Image Limited, il a signé certaines de ses œuvres les plus remarquables.
L’influence de Jaki Liebezeit s’est fait ressentir tout au long de la période post-punk et continue d’alimenter quelques fantasmes musicaux tenaces, notamment auprès des jeunes artistes les plus avant-gardistes, dont Burnt Friedman. Les 26 années qui séparent les deux hommes ne les empêchent pas de se retrouver, loin de toute catégorisation possible, sur des terrains dub mouvants, à mi chemin entre electronica d’avantgarde, ambiant music et jazz futuriste, à la recherche de secrets rythmiques enfouis. i
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Die Entführung aus dem Serail (L’Enlèvement au Sérail), opéra les 11, 13, 15, 17, 19 et 21 mai, à l’Opéra national du Rhin, à Strasbourg et les 29, 31 mai et 2 juin, au théâtre de la Sinne, à Mulhouse www.operanationaldurhin.eu
L’Orient de l’âme par + Photo : stéphanie linsingh
À l’évocation de Mozart, le visage de Waut Koeken s’illumine. Au détour des couloirs de l’OnR, le jeune metteur en scène de L’Enlèvement au Sérail partage son enthousiasme pour l’œuvre du compositeur autrichien. Un émerveillement immuable et contagieux qui culmine au moment de la présentation en avant-première de la scène.
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Votre première production était La Flûte Enchantée de Mozart. Est-ce votre intérêt pour le compositeur qui vous a mené à la mise en scène de L’Enlèvement au Sérail ? J’ai un amour immense pour Mozart, bien qu’au départ, lorsque je suis tombé en amour pour l’opéra, c’était plutôt Verdi et les romantiques qui m’intéressaient. Je ne connaissais pas très bien Mozart et je crois qu’à l’époque je ne le comprenais pas… Mais je me suis rendu compte plus tard que c’est du théâtre en musique, c’est un autre univers. J’adore Die Entführung aus dem Serail, mais je n’aurais pas choisi cet opéra
moi-même. J’avais un peu peur parce que Mozart est très compliqué. Je doutais et me demandais si j’étais prêt pour cela. C’est Marc Clémeur, le directeur général de l’Opéra national du Rhin, qui m’a convaincu de le faire et j’en suis très heureux. Cela nous a permis de vraiment étudier cette partition. Qu’est-ce qui rend Mozart si particulier, à vos yeux ? Il y a quelque chose d’universel dans l’œuvre de Mozart… Par exemple, le texte utilisé pour le livret de L’Enlèvement au Sérail a été utilisé par d’autres compositeurs à l’époque, quatre ou cinq fois, et mis en musique. On ne connaît plus ni ces compositeurs, ni ces œuvres, parce que l’histoire est assez conventionnelle pour l’époque, mais Mozart l’a traité d’une manière inventive, à la fois extrêmement directe et sincère, sans artifice… Puis, il y a une profondeur qui transcende les paroles d’une manière incroyable. À chaque répétition, je peux découvrir de nouvelles choses que je n’avais jamais entendues auparavant. C’est fabuleux. Dans L’Enlèvement, on retrouve les thèmes intemporels et universels que sont l’amour, la mort, la clémence et la fidélité. Oui, en réalité, l’intrigue se déroule à n’importe quelle époque et partout. On a beaucoup réf léchi à une clef d’interprétation pour traiter l’Orient. Selon moi, le choc des civilisations ou la situation politique en Turquie n’étaient pas les thèmes principaux de cette œuvre. J’ai vraiment ressenti que, pour Mozart, cet Orient n’était presque qu’un prétexte pour pouvoir raconter sa propre histoire. Il ne met pas l’accent sur ce qu’il se passe, il se concentre sur les émotions et tente de pénétrer l’esprit des personnages. C’est presque comme si l’action était reléguée au second plan. Au XVIIIe siècle, il existait une réelle fascination, sinon une obsession, pour l’Orient. Ce thème était extrêmement populaire dans tous les arts, mais à l’époque, c’était un monde imaginaire. Les Occidentaux ne connaissaient pas directement ce monde. Il s’agissait donc toujours d’un endroit imaginaire de sensualité, de chaleur et d’étrangeté, qui permettait aux artistes de raconter une histoire et de créer une sorte de miroir de notre société.
D’où les miroirs dans la mise en scène ! Exactement, mais j’espère que c’est assez subtil, on n’a pas voulu que cela soit le thème principal de l’esthétique. Ils nous permettent de traiter l’Orient comme une métaphore poétique, ils représentent le miroir de notre monde occidental, mais aussi la dualité des personnages. Il y a plusieurs instants où les amants sont face à face, et où ils se demandent d’une part s’ils sont des étrangers pour eux-mêmes, et d’autre part si l’autre est un étranger. Ce thème de l’étranger se retrouve partout dans cet ouvrage et il ne s’agit pas seulement d’un contraste entre l’Orient et l’Occident. On essaie de montrer des amants qui sont désorientés, qui errent dans une sorte de labyrinthe intérieur, un labyrinthe de l’âme. Du coup, comment réussissez-vous à suggérer l’Orient, que vous aviez déjà présenté dans Aladin la saison passée, sans tomber dans la caricature ? C’était notre challenge. Nous ne trouvions pas intéressant de présenter l’Orient comme une sorte de conte de fée naïf ou de faire une sorte d’analyse en termes politiques et culturels de la confrontation entre Occident et Orient. Je n’ai pas trouvé assez de motivation dans les textes ou dans la musique… Cette musique turque de Mozart était d’ailleurs inspirée par Gluck, et non par les vrais musiciens turcs. On a parfois l’impression que ce sont des citations. On trouve la musique turque dans l’ouverture et dans quelques scènes avec Osmin, mais pour le reste, il s’agit bien de Mozart. Ce qu’il fait et qui le rend révolutionnaire, c’est qu’il crée une réelle dramaturgie musicale intérieure. C’est presque un théâtre interne. On a donc essayé de trouver un concept qui présente l’Orient comme une sorte de fantasme. Le décor a un point de départ assez concret : on part de l’intimité d’une chambre, qui va par la suite se diluer dans la fantaisie. Il y a quelque chose de menaçant là-dedans. À partir de ce point de départ, le décor va, en utilisant les mêmes éléments, devenir de plus en plus poétique, afin de laisser respirer la musique et de permettre au public de vraiment se concentrer, non sur un contexte pseudo arabe, mais sur les émotions. Il s’agit surtout des émotions de Konstanze, qui vit une vraie bataille intérieure, quand elle découvre qu’elle est en réalité amoureuse de deux hommes en même temps – pour l’époque, je pense que c’était assez révolutionnaire de montrer quelque chose comme cela et d’en faire une analyse profonde, comme l’a fait Mozart. On a essayé de créer un Orient avec des éléments occidentaux du XVIIIe siècle, tel un monde où on ne distinguerait plus rêve et réalité.i
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10e édition
26 / 29 mai 2011
Espace Cours
Epinal
Salon du livre Café littéraire
illustration Hervé LEBLAN - RC EPINAL B 340 995 323 00011
Expositions
w w w .imagin ale s.fr
médiapop + star★light
Daniel KNORR, Scherben bringen Glück — 2008
Photo : Daniel KNORR
MÖJE F! EF!OBUVSF 21.04 J 22.05.2011 Dove ALLOUCHE ¦ Lara ALMARCEGUI ¦ Erik AVERT ¦ David BOENO ¦ Lee FRIEDLÄNDER Luigi GHIRRI ¦ Laurie GRAWEY ¦ Wiebke GRÖSCH / Frank METZGER ¦ Daniel KNORR Bernard MONINOT ¦ Elodie PONG ¦ Thiago ROCHA PITTA ¦ Pia RÖNICKE ¦ Roman SIGNER ¦ Eve SIMON ¦ Gerda STEINER & Jörg LENZLINGER ¦ Cy TWOMBLY
Tél. +33 (0)3 69 77 66 47 ¦ kunsthalle@mulhouse.fr www.kunsthallemulhouse.com
audioselecta
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THE STROKES ANGLES - RCA
Après leurs trois premiers albums, véritables torpilles rock, The Strokes nous présentent leur nouvel effort, Angles. Un puzzle participatif dans lequel Casablancas a calé sa voix sur les enregistrements postprod de ses musiciens, méthode qui n’a pas fait l’unanimité. L’opus aux accents new wave nous réserve tout de même de bien jolies réussites : Two Kind Of Happiness, chanson euphorisante de l’album au feeling retro et aux break électrisants, Gratisfaction, un morceau qui révèle une forme d’écriture nouvelle, et Taken For A Fool, parfaite synthèse des chansons de leurs deux premiers disques. Ça part un peu dans tous les sens, mais ça soulève un constat : dans le genre, on ne fait pas mieux. (G.A.) i
JOSH T. PEARSON LAST OF THE COUNTRY GENTLEMEN MUTE
Un chef d’œuvre absolu en 2001 avec le trio Lift To Experience, un nouveau chef d’œuvre en 2011 sous son propre nom, sans le vouloir Josh T. Pearson construit sa propre légende. Il y a 10 ans, en visionnaire sonique, ce Texan magnifique nous annonçait le chaos de la décennie à venir ; là, il nous formule, après une séparation douloureuse, une rédemption possible et surtout nous invite à retourner aux valeurs sentimentales premières : le monde ne peut être sauvé, son couple n’a pu être sauvé, mais dans toute la plénitude du désarroi l’idée de l’amour peut être sauvée. 2001, 2011, Josh T. Pearson, une prophétie par décennie, vivement 2021 ! (E.A.) i
CONNAN MOCKASIN FOREVER DOLPHIN LOVE – BECAUSE
On suivait les pérégrination cet étrange artiste néo-zélandais de manière très éloignée, notamment au côté de Liam Finn ou au sein des confidentiels Mockasins. Mais il a suffi du single It’s Choade my Dear pour nous attacher définitivement à l’univers foutraque de ce blondinet qui renoue avec la tradition psychédélique de son pays, celle de Chris Knox et des Tall Dwarves. Et là, ironie du sort, le monde s’empare du phénomène, comme si Connan Mockasin répondait aux attentes les plus délirantes du moment : on assiste donc à la rencontre d’un artiste et de son époque, c’est assez rare, mais c’est beau. (E.A.) i
ABOUT GROUP START & COMPLETE – DOMINO
Quand l’un des tenants de la nouvelle vague britannique, Alexis Taylor, chanteur de Hot Chip rencontre des figures du jazz d’avantgarde, Charles Hayward, l’ex-batteur de This Heat et Camberwell Now, Pat Thomas, side-man de Derek Bailey, et John Coxon de Spring Heel Jack, la magnifique formation de jazz électronique, le résultat ne peut être qu’audacieux. Autant le dire sans détour : il n’y a rien d’équivalent, dans cette approche mid-70’s d’un groove blanc délectable. Entre courtes plages et longues chansons jazz, dont les thèmes sont admirablement soulignés au clavier, le quartette étonne par sa capacité à transcender les genres. Alors, la naissance d’un super groupe ? Non, juste About Group. (E.A.) i
RADIOHEAD The King Of Limbs – Ticker Tape Ltd.
Le génie malicieux de Radiohead s’est à nouveau manifesté avec la sortie fin février d’un album surprise. The King of Limbs déploie en 37 minutes huit chansons qui font la synthèse de tout ce qu’on a aimé chez les prodiges d’Oxford. À l’influence jazz du premier morceau, s’ajoute le souvenir des compositions de Thom Yorke en solo, complexes et imbriquées, entêtantes. Feral, comme une rupture après les guitares acoustiques de Little By Little, rappelle le diptyque Kid A/Amnesiac et amorce le premier single : Lotus Flower. S’en suivent les derniers titres, aux mélodies plus célestes et à l’obscure clarté. L’ensemble en fait un disque rythmé, hypnotique et étrangement gracieux, à l’image du chêne millénaire auquel le titre fait référence. (S.L.) i
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lecturaselecta
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The Black Herald, n°1 Black Herald Press
Lire The Black Herald, nouvelle venue dans le petit monde des revues littéraires, c’est un peu ouvrir une grande fenêtre sur le monde et se laisser pénétrer par sa richesse. Sous l’impulsion de Paul Stubbs (poète) et de Blandine Longre (traductrice et poète), sont réunis ici des textes d’horizons, de styles et de contenus très différents mais liés entre eux par l’amour de la littérature et de la poésie. L’originalité de la revue tient surtout à la place qu’y occupe la traduction (de l’anglais, de l’allemand, du russe, du néerlandais, du roumain, du portugais), la plupart des textes étant présentés dans deux langues. Belle réussite, ce premier numéro du Black Herald bouscule joyeusement les frontières (tout comme le lecteur) et donne ainsi tout son sens au terme de « passeur ». (C.S.) i
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Opération massacre De Rodolfo Walsh
Les bonnes nouvelles de l’Amérique latine
Christian Bourgois
Gallimard
Le 9 juin 1956, les autorités argentines répriment une tentative de putsch. L’ordre est également donné d’exécuter une douzaine de civils sans liens avec les putschistes. Seuls quelques hommes survivront au massacre, mais à quel prix ? Apprenant la nouvelle, Walsh mène l’enquête, minutieux, précis, implacable et démontre l’implication des plus hauts dirigeants, la barbarie des exécutants. À la croisée des genres littéraire et journalistique, Walsh livre un plaidoyer bouleversant, rappelant au péril de sa vie que la vérité, la justice et la liberté impliquent un combat permanent. Une terrible leçon pour ceux, journalistes notamment, qui rient avec les puissants et suivent la direction du vent. (C.S.) i
Une pérégrination à travers l’Amérique latine en trente-deux nouvelles, c’est ce que propose cette anthologie qui est à la fois un portrait de cette région du monde particulièrement riche du point de vue de la création littéraire et un tour d’horizon des auteurs hispanophones contemporains. Passant des fantômes de l’histoire récente qui hantent toujours les mémoires aux interrogations sur l’identité, les relations amoureuses, la violence familiale et sociale, sans oublier bien évidemment les impasses politiques et les aberrations économiques, ce sont toutes les préoccupations les plus brûlantes de cette génération d’écrivains nés après 1960 qui font l’objet de ce vaste panorama. (C.S.) i
RÉ pon nou
De Manu Larcenet
Charles-Mézence Briseul
L’Apocalypse selon saint Jacky
Blast (2)
le Corridor Bleu
Dargaud
Quand un éditeur de poésie s’installe sur l’île de La Réunion, et qu’en plus, il se lance dans la plongée sous-marine, cela donne Ré Pon Nou, une magnifique revue de poésie qui fait la part belle aux photos (sous-marines, bien sûr) et à de jolies rencontres entre les cultures. Ré comme Réunion, Pon comme Japon et Nou comme Nouméa : une revue qui fait danser les dieux avec l’aide de prophètes établis au Japon comme Pierre Vinclair, Briseul sur son île solitaire, ou le diable mélanésien Sem-Sem. « Distance se creuse », comme le dit si bien le poète Philippe Fumery. (G.W.) i
Buveur compulsif, autodestructeur, obèse, Polza Mancini poursuit le récit de son errance maladive aux deux flics qui l’interrogent : est-il un fou meurtrier ou une épave de la vie ? À force de temps, de dessins amples renouvelés dans cette plongée très graphique en noir et blanc, Manu Larcenet renforce l’ambiguïté et la démesure de son personnage. Comme Polza, le lecteur assume de plein fouet les uppercuts narratifs, balance entre commisération et dégout. Antihéros néo-punk, addict du « blast » (hallucinations) sous l’emprise de drogues multiples, Mancini n’a pas fini de nous hanter. (O.B.) i
E X P O S I T I O N s c u lp t u r e p eintu r e p h otogr a p h i e
UNE VUE D’URBANITÉ CG/67/001
laurent keiff ruff winz dorner
Photo : J.B. DORNER.
P. f. R. n. B.
DU 11 AU 31 MAI 2011 HÔTEL DU DÉPARTEMENT PLACE DU QUARTIER BLANC À STRASBOURG Du lundi au vendredi de 10h à 18h, le week-end de 14h à 18h.