nUMÉRO 20
06.2012
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sommaire NUMÉRO 20 06.2012
Directeurs de la publication et de la rédaction : Bruno Chibane & Philippe Schweyer Rédacteur en chef : Emmanuel Abela emmanuel.abela@mots-et-sons.com u 06 86 17 20 40 Direction artistique et graphisme : starHlight Ont participé à ce numéro :
Édito
05
Le monde est un seul / 19, par Christophe Fourvel 07 Pas d’amour sans cinéma / 10, par Catherine Bizern 09 Le temps des héros / 2, par Baptiste Cogitore 11
REDACTEURS
Cécile Becker, Anne Berger, E.P Blondeau, Olivier Bombarda, Benjamin Bottemer, Caroline Châtelet, Sylvia Dubost, Nathalie Eberhardt, Xavier Hug, Kim, Mickaël Labbé, Louise Laclautre, Nicolas Léger, Stéphanie Linsingh, Guillaume Malvoisin, Stéphanie Munier, Adeline Pasteur, Nicolas Querci, Marcel Ramirez, Christophe Sedierta, Fabien Texier, Claire Tourdot. PHOTOGRAPHES
Vincent Arbelet, Janine Bächle, Pascal Bastien, Jef Bonifacino, Caroline Cutaia, Stéphane Louis, Marianne Maric, Renaud Monfourny, Elisa Murcia-Artengo, Yves Petit, Olivier Roller, Dorian Rollin, Sandrine Rummelhardt, Christophe Urbain, Nicolas Waltefaugle, Sophie Yerly. CONTRIBUTEURS
Bearboz, Thomas Berlin, Catherine Bizern, Ludmilla Cerveny, Noël Claude, Baptiste Cogitore, Chloé Fournier, Christophe Fourvel, Nicolas Lefebvre, Thierry Perraut, Julien Rubiloni, Chloé Tercé, Vincent Vanoli, Fabien Vélasquez, Sandrine Wymann. COUVERTURE
Portrait de Thomas Schoeffler Jr par Eric Antoine (Ambrotype réalisé avec une chambre photographique 30x30 cm de 1855 environ) www.ericantoinephoto.com www.myspace.com/thomasschoefflerjr Retrouvez entretiens, photos et extensions audio et vidéo sur les sites Novomag.fr, facebook.com/Novo, plan-neuf.com, mots-et-sons.com et flux4.eu Ce magazine est édité par Chic Médias & médiapop
Chic Médias u 12 rue des Poules / 67000 Strasbourg Sarl au capital de 12500 euros u Siret 509 169 280 00013 Direction : Bruno Chibane u bchibane@chicmedias.com 06 08 07 99 45 Administration, gestion : Charles Combanaire médiapop u 12 quai d’Isly / 68100 Mulhouse Sarl au capital de 1000 euros u Siret 507 961 001 00017 Direction : Philippe Schweyer u ps@mediapop.fr 06 22 44 68 67 – www.mediapop.fr IMPRIMEUR
Estimprim ~ PubliVal Conseils Dépôt légal : juin 2012 ISSN : 1969-9514 u © Novo 2012 Le contenu des articles n’engage que leurs auteurs. Les manuscrits et documents publiés ne sont pas renvoyés. ABONNEMENT www.Novomag.fr
Novo est gratuit, mais vous pouvez vous abonner pour le recevoir où vous voulez. ABONNEMENT France
6 numéros u 40 euros 12 numéros u 70 euros
Focus L’actu culturelle du Grand Est à vive allure 14 La sélection des spectacles, festivals, expositions et inaugurations à ne pas manquer Une balade d’art contemporain par Bearboz et Sandrine Wymann : retour sur un événement autour de l’art-performance-langue 38
Rencontres Balthazar, le groupe belge qui combine vertus mélodiques et groove à la Laiterie à Strasbourg Roots Manuva, le jeune loup du hip-hop à L’Autre Canal à Nancy 41 Grimes transpire la force et la fragilité à la Laiterie à Strasbourg 42 Porcelain Raft une canette à la main à la Laiterie à Strasbourg 44 And Also The trees sans redite ni nostalgie au festival Kill your pop à Dijon 46 Christophe Miossec parle de ses carburants et de son amour pour Chet Baker sur la terrasse panoramique de la Rodia à Besançon 48 Michel Houellebecq nous livre ses toutes premières impressions au sortir de l’exposition adaptée de son dernier roman au Consortium à Dijon 50 Dan Fante traverse l’Atlantique à l’invitation de la librairie CampoNovo à Besançon 54 Jonathan Couette rencontre la plus gentille des journalistes au cinéma Star à Strasbourg 56 Jeff Koons crée l’événement à la Fondation Beyeler à deux pas de Bâle 58 Adel Abdessemed expose quatre Christ en fil de fer barbelé au musée d’Unterlinden à Colmar
DIFFUSION
Vous souhaitez diffuser Novo auprès de votre public ? 1 carton de 25 numéros u 25 euros 1 carton de 50 numéros u 40 euros Envoyez votre règlement en chèque à l’ordre de médiapop ou de Chic Médias (voir adresses ci-dessus). Novo est diffusé gratuitement dans les musées, centres d’art, galeries, théâtres, salles de spectacles, salles de concerts, cinémas d’art et essai, bibliothèques et librairies des principales villes du Grand Est.
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Magazine À la tête de Rock & Folk, Philippe Paringaux a initié la critique rock en France 62 Rodolphe Burger revisite le Velvet et Iggy Pop se pointe avec les Stooges à Colmar 66 La programmation des Eurockéennes de Belfort en toute subjectivité 68 L’Orchestre des jeunes musiciens de la métropole Rhin-Rhône en concert cet été 70 Cinquième édition de Premiers Actes, festival désormais indispensable 72 La Mousson d’été privilégie les rencontres pour dépasser le statut de festival d’art dramatique 76 Le Frac Franche-Comté et sa directrice Sylvie Zavatta se préparent à emménager dans la Cité des arts et de la culture de Besançon 78 Le Centre Internationnal d’Art Verrier de Meisenthal fête ses vingt ans 80 Les éditions Tristram publient le troisième volume des Gonzo papers de Hunter S.Thompson 82 Rodéo d’âme s’ouvre à l’édition en donnant voix à la jeune écriture contemporaine 84 Avec Saison Brune, Philippe Squarzoni s’inquiète du réchauffement climatique en bande dessinée 86
Selecta Disques
88
/ Livres
90
/ DVD
92
ABONNEMENT hors France
6 numéros u 50 euros 12 numéros u 90 euros
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Les carnets de Novo Copains d’Avant / 2, par Chloé Tercé / Atelier 25 94 Movies to learn and sing / 4, par Vincent Vanoli et Fabien Texier Bicéphale / 10, par Julien Rubiloni et Ludmilla Cerveny 98 Le Veilleur de Belfort n°275, par Thierry Perraut 98
96
3
Jeff Koons, Balloon Dog (Red), 1994–2000, European Private Collection, © Jeff Koons Studio, New York
JEFF KOONS 13. 5. – 2. 9. 2012 FONDATION BEYELER BASEL
www.fondationbeyeler.ch
édito pAR philippe schweyer
Le bout du monde
C’était le début de l’été. L’autoroute surchauffée était saturée de voitures de tourisme et de camions de marchandises. En transit pour un monde meilleur, des milliers de réfugiés invisibles* grelottaient au fond des camions frigorifiques qui filaient vers le nord. Dieu seul savait combien ils étaient. Je me suis arrêté à la station service pour faire le plein. Un parfum d’hydrocarbures flottait dans l’air brûlant. Une femme s’est approchée, les yeux mouillés. Avec la chaleur, ils ne tarderaient pas à sécher. Elle venait de quitter l’homme qui avait gâché les plus belles années de sa vie. C’était le moment ou jamais de changer d’air, d’envoyer tout valser, de recommencer à zéro. Elle était si confuse que l’espace d’un instant je me suis cru dans un film. Pourquoi tout ce cinéma s’il n’y avait pas de caméra ? Elle voulait s’enfuir. Moi aussi je rêvais d’échapper aux griffes du quotidien. Dans un road-movie, tout serait allé beaucoup plus vite, mais là, je n’avais même pas encore commencé à me servir en gas-oil.
* Lire le récit de la journaliste Haydée Sabéran : Ceux qui passent, Carnets nord / Montparnasse.
– Je voudrais aller au bout du monde. J’ai hoché la tête en introduisant le pistolet dans l’embouchure du réservoir. Au cinéma le bout du monde était envisageable, mais dans la vraie vie le bout du monde n’existait pas. – Vous êtes au bout du rouleau… – Qu’est-ce que vous en savez ? Toute cette haine… ce malheur… cette injustice… On dirait que tout va s’effondrer et ça me rend malade… Emmenez-moi ! – Nous sommes tous à bout de nerfs, ça saute aux yeux… – Est-ce une raison pour rester-là sans bouger ? Allons vers le sud. – Je ne peux pas, je suis à bout de souffle moi aussi… Je suis allé payer. En ressortant de la station, j’ai eu le temps de l’apercevoir qui montait à bord d’une grosse voiture grise. Maintenant qu’elle n’était plus là, je regrettais sa présence. J’ai démarré en trombe pour la rattraper. J’avais une boule dans le ventre et de l’adrénaline plein la tête. C’était comme si le monde entier fuyait. En arrivant à la hauteur de la grosse voiture grise, j’ai eu un pincement au cœur. Si j’avais été au cinéma, je l’aurais obligé à s’arrêter sur la bande d’arrêt d’urgence pour tout recommencer. Mais dans la vraie vie, il était temps de penser à autre chose. Le bout du monde n’existait pas.
5
Le monde est un seul n°- 19 Par Christophe Fourvel
Le devenir de nos vies insatisfaites Même les chiens (1), le dernier roman de l’auteur anglais Jon McGregor, commence avec la découverte du corps inerte d’un homme dénommé Robert, dans un taudis du nord de l’Angleterre. Ce livre dure le temps que l’on accorde aux cadavres et s’achève après l’incinération du corps flasque de cet homme perclus, devenu, pendant les dernières décennies de son existence, un simple contenant pour la bière, les chips, le renoncement à tout ce qui fait la vie. Entre ces deux moments terminaux, le roman s’attarde sur les jours d’avant le décès, fouille l’alentour de la vie de Robert et y débusque des existences esquintées, soumises aux crises quotidiennes de manque, aux vomissements, aux diarrhées et aux caprices de veines qui n’en peuvent plus des aiguilles. Le titre, Même les chiens, résonne comme une phrase interrompue, une colère triste demeurée en nous et impuissante à égrainer la quantité de sentiments que des vies démesurément ratées nous inspirent. Alors, tout au long des 276 pages de ce roman, Jon McGregor s’applique à offrir à Robert cette place privilégiée ultime, qui fait de lui, « un centre d’intérêt » ou, à défaut, l’objet d’une enquête : pourquoi et de quoi, Robert est-il mort ? Et cette vérité sur la mort d’un homme nous ramène brutalement à une évidence : il est des histoires ordinaires où l’on meurt vraiment à cause de broutilles. Les vies pèsent si peu qu’il suffit d’une circonstance malheureuse, d’un oubli, pour que les cœurs fatigués s’arrêtent, dans le silence ahurissant que nous leur ménageons. Car là est bien la force de ce livre dense, ambitieux, littéraire en diable : celle de mettre en lumière notre tonne d’indifférence par une tonne de mots. On ne sait plus parfois qui parle, qui s’agite pour trouver sa came parce que l’on s’en fout. Ce que l’on entend gémir dans cette nuit noire est le corps collectif qu’un quotidien
— CARNETS DE Novo —
gangrène sans discernement. La prose de Jon McGregor, parce qu’elle se veut virtuose au moins autant que dénonciatrice, s’applique à ourler des harmonies sur ce tintamarre misérable. Elle fait entendre la musique de chacune des vies vacillantes qui ainsi, trouvent la force de se sublimer une dernière fois. N’importe quel être humain est encore capable d’une performance éblouissante avec l’indigence d’un corps usé et les quelques mots qu’il possède, si seulement il se trouve quelqu’un pour le regarder vraiment. Même les chiens montre Robert sans en analyser ou en disséquer la vie. Mais il montre à merveille. Il est plein de la patience minimale qu’il faut aux hommes pour saisir ce que furent d’autres hommes. Une même préoccupation habite le film de Joachim Trier, Oslo, 31 août (2). Anders le personnage de ce drame d’un jour n’est pas Robert. Lui est un jeune homme cultivé, brillant, qui va bientôt terminer sa cure de désintoxication. Il passe 24 heures en dehors de l’établissement où il se soigne. Et pendant ces 24 heures, dans une capitale norvégienne comme obnubilée par l’ennui des fins d’été, il semble formuler en permanence la question de sa survie : « Ai-je encore assez de ferveur en moi pour continuer à vivre ? » L’acteur, Anders Danielsen Lie, exhale une présence d’abord discrète puis intense tandis que le film s’épanouit dans une lenteur attentive et un souci hautement littéraire. Il est plein de cette vérité à vif qui résonne dans le livre de McGregor et qui s’y épelle comme une phrase d’à peine quatre mots : nos vies sont fragiles. Mais ils sont l’enseigne de nos nuits insomniaques, insatisfaites, silencieuses. Car comme la vie de Robert, celle d’Anders est liée à la justesse d’une phrase qui lui sera dite, une promesse ou un voile possiblement levé sur son horizon. Nos vies dépendent de l’attention que les autres y portent ; d’un geste, d’une ponctualité, d’une écoute suffisamment grande pour qu’il en affleure un signe. Sans ce signe, il n’y a pas de lendemain. Même les chiens le savent. Voilà l’optimisme, la vitalité contenu dans l’écrin intensément noir de ces deux beaux objets. 1 - Christian Bourgois éditeur, 18 € 2 - Sorti sur les écrans le 29 février 2012
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Friday 29.06.2012
Tickets: 10 € presale / 15 € doors www.philharmonie.lu, (+352) 26 32 26 32 Luxembourgticket.lu, (+352) 47 08 95-1
21:00 Opening* 22:00 Patrick (Clubzone.lu) 23:30 Afrika Bambaataa 01:30 Kenny Dope 03:30 Double P (Clubzone.lu) 05:00 End
Philharmonie Luxembourg 1, Place de l’Europe L-1499 Luxembourg * Les DJs de la région et le public sont invités à participer au concours digital des DJs: le DJ d’ouverture à 21:00 sera sélectionné sur un choix des meilleurs mixages (envoi de MP3 – maximum 10 Mo à event@lessentiel.lu du 22.05. au 03.06.2012 à minuit). Votes du 05.06.2012 à midi jusqu’au 13.06.2012 à midi sur www.lessentiel.lu (en partenariat avec L’Essentiel & Eldoradio). * Die DJs der Region und das Publikum sind eingeladen, sich am Online-Wettbewerb für die Auswahl des besten Mixes für das Opening um 21:00 Uhr zu beteiligen. Einsendung von MP3-Files (max. 10 MB) per Email an event@lessentiel.lu vom 22.05. bis zum 06.06.2012 um Mitternacht. Voting zwischen 05.06. und 13.06.2012 mittags auf www.lessentiel.lu (in Kooperation mit L’Essentiel & Eldoradio).
Pas d’amour sans cinéma n°- 10 Par Catherine Bizern
Gertrud de Dreyer (1964)
Modèle (3) « Toi je ne t’aime pas parce que tu es trop fière, pas une fierté de grande dame, non pire, bien pire, c’est ton âme qui est fière ». Il faut bien le penser : ce jeune compositeur dont Gertrud a choisi de tomber amoureuse n’est qu’un minable petit coq. Sa passion, sa jeunesse, son talent, tout ce qui sans doute la fit l’aimer, recouvrait une petitesse toute bourgeoise : il se mariera avec une jeune femme pure et obéissante, « une femme qui m’appartient » dit-il avec satisfaction. Mais il rejette celle qui entend pouvoir dire « je t’appartiens », celle qui ose aimer au-delà de toute bienséance, au risque de tout perdre… et qui sait, qu’à part l’amour, il n’y a rien à perdre. Ne reniant rien, acceptant son leurre, elle dira à celui-là « je t’aime mais je pars » ! Gertrud choisit l’amour même lorsque c’est de la folie. Elle n’est rien pour lui, elle le sait, aimer de toute façon est une souffrance, elle l’a déjà vécu. Son amant, cet amant avec lequel la femme en elle s’était épanouie, considérait finalement son amour comme incompatible avec son travail. Lorsqu’elle le découvrit – un dessin, quelques mots, sur un bout de papier laissé sur le bureau - ce fut une immense douleur… Ainsi, s’était lassé celui qui l’avait faite femme, qui lui avait appris à fuir ceux qui dédaignent l’amour, ceux qui le méprisent. Ils partageaient les plaisirs de la chair, joyeusement sans doute, mais lui-même semblait ne pas franchir l’obstacle d’aimer, d’être aimé. Soudain cette histoire d’amour était transformée en un vulgaire attachement, devenait un empêchement, un vrai fardeau. Pour Gertrud, il n’y avait donc plus rien à faire que de s’en arracher littéralement. Une exigence sans concession jusqu’à se briser le cœur. « Je t’aime, mais je pars » ! La fierté de l’âme s’accompagne de son irrémédiable solitude.
— CARNETS DE Novo —
Ce même amant reviendra. Il est plus âgé, il a mûri, il n’a jamais cessé d’aimer Gertrud et ne supporte pas qu’elle se soit donnée, comme en toute inconséquence, à ce jeune compositeur qui la traine dans la boue. Il voudrait qu’elle lui dise comme autrefois « je t’appartiens » ; elle dit « j’ai besoin d’un amant passionné » lui rappelant cette vérité soudain cruelle : combien elle avait appris de lui. Elle dit aussi, libre « je veux me trouver ». « Dans la vie une seule chose importe, aimer et rien d’autre » dit-elle aussi… Une phrase à brandir comme une bannière, à laquelle on s’accroche comme à une bouée, qui semble parfois m’attacher comme à un piquet. Selon le propre état de mon âme, « Gertrud » est comme un avertissement, comme une menace. Et parfois, se révèle aussi comme une consolation… Le miroir offert par son amant à Gertrud dans sa jeunesse - afin qu’elle puisse y voir quelque chose de beau en se réveillant – semble m’être aussi tendu à moi-même. L’amour est une souffrance, l’amour est une solitude, mais l’amour est aussi une liberté. Bien entendu, à la fin de sa vie Gertrud est seule. Elle s’est retirée loin de la ville, de ses amis, du monde. Elle assume son choix, elle décline l’ultime invitation à une amitié amoureuse d’un vieux compagnon, une dernière fois encore fidèle à son aspiration d’amour total… Et son visage vieilli mais toujours illuminé, rayonnant de sérénité, qui ne porte aucune trace de regret, de rancœur ou d’amertume, ce visage sublime de Nina Pens Rode, est une espérance. Alors, avec elle, en toute confiance, je peux dire « l’amour est tout ».
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Les 12 & 13 juillet
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au festival Les Zaccros d’ma rue à Nevers (58)
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Photo : Underclouds Compagnie - Julien Ehrhardt © Walissimé / Conseil régional de Bourgogne - 2012
au festival Chalon dans la rue à Chalon-sur-Saône (71)
Le temps des héros n°- 2 Par Baptiste Cogitore
L’ambiguë poétique de la frontière « Toute littérature est assaut contre la frontière », écrivait Franz Kafka dans son Journal. Dans Aux frontières de l’Europe, l’écrivain et journaliste italien Paolo Rumiz raconte sa longue déambulation aux confins orientaux du continent, de Mourmansk au Péloponnèse. Par amour de l’inconnu ou par le désir de transgression auquel elle invite, « la frontière est la garantie que ce qu’il y a de l’autre côté est toujours différent », expliquait Rumiz à Libération, en avril 2011. « L’Europe a besoin de frontières » disait dans un tout autre style un président désormais déchu, dans une vidéo à la musique haletante où défilent des images d’immigrés qu’on suppose aisément clandestins. Il y stigmatisait « l’Europe passoire », réceptacle de tous les traîne-misère : les frontières de l’Union serviraient donc d’abord à protéger « notre civilisation »... Deux visions incroyablement différentes de la frontière : invite poétique au voyage vers l’inconnu pour les uns, mythique rempart contre l’étranger – et en lui l’envahisseur qu’on soupçonne – pour les autres.
— CARNETS DE Novo —
En France, Julien Gracq est sans doute le meilleur représentant de la « littérature de la frontière » : ses héros s’y trouvent souvent cantonnés. Dans Lettrines, l’écrivain – par ailleurs géographe – décrivait ses personnages par cette « fiche signalétique » : Lieu de naissance : non précisé. Date de naissance : inconnue. Nationalité : frontalière. Que veut dire vivre en frontalier ? Se sentir attiré par l’inconnu et le lointain, ou protéger son identité en excluant ceux qui affichent trop visiblement leur singularité ? Les héros gracquiens se trouvent toujours à cheval sur deux zones, tout autant mentales que géographiques. Pris dans les mailles de l’Histoire, des rivalités de nations (même imaginaires), ils se laissent atteindre par cet état de grâce somnambulique, qui consiste à attendre que l’inconnu surgisse de l’au-delà. Dans Le Rivage des Syrtes, Aldo est affecté à une forteresse au bord de la mer qui sépare la République d’Orsenna du Farghestan ennemi. Sa fascination pour cet ennemi héréditaire, en guerre latente depuis des années, le pousse à une ultime transgression. L’aspirant Grange, du Balcon en forêt, est lui aussi cantonné dans une casemate près de la frontière belge, où il passe la « drôle de guerre » dans une rêverie poétique, en attendant l’ennemi qui ne vient pas. Mais si la frontière est un lieu de transit, de passage et d’attente, elle peut aussi devenir destination : Tawan Arun et Joris Rühl ont réalisé un web-documentaire sensible, paru fin avril. Dans Portraits de frontières, une quinzaine de frontaliers rencontrés de part et d’autres des frontières de l’Union européenne évoquent leur quotidien, qui oscille entre Pologne, Biélorussie, Ukraine, Finlande, Russie, Grèce, Bulgarie et Turquie. Loin de la poésie des lointains, cette ligne rouge entre l’Est et l’Ouest révèle la violence coutumière aux portes de l’Union : les centres de rétention ne sont jamais loin des nouveaux rideaux de fer. À lire / à voir : Paolo Rumiz, Aux frontières de l’Europe, Hoëbeke, 2011 Julien Gracq, Le Rivage des Syrtes (1951), Un Balcon en forêt (1958), José Corti Tawan Arun et Joris Rühl, Portraits de frontières (2012), http://portraits.tv5monde.com
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WWW.FESTIVAL-METEO.FR
© MATHIOLE | WWW.MATHIOLE.COM
BP 1335/ F-68056 MULHOUSE CEDEX +33 (0)3 89 45 36 67 INFO@FESTIVAL-METEO.FR WWW.FESTIVAL-METEO.FR
ANTHONY PATERAS / AXEL DÖRNER / BERTRAND DENZLER / CLAYTON THOMAS / ETENESH WASSIÉ / EVE RISSER / GUNDA GOTTSCHALK / HAMID DRAKE / HAVARD WIIK / INGEBRIGT HAKER-FLATEN / ISABELLE DUTHOIT / JACQUES DI DONATO / JEAN-SÉBASTIEN MARIAGE / JÉRÔME NOETINGER / JOËL GRIP / JOHANNES BAUER / JOHN EDWARDS / JOHN TILBURY / KAMILYA JUBRAN / KAI FAGASCHINSKI / KEN VANDERMARK / LASSE MARHAUG / MAGNUS BROO / MATTHIEU SOURISSEAU / MICHAEL THIEKE / MICHEL RAJI / NATASHA ANDERSON / PAAL NILSSEN-LOVE / PAED CONCA / PETER JACQUEMYN / SARAH MURCIA / SÉBASTIEN COSTE / SHADI FATHI / SOPHIE AGNEL / STEVE NOBLE / SVEN-ÅKE JOHANSSON / THOMAS LEHN / THOMAS TILLY / WILL GUTHRIE / YUKO OSHIMA / PIERRE-ANTOINE BADAROUX / RAED YASSIN / NICOLAS NAGEOTTE / MARION BRIZEMUR / KATHY FALLER / JORIS RÜHL / ANTONIN GERBAL / CATHERINE DE BROUCKER / CHRISTINE KRAUZ / FLORENT PUJUILA / FREDRIK LJUNGKVIST / PETER BRÖTZMANN
ILLUSTRATION
FESTIVAL MÉTÉO
MULHOUSE MUSIC FESTIVAL 21-25.08.2012
DU
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5E FESTIVAL
P�EMIE�S ACTES MULHOUSE & CAMPAGNE WWW.PREMIERS-ACTES.EU +33 (0)3 89 77 82 72
Ville de Munster
Conception : médiapop + star★light
JEUNE THÉÂTRE EN HAUTE-ALSACE
focus
1 ~ SIMON EVANS Alliant dessins et fragments de mots, les compositions graphiques de l’artiste anglais Simon Evans tiennent à la fois du journal intime, de l’écriture automatique, du collage, de la liste, de l’inventaire, de l’encyclopédie, du diagramme, de la cartographie, de la cosmologie... Au Mudam à Luxembourg jusqu’au 23/9. www.mudam.lu 2 ~ PLEIN AIR AU BEL AIR Cinéma sous les étoiles du 28 juillet au 4 août dans les jardins du ciné Bel Air à Mulhouse. www.cinebelair.org 3 ~ POST MORTEM Noel Varoqui expose au Castel Coucou à Forbach (57) jusqu’au 10/8. www.castelcoucou.fr 4 ~ LES HEURES ET LES SAISONS Michel Dejean expose durant tout l’été ses peintures, dessins et bols à thé de facture japonaise à la galerie L’Escalier à Brumath (67). www.a-lescalier.com 5 ~ LUMIèRES L’expo Renouveau et métamorphose des arts à l’époque des Lumières explore le foisonnement intellectuel et artistique du XVIIIe siècle. Jusqu’au 10/9 au musée des Beaux-arts de Besançon. www.besancon.fr
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6 ~ 1917 L’exposition 1917 qui questionne la création artistique en temps de guerre est aussi l’occasion de découvrir le rideau de scène du ballet « Parade », œuvre monumentale de Picasso, qui n’a pas été montrée en France depuis plus de vingt ans. Au Centre Pompidou-Metz jusqu’au 24/9. www.centrepompidou-metz.fr 7 ~ LE GRAND MOUSTACHIER Expo de portraits de moustachu(e)s célèbres chez Avila à Strasbourg jusqu’au 30/6. http://centralvapeur.org 8 ~ ARCHI>20 Festival des cabanes à Muttersholtz (67) avec la construction de 20 cabanes de 20 m2 pour rêver de l’architecture de demain. www.archi20.eu 9 ~ DOUG WHEELER L’artiste californien réalise un nouvel environnement perceptuel dans la lignée de ses célèbres « murs de lumière ». Jusqu’au 11/11 au Frac Lorraine à Metz. www.fraclorraine.org 10 ~ ENTRE COUR ET JARDINS Le festival a instauré une relation forte entre des lieux remarquables et les artistes qui explorent et apprivoisent les magnifiques parcs de Bourgogne et de la vallée de l’Ouche. www.ecej.fr
11 ~ ZOOMER / DéZOOMER Les étudiants de la Haute école d’art du Rhin exposent au Musée du Papier-Peint à Rixheim jusqu’au 15/9 (visuel : Moussa Moussa). 12 ~ (é)MOUVANTES COULEURS Dialogue entre Marie Freudenreich (peintures sur papier) et Robert Cahen (vidéo) à l’Hôtel de ville de Saint-Louis (68) jusqu’au 1/7. 13 ~ Patrimoine[s] écrit[s] en Bourgogne Bibliothèques et archives publiques ouvrent leurs portes pour faire découvrir des trésors d’ordinaire inaccessibles jusqu’au 16/9. www.crl-bourgogne.org 14 ~ JAZZ & IMPRO 31ème édition du festival de jazz et musique improvisée en Franche-Comté à Besançon du 25 au 30/6 (Yuko Oshima…). www.aspro-impro.fr 15 ~ COD. ACT L’Espace multimédia gantner à Bourogne (90) propose deux expériences interactives singulières, un voyage sonore et poétique dans le cerveau humain (Insofern) et une immersion physique dans la musique de l’opéra Moïse et Aaron de Schoenberg (Ex Pharao). www.espacemultimediagantner. cg90.net
16 ~ LEWIS CARROLL L’auteur d’Alice au pays des merveilles fut également de 1855 à 1880 un portraitiste de talent. Exposition à la Chambre à Strasbourg jusqu’au 29/7. www.la-chambre.org 17 ~ LE VENT DES FORETS Au cœur de la Meuse, six villages invitent des artistes en résidence de création. 90 œuvres sont aujourd’hui visibles le long de 45 kilomètres de sentiers balisés accessibles à tous de mars à septembre. www.leventdesforets.com 18 ~ LES DIONYSIES Le festival littéraire se propose de faire découvrir la création littéraire contemporaine du 5 au 8/7 à Arbois et dans le Pays de Revermont en invitant Arnaud Cathrine, Yasmine Char, Marie Cosnay, Louis-Philippe Dalembert, Rouja Lazarova et Noémi Lefebvre. www.crl-franche-comte.fr 19 ~ LA PEINTURE MODE D’EMPLOI Le 19 à Montbéliard rassemble des peintres de différentes générations jusqu’au 26/8. www.le19crac.com 20 ~ THOMAS FONTAINE L’infini mis à la portée des caniches chez Interface à Dijon jusqu’au 21/7. www.interface-art.com
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21 ~ NATALA Au menu du festival orchestré par Hiéro Colmar du 12 au 15/7 : Ciné-concerts inédits (Sa Majesté des Mouches (visuel) par Laetitia Sherriff…), pop pétillante, rock déjanté, set de Djs enflammés (Jipé from Gambrinus…), thé dansant décalé, dance-floor à la nuit tombée… www.natala.hiero.fr 22 ~ IDéKLIC 23ème festival international pour l’enfant du 11 au 14/7 à Moirans en Montagne (Jura). www.ideklic.fr 23 ~ SANS FILET Julien Nédélec, lauréat de la biennale mulhouse 010 expose les éléments d’une salle de muséum aux accents modernistes au musée des Beaux-arts de Mulhouse jusqu’au 16/9. 24 ~ JOHN GIORNO Faux Mouvement à Metz présente Thanx 4 Nothing, une exposition personnelle de John Giorno dans le cadre de la manifestation MONO. Jusqu’au 9/9. www.faux-mouvement.com 25 ~ LES ARPENTEURS Pascal Bastien, Jean-Marc Biry, Geneviève Boutry, Philippe Colignon, Emmanuel Georges, Alix Hafner, Jean-Louis Hess, Paul Kanitzer, Philippe Lutz et Dorian Rollin exposent à SaintDié jusqu’au 1/7.
26 ~ LA POSTéRITé DU SOLEIL Échappant à l’objectivité photographique, Eduard Ibáñez et Danilo Sartoni (visuel) présentent des mondes à la fois étranges et fictifs jusqu’au 29/7 chez Stimultania à Strasbourg. www.stimultania.org 27 ~ LE MOLOCO Après des années de travaux, le Moloco, espace musiques actuelles du Pays de Montbéliard, ouvre ses portes en grande pompe le 20/9 à Audincourt (25). www.lemoloco.com 28 ~ TERRAIN DE JEU Au cours de sa résidence à la Kunsthalle Mulhouse, Vincent Odon a dessiné Terrain de jeu, une carte objective et subjective du pays des trois frontières (Mulhouse, Bâle, Freiburg-imBreisgau). www.kunsthallemulhouse.com 29 ~ ARCHéOLOGIES CONTEMPORAINES La double exposition (un volet historique et une partie contemporaine) présentée au musée du château des ducs de Wurtemberg à Montbéliard interroge le rôle de l’archéologie à travers les époques. www.montbeliard.fr 30 ~ BREATHING HOUSE Le Parc Saint Léger invite JeanPascal Flavien jusqu’au 16/9. www.parcsaintleger.fr
31 ~ les JEUDIS DU PArc Pas de danse des canards mais du ciné en plein air et des spectacles le jeudi au Parc Salvator à Mulhouse du 28/6 au 9/8. 32 ~ L’ENFANCE DE L’ART Créé en 1948, le Festival de Besançon compte parmi les plus anciens et les plus prestigieux festivals de musique en France. 65ème édition du 14 au 23/9. www.festival-besancon.com 33 ~ BEYOND VIRTUALITY L’exposition imaginée par Simone Meier et Roland Sutter transpose le monde virtuel d’Alter Constraint dans le monde réel à la Filature de Mulhouse. Jusqu’au 8/7. www.lafilature.org www.alterconstraint.com 34 ~ 30 ANS ET DES POUSSIèRES Entre 2012 et 2014, afin de célébrer l’anniversaire de la création des FRAC (1982), le FRAC Champagne-Ardenne (créé en 1984) présente 30 manifestations en collaboration avec 30 lieux partenaires. 35 ~ PASTICHE, MAIS PRESQUE Vincent Godeau imagine et (se) crée un monde où existent des îles en purée de pomme de terre chez My Monkey à Nancy jusqu’au 17/8. www.mymonkey.fr
36 ~ PHILIPPE PARRENO Philippe Parreno présente de nouveaux films, dessins, sculptures et installations sonores à la Fondation Beyeler à Bâle (Riehen) jusqu’au 30/9. www.fondationbeyeler.ch 37 ~ VLADIMIR TATLINE Le Musée Tinguely à Bâle consacre sa grande exposition estivale à une figure majeure de l’avant-garde russe jusqu’au 14/10. www.tinguely.ch 38 ~ STUDIO BLUMENFELD Le musée Niépce de Chalon propose de faire découvrir le Studio Blumenfeld (New York, 1941-1960), un atelier photographique de mode et de publicité méconnue. Jusqu’au 16/9. www.museeniepce.com 39 ~ WESLEY MEURIS L’artiste belge expose jusqu’au 2/9 au Casino Luxembourg, forum d’art contemporain. www.casino-luxembourg.lu 40 ~ RAMONA POENARU ET LOU GALOPA Écart production poursuit sa remarquable politique éditoriale avec un DVD consacré à Ramona Poenaru (Tribulations) et un autre aux films de Lou Galopa (Petit monde). www.ecartproduction.net
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par Caroline Châtelet
par Emmanuel Abela
DIESE #7, festival pluridisciplinaire, du 2 au 7 juillet, à Dijon www.festivaldiese.com
À L’ÉPREUVE DU RÉEL, Les peintres et la photographie au XIX e siècle, exposition du 30 juin au 1er octobre au musée Courbet, à Ornans www.musee-courbet.fr
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Le fond du comment
La solennité de l’instant
Porté par la Ville de Dijon et plusieurs associations culturelles, Dièse compose pour sa septième édition une programmation éclectique, source d’obsédantes questions...
Peintres et photographes, nulle concurrence au XIXe siècle, mais des relations soutenues qui conduisent aux avantgardes de la fin du siècle. L’exposition À l’épreuve du réel au musée Courbet rend compte de ces échanges passionnants entre les artistes de leur temps.
Comment, en un focus, traiter du festival Dièse en allant au fond des choses ? Comment, surtout, éviter les présentations tarte à la crème qui énumèrent les spécificités de la manifestation – hybridation, mixité, pluridisciplinarité, etc. Peut-être en laissant la parole aux artistes ? Tentons l’affaire avec l’IRMAR. Cet Institut de Recherches ne Menant à Rien – dont le nom a valeur de manifeste –, qui figure aujourd’hui parmi ces équipes auxquelles l’institution théâtrale colle volontiers l’étiquette de trublions, propose Le Fond des choses. Alors, cher IRMAR, le Fond des choses, comment ? « Pour y aller, au fond des choses, il faut des appareils administratifs, sensibles et structurels, conçus et dirigés par des experts en choses. Une grande et solide entreprise du rien. Il nous faudra attendre les résultats du département humour pour aller plus loin. Eux connaissent les procédures appropriées à l’utilisation des outils adaptés. Mais la chose est déjà en marche : c’est un processus que l’IRMAR n’a jamais cessé d’expérimenter. On prend donc les choses en cours, même si les affectations et spécialités changeantes de chacun troublent la structure hiérarchique. Difficile de savoir qui fait quoi, travaille avec qui, comment et pourquoi circulent les informations. Qui parle au juste ? De quoi ? À qui ? Il s’agit donc de faire confiance aux choses en cours, à ce qui est posé face à nous... » Une réponse troublante, qui sonne comme une promesse : la capacité des artistes de Dièse #7 à mettre en jeu le double-fond de leurs projets... D
L’un des paradoxes du XIXe siècle : plutôt que de les détourner du réel, la photographie conduit les peintres à explorer celui-ci avec une exigence plastique nouvelle. L’apparition de ce procédé visuel révolutionnaire en 1839 aurait pu les amener à se résigner et à poursuivre la figuration de thèmes historiques, héroïques ou plus oniriques. Or, il n’en est rien, bien au contraire. L’utilisation de la photographie les a incités à interroger la réalité sensible, la perception de cette réalité et surtout la capacité de transcrire cette réalité sur la toile. En cela, leurs préoccupations, ils les partagent avec les photographes eux-mêmes dans des échanges fructueux qui les font se croiser les uns les autres, les peintres allant vers plus de réalité, les photographes tentant eux-mêmes leurs propres expériences plastiques. Ces préoccupations communes s’appellent cadrage, composition, lumière, mais aussi instantanéité et solennité de l’instant dans des allers retours incessants, qui font que les deux techniques évoluent vers une sensibilité – une sensualité, serait-on tenté de dire – visuelle totalement renouvelée. Avec pas moins de 80 œuvres, réunissant des peintures de Courbet, Ingres, Friant, Ziem ou Degas, des photographies, des documents et même des appareils, le musée Courbet accueille une troisième exposition temporaire en moins d’un an qui rend intelligemment compte de l’influence de la photographie sur les peintres dans le contexte historique et artistique de l’époque. D
©l’IRMAR Emile Friant, Les canotiers de la Meurthe, 1888, huile sur toile Nancy, Musée de l’Ecole de Nancy ©Nancy, musée de l’Ecole de Nancy, cliché Gilbert Mangin
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par Cécile Becker
par Adeline Pasteur illustration : Pascal Busto
Festival Rencontres et Racines, les 23 et 24 juin à Audincourt rencontres-et-racines.audincourt.com
CITÉ D’ELLE, partie 1 Exposition de Patrice Ferrasse, du 12 mai au 13 juillet Centre d’art Le Pavé Dans La Mare, à Besançon.
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Le blues du touareg
Cité d’explorations
Déjà 23 éditions pour Rencontres et Racines qui s'évertue à organiser chaque année un festival humaniste. Outre la présence de Didier Wampas, The Abyssinians, Imany ou encore Le Peuple de l'herbe, focus sur Terakaft, coup de cœur du Moloco.
Le plasticien Patrice Ferrasse, en résidence à la Citadelle de Besançon, explore sa démarche artistique dans un contexte singulier. Il propose une première vision de son travail à travers l’exposition Cité d’elle, partie 1. L’occasion de découvrir les prémices d’un travail participatif et évolutif.
D’où nous vient cette fascination pour le blues du désert ? Est-ce le goût de l’exotisme ? Des envies de liberté ? Un retour à la simplicité musicale ? Probablement tout cela en même temps, les revendications en plus pour le groupe Terakaft qui signifie « caravane » en langue touareg. Lorsqu’on pense à ce blues-là, les Tinariwen, formation à géométrie variable, nous viennent à l’esprit, et à juste titre. Deux des membres de Terakaft sont passés par leurs rangs, et de nombreuses chansons de leur bel album Akh Issudar ont été écrites par Tinariwen. Ils partagent tous deux un goût pour la musique assouf (littéralement : « nostalgie ») qui traduit la passion du peuple touareg pour les guitares électriques. Ils partagent une histoire douloureuse : contraints à l’exil du fait des sécheresses, ils sont parfois enrôlés de force par l’armée libyenne dans les années 80-90. Cette musique-là porte donc inévitablement les stigmates de revendications et d’histoires de solitudes. Un son basique, réduit à sa plus simple expression (guitare, basse, percussions), des chansons qui évoquent les grands espaces, la musique de Terakaft se nourrit de musiques traditionnelles mais aussi des guitares blues rock et psychédéliques de Jimi Hendrix. De quoi nous emmener ailleurs mais aussi porter un héritage culturel qui nous est étranger et qui ne demande qu’à être perpétué, à l’heure où certains peuples sont toujours en quête de libertés... D
Patrice Ferrasse a fait de sa résidence à La Citadelle un véritable atelier de recherche et d’expérimentation. Transposé dans un environnement social différent, il s’interroge sur son statut et se confronte à une autre vision de la société, nourri par les échanges avec les salariés et les visiteurs. Cette initiative est à l’origine de la Citadelle elle-même, qui souhaitait valoriser autrement son image auprès de ses partenaires et du public. Le site, composé de multiples structures (un jardin zoologique, un lieu de culte, des musées, des restaurants, des bureaux) s’apparente pour l’artiste à une microsociété. Il a donc imaginé une Cité d’elle en interrogeant de façon transversale sédentaires et migrants qui transitent par le monument. Il développe processus et questionnements autour de cette fiction d’« agglomération ». L’exposition du Pavé dans la Mare lui offre l’opportunité de présenter l’œuvre Potatomic : un concept ludique qui s’inspire de la dynamique du rhizome, illustrant le fait que la Citadelle ne peut progresser et se métamorphoser sans l’intervention du public et des collaborateurs de la Citadelle. En préambule, les visiteurs ont été invités à choisir une pomme de terre, puis à la tamponner avant de la placer dans une brouette. Le fruit de cette collecte a permis de composer l’œuvre. Patrice Ferrasse poursuit sa quête autour de cette confrontation avec les réalités de ce nouveau territoire artistique. À suivre. D
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par Xavier Hug
focus Luca Francesconi, Echo of the Moon, exposition jusqu’au 26 août au musée Beurnier-Rossel, à Montbéliard www.musees-franchecomte.com du 14 juin au 16 septembre au Crac Alsace, à Altkirch www.cracalsace.com
Face cachée / visible L’astre lunaire a été de tout temps une fertile source d’inspiration comme de mystères. Si la science expérimentale l’a sécularisé, son empreinte poétique reste profonde auprès de ceux qui sont à l’écoute sensible du monde comme Luca Francesconi.
L’artiste italien s’est vu proposer par deux responsables d’institutions culturelles une exposition sous forme de diptyque. Echo of the Moon prend la lune en sympathie mais se pose également d’emblée comme un écho à De Labore Solis, précédente exposition personnelle de l’artiste en France, qui s’ancrait autour du soleil. Comme en réponse à cette dualité, l’exposition présente fonctionne autour des faces de la lune. Ainsi, les œuvres présentées à Montbéliard sont-elles liées à la face éclairée de l’astre tandis que celles d’Altkirch renvoient à sa face cachée. Les jeux de lumière et de transparence sont
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à l’œuvre dans la première, tandis que les différentes qualités de pénombre sculptent l’espace du second lieu. Le lieu de l’exposition est donc sans cesse en reconfiguration selon le calendrier lunaire. Une invitation à revenir fréquemment pour mieux s’imprégner du propos. Car Luca Francesconi, entouré des commissaires Aurélie Voltz et Sophie Kaplan, ne laisse rien au hasard et la place de chaque élément est déterminée après plusieurs essais. Les compositions se fondent dans une composition d’ensemble. Les astres qui scandent la vie naturelle et humaine, le temps qui passe et les référents culturels et cultuels qui y sont associés sont la porte d’entrée de la réflexion plastique de Francesconi. À partir de cette base, l’artiste tisse de multiples ramifications qui toutes renvoient le spectateur à une expérience métaphysique et esthétique. En multipliant les références allant du savant au populaire, de l’artisanat à l’industrie manufacturée, de l’organique au minéral, et en disposant savamment les œuvres au long du parcours, l’artiste souhaite développer une notion qu’il a conceptualisée, celle des « champs sémantiques ». Toutes les idées et notions qu’il tisse personnellement autour de la lune sont pour lui des histoires et des suggestions qui portent en elles autant de pouvoir d’analyse et de sensation qu’il existe de visiteurs. C’est à ce dernier qu’il revient de se laisser porter par l’exposition, s’arrêter le temps nécessaire pour s’imprégner des ambiances, y revenir. Ce n’est qu’au prix de cette patience et de cette minutie que le spectateur pourra se laisser porter par une œuvre inspirée et très bien documentée. Une cosmologie d’une telle ampleur ne se laisse appréhender que sur plusieurs cycles. D
par Xavier Hug photo : Sandrine Rummelhardt
focus Simon Starling, Trois cent cinquante kilogrammes par mètre carré, jusqu’au 26 août à la Kunsthalle de Mulhouse www.kunsthallemulhouse.com
Du concept à l’œuvre Dernière proposition du troisième commissaire invité par la Kunsthalle, Trois cent cinquante kilogrammes par mètre carré clôt un cycle axé sur la transformation des objets du savoir.
Après les déclinaisons alchimiques de Benoît Maire et une exposition collective interrogeant l’autorité des discours scientifiques, le commissaire Vincent Honoré a convié Simon Starling, artiste britannique, pour une exposition faite de nombreuses pièces originales, construites en rapport étroit avec le lieu qui les accueille. Starling enquête en effet sur les conditions socioéconomiques qui déterminent les lieux qu’il traverse à la manière d’un archéologue doublé d’un ethnographe. Après avoir appris que l’actuelle Kunsthalle était aménagée dans une ancienne fonderie, la SACM, aux côtés d’une université et des archives municipales, il déclare avoir « été frappé par le fait que les nouveaux sols ne supportent que des charges relativement légères, et je me suis demandé à quoi ressemblerait une lourde machine fabriquée dans la Fonderie selon les nouvelles normes de construction ». L’artiste a alors plongé dans l’histoire particulière de la ville de Mulhouse grâce à des rencontres marquantes avec des historiens et ingénieurs locaux. Suite à cette minutieuse investigation, il retrouve la trace d’un ancien moteur de locomotive forgé dans les locaux de la SACM servant à l’instruction des mécaniciens en charge de son entretien. Pour lui permettre de réintégrer sa place d’origine, Starling a été contraint de découper le moteur en plusieurs tranches pour que les normes du nouveau bâtiment puissent l’accueillir. « J’ai trouvé intéressant de ramener le lieu actuel, un espace d’exposition, à son usage originel de fonderie. Ce télescopage du passé et du présent est visible dans les altérations qu’a subies la fonderie » explique-t-il. Ce moteur est complété d’un ensemble de pièces, récupérées dans les nombreuses friches qui émaillent le territoire mulhousien, qui interrogent la question du travail, de sa valeur et l’articulation de l’artisanat à l’art. Si Starling est souvent catalogué " artiste conceptuel ", il se voit davantage comme un sculpteur. « Tout ce que je fais se ramène fondamentalement à une forme de sculpture. La sculpture est faite par des
individus frustrés par le rapport des gens aux choses. C’est ce rapport des gens et des choses qui est pour moi essentiel, et pour être plus précis le rapport entre les gens, les lieux et les choses. Mon travail est une renégociation perpétuelle de ces rapports. » Le concept détermine la forme et n’est qu’une porte ouverte vers d’autres méthodes de connaissance pour permettre à chaque spectateur de s’ouvrir vers l’univers de l’artiste. Cette exposition contextuelle permet à Starling d’adopter une posture politique en interrogeant les transformations sociales liées au libéralisme. D
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par Xavier Hug
focus Scènes de Rue, festival des arts de la rue du 26 au 29 juillet, à Mulhouse www.scenesderue.mulhouse.fr
Vox Populi Quinzième édition déjà pour ce temps fort de l’été qui s’impose comme le rendez-vous régional dédié aux arts de la rue. Après les productions extravagantes des deux dernières années, 2012 penchera vers plus de grâce.
Compagnie Asphalt Piloten
Depuis 2007, Scènes de Rue connaît une impulsion très vive sous la conduite de Frédéric Rémy, directeur artistique de la manifestation. Au creux de l’été, alors que les vacanciers se croisent sur la route, le festival ouvre l’espace public à des artistes venant d’horizons très divers pour amener la population et l’ensemble des spectateurs venus d’ailleurs à redécouvrir une ville. Ainsi, des propositions politiques, comme une relecture des Liaisons Dangereuses, prennent tout leur sens, surtout au vu du contexte actuel. Mais cet engagement très fort pour l’urbanisme, qui se décline également par l’occupation et la découverte d’espaces non conventionnels, secrets, impromptus, ne cède jamais le pas à ce qui fonde l’esprit d'une manifestation à échelle humaine génératrice de grands rassemblements populaires. En refusant d’être un festival pour professionnels, Scènes de Rue a su garder intacte une complicité très forte avec les spectateurs qui viennent toujours plus nombreux apprécier la dextérité et le comique qu’offrent ces arts. Cette année n’est pas en reste puisque figurent au programme des activités circassiennes devenues rares (le trapèze grand volant pour les amateurs) comme le bizutage du Père Noël. La mixité des spectacles et compagnies accueillis est une identité que le festival défend au profit de la spécialisation outrancière. Derrière le joli sobriquet d’arts ouverts, 2012 offrira aux curieux de quoi rire (La 4L infernale), danser (Cie. Les Barbarins Fourchus), s’acculturer (Cie. Les Moldaves), s’informer de manière ludique (Promenades urbaines) ou encore s’émerveiller (La diagonale des fous). Une ouverture tous azimuts qui s’ancre dans l’envie de faire partager des aventures artistiques singulières et la volonté de proposer de nouvelles formes de rencontres citoyennes et urbaines qui passent par un soutien marqué et engagé à de jeunes compagnies, invitées soit en résidence soit sous forme de carte blanche. Tout un projet qui a pour finalité de rendre le spectateur plus attentif à un environnement urbain qui lui est devenu par trop familier et sans aspérité. L’art, sous toutes ses formes donc, envahit ces lieux pour interpeller et rassembler. Événement incontournable, Scènes de Rue cette année ne dérogera pas à la règle et le succès sera au rendez-vous : soyez-en ! D
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par Cécile Becker
focus Bêtes de scènes, les 12,13, 14 et 15 juillet au Noumatrouff à Mulhouse www.noumatrouff.fr
Phytoplanctons vs Anti-Pop Pour la 22ème édition de Bêtes de Scènes, le Noumatrouff a vu les choses en grand. On y croisera non seulement Mondkopf, Surkin, The Shoes, Dilated Peoples ou encore Alela Diane, mais aussi Anti-Pop Consortium dans un projet complètement dingue piloté par l’artiste Loris Gréaud, une performance unique en son genre...
Session d’enregistrement avec Anti-Pop Consortium et Loris Gréaud ©Christian Patterson
Loris Gréaud, on s’en souvient (ou pas) pour le tintamarre médiatique engendré suite à son exposition Cellar Door au Palais de Tokyo : 4000 mètres carrés rien que pour lui et son gigantesque organisme généré par une partition distendue dans l’espace et le temps. On cerne là à peu près le personnage et sa folie des grandeurs, il l’affirme lui-même : « Je suis un irresponsable professionnel. Si on demande aux artistes d’être raisonnables, c’est fichu. » Déraisonnable au possible, il s’est donc lancé dans la quête – quasiment obsessionnelle – des profondeurs abyssales durant 36 mois pour un film d’une durée de... 20 minutes. Lorsque Loris Gréaud réalise que l’on connaît mieux la surface de la lune que les fonds sous-marins, il contacte les scientifiques du MIT de Boston et suit leurs études sur les abysses et ses organismes inconnus communiquant grâce à la bioluminescence : les
phytoplanctons ou autres créatures mystérieuses. Rapidement, il réalise que leurs danses sous-marines peuvent être motivées par les fréquences sonores. Leurs déplacements évoquent alors un feu d’artifice. Il part à Abou Dabi et organise avec des professionnels de la pyrotechnie un gigantesque feu d’artifice pour reproduire les mouvements des phytoplanctons. Vient l’étape sonore : Loris Gréaud commande à la formation Anti-Pop Consortium une bande originale exclusivement pour son film. Là, il lie images, sons et mouvements de lumière. Entre réalité et fiction, The Snorks : a concert for creatures, est autant une fresque rêveuse d’un monde inconnu qu’une réflexion sur les limites de nos connaissances. L’histoire est racontée monotonement par la voix de David Lynch et de manière plus sensible par Charlotte Rampling. Vrai ou faux ? Difficile à dire. Louis Gréaud avouait : « J’adore emmerder les cons, je suis dans la surenchère. Ma vraie culture, c’est la révolution électronique, mettre le bordel, créer la polémique. » Après avoir diffusé son film dans diverses salles de cinéma, c’est au Noumatrouff qu’il le présentera sous sa forme live hip-hop/pop-up book avec l’un des groupes phares de l’abstract hip-hop ayant osé mélanger rap, électronique, jazz ou encore rock. Durant le générique de fin, Anti-Pop Consortium interprétera ses compositions pensées pour les Snorks dans une ambiance sans doute étrange. Un projet exceptionnel en ouverture du festival Bêtes de Scènes. Wow ! D
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par Cécile Becker
focus METEO, festival du 9 au 25 août, à Mulhouse et dans les environs www.festival-meteo.fr
D’autres horizons Il y a trois ans, le festival Jazz à Mulhouse changeait d’identité et amplifiait ses envies d’avant-garde. À l’origine de ce choix : Adrien Chiquet, directeur et programmateur, qui livre avec cette 29ème édition son dernier bulletin Météo.
Nhaoul’ – Kamilya Jubran et Sarah Murcia ©Emmanuel Rioufol
Si le festival Météo a changé d’horizons, c’est pour se rapprocher des pratiques actuelles : impossible de se contenter d’un style lorsque les musiciens eux-mêmes laissent évoluer leurs pratiques au gré des instruments et des techniques. C’est désormais au tour d’Adrien Chiquet, directeur et programmateur de Météo, d’emporter ses bagages remplis d’envies et de curiosités vers l’Onda (Office national de diffusion artistique) où il occupe d’ores et déjà le poste de conseiller musical. Comme il ne savait pas qu’il quitterait le ciel bleu de Météo il y a encore deux mois, cette dernière programmation, il l’a construite de manière presque inconsciente. Il explique : « J’ai eu envie de partir, mais c’est avec beaucoup de tristesse. Ce choix de faire entendre au public des musiques qui peuvent surprendre, de programmer des artistes variés va disparaître pour autre chose. C’est douloureux, ça va me manquer, c’est sûr. » Seules marques de son départ dans la programmation, les concerts de Kathy Faller & The Alsace 68, formation locale à laquelle il souhaitait offrir l’opportunité de se produire avant de partir, et la représentation de Brötzmann, Edwards et Noble qu’il cherchait à réinviter depuis déjà deux ans. Le reste de la programmation garde la touche provocatrice qu’on lui connaît : des associations de musiques parfois improbables et des découvertes avantgardistes. La couleur de cette année ? « Plus que les années précédentes, on a laissé la place aux jeunes. Mais peut-être que cette édition est plus proche de sa forme traditionnelle : il y a plus d’impro et de free jazz. Ce n’est pas un retour en arrière, ni un écart, ni une fuite en avant. Tout comme les musiciens laissent parler leurs envies, je laisse parler mes coups de cœurs. C’est aussi là que les festivals ont leur rôle à jouer, il faut former les oreilles, apporter la découverte. Si le néophyte insiste, il sera étonné de voir que ses oreilles se forment rapidement. » Adrien Chiquet est passé maître dans l’art d’attirer les curieux, pas forcément familiers de l’avant-garde musicale : « On pense que cette musique est cérébrale mais on se rend rapidement
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compte que les mouvements des musiciens portent l’audience. On n’est pas dans le divertissement, l’art et la culture sont là pour autre chose, pour emmerder un peu les gens. Et beaucoup sont prêts à vaincre leurs résistances. » Pas compliqué de les vaincre devant le concert de John Tilbury qui jouera John Cage ou en écoutant les diverses inspirations musicales de Sarah Murcia avec le projet Nhaoul’ : rencontre du jazz contemporain, de la musique et de la poésie. Les frontières de la musique sont mouvantes ; « rien n’est étanche » ajoute Adrien Chiquet, qui continuera à mêler sa passion pour la musique contemporaine et son amour pour Keith Jarrett, même à l’Onda. Bon vent ! D
par Caroline Châtelet photo : David Siebert
par Cécile Becker
THEATRE DU PEUPLE, saison estivale, du 13 juillet au 26 août à Bussang www.theatredupeuple.com
Les dessous du musée, Françoise Saur, du 23 juin au 31 décembre au Musée Bartholdi, à Colmar www.musee-bartholdi.com
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Glissement de terrain
Bartholdi tout
Pour sa cent seizième année, le Théâtre du Peuple de Bussang propose sa programmation estivale, entre tradition et renouvellement.
Le musée Bartholdi nous dit tout, se découvre, s’ouvre sous la forme d'une exposition de photographies de l’artiste Françoise Saur. Elle s’est engouffrée dans les greniers, dans les recoins, dans l’intimité du musée, pour nous montrer ce qu’on ne voit jamais.
« Brusquement, la forêt surgissait dans le décor (…). La réalité volait au secours du théâtre. (...) Bussang me rappelait ainsi une vérité première : la scène ne peut se contenter d’elle-même. Elle a besoin du monde. » En racontant sa découverte du Théâtre du Peuple en 1971, l’universitaire et critique dramatique Bernard Dort se souvient autant de l’effet magique de l’ouverture du fond de scène sur la forêt, qu’il rappelle l’origine du projet : la création d’un théâtre pour le peuple, alternative au théâtre bourgeois officiel et parisien. Ce projet d’éducation populaire avant l’heure, initié dès 1895 par Maurice Pottecher est aujourd’hui un symbole, installé dans le panthéon que sécrète le théâtre public. Et si chaque nouvelle saison s’appuie autant sur l’utopie initiale qu’elle la renouvelle, l’été 2012 constitue une étape, avec l’arrivée de Vincent Goethals. Outre de nouvelles propositions – parmi lesquelles un ballet d’ouverture, un week-end citoyen, ou encore l’ouverture (enfin !) de la programmation à la marionnette – le successeur de Pierre Guillois et nouveau directeur Goethals martèle son attachement à ce qui fonde Bussang : défense d’un théâtre populaire inscrit dans un rapport social. Alors, depuis cent seize ans rien n’a changé à Bussang ? Erreur, un glissement s’est opéré dans le paysage théâtral, comme le prouve cette phrase de Goethals à une journaliste de L’Alsace : « Je défends un théâtre élitaire pour tous, accessible, mais exigeant. (…) Mais je ne fais pas du théâtre intello ! ». Et par un étrange tour de passe-passe, l’ennemi du théâtre du Peuple est passé du « théâtre bourgeois » au « théâtre intello »... D
Visiteurs d’un musée, nous nous arrêtons à ce que nous voyons, sans jamais vraiment penser aux coulisses, à ce qui pourrait se passer derrière les murs, dans d’autres pièces. Le musée Bartholdi a la particularité d’être installé dans l’ancienne demeure du sculpteur Auguste Bartholdi, raison de plus pour se poser la question des espaces invisibles. Difficiles à imaginer, enfin révélés par le regard de la photographe Françoise Saur, ils sont rendus accessibles. Exploratrice de l’inconnu, elle travaille sur les environnements désertés et y porte son interprétation mystérieuse et sensible. À travers sept séries construites comme un inventaire, elle photographie des objets chargés d’affects et d’histoires, comme des mises en scènes arrêtées par le temps qui conservent le passage de l’homme. Dans Drapés, il y a ce mobilier poussiéreux, il y a les Traces, comme des empreintes de la main de l’homme, des Sièges, autoritaires, vides, quelques Sculptures abandonnées à leur sort, des Emballages recelant des formes mortes pour parfois reprendre vie, qui sait ? Dans ces quelques Reflets, et enfin des Objets contrastant avec leur environnement. Les photographies, pour rendre hommage à Bartholdi, ont été imprimées sur du papier chiffon luxueux et mises en valeur par des cadres récupérés dans le salon colmarien du sculpteur. Une belle exposition, rare, où Françoise Saur capte les fulgurances d’une vie cachée, secrète et passée. Un témoin poétique. D
Sièges/4, Françoise Saur - Encres pigmentaires sur papier Hahnemühle
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par Sylvia Dubost
focus Digital Art Works : The Challenges of Conservation, exposition, du 16 juin au 23 septembre au CEAAC à Strasbourg www.ceeac.org - www.digitalartconservation.org
2.0 en conserve Conserver l’art d’aujourd’hui pour les générations futures ? Mais certainement ! Les œuvres d’art numérique aussi ? Ça se corse… Une expo fait le point sur la question.
Pour la peinture, on maîtrise, pour la vidéo, on débute, et pour les arts numériques, on pédale complètement. Concernant la conservation des œuvres générées par des programmes informatiques, les musées et centres d’art ont encore du chemin à faire. Il faut dire que la question est relativement nouvelle. Elle a surgi avec acuité il y a une dizaine d’années, lorsque des œuvres conçues dans les années 90, au moment où, après les pionniers, les arts numériques prenaient vraiment leur envol, se sont mises à ne plus fonctionner. Pour plusieurs raisons, mais surtout parce
Hervé Graumann, Raoul Pictor cherche son style…, 1993
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que le hard et le software ont connu là une accélération exponentielle de leur évolution. « Les défectuosités des œuvres d’art numériques passent souvent inaperçues, explique Bernhard Serexhe, directeur du ZKM de Karlsruhe, et il arrive donc tout aussi souvent que des œuvres soient mises en dépôt alors qu’elles se trouvent dans un état partiellement défectueux. Ce n’est que lorsqu’elles sont remises en service, souvent après des années, que l’on constate que des données ont été perdues et qu’il y a incompatibilité avec le matériel informatique et les logiciels actuels. » Certaines ont déjà disparu, d’autres suivront si l’on ne se penche pas rapidement sur la question. Initié par le ZKM et porté par toutes les structures du Rhin supérieur concernées par la question (espace multimédia Gantner de Bourogne, Vidéo Les Beaux jours, Ecole des Arts Décoratifs de Strasbourg, Haus fur Der Elektronische Kunst de Bâle…), le projet Digital Art Conservation a appuyé ses recherches sur dix études de cas, dix œuvres qui nécessitent des stratégies de conservation différentes : sécurisation des données (on les récupère, par exemple, sur une vieille disquette), émulation (on reproduit les fonctionnalités d’un matériel obsolète avec un logiciel), préservation du matériel (on s’assure que les machines vintage tournent le plus longtemps possible), réinterprétation (on adapte l’œuvre pour un nouveau support)… L’exposition Digital Art Works, qui présente ces dix études, dispense aux visiteurs et aux professionnels de l’art des éléments pédagogiques salutaires. En attendant (pas trop longtemps, on l’espère) que ces préoccupations se généralisent, Digital art conservation est l’occasion de voir des œuvres d’art numérique dans un centre d’art français… C’est tellement rare que cela mérite d’être souligné. D
par Sylvia Dubost
focus Frédérique Lucien, Sans repentir, exposition, du 14 juin au 21 septembre à La Chaufferie à Strasbourg www.esad-stg.org
Paysages À La Chaufferie à Strasbourg, Frédérique Lucien expose dessins et céramiques de fragments qui lient le corps au végétal. Trois questions pour comprendre le travail de l’artiste.
Anonyme, 2010, fusain sur papier, vue partielle, exposition Musée Zadkine, Paris, 2011 Photo : Pierre Antoine, courtesy galerie Jean Fournier
Vous avez jusqu’ici beaucoup dessiné de formes végétales, or cette exposition est construite autour de la série Anonymes, des dessins de nus. Comment les deux s’articulent-ils ? Ce sont des fragments de corps. Je tiens à cette nuance car le dessin de nu nous envoie ailleurs. On y retrouve des éléments de nature, il y a quelque chose du paysage dans ces fragments de corps comme un paysage. Et c’est un travail sur la nature de la peau plus que sur la ligne. Vous avez donné comme titre à cette exposition Sans repentir. Que nous dit-il de votre pratique ? Le repentir est un terme technique utilisé en dessin aux XVIe et XVIIe siècles. C’est l’idée de ne pas revenir en arrière, d’un dessin définitif. C’est aussi lié à l’évolution de mon travail, de mon parcours des fragments de végétaux vers les fragments de corps. Comment s’est fait ce parcours ? J’ai commencé à travailler directement sur le corps en me penchant sur l’iconographie et l’iconologie de Sainte Agathe avec des étudiants en art. En fait, je m’en approchais sans le savoir, avec par exemple des pistils qui ressemblaient à des phallus. Dans mes tiges de magnolia, on retrouve la ligne du corps et des jambes qu’on voit aujourd’hui. Le lien se fait par un jeu entre les titres et les formes. Dans la série Orée par exemple, je dessine de grandes bouches au fusain ; le titre renvoie évidemment à la nature. Aujourd’hui, je m’en éloigne alors que je m’en rapproche, et je vais plus vers l’abstraction… D
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par Emmanuel Abela
focus Nicolas de Leyde, Un regard moderne, exposition jusqu’au 8 juillet au Musée de l’Œuvre Notre-Dame, à Strasbourg www.musees.strasbourg.eu
Le mouvement sublimé L’artiste Nicolas de Leyde fait l’objet d’une belle exposition au Musée de l’Œuvre Notre-Dame, à Strasbourg, avec des œuvres en provenance de collections publiques et privées (Paris, Berlin, Amsterdam, New York et Chicago). L’occasion de se familiariser avec un artiste immensément influent pour l’art de son époque.
Les spécialistes le savent, le grand public un peu moins : sont réunies à Strasbourg deux œuvres sculpturales qui se posent en jalons pour l’Occident médiéval : la figure de la Synagogue située au niveau du bras sud du transept de la Cathédrale et le Buste d’homme accoudé conservé au Musée de l’Œuvre Notre-Dame. Séparées l’une et l’autre de près de deux siècles et demi, les deux œuvres non seulement renseignent sur le rayonnement du chantier de la Cathédrale de Strasbourg sur toute la période, du début du XIII e à la première moitié du XVe et au-delà, mais se situent chacune
comme un instant d’apothéose, presque de bascule entre ce qui précède et ce qui suit. « Oui, nous confirme Cécile Dupeux, Conservatrice du Musée de l’Œuvre Notre-Dame, il y a un avant et un après. » Si le sculpteur de la Synagogue reste inconnu, celui du Buste en revanche est clairement identifié : il s’agit de Nicolas de Leyde. On ne connaît pas le détail du parcours de cet artiste reconnu en son temps aussi bien par les autorités ecclésiales que civiles – on sait qu’il vient de Belgique, qu’il se montre actif à Strasbourg entre 1462 et 1467 et qu’il meurt à Vienne après avoir réalisé le tombeau de l’Empereur Frédéric III dans la cathédrale de la capitale –, des indices précis nous sont livrés par des sources d’époque : « Il se dessine les contours d’un personnage atypique, nous explique Cécile Dupeux. Nous avons des informations sur des acquisitions, des litiges, ses déménagements, autant de choses qui rendent ce personnage vivant. » À Strasbourg, il a réalisé de grands ensembles, l’épitaphe du chanoine de Bussnang dans la cathédrale et le portail de la Chancellerie de la ville, bâtiment aujourd’hui disparu dont il ne subsiste que quelques fragments, les deux têtes d’un prophète et d’une Sybille réunies pour la première fois depuis un siècle. Dans le cadre de cette exposition exceptionnelle, pas moins de 70 pièces sont présentées, lesquelles s’articulent autour du Buste. Si on peut y voir l’une des nombreuses déclinaisons de la figure mélancolique, sa posture renvoie plus à la réflexion qu’à une forme d’affliction. Toute la modernité de l’œuvre réside dans le mouvement du corps qui souligne la tension intérieure de la personne, ici sans doute un portrait d’architecte voire même un autoportrait de Nicolas de Leyde. « Il s’agit du premier véritable portrait moderne, avec cette force du rendu de l’intériorité même », nous rappelle avec conviction Cécile Dupeux, nous invitant à voir et à revoir cette œuvre majeure, à investir ses plus vibrants secrets. D Nicolas de Leyde, Buste d’homme accoudé, Strasbourg, 1463. Grès rose. Strasbourg, Musée de l’Œuvre Notre Dame – Photo : M. Bertola
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par Claire Tourdot
focus NORMA JEANE BAKER... MARILYN MONROE, lecture des écrits de Marilyn Monroe par Nathalie Bach le 17 juillet à 20h30 au TAPS Scala dans le cadre de leur saison estivale Eté cour, été jardin à Strasbourg. www.taps.strasbourg.eu
Qui est Marilyn Monroe ? Pour la saison estivale des Taps été cour, été jardin, Nathalie Bach souhaite donner voix aux ecrits laissés par la mythique Marilyn Monroe après sa disparition, il y a maintenant 50 ans.
Derrière la belle blonde pulpeuse se cachait une femme forte et intelligente, cloitrée dans une solitude extrême. Voilà ce que nous apprennent les carnets noirs griffonnés au cours d’années mouvementées par la star hollywoodienne. Entre palaces de Los Angeles et buildings new-yorkais, Marilyn se confie dans son journal intime et ses lettres, usant de la mélancolie du poème pour coucher sur le papier ses peurs, échecs et désillusions entre 1943 et 1962. Une sensibilité poétique et une froide lucidité se révèlent, aux antipodes de l’icône glamour.
Touchée par cette personnalité complexe, Nathalie Bach a fait le choix de se pencher sur ces pensées intimes créant un spectacle qui se veut le relais d’une parole avortée : « Je souhaitais faire affleurer la parole de Marilyn, comme un long plan séquence où elle parlerait d’un seul tenant ». Le rôle principal est ainsi tenu par la voix pure, dans un flottement qui nous en ferait oublier le visage de celle qui la profère... Et on se demande finalement qui en est l’auteur, Norma ou Marilyn ? Car il est bien question ici d’une dualité, illustrée à la perfection par les dires de la belle : « J’ai toujours pensé que je n’étais personne. Et la seule façon pour moi de devenir quelqu’un... c’est d’être quelqu’un d’autre ! ». Bien plus que la femme, c’est tout d’abord l’actrice et son rapport au dur métier de la scène qui a séduit Nathalie Bach. Grâce à une réflexion sur le jeu, menée avec Frédéric Solunto, elle transmet, sans tomber dans l’incarnation, un univers intérieur et dévoile une facette méconnue de l’actrice. Le spectacle relaie en toute sobriété le texte brut, sans commentaire, avec le souci constant de respecter la pensée originelle. La comédienne prête sa voix à ces mots qui n’ont su jaillir de la bouche d’une femme finalement si humaine, leur donnant enfin une réalité sonore. Et le texte nous révèle brutalement sa force émotionnelle, décuplée par l’accompagnement musical de Sébastien Troester. Une Marilyn intellectuelle, lucide et courageuse se dégage peu à peu, bien loin des lieux communs misogynes ou tout du moins réducteurs qui persistent. D
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par Emmanuel Abela photo : Gerardo Garciacano
focus DER ROSENKAVALIER (Le Chevalier à la rose), Opéra en 3 actes de Richard Strauss, les 17, 20, 23, 25 et 28 juin à l’Opéra, à Strasbourg ; les 6 et 7 juillet à La Filature, à Mulhouse
L’incarnation des sentiments Des opéras suscitent bien des débats. C’est le cas du Chevalier à la rose de Richard Strauss. Mariame Clément nous évoque une œuvre dont elle a voulu restituer par la mise en scène la légèreté initiale.
Vous mettez en scène Le Chevalier à la Rose, un opéra apprécié diversement : méprisé par certains, adulés par d’autres. Fallait-il vous libérer de l’image ellemême de l’œuvre ? Oui, parmi la vingtaine d’opéras que j’ai mis en scène, c’était l’œuvre dont l’approche me semblait la plus difficile, justement à cause des réactions extrêmement passionnelles et des attentes énormes qu’elle suscite. C’est étrange, et pourtant j’ai monté La Traviata ou Rigoletto, des œuvres elles aussi très chargées, mais cet opéra est tellement glorifié par certains et méprisé par d’autres qu’il faut trouver sa place dans cet horizon d’attente.
Est-ce pour cela que vous avez adopté une mise en scène minimaliste construite à base de tréteaux et de rideaux ? C’est une œuvre qui a la réputation d’être lourde ; la musique de Strauss présente une certaine élégance, une légèreté viennoise, mais malheureusement certains expriment de l’écœurement – on parle souvent de chantilly à propos du Chevalier à la Rose ! Généralement, les dispositifs scéniques sont assez lourds eux aussi, avec de grands décors, de grands appartements peuplés de nombreux figurants. J’avais l’impression que cela faisait un peu écran entre l’œuvre et ce qui me touche moi-même dans cette œuvre. Quand on s’intéresse à la genèse de cet opéra, pour lequel on possède une belle documentation, notamment sur la collaboration très fine, très fructueuse, presque organique, entre Strauss et son librettiste, Hugo von Hofmannstahl, on constate que leur désir exprimait une grande légèreté, avec de nombreuses références à Mozart, dans le cadre d’un XVIIIe très fantasmé. Dans la structure même de l’intrigue, on retrouve les personnages traditionnels de la Commedia dell’arte, avec le trio amoureux, le vieux barbon – le baron Ochs qui, à l’origine, devait donner son nom à l’opéra –, la jeune ingénue et l’amoureux. Sur cette structure est venu se greffer le personnage qui est devenu central et qui lui donne toute sa grandeur, sa poésie et sa splendeur : le personnage de la Maréchale. J’ai voulu revenir à ce désir de légèreté d’où le dispositif construit sur les tréteaux et les rideaux. Avez-vous cherché à les revisiter ces personnages ? Quand vous faites une mise en scène, vous ne cherchez pas l’originalité. Si c’était ça le but, on échouerait systématiquement. Ce qu’on cherche à identifier c’est ce qui nous émeut dans l’œuvre. On cherche à comprendre ces personnages et à entrer dans leur intimité, surtout pour une œuvre comme celle-là qui est si bien écrite. La profondeur du livret et de la musique permet de rechercher cela. Il faut qu’on croie à ces personnages afin qu’ils s’incarnent au point de devenir réels. D
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par Sylvia Dubost
focus Nicolas Boulard, La suspension d’incroyance, exposition, du 20 juin au 30 septembre au Frac Alsace http://frac.culture-alsace.org
Appellation d’origine incontrôlable Artiste plasticien, Nicolas Boulard questionne sa pratique en sortant du champ(s), en combinant art et terroir. À découvrir au Frac Alsace.
Nicolas Boulard, Clos Mobile, 2009 – Photo : Marc Domage
La suspension d’incroyance, c’est ce moment où, devant une œuvre d’art, qu’elle soit cinématographique ou littéraire, on accepte de s’arracher au réel, au rationnel, pour entrer de plain pied dans l’imaginaire. On pourrait s’interroger sur le titre donné à son exposition, car Nicolas Boulard ne s’arrache jamais vraiment du réel. Son œuvre, bien au contraire, cultive son versant terrien, voire agraire, et c’est ce qui lui donne toute sa saveur. Nicolas Boulard ne résiste pas à confronter les œuvres de l’esprit aux nourritures terrestres. Un peu de trivialité dans ce monde de l’art… Et le Frac Alsace, qui se régale de ce genre de décalages, s’en est entiché. Nicolas Boulard était venu une première fois en 2004, dans le cadre d’un programme d’échanges d’artistes entre Frac du Grand est, intitulé Critique du raisin pur. Il en avait profité pour rédiger un Journal de la route des vins d’Alsace. En 2010, il y avait présenté, à l’occasion d’une performance chatoyante, ses Specific Cheeses, où il opère un rapprochement glissant et réjouissant entre les formes de l’art minimal et celles des fromages. On se demande si Donald Judd aurait apprécié l’analogie entre ses sculptures et le crottin de Chavignol… À travers ces glissements ludiques, Nicolas Boulard, fils de viticulteur et diplômé des arts déco de Strasbourg, interroge les notions de territoire – comme espace géographique et/ ou champ de compétence – et de terroir. Le déplacement, dans tous les sens du terme, est au cœur de son travail. Pour son Clos mobile, il plante ainsi une parcelle de vigne de cépage Chardonnay, le plus répandu dans le monde, dans une remorque destinée à voyager sous différents climats. Dans le jardin du Frac, en dépit des tracasseries administratives et levées de bouclier des viticulteurs du coin, il a importé les quatre cépages
du Mouton-Rothschild, le plus célèbre vin (de Bordeaux) du monde… Une « plantation à caractère culturel » et une expérimentation autant artistique que viticole. Parler d’art en causant vin et fromage, il n’y avait sans doute qu’un artiste français pour tenter ce grand écart D
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par Cécile Becker
focus Rois et Reines. Des histoires de France & Frédéric Coché, gravures, jusqu’au 7 novembre au Musée de l’Image, 42, quai de Dogneville à Epinal Le chemin des images 2012, Galerie Marchande de Frédérique Bertrand, du 30 juin au 31 octobre à Epinal www.museedelimage.fr www.lesfreds.com
Épinal, toute en images Entre l’exposition Rois et Reines au Musée de l’Image qui revient sur la représentation des rois et reines de France dans l’imagerie populaire en mettant en connivence les gravures de Frédéric Coché et le chemin de l’image à travers le monde de Frédérique Bertrand ; cet été, les images traditionnelles et modernes traversent la ville.
Famille royale de France, Branche des Bourbons 1er quart XIXe siècle – Genty, Paris – Coll. Musée de l’Image, Epinal
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Non, non, non Charlemagne n’a pas inventé l’école, le roi Dagobert ne mettait probablement pas sa culotte à l’envers et surprise, le cheval blanc d’Henri IV n’était pas blanc... Au sujet des rois, de nombreuses légendes subsistent dans l’imaginaire collectif. Le musée de l’Image s’est penché sur ces réalités et mythes qui ont forgé l’histoire de France. En partant d’une variation autour d’une image en cinq feuilles qui, de Pharamond au Ve siècle à Napoléon III et Eugénie en 1864, nous présente les portraits des souverains français, le musée analyse, en compagnie de professionnels les représentations des rois et reines de France. À travers ces images, l’on se rend compte que Napoléon III et Eugénie ont imposé la représentation des couples royaux. Avant eux, les femmes des souverains français n’étaient jamais représentées : les visages de Clothilde femme de Clovis et Hildegarde, bien-aimée de Charlemagne, étaient inconnus. À travers ces représentations idylliques que cachent ces couples royaux ? Les femmes influençaient-elles leurs maris ? étaient-ils sous l’influence de leurs maîtresses ? Qu’étaient réellement leurs relations ? Derrière ces images, se cachent des anecdotes souvent mal connues auxquelles le musée appose le regard contemporain de l’artiste Frédéric Coché. De ses gravures présentant des mythes et des légendes, un jeu d’analogie se construit avec l’Histoire et même, les histoires personnelles. 175 œuvres en tout pour percer le mystère des légendes... Après avoir fait le point sur nos connaissances actuelles en Histoire, pourquoi ne pas sortir des murs du musée et aller à sa rencontre dans les rues de la ville ? Un chemin d’images se construit sur un parcours de 15 stations illustrées par Frédérique Bertrand le long de la Moselle. Proposée par la Ville et coordonnée par le Musée de l’Image, cette balade des « marchands ambulants », selon les mots de l’artiste, parle d’Épinal et des enseignes de magasins que Frédérique Bertrand voyait lorsqu’elle était petite. Construit « comme une archéologie de souvenirs d’enfance », des textes viennent donner des pistes aux badauds sur la nature des marchands. Cet été, les images s’inscrivent fermement dans le paysage urbain spinalien, à l’intérieur, comme à l’extérieur, entre traditions, modernité et humour. Épinal, toute en images... D
par Sylvia Dubost
focus Jean Prouvé, expositions et parcours urbain, du 30 juin au 28 octobre à Nancy www.jeanprouvenancy2012.com
Le métalleux Il a fait entrer le mobilier et l’architecture dans l’ère industrielle. À travers expositions et parcours urbain, la ville de Nancy rend hommage à Jean Prouvé, enfant du pays et l’un des créateurs emblématiques du XXe siècle.
Jean Prouvé, croquis de mobilier scolaire, Nancy, archives départementales de Meurthe-et-Moselle © ADMM © ADAGP, Paris 2012
Il y a 20 ans, on jetait à la benne le mobilier scolaire conçu par Jean Prouvé. Trop ringardes, sans doute, à l’époque, ces chaises toutes simples à piètement de métal fabriquées en grande série au début des années 30. Aujourd’hui, elles sont des pièces de collection, et ceux qui ont eu le nez suffisamment creux pour les sauver de la décharge les ont bien souvent revendues aux enchères. Le mobilier de Jean Prouvé fait aujourd’hui partie des pièces les plus recherchées par les collectionneurs de design. Designer, il ne l’était pourtant pas. Ni architecte, d’ailleurs, même si ses réalisations en ont inspiré plusieurs générations. Jean Prouvé est avant tout un constructeur, un artisan du métal, qui a cherché
à répondre aux commandes de la manière la plus simple et la plus juste possible. Cette efficacité sans apparente sophistication donne à ses pièces une allure intemporelle, qui nous apparaît aujourd’hui à nouveau moderne. Jean Prouvé ne cherche pas forcément à faire beau, il cherche à faire utile. Dans ses ateliers, il expérimente avec les matériaux et les éléments qu’il fabrique à destination de l’industrie. Il les décline pour des pièces de mobilier et des constructions individuelles. Son vocabulaire de formes reprend toujours les mêmes bases, et sa philosophie est simple : économie de moyens, d’espace, de temps de travail, sans pour autant déroger au confort ni à la qualité. Un credo qui devrait être celui de tout designer ou architecte… C’est sans doute pour cela qu’ils le révèrent aujourd’hui. Ces principes ont créé des icônes, peutêtre malgré lui. Les célèbres panneaux à hublots en aluminium ? Ils sont avant tout performants : légers, isolants, ils ne se corrodent pas, laissent passer la lumière et servent pour des murs comme pour des portes. L’épaisseur des pieds arrière de la chaise Standard ? Elle offre un maximum de soutien là où la chaise reçoit le plus de poids ? La table métallique EM Tropicale ? Le matériau résiste bien mieux aux climats humides que le bois. La Maison des jours meilleurs, la plus belle qui soit selon Le Corbusier ? Aisément démontable et déplaçable, elle offre une bonne solution à la problématique de l’habitat d’urgence. Et ainsi de suite… La ville de Nancy veut aujourd’hui lui faire une vraie place dans la cité, à l’image de celle de Gaudi à Barcelone. Chaque musée de la ville présente un aspect du travail et du parcours de Jean Prouvé, du ferronnier d’art à l’humaniste. Et il en faudrait dix de plus pour faire le tour de son œuvre… D
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par Cécile Becker photo : Léa Crespi
par Nicolas Querci
Préfiguration Nuit Blanche-Metz : Exposition Peanuts & Cie du 23 juin au 31 août ; NBLAB #2 du 12 juillet au 12 août à l’église des Trinitaires ; NUITS D’ETE, les 13, 27 et 10 août Soirée de lancement avec Pierre Henry, le 7 septembre à l’Arsenal www.nuitblanchemetz.com
PHOTO & CÉRAMIQUE #1, exposition du 22 juin au 16 septembre au musée de la Faïence de Sarreguemines
focus
Génie Henry
Nouveaux regards
Nuit Blanche-Metz s’éparpille tout l’été entre expositions, concerts et performances avant le 5 octobre prochain. Une programmation réjouissante qui se termine en explosion de musique concrète avec la présence de l’octo-génie-aire Pierre Henry. Place au bruit.
Au XIXe siècle, la céramique est présente partout. Elle suscite un intérêt particulier pour les industriels, mais aussi des artistes. Une exposition la resitue au cœur des préoccupations de son temps.
Si vous ne connaissez pas Pierre Henry, vous connaissez sans doute son Psyché Rock sous sa forme big beat par Fatboy Slim sortie sous la compilation-hommage Métamorphose : Messe pour le temps présent réalisée pour le 70ème anniversaire du compositeur. Grand mal vous en fasse ! Car le morceau originel est une pure folie composée en 1967 avec Michel Colombier, compositeur de musiques de film. Avec lui, il créé l’œuvre Messe pour le Temps Présent que Maurice Béjart mettra en danse au festival d’Avignon, d’où Psyché Rock est issu. Beaucoup ne retiendront que les frasques gestuelles de Béjart. Dommage. L’apport de Pierre Henry dans ce qu’on connaît de la musique est considérable. Avec Pierre Schaeffer, papa de la musique concrète, ils taillent des sons enregistrés, les mélangent, les amplifient et dessinent là les contours de ce qui se fera de mieux en psychédélique, lorsque les effets sonores envahiront les studios : The Beatles, Can, Soft Machine et même le Velvet Underground en témoigneront. En électronique, Kraftwerk ou Tangerine Dream n’y seront pas non plus étrangers. Les notes disparaissent, les rapports, les formes, les mouvements sont maîtres. Il le dit lui-même, ironiquement : « C’est insuffisant les notes. Ca n’est rien. Ça se perd. C’est bête. On ne peut pas travailler avec les notes. Les notes, c’est pour les compositeurs. » Alors, la musique devient objet sonore. Avec Pierre Henry, pas étonnant que chaque concert soit une cérémonie. À ne pas rater. D
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Dès l’apparition de la photographie, en 1839, inventeurs, photographes, scientifiques, industriels, se sont efforcés de trouver les meilleurs moyens de fixer durablement les images et de les diffuser. Ils s’intéressent alors à la céramique et en explorent toutes les possibilités. La céramique présente l’avantage d’être un support très résistant. Elle est également présente dans tous les foyers. Entre 1854 et 1900, 50 brevets sont déposés en France pour des techniques de transfert d’image sur céramique. Assiettes, plats, tasses, médaillons : ces objets, décorés de portraits d’hommes célèbres, font leur apparition. Les plaques mortuaires ornées du portrait du défunt connaissent un grand succès. Avec l’essor du tourisme, les souvenirs en céramique remplissent les échoppes. Quelques manufactures se lancent dans l’aventure. C’est le cas de Sarreguemines, qui illustre ses objets maison de nombreuses vues de villes. Mais la production en grandes séries est difficile à réaliser, avant le développement, au tournant du XXe siècle, de nouveaux moyens de reproduction photomécanique. Entre-temps, beaucoup d’industriels auront renoncé, non sans avoir donné naissance à des pièces de toute beauté, à mille lieues de la bimbeloterie moderne. C’est cette histoire technique, artistique et industrielle que retrace aujourd’hui le musée de la Faïence, qui réussit chaque fois le pari de renouveler le regard que l’on porte sur la céramique. Le deuxième volet de cette exposition, fin octobre, en cédant la place à des artistes contemporains, attestera encore de la vitalité de ce support de création. D
par Emmanuel Abela
focus END OF SEASON PARTY, soirée le 29 juin à la Philharmonie, à Luxembourg www.philharmonie.lu
Planet Rap Pour sa traditionnelle « End of season party », la Philharmonie invite des DJs, parmi lesquels Afrika Bambaataa. Retour sur le parcours d’exception de cet artiste pionnier du hip hop.
Alors qu’il est devenu dominant au point de sombrer dans la caricature, mesure-t-on encore l’importance du hip hop, et de la culture qu’il a engendrée à la toute fin des années 70 et au début des années 80 ? Ça n’est pas sûr, et il serait bon de se reposer la question des pratiques artistiques initiées par les pionniers, dont le légendaire Afrika Bambaataa. Ce DJ qui, au même titre que Kool DJ Herc et Grandmaster Flash, a révolutionné la pratique du dee-jaying, au point de faire de la culture du scratch et de l’échantillon la base même des cultures à venir, a renoué avec la tradition de la contestation noire, celle des poètes engagés, proches des Black Panthers dans les années 60 et de Malcolm X, les Last Poets à New York et les Watts Prophets à Los Angeles. Tout en s’inspirant de ses maîtres, James Brown ou Gil Scott-Heron, il a su aller là où aucun Noir n’était jamais allé, la musique répétitive et électronique blanche, et notamment celle de Kraftwerk sur son illustre Planet Rock. Il y a trouvé la rythmique qui lui permettait d’affirmer un concept nouveau autour du zoulou, du nom de ce peuple d’Afrique qui avait collé la pâtée à l’armée britannique en 1879. La Zulu Nation n’est pas seulement celle des Noirs opprimés qui résistent aux Etats-Unis, elle est celle de tous ceux qui vivent sous le joug des libéraux dans le cadre de démocraties fortement abîmées depuis plus de 30 ans. Ancien membre des Black Spades, Afrika Bambaataa sait que la violence ne résoudra rien d’où l’idée d’une association d’un genre nouveau qui promeut « la paix, l’amour, l’unité et le partage de la joie ». Son organisation à la vocation hautement fédératrice trouve un écho planétaire et se voit vite prolongée par des ramifications internationales. Malheureusement, les principes de la Zulu Nation sont rattrapés par la commercialisation du rap qui font qu’ils sont
désavoués d’eux-mêmes. N’empêche qu’il reste cet esprit pionnier – le terme est loin d’être ici galvaudé –, Afrika Bambaataa continuant de prôner ses principes avec une ferveur inégalée, et surtout un sens artistique toujours aussi aiguisé. Nulle nostalgie ni culte en ce qui le concerne, mais des pratiques ouvertes qui continuent de dire quelque chose de la condition des Noirs aux Etats-Unis, mais aussi de notre condition à nous, petits Blancs désœuvrés, dans un monde qui nous échappe parfois. D
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par Emmanuel Abela
focus BEN, exposition jusqu’au 2 septembre au château Malbrouck, à Manderen www.chateau-malbrouck.com
Welcome in Egoland Ben reste l’un des artistes les plus connus au monde aussi bien pour les artefacts qu’il décline à l’infini que pour ses expérimentations les plus loufoques. L’exposition que lui consacre le château Malbrouck rend compte de la richesse et de la diversité de son œuvre autour de thèmes universels : l’être, la mort, l’amour.
On ne le sait guère, mais pour Ben, l’art est surtout affaire de séduction : un jour, un grand singe s’est peint le postérieur pour attirer les femelles ; voyant que ça ne marchait pas si mal, un autre grand singe a fait de même mais en bleu, et le troisième en vert. Derrière cette anecdote amusante que le Niçois raconte généralement tout sourire, c’est l’intention de l’artiste qui est affirmée. « Depuis Duchamp, nous rappelle-t-il, l’intention est suffisante. On peut décréter une idée, un concept sans avoir besoin de le réaliser physiquement. » Ben rajoute : pas d’intention sans ego. L’ego est ce qui donne l’impulsion à la démarche artistique ; il reste à trouver à l’artiste de quoi signer ses œuvres, de quoi les identifier auprès du public quitte à « faire le pitre » pour être remarqué. Aujourd’hui, cer tains ne retiennent malheureusement chez Ben que les pitreries ou le merchandising de chaussettes et de cahiers de texte, mais Ben est un grand artiste, prosélyte du message duchampien, fervent acteur aujourd’hui encore des démarches Fluxus, dont il était l’un des éminents représentants français. Loin de toute frime, il continue de questionner la fonction même de l’art : « On est coincé entre deux possibilités : tout est art, rien n’est art. », avait-il inscrit un jour dans un catalogue après avoir dessiné une figure inspirée d’un Sphinx à la Cocteau qui regardait en même temps à droite et à gauche. Et audelà de l’art, ce touche-à-tout de génie questionne l’être luimême, avec humour bien sûr, mais aussi avec une extrême lucidité. Il faudrait aujourd’hui réapprendre non seulement à l’écouter – ce qu’il formule en conférence ou en interview est généralement admirable –, mais aussi à lire ses œuvres, à défaut même de les regarder. On se rend compte aujourd’hui qu’au-delà de ses propres gimmicks, il s’agit d’un artiste majeur, qui fait le lien entre la popularité de la subversion dada et les démarches les plus conceptuelles. D
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Les langues et les sons se mélangent et c'est bien. La langue et les sons se balancent et c'est bien. Les langues et les sons se mélangent et c'est bien. La langue et les sons se balancent et c'est bien. Les langues et les sons se mélangent et c'est bien. La langue et les sons se balancent et c'est bien. Les langues et les sons se mélangent et c'est bien. La langue et les sons se balancent et c'est bien. Les langues et les sons se mélangent et c'est bien. La langue et les sons se balancent et c'est bien. Les langues et les sons se mélangent et c'est bien. La langue et les sons se balancent et c'est bien. Les langues et les sons se mélangent et c'est bien. La langue et les sons se balancent et c'est bien. Les langues et les sons se mélangent et c'est bien. La langue et les sons se balancent et c'est bien. Les langues et les sons se mélangent et c'est bien. La langue et les sons se balancent et c'est bien. Les langues et les sons se mélangent et c'est bien. La langue et les sons se balancent et c'est bien. Les langues et les sons se mélangent et c'est bien. La langue et les sons se balancent et c'est bien. Les langues et les sons se mélangent et c'est bien. La langue et les sons se balancent et c'est bien. Les langues et les sons se mélangent et c'est bien. La langue et les sons se balancent et c'est bien. Les langues et les sons se mélangent et c'est bien. La langue et les sons se balancent et c'est bien. Les langues et les sons se mélangent et c'est bien. La langue et les sons se balancent et c'est bien. Les langues et les sons se mélangent et c'est bien. La langue et les sons se balancent et c'est bien. Les langues et les sons se mélangent et c'est bien. La langue et les sons se balancent et c'est bien. Les langues et les sons se mélangent et c'est bien. La langue et les sons se balancent et c'est bien. Les langues et les sons se mélangent et c'est bien. La langue et les sons se balancent et c'est bien. Les langues et les sons se mélangent et c'est bien. La langue et les sons se balancent et c'est bien. Les langues et les sons se mélangent et c'est bien. La langue et les sons se balancent et c'est bien. Les langues et les sons se mélangent et c'est bien. La langue et les sons se balancent et c'est bien. Les langues et les sons se mélangent et c'est bien. La langue et les sons se balancent et c'est bien. Les langues et les sons se mélangent et c'est bien. La langue et les sons se balancent et c'est bien. Les langues et les sons se mélangent et c'est bien. La langue et les sons se balancent et c'est bien. Les langues et les sons se mélangent et c'est bien. La langue et les sons se balancent et c'est bien. Les langues et les sons se mélangent et c'est bien. La langue et les sons se balancent et c'est bien. Les langues et les sons se mélangent et c'est bien. La langue et les sons se balancent et c'est bien. Les langues et les sons se mélangent et c'est bien. La 36
Locus Metropole, un événement évolutif construit autour de l'art-performance-langue, (extrait Locus Metropole 3, La Kunsthalle Mulhouse, 7 juin 2012) Par sandrine wymann et bearboz
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— EXPOSITION
LA RENCONTRE ENTRE SAVOIR-FAIRE VERRIER ET CRÉATION CONTEMPORAINE AU CENTRE INTERNATIONAL D’ART VERRIER DE MEISENTHAL
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SITE DU GRAND-HORNU HORNU ⁄ BELGIQUE 24 JUIN — 7 OCTOBRE 2012 —
ORGANISÉE PAR GRAND-HORNU IMAGES / GRAND-HORNU-IMAGES.BE SITE DU GRAND-HORNU : 10H — 18H / TOUS LES JOURS / SAUF LUNDI
— GRAND-HORNU IMAGES EST SUBVENTIONNÉ PAR LA PROVINCE DE HAINAUT.
LE CENTRE INTERNATIONAL D'ART VERRIER BÉNÉFICIE DU SOUTIEN DE :
DRAC
LORRAINE ALSACE
PLUS D'INFOS : CIAV-MEISENTHAL.FR / RUBRIQUE ACTU
©RDNGR.COM
N° de licence entrepreneur du spectacle : 1050935-936-937 ~ Conception : star★light
ECHO of the MOON Luca Francesconi
30.03 ↔ 26.08 Musée d’Art et d’Histoire Hôtel Beurnier-Rossel
Conception médiapop + star★light
F - 25 200 Montbéliard + 33 (0)3 81 99 24 93 www.montbeliard.fr
15.06 ↔ 16.09 CRAC Alsace 18 rue du Château F - 68130 Altkirch + 33 (0)3 89 08 82 59 www.cracalsace.com
Rencontres par Emmanuel Abela photo : Stéphane Louis
Rien au hasard Nos petites oreilles françaises s’attachent naturellement à ce qui vient de Belgique. Elles redoublent d’attention quand le groupe combine vertus mélodiques et sens inné du groove comme c’est le cas avec Balthazar, que nous avons croisé à la Laiterie, à Strasbourg.
Comme aux plus riches heures des années 80, on assiste à une nouvelle invasion belge. Dans la lignée de leurs prédécesseurs, Polyphonic Size, dEUS ou Soulwax, Balthazar fait sa percée continentale avec une pop britannique très inspirée par les modèles Blur et Arctic Monkeys. Une particularité cependant pour ce groupe originaire de Courtrai dans les Flandres : le duo d’origine a intégré très tôt une jeune – et jolie – violoniste, Patricia Vanneste. C’est elle justement, la plus francophone du groupe, qui accompagne le chanteur et guitariste Jinte Deprez. « Nous jouions dans la rue, nous rappelle-t-elle amusée, mais nous étions des rivaux. On s’est vite rendu compte qu’il était préférable de jouer ensemble. » Jinte apporte une précision : « Mais ça n’était pas Balthazar. » Ils avaient alors 15 ans, et pourtant l’idée de conserver la présence de ce violon, et de le faire cohabiter avec les synthés, s’est imposée comme une évidence. « Le son de Patricia nous apporte vraiment quelque chose. » On le constate à l’écoute du disque, mais aussi sur scène, c’est même devenu
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l’un des éléments identifiants de ce groupe pas comme les autres ; il rajoute cette touche mélancolique à une pop plutôt enjouée, qui se distingue également par la présence renforcée de la basse. « Oui, avec la batterie, la basse structure les morceaux, un peu comme dans les chansons de Serge Gainsbourg », nous confirme Jinte, assez fier visiblement d’évoquer l’artiste français sur ses terres. Ça peut surprendre de prime abord, mais ça conforte rapidement le plaisir qu’on éprouve à l’écoute de Balthazar, chaque instrument est à sa place, et l’espace s’ouvre à lui, dans une approche très minimale. À terme, la tentation électronique conduira-t-elle à des compositions encore plus dansantes ? « À la base, nous écrivons des chansons à la manière des songwriters, mais après elles évoluent vite vers autre chose. Nous ne cherchons pas à faire danser les gens, mais si la chanson les incite à le faire, ça nous va bien. » Il y a une addiction possible à leurs chansons mi sucrées mi acidulées, et les diffusions radio en France le confirment : il y a fort à parier que Balthazar touche un public qui dépasse largement l’audience indie habituelle, notamment avec des singles comme I’ll Stay, un hit en puissance. ❤
par Benjamin Bottemer photo : Ludmilla Cerveny
Mutation en cours On n’a pas vu le temps passer, et le jeune loup du hip-hop britannique est devenu un vétéran, nourrissant lui-même l’armée de ses successeurs. Le nouvel album de Roots Manuva, 4everevolution, est comme une playlist un peu foutraque, au son métissé et à l’ambiance moite. Rencontre inespérée à L’Autre Canal, à Nancy.
L’an 1998 marque les débuts de l’ambitieux label Big Dada, soucieux d’explorer les terres du hip-hop comme son grand frère Ninja Tune celles d’une musique électronique déjà résolument tournée vers le downtempo et l’abstract hip-hop. Presque immédiatement, la jeune maison trouve son seigneur de guerre, un type nommé Rodney Smith aka Roots Manuva, un petit mec de Londres d’origine jamaïcaine comme tant d’autres. Sauf que lui cloue tout le monde sur place dès qu’il ouvre la bouche. Roots Manuva déroule, le son, puissant, prend toute la place, notre caboche suit le rythme, et ça va durer pendant une paire d’albums, Brand new second hand et Run come save me en tête. « À l’époque, je ne me posais pas de questions, je faisais mon hip-hop, j’étais genre... [il rabat sa capuche sur la tête et fait mine de fumer un joint, ndlr] Chaque album est le reflet d’une époque donnée. Dans 4everevolution, il y a beaucoup d’émotions, le titre lui-même a plusieurs sens... d’ailleurs au début je ne voulais pas lui en donner. » Quatre ans après Slime & Reason, qui annonçait déjà des changements dans la musique du bonhomme, 4everevolution est un melting-pot, un album à l’esprit un peu blockparty, plus jamaïcain que londonien. Du dub au disco, au funk, hip-hop dans l’âme mais osant un clin d’œil créole, le tout semble un peu inégal et hétérogène, mais ne manque pas de charme et de surprises. « J’ai passé beaucoup de temps à explorer. Même quand je pensais avoir terminé un morceau, je voulais encore faire évoluer des choses. » À chacun de se faire une opinion sur cet opus qui ne manquera pas de diviser, surtout parmi les fans de la première heure. Ces temps-ci, il ne
manque pas de gens pour affirmer que les meilleurs albums de Roots Manuva, ces dernières années, ce sont des quidams comme Dizzee Rascal ou Ghospoet qui les ont sortis. À presque 40 ans, Rodney Smith connaît bien la chanson : « Il y a plein de trucs cools qui se passent dans la scène hiphop, en Angleterre, en France, aux États-Unis... plein de jeunes talentueux. Le hip-hop prend de nouvelles formes partout, et la seule définition que l’on peut lui donner aujourd’hui, c’est qu’il s’agit d’un grand mélange. » Dans une industrie qui devient selon lui « smaller and smaller », Roots Manuva continue de voir grand et mixe les influences, que ça vous plaise ou non ; de toute façon, ce mec n’est plus humain : c’est un mutant. ❤
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Rencontres par Cécile Becker photo : Ludmilla Cerveny
Grimes, infinite Love Elle n’a rien de commun. Rien. Grimes est un condensé de ressentis, elle transpire l’énergie, l’excitation, la haine, la tristesse, la pop, le trash, la force et la fragilité. Elle est la noirceur et la lumière incarnée. Le vent de froideur dont la musique actuelle avait besoin. Seule, elle gravite sur ses propres notes, s’agite sur ses claviers et ses boutons. Sorcière de la beauté.
Les notes de Genesis résonnent en balance, Claire Boucher crie sur son micro, des petits cris stridents, presque envoûtants. À l’écoute de ces vocalises, déjà des frissons nous parcourent. La voilà qui traverse le hall pour venir à notre rencontre. Elle porte une longue veste militaire ample, suit sa tourman, nonchalamment, tête baissée. Elle traîne des pieds et chante. Un peu dans sa bulle. Alors c’est elle : une petite fille, une sale gosse. « Je m’identifie à une femelle. Dans ma tête, je suis une gosse. Si légalement, je suis une adulte, je ne suis pas particulièrement responsable », nous dira-t-elle plus tard. Elle nous tend la main pour nous saluer et brusquement, elle semble gênée, mal à l’aise. Une timidité des plus touchante immortalisée par l’objectif de Novo. Pendant l’interview, sa gestuelle est aérienne, elle nous fixe comme pour chercher quelque chose au fond de nos êtres, pour nous cerner. Elle se perd parfois dans ses propres mots, elle hésite, ne sait pas, répond souvent « Oui et non ». Parce que la vie n’est que contradiction, Grimes n’est que contradiction. Son album Visions, pain béni des revues musicales, miel étrange et mystérieux à nos oreilles, a été conçu en trois semaines sous speed : « C’est difficile pour moi de faire de la musique quand je ne suis pas énervée. La haine est une de mes sources d’inspiration. Écrire, composer est cathartique pour moi : je transforme les mauvaises énergies en quelque chose de concret. Je ne peux pas être relaxe pour écrire, il faut que ça vienne de l’intérieur pour être vrai. » Rien de plus vrai, en effet, que cette musique qui vient des tripes et traverse instantanément les couches de l’épiderme pour venir frapper nos affects. Elle avoue : « Je cherche à susciter l’émotion, je ne veux pas blesser les gens, je veux les aider à se découvrir, doucement. J’aime
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sentir que les gens sont tristes quand ils écoutent mes chansons, et presque, que ça leur fasse plaisir. » Touchés. Coulés. C’est exactement ça. Une dualité entre l’ombre et la lumière qui se ressent particulièrement dans la personnalité de Grimes. Sur le papier, elle est dure, froide, recherche constamment la noirceur des choses, lorsqu’elle dit que « rien ne la fascine plus que d’entendre les histoires d’amoureux qui ont perdu leur moitié », la lumière est difficilement palpable. Mais face à nous, c’est tout autre chose, son côté « dark » disparaît complètement sous les traits d’un bout de femme discret, ouvert et fragile. « J’ai des côtés très noirs en moi, mais depuis peu, j’essaye d’être plus heureuse. Je me rends compte que la vie est courte. J’ai toujours été attirée par l’aspect noir de la vie, spécialement artistiquement. Dans le passé, je haïssais tout. C’est important d’être plus amicale et chaleureuse, même si c’est cool d’être agressive de temps en temps. » Depuis le début de sa tournée qui a débuté il y a neuf mois (elle compte sur ses doigts pour en être sûre), les choses ont changé : son discours, sa façon d’être et de s’assumer. On a presque envie de l’embarquer avec nous lorsqu’elle confie : « Je me sens assez seule, je ne vois personne, cette tournée est très intense. » Cette solitude annonce toutefois un tournant dans le travail de Claire Boucher qui a complètement modifié ses aspirations musicales : « Avant, je pensais que la musique devait être faite en une prise. J’avais quelque chose en tête, je devais m’asseoir et tout laisser sortir. Aujourd’hui, comme je voyage, je ne peux plus faire les chansons en une fois. Je commence à construire mon beat sur mon ordinateur dans le van et comme je ne peux pas chanter, l’envie de poser ma voix devient une tension. Alors je continue à travailler le beat, l’os de la chanson. Avant, je pensais
que le beat était secondaire à la voix, aujourd’hui, les instrumentations sont beaucoup plus présentes. Tout ça fait de moi une meilleure musicienne. » Une musicienne, mais avant tout une artiste qui se laisse porter par ce qu’elle voit et ressent. Ceux qui ont pu dire d’elle qu’elle est une autiste de la musique ont tout faux. Au contraire, elle cherche à se confronter à son public, quitte à ce qu’il la déteste : « Si on me déteste, ça veut dire que ce que je fais est différent, innovant. » Elle veut éviter de se conformer aux standards, conjuguer une vision un peu à part du monde qui l’entoure et en même temps interagir avec lui. « Il s’agit simplement de prendre des risques, la plupart des gens veulent vivre confortablement. Quand tu es artiste, tu abandonnes l’ordinaire pour poursuivre quelque chose qui n’est pas forcément logique » complète t-elle. Aucune logique dans sa musique, elle entretient une relation physique avec elle. Ses lives s’apparentent
à une contemplation hypnotique, elle improvise sur ses claviers, joue la tête penchée, se cache, pousse le son très fort, miaule. « C’est immédiat, dit-elle. Une sensibilité pop. Je ne veux pas que les gens comprennent, de toute façon, je construis les choses comme un puzzle. » Un puzzle infini, une recherche de l’infini. « Tout ne veut rien dire, rien ne veut rien dire » finit-elle. Grimes, à l’infini. ❤
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Rencontres par Mickaël Labbé & Cécile Becker illustration : Chloé Fournier
Tel qu’il est Il était là, une canette à la main dans le hall de la Laiterie, quelques minutes avant son concert en première partie de M83. Lui, c’est Mauro Remiddi alias Porcelain Raft, que Novo a rencontré accompagné de Mickaël Labbé (Unfair to Facts).
La musique de Mauro Remiddi m’accompagne quotidiennement depuis maintenant plusieurs années. Une musique d’une beauté fascinante, dont les contours sinueux expriment plus la quête d’un absolu habitant au cœur de tout projet sincère que l’achèvement satisfait de lui-même. Mon projet musical Unfair to Facts doit d’ailleurs beaucoup à la musique de Porcelain Raft. J’ai récemment enregistré une reprise de son morceau Come Closer (il apparaîtrait, d’après l’intéressé, que j’aurais été le premier inconnu à reprendre l’un de ses titres !). C’est donc dans l’attitude quelque peu puérile de la groupie que Cécile et moi avons passé quelques heures interminables à attendre l’arrivée de l’Italien, gravement retardé par un problème de van (non sans lorgner sur la séance de fitness improvisée par les filles du merchandising de M83). D’une gentillesse infinie en dépit des aléas de la tournée, il s’est bien volontiers prêté au jeu des citations.
« Une fois de plus, nos valises cabossées s’empilaient sur le trottoir, on avait du chemin devant nous. Mais qu’importe : la route, c’est la vie. », Jack Kerouac J’ai toujours aimé ce principe selon lequel une vie peut être contenue dans une valise. Quelqu’un qui voyage doit savoir être minimaliste et n’emporter que les choses auxquelles il tient. C’est comme si le contenu d’une valise représentait ton cerveau. La mienne n’est pas toujours très rangée… J’ai commencé à voyager non pas parce que j’aimais ça, mais parce que c’était une nécessité. En réalité, je n’aime pas voyager, je n’en ai pas une vision romantique : la tête appuyée sur les vitres d’un train à regarder les paysages défiler. Quand tu voyages souvent, cela peut être une lutte, mais une belle lutte car tu découvres toujours de nouveaux horizons. « J’ai recherché ma voix, j’ai attendu que mon propre monde soit formé, maintenant, tout est assez solide pour être sorti et visible. Cela peut prendre du temps de se construire. Les magazines et la publicité se concentrent sur la jeunesse, à tel point que tu commences à te sentir bizarre si tu ne te réalises pas quand tu es jeune. Je ne vois pas les choses de la même façon. La jeunesse est surfaite. », Mauro Remiddi
« Un jour je trouverai les mots justes, et ils seront simples. », Jack Kerouac Dans ma musique, j’essaye de dépeindre certaines parties de moi-même. Je n’essaye pas de gommer les imperfections. Il y a quelques années, j’ai réellement découvert Jimi Hendrix en écoutant l’album Electric Ladyland. Il n’a fait que trois ou quatre albums, mais celui-là est le seul qu’il ait produit. Les autres l’ont été par la crème de la crème, les sons sont parfaits. Electric Ladyland est très long et certaines chansons sont terribles mais c’est le plus bel album qu’il ait
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jamais fait. Il a voulu se montrer tel qu’il était. Strange Weekend est dans la même veine : c’est un aperçu de ce que j’étais à ce moment-là. J’aurai pu être brillant, ennuyeux, peu importe. Un album devrait toujours être construit sous forme de portrait. Ma conception est d’en faire un autoportrait et de raconter ce que je suis à un moment précis. Je ne suis pas dans l’éternel. Strange Weekend représente un laps de temps précis, je veux juste que les gens comprennent que je parle de moi sur une période de deux jours, je cherche encore à me découvrir. « C’est curieux, mais ce qu’on espère toujours, bien sûr, c’est peindre le tableau unique qui annulera tous les autres, condenser tout en un seul tableau », Francis Bacon « L’image qui résumera toutes les autres », Francis Bacon J’aime cette vision de l’art. La philosophie fonctionne de la même façon : on cherche une théorie qui annihilera les précédentes, pour être au plus proche de la vérité. Cette idée de trouver une formule magique qui expliquerait l’univers est assez limitée. Je ne suis pas intéressé par la philosophie mais plutôt par une certaine vision des choses, qui soit la plus simple, la plus vraie possible.
« Avant, les gens fermaient leurs yeux et écoutaient la musique. Aujourd’hui, il y a beaucoup d’images qui accompagnent la musique. », Neil Young J’aime beaucoup Neil Young, il était terriblement en avance sur son temps. J’ai vu cette vidéo A Man Needs a Maid, où il y a cette machine qui tourne à côté du piano, c’est très conceptuel. Ce type peut te faire voir la musique d’un autre point de vue, il vient d’une autre planète. Ce que je vois et j’entends de lui ne va pas avec ce qu’il dit là. Je pense qu’il faisait très attention aux images lui-même. Is it too Deep for You ? , Porcelain Raft Cette phrase transpire la confiance. Si tu demandes ça à quelqu’un, c’est que tu le connais très bien. C’est comme si tu disais : « Tu ne comprends rien ! » ou même « Tu es stupide ! ». Ce n’est pas offensif, c’est juste que tu as conscience des limites de la personne que tu as en face de toi : « Est-ce trop profond pour toi ? Est-ce que tu as peur de te lancer ? » C’est une question sensible, mais pour y répondre : oui, c’est trop profond pour moi. ❤
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Rencontres par E.P Blondeau photo : Vincent Arbelet
Contrairement à de nombreuses anciennes gloires des années 80 qui se reforment actuellement, And Also The trees poursuit son parcours depuis trente ans sans redites ni nostalgie. Tentative d’élucidation du parcours de ce groupe mythique avec les frères Jones lors du festival Kill your Pop à Dijon en avril dernier.
Sous l’écorce Vous êtes actuellement en tournée pour votre nouvel album Hunter Not the hunted, quel était votre état d’esprit lorsque vous avez travaillé sur ce nouvel album après votre tournée acoustique il y a trois ans. Simon Huw Jones : Nous savions que ce serait un album difficile à écrire… Nous savions aussi que Listening to the Rag and Bone Man avait eu beaucoup de succès et de très bonnes critiques. Cet album avait été une belle réussite pour nous, nous étions très satisfaits. Aussi, à l’époque, nous n’avions pas vraiment d’option pour lui donner une suite, alors comme vous l’avez dit nous avons enregistré notre album en acoustique. C’était une nouvelle expérience pour le groupe. Je pense que ce qui s’est passé alors c’est que nous avons décidé de retenir les ambiances et les atmosphères de cette expérience acoustique, en utilisant l’espace, presque comme un instrument, mais disons que la notion d’espace a pris plus de place dans nos compositions. Justin Jones : C’était une période un peu floue, nous savions seulement que nous n’avions pas envie de faire un Rag and Bone Man numéro deux et que cet album serait davantage acoustique. Lorsque nous composions nous étions en tournée et nous n’avions à notre disposition que des instruments acoustiques, de toute façon… Puis, les choses ont évolué, on s’est tous dit : ramenons un peu plus d’électricité finalement.
En parlant de l’atmosphère de votre musique, je me suis toujours demandé quel était le lien que l’on pouvait établir entre votre village natal, Inkborrow, et les morceaux d’And Also The Trees ? SHJ : En ce qui concerne mes paroles, l’atmosphère d’Inkborrow est assez facile à discerner. En ce qui concerne la musique j’arrive à entendre l’influence de cette région dans les accords de Justin… Mais en fait le lien est plutôt simple. Lorsque nous avons commencé, nous avons délibérément décidé de nous nourrir de notre environnement immédiat, et c’était un tout petit hameau, vraiment paisible, quelques maisons ici et là, et le paysage. Ce n’était pas vraiment calculé de notre part, c’était comme une évidence : tout ce que peut amener l’environnement immédiat pour nourrir votre art et votre musique. Nous nous sommes autorisé cette opportunité… Il faut rappeler qu’à l’époque il était beaucoup plus à la mode d’être urbain ; les groupes venaient de Londres, Manchester ou Liverpool et ça s’entendait dans leur musique… Et au lieu de faire croire que nous venions de ces scènes des grandes villes anglaises, ce qui d’ailleurs était une tentation pour de nombreux musiciens, nous nous sommes dis que non, qu’il y avait sans doute quelque chose à faire en assumant notre environnement proche. Vous avez, et avez toujours eu, un très grand succès en France et en Allemagne notamment, on a presque l’impression que votre pays natal vous boude un peu, ou alors comme l’a dit John Peel : « And Also The trees est trop anglais pour les Anglais »… JJ : Oui c’est vrai, nous avons un succès correct en Angleterre, sans plus. La vraie raison pour moi est le fait que nous ne jouons pas assez souvent en Angleterre… Et en même temps, même à Londres, les endroits où jouer sont minuscules… Je trouve que c’est un problème : il n’y pas de salles de taille moyenne qui correspondrait à un groupe indie comme le notre. La dernière fois que nous avons joué
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De nombreux groupes des années 80 se reforment ces derniers temps, pour le meilleur parfois, et pour le pire la plupart du temps, je me suis rendu compte que vous ne vous êtes jamais séparés. Avec le recul, comment jugez-vous l’évolution du groupe ? SHJ : La période où nous avons enregistré nos albums avec ce son de guitare américain et ces atmosphères des années 50, cela nous a emmenés très loin de nos racines, pas totalement, mais c’était nouveau… Mais vous savez partir ainsi très loin vous permet de revenir… Et vous ne pouvez pas revenir si vous n’êtes jamais partis… Vous revenez en voyant les choses différemment, c’est peut être pour cette raison que vous entendez des choses de nos albums du début des années 80 dans ce nouvel opus. C’est un processus assez naturel en fait : vous vous éloignez musicalement, naturellement. Puis vous devez prendre une décision. Sommesnous en train de régresser musicalement ? Ou assumons-nous notre passé, notre son, car il fait partie de nous même ? Il ne faut pas se cacher. Il faut utiliser cela de manière créative. à Londres, c’était vraiment très agréable et les gens venaient de tout le pays pour nous voir, les gens nous disaient : « Nous ne comprenons pas ! Vous faites 17 dates à l’étranger, s’il vous plait venez jouer en Angleterre ! » SHJ : Il faut peut-être ajouter aussi que nous n’avons jamais eu de connections étroites avec les médias en Grande-Bretagne, parce que nous venions d’un endroit reculé, loin du bouillonnement londonien. C’est agréable de vivre dans un village au milieu de nulle part, mais il faut bien reconnaître qu’il n’y a personne des médias à moins de 150 kilomètres à la ronde… Je m’en rends compte désormais que je n’y habite plus. Récemment en travaillant sur un projet à Rennes, j’ai remarqué que lorsque tu sors après le set, tu rencontres des journalistes, des gens de théâtre et d’autres musiciens, ce que l’on peut appeler une scène… Nous n’avons jamais connu cela et c’est certainement la raison pour laquelle nous sommes restés un groupe aussi underground… Mais nous ne regrettons rien car cela nous a sans doute aussi permis de ne pas nous retrouver broyés par la hype londonienne.
Une question que je voulais vous poser depuis longtemps pour finir, vous êtes frères et avez grandi dans un petit village, d’où vous est venu cet amour de la musique et cette volonté de former un groupe qui dure depuis 25 ans maintenant… JJ : Nous ne venons pas vraiment d’une famille de musiciens… SHJ : Non, je crois qu’un de nos grands-pères jouait du banjo… JJ : Notre mère a joué un peu de piano… SHJ : Nous n’avons pas vraiment de musiciens dans la famille, mon père faisait partie d’un chœur, mais c’est tout… Nous étions tous les deux vraiment passionnés de musique, nous avons eu cette chance d’arriver en même temps que la scène punk qui a vraiment explosé en Angleterre à cette époque-là… Cela a donné à de très jeunes garçons, comme nous l’étions, l’occasion d’acheter des instruments et de se lancer en toute confiance… Nous voulions le faire voilà tout, ce n’était pas pour quitter notre région. Notre première ambition était de faire un concert, une seule fois, face à un public. Nous estimions que si nous parvenions à faire cela ça nous comblerait de bonheur. Les groupes qui avaient du succès à l’époque et que nous respections musicalement étaient vraiment nos héros. Alors lorsque nous sommes montés pour la première fois sur scène, c’était une expérience terrifiante mais nous savions une chose : nous voulions le faire à nouveau… ❤
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Rencontres par Philippe Schweyer Photo : Elisa Murcia-Artengo
Les carburants de Miossec Rencontre décontractée avec le chanteur et parolier Christophe Miossec pour parler en vrac d’égo, de trac, de tics, de style et de son amour assez inattendu pour Chet Baker.
Besançon, le 22 mars. Le soleil éclabousse la somptueuse terrasse panoramique de la Rodia, l’endroit rêvé pour lézarder au soleil à l’heure de la sieste avant un concert. Christophe Miossec s’écarte de sa bande de musiciens pour parler en toute décontraction tout en continuant à profiter du soleil bisontin. D’une voix douce, il se livre sans fanfaronnerie ni langue de bois. Manifestement apaisé, il savoure sans trop se prendre au sérieux sa situation de parolier recherché et de chanteur installé tout en prenant soin de tenir à distance les blessures et les démons qui font le sel de ses chansons. Je n’ai rien préparé pour que ce soit plus vivant ! Avoir des questions préparées à l’avance, ça fausse la donne. C’est important, l’image que les gens ont de toi ? Oh non, surtout pas de fatigue pour ça ! Ton goût pour la littérature se retrouve dans tes textes… écrire des chansons est un métier fabuleux. Une chanson, c’est juste un jet. Contrairement aux écrivains, tu n’as pas à tenir sur la longueur et l’écriture ne prend pas une place monstrueuse dans ton emploi du temps. Peut-être parce que j’ai commencé tard, ma raison d’exister dans la musique ne tient qu’aux mots. Beaucoup de chanteurs sont davantage frappés de musique que de littérature, alors que je passe plus de temps à lire des biographies et des livres sur la musique qu’à en écouter… Il y a tes mots, mais il y a aussi ta façon de chanter… Chez moi, c’est davantage le texte qui donne la chanson que la mélodie. C’est pour ça que je ne suis pas “pop”, que je ne suis pas un mélodiste.
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Quand tu reprends du Joe Dassin, on a l’impression que c’est du Miossec… Vampiriser une chanson, c’est toujours marrant. Sur mon premier disque, je voulais reprendre du Hallyday parce que je savais très bien que c’était de très mauvais goût. J’ai composé avec le pianiste de jazz Baptiste Trotignon. C’est marrant de confronter mon écriture à la forme du jazz. Le jazz laisse beaucoup de liberté au niveau du texte. On reprend aussi du Chet Baker que je me suis amusé à adapter en français. J’écoute Chet Baker depuis que je suis gamin et c’est un putain de pied ! C’est affolant comme c’est inusable, c’est la bande-son d’une vie. Robert Wyatt qui est un grand chanteur est aussi un chanteur “jazz”… Pourrais-tu arrêter de faire des concerts ? Quand tu es en tournée, tu te dis souvent que tu serais mieux à la maison. Mais quand tu te retrouves à la maison, il n’y a rien à faire. C’est une chance d’avoir deux vies si différentes. Est-ce qu’il t’arrive de penser que dans cinquante ans tu seras comme Aznavour? Aznavour a été tellement mal reçu à ses débuts, qu’il a vraiment du ressentiment. Ce n’est pas mon carburant… Quel est ton carburant ? Les dix minutes qui suivent un bon concert… Lorsqu’on est sur les genoux avec le groupe. Et les dix minutes qui précèdent ? Il y a toujours ce putain de trac qui est dans les parages et que je suis obligé d’affronter. Quand je picolais, c’était plus facile. Maintenant que je ne bois plus, c’est plus direct.
As-tu des souvenirs précis de certains concerts ? Dans la biographie de Keith Richards, il y a ces mots : “Je n’ai rien oublié”. Il faut souvent des petits éléments extra-musicaux pour que la mémoire se remette en route. Tes proches se reconnaissent-ils parfois dans tes chansons ? Oui, c’est plutôt drôle. Il y a pas mal de disparus, c’est pratique. Des fois ça a été mal pris, mais c’était mon point de vue. Si une de mes chansons choque la personne qui se reconnait, tant pis ! Celle qui partage ta vie pourrait ne pas apprécier certains textes… Cela m’est arrivé. Si mes textes ne plaisent pas à la personne avec qui je vis, c’est que l’on n’a rien à faire ensemble. Ce qui est bien, c’est que l’écriture nettoie ! Lorsque tu chantes, repenses-tu à ce que tu éprouvais en écrivant les paroles ? En concert, des moments me reviennent en pleine gueule et je suis étonné par le premier degré de certains textes. Des trucs vécus il y a quinze ans ressurgissent. C’est plutôt jouissif, j’ai l’impression de faire la vidange ! Es-tu capable de dire ce qui a changé dans ton écriture ? Les tics font le style. Entre les tics et la peur de me répéter, ça devient compliqué. Il faut faire attention avec le maniement du “je” pour éviter que ça devienne un fond de commerce trop nombriliste. L’autofiction n’a jamais été ma tasse de thé. Je ne supporte pas Christine Angot !
Pourtant, en t’écoutant on a l’impression de prendre de tes nouvelles. Les chansons qui veulent toucher la masse sont horribles, voire dangereuses et la scénographie va généralement avec. Je ne suis pas là pour faire taper dans les mains. As-tu déjà manifesté ? Oui, j’aimais bien ça parce que ça bastonnait. C’était avant que les voltigeurs soient dissous. Ils étaient extrêmement impressionnants. Tu cours et tu vois les mecs devant toi qui se font faucher par deux mecs à moto ! On a l’impression qu’il y a une époque où les artistes et les intellectuels étaient plus engagés… Tout reste une histoire d’égo. Les intellectuels des années soixante qui arrivaient à tirer leur épingle du jeu étaient très contents de voir leur photo à la vitrine de certaines librairies. Le carburant, c’est l’égo ? C’est terrifiant, mais ça reste ça… Te heurtes-tu à des managers qui te disent ce que tu dois faire ? Non, je travaille avec Pias. Plein de gens me disent que j’aurais pu décoller si j’avais signé avec une major, mais je n’en ai pas envie. La seule garantie avec une major, c’est d’avoir un gros chèque. Si c’est le carburant, c’est bien. Mais à long terme ça n’irait pas du tout. Crains-tu d’être viré de ta maison de disques et de disparaître ? Le jour où je ne vendrai plus, allez hop au suivant ! Ce qui est drôle, c’est qu’on dégage à la demande générale ! Ma jolie petite position n’est pas une circonscription à vie. Ce qui est plutôt marrant, c’est que l’industrie du disque part en couilles. On va se remettre au braconnage ! Pour moi, le piratage a toujours existé. Quand j’étais gamin, je n’avais que des cassettes à la maison. J’ai toujours piraté de la musique. Ma base musicale vient de là… As-tu conservé ces cassettes ? Non, je vire tout. J’ai beaucoup déménagé, ce qui permet de se délester… Tu vires aussi les bouquins ? Oui, tout dégage. C’est quoi le truc que tu gardes ? Il n’y en a pas. Je n’ai pas envie de m’encombrer. À l’époque où je suis revenu de la Réunion, déménager était comme vider une bagnole. Maintenant que je vis du côté de Brest, je ne vais plus bouger. La musique me permet d’habiter dans un endroit auquel je rêvais quand j’étais gamin ! Tu écris aussi pour des femmes… écrire au féminin, quel plaisir ! La langue française est vraiment superbe. C’est tellement jouissif quand tu as trouvé le petit truc qui fait que tu as une chanson ! Comment travailles-tu ? Faut-il que tu te mettes à ton bureau ? Oh non, j’écris quand je pète la forme et que je suis d’humeur enthousiaste ! ❤
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Rencontres par Philippe Schweyer photo : Vincent Arbelet
Michel Houellebecq bien adapté Rencontre avec le romancier visionnaire Michel Houellebecq au sortir de sa toute première visite de l’exposition Le Monde comme volonté et comme papier peint au Consortium à Dijon.
Lorsque Michel Houellebecq arrive au Consortium le jour du vernissage de l’exposition adaptée de son dernier roman La Carte et le Territoire, on nous prévient qu’il ne souhaite pas en parler avant d’avoir pris le temps de réfléchir. Pendant que Stéphanie Moisdon lui fait visiter une exposition qu’elle a imaginée “non pas comme un système de narration, mais plutôt comme un système de juxtaposition” après avoir lu son livre, on le sent particulièrement concentré. Pratiquement chaque pièce de l’exposition appelle un commentaire, une interrogation ou une digression. Particulièrement attentif, l’écrivain se mue en reporter, n’hésitant pas à dégainer son appareil photo. Dès la visite terminée, Michel Houellebecq, manifestement satisfait par “l’adaptation” de son roman, nous livre ses toutes premières impressions, verre de blanc et clope à la main. Quel effet ça vous a fait de parcourir cette exposition ? Comme l’artiste qui est le personnage principal du livre, Stéphanie Moisdon a choisi de s’intéresser au travail humain. Ce n’est pas le thème le plus facile à aborder, ni en littérature, ni au cinéma, ni en art, pourtant c’est important ! Tout le monde travaille, mais c’est plus facile de parler des sentiments humains, des questions de filiation. Le rapport au travail est quelque chose de difficile à aborder. Avez-vous retrouvé les thèmes de votre roman ? Le thème du travail est très présent dans le livre et dans l’exposition aussi. Il y a d’autres choses que le travail, mais on peut commencer par parler de ça. Les artistes dans l’histoire ont eu du mal avec l’industrie…
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Il y a Fernand Léger… En fait, il n’y a que Léger qui représente vraiment des ouvriers au travail. Dans l’histoire de la peinture, il y a beaucoup plus de représentations du travail agricole que du travail industriel. Même chez les peintres du Réalisme socialiste. En fait, en y réfléchissant bien, je ne connais pas bien le Réalisme socialiste. Par contre, j’ai beaucoup lu la revue La Chine en construction et en y repensant, c’est plutôt des scènes agricoles que je revois. Pouvez-vous nous dire deux mots sur William Morris ? Je me souviens avoir découvert Morris à travers un livre bizarre de Chesterton qui s’appelle Le retour de Don Quichotte et qui est une espèce de livre révolutionnaire médiéval. J’ai compris que Morris est une personne très étrange qui a des conceptions sociales très étranges… C’est comme ça que j’ai commencé à m’intéresser à William Morris, mais c’est assez difficile d’en parler. Quand on entre dans l’exposition, on voit bien qu’il reste une réelle étrangeté chez Morris. Penser qu’il a fondé une fabrique est stupéfiant. C’est déjà étonnant en soi que Morris ait eu un projet industriel, mais ce qui m’a fasciné, c’est que ce projet industriel ait marché économiquement. Il m’arrive de me dire en lisant William Morris qu’il avait peut-être raison et que l’industrie a pris une mauvaise voie. Que la production en général a pris une mauvaise voie et qu’il fallait effectivement garder une dimension artisanale au sein de l’industrie. C’est un déchirement de penser ça, parce que j’adore l’esthétique allemande. Trouver William Morris beau est une espèce de changement pour moi… Je ne suis pas allé jusqu’à aimer les Préraphaélites, mais en tant que papier peint, c’est sublime. Je suis dans une position bizarre : j’aime bien l’Art nouveau, le mobilier Art nouveau, mais je n’aime pas vraiment les
tableaux des Préraphaélites. Peut-être qu’un monde qui serait orienté dans cette direction, serait un monde dans lequel il serait plus agréable de vivre, finalement.
Est-ce que ça vous fait rigoler de vous retrouver-là, en train de visiter une exposition qui fait suite à votre livre ? Non non, je prends ça au sérieux.
Y a-t-il des pièces qui d’un point de vue purement esthétique vous séduisent particulièrement dans l’exposition ? Celle un peu “space” avec de la végétation et des immeubles est très bien [Concret Cabin de Peter Doig, ndlr]… ça parle d’une autre partie du livre… Plus personnellement, j’étais assez fier de la dernière œuvre de Jed Martin Le monde humain contaminé par le végétal [dans La Carte et le Territoire, ndlr]. Contrairement à mon livre, là c’est assez gai… La dernière pièce de Jed Martin n’est pas gaie du tout, alors que là, c’est une version gaie de la contamination par le végétal.
Dans le livre, il y a ce recul, vous trouvez ça un peu drôle la manière dont ça se passe… Il y a un recul par rapport au mécanisme de validation des œuvres, mais je crois avoir le même rapport à la littérature.
La pièce de Jed Martin signée Bertrand Lavier est-elle une surprise ? Oui, mais il y a déjà eu des tentatives de ce type pour des couvertures du livre. L’éditeur du livre en Russie a choisi une carte de l’endroit où je me fais assassiner. C’est assez troublant de me voir en surimpression. J’ai pris comme titre La Carte et le Territoire parce que je trouvais ça beau, mais l’essentiel de l’œuvre de l’artiste de mon livre est plutôt consacré au travail humain.
Une exposition au Consortium, ce n’est pas n’importe quoi… C’est presque mieux qu’un prix Goncourt ! C’est bien que ce soit pour ce livre. Il y a une forme de logique, car ce livre s’intéresse à l’art. J’ai dit que l’art avait du mal avec le thème du travail, mais la littérature en a encore plus. L’art peut présenter les produits. Le résultat du travail, c’est un domaine pour l’art qui a d’ailleurs commencé par représenter des activités d’intérêt économique. La chasse est un grand thème chez les Primitifs. Il y a plus de trucs de chasse que de vulve dans l’art, hein ? Faudrait vérifier… Une fille qui était peutêtre menteuse m’a raconté que dans la plus ancienne représentation artistique connue, il y a une vulve et un ours, mais que l’ours est plus vieux ! Comment survivre dans le monde et comment produire des objets, c’est un gros thème. Fernand Léger est très bien parce qu’il y a
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L’idée par laquelle William Morris reste extrêmement nouveau, est que tout le monde peut éprouver une joie créatrice à travailler et que ce n’est pas incompatible avec l’efficacité. dans ses œuvres un réel enthousiasme. Il y a un passage de La Carte et le Territoire qu’on aurait très bien pu mettre dans l’exposition, le texte que Jed essaye d’écrire à partir de son travail sur les métaux. J’ai un réel enthousiasme pour le travail du métal. J’adore les machines qui font de la mécanique de précision. Ce sont d’énormes machines, généralement japonaises, qui coûtent des centaines de milliers d’euros. Voir une machine de précision faire un truc au micron, c’est beau. J’ai écrit des odes aux appareils photographiques à plusieurs reprises dans mes livres. La précision d’un bel appareil photo m’émeut… Quand on m’a volé mon Rolleiflex double objectif, j’ai mis des mois à m’en remettre ! J’ai une manière d’écrire qui est parfois ironique. N’empêche que même si mon ode à la précision des assemblages d’Audi est écrite de manière ironique, c’est quand même vrai. Refermer une portière d’Audi, c’est un vrai plaisir. Ça claque à la perfection, on sent que c’est usiné au millimètre ! Je suis très inquiet de l’effritement de Mercedes par rapport à Audi. Je ne sais pas si Novo est beaucoup lu par les dirigeants de Mercedes, mais en tant que client qui a acheté trois Mercedes dans sa vie, je suis inquiet. A l’heure actuelle, si j’avais envie de m’acheter une voiture chère, mon choix se porterait plutôt sur Audi. Le thème du travail sera-t-il au cœur de votre prochain livre ? Je n’en sais rien. La question du travail est une question importante qui ne doit pas être posée entièrement négativement. Le thème du travail est surtout traité sous l’angle “exploitation”, alors qu’il y a quand même une joie à faire des choses. L’idée par laquelle William Morris reste extrêmement nouveau, est que tout le monde peut éprouver une joie créatrice à travailler et que ce n’est pas incompatible avec l’efficacité. Cela reste une idée complètement révolutionnaire qui n’est pas du tout à l’ordre du jour. Etes-vous plutôt dans un état d’esprit joyeux quand vous écrivez ? Oui. Le statut d’écrivain est évidemment hyper privilégié. On a beaucoup parlé de Fourier pour des raisons sexuelles, mais son premier centre d’intérêt est vraiment l’organisation de la production. Pour que la société fonctionne, il faut que ça tourne afin que tout le monde ait une tache qui lui plaise. Cela n’a pas prit une ride. Ces thèmes restent toujours aussi violents quand on les remet sur le tapis. Le livre de Fourier sur le nouveau monde industriel et sociétaire est plus novateur que le livre sur l’organisation amoureuse. La grosse différence, c’est que chez Fourier tout s’est planté alors que chez William Morris ça a marché. Ce qui me fascine chez William Morris, c’est le succès économique réel de son entreprise. Comme Audi… Je ne sais pas si tous les ouvriers d’Audi sont heureux…
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Ils sont bien payés… C’est déjà pas mal… William Morris aussi payait bien les ouvriers et il avait ce qu’on appelle une personnalité charismatique contrairement à moi. Je ne suis pas assez gai. Le personnage est bouleversant. Il a eu une vie privée catastrophique et malgré cela un enthousiasme de chaque instant. Je ne veux pas faire du mélo, mais il est possible qu’il y ait un enthousiasme général dans les entreprises innovantes informatiques. Ce n’est pas sûr… Je ne suis pas sûr non plus. Probablement pas. Est-ce que ça vous intéresserait d’impulser un projet un peu fou comme celui de Morris ? Un artiste, ça peut être un peu collectif, ça l’a été, mais les écrivains sont vraiment des individuels… Et être à la place de Stéphanie, être commissaire d’exposition ? Je me souviens des caisses en titane, ça m’avait un peu refroidi (les caisses qui valent plus chères que les œuvres qu’elles servent à transporter). Je pense qu’il faut une certaine aptitude à tenir compte de chiffres et de choses comme ça que je n’ai pas forcément. Je ne pense pas que j’en serais capable, je pense que ça merderait avec moi… C’est ce qui pourrait être intéressant… Non ! Il vaut mieux que ça ne merde pas. Que l’exposition soit ouverte à la bonne date, que les œuvres soient là… En fait, je ne suis pas capable d’être commissaire d’exposition. Après la musique, le cinéma et cette exposition, qu’est-ce qui pourrait vous intéresser en dehors de la littérature ? La littérature c’est bien… J’avais fait un gros effort pour La Possibilité d’une île, le livre était beau, le papier était beau, j’aimais beaucoup ce truc souple… William Morris a fait des typographies assez intéressantes. Quand je parlais de papier peint, j’aurais pu citer la typo. Je ne prends pas à la légère la production des objets, leur design. Cette exposition touche un point où je suis profondément contradictoire. J’adore l’Art nouveau, donc l’inutilité totale de la forme, et j’aime aussi beaucoup les objets qui sont beaux parce qu’ils remplissent avec une précision absolue une fonction. Comme un Rolleiflex ou comme mon thermostat dont je parlais tout à l’heure. J’ai acheté des thermostats parfaits qui sont à l’allemande, noirs avec des gros chiffres et là, c’est un peu l’opposé, on sent que c’est beau parce que l’objet n’est rien de plus que la manière la plus efficace d’accomplir une fonction. J’ai une machine à laver coréenne qui est à se mettre à genou ! [rires] Je suis profondément contradictoire. C’est très “houellebecquien” d’aimer sa machine à laver ! Pour chez moi, je me suis acheté un sèche-mains à air pulsé comme dans les stations d’autoroute. Il est dans ma salle de bains. Êtes-vous aussi un acheteur d’œuvres d’art ? C’est trop cher pour moi, mon bon monsieur ! Vous ne vous rendez pas compte, je ne suis qu’écrivain… J’ai quelques trucs, mais je crois que j’en ai déjà assez pour mes murs. J’ai des œuvres de mon ex-femme et des portraits de
caniches peints par un SDF. J’ai un truc plus bizarre qui ressemble à des médicaments, des pilules… Je ne sais même pas comment c’est fait. J’ai l’impression que c’est une photo retouchée. Ce sont des œuvres liées à des rencontres ? Oui, ce sont des œuvres sentimentales. Est-ce qu’il y a dans l’exposition une pièce que vous aimeriez voler ? Constant me plait vraiment beaucoup ! J’ai flashé sur les Polygones. La sculpture, il ne faut même pas y penser, je n’ai pas la place… J’ai encore de la place pour un ou deux trucs sur les murs, mais pas plus… Peut-être un petit Constant ! Pour écrire La Carte et le Territoire, vous êtes-vous renseigné de manière particulière ? Il y a un type qui m’a influencé, mais je pense qu’il n’a pas percé. C’est un type très bizarre que j’avais vu après Extension du domaine de la lutte et qui représentait des gens de bonne volonté, un peu comme Jules Romain. C’était assez touchant… Je ne me souviens malheureusement plus de son nom. Il représentait un boucher de bonne volonté qui avait envie de satisfaire ses clients. J’ai passé deux heures chez lui. Il était émouvant avec son projet de montrer que les gens sont gentils et que les bouchers aiment leurs clients. Peut-être qu’il aurait mérité d’avoir beaucoup de succès… Est–ce que l’écriture de La Carte et le Territoire a changé votre manière de regarder les expositions, votre rapport aux artistes ? Non. Je vais volontiers aux expos parce que c’est toujours bizarre, intéressant. J’ai toujours eu de bons rapports avec le milieu de l’art, mais c’est assez difficile d’en parler. Je ne sais pas si je peux rajouter quelque chose de mieux que ce qui est dans le livre. Vous avez travaillé à Dijon avant de devenir écrivain… Oui, j’y ai passé presque un an au service informatique du Crédit Agricole. J’ai bien aimé Dijon. A vue de nez, c’était en 1985. Il y avait un centre piétonnier bien restauré qui attirait beaucoup de touristes, ce qui n’était pas si fréquent à l’époque. C’était très mignon, très inhabituel. Maintenant, il y a ça partout… Que faisiez-vous au Crédit Agricole ? J’ai conçu un programme de transactions bancaires. Je travaillais dans une société de services qui m’envoyait chez des clients. En l’occurrence, le client était le Crédit Agricole de Dijon. C’était mon premier emploi et j’ai un souvenir d’épuisement. Avant j’étais étudiant et on travaille beaucoup quand on travaille ! Est-ce que vous saviez que vous alliez devenir écrivain ? Non, mais je pense que mon premier emploi à joué un rôle dans ma détermination à ne pas rester dans le monde du travail. Ceci dit, j’ai eu d’autres emplois bien pires par la suite. Les chefs étaient plutôt sympathiques au Crédit Agricole de Dijon. Quand même, c’est dur de travailler ! C’est beaucoup d’heures… Quand on est étudiant, on glande. Là ça m’a fait un choc ! J’ai bossé des nuits… C’est là que vous vous êtes dit que vous vouliez être écrivain ? Oui, il fallait que je fasse autre chose. Je n’allais pas tenir et je risquais de me suicider ! Je me suis mis à boire énormément à Dijon. Je buvais n’importe quoi et je passais des soirées abruti devant la télé. Je ne suis pas beaucoup sorti, mais j’ai bien aimé les gens… J’ai commencé à écrire Extension du domaine de la lutte à Dijon. Après j’ai continué à Rouen qui était bien pire. Je n’étais pas du tout préparé, je n’étais pas fait pour être cadre informatique.
Est-ce que vous êtes fait pour être écrivain ? Oui. Ce n’est pas que ce soit agréable, mais je suis à ma place. Quels sont désormais les côtés désagréables de votre vie ? Les gens attendant beaucoup de moi. Il y a beaucoup d’amour, beaucoup de demande. Je ne suis pas sûr de pouvoir être à la hauteur. C’est une responsabilité forte. De temps en temps, j’ai envie de dire que je suis de la merde, que je ne fous rien. En informatique, on vous demande juste ce qui marche alors qu’on demande beaucoup à un écrivain. Evidemment, je suis davantage fait pour ça… Est-ce difficile de commencer un nouveau roman ? Plus ça va, plus c’est dur. Plus ça va, plus l’attente des gens est forte. Comme je n’ai pas envie de décevoir, la barre est de plus en plus haute. était-ce si important d’avoir le Goncourt ? Ça tue certaines personnes, mais ça n’a pas été le cas pour moi. J’avais déjà un niveau de vente élevé et ça n’a pas modifié fondamentalement ma vie. Pour les gens qui n’ont jamais vendu de livres, ça peut être horrible. J’étais déjà très célèbre et c’était autant un événement quand je le ratais… L’écrivain qui dit qu’il veut avoir le prix, c’est assez “houellebecquien” par rapport à ceux qui font semblant de s’en moquer… Je trouvais normal de l’avoir puisque c’est sensé couronner le meilleur livre de l’année. Et j’en ai fait des meilleurs livres de l’année… Votre prochain objectif est le prix Nobel ? Non, je m’en fous de ça… Tout passe, les prix passent… Peu d’écrivains seraient capables de mettre Jean-Pierre Pernaut dans leurs bouquins sans que ce soit complètement ridicule… Oui, mais c’est bizarre parce que Pernaut fait partie de la vie. Ce n’est pas plus étonnant de caser Pernaut que Mick Jagger ou Brigitte Bardot. Il fait partie du paysage mental dans lequel on vit. Jean-Pierre Pernaut est amusant. C’est un peu original de ma part d’avoir pensé à lui, mais c’est normal qu’il y ait des gens comme ça dans les livres. Vous avez un vrai talent pour parler de la vie de bureau… Ça se fait naturellement. Je n’ai plus reparlé de la vie de bureau après l’avoir quittée. Là, il se trouve que j’ai beaucoup regardé la télé, donc il y a eu Jean-Pierre Pernaut et Julien Lepers… C’est aussi pour vous démarquer ou c’est simplement pour faire rentrer la vie dans vos livres ? L’idée que ça ne se fasse pas en bonne littérature est complètement étrange et ne correspond pas à la tradition. Chez Proust, il y a des comédiennes hyper célèbres. Ce n’est pas du tout surprenant, les gens parlent du monde dans lequel ils vivent. Ce ne sont plus les comédiens de théâtre qui sont célèbres, mais des présentateurs télé. C’est comme ça… Je ne pense pas être contraire à la tradition de la littérature en mettant des personnages célèbres dans mes livres. Qu’est-ce qui fait votre particularité ? Je ne sais pas. C’est à vous de le dire. J’ai une pratique qui ne me paraît pas surprenante par rapport à la tradition du roman réaliste en France… ❤ Podcast à écouter sur dijon.radio-campus.org
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Rencontres par Nicolas Querci photo : Nicolas Waltefaugle
Alcool et ĂŠcriture en hĂŠritage
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Dan Fante a hérité de son père d’un vilain penchant à l’autodestruction, à forte teneur en alcool. Mais il tient aussi de lui un miraculeux talent de conteur. C’est à ce titre qu’il doit d’avoir été invité à participer à la 4e édition de la Semaine américaine, organisée par la librairie CampoNovo du 2 au 8 avril. Dan Fante n’a pas seulement dû traverser l’Atlantique pour atterrir à Saint-Vit, dans le Doubs, à 10 000 km de Los Angeles. Il a d’abord enduré beaucoup d’épreuves avant de trouver sa vocation et de reprendre le flambeau de son père John Fante. Cet héritage a parfois été lourd à porter, puisque John Fante, après bien des hauts et des bas, avait acquis le statut d’écrivain « culte » à la fin de sa vie. Aujourd’hui c’est un héritage qu’il revendique, notamment à travers ses Mémoires, alors qu’il a longtemps cherché sa place auprès d’un père qui le hante et le fascine encore : « Mon père et moi avons vécu des vies difficiles en même temps. C’était quelqu’un de passionné, il était plein de colère, plein de frustration, j’avais beaucoup de compassion pour lui. Ce qui ne veut pas dire que ce n’était pas un sale fils de pute. Ce livre est une histoire d’amour compliquée entre un père et son fils. » Il dit ressentir beaucoup de gratitude envers ce père autrefois si distant, et s’attache à défendre son œuvre : « J’ai écrit ces Mémoires aujourd’hui parce qu’il y avait beaucoup de fausses informations, de légendes, qui circulaient sur mon père. J’ai voulu rétablir la vérité, en expliquant la relation qui l’unissait à son travail. » Pour Dan Fante, l’écriture serait du côté de l’inné : « On ne peut pas apprendre à écrire à quelqu’un, il y a quelque chose de fou, d’intense, d’irrationnel, qu’on ne peut pas transmettre. Mon grand-père était un conteur fabuleux, mon père aussi, sauf qu’il savait écrire, et j’ai hérité de cette capacité. » Dan Fante n’a rien à envier à son père en matière de vie agitée. Ses Mémoires retracent un véritable chemin de croix, depuis la malédiction des Fante – un goût immodéré pour la bouteille et les excès – jusqu’à la rédemption, par l’écriture, « un don du ciel ». On ne compte pas les boulots de merde, les cuites, les coups de poing, les femmes, les ennuis, les dépressions, jusqu’aux tentatives de suicide. « Si j’ai survécu à tout ça, c’est juste un coup de chance. D’autres ne l’ont pas eu. Je crois que c’est parce que j’avais quelque chose à dire. Aux États-Unis il se publiait beaucoup de mauvais trucs, la fiction populaire était à chier, et je voulais montrer aux gens qu’il y avait quelque chose d’autre, je voulais leur casser les pieds. »
Dans les années 30, son père partait déjà du même constat : « Mon roman préféré de John Fante est probablement La Route de Los Angeles, qu’il a écrit quand il avait 20 ans, et qui est resté dans les tiroirs pendant 60 ans. À cette époque, la plupart des romans ne faisaient que glorifier les Etats-Unis, se terminaient tous de façon heureuse. Mon père, lui, avait envie d’écrire une histoire à propos d’un homme qui lit des pornos dans les toilettes, cite Nietzsche et se bagarre avec tout le monde. On lui a dit que c’était trop radical, que c’était impubliable. Mais c’est un livre merveilleusement fou et pervers, et c’est le vrai John Fante. » Ils sont probablement nombreux, ce samedi matin à la médiathèque de Saint-Vit, à avoir été attirés par son patronyme. Avec sa veste en cuir, son feutre marron, ses petites lunettes rondes, son nez percé, son air mutin, ses manières accortes, il les rallie facilement à sa cause. Il peut également s’appuyer sur une base de lecteurs de plus en plus importante, qui ne doit rien à la notoriété de son père. Il y a même des fans de la première heure venus faire dédicacer leur exemplaire écorné de son premier roman, Les Anges n’ont rien dans les poches. L’attention se porte aussi sur son jeune fils, qui l’a accompagné dans son périple franc-comtois, avec sa femme. Et s’il avait, lui aussi, hérité du gène de l’écriture ? « Je lui lis beaucoup d’histoires. Il mènera la vie qu’il doit mener. Le seul conseil que je pourrais lui donner, c’est de trouver quelque chose qu’il aime faire, et de s’y consacrer. » Une chose est sûre : ce ne sera sans doute pas la pétanque, à laquelle ils se sont initiés durant l’après-midi. Il reste encore un rendez-vous à honorer pour Dan Fante avant de plier bagage. Il est attendu, le soir, sur la scène de la Rodia, à Besançon, où il doit lire ses poèmes arrangés par le duo électro LI, accompagné d’une jeune femme en robe argentée à l’énergie débordante. Personne ne sait trop à quoi s’attendre au moment où il s’empare du micro, sort des feuilles de sa veste de costume noire, commence à déclamer d’une voix rocailleuse. Les riffs et les samples s’emparent de ses mots, les voix des deux femmes en accentuent l’écho, la lecture se transforme en concert, le concert en performance, et le miracle opère. Dan Fante se prend au jeu, se lâche, esquisse quelques mouvements de danse, électrise la foule. Ses vieux démons semblent bien loin. La voix des Fante, elle, bourdonne encore dans nos oreilles. ❤
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Rencontres par Cécile Becker photo : Pascal Bastien
Dans l’intimité de la folie Regarder les films de Jonathan Caouette, c’est inévitablement se retrouver dans l’intimité de quelque chose, être frappé, touché au plus au point par l’honnêteté de ses images, par son regard tendre. Rencontre au Cinéma Star, à Strasbourg.
Il y a eu Tarnation, portrait d’une famille difficile construit comme les battements d’un cœur blessé. Certains n’y ont vu qu’un long métrage d’un réalisateur auto-centré. Faux. Jonathan Caouette s’immisce simplement dans les secrets pour dévoiler leurs beautés. Exactement comme il a pu le faire avec la musique en réalisant le beau documentaire sur le festival du même nom All Tomorrow’s Parties. Que la folie soit belle, inquiétante, poétique ou musicale, il la met à nue. Cette année, il revient avec Walk Away Renée, comme une suite actuelle à Tarnation, avec sa mère, plus belle que jamais, et lui, définitivement apaisé. Tarnation est un film assez dur évoquant votre évolution avec la maladie de votre mère, dans Walk Away Renée on sent la vie revenir, quelque chose de plus lumineux, êtes-vous d’accord ? Tarnation est venu d’un sentiment d’urgence. Cette histoire est épique, frénétique. Walk Away Renée vient d’autre chose : j’avais des séquences accidentelles qui me restaient de Tarnation, j’ai simplement voulu revisiter ces images. Dans Walk Away Renée, on est vraiment assis avec les personnages. C’est assez étrange pour moi de décrire mon film en parlant de personnages et non de personnes, mais là est la différence. Il y avait de jolis moments avec ma mère sur la route que je voulais transmettre, je voulais montrer une dimension plus grande de nous en tant que personnages. Ce film devait être un road movie sans histoire en toile de fond, un déplacement de Houston à New York. Je souhaitais le sortir en tant que bonus pour le DVD célébrant les dix ans de Tarnation. Au bout d’un moment, cette idée est devenue plus ambitieuse. Le fait que ce film existe, qu’il fasse aujourd’hui le tour des salles et des festivals est une sorte de miracle assez étrange pour moi. Je ne pense pas que je ferai un autre documentaire personnel, mais Walk Away Renée est une bonne conclusion à Tarnation.
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Est-ce une forme de thérapie pour vous aussi de tourner ce genre de films ? Tarnation a été la forme la plus définitive d’une thérapie, autant pour moi, que pour ma mère. C’était une belle manière de justifier les choses. Je veux montrer tout ça pour qu’on ait une meilleure vision de la folie, mais aussi de ce que je suis. Tarnation était tout aussi autobiographique que l’est Walk Away Renée, mais ce dernier implique aussi des éléments de fiction, est-ce que votre prochain film sera narratif ? Oui, c’est un film de transition. Walk Away Renée, c’était l’excitation de la fiction. Mais étrangement, la vision documentaire de Tarnation a nourri la fiction. Tout est vrai, à 110 % mais c’est amusant de parler différemment de cette vérité et de jouer avec. Il y a d’ailleurs cette scène très fictive où je fais un rêve étrange... Justement dans cette scène, tout est très psychédélique, au-delà de l’énergie rock qui se dégage du film et de la nostalgie folk aussi. Est-ce que la musique joue sur vos images ? La musique est le dénominateur commun de tous mes films. Je commence avec elle et l’autorise à dicter, à préméditer ce qu’il va se passer dans l’histoire. En fait, je crée une compilation que je place littéralement dans la timeline et je commence à peindre visuellement sur cette musique. Le prochain film n’aura pas de musique et sera complètement expérimental, il y aura des traces du Dogme 95 [mouvement cinématographique d’avant-garde initié par Lars Von Trier prônant l’usage du 35mm, de la couleur et excluant par exemple tout effet technique ou musical, ndlr]. J’aime jouer avec les genres.
Il y a aussi ce documentaire que vous avez réalisé, All Tomorrow’s Parties sur le festival du même nom, comment avez-vous choisi les groupes ? J’ai dû trouver un compromis avec les différents producteurs… Je ne crois pas que je ferai d’autres documentaires sur la musique, car ça a été très difficile de choisir les groupes, une vraie lutte. J’étais très satisfait du résultat final, bien sûr, mais j’aurai aimé y mettre plus de groupes freak folk comme CocoRosie, Antony & the Johnsons, Devendra Banhart. Mais c’est une belle compilation, c’est un de mes festivals préférés. Revenons sur vos longs métrages. Vous posez-vous la question de savoir ce que votre mère serait devenue si elle n’avait pas subi ces électrochocs après sa chute ? Je ne sais pas. Je n’étais pas là quand tout ça s’est passé, je suis loin d’en connaître les détails. Je ne sais pas si les électrochocs ont induit son état mental ou si elle avait des prédispositions à ses psychoses. J’entrevois la personne qu’elle aurait pu être rien qu’en la regardant. Mais je ne changerai rien de ma famille, ce serait la fin de penser l’inverse. C’est paradoxal, parfois tu espères avoir grandi dans des circonstances
normales, mais plus tu grandis, plus tu apprends à aimer les choses comme elles sont, aussi fous soient les gens qui t’entourent. Tu ne veux plus rien changer. Mais votre mère est très belle et la relation que vous avez, unique. Ça nous apprend à voir la folie comme quelque chose de difficile certes, mais de poétique... Merci. Vous êtes la plus gentille des journalistes à qui je n’ai jamais parlé. Vous n’êtes pas cynique, c’est rafraîchissant. J’étais à Paris hier, et j’ai rencontré des gens très cyniques. Je ne comprends pas quand les gens ne comprennent pas les choses, ou ne font pas l’effort de comprendre. Je ne fais pas ces films pour demander de l’aide, je ne veux pas de sympathie, je veux juste que les gens qui voient ce film aient une vision d’un monde qu’ils n’ont jamais approché, c’est tout. ❤
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Rencontres par Philippe Schweyer photo : Janine Bächle
Koons museum La Fondation Beyeler crée l’événement avec une spectaculaire rétrospective Jeff Koons en trois parties (The New, Banality et Celebration). Retranscription exclusive d’une conversation – à moitié – imaginaire entre “l’artiste vivant le plus célèbre de la planète” et Bubbles, le singe de Michael Jackson immortalisé par l’artiste.
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Bubbles : Qu’est-ce qui t’a pris d’exposer des aspirateurs dans des vitrines en plexi au début de ta carrière ? Jeff Koons : Mon père était décorateur d’intérieur. C’est de là qu’est venu mon désir de faire des objets qui se montrent dans l’état virginal de leur nouveauté. J’ai commencé avec des aspirateurs. Je les achetais et les sortais de leur carton d’emballage. Les aspirateurs avaient pour moi quelque chose d’anthropomorphe, il y avait une sorte de connotation sexuelle, avec leurs orifices, leur pouvoir d’aspiration et leurs formes, qui peuvent être aussi bien masculines que féminines. C’est probablement un des appareils les plus agressifs que tu puisses rencontrer quand tu as un an et que tu es à quatre pattes sur le sol pendant que ta mère te tourne autour avec en faisant le ménage dans la pièce. Bubbles : Tu étais sacrément influencé par Duchamp ! Jeff Koons : À la fin des années 1970 et au début des années 1980, je me suis intéressé à toutes les sortes d’arts et j’ai beaucoup réfléchi à l’œuvre de Duchamp. Mais ce qui aura été encore bien plus important pour moi et pour mon travail, c’est l’aspect philosophique, par exemple Kierkegaard ou Sartre. Ces œuvres incarnaient pour moi des états ultimes d’existence, car je trouvais qu’elles évoquaient l’éternité. Bubbles : Est-ce vrai que tu as fait faillite à cause de tes aspirateurs ? Jeff Koons : Oui, il n’y avait absolument personne qui voulait acheter ces œuvres. J’ai mis tout ce que j’avais pour en réaliser huit ou dix et en 1981 j’ai dû retourner vivre pendant quelques temps chez mes parents à Sarasota. Pour un jeune artiste, être obligé de quitter New York, c’est une sorte de défaite, on a le sentiment qu’on ne sera plus jamais accepté dans le club. Bubbles : Quand tu es revenu à New York, tu as réussis à produire les œuvres qui manquaient à la série The New. Cherchais-tu à dénoncer la société de consommation ? Jeff Koons : Les gens regardaient les aspirateurs et associaient mon œuvre à la problématique de la consommation, alors que je cherchais à me confronter avec le readymade. Pour moi, cela n’avait rien à voir avec la société de consommation, il s’agissait de quelque chose de bien plus important. Bubbles : Comment as-tu rencontré la Cicciolina ? Jeff Koons : Chez nous en Amérique, seuls les gens qui travaillent dans le cinéma ou la musique peuvent espérer obtenir une considération dans le domaine de la culture, mais si tu es artiste, on pense tout de suite que tu ne fais que des choses pour initiés. Comme j’avais le sentiment qu’on ne pouvait véritablement participer à la vie culturelle à moins de travailler dans le cinéma ou la musique, je me suis dit : bon, eh bien je vais m’accrocher une autre étoile à la boutonnière et devenir une vedette de cinéma. J’ai chargé mon avocat de prendre contact avec l’agent d’Ilona pour qu’il lui fasse savoir que j’étais intéressé à l’engager comme modèle et comme
« readymade ». Elle m’a raconté comment elle en était arrivée à entrer dans l’industrie du porno. Or, toute mon œuvre tournait autour de l’acceptation de son passé, de sa propre histoire et de ses influences culturelles, parce que tout cela est parfait en soi. J’ai donc accepté l’histoire d’Ilona et pour finir, je suis tombé amoureux d’elle. Bubbles : Tu as dû bien t’amuser pendant que tu réalisais la série Made in Heaven avec la Cicciolina ! Ton Balloon Dog est spectaculaire, mais nettement moins cochon… Jeff Koons : Il est en acier chromé, un matériau qui me rappelle les boules miroitantes qui décoraient les jardins de mes voisins quand j’étais enfant. Balloon Dog fait penser à un animal gonflable et en même temps, il a l’énigmatique profondeur d’une sculpture archaïque. C’est comme un cheval de Troie. Cette œuvre a une vie intérieure, mais sa surface externe est très réfléchissante. Elle renvoie constamment le spectateur à sa propre existence. Dès qu’on quitte la salle, tout disparaît. Quand on se déplace ou qu’on bouge, l’abstraction entre en jeu. Rien ne se passe s’il n’y a personne, il faut notre présence. Bubbles : Ton Ballon Swan est nettement plus explicite… Il touche presque le plafond de la Fondation Beyeler ! Jeff Koons : J’ai vu un jour à Santa Monica, en Californie, un artiste de rue qui fabriquait un cygne avec une baudruche. Je le regardais en me disant : c’est trop bien pour que je ne le fasse pas moi-même. Un véritable totem, phallique comme une sculpture paléolithique débordant d’énergie sexuelle ! Il y avait vraiment tout dans cette figure. Quand on la voyait de face, elle était très phallique. Mais quand on se mettait sur le côté, elle se transformait subitement, l’énergie masculine devenait de plus en plus féminine, on voyait se déployer une merveilleuse harmonie sexuelle. Et depuis l’arrière ou le dessus, elle avait l’air totalement féminine. Je voulais absolument faire entrer ce cygne dans mon œuvre. Quand je trouve quelque chose qui s’accorde avec une de mes séries, je l’intègre alors dans le vocabulaire correspondant. Est-ce que cela suffit à ce que cette chose fasse partie de la série, par exemple de Celebration ? Non, pas vraiment, mais elle emploie le vocabulaire de Celebration. Bubbles : Bravo Jeff ! Quand je t’écoute, je me dis que tu serais capable de me vendre n’importe quoi… Tu ne veux pas m’apprendre à faire des grimaces ? ❤ (Retrouvez l’intégralité des propos de Jeff Koons dans le catalogue publié par la Fondation Beyeler). Exposition Jeff Koons jusqu’au 2 septembre à la Fondation Beyeler à Riehen / Bâle. www.fondationbeyeler.ch
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Rencontres par Philippe Schweyer photo : Marianne Maric
L’envers de Décor À l’occasion des cinq-cents ans du Retable d’Issenheim, le musée d’Unterlinden expose Décor, une œuvre d’Adel Abdessemed prêtée par le collectionneur François Pinault. Rencontre avec un artiste passé maître dans l’art de “produire des images”.
N’est-ce pas compliqué dans votre situation de rester proche de ceux qui souffrent ? Je n’ai besoin ni de barricades ni de pavés. Ma résistance est ailleurs. Ce qui manque aujourd’hui, ce n’est pas la publicité, ce n’est pas l’argent, c’est la résistance. Et je pense que dans mes images, il y a de la résistance. Quel est le processus qui vous permet d’arriver à des images aussi évidentes ? Dans la vie, vous vivez ! Vous ne pensez pas ! Vous recevez des choses, vous les rejetez ou vous les gardez. Chaque œuvre a sa particularité. C’est comme le jour, la nuit. Chaque jour nous sommes un autre. C’est comme ça.
Lors de son premier passage à Colmar en 1995, un an après avoir fuit l’Algérie, Adel Abdessemed avait été fortement impressionné par la célèbre Crucifixion peinte par Matthias Grünewald. Depuis, l’artiste a fait son chemin dans le milieu de l’art contemporain, mais n’a jamais oublié le joyau du musée d’Unterlinden. Le temps d’un été, ses quatre Christ, tressés avec le même fil de fer barbelé tranchant que celui utilisé pour clôturer le camp de Guantanamo, côtoient le chef-d’œuvre de la Renaissance germanique dont il s’est ouvertement inspiré. N’y a-t-il pas une contradiction entre vos quatre Christ et le “cirque médiatique” orchestré par votre ami François Pinault ? On est dans le spectaculaire, mais moi je m’occupe de pain. Je suis comme Grünewald. À son époque aussi, il y avait une histoire d’argent. Si on n’avait pas payé le sculpteur qui a travaillé sur le Retable, on n’aurait jamais obtenu ce résultat. Les artistes ne sont pas des spéculateurs. Je m’occupe des images, je produis des images, mais je peux avoir de l’amitié pour François…
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Quels rapports avez-vous entretenus avec les artisans qui ont réalisé vos sculptures ? Les artisans traduisent mon langage, mon écriture, avec ce matériau qui n’est pas facile. Qu’il y ait ou non des affinités entre nous, leur travail est de faire de la soudure, un point c’est tout. Je n’avais jamais travaillé avec eux auparavant et il y a eu beaucoup d’essais jusqu’à ce que ça fonctionne. On a mis à peu près deux ans… Comme pour un électricien ou un plombier, il fallait que ça marche ! Faites-vous beaucoup de dessins ? Oui, on ne peut pas obtenir un résultat s’il n’y a pas un vrai travail. Faire une œuvre, c’est du domaine de l’obsession. Les peintres comme Grünewald avaient des assistants qui préparaient les pigments. Pour faire du rouge, il faut trouver de l’œuf, il faut le casser. Pour faire du jaune, il faut chercher du souffre… Ils avaient sept, huit, neuf assistants. Aujourd’hui, ça dépend de ce qu’on veut faire. Mais c’est vrai que je n’ai jamais quitté le dessin. Le dessin, c’est la main… Aujourd’hui, quelle est votre obsession ? Changer le monde ! ❤
Digital Art Works - The Challenges of Conservation Art numérique - Les défis de la conservation Exposition du 16 juin au 23 septembre 2012 Fermeture estivale du 30 juillet au 1er septembre
Herbert W. Franke Hervé Graumann Jodi Marc Lee Nicolas Moulin Michael Naimark Nam June Paik Samuel Rousseau Antoine Schmitt Jeffrey Shaw
Exposition organisée par :
CEAAC 7, rue de l’Abreuvoir - Strasbourg www.ceaac.org Exposition ouverte du mercredi au dimanche de 14 h à 18 h - Entrée gratuite Haute école des arts du Rhin École supérieure des arts décoratifs 1, rue de l’Académie - Strasbourg www.esad-stg.org Exposition ouverte du mercredi au dimanche de 13 h à 17 h - Entrée gratuite
Avec le soutien de :
Haute école des arts du Rhin
Haute école des arts du Rhin École supérieure des arts décoratifs de Strasbourg - École supérieure d’art de Mulhouse - Académie supérieure de musique de Strasbourg
Frédérique Lucien, Sans titre, 2010 ; Photo : Gérard Jonca
Été 2012
Frédérique Lucien, Sans repentir Du 14 juin au 21 septembre Vernissage jeudi 14 juin à 19 h La Chaufferie - Strasbourg
Concerts - Examens DNSPM & Master, Diplômes 2012 Académie Supérieure de Musique de Strasbourg 20 juin - Église Saint-Paul 21, 25, 26, 27 juin - Cité de la musique et de la danse
Zoomer / Dézoomer Motifs et matières du XVIIIe siècle à nos jours Du 8 juin 2012 au 15 septembre 2013 Musée du Papier-peint - Rixheim (68)
Digital Art Works, The Challenges of Conservation Du 16 juin au 23 septembre Vernissage vendredi 15 juin à 18h30 École supérieure des arts décoratifs de Strasbourg (exposition présentée conjointement au CEAAC)
Exposition, Diplômes 2012 Samedi 23 et dimanche 24 juin - De 11 h à 19 h Vernissage vendredi 22 juin à 18 h École Supérieure des Arts décoratifs de Strasbourg
Capucine Vandebrouck, Contre emploi Du 28 juin au 3 septembre Vernissage jeudi 28 juin à 19 h Musée Théodore Deck - Guebwiller (68) avec le soutien de la ville de Guebwiller
Ecosystème des objets Du 4 au 15 juin Istituto Italiano di Cultura - Strasbourg
Round 2, Après Nicolas de Leyde Du 24 au 30 juillet Musée de l’Oeuvre Notre-Dame - Strasbourg
Via, les écoles de design 2012 Du 5 juillet au 30 septembre Vernissage le jeudi 5 juillet Galerie Via - Paris
Philippe Paringaux, It’s Only Rock’n’Roll et autres bricoles, Le Mot et le Reste (coll. Attitudes)
photo : Jean-Pierre Leloir
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Tomorrow never knows (épiphanie rock)
pAR Emmanuel Abela
À la tête de Rock & Folk, Philippe Paringaux a initié la critique rock en France, en tant qu’auteur tout d’abord de 1968 à 1973, puis en tant que rédacteur en chef, avant de devenir romancier, scénariste et traducteur. De son propre aveu, lui ne lira pas le recueil de ses propres chroniques d’époque. Nous invitons cet amoureux du rock à se replonger dans l’âge d’or d’Otis Redding, des Rolling Stones, de Van Morrison ou de Led Zeppelin.
Hound Dog Le rock je l’aimais depuis l’âge de 13 ans, à l’époque où j’étais pensionnaire au lycée de Fontainebleau. C’est marrant, mais ce qui est intéressant et que des gens d’aujourd’hui ont du mal à comprendre à un moment où le rock est partout dans l’atmosphère, c’est que c’était tout à fait nouveau. Cette nouveauté on peut la discuter – ce qui était nouveau, c’était l’amalgame du blues et de la country –, mais pour un petit Français en 1957, ça pouvait paraître choquant au sens physique du terme. Je n’achetais pas de disque, la radio ne diffusait pas de rock et je découvre cela tout à fait par hasard : ça a été mon épiphanie. Teenage Heaven On me voit dans le premier long métrage de Pascal Thomas, Les Zozos, sous mon vrai nom à l’époque où je faisais plein de conneries en petit rocker en blouson, rouleur de mécaniques, qui dit qu’il va « tous les étés en Suède pour baiser », alors que ça n’est pas vrai. Pascal est arrivé dans ce pensionnat, mais comme il était chétif et
fragile, il était un peu la victime désignée, le souffre-douleur. J’étais pensionnaire depuis l’âge de 8 ans, j’avais constitué une petite bande ; je n’étais pas si costaud moi-même, mais j’étais toujours entouré de gardes du corps. Je n’ai jamais eu la mentalité du bizuteur ni de la brute, et j’ai protégé Pascal Thomas, ou du moins je l’ai fait protéger par mes hommes de main. [rires] Il raconte cela dans Les Zozos, un film très joli, très tendre. Elephant Walk Les JMF (Jeunesses Musicales de France) organisaient des concerts à destination des étudiants ou des lycéens. Un jour de 1957, ils avaient fait venir au moment de leur plus grande gloire Art Blakey et les Jazz Messengers au théâtre de Fontainebleau. Dès lors, je me suis mis à adorer le jazz. C’était l’époque du hard bop ou d’un jazz très imprégné de blues. Tout cela m’a semblé très cohérent, et comme je ne lisais aucun journal et que je ne faisais partie d’aucune chapelle, je ne voyais aucune raison de
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Avec Jimmy Page, photo de Dominique Cazenave
mais qu’est-ce que tu as fait ? Peut-être que j’aimais cela à ce point-là, si vous voyez ce que je veux dire… Pain in my Heart
m’empêcher d’aimer ce que j’aimais. Ça n’est qu’après que j’ai appris qu’il était sacrilège d’aimer à la fois le jazz et le rock. En amateur, j’allais aussi bien voir Miles Davis ou John Coltrane à la salle Pleyel que les Them, les Animals ou les Stones et ça ne me posait aucun problème. Slow Down En rentrant à Paris, j’ai fait des tentatives d’études toujours avortées, un peu de droit, une prépa à Sciences Po, puis Sciences Po, et enfin une formation pour être journaliste. À chaque fois je partais en cours d’année ou en fin d’année. Je ne trouvais pas ma voie. J’étais fils de bourgeois et, dans le contexte plus cool des années 60, je n’étais pas affolé. Par contre, j’allais beaucoup à l’Olympia. C’est là que les choses se passaient : j’y ai vu les Beatles en 1964. J’avais raté le début du rock des années 1953-56 et je ne découvrais les anciens de ce rock, des gens comme Gene Vincent par exemple, que dans le cadre des tournées minables qu’ils faisaient à Paris, mais par contre je n’ai rien raté de la nouvelle vague anglaise et de tous ces groupes qui faisaient toujours du rock, mais sous une autre forme.
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Like a Rolling Stone J’ai fait mon service militaire – je suis l’un des rares à l’avoir fait ! –, mais je me suis débrouillé pour faire mes classes et trouver une planque au Bourget. J’avais une petite amie dont l’oncle était général, c’était un coup de bol ! Il m’a pistonné au service de la météo, non pas à la base aérienne mais à l’aéroport civil. Nous étions une douzaine de militaires dans une sorte de dortoir, sans la présence d’aucun gradé, et nous étions donc entièrement libres. Un jour, je me balade dans l’aéroport. À une sortie, je vois des caméras. Ça n’était pas la cohue, mais il y a un petit groupe d’une dizaine de personnes bien serrées qui filment caméra à l’épaule. Qui vois-je en train de sortir de la douane ? Bob Dylan, qui vient chanter à l’Olympia. C’était le fameux concert de 1966 avec le Band. À l’époque, j’étais un fan absolu de Bob Dylan, mais je n’ai jamais cherché à jouer les groupies ni à afficher de posters. Par contre, j’ai fait la chose la plus extravagante de ma vie : ça doit être dans les rushes du film de Pennebaker [Don’t look back, ndlr], je me suis approché et j’ai mis la main sur sa tête. Comme pour une sorte de bénédiction ou je ne sais quoi, j’ai posé ma main sur ses cheveux frisotés dégueulasses, pas lavés sans doute depuis 15 jours. Comme il portait des lunettes de soleil, je n’ai pas croisé son regard, mais il n’a pas réagi une seule seconde. Il a continué à marcher et moi, je me suis retrouvé là à me demander :
J’allais à tous les concerts, je poursuivais ma petite carrière d’amateur, mais je n’avais aucune intention de gagner ma vie en écrivant sur le rock. Je ne savais même pas que ça existait. Et puis, Otis Redding est mort en décembre 1967. Je venais de le voir à l’Olympia avec les artistes de Stax, il m’avait scotché ! Je me suis pris d’une adoration pour lui, sans bornes. Lui aussi, j’aurais pu lui toucher la tête. Et quand j’ai appris sa mort à la radio, j’avais le sentiment d’avoir perdu un ami. Quand je suis rentré chez moi, j’ai pris la machine sur laquelle je tentais vaguement d’écrire des bribes de romans, et sous le choc j’ai écrit. Ça n’était pas un article puisque je n’avais pas l’intention de le vendre à quiconque. Je ne l’ai pas relu depuis – je ne sais pas sous quelle forme il se présente –, mais c’était ma lettre d’adieu, la mise sur papier de mon chagrin. Revolution 9 À force d’aller à l’Olympia, j’avais rencontré du monde ; je me rendais en loge pour voir les musiciens. J’étais content, je voyais les Stones passer dans le couloir. Je me faisais très discret. Je n’ai jamais demandé d’autographe, ça n’était pas mon truc, mais d’être là, de les voir sur et hors scène, ça me plaisait. Mon texte sur Otis Redding, une fois que j’avais posé le dernier mot, il était terminé. J’avais envie de dire au revoir à quelqu’un, et c’était fait. Dans mon esprit, ça s’arrêtait là. Mais je ne sais pas pourquoi, j’en ai parlé avec un photographe à l’Olympia. Il m’a dit : « Il y a un nouveau canard sur le rock, regarde ! » Je ne connaissais pas l’existence de Rock & Folk. Et pourtant, le magazine avait commencé à paraitre dès 1966 avec un premier numéro hors-série de Jazz Hot. Et comme je ne savais pas quoi faire, j’ai apporté mon papier à Philippe Koechlin, rédacteur en chef du magazine. Ça devait être au printemps 1968, mais il y avait plus urgent : il fallait faire la révolution et je me suis consacré à Mai 68 dans les rues
de Paris. C’était rigolo en plus, j’adorais ça. [rires] Je ne suis retourné à Rock & Folk qu’après. C’est curieux comme l’esprit vous joue des tours : jusqu’à la publication de ce recueil de textes, j’étais persuadé que mon article n’était jamais paru. Grâce à ce livre, j’apprends que Koechlin a publié cet article [en août 1968, ndlr]. Il m’a fallu attendre des décennies pour découvrir que ma version de l’histoire était fausse. I’m Not Satisfied Au cours des années 60 s’est développée en France une critique perçue de manière atypique partout dans le monde, une critique très littéraire qui abordait les aspects sociologiques et politiques de la musique. Dans Jazz Magazine, on pouvait lire quinze pages d’Alain Gerber sur John Coltrane sans que ça ne soit de la critique musicale au sens propre du terme. Rock & Folk, dans sa brève existence d’avant moi, était trop descriptif. En tant qu’enfant de Jazz Magazine, j’ai dû apporter une manière d’écrire nouvelle, impressionniste. Je ne connais rien à la musique, je ne pouvais donc pas l’aborder en musicologue, mais par contre, et ça vient sans doute de mon amour de la littérature, j’essayais de partager des sensations avec le lecteur. À cette époque-là, le rock est devenu la musique de la jeunesse, le jazz ne l’était pas. Nous avions donc une influence immédiate sur cette génération. Et puis, la grande différence avec le jazz, c’est que les idées révolutionnaires – appelons cela comme ça – étaient formulées par des voix. Le message passait d’autant plus facilement qu’il était exprimé par des paroles. Les jeunes gens, même en France, pouvaient comprendre le sens de Satisfaction des Rolling Stones, plus en tout cas que celui d’A Love Supreme de Coltrane. Out of Time Je ne lisais pas les rock-critics dans la presse anglaise ou américaine. C’était une forme d’orgueil qui faisait que je voulais m’en sortir tout seul. Mon projet insensé était de faire revivre un événement au lecteur, un concert par exemple ou l’écoute d’un nouveau disque, mais je n’ai pas fonctionné sur la base d’informations. Je n’ai jamais fait de journalisme. Je cherchais simplement à formuler de façon assez séduisante cet instant que j’avais vécu pour que le lecteur ait le sentiment d’avoir été là lui aussi. J’ai toujours écrit de
manière très subjective, et sans doute un peu romantique, hors du temps en tout cas. À un moment, je me suis simplement rendu compte que c’était vain que de vouloir écrire sur la musique ; personne n’y était jamais arrivé et je n’allais pas être le premier à le faire. La guitare est responsable de ce constat, elle est devenue à la fin des années 60 l’instrument dominant du rock. Quand j’allais voir des concerts de groupes de la seconde vague pop comme Cream ou Led Zeppelin, je me suis aperçu que chaque solo durait 4 ou 5 minutes et qu’il devenait impossible de les différencier. Avant, je pouvais m’attacher aux paroles, au titre, au tempo, raconter quelque chose de tout cela, mais là comment expliquer le premier solo, le second, etc. ? Il n’y avait qu’une seule manière et elle est évidemment ridicule et impossible, c’était de retranscrire les notes sur des portées à destination de gens en capacité de déchiffrer. J’étais arrivé au bout de mon arsenal de moyens, de mots et d’artifices, pour décrire ce qui me semblait juste indescriptible. C’est pour cela que je n’ai pas écrit très longtemps. I Don’t Mind À une époque, Rock & Folk était devenu le passage obligé vers d’autres choses, la littérature, le journalisme. Je me sentais fatigué non pas physiquement ni intellectuellement, mais par l’aspect répétitif des choses. J’étais donc très content de trouver des gens qui exprimaient un autre point de vue. J’ai engagé tous ces gens qui ont fait la petite notoriété de Rock & Folk, et son intérêt : Paul Alessandrini, Philippe Garnier, Yves Adrien, puis Philippe Manœuvre et Laurent Chalumeau. Ils écrivaient tous de manière différente, ce qui m’a permis de faire de Rock & Folk un journal qui avait du style. Quand j’ai récolté assez de gens pour me remplacer, je leur ai laissé la place et je suis passé à un autre registre, celui du secrétariat de rédaction tout simplement : je me suis amusé à “éditer” – au sens anglo-saxon du terme – les articles, à rédiger les titres, etc. Naturellement, je m’accordais la possibilité de couper ces articles. Pour moi, c’était d’autant plus facile que mes papiers à moi restaient intacts. [rires] Chez Chalumeau, qui était très verbeux, incapable de faire court, tout comme moi d’ailleurs, je coupais les nombreuses digressions, ce qui ne le rendait pas très heureux. Mais j’ai le sentiment de ne jamais avoir trahi
sa pensée ; j’ai amélioré, condensé. Quelqu’un comme Garnier a dit un jour à Libération qu’il rêverait pour ses articles ou ses bouquins de trouver aujourd’hui quelqu’un pour l’“éditer” aussi bien que je l’avais fait à l’époque. Pretty Vacant Soit on est un journaliste tout terrain et on peut parler de tout, des Rolling Stones en 1964 et des Sex Pistols en 1976, de manière professionnelle – pourquoi pas ? –, soit on est franchement amoureux de ces musiques. Et comme le rock s’est diversifié, il me semblait préférable de trouver des gens qui prenaient en charge les changements. Mon âge d’or du rock, c’est la période qui va de 1965 à 1970. Je n’ai jamais été un grand fan de punk, mais ça n’est pas pour cela que j’allais en nier l’existence. J’étais très content que des gens comme Manœuvre en parle. Rock & Folk était hors du temps, mais il était nécessaire que le magazine suive l’actualité de la musique, et se conforme aux modes, même si ça l’a conduit à sa perte, à la fin : trop de modes, trop de gens différents, et en essayant de couvrir le tout, on a fini par ne plus rien couvrir du tout. I Can See for Miles À l’époque où je commençais à mouliner du solo de guitare, je me suis octroyé le droit du seigneur : la page Bricoles. Comme tout journaliste qui se respecte et ne cherche pas en être un véritablement, je me suis rêvé en grand romancier à la Faulkner. Je cherchais à me faire un petit plaisir, mais bon ça n’était pas forcément du goût de tous les lecteurs. C’était le problème de Rock & Folk, et de son titre très réducteur ; chaque fois qu’on a tenté d’ouvrir le champ de nos activités en dehors du rock, notamment avec les articles de Garnier sur Dashiell Hammett ou John Ford, on a pris des volées de bois vert de la part de nos lecteurs. Et pourtant, je voulais orienter le magazine vers une ligne qui intégrait tout ce qui était le rock envisagé comme un tout d’un point de vue quasi spirituel, aussi bien un écrivain, un peintre qu’un homme politique. Pour moi, le rock ne se limite pas à la musique. Je l’ai appris après, mais quand les lecteurs, coupés de tout, guettaient leur magazine une fois par mois en province, ils préfèraient lire un article sur Deep Purple plutôt que sur un écrivain américain. Je n’ai pas pris la précaution, en plein succès, d’y aller en douceur et de signifier toutes ces passerelles avec le rock, ces films et ces livres qui avaient une parenté. La tentative a peut-être avorté, et en même temps je suis très content d’avoir publié tous ces articles. i
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Le Velvet de Rodolphe Burger (en première partie : Mouse DTC), le 27 juin à la Halle aux Vins, à Colmar ; la Foire aux Vins d’Alsace, du 3 au 15 août (Iggy Pop le 8 août), au Parc Expo, à Colmar www.foire-colmar.com
Diamants noirs pAR Emmanuel Abela
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PHOTO julien mignot
En deux temps forts, Colmar a rendez-vous avec le rock : dans un premier temps, Rodolphe Burger vient en voisin présenter son Velvet Underground, puis à l’occasion de la Foire aux Vins d’Alsace, ça sera au tour d’Iggy Pop et de ses Stooges de nous livrer sa tranche d’histoire rock. Le Velvet de Rodolphe Buger On connaît l’importance de la reprise chez Rodolphe Burger. L’ex-Kat Onoma a consacré une résidence au Conservatoire de Strasbourg sur la question qui a fait l’objet d’une publication méconnue, Variations sur la reprise. Il est vrai que l’exercice lui est familier, et bon nombre de ses enregistrements comprennent des relectures personnelles de morceaux emblématiques ; ça avait été le cas avec Radioactivity de Kraftwerk, une reprise devenue incontournable lors des sets de Kat Onoma, mais aussi The Passenger d’Iggy Pop sur son premier album solo Cheval Mouvement, Play With Fire des Rolling Stones et Moonshiner de Bob Dylan sur Meteor Show. C’est justement sur ce deuxième album solo qu’on trouve la composition A Velvet Underground Song That I Like To Sing, un titre dont il se souviendra quand il s’agira de baptiser son album de reprises du célèbre groupe newyorkais. Pour la première fois en effet, le Strasbourgeois consacre un show complet, puis un enregistrement complet à des reprises. Là, en l’occurrence, il revisite le répertoire du Velvet Underground, avec un choix de titres ciblés, des classiques mais aussi des pépites moins connues du grand public. Combien de journalistes ontils fait le rapprochement entre le son de Kat Onoma et celui du Velvet, de manière aisée parfois, un peu fainéante souvent ? La filiation existe, elle existe peut-être moins dans le son que dans l’attitude : cette volonté de défricher des territoires nouveaux et de jeter des passerelles entre jazz, free-jazz, musique contemporaine et pop. Quand on lui propose de monter un spectacle autour du Velvet à Sète en 2010, Rodolphe répond : banco. Il se fixe un objectif singulier : faire plus Velvet
que le Velvet lui-même. Aucun mimétisme dans cette posture, non, juste un challenge particulier : chercher plus loin encore la sensation électrique, ce qui n’était pas la moindre des finalités notamment pour John Cale. Ce qui le séduit fondamentalement, et ce qui fait le cœur même de son approche – ce qui éventuellement le renseigne sur lui-même –, c’est cette dualité entre la tentation mélodique portée par Lou Reed qui finit par l’emporter majestueusement et la capacité de déstructurer plus propre à John Cale. Le Velvet s’est rêvé en groupe populaire, Lou Reed s’imaginait à l’égal des Beatles, mais le dépit a fait qu’il a cherché à brouiller les pistes au point de chercher à saborder lui-même l’aventure à maintes reprises. Rodolphe Burger puise dans cette histoire une vitalité particulière, celle de l’acte créateur pur, qu’il déverse à coups de déferlantes soniques avec les compagnons qu’il a réunis pour l’occasion : les fidèles Julien Perreaudau et Alberto Malo, mais aussi Geoffrey Burton, guitariste postpunk émérite qu’on a croisé aussi bien au côté d’Alain Bashung que d’Arno, la ravissante chanteuse belge Sarah Yu Zeebroek – membre de Hong Kong Dong avec Geoffrey Burton – qu’on découvre en troublante Nico et Joan Guillon d’EZ3kiel, souvent embarqué dans les aventures les plus avant-gardistes initiées par le Strasbourgeois. Il résulte de ces rencontres un très beau projet scénique, entre mélopées pop – décidément, on aime Rodolphe quand il susurre à la manière de Lou Reed – et déflagrations électriques free qui renouent avec le psychédélisme noir typiquement new-yorkais. Iggy and the Stooges Ainsi donc, aux dernières nouvelles, Iggy Pop s’intéresse à la chanson française, pas forcément la plus glorieuse, et nous livre sa version de quelques hits du patrimoine. Nous, on continue à l’aimer bêtement en Iggy, notamment quand il se pointe avec les Stooges, ou du moins ce qu’il en reste. Certains y verront une forme de folklore rock, mais force est d’admettre que la dimension tout à fait sulfureuse du personnage reste intacte. Le corps est meurtri par les mauvais traitements qu’il s’est lui-même infligé au cours de quatre décennies d’excès, mais la dimension sacrale est là : entre raffinement maniériste et animalité pure, il semble guetter tel un Saint Sébastien, martyre des temps modernes, l’instant de sa Sagittation. Ses chansons traitent avec force les mêmes thèmes depuis si longtemps : la douleur, la souffrance et la transcendance. Qu’importe, si le public n’y voit que des gimmicks, la saturation ambiante et la débauche scénique nous touchent parce qu’elles disent quelque chose de nous-mêmes et de notre chaos possible. i
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Les Eurockéennes de Belfort, les 29, 30 juin et 1er juillet à Malsaucy www.eurockennes.fr
Eurockéennes : carnet intime pAR Cécile Becker ET Emmanuel Abela
PHOTO renaud monfourny
Une programmation des Eurockéennes se vit toujours de manière personnelle, les choix se font, les découvertes aussi. Chacun prend note de ce qu’il va privilégier : souvenirs et sensations, Novo identifie certains temps forts en toute subjectivité. The Cure « J’associerai à jamais The Cure à ces affiches collées partout dans la ville, à Strasbourg, pour annoncer le concert de la tournée qui suivait la publication de Pornography en 1982. On ne mesure pas l'impact visuel de ce type d'affiche sur le très jeune homme que j'étais. L’anecdote veut qu’un revendeur m’a proposé des places pour le concert du soir : avec mon ami Daniel, j’étais très tenté et en même temps j’ai décliné. L’histoire est connue : le groupe a joué, mais a splitté le soir même à la suite d’une bagarre. Personnellement, je n’y étais pas et je n’en savais rien, mais dès le lendemain je suis allé acheter le disque qui m’a accompagné des mois durant – c’est le seul disque que j’ai fini par éclater sur le coin d’un bureau, avant de retourner l’acheter. J’ai fait l’acquisition des précédents, avec le sentiment de l’histoire achevée d’un groupe qui avait cessé d’être, comme tant d’autres auparavant. Mais l’histoire de The Cure est singulière en ceci qu’elle ne cesse de se prolonger, Robert Smith naissant, renaissant à l’envi. Au-delà de 1985, cette histoire-là je la connais mal. Ça ne m’empêche guère de rester indéfectiblement attaché à cette figure si blanche qui a tant installé de désirs en moi. » (E.A.)
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« Je suis un bébé du rock, issue de cette génération d’enfants trimballés dans la voiture sur le chemin des vacances où j’ai entendu les titres qui ont perpétué la légende rock. En 1987, je voyais le jour alors que paraissait le double album Kiss me, Kiss me, Kiss me du groupe britannique The Cure. Petite, je préférais regarder les clips à la télé en buvant mon chocolat chaud plutôt que de rester béate devant les dessins animés. Un clip m’a profondément marquée : Lullaby. Je me souviens encore de ma frayeur en regardant ce type maquillé, alité, sûrement dépressif au vu des visions d’horreur qu’il s’imposait. Une grosse araignée et sa toile qu’elle tissait un peu partout, ces musiciens froids tapant sur leurs tambours et jouant de leurs guitares. J’étais fascinée. J’ai bien rangé cette mélodie au fond de ma mémoire pour la ressortir à l’âge où l’on préfère écouter de la musique plutôt que d’affronter la bêtise collégienne. Et puis j’ai découvert Boys Don’t Cry, ne comprenant rien aux paroles, mais voulant déjà me faire tatouer le titre de ce morceau de génie. Puis Just Like Heaven, puis Red Light de Siouxsie and the Banshees avec lesquels Robert Smith a officié en tant que guitariste. Je suis loin d’être une spécialiste de The Cure,
mais cette formation m’a sans aucun doute menée sur les chemins tortueux du rock, et pour ça, leur passage aux Eurockéennes mérite un détour heureux. » (C.B.) The Cure, samedi 30 juin, Grande Scène Thee Oh Sees « LA-LA LA LA LA LAA. Toi-même tu sais (ou pas). On dit souvent que John Dwyer est un stackhanoviste. Il me semble que c’est vrai. Hyper-productif, il dédie sa vie au garage et le fait bien. Le problème, c’est qu’avec un nom pareil : Thee Oh Sees, j’ai cru pendant longtemps que c’était un énième groupe de folk… Jusqu’à ce morceau découvert sur la sublime Late Night Tales de Trentemøller : Ghost in the Trees et sa rythmique si simple et particulière. Se tromper ouvre la porte à la surprise. J’ai donc commencé à me balader dans leur discographie et à en apprécier bien des recoins. Il ne me reste plus qu’à les voir en live pour confirmer leur réputation acide. Ce sera chose faite ! » (C.B.) The Oh Sees, samedi 30 juin, Esplanade Green Room
Anton Newcombe / The Brian Jonestown Massacre
Miike Snow « Découvrir un artiste grâce à un remix, c’est plutôt rare. Pour Miike Snow, c’est pourtant ce qu’il s’est passé. Avec mon coloc, lorsqu’on a un petit coup de blues on passe le remix d’Animal de Treasure Fingers très fort, et les malheurs disparaissent. Oui, je sais, c’est beau. Curiosité oblige, j’ai découvert l’original et n’ai pas été déçue : son de basse puissant, arrangements poussés. Son premier album éponyme de pop électronique et mélodique m’avait séduite. Son dernier, Happy to you, un peu moins sauf quelques perles comme le très fin Black Tin Box. Je n’ai aucun doute sur la puissance des sons de Miike Snow sur scène. Ce devrait être un beau moment. » (C.B.) Miike Snow, samedi 30 juin, Esplanade Green Room
The Brian Jonestown Massacre « Au lycée, j’avais une bande d’amis garçons déglingués, ce sont eux qui m’ont ouvert à l’indie. À l’époque, le film Dig ! sort, et ils m’en parlent comme d’un documentaire de génie. On avait pour habitude de se retrouver dans la chambre d’un copain pour écouter de la musique et raconter toutes les conneries du monde. Ils reprenaient souvent des chansons des Brian Jonestown Massacre avec trois bouts de bois et une guitare. J’ai vu Dig ! qui est dès lors devenu mon film favori, happée par la folie créatrice d’Anton Newcombe et par la façon de manier le tambourin propre à Joel Gion. Alors, lorsque j’ai eu l’excellent Aufheben entre les mains, toutes ces images me sont revenues, entremêlées de visions de printemps hallucinogène. Parfait. » (C.B.) The Brian Jonestown Massacre, le dimanche 1er juillet, La Plage
Jack White « Inutile de parler des White Stripes, j’aurai trop peur que les derniers bourrés du bar se mettent à gueuler le riff de basse de Seven Nation Army, qui est d’ailleurs le premier riff que j’ai appris à jouer. Je n’ai jamais compris cette cover populaire relevée à la sauce radio, bière et foot. Tout ce que je sais et qu’eux ne savent peut-être pas, c’est que Jack White a la classe. Workaholic, il stoppe les White Stripes et participe à The Raconteurs et The Dead Weather, avec toujours ce besoin d’avoir des instruments entre les mains. Blunderbuss, son album solo m’a un peu déçue, j’attendais plus de rock’n’roll. Bien sûr, le désenchantement, la résignation sont toujours là, mais la sécheresse rock fait parfois défaut. Restent sa silhouette noire, son visage immaculé, sa créativité et sa voix déraillée. » (C.B.) i Jack White, le dimanche 1er juillet, Grande Scène
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ORCHESTRE DES JEUNES MUSICIENS DE LA METROPOLE RHIN-RHÔNE, concerts, le 13 juillet à Châlon-sur-Saône et le 14 juillet à Saint-Louis et Besançon www.metropolerhinrhone.eu
Si c’était à refaire... pAR Caroline châtelet
PHOTO Yves petit
« …je commencerais par la culture… ». Attribuée à Jean Monnet, l’un des pères de l’Europe, cette phrase que ce dernier n’a en fait jamais prononcée ne cesse de faire école. En Europe, comme dans le Grand Est...
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De plus en plus fréquemment, Novo se fait le relais de projets culturels se déroulant à l’échelle de la Métropole Rhin-Rhône. Mais au-delà du seul tropisme Novoticien – et de sa logique de diffusion –, quelle est donc la réalité de ce « machin » ? Historiquement, l’espace métropolitain Rhin-Rhône a été fondé en 2005 et s’étend sur trois régions françaises (Alsace, Bourgogne, Franche-Comté) et sur une partie de la Suisse (Neuchâtel, le Locle, la Chaux-de-Fonds, Bâle). Statutairement, il réunit en association quatorze villes et onze agglomérations de France et de Suisse et met en réseau cette entité géographique par le développement de projets sur diverses thématiques. Culturellement, trois manifestations sont soutenues cette année : le festival de musiques actuelles GéNéRiQ, le festival de Caves – festival de formes théâtrales porté par la compagnie Mala Noche (cf Novo 19) – et l’Orchestre des jeunes musiciens de la Métropole RhinRhône. Mais là où GéNéRiQ et le festival
de Caves sont des temps forts artistiques, l’Orchestre des jeunes musiciens intègre également une forte dimension pédagogique. Ainsi, et pour sa deuxième édition, il prend la forme d’un stage d’orchestre se clôturant par des concerts réalisés dans trois villes de la métropole. Dirigés musicalement par le chef de l’Orchestre de BesançonMontbéliard Franche-Comté Jean-François Verdier et deux chefs invités, soixante-dix à quatre-vingt jeunes musiciens bénéficient de ce programme. Au-delà de la transmission, l’intérêt de l’Orchestre des jeunes musiciens est, aussi, d’être emblématique de ce qui prévaut à la réussite de la Métropole : un désir partagé. Car sans envie commune des différents interlocuteurs de mutualiser leurs moyens – au détriment d’une forme de liberté et de souveraineté –, il sera difficile pour ce réseau de prendre corps concrètement... Entre mutualisation nécessaire et choix artistiques, le directeur du réseau métropolitain Rhin-Rhône Eric Anguenot et le directeur musical Jean-François Verdier répondent à nos questions : Trois questions à Eric Anguenot Qu’est-ce qui vous intéresse dans ce projet ? La culture a toujours été fondamentale dans cette association de villes. Là, ce qui est passionnant sur ce projet, c’est qu’avant même de jouer, les participants suivent un stage ensemble. Cela constitue donc pour ces jeunes à la fois une aventure humaine et une aventure culturelle, artistique. La convention établie avec l’Orchestre de Besançon-Montbéliard FrancheComté est triennale. Envisagez-vous de reconduire l’événement ? Nous travaillons de façon intelligente et chaque projet est suivi d’un bilan, en fonction duquel nous décidons d’un maintien ou d’un arrêt des actions. La mise en réseau des conservatoires, des écoles de musiques est ce qui nous intéresse en premier chef. Après, il faut que la manifestation marche, que le réseau fonctionne et que les gens aient du plaisir à travailler ensemble.
Vous dites que la culture est fondamentale dans la Métropole Rhin-Rhône. Comme si celle-ci permettait de concrétiser de nouvelles visions territoriales... Nous ne travaillons pas que sur la culture et développons d’autres axes. Mais, effectivement, les premières actions sur lesquelles nous avons pu trouver des possibilités de collaboration sont des actions culturelles. Cela est dû à la volonté des acteurs culturels d’une part, mais aussi à celle des élus, qui comprennent que la culture est un outil fondamental à la construction de l’unité d’un territoire. Et puis, de nouvelles logiques apparaissent en raison des contraintes budgétaires. Aujourd’hui, la mutualisation des initiatives permet de répartir la charge financière et de réaliser des actions que chacun n’a plus les moyens de mener seul... Trois questions à Jean-François Verdier Comment avez-vous composé le répertoire musical ? Il convient surtout de choisir un répertoire qui soit motivant pour les jeunes musiciens, varié, intéressant, et qui soit assez exigeant mais pas infaisable ! C’est un panorama de musiques ambitieuses qu’ils ne peuvent pas forcément aborder dans leurs écoles respectives, mais qu’ils peuvent très bien jouer une fois réunis dans le cadre de l’Orchestre des jeunes. Les deux chefs invités sont Nicolas Farine et Arnaud Pairier. Pourquoi eux ? Quelles sont leurs particularités ? J.-F. V. : Nicolas Farine et Arnaud Pairier sont jeunes, enseignants et habitués à travailler avec les jeunes et les enfants. Ils savent être patients et tenaces. Et puis l’Orchestre étant un projet à l’échelle de la Métropole, chacun en représente une composante : Nicolas Farine vient de Neuchâtel, tandis qu’Arnaud Pairier est issu du Conservatoire à Rayonnement Régional de Dijon. En 2013 a lieu, a priori, la dernière édition de l’Orchestre soutenue par la Métropole Rhin-Rhône. Espérez-vous pouvoir pérenniser cette action ? J.-F. V. : Au départ, j’avais l’intention de construire un orchestre des jeunes pour la région Franche-Comté, puis le projet s’est beaucoup élargi ! Il a du succès. C’est vraiment une belle aventure pour tous ceux qui la vivent. Donc nous souhaitons continuer à réunir les jeunes musiciens, et nous espérons bien être soutenus pour cela dans le futur... i
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PREMIERS ACTES, festival de jeune théâtre en Haute-Alsace, du 28 juillet au 16 août, Lac de Kruth, Wesserling, Colmar, Munster et Mulhouse www.premiers-actes.eu
Pour la cinquième année consécutive, le festival Premiers Actes investit à la fin de l’été la HauteAlsace. Pièces de théâtre, performances, série documentaire et projets de médiation artistique se déploient entre campagnes et villes, offrant une programmation plutôt sereine, contrairement à l’avenir du festival… Rencontre avec Thibaut Wenger, metteur en scène et directeur de Premiers Actes. DOSSIER coordonné PAR caroline châtelet, sylvia dubost & ghillaume malvoisin pHOTOs Jef Bonifacino
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Sur la réserve pAR sylvia dubost
Thibaut Wenger, directeur de Premiers Actes, nous éclaire sur la couleur de la programmation 2012 : elle semble plutôt sereine, contrairement à l’avenir du festival…
Quel a été l’élément déclencheur de cette programmation ? La première pièce a été Le Banquet dans les bois, qui croise deux pièces de Shakespeare : Titus et Comme il vous plaira. Ce qui m’intéressait, c’est cette écriture contemporaine qui recycle des textes classiques. Puis il y a eu le projet de Silvano Voltolina sur Le Songe d’August Strindberg, qui rejoint un peu cela. Il y travaille sur le Dieu Indra, qui n’est en fait présent que dans le prologue que Strindberg a rajouté plus tard. Le Banquet est lui aussi un songe, une circulation onirique… L’édition 2012 semble s’être construite autour de deux axes : le rêve et la volonté de réinterroger les classiques… Il est trop tôt pour prendre des décisions définitives d’Adrien Béal est aussi un songe, une affabulation de Pier Paolo Pasolini visitée par Sophocle. Et c’est aussi un dialogue avec un monument. Pour ma mise en scène de Woyzeck, nous sommes aussi, quelque part, passés par une réécriture, en retraduisant le texte de Georg Büchner dans un créole urbain, que nous appelons le Baragouzek. Nous avons mené des ateliers d’alphabétisation dans la banlieue de Bruxelles et nous sommes rendus compte qu’il y a des endroits où les langues du monde se rentrent dedans. Cette retraduction nous semble de plus répondre au projet de Büchner, qui a intégré certains régionalismes dans les premières ébauches, ce qu’on ne voit pas dans les traductions. Concernant le rêve, l’édition 2012 accueille aussi un projet rigolo : Have a nice trip, performance de Vivarium Tremens autour de l’industriel anglais Donald Crowhurst
qui a fait du surplace dans l’Atlantique. Il voulait participer au Golden Globe avec un bateau pas fini, et savait qu’il allait mourir s’il allait dans les mers du Sud. Il a donc fait du surplace en attendant que la course revienne et l’a reprise en 2e position. Il s’est finalement suicidé. La performance durera sept jours, et le comédien, installé au milieu du lac de Kruth, communiquera par radio tous les jours à 18h.
Que dit cette édition des conditions de création aujourd’hui ? Ce que je peux dire, c’est qu’en avril, on nous a demandé de changer nos orientations, et que j’ai dû tout reprogrammer. On essayait, depuis deux ans, de faire des choses en ville, de travailler avec des institutions, comme on nous le demandait. On avait programmé beaucoup de choses à Mulhouse, mais il a fallu les retirer pour les remettre à la campagne : le contraire de ce qu’on nous avait demandé il y a deux ans.
On a l’impression que la plupart des propositions partagent un retrait du monde… Je ne sais pas si c’est du retrait. Le théâtre, c’est des métaphores. J’ai besoin, dans ce que je vois, qu’on ne me parle pas frontalement ; j’ai du mal à m’accrocher à des paroles directes. À travers ces métaphores, on parle de la perdition dans laquelle on se retrouve aujourd’hui, de l’incapacité de savoir contre qui se retourner. Elles passent aussi par une relecture de certains textes ou thèmes.
Comment voyez-vous l’avenir de Premiers actes ? Nous n’avons aucune vision à moyen terme. En ce moment, nous n’avons même plus de bureau. Avec la Drac [Direction régionale des affaires culturelles, ndlr], on s’est dit qu’il fallait demander une convention. Si on ne l’a pas à l’automne, on arrête là. C’est épuisant d’être toujours dans l’énergie des premières fois. On aurait besoin de se structurer, de ne pas être dans l’urgence. Depuis le début, la Région nous dit que le festival ne tient pas la route, l’aide au niveau du Conseil général est faible. Contrairement à la Drac, qui nous suit bien, ils regardent la fréquentation plutôt que le projet. Le taux de remplissage était de 85% mais c’est trop peu rentable de faire des spectacles avec douze comédiens pour soixante-dix spectateurs. On nous dit qu’on arrive trente ans trop tard et qu’il n’y a plus de sous. Je ne suis pas très optimiste…
Le retrait n’est pas forcément un renoncement, ce peut aussi être une manière de prendre du recul pour mieux voir… Comment les spectacles de cette année s’ancrent-ils dans le présent ? En tout cas je n’ai pas l’impression que ce soit un été furieux. Plutôt que de la colère, il y a quelque chose de l’ordre de l’initiation et de la perdition. Mais certains projets sont plus ancrés dans le présent, comme ceux de Lydia Ziemke, qui s’est beaucoup promenée au Moyen-Orient et a monté Lila Risiko à partir de textes contemporains arabes. Les pièces vont ensuite être présentées en Palestine et au Maroc.
Comment régler cette question de la fréquentation ? J’y tiens, en fait. Ce que nous proposons ne peut pas ramener trois cent personnes. C’est pointu, cela me semble normal qu’on ne mobilise pas beaucoup de monde, mais ce n’est pas un problème. Les chemins de traverse, tout le monde ne les prend pas…
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WOYZECK, théâtre, du 26 au 28 juillet, Friche DMC, Mulhouse – Festival Scènes de rue les 28 et 29 juillet, Friche Wesserling, Wesserling www.premiers-actes.eu
Il y a un an, le metteur en scène et directeur de Premiers Actes Thibaut Wenger évoquait en fil rouge de l’édition 2011 du festival l’idée selon laquelle « tout se dérobe ». Vision prémonitoire ?
Danse avec les loups pAR caroline châtelet
Avril 2012. Premiers contacts avec Thibaut Wenger au sujet du festival 2012. La programmation prolonge l’axe tracé en 2011, soit un voyage de la campagne vers la ville, soutenu par les tutelles, avec une répartition égale des propositions. Mai 2012. Branle-bas de combat : « Nos tutelles nous encouragent à recentrer le festival à la campagne », explique Thibaut Wenger, et cette préconisation déclenche un remaniement imprévu. Sans juger ici de la pertinence ou non de ce « conseil », et au-delà 1) des conditions de travail inconfortables qu’il engendre ; 2) d’une vision fluctuante d’un projet culturel qu’il révèle ; ce type de pratiques tend à transformer le subventionné en girouette. À l’affût des moindres changements de météo. Une mue accentuée par une autre tendance nationale, celle du financement au projet. La diminution des subventions de fonctionnement et la généralisation des aides spécifiques, « fléchées » (en somme, du « là-au-moinson-sait-ce-qu’ils-en-font »), a pour conséquence d’escamoter le travail quotidien peu visible au profit d’actions brèves, plus éclatantes. En allant de pair avec une instrumentalisation croissante de l’art, dont on exige qu’il panse les plaies d’une société, ces choix ont leur revers. Celui de transformer les équipes artistiques en caméléons, producteurs de discours en adéquation avec le financement à obtenir. La longévité deviendrait un gage de cynisme, fruit d’une capacité à endosser les costumes taillés par les programmes financiers... Sans savoir combien de temps l’équipe de Premiers Actes – animée par le désir de pérenniser son festival et son travail de compagnie – résistera à ces travers et convertira la tension de ces injonctions en énergie créative, un parallèle intéressant se dessine. Celui existant entre les péripéties précitées et le projet théâtral de Thibaut Wenger, Woyzeck de Georg Büchner. Car mettant en scène la pièce inachevée écrite en 1837 et dont il existe trois versions, Wenger assume l’inconnu du fragmentaire : les morceaux sont joués successivement, exposant chacun à leur façon l’histoire du meurtre de Marie par le soldat Woyzeck. Comme
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le metteur en scène l’explique, ce choix révèle Woyzeck, en déplaçant l’histoire « du mélodrame et du crime passionnel assez intime à un champ plus vaste. Plus on avance, plus le sens s’arrache : des personnages secondaires deviennent importants, le crime s’installe dans un contexte. La responsabilité du geste devient collective ». Et sans romantisme déplacé, en captant l’écrasement par une société bourgeoise et policée d’un jeune homme incapable de se soumettre totalement à elle, la pièce de Büchner pose avec fulgurance cette question : « Comment agir lorsque tout se dérobe ? » i
RETOUR AU DÉSERT pAR Guillaume Malvoisin
Rétro ? Nostalgie ? Impuissance à lire le neuf ? La lecture du programme de la prochaine édition du festival Premiers Actes pourrait amener ce jugement initial. Il serait malheureusement aussi bas de sourcil que celui d’un astronome un soir de février. La bande à Wenger, à force de danser sur les décombres d’une industrie passée, solidifie à chaque édition sa croyance en un théâtre qui interroge ce qui a été en lui donnant les atours de ce qui a la couleur du jour. « nous devons payer notre note / à ceux que désormais plus rien ne peut consoler / et qui, par bonheur, ne nous entendent pas / si, soulagés nous rions dans le monde. » Pasolini, forcément, l’auteur cher à la programmation du festival. Sans doute parce qu’il écrit du rêve, à l’honneur de cette édition 2012 mais surtout parce qu’il écrit du mystère. Et c’est ce même mystère qui anime l’équipée du festival. Donnonslui ici un nom : la rénovation. Premiers Actes 2012 quitte donc la ville et repart baguenauder l’esprit savant et le rire décontracté vers ses friches chéries. Et ce mouvement inversé sert, et de loin, cette idée de rénovation. J’avançais, il y a deux ans, l’idée que Wenger et ses copains cherchaient à élever de petits monuments
sur la classe d’ancienne gloire industrielle (friche de Wesserling) ou communautaire (salle des fêtes, Hôtel) voire balnéaire (Lac de Kruth). Pour son 5ème Spielplan, la bande met de l’eau dans mon abreuvoir. Exemple avec Pasolini, oui encore une fois. Adrien Bal met le Rital magnifique dans la petite chaufferie, ce qui est, en plein été, déjà cocasse, avec ces mots préalables : « L’un des thèmes les plus mystérieux du théâtre tragique grec est celui de la prédestination des fils à payer les fautes des pères. » Payer la faute des pères, la belle affaire, quand on arrive de moins en moins à assumer leurs dettes dans toute l’Europe. Et là retour de l’idée de rénovation : la chaufferie de Wesserling, lieu impressionnant de puissance encore vive, devient l’écrin à la réinterrogation, réappropriation d’un passé par de jeunes gens actifs et créatifs. Pas question d’hommage, encore moins de patrimoine défendu. Non, seulement une relecture géographique. On trouve, plus simplement, cette idée ailleurs. Baladezvous en montagne et vous verrez ces petits amoncellements de pierres nommés caïrns. Autant balises que marque d’un passage ou d’un effort. Les spectacles proposés à Premiers Actes ont ceci d’immanquable qu’ils sont autant de témoignages d’une œuvre en train de se faire, après résolution, effort et démarches pour se mettre en branle. Pas vraiment question de génération, mais à considérer fermement comme une proposition qui déboulonne, certes, mais avec un plaisir non feint donc communicatif. Voir le détail du maintenant rituel spielplan pour valider ou non chaque idée énoncée ci-dessus. i
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La Mousson d’été, du 23 au 29 août à l’Abbaye des Prémontrés, à Pont-à-Mousson. www.meec.org
Laboratoire d’écritures pAR Benjamin Bottemer
pHOTO Eric Didym
La Mousson d’été prend le temps, sept jours durant, de mettre en valeur des créations inédites en France en matière d’écriture et de théâtre, privilégiant les rencontres, encourageant des relations approfondies avec le public et les échanges entre intervenants. Avec pour ambition d’apporter sa pierre au développement culturel en Lorraine et au-delà.
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La Mousson d’été, initiée en 1995 sous l’impulsion de Michel Didym, directeur artistique et organisée par la Maison Européenne des Écritures Contemporaines, se définit avant tout comme des « Rencontres », avec pour volonté de dépasser le statut de festival d’art dramatique. « Notre premier souci a été de créer quelque chose de pérenne, raconte Michel Didym. Ensuite, nous avons voulu apporter une aide et une écoute aux auteurs, leur donner un public et créer les conditions pour qu’ils le rencontrent, les présenter à des producteurs qui pourront donner plusieurs vies à leurs créations. » Si elle propose de découvrir plus d’une trentaine d’auteurs, la
manifestation se veut aussi un laboratoire, où producteurs, publics, pédagogues, auteurs et comédiens nouent entre eux des relations approfondies, sous le signe de la transmission, de la découverte et du partage. « Il s’agit de populariser l’émergence et l’innovation, poursuit Michel Didym, expérimenter autour des écritures, renouveler le répertoire contemporain, tout en rendant attractives des choses ténues. » Autre ambition : court-circuiter la lenteur des circuits traditionnels, ouvrir la possibilité à des créations nouvelles d’être rapidement accessibles. « Il faut une caisse de résonance efficace pour les auteurs, pour ne pas qu’ils attendent quarante ans avant d’être découverts, explique le directeur artistique.
Pour cela, nous faisons également de l’édition ; comme le disait très justement Michel Vinaver, le plus important pour un auteur, c’est d’être édité.» De nombreuses nationalités figurent à l’affiche de la Mousson d’été : Danois, Allemands, Mexicains, Polonais viennent aux côtés d’auteurs régionaux et nationaux présenter leurs textes. La Comédie française, le Théâtre de la Colline, le Théâtre du Gymnase à Marseille ou le Théâtre des Célestins à Lyon sont quelquesunes des structures qui ont pu accueillir au fil des ans les créations présentées à la Mousson d’été. à noter que le partenaire de l’édition 2012 n’est autre que le Royal Court Theatre de Londres. Une marque d’intérêt qui n’est pas sans réjouir Michel Didym :
« On a réussi à intéresser Paris et l’Europe à l’abbaye des Prémontrés de Pont-à-Mousson, un lieu auquel je suis très attaché. C’est cela, la décentralisation de la culture ! » L’originalité, la pédagogie et l’accompagnement à long terme sont des notions qui tiennent particulièrement à cœur à l’équipe de la Mousson d’été, afin de se démarquer et d’organiser le développement artistique en Lorraine : « Nous sommes là pour éclairer, explique Michel Didym. On pourrait aller chercher des pièces à Paris et les jouer ici ; on pourrait mettre en avant le côté phénomène. Mais on préfère favoriser une qualité de création, avec un vrai niveau de compétence artistique et des compagnies régionales qui évoluent et ne restent pas confinées. » Le caractère international de la Mousson d’été, sa volonté de créer du contact et de mettre en relation les différents acteurs du milieu théâtral se devait d’être assuré par une organisation dédiée : l’Université d’été se charge de l’accueil de 70 stagiaires, étudiants, enseignants, chercheurs venus de toute l’Europe, de l’édition d’un journal, de l’organisation de tables rondes, d’ateliers et de rencontres. « L’Université d’été organise un retour vers les auteurs, qui repartent avec des textes, de la matière autour de leur travail, des émotions qui sont le fruit des nombreuses rencontres organisées. Les gens mettent les mains dans le moteur, il y a un vrai partage et ils échangent des outils précieux concernant leurs pratiques. » Déjeuners avec les auteurs, rencontres ironiquement qualifiées de « Très formelles », rendez-vous nocturnes... La formation et la transmission sont à la Mousson d’été peut-être plus importantes que les présentations ellesmêmes. « L’Université d’été n’a pas qu’un rôle intellectuel : elle agit concrètement. » « Pouvoir et dépendance » sera la thématique sur laquelle s’axera la programmation 2012. « Le thème n’est pas uniquement politique, précise Michel Didym. Il interroge également les relations au sein de la cellule familiale, les comportements humains. La programmation vise à un état des lieux de l’évolution du pouvoir en Europe et ailleurs, la façon dont les européens notamment traitent ces questions : la Pologne par exemple a beaucoup de choses à dire sur ce sujet ! » Le festival accueillera notamment Artur Palyga, dont l’œuvre « Transitions » traite du passage à la démocratie en Pologne. « Le travail pour encourager le rayonnement international du théâtre et son accessibilité est important, rappelle Michel Didym. Nous ne sommes pas dans une chapelle fermée. » i
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FRAC FRANCHE-COMTE, Besançon www.frac-franche-comte.fr www.citedesartsetdelaculture.fr
Aux risques du visible pAR Caroline châtelet
PHOTO Yves petit
Au printemps 2013, le Frac Franche-Comté emménagera dans la Cité des arts et de la culture de Besançon. Entre visible et invisible, cette installation se déploie lentement dans le temps, pièce maîtresse de l’institution.
Rencontrant Sylvie Zavatta, on se dit que celle-ci a eu du nez le jour où elle décida d’articuler son projet de direction du Fonds régional d’art contemporain Franche-Comté autour du temps... Certes, ce choix ne relève en rien du hasard, et comme elle-même l’explique, il est lié à son arrivée à la tête du lieu en 2005 : « Avec la tradition horlogère, le musée du Temps, je trouvais intéressant d’inscrire le Frac dans l’histoire de la ville, d’offrir un ancrage régional. Cette thématique contient une vraie force philosophique, elle renvoie à la transversalité, la littérature, la musique... » Mais au-delà de cette référence assumée, le dialogue que le Frac Franche-Comté entretient par l’entremise de Sylvie Zavatta à l’espace – (son) espace d’exposition ? – est intimement lié au temps. Et le nomadisme auquel l’institution se prête depuis 2005, qui lui impose d’exister sans pour autant se fixer, donne jour à une incessante et subtile
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alternance entre visible et invisible. Autant d’enjeux observables le lundi 14 mai. Ce jour-là, le Frac tenait réunion et proposait : 1) une rencontre avec les artistes Neal Beggs, Jean-Christophe Norman et Laurent Tixador à l’occasion de la fin des trois huit, intervention artistique dans l’espace public ; 2) une visite du chantier de la Cité des arts de Besançon, futur lieu d’implantation du Frac. Balade de l’infra à l’ultra-visible... Pérégrins de l’imperceptible Mené à Besançon et ses environs, Les trois huit a réuni le britannique Neal Beggs et les deux français Jean-Christophe Norman et Laurent Tixador. Durant une semaine, les artistes se sont relayés pour effectuer des sessions de marche en solitaire. Sorte d’anti-performance – quoique annoncé, aucun rendez-vous
physique n’a été donné, le hasard seul rendant possible une rencontre avec les artistes –, la semaine a permis à chacun de développer son parcours, tout en éprouvant la marche comme objectif. Et tandis que Jean-Christophe Norman a réalisé en le « déplaçant » l’itinéraire de Mallory et Irvine – alpinistes disparus en escaladant l’Everest en 1924 –, Laurent Tixador a arpenté des lieux aussi éclectiques qu’un hall d’hôtel ou le musée du Temps. Atypique par son éloignement de ce qui « fait » exposition, Les trois huit sont l’une des propositions prévues en amont de l’inauguration de la Cité des arts. À une époque où le spectaculaire et les coups d’éclats prédominent dans le champ de l’art, Sylvie Zavatta préfère « des interventions par petites touches », proches de l’imperceptible. Un choix plus risqué, révélateur de la conception que la directrice se fait du dialogue entre l’institution et l’art, et qui
interroge du même coup le rôle du Frac. « Il est important que les artistes “posent problèmes” à l’institution. La médiation et la sensibilisation rentrent dans nos missions, et ce type de projet nous amène à réfléchir à comment transmettre cette manière de faire de l’art. Notamment en travaillant sur les traces. » Façon, aussi, que « quelque chose se passe dans la ville, ponctue le temps d’attente de l’inauguration du bâtiment », en œuvrant à une installation lente, une infiltration. Installer la Cité D’autant que le spectaculaire est visible pour toute personne longeant l’ancien port fluvial de Besançon. Là, à quelques encablures de la Rodia située sur l’autre berge du Doubs, se trouve la fameuse Cité des arts et de la culture. Conçu par le japonais Kengo Kuma, le bâtiment de 11 000 m 2 au nom aussi imposant que son chantier débuté en mai 2010
accueillera dès le printemps 2013 le Frac et le Conservatoire à rayonnement régional (CRR) du Grand Besançon. Une jolie alliance art/éducation qui résonne dans l’aspect extérieur du bâtiment, dont la façade de pixels tramée mêle plusieurs matériaux (verre, bois, aluminium). Mais là aussi, au-delà de la proximité géographique, c’est le temps qui permettra aux deux structures de construire un dialogue. « Le conservatoire est une école et pas forcément un lieu destiné à l’expérimentation. Notre travail commun va consister à ouvrir leur public à l’art contemporain et, inversement, à faire des propositions d’art contemporain qui tournent autour de la musique. » D’ailleurs, l’on pressent à visiter le bâtiment que Sylvie Zavatta et son équipe ont été des interlocuteurs réels de ce chantier. Ainsi, passant devant une petite salle, la directrice précise que celle-ci est destinée à exposer des artistes fraîchement diplômés. Cette
vigilance quant à « la nécessité de mettre en valeur de jeunes artistes », héritée de son « expérience pendant cinq ans de directrice de l’École des BeauxArts de Nantes », est plutôt rare dans un Frac. Aussi peu courante que le choix d’y installer une médiathèque, « p ro p o s a n t u n fo n d s d e documents sur l’art contemporain et sur le son. » Autant de décisions qui soulignent à leur façon la caractéristique fondamentale du projet développé par Sylvie Zavatta depuis 2005 : un travail au long cours jonglant entre invisible et visible, ponctué de gestes discrets et d’avancées patientes. L’ensemble étant marqué par une attention aux divers interlocuteurs maillant le territoire. Héritage, aussi, du nomadisme, cette prise en compte de l’autre est définitivement assumée par une directrice pour qui il importe de « travailler avec les artistes. C’est ce qui m’intéresse et ce que j’aime ». Et de permettre – par l’infime, comme par l’éphémère ou le définitif – « la sensibilisation du public à l’art et à ses multiples formes d’existence ». i
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Meisenthal, le feu sacré, exposition pour les 20 ans du CIAV, du 24 juin au 7 octobre sur le site du Grand Hornu (Belgique) www.ciav-meisenthal.fr
Comment une petite verrerie au cœur des Vosges a-t-elle acquis une réputation internationale dans les milieux du design et de l’art contemporain ? Construit brique par brique, en toute discrétion, le Centre International d’Art Verrier de Meisenthal cultive sa singularité. S’il fête aujourd’hui ses 20 ans, c’est peut-être parce qu’il a inventé son propre mode de fonctionnement.
En verre et contre tous pAR sylvia dubost
Meisenthal, un village de 750 habitants niché au creux des Vosges, aux confins de la Moselle et du Bas-Rhin. Ici se croisent designers et artistes, élèves des écoles d’art, créateurs émergents et confirmés, qui découvrent avec des maîtres verriers aux savoir-faire ancestraux de nouvelles possibilités de création. Le CIAV, lieu de recherche et d’expérimentation en effervescence permanente, est le fruit de 20 années de « dur labeur », comme le rappelle Yann Grienenberger, directeur depuis ses débuts.
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Laboratoire d’Émile Gallé et berceau de l’art nouveau au XIXe siècle, la verrerie ferme en 1969, comme la plupart de celles de la région, puis rouvre en 1992 à l’initiative des collectivités alentour. « Pendant une dizaine d’années, on a d’abord structuré le projet, raconte Grienenberger. On a construit une éthique de travail, un réseau. » Le CIAV commence par s’activer l’été, pour des workshops avec des étudiants des écoles d’art. Puis François Burkhardt, ancien directeur du Centre de création industrielle du Centre Pompidou, fait venir la crème des designers. En 1997, les ateliers s’ouvrent au public et Meisenthal devient une destination touristique sur la route du verre. Depuis le début des années 2000, le CIAV accueille des plasticiens. Aujourd’hui, il est sollicité en permanence pour des résidences ou une aide à la production, et une vingtaine de travaux voit le jour chaque année. Ils sont signés Jasper
Morrison, François Azambourg, Andreas Brandolini, Fred Rieffel, pour les designers ; Françoise Pétrovitch, Damien Deroubaix, Pierre Ardouvin, Michel Paysant pour les artistes… Des pointures dans leur domaine. Les créations made in Meisenthal sont visibles dans le monde entier. « À chaque pièce commise, explique Yann Grienenberger, les artistes nous emmènent avec eux dans leur réseau. Sinon, on n’a aucune chance… » Françoise Pétrovitch a montré des pièces au Musée de la chasse à Paris, à Séoul, Younès Rahmoun au musée de Doha au Qatar… Les retombées de cette visibilité sont aussi économiques. Le centre est aujourd’hui autofinancé à 70%, grâce aux ventes (notamment des fameuses boules de Noël dessinées par des designers, qui s’arrachent chaque année) et aux visites, et a embauché 15 salariés. Beau succès. « Les standards de production, c’est un seul modèle qu’on produit à mort et qu’on vend partout. Nous, on fait
Françoise Pétrovitch, Tue Lapin, 2010 Photo : Frédéric Goetz
le contraire. » Le CIAV apporte la preuve qu’un projet exigeant peut fructifier, s’il est pertinent. Il s’est d’abord profondément inscrit dans son territoire, valorisant ses savoir-faire, et dans son époque, comme en témoignent ses productions. Il propose ensuite un réel espace d’échanges. « On donne aux artistes notre boîte à outils, nos convictions, nos traditions, explique Grienenberger, eux nous apportent leurs questionnements. » Il offre enfin un accompagnement aux artistes, qui pour la plupart n’ont jamais travaillé cette matière, et le temps précieux d’affiner leur projet. François Daireaux a ainsi œuvré pendant deux ans à la conception de Blow Bangles, qui combine les techniques de Meisenthal et de Firozabad en Inde. Et c’est sans doute pour cela que les artistes sont fidèles. Françoise Pétrovitch a séjourné une première fois au CIAV en 2006 pour une résidence, lors de laquelle elle a créé ses désormais fameuses
poupées en verre. « Une aventure esthétique et technique », comme elle la décrit. Elle est revenue ensuite à plusieurs reprises pour la production de pièces pour des expositions. Le CIAV lui a plus tard demandé de réaliser des œuvres en petite série : les Tue lapin. Elle reviendra à nouveau pour un projet autour des ex-voto régionaux. « C’est un vrai compagnonnage, on aime travailler ensemble, explique-t-elle. Il y a une sincérité dans leur démarche, une cohérence entre la recherche et le territoire. » Pour fêter ses 20 ans, le CIAV est aujourd’hui invité au Grand Hornu, l’une des plus importantes institutions dans le domaine du design. Il y exposera, pour la première fois, 60 pièces. Pour Yann Grienenberger, c’est une « reconnaissance d’un travail et la validation d’une stratégie de développement ». L a preuve qu’il existe d’autres modèles pour imaginer le développement économique des
territoires. Ce sera aussi l’occasion de nouer le dialogue avec des structures européennes qui partagent leurs questionnements : comment lier approche sociale, culturelle et économique ? « Nous sommes un hors-bord, on peut virer en une heure. Un paquebot serait plus puissant mais aurait du mal à changer de cap. Quelle est la bonne taille pour faire face au succès ? » Ou encore : comment maintenir et améliorer la production classique tout en développant la diffusion des œuvres d’artistes en petite série ? Si le CIAV fête aujourd’hui ses 20 ans, c’est parce qu’il a inventé son mode de fonctionnement en même temps que de nouvelles formes. À coup sûr, il continuera à le faire et à proposer de nouveaux modèles de création et de production, contre les standards. Et Yann Grienenberger de conclure : « C’est pas parce qu’on est au fin fond des Vosges du Nord qu’on n’a pas notre mot à dire. » i
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Hunter S.Thompson, Nouveaux commentaires sur la Mort du Rêve américain, Tristram.
Dans le sous-sol de l’Oncle Sam pAR Benjamin Bottemer
ILLUSTRATION Thomas Berlin
Les éditions Tristram s’intéressent à la littérature « hors de son périmètre noble » : Lester Bangs, William T.Vollmann, William S. Burroughs, J.G Ballard pour les plus fameux. Hunter S.Thompson, l’écrivain-journaliste gonzo, y a évidemment sa place. En juin, Tristram publie le troisième volume de ses Gonzo papers, inédit en France. C’est nichées au fin fond de la province française, dans le Gers, que les éditions indépendantes Tristram poursuivent leur travail de défrichement d’une littérature d’auteurs francs-tireurs eux-mêmes bien souvent allumés. Jean-Hubert Gailliot et Sylvie Martigny, rencontrés lors de l’Été du livre à Metz, permettent ainsi la découverte d’ouvrages méconnus ou totalement inédits, que l’on doit notamment à certains des plus éminents représentants de la contre-culture américaine des années 60 et 70. Hunter S.Thompson est l’un d’eux. Il a transcendé les frontières entre journalisme et fiction à travers un « gonzo-journalisme »
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de son invention. Selon l’intéressé, « c’est un style d’écriture basé sur l’idée de William Faulkner selon laquelle la fiction sera toujours plus véridique que n’importe quel type de journalisme. Le reportage gonzo allie la plume d’un maître reporter, le talent d’un photographe de renom et les couilles en bronze d’un acteur. » Il explorera cette voie à travers des romans-reportages tels que Hell’s Angels ou Las Vegas Parano, et une masse impressionnante d’articles, les plus essentiels étant réunis en plusieurs volumes nommés Gonzo papers. Les deux premières parties, L’Ancien et le Nouveau Testament Gonzo, parurent une première fois en France en 1981 aux Humanoïdes associés. Tristram les réédite en 2010, juste après le publication de la première biographie définitive (et indispensable) de l’auteur disparu en 2005, écrite par William McKeen et intitulée Hunter S.Thompson, journaliste et hors-la-loi. « On a du mal aujourd’hui à comprendre la révolution culturelle qu’a représenté le journalisme gonzo de Thompson, explique Sylvie Martigny. Il était décidé à tout dire, y compris les magouilles politiques, sans préserver les apparences comme le faisait le journalisme de l’époque. Le terme est maintenant quasi galvaudé, on l’utilise dès qu’un journaliste se met en scène et fait état
de manière très voyante de sa subjectivité. » Les aventures de Hunter consistent en une immersion totale dans les bas-fonds de l’Amérique, des Merry Pranksters aux militants chicanos de Los Angeles, du monde du sport aux élections présidentielles de 1972 avec Nixon, sa Némésis, en ligne de mire. Le tout avec force drogues et alcool à l’appui. « Thompson est devenu un personnage loufoque, exubérant, poursuit Sylvie Martigny. C’était vrai, mais son autre facette était celle de quelqu’un qui allait jusqu’au bout de son travail avec honnêteté. De toute façon, on ne pouvait pas s’attaquer à Nixon et être totalement normal. » Admirateur d’Hemingway et de Fitzgerald, Thompson est avant tout un romancier dans l’âme qui s’est servi du “Nouveau journalisme” comme d’un support. Son sujet : le Rêve Américain. Son objectif ultime : le Grand Roman Américain. « C’est une quête qui dure depuis des décennies, explique Sylvie Martigny. Bangs, Thompson et d’autres, des gens très doués, ont plutôt trouvé leur voie dans le journalisme, dans ces chroniques du lieu et de l’instant extraordinaires qu’étaient les ÉtatsUnis à leur époque. C’est peut-être ça la grande littérature américaine. » À une période où la contre-culture a créé les médias pour s’exprimer (Rolling Stone, ou le plus confidentiel Scanlan’s Monthly, auxquels Thompson a largement collaboré), on peut voir s’exprimer le talent de ces « freaks » géniaux, à la fois perturbateurs et professionnels affûtés et infatigables. « Thompson avait cette capacité à se mettre dans l’œil du cyclone, commente Jean-Hubert Gailliot. On est avec lui dans un perpétuel making-of, il est constamment en proie à un projet d’article interminable, qui déraille et l’amène à raconter l’envers du décor. Dès lors il tend inexorablement vers la fiction, comme dans Las Vegas Parano. » Tristram entame en 2012 la publication d’un volume totalement inédit des Gonzo Papers, Nouveaux commentaires sur la Mort du Rêve Américain. JeanHubert Gailliot le présente ainsi : « Ce volume était son préféré, l’assemblage de pièces du puzzle qu’il avait toujours voulu constituer : son roman sur la mort du Rêve Américain, son grand serpent de mer. C’est l’ouvrage le plus important, celui qui reflète tous les aspects du travail et de la vie de Thompson ». Suivront dans un ou deux ans la traduction de Better Than Sex : Confessions of a Political Junkie. Entre-temps, Tristram publiera en octobre The Curse of Lono sous le titre Le marathon d’Honolulu. Un roman inédit, où Thompson fulmine contre les anciens rebelles des années 60 qui ont trahi leurs idéaux. Pour des moralistes et des rêveurs comme Thompson, la chute a été rude. Restent de formidables témoignages bourrés d’hyperboles et de mescaline, d’une drôlerie folle, réceptacles d’un talent et d’une rage scripturale incroyables. i
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www.rodeodame.fr
L’ENVOL DE RODEO D’ÂME pAR Claire Tourdot
ILLUSTRATION Nicolas Lefebvre
Avec l’oiseau mouche, le collectif artistique rodeo d’âme mené par Claire Audhuy et Baptiste Cogitore s’ouvre à l’édition en donnant voix à la jeune écriture contemporaine.
C’est assise sur un fauteuil à strapontin, dans un appartement douillet de la Petite France, à Strasbourg, que j’ai rencontré un matin Claire Audhuy et Baptiste Cogitore. Depuis la création de Rodéo d’Âme en 2004, le couple porte des cycles de rencontre autour de thèmes choisis pour une saison. Entre ville et campagne, comédiens, designers, photographes, illustrateurs ou encore compositeurs ont ainsi pu s’exprimer autour de la Première Guerre mondiale lors de Mémoires vivantes en 2008 ou interroger les souvenirs des derniers témoins des camps nazis avec Des voix dans la nuit en 2011. Rodéo d’Âme a pour mot d’ordre l’échange et surtout la rencontre entre les êtres. Je comprends au fur et à mesure que ces artistes cherchent à « laisser des traces ». Avec la collection l’Oiseau Mouche, Rodéo d’Âme poursuit sa course folle pour la mémoire. Les ouvrages publiés prennent le relais des cycles initiés par le collectif, renforçant leur impact tout en élargissant le public. La jeune écriture contemporaine est mise en avant : avec sa vivacité digne du petit volatile, elle pense le monde autrement : une nouvelle manière de donner échos aux thèmes engagés à travers le théâtre, la poésie mais aussi le témoignage.
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La lumière sur le seuil, premier recueil de Baptiste Cogitore, a été publié au mois de mars dernier. Le jeune journaliste et poète nous parle de ses écrits. C’est votre premier recueil, aviez-vous des appréhensions au moment du passage à l’édition ? Le recueil était dans mon tiroir depuis près de deux ans, son édition a été un aboutissement. En France, il y a une vraie pratique poétique mais peu de visibilité en dehors des festivals d’auteurs. C’était donc plutôt un soulagement de donner une existence à mes écrits. La traduction en allemand a été intéressante : c’est une langue très complète, un mot en français peut correspondre à deux choses en allemand. Ça exige une précision qui m’a fait creuser le texte et me poser de nouvelles questions. Pourquoi avoir fait le choix de publier Dans le silence du chant et La lumière sur le seuil en un seul recueil ? Peut-on parler d’une filiation ? Il y a des liens sur les lieux notamment. Disons que la première partie est traversée d’une forme de fascination devant la disparition du lieu et des traces. Dans la seconde partie quelque chose de plus
lumineux se met en place, comme si le lieu pouvait malgré tout être sauvé, que sa disparition laissait place à une forme de renouveau. Elle est un peu plus sereine et apaisée... Et pourtant j’ai écrit les deux recueils en même temps ! Ils se complètent, s’appuient sur les mêmes interrogations mais amènent des réponses différentes. On retrouve beaucoup d’éléments visuels dans votre poésie. Peut-on dire que c’est une écriture parsemée de réminiscences qui sort de la quotidienneté ? L’aspect très visuel permet de rompre avec le coté abstrait de certains extraits. Il permet de représenter quelque chose et de garder une forme d’image un peu fixe d’un élément, d’un souvenir, du lieu. Par exemple, dans la dernière partie de Dans le silence du chant, une fin du monde apparaît où le langage n’existe plus et l’image vient surmonter le langage ; tout ne peut pas être dit par le langage et parfois ce sont les images qui prennent le relais.
Extraits Comme l’indique le titre de l’ouvrage, la lumière est un élément majeur. Y-a-t-il un sens à cette luminosité qui irradie ? Pour moi, écrire de la poésie c’est une manière de capter une autre forme de lumière qui est tantôt visuelle tantôt parlée. J’ai lu une métaphore qui m’a frappée dans le recueil Feuillets d’Hypnos écrit en résistance par René Char. Il donne deux interprétations au tableau Job raillé par sa femme de La Tour, connu pour son clair-obscur : Job est soit consolé, soit moqué. Char disait que la résistance était cette image-là : le monde est plongé dans les ténèbres et une lueur apparaît. L’engagement résistant était une nécessité poétique puisque la poésie a cette valeur d’exister sous une forme lumineuse. Je ressens la même chose pour mes écrits. Je cherche à faire surgir la lumière dans un monde chaotique, où la parole n’existe plus sous la forme intelligible. i
Une poignée de terre, page 56, extrait commenté par Claire Audhuy :
Dans le silence du chant, page 89, extrait commenté par Baptiste Cogitore :
Qui est réellement revenu ? Seuls nos corps ont avancé. Ils ont suivi le sillon des chars libérateurs. Il a fallu marcher. Et réapprendre à manger. A dormir. (Avec un soupir) Et à vivre.
Restez hors des gouffres sans fond, dans la lumière du jour, si sombre soit-il. Le carrefour est le vrai lieu du poème, où dans l’ombre d’une croix, d’un calvaire, d’une borne, quelque visage inconnu s’avance et se découvre.
« Récemment, Jacqueline Fleury, déportée à Ravensbrück, me disait qu’elle n’était jamais revenue de là-bas, qu’une fois entré dans le camp, personne n’en ressortait vraiment. Les rescapés y ont tous laissé un morceau d’eux, et ont tenté, au retour, de retrouver la vie, malgré cette expérience et la connaissance de la mort qu’ils avaient désormais acquise. Comme “à côté” des vivants, ils tentaient, à la Libération, de refaire des choses simples. Réapprendre à vivre est une formulation surprenante mais elle est puissamment évocatrice de la destruction des camps sur les hommes. »
« Ce long poème fonctionne comme une narration défaite, un récit privé de fiction, une parole vidée de tout sens. L’impératif y devient conseil, invite le lecteur à la découverte singulière qu’ouvre tout poème. On découvre ici une lumière qui annonce la seconde partie du livre, au-delà des gouffres ouverts sur la disparition du langage, imaginée au fil de “paysages intérieurs”. Nous sommes ici au carrefour, c’est-à-dire à la croisée des routes et des expériences : la croix et le calvaire ne sont absolument pas des symboles religieux. Ce sont des traces, des signes qui matérialisent cet embranchement des possibles. Ils ont une valeur géographique. »
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Saison Brune de Philippe Squarzoni, Éditions Delcourt
Saison Brune de Philippe Squarzoni, nous alerte dans une bande dessinée documentaire de près de 500 pages sur l’état du réchauffement climatique. Rencontre avec l’auteur.
Notre maison toujours ! pAR olivier bombarda
Comment est né Saison Brune ? Je finissais mon précédent ouvrage qui tentait de dresser un bilan des politiques environnementales menées pendant le deuxième mandat de Jacques Chirac. Je me suis rendu compte que j’avais des connaissances limitées donc j’ai commencé à lire différents ouvrages en découvrant un problème beaucoup plus grave dans son ampleur. Plutôt qu’une dizaine de pages, j’ai décidé d’y consacrer un livre. Au début, le constat ne semblait pas si catastrophique que cela... Oui, si on regarde les deux derniers millions d’années (le Quaternaire), notre climat est marqué par des alternances entre des périodes glaciaires et des périodes intermédiaires plus chaudes avec cinq degrés de différence en moyenne entre les deux. Par exemple, des glaciers de trois kilomètres recouvraient le nord de l’Amérique et le niveau de la mer était plus bas de 120 mètres. Cinq degrés de différence, c’est donc beaucoup. Nous sommes actuellement dans une période intermédiaire depuis 11 000 ans où la stabilité du climat a notamment permis à l’homme de créer les civilisations. Mais je découvre vite que nous risquons de
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déclencher un changement climatique de cinq degrés de plus, peut-être même de les dépasser. C’est énorme. Nous devons agir très vite. Il y a quand même une prise de conscience du public ces dernières années... Oui, on a tous entendu parler d’un problème, mais j’ai l’intuition que la plupart d’entre nous ne savent pas trop de quoi il retourne, un peu comme c’était mon cas. Pourtant l’information est là. Les rapports du GIEC [Groupe d’Experts Intergouvernemental sur l’Évolution du Climat, ndlr] sont non seulement publics mais validés par des représentants des gouvernements. Et cette vérité n’a pas infusé, ne nourrit pas les politiques qui sont menées. Au contraire, on est stupéfait de la dichotomie entre ce que nous savons et ce que nous faisons. Vous avez rencontré beaucoup de scientifiques du GIEC... Le GIEC est le porte-parole de ce que nous dit la science sur le climat. Il me fallait m’adresser à ces experts autant qu’à des journalistes ou des écrivains. Mon travail leur est extrêmement redevable et ils sont
désireux de faire connaître leur travail. Quand vous dites faire une bande dessinée sur le réchauffement climatique, les gens n’ont pas une idée très précise. Je leur disais d’imaginer un documentaire cinéma et qu’il aurait la possibilité de relire le manuscrit avant impression. Ils étaient en confiance. J’ai aussi séparé les moments scientifiques des moments politiques du livre pour ne pas les prendre en otages. Mais ils sont intervenus sur l’entièreté et m’ont aidé à nuancer des choses. Notamment mon passage sur la question des énergies renouvelables où j’avais été un peu sévère : il fallait mettre en lumière le fait qu’ensemble elles compensent leurs défauts. Comment peut-on travailler scientifiquement dans un contexte d’incertitudes ? Le GIEC a beaucoup travaillé sur la question. Les certitudes ? Le réchauffement en cours, d ’or ig ine humaine, sera probablement entre 2 et 6 degrés d’ici la fin du siècle si on suit le scénario énergétique. Les hypothèses : il pleuvra plus dans des endroits où il pleut déjà beaucoup, moins dans des régions déjà sèches, le pourtours méditerranéen, l’Afrique subsaharienne.
brûle... Cela provoquera des déplacements, des maladies, une augmentation du niveau des océans entre 60 cm et 2 mètres selon les plus pessimistes. Mais les gens du GIEC sont très honnêtes : ce n’est pas le scénario du pire qui prévaut, tant il est d’ailleurs scientifiquement plus difficile à évaluer. Les conséquences du réchauffement provoquent des inégalités entre populations, un constat effroyable... C ’était aussi une découver te, un sandwich d’injustices et d’inégalités. Non seulement les pays riches qui sont les plus responsables des émissions – même si les pays en développement viennent juste de les dépasser – sont ceux qui “profiteront” du réchauffement avec probablement des rendements agricoles un peu supérieurs selon les régions – les climats froids des hautes latitudes comme le Canada ou le nord de la Russie seront plus doux. En revanche les pays où sévit déjà la sécheresse et dont les agricultures sont à la limite de l’optimum climatique, basculeront dans des difficultés : les populations déjà en état de stress hydrique augmenteront. Les plus pauvres, les moins responsables et les plus exposés seront ainsi les premières victimes. Un rapport de l’ONU effarant dit
que 300 000 personnes par an meurent déjà du réchauffement climatique. Une fois encore ce sont des morts que l’on ne voit pas, qui ne comptent pas. En tant qu’auteur, vous rabattez beaucoup de considérations intimes... J’ai voulu raconter ma déstabilisation personnelle : qu’est-ce que je pourrais faire dans ma vie pour essayer de modérer le problème ? On ne cesse d’émettre du gaz à effet de serre. Si je renonce à prendre un avion, il décollera quand même... Je me permets donc un vol par an. Chacun met le curseur où il peut même si cela n’a pas une efficacité très forte. À partir de la moitié du livre, vous n’avez de cesse de parvenir à la conclusion... Doucement, le livre s’est structuré autour de l’idée centrale qui se retrouve dans le titre [Saison Brune : Cinquième saison qualifiée de « brune » dans le Montana, période d’indécision entre l’hiver et le printemps, ndlr] : nous sommes dans une période intermédiaire entre deux histoires. La première où l’humanité pensait le monde infini, les ressources inépuisables, la croissance perpétuelle. La deuxième sera
celle des limites, des contraintes, de l’épuisement des ressources. Il faudra des changements techniques, politiques, idéologiques, des mentalités, rompre avec la conception du progrès du « toujours plus », « plus loin », « plus vite ». Réduire les consommations d’énergies sera un changement de paradigme énorme. Des solutions existent : la proposition de l’association Négawatt animée par des ingénieurs très calés donnent un scénario pour fournir la France en énergie jusqu’en 2050 avec une réduction massive des émissions à effet de serre. Force est d’avouer dans le livre que je ne crois pas que nous allons faire tout cela à temps. Mais je peux me tromper... Que penser de l’absence du sujet traité pendant ces dernières élections présidentielles ? Je suis stupéfait de la médiocrité de cette campagne et du traitement médiatique surtout. Les projets politiques ne cherchent pas à poser la réflexion autour du réchauffement climatique. Cela obligerait les hommes politiques à s’engager beaucoup plus fermement. J’imagine la peine que doivent ressentir en ce moment des gens conscients du problème comme ceux qui travaillent au GIEC. i
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Audioselecta
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HERE WE GO MAGIC
A DIFFERENT SHIP – SECRETLY CANADIAN / DIFFER-ANT
La pop américaine présente ceci d’assez unique qu’elle se nourrit sans cesse d’elle-même. On m’objectera que les Anglais font de même, mais peut-être le fontils avec moins de sincérité. En ce qui concerne Here We Go Magic, le projet du fantasque Luke Temple, toutes les références sont possibles : Van Dyke Parks forcément pour cette manière tout à fait particulière d’explorer les recoins de la musique populaire, mais aussi les Talking Heads pour les rythmiques répétées ou les Feelies pour la touche mélancolique. Au final, on obtient un objet unique, hors temps, très loin des nouvelles conventions de la pop made in New York, avec ce petit plus de sensibilité qui les singularise. Il n’est pas étonnant qu’une figure comme Thom Yorke de Radiohead se soit senti immédiatement concernée et que le producteur attitré du célèbre groupe d’Oxford, Nigel Godrich, ait exprimé l’envie de tenter l’aventure en studio. Le résultat est là : d’ores et déjà, l’album est culte. (E.A.) i
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BEAK>
SPAIN
>> – INVADA / DIFFER-ANT
THE SOUL OF SPAIN GLITTERHOUSE / DIFFER-ANT
Depuis quelques années, Geoff Barrow de Portishead explore les voies les plus sinueuses. On ne peut pas dire qu’on le trouve heureux dans chacune de ses démarches, mais quand il produit Anika ou qu’il développe ses idées les plus radicales au sein de Beak>, on ne peut que saluer le brio : de Can, de Neu! ou de Public Image Ltd première époque, il tire l’essence même de rythmiques post-punk ou krautrock décharnées. Exit le groove, le propos est blanc si blanc qu’il en devient presque inquiétant. Il n’en reste pas moins fascinant. (E.A.) i
VOLCANO ! PIÑATA – LEAF / DIFFER-ANT
Du nouveau du côté de Chicago avec ce trio débridé qui joue volontiers avec les nerfs de son auditoire : les mélodies sont noyées et les structures dévoyées, mais l’ensemble est tellement enthousiasmant qu’on serait prêt à tout leur pardonner. Voilà des gens qui ne cherchent pas la gloire, mais juste à explorer le récit de leurs propres fantasmes avec des formes étranges mais intelligibles, ou du moins recevables, par tous. Après, qu’on ne s’étonne guère si l’espace est envahi de nurses, lesquelles se révèlent être des nonnes qui prennent la forme d’aliens au final. Rien que de bien normal : ça n’est que le fruit de leur imagination. (E.A.) i
Il est des surprises qu’on reçoit comme une bénédiction. Le groupe de Josh Haden, le fils du légendaire bassiste de jazz, Charlie Haden, ne nous donne que trop peu de nouvelles de lui et de son groupe, Spain. Alors, au faîte de sa gloire en 1995, il avait décidé de ne plus tourner, le groupe se séparant officiellement en 2001. Mais le groupe de L.A. est de retour ; il explore un groove toujours aussi sensuel, mais dans sa version plus soul, comme si la langueur laissait la place à une forme nouvelle, légèrement déhanchée, toujours plus belle. (E.A.) i
MOE TUCKER I FEEL SO FAR AWAY – SUNDAZED
Les amateurs connaissaient l’existence d’une carrière pour l’ex-batteur du Velvet Underground ; de nombreuses publications, 45T ou LP faisaient l’objet d’une certaine curiosité pour happy few only. Avec cette magnifique sélection, on mesure un peu plus l’importance de cette femme discrète sur la production de son temps : tour à tour pop, punk ou franchement free dans son approche du rock, elle a su prolonger un état d’esprit aventureux, ce que certains de ses ex-collègues n’ont pas toujours su faire ou seulement par intermittence. Redonnons enfin à cette grande dame du rock la place qu’elle mérite dans l’histoire de la musique. (E.A.) i
s el Tap Les âtre actu Thé
NICOLAS BOULARD « LA SUSPENSION D’INCROYANCE » EXPOSITION 20:06 C 30:09:2012
FONDS RÉGIONAL D’ART CONTEMPORAIN Agence culturelle d’Alsace
SAISON D’ÉTÉ DES TAPS
ÉTÉ COUR ÉTÉ JARDIN
1 espace Gilbert Estève Route de Marckolsheim / Sélestat + 33 (0)3 88 58 87 55 http://frac.culture-alsace.org
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SOIRÉES CLASSIQUES TAPS SCALA �NEUDORF� LES MERCREDIS À 20H30 DU 18 JUILLET AU 22 AOÛT
SPECTACLES JEUNE PUBLIC TAPS GARE �LAITERIE� LES JEUDIS À 14H30 GROUPES 10 PERS. ET 17H TOUT PUBLIC DU 19 JUILLET AU 23 AOÛT
CONCERTS TAPS SCALA �NEUDORF� LES VENDREDIS À 20H30 DU 20 JUILLET AU 24 AOÛT
ENTRÉE LIBRE (dans la limite des places disponibles) Réservation : Boutique Culture tél. 03 88 23 84 65 une semaine avant la date de la représentation
Taps Scala Strasbourg - 96, route du Polygone Taps Gare (Laiterie) – Strasbourg - 10, rue du Hohwald + d'infos : www.strasbourg.eu
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www.diz-dard.fr - Licences d’entrepreneur de spectacle : n˚ 1 Taps Scala 1047973 - Taps Gare 1047972 - n˚ 3 1047965
TAPS SCALA �NEUDORF� LES MARDIS À 20H30 DU 17 JUILLET AU 21 AOÛT
Lecturaselecta
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FRÉDÉRIC BOYER SEXY LAMB, PERSONNE NE MEURT JAMAIS, PHÈDRE LES OISEAUX – P.O.L.
Frédéric Boyer ne publie pas un, mais trois ouvrages : un essai, un roman et un recueil de plusieurs courtes pièces de théâtre. Il y a quelque chose de déconcertant chez cet auteur, c’est son apparente décontraction. Il semble poser les mots sur le papier avec beaucoup de facilité. On suppose que l’impression est trompeuse, et pourtant à la lecture, cette aisance obsède, agace parfois, mais fascine souvent. Le premier ouvrage, l’essai Sexy Lamb qui emprunte son titre à un poème d’Allen Ginsberg, examine la figure poétique de l’agneau et sa plasticité. L’humour n’est pas absent de ce bel exercice de style qui interroge la capacité de séduction du premier christianisme. Le second, le roman, se déguste page par page, ligne par ligne, mot après mot. On se surprend à dépasser la question du récit, l’histoire d’un soldat qui revient chez lui enterrer sa mère, pour plonger dans les méandres d’un langage littéraire sec à la musicalité entêtante. Il en va de même pour les pièces de théâtres, hautement déroutantes par la dramaturgie qu’elles installent. Un triptyque qui n’en est pas un, mais qu’il faudra peut être considérer un jour comme tel. (E.A.) i
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E.E. CUMMINGS
GLENN GOULD
ÉROTIQUES – SEGHERS
ENTRETIENS AVEC JONATHAN SCOTT LES BELLES LETTRES
Oui, nous avons un faible pour E.E. Cummings. Non, ça ne s’explique pas, ou pas complètement toutefois. Cette voie poétique étrange, qui consiste à partir d’une forme somme toute traditionnelle, d’éprouver la page, la ligne et le mot par de singulières libertés typographiques pousse très loin la sensation qu’on peut lui rattacher. Peut-être ce recueil de textes – et de dessins – érotiques nous renseignet-il sur l’un des aspects de son œuvre que nous avons voulu jusqu’alors méconnaître : une profonde sensualité plastique, qui expliquerait finalement notre attachement à lui. En tout cas, un auteur à découvrir en français, mais aussi et surtout en anglais, dans cette belle édition bilingue. (E.A.) i
ANTONIO LOBO ANTUNES LA NÉBULEUSE DE L’INSOMNIE CHRISTIAN BOURGOIS
Y a-t-il romancier plus fascinant que l’ami António Lobo Antunes ? Avec ce récit qui plonge au cœur du despotisme quotidien, ce drogué de l’écriture pose une nouvelle fois une étrange temporalité : on le sait, pour lui le passé n’existe pas – et pourtant, les décombres de ce passé sont là, ils nécessitent d’être explorés –, le futur non plus. Il y a, selon ses propres mots, cet immense présent qui contient en lui passé et futur. Avec ce nouveau roman, sans doute l’un de ses plus beaux, parmi les plus aboutis, l’auteur portugais nous subjugue une nouvelle fois. (E.A.) i
Quel plaisir que d’écouter Glenn Gould, y compris dans ses interviews ! Quel plaisir que de le lire. Interrogé par Jonathan Scott, il nous parle du concert auquel il a renoncé dès 1964, de la problématique de l’enregistrement, mais aussi des compositeurs pour lesquels il conserve toute son affection, et ceux, y compris dans le domaine de la pop – les pauvres Beatles ! – qu’il comprend beaucoup moins. Le propos est truculent, le verbe tranchant, mais derrière tout cela, il y a une clarté, une vivacité, qui continuent de rendre cet être hors norme aussi attachant. Au-delà du document historique, une œuvre en soi. (E.A.) i
ANTOINE PERROT STEVIE & ANGIE, T.2 – DARGAUD
Le deuxième tome des aventures de Steve & Angie prolonge le bonheur de la découverte. Cette fois, Antoine Perrot s’amuse beaucoup de l’idylle naissante entre ses deux protagonistes toujours aussi “bobos” et “fashion victims” malgré leur téléportation en pleine période Jurassique... Savamment déglingué par les tribulations parallèles d’une tripotée de bûcherons, le récit navigue vaillamment entre la satire contemporaine assez fine et le délire potache sans conséquence. La somme est très fraîche, bien adaptée pour l’été. (O.B.) i
les peintres et la photographie au XIXe siècle
30 juin 1 octobre 2012 er
www.musee-courbet.fr
Ornans
© Communiquez - 343094470 RCS Lyon - 05/2012 - Jules-Alexis Muenier, Aux beaux jours, 1889, huile sur toile, 131 x 137 cm, Coll. Bradley P.Radichel Jules-Alexis Muenier, photographie préparatoire pour Aux beaux jours, vers 1889, Collection de la famille de l’artiste.
À l’épreuve du réel
DVDselecta
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LA POÉSIE S’APPELLE REVIENS
DE GILLES WEINZAEPFLEN L’HARMATTAN / LES FILMS D’UN JOUR
Après Prélude au sommeil, un documentaire sur le pionnier de la musique électronique Jean-Jacques Perrey, Gilles Weinzaepflen revient derrière la caméra avec l’idée de montrer que la poésie n’est pas morte, qu’on la retrouve de manière souterraine du côté de la performance, de la vidéo, du théâtre… et qu’elle reste vitale notamment parce qu’elle sait se faire beaucoup plus virulente que l’art contemporain. Avec Ivar Ch’Vavar, Nathalie Quintane, Lucien Suel, Julien Blaine, Yves di Manno, Paul Otchakovsky-Laurens, Dorothée Volut, Eric Pesty, Jean-Marie Gleize, Stéphane Bérard, Noura Wedell, Jérôme Mauche, Anne-James Chaton, Christophe Tarkos, Charles Pennequin, Rudy Riciotti, Antoine Dufeu et Sylvain Courtoux. (P.S.) i
HUSBANDS DE JOHN CASSAVETES – WILD SIDE VIDÉO
Husbands de John Cassavetes, est une sorte de film-ami, que l’on aime avec ses défauts et qui nous accompagne au fil de la vie. Wild Side Vidéo fait paraître un coffret réunissant deux versions de cette comédie « sur la vie, la mort et la liberté », le très beau documentaire de Doug Headline, Anything for John ainsi qu’une conversation entre Al Ruban et Peter Falk. Que dire de Husbands ? Qu’il s’agit de la dérive mâle et alcoolique de trois hommes mûrs et mariés, incapables de se quitter après l’enterrement d’un ami. À voir et à revoir pour le cadrage somptueux des visages et des corps, les plans du cimetière, le noir et blanc des costumes et le désordre des couleurs nocturnes floutées par les bières, les cigarettes et la somnolence. (C.F.) i
CUL DE SAC DE ROMAN POLANSKI – OPENING
Comment rester objectif quand on sait que dans ce film on trouve la sublimissime Françoise Dorléac ? La jeune actrice rayonne de sensualité dans ce huis clos sordide qui emprunte aussi bien aux films noirs américains, à la Nouvelle Vague, qu’à certaines expériences surréalistes des années 30. Peut-être Roman Polanski n’at-il d’ailleurs jamais été plus à l’aise qu’ici, dirigeant ses acteurs, Donald Pleasence et Lionel Stander, comme des pantins livrés à eux-mêmes. Tout prête à suffocation tant le sentiment de claustration l’emporte sur toute autre considération. Un chef-d’œuvre à redécouvrir pour la première fois en Bluray. (E.A.) i
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LA GRANDE ILLUSION DE JEAN RENOIR – STUDIO CANAL
Classique parmi les classiques, on ne se lasse pas de voir et revoir La Grande Illusion. Il y aurait sans doute des choses à redire rétrospectivement, et puis non, Jean Gabin est magnifique dans l’un de ses plus beaux rôles, Pierre Fresnay merveilleusement distant. Et que dire d’Erich Von Stroheim ? Magistral en commandant de camp esthète et humaniste. Le message prête éventuellement à sourire, surtout quand on sait qu’il a été formulé en vain, mais tout de même à un an d’un possible conflit mondial, il semblait nécessaire d’insister sur la concorde des peuples. Jean Renoir aura tenté de magnifier cette intime volonté, il en reste au moins un chefd’œuvre impérissable de l’entre-deux guerres. (E.A.) i
YELLOW SUBMARINE DE GEORGE DUNNING – UNIVERSAL
John Lasseter de Pixar ne cesse de le répéter : Yellow Submarine est un chef d’œuvre de l’animation. L’œuvre malheureusement n’a pas été reçue comme elle aurait pu en son temps. Diffusée la première fois à la télévision en noir et blanc, elle a été vécue comme l’un des premiers échecs des Beatles, et souffre encore de cette réception distante. Or, rétrospectivement, on mesure à quel point elle fait la synthèse en couleurs des plus belles expériences plastiques de son temps : psychédélique, pop, op’art, elle se vit comme un trip initiatique intemporel, magnifié en cela par les compositions des Fab Four. (E.A.) i
Partez en live !
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2012
JOH N NY H ALLYDAY c M POKOR A+S HY ’ M c Hard Rock Session : N IG HT W I S H c W ITH I N TE M PTATION+ E PI C A+N IG HTM AR E+ LON EWOLF+ Soirée Celt ique : NOLWE N N LE ROY c AL AN STIVE LL+ S H ARON COR R+ S H AK A PON K c IGGY & TH E STOOG E S+ N uit Blanche : FÉ LIX DA HOUSEC AT c ANTOI N E C L AM AR AN+ JOACHIM GARRAUD+AVICII+ NICOLAS C ANTE LOU P c J É RÔM E DAR AN+ LMFAO+BEAT ASSAILANT c DAVI D GU ET TA c
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Movies to learn and sing n°- 4 Par Vincent Vanoli & Fabien Texier
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circonstances atténuantes Impossible de remettre la main sur Circonstances atténuantes (1939) de Jean Boyer. À une époque, on pouvait le voir en VHS, ou dans un des cycles du Cinéma de Minuit. L’émission existe toujours, visible à n’importe quelle heure d’insomniaque, et considérée comme une variable d’ajustement de la programmation : c’est comme ça qu’on se retrouve à enregistrer du télé-achat. En DVD, le film est introuvable. Seule subsiste une séquence sur Internet, celle de notre chanson. Pourtant Circonstances atténuantes, c’est un carton de la comédie populaire d’avant-guerre. Du velours : un réalisateur à succès, un couple de vedettes Arletty-Simon, des comiques en vogue (Dorville, Andrex) des mignonnes (Mila Parély) et un tube goguenard : Comme de bien entendu, que les soldats chanteront quelques mois après la sortie du film en montant au front.
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Les paroles écrites par le réalisateur Jean Boyer, chansonnier et fils de chansonnier, sur une musique de Georges van Parys, compositeur d’opérettes et pionnier des musiques de films (Clair, Litvak, Renoir, Duvivier…), sont chantées par la ronde des acteurs. C’est la scène ou le film tangue et bascule : le juge impitoyable joué par Michel Simon (Le Sentencier) se laisse séduire par Arletty (Marie qu’a d’ça) et la bande de marlous qui le prend pour un caïd de la Capitale. Une chanson d’ivrognes au mauvais esprit se réjouissant d’un topo dramatique où la fille séduite et son mac, par fatalité, auraient décidé de tirer le meilleur parti des circonstances sans les atténuer. Tout à fait dans le ton de cet euphorisant fleuron de la comédie de papa.
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D’après les textes de Pierre Desproges Mise en scène et interprétation Catherine Matisse et Michel Didym Le savoir-vivre est la somme des interdits qui jalonnent la vie d’un être civilisé, c’est-àdire coincé entre les règles du savoir-naître (les enfants) et celle du savoir-mourir. Avec cette première édition du Théâtre d’été, le Théâtre de la Manufacture sort de ses murs et accueille tous les publics, en plein air, dans des lieux remarquables de Lorraine. Sur scène Catherine Matisse et Michel Didym poussent l’humour noir à un degré extrême... 21/06 Karlsruhe (Allemagne), 24/06 Verdun (55), 26/06 Gérardmer (88), 27/06 Florange (57), 28/06 Montigny-lès-Metz (57), 29/06 Toul (54), 30/06 Commercy (55), 03/07 Blainville sur l’Eau (54), 05/07 Pont-à-Mousson (54), 06 et 07/07 Lunéville (54), 08/07 Saint-Mihiel (55), 09/07 Luxembourg, 10/07 Saint-Dié-des-Vosges (88), 18 et 19/07 Nancy (54), 26/07 Rohrbach-Lès-Bitche (57).
Crédit photo : ©Michel Loup
Trois cent cinquante kilogrammes par mètre carré (Sketch), 2012 – Collage and graphite on paper, 75 x 56 cm – Crédit photo : Simon Starling Conception : médiapop + star★light
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Bicéphale n°- 10
Le Veilleur n°- 275
Par Julien Rubiloni & Ludmilla Cerveny
Par Thierry Perrout Photo : Noël Claude
Comme un gant
une mélodie s'est élevée
On a inversé les rôles. On a retourné le gant et je me suis retrouvée à l’intérieur. Il écrit en vers, j’écrirai en prose. Rien à faire, je n’arrive à asseoir mes mots que sur une narration continue, imagée mais pragmatique. Je me roule donc sur cette page de papier, pas peu fière pour une fois d’exister en des petits signes noirs signifiants au lieu d’un amas de couleurs, formant un rectangle. Mais me voilà coincée à partir de cette phrase : où vaisje aller ? Julien pose toujours des phrases qui piquent comme des petits bouts de verre cassé mais qui pansent en même temps. Je ne sais pas si j’ai envie de prendre position, d’affirmer des mots pour dire des choses. Et par là, faire des choses. « Quand dire, c’est faire. » Oui mais voilà, j’ai envie d’écrire et si j’écris, il faut que je fasse quelque chose ! Il faut que j’énonce, ou que je décrive (un fait, un lieu, une personne), ou que j’analyse (idem), ou que je prenne position (pour ou contre), ou que je construise (un propos), ou enfin que je synthétise (une pensée). Je vais arrêter là ma position maligne qui consiste à parler de ce que je devrais faire sans le faire et pourtant tout le faisant. Saloperie de prétérition. Ça y est, je suis coincée.
À l’écume du jour encore frissonnant, Firmament d’un soir d’hiver grelottant Suspendu dans un crépuscule de temps, J’ai veillé. Et le Temps s’est arrêté. Le regard noyé dans l’horizon embrumé. Et l’Espace s’est éloigné. L’instant figé dans un halo d’éternité. J’ai veillé. Un soleil s’est couché. De la cathédrale endormie, Ding, dong, des perles de temps se sont égrenées. Un refrain s’est échappé. Sens dessus dessous réveillés, Sur les ailes du désir, l’Esprit s’est envolé. J’ai veillé. De l’harmonie retrouvée, une mélodie* s’est élevée. Dans l’éphémère de la nuit, l’infini s’est révélé. J’ai veillé et me suis éveillé.
* Référence : Jean Sébastien Bach Cantate 140 : « Wachet auf, ruft uns die Stimme », BWV 140 (1731)
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Création graphique : Atelier 25 (Capucine Merkenbrack et Chloé Tercé)
présentation de la saison
en présence d’artistes mardi 19 juin à 19h30 entrée libre
ouverture des abonnements
samedi 23 juin dès 11h et dimanche 24 juin de 14h à 18h
La Filature Scène nationale Mulhouse
T + 33 (0)3 89 36 28 28 www.lafilature.org