La culture n'a pas de prix
04 —> 06.2014
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THÉÂTRE, ARTS VISUELS / FRANCE
SWAMP CLUB MER 14 + JEU 15 MAI / 20H30 MAILLON-WACKEN
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Photo © Martin Argyroglo
DE PHILIPPE QUESNE VIVARIUM STUDIO
ours Nº29 Directeurs de la publication et de la rédaction : Bruno Chibane & Philippe Schweyer Rédacteur en chef : Emmanuel Abela emmanuel.abela@mots-et-sons.com 06 86 17 20 40 Secrétaire de rédaction : Claire Tourdot Direction artistique et graphisme : starlight
Ont participé à ce numéro : REDACTEURS Gabrielle Awad, Cécile Becker, Betty Biedermann, E.P Blondeau, Benjamin Bottemer, Caroline Châtelet, Jean-Damien Collin, Sylvia Dubost, Sylvain Freyburger, Anthony Gaborit, Xavier Hug, Virginie Joalland, Claire Kueny, Nicolas Léger, Stéphanie Linsingh, Guillaume Malvoisin, Marie Marchal, Adeline Pasteur, Julien Pleis, Mickaël Roy, Vanessa Schmitz-Grucker, Christophe Sedierta, Valentine Schroeter, Claire Tourdot, Fabien Velasquez. PHOTOGRAPHES ET ILLUSTRATEURS Éric Antoine, Vincent Arbelet, Janine Bächle, Pascal Bastien, Oriane Blandel, Aglaé Bory, Marc Cellier, Ludmilla Cerveny, Pierre Chinellato, Caroline Cutaia, Sherley Freudenreich, Sébastien Grisey, Marianne Maric, Patrick Messina, Renaud Monfourny, Elisa Murcia-Artengo, Arno Paul, Yves Petit, Olivier Roller, Dorian Rollin, Camille Roux, Christophe Urbain, Nicolas Waltefaugle, Sophie Yerly, Hadrien Wissler.
CONTRIBUTEURS Bearboz, Christophe Fourvel, Vanessa Schmitz-Grucker, Chloé Tercé, Sandrine Wymann.
COUVERTURE Mathieu Zazzo photographié par Samuel Kirszenbaum après un échange un peu “musclé” avec la perfide Albion. http://samuelk.net + www.matzazzo.com IMPRIMEUR Estimprim – PubliVal Conseils Dépôt légal : avril 2014 ISSN : 1969-9514 – © Novo 2014 Le contenu des articles n’engage que leurs auteurs. Les manuscrits et documents publiés ne sont pas renvoyés.
Ce magazine est édité par Chic Médias & médiapop Chic Médias 12 rue des Poules / 67000 Strasbourg Sarl au capital de 25000 € Siret 509 169 280 00013 Direction : Bruno Chibane bchibane@chicmedias.com — 06 08 07 99 45 Administration, gestion : Charles Combanaire
médiapop 12 quai d’Isly / 68100 Mulhouse Sarl au capital de 1000 € Siret 507 961 001 00017 Direction : Philippe Schweyer ps@mediapop.fr — 06 22 44 68 67 www.mediapop.fr
ABONNEMENT — www.novomag.fr Novo est gratuit, mais vous pouvez vous abonner pour le recevoir où vous voulez. ABONNEMENT France 6 numéros — 40 euros / 12 numéros — 70 euros ABONNEMENT hors France 6 numéros — 50 euros / 12 numéros — 90 euros DIFFUSION Vous souhaitez diffuser Novo auprès de votre public ? 1 carton de 25 numéros — 25 euros 1 carton de 50 numéros — 40 euros
Édito – 05
sommaire
CARNET Le monde est un seul / 28, par Christophe Fourvel – 07 Bréviaire des circonstances / 09, par Vanessa Schmitz-Grucker – 09 Copains d’Avant / 10, par Chloé Tercé/Atelier 25 – 98
FOCUS La sélection des spectacles, festivals, expositions et inaugurations à ne pas manquer – 11 Une balade d’art contemporain par Bearboz et Sandrine Wymann : Biennal de Marrakech – 38
RENCONTRES Julia Kerninon à Mulhouse – 40 Marylin Canto à Strasbourg – 44 Black Rebel Motorcycle Club à Strasbourg – 46 Wooden Shjips à Metz – 47 Julien Lebrun à Mulhouse – 48
MAGAZINE EM/M (http://emslashm.tumblr.com) – 50 Entre New Wave et chanson française, Denis Scheubel signe l’album avec Singe Chromés – 52 Bill Pritchard revient sur sa rencontre avec Daniel Darc et l’album Parce que – 54 Le festival Musique Action fête ses 30 ans en terre lorraine en compagnie d’artistes-amis de l’événement – 58 Cabanes – festival de Moselle investit un large territoire avec plus de 1000 rendez-vous – 59 L’heure du bilan (positif !) a sonné pour le programme d’échanges culturels transfrontaliers Triptic – 60 Basim Magdy pose un regard distancé sur le monde et l’Autre au Crac Alsace à Altkirch – 62 L’histoire et les multiples facettes des Objets ludiques, l’art des possibilités au musée Tinguely à Bâle – 63 Regard croisé entre le peintre James Ensor et le cinéaste Henri Storck au Kunstmuseum – 64 La Fondation Beleyer met en lumière l’œuvre trop peu reconnue d’Odilon Redon – 66 Delaunay, Hantai, Degottex,... une ribambelle d’œuvres Phares exposées au Centre Pompidou-Metz – 70 Quand l’homme se frotte à la machine : Fabien Giraud et Raphaël Siboni à Luxembourg – 71 Artiste citoyen du monde, le photographe JR fait entrer l’art urbain au Musée Frieder Burda – 72 Anthony Caro et ses intrigantes sculptures, collection majeure du Musée Würth à Erstein – 73 Pionnier de l’art vidéo, Robert Cahen présente ses poétiques portraits au MAMCS – 74 Premier acte d’une exposition en trois volets avec Rose au CEAAC à Strasbourg – 76 Anne Zimmermann déclame son recueil Peau et Truie au festival Excentricités à Besançon – 77 Les créations rock’n’roll de David Lescot et Paul Desveaux électrisent le festival RING – 78 Pierre Debauche, parrain de Théâtre en mai au côté de la nouvelle génération – 80 Mathieu Bauer s’inspire des séries télévisées made in USA pour sa création Une Faille – 82 Partages d’utopie, diversité et ouverture européenne avec le festival Premières à Strasbourg – 83 Le chef d’œuvre de Stravinsky réactualisé par Laurent Chétouane avec Sacré Sacre du Printemps – 84 Invité du festival Oblick, Charles Fréger immortalise les « hommes sauvages » – 86 Mathieu Lacoue-Labarthe décrypte l’archétype de l’Indien et ses représentations en Amérique – 88 Les éditions Pétrole publient leur première revue sous le doux nom de TALWEG – 90
SELECTA Disques — 93
Livres — 95
DVD — 97
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Metz Métropole présente les expositions PHARES CHEFS-D’ŒUVRE DU CENTRE POMPIDOU CENTRE POMPIDOU-METZ 14.02.14 > 2016
PAPARAZZI !
PHOTOGRAPHES, STARS ET ARTISTES CENTRE POMPIDOU-METZ 26.02.14 > 09.06.14 Centre Pompidou-Metz de nuit, 2010. © Shigeru Ban Architects Europe et Jean de Gastines Architectes, avec Philip Gumuchdjian pour la conception du projet lauréat du concours / Metz Métropole / Centre Pompidou-Metz / Photo Roland Halbe
REGARDS SUR L’ÉCOLE DE PARIS MUSÉE DE LA COUR D’OR 14.02.14 > 16.06.14
JOSEPH BEUYS | ROBERT DELAUNAY | DAN FLAVIN SAM FRANCIS | CHARLES LAPICQUE | FERNAND LÉGER JOAN MIRÓ | LOUISE NEVELSON | PABLO PICASSO… Mécène fondateur
Partenaires et mécènes de l’exposition Phares
Mécènes de l’exposition Paparazzi !
édito Par Philippe Schweyer
Depuis que le virus foudroyant s’était propagé d’un bout à l’autre de tous les réseaux, le monde s’était arrêté de mouliner. Sans mails ni Facebook, la vie de bureau était redevenue terriblement ennuyeuse et les journées s’étiraient, longues à mourir. Le soir, les plus téméraires risquaient leur peau dans des bistrots mal famés, tandis que d’autres redécouvraient le plaisir solitaire de la lecture. Par un mystérieux lien de cause à effet, le secteur du luxe s’était complètement cassé la gueule lui aussi. À la place des “concept store” fumeux, des parfumeries clinquantes et des officines de produits cosmétiques, des librairies indépendantes et des disquaires adeptes du vinyle ouvraient chaque jour. Minés par le virus, cd, dvd et fichiers à télécharger ne servaient plus à rien. La télévision numérique également hors circuit, les autorités préconisaient de revenir aux vieilles méthodes pour soulager la population en manque de fiction. Le papier, que l’on avait cru mort, prenait sa revanche et les imprimeurs retrouvaient le sourire. On n’avait jamais publié autant de magazines et de livres. Bien sûr, les graphistes avaient le plus grand mal à bosser sans leur Mac, mais ils redécouvraient la colle et les ciseaux avec un plaisir quasi enfantin. Des employés municipaux se remettaient à écrire, au stylo à bille, des romans subversifs pendant leurs heures de bureaux. Plus de SMS, plus de Smartphone, plus de tablette, plus de téléphone sans fil. Une nouvelle ère s’esquissait et personne ne savait combien de temps il faudrait pour venir à bout du virus. Comble du malheur, les chercheurs ne pouvaient plus se retrouver sur Skype, pour échanger des infos vitales en temps réel.
Les nouvelles technologies de l’information désormais hors jeu, les marchands de journaux se frottaient les mains, en écoulant leurs vieux stocks de magazines cochons. Des gamins accoutumés aux vidéos pornos bas de gamme, découvraient le charme du papier glacé. Plus angoissant, les fabricants de guitares folk reconstituaient leurs stocks en guettant le retour des veillées au coin du feu… J’en étais là quand je me suis aperçu que je n’avais plus aucun moyen de consulter mon compte en banque à distance. J’étais obligé de sortir pour aller faire la queue au guichet, comme dans un pays en guerre. Tout en m’accueillant avec un large sourire que je ne lui connaissais pas, mon banquier m’a offert un gros cigare et une rasade d’un vieux whisky qu’il gardait précieusement dans son coffre-fort. Je n’étais plus à découvert pour la première fois de ma vie ! La direction régionale des affaires culturelles avait eu la bonne idée de me virer 10 000 euros ! C’était tellement dingue que je me suis réveillé en sursaut, complètement paniqué. Il était temps de sortir de mon lit pour checker mes mails, liker la DRAC et raconter mon rêve absurde sur Facebook. Ma vraie vie pouvait redémarrer, aussi futile que la caresse du vent d’avril sur une poitrine gonflée à la silicone.
Le monde est un seul
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Christophe Fourvel
Le fil — L’indignation des petits loups, lorsqu’il leur arrive, un jour, d’être mangés par les moutons. — Un nuage de fumée, qui pèse sur les villes et dont on ne sait plus, s’il est de particules fines ou une émanation des bavardages qui encombrent les ondes. — La sensure, dont parle si bien Bernard Noël, mais ceux qui l’opèrent ignorent jusqu’au nom de Bernard Noël. — Cette incroyable privilège, offert à certains, d’avoir des micros tendus à eux plusieurs fois par jour pour plusieurs millions de personnes et qu’ils utilisent pour prononcer des mots qu’ils n’ont pas pensés, des textes qu’ils n’ont pas écrits et qui ne sont d’ailleurs ni des mots, ni des textes, mais des nuages de fumée. — L’indifférence qui se fabrique à partir d’un trop plein d’échanges, de messages comme l’angoisse qui est toujours un trop de quelque chose : de désir, de libido. — Cette nouvelle attitude printanière, qui se résume à cette phrase : « il fait un temps magnifique, il est préférable de ne pas sortir ». — Cette solide capacité à produire, sous tous les régimes et à toutes les époques, des marquis et des baronnets. Cet échec répété à donner de la légitimité à la légitimité. — L’attitude de quelques-uns, amers au fond, assis sur les mêmes fauteuils et les mêmes salaires depuis des années et qui, lorsqu’ils vous croisent parce qu’il est de leur devoir de vous croiser, semblent vous dire : « Tiens, vous êtes encore là, vous ? ». — Cette veule inclination à être rassuré dès que l’on ne voit plus les symptômes. Du grand marché offert à l’imposture, que cette veule inclination a pu créer. — L’action de ces gens de la culture, semblables aux élus d’une droite qu’ils pensent détester : ne prêtant qu’aux riches même si les riches n’ont ni désir, ni idée, mais pour justifier les richesses qui leur ont eux-mêmes offertes. Aimant les réseaux, les lobbys, l’immobile, le quant-à-soi. Prônant la concentration et la main mise qu’ils rêvent d’avoir.
— Le soin que l’on laisse à sa voiture, à ses chaussures, de décliner pour nous notre identité. — Entendre des « experts en communication de crise » commenter les faits et gestes de notre république. Et subir chaque mois, « l’indice de confiance de l’université du Michigan ». — Voir la différence de traitement réservée à celui qui, par nécessité, a risqué sa vie sur une embarcation de fortune en Méditerranée, par rapport à celui qui a accompli un simulacre d’exploit devant des caméras. Et ne jamais s’en étonner. — Cette manière de devoir subir une publicité pour une assurance en face d’un compte-rendu de massacre. Savoir que c’est grâce à cette proximité que la presse peut survivre. — Ne pas avoir Le Traité de la servitude volontaire, plus souvent à l’esprit. Ce que dit José Saramago sur « la relation entre patrons et employés » qui « est fort subtile et ne s’explique pas en une demidouzaine de mots » mais personne n’écoute Saramago. Ce qui est vrai de toute éternité et que l’on attribue à l’air du temps. — Vivre dans un monde où être dix, cent, mille, dix mille, un million et parfois dix millions à penser ou vouloir une chose ne suffit pas à permettre la viabilité de cette chose. Ne pas bien comprendre cela. — Bêtement faire porter aux hommes politiques tous les maux que nous entretenons tous. — Croire encore que Guingamp battra Paris Saint-Germain ; Alméria, le Réal de Madrid. Et surtout, penser que si par miracle cela se produit, c’est qu’il existe encore une glorieuse incertitude dans le sport. — Notre manière de prêter l’oreille à ceux qui parlent tout le temps pour ne rien dire et de leur prêter des vertus lorsqu’ils se taisent, quelques mois après avoir beaucoup parlé. — Lire les enthousiasmes feints, chaque fois qu’une marquise ou un baronnet produit un son, un mot, un geste. Sentir le malaise de cet exercice forcé d’admiration. Rire de voir que parfois, c’est l’interview qui est choisi plutôt que la critique, car la critique, vraiment, cette fois-là, n’arriverait pas à mentir. — Omettre de distinguer entre un savoir intellectuel et une vérité inscrite dans le corps. — Vieillir, simplement vieillir, en perdant de la ferveur, de l’enthousiasme simple, du désir, de la spontanéité. Tout cela et tant d’autres impuissances parfois, constituent le fil sur lequel nous marchons presque droit, entre la colère et le renoncement.
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La Boîte à Musiques Nouvelle salle de concerts Metz-Borny www.bam-metz.fr
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26/27/28 sept. 2014
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Bréviaire des circonstances
Vanessa Schmitz-Grucker
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Le Marégraphe (3) Dans le camp retranché de mes défenses, le monde est devenu deux. Réel et imaginaire. Je navigue de l’un à l’autre autant de fois que je change de vérité. Tout accès au symbolique a été banni. Prohibé. Interdit. Censuré. Quand l’imaginaire fout l’camp, y a plus rien à faire. Plus de contrôle. Je ne peux plus, non, je ne peux plus. Comme si je n’avais jamais pu, comme si, jamais plus, je ne pourrais. – Tu prendras une rose ? – À quelle heure on s’ra rentré ? – Est-ce trop tard pour faire demi-tour ? J’ai répondu merde à tout pour avoir la paix. Ça n’a pas marché. Ça ne marche jamais. J’ai demandé à ce qu’on me sollicite davantage, à ce qu’on me demande mon avis sur tout, qu’on me demande tous les matins si je vais bien, si je vais mal, si j’ai bien dormi. Si j’ai rêvé. – Tu as rêvé ? À quoi as-tu rêvé ? Et on m’a enfin foutu la paix. Plus personne ne s’est soucié de moi. La belle vie, la vraie vie, le flux des veines au ralenti, le mouvement d’une vie entière mue par la peur mais toujours en mouvement. Toujours. Tu étais la vérité, je ne suis plus. Ils se sont moqués de moi quand j’ai rassemblé toutes mes affaires. Ils se sont moqués de moi quand j’ai eu peur et que j’ai voulu partir. Puis, ils m’ont retenue. Et aujourd’hui, je ne sais plus à quoi tout cela tient. Les murs des villes sont tombés sans qu’aucun son de trompette ne me soit parvenu. Ce n’était pas prévu ainsi. Je fais le tour de la voiture, je fais le tour de mes poches, je tends l’oreille à quelques étrangers et je reviens vers moi. Rien ne me ferait plus plaisir que de n’avoir jamais su ce qu’était le plaisir. Rien ne me ferait plus plaisir que de ne plus jamais savoir ce qu’est le plaisir. J’aimerais être une poignée de cendres, une peur de plus ou une peur de moins. J’ai encore fait le tour de la voiture. C’est que je n’ai pas pensé au retour. Et si on prenait une autre route juste pour faire semblant de fuir ? Impossible, personne ne sera d’accord. Alors, il
va donc falloir s’y faire, on va refaire la route en sens inverse. Il faudra à nouveau poser un pied sur terre, les yeux en l’air. J’étais à ma place, puis j’ai été consignée à une autre et maintenant il faudrait encore en changer ! Ce n’est plus un mouvement de vie, c’est un mouvement de mort dont le souffle irrite mes tympans. Car même la mort a son propre mouvement mais la place à laquelle je me trouve m’empêche de savoir s’il est un allié ou un ennemi. Assise entre deux mondes, je peux encore croire qu’une fois à ma place, il n’y aura plus qu’un seul mouvement. L’asphalte à perte de vue, en équilibre, j’attends.
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focus Cheveu
Fais-moi peur
MouVant Kill Your Pop est mort, vive MV. L’association Sabotage voulait autre chose, de nouveaux horizons à partager avec d’autres structures : La Vapeur, l’Atheneum et Octarine. L’association Sabotage décrète : le changement, c’est maintenant et a décidé de s’y tenir, elle. Mais elle a aussi décidé de toujours garder ce regard indépendant sur la musique tout en la confrontant à d’autres disciplines. Parce que la musique n’est pas seulement dans nos oreilles, elle se regarde, elle se feuillette, elle se mange mais surtout s’expérimente, peut-être, qui sait ? Pour mieux se renouveler. Le cru de cette première édition est, comme d’habitude, haletant. Des repères, il y en a. Comme la venue de Cheveu, déjà appréciée lors du millésime 2011 de feu Kill Your Pop. Mais là, les voilà affublés d’effets synth pop. Les fers de lance garage du label Born Bad ont décrété que ça ne se passerait pas toujours comme ça : pas que des guitares affriolantes mais aussi une envie contenue de crier, des paroles en français de Bertrand Blier, des chœurs, des cœurs. Des cœurs aussi pour la nouvelle princesse de Bpitch Control, Dillon. De l’amour pour Jim Yamouridis et guitare folle, accompagné de Seb Martel et Laure Brisa, mais aussi du fabuleux Charles Berberian aux dessins. De la tendresse avec The Pirouettes, duo masculin-féminin naïf façon sixties, et de l’électronique groovy avec Optimo. Voilà qu’on ne sait déjà plus où donner de l’oreille. Ce n’est pas un problème : mixer la musique aux images avec les expérimentations de Gangpol & Mit, emmenez vos enfants triturer le son, appréciez la programmation fanzine de Wonderpress... Mon rédac’ chef va râler, j’ai dépassé les 1700 signes. Plus de place, si ce n’est pour se réjouir. Par Cécile Becker
Des crânes, des corps nus, des corps peints, des sabres, du sang, des grimaces, du goth et plus si affinités. Le festival One + One triture l’histoire de l’art et du rock pour en faire naître des expressions esthétiques obscures mais aussi des discours fondés. Autour d’expositions, de conférences et de concerts, la musique se mêle à l’image vers une compréhension totale d’un genre, le rock, aujourd’hui protéiforme. Figure de cette cinquième édition, Jean-Luc Verna, artiste au corps modifié jouant sans cesse avec ses propres limites et celles des spectateurs. L’homme tatoué et piercé a fait l’école de la résistance en prenant le contrepied d’une famille extrémiste et bornée et s’essaye à tout ce qui peut éprouver l’ouverture. S’il se considère comme un mensonge, ses pratiques artistiques imprégnées de Siouxsie Sioux, sa matrice et d’étoiles, ses matrices, contribuent à rétablir la vérité. L’association a donné carte blanche à Jean-Luc Verna, qui aura à ses côté l’artiste Lionel Scoccimaro, spécialiste des sculptures inquiétantes. La venue de Patrick Eudeline le 8 avril, illustre critique rock et spécialiste du romantisme noir avec son ouvrage Goth est un temps fort parmi d’autres. De quoi explorer les recoins sombres de votre personnalité dans un feu d’artifice d’allégresse. Par Cécile Becker
ONE + ONE, festival (expositions, conférence, concerts) jusqu’au 31 mai en Bourgogne. www.one-plus-one.fr Visuel : Jean-Luc VERNA, Apollon et Marsyas, JOSEPE DE RIBERA – Courtesy Air de Paris, Paris
MV, festival du 12 au 20 avril à Dijon. www.festivalmv.com
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Blood, Sweat and Tears En 2014, Why Note continue de se réinventer, mouvement pendulaire renforcé cette saison par les noces vivaces avec le centre d’art Le Consortium. Ancien festival, puis archipel de temps forts et singuliers, Ici l’Onde est devenu en janvier dernier une saison musicale annuelle réunissant les deux structures versées dans le contemporain. Ce trimestre, Ici l’Onde offre une fois de plus et la main tendue, concerts, spectacles, installations sonores et performances se rassemblant autour de l’idée du sensible expérimentée. Aubaine de taille pour convaincre qui resterait encore sourd à l’aventure ou définitivement réfractaire à l’intégrale des équipées de Bob Morane. Le trimestre à venir se frappe le plexus d’un axiome édicté par un Charles Pennequin, programmé en juin : « Poème = guitare + voix + chose dans l’air ». Poème ? Assurément dans une saison taillée façon auberge espagnole où le taulier sert avec un plaisir égal embardées rock, quintessence de la musique contemporaine, projets aussi furtifs qu’un drone amerloque ou encore pop furieuse. Et ce, que la programmation soit made in Why Note ou enquillée avec d’autres compères comme La Vapeur, le nouveau festival MV ou encore Pyrprod. Pour les choses en l’air, Pennequin bien sûr est un MC impérial (+ Jean-François Pauvros le 6 juin). Il sera talonné sur le podium sonore par les autres invités de la saison. Soit un quinté dans un désordre amoureux et subjectif : Lee Ranaldo en solo (le 12 avril) – royal, Elysean Fields ressuscité (le 5 avril) – princier, la cornemuse minimale d’Erwan Keravec (le 8 juin – ducal, Cheveu (le 19 avril) – présidentiel, l’Ensemble Intercomtemporain (le 28 mai) – papal !
Le voyageur en solitaire Aujourd’hui, le nom de Bertrand Cantat ne suscite que vocifération, aussi bien de la part de ceux qui lui interdiraient le retour sur scène que de la part de ceux qui cherchent à défendre sa cause. Et si l’on revenait simplement à la musique ? La complicité qui le lie à Pascal Humbert, ex-Orchestre Rouge – l’une des grosses influences de Noir Désir – et ex-Sixteen Horsepower, le conduit sur le terrain qu’il avait commencé à défricher avec son chef d’œuvre indépassable, Le Vent nous portera : la chanson rock, dont il dessine les nouveaux contours. Bien sûr, le phrasé mi chanté mi récité est une tradition chez nous depuis Gainsbourg, repris notamment par Dominique A et bon nombre d’artistes à sa suite, mais ce phrasé associé à cette charge électrique, on ne la doit qu’à Bertrand Cantat. La chanson devient chaos, non sans quelque réminiscence du Velvet Underground, comme c’est le cas sur Ma Muse, entre autres titres sur Horizons, l’album de Détroit qu’il a publié l’an passé chez Barclay, sa maison historique. Cantat retourne contre toute attente à ses premières amours – l’ombre de Jeffrey Lee Pierce du Gun Club plane constamment au-dessus de sa tête –, mais plus encore qu’avec Noir Désir, il semble se libérer de ses propres influences les plus évidentes pour créer son blues à lui, un blues d’ici. Il est un homme neuf désormais, ce voyageur solitaire si cher à Gérard Manset, auquel l’on doit s’attacher, comme s’il n’avait pas de passé. Par Emmanuel Abela
Par Guillaume Malvoisin — Photo : Jean-Freetz Monin
ICI L’ONDE, saison musicale d’avril à juin à Dijon. www.whynote.com
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DÉTROIT, en concert le 23 avril à la Vapeur à Dijon. www.lavapeur.com
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Green tonic
Rencontre du troisième type Si les hommes des quatre coins du monde peuvent trouver un langage commun c’est sans aucun doute à travers la musique, c’est en tout cas ce que prône et défend le festival Rencontres et Racines. Son idée ? Une musique comme vecteur de partage, de connaissance et de reconnaissance pour les cultures venues d’ailleurs. Pour sa 25e édition, le festival reste fidèle à sa volonté d’offrir « le monde sur un plateau » et se fait fort de mélanger et métisser les genres musicaux, dans un esprit de fête et de tolérance. Pendant trois jours, artistes et performers se retrouvent à Audincourt et se succèdent sur scène lors d’une série de 25 concerts rassemblant des sonorités variées comme le rock, le reggae et la soul. Hormis la présence de têtes d’affiche désormais internationalement reconnues telles que Ayo ou The Skints, le festival accueille aussi des talents encore méconnus du grand public mais dont la qualité et la diversité collent aux valeurs de l’événement. L’autre facette de Rencontres et Racines, c’est le « village au couleurs du monde » qui accueille plus de 80 associations issues d’une trentaine de pays, proposant des ateliers gastronomiques artisanaux et artistiques. Grace aux fonds récoltés lors du festival, ces associations, qui œuvrent à renforcer les liens entres les peuples, pourront concrétiser des projets humains ou caritatifs. Par Julien Pleis — Photo : Daniel Bravo
RENCONTRES ET RACINES, festival les 27, 28, et 29 juin à Audincourt. www.rencontres-et-racines.audincourt.com
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Versatile et verdoyant, le tout jeune festival Green Days revient du 23 mai au 6 juin pour sa seconde édition. L’événement « outdoor » pluridisciplinaire met la nature dans tous ses états et interroge le spectateur sur le rapport qu’il entretient avec elle. Pour offrir une expérience riche ainsi qu’un questionnement pertinent de cette thématique, le festival propose une multitude d’ateliers, confiés à des artistes, des musiciens, ou des chorégraphes tous concernés par ce jeu d’influences entre l’humain et l’omniprésente – mais désormais fragile – Mère Nature. Au programme notamment, le projet Electro Gardens : une ballade poétique à travers des installations sonores et des aménagements paysagers, conçus pour chambouler la physionomie urbaine. La rue devenue vivante interpelle, se mue à la fois en zone de sensibilité et en terrain expérimental, conviant le public à l’échappée végétale. Autre branche du festival, L’Aventure Culinaire invite également les papilles aux festivités, avec le Festin des Miniatures : une expérience gourmande de « streetfood », animée par une sélection de chefs de la région du Pays de Montbéliard. Chacun d’entre eux proposera une vision personnelle du terroir local et présentera ses créations sous forme de miniatures gastronomiques, partagées lors d’un grand et convivial pique-nique, au cœur du parc Près-la-Rose. Par Julien Pleis — Visuel : Jean Jullien
GREEN DAYS, festival du 23 mai eu 6 juin à MA scène nationale à Montbéliard. www.mascenenationale.com
Festival de caves Créer autrement pour expérimenter autrement dans des lieux autrement différents. Du 26 avril au 27 juin, le Festival de caves investit sous-sols en tous genres le long de l’axe Rhin-Rhône, rapprochant public et acteurs du théâtre contemporain dans la réconfortante obscurité de scènes souterraines éphémères. La 9e édition du projet bisontin né à l’initiative de Guillaume Dujardin élargit une galerie ténébreuse creusée au fil d’heureuses saisons : 33 spectacles sont programmés dans 60 villes de Strasbourg à Lyon en passant par la Franche-Comté. (C.T.) Jean-Philippe Rameau par Joseph Aved (détail)
Galanterie musicale Il y a 250 ans, Rameau s’éteignait, laissant derrière lui une magistrale œuvre musicale oscillant entre baroque et classicisme. C’est à Dijon qu’il voit le jour et passe ses premières années, c’est à Dijon qu’a lieu au mois de mai un concert-hommage sur la scène de l’Opéra, compilant tous les joyaux de celui qui théorisa avec éloquence la mélodie classique. Des Indes Galantes à Castor & Pollux en passant par Naïs, la soprano Katherine Watson, le ténor Anders J. Dahlin et Le Concert d’Astrée dirigé par Emmanuelle Haïm interprètent airs et symphonies issus des illustres tragédies lyriques et opéras ballets du compositeur. Un grand moment de virtuosité. Par Claire Tourdot
AIRS & SYMPHONIES DE RAMEAU, concert le 30 mai à l’Opéra de Dijon. www.opera-dijon.fr
Oiseaux rares
www.festivaldecaves.fr
Intermèdes géographiques Intermèdes Géographiques s’attache depuis 2007 à mettre en perspective territoire et histoire de la région Franche-Comté en invitant des artistes à interagir avec elle. Avec le projet « Natchav o Tanavro », l’événement rend hommage aux nomades et revient sur le passé de la Saline Royale d’Arc et Senans qui fût utilisée comme camp pour interner la population tzigane travaillant dans la forêt de Chaux. Les artistes Patrick Bernier et Olive Martin réagiront visuellement à la notion de mur, alors que Chris Watson mettra en son la poésie du nomadisme. Des événements qui s’étalent du 12 avril au 5 octobre. (C.B.) www.intermedgeo.com
Vautour percnoptère, Kiwi roa, Méliphage régent, Chevalier combattant, Vanneau soldat ou Calao bicorne : autant d’oiseaux de tous les continents à découvrir parmi la fabuleuse collection des musées de Montbéliard constituée grâce aux donateurs, parfois aventuriers, des XIXe et XXe siècles. Au fil d’un parcours riche en surprises, on apprend à connaître les caractéristiques, souvent drôles, de chaque spécimen. Surtout, en observant de très près ces animaux menacés, on comprend mieux la nécessité de les préserver. Par Philippe Schweyer
OISEAUX : TRÉSORS VOLATILES, exposition jusqu’au 2 novembre au Musée d’art et d’histoire – Hôtel Beurnier-Rossel à Montbéliard. www.montbeliard.fr
Hack ! Détournements On ne vous apprendra rien : le téléphone que vous tenez là, l’imprimante ou la machine à laver sont tous programmés pour s’arrêter de fonctionner afin de régulièrement remplir les poches des industriels. Benjamin Gaulon, chercheur, enseignant et directeur du D.A.T.A Dublin s’intéresse de près au numérique, aux rebuts électroniques et aux détournements. Dans cette exposition, il allie créativité et déchets pour remettre en questions nos usages et notre société. À vous d’apprécier le gaspillage comme une œuvre à part entière du 26 avril au 6 septembre à l’Espace Multimédia Gantner à Bourogne. (C.B.) www.espacemultimediagantner.cg90.net
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La dynamique du dispositif Que la manifestation dédiée par la ville de Besançon à la jeune création régionale s’intitule « semaine des émergences » ne laisse rien au hasard. L’« émergence » est désormais une catégorie constitutive du champ culturel. Comme le dit la critique Diane Scott, elle est le « nom de code pour parler du renouvellement du personnel artistique du théâtre public. Elle est l’endroit d’interface entre l’institution et son autre, pas exactement sa porte mais son sas ». Et peu importe que la programmation excède ici le seul théâtre : en invitant quatre jeunes équipes aux horizons divers – théâtral avec le Ring Théâtre, musical avec Sorg & Napoleon Maddox, circassien avec la Tide Company et marionnettique avec le Projet D –, la démarche s’inscrit bien dans ce mouvement de reconnaissance d’artistes jugés prometteurs. Pour autant, les émergences bisontines, huitièmes du nom, échappent aux travers de nombreux festivals. Justement parce qu’elles ne se limitent pas à la forme festivalière : pensées et conçues comme un dispositif, menées en partenariat avec des structures culturelles, elles proposent aux artistes un accompagnement technique, logistique et financier excédant les seules représentations. Vous me direz que côté spectateurs, cela ne change pas grand chose et que le public verra toujours un spectacle, rien de plus. Pas si sûr... Car en se basant sur la concertation des structures – le Centre dramatique national, La Rodia, la Scène nationale et le service culturel du CROUS –, cet accompagnement au cas par cas est bénéfique autant pour la création, que pour la dynamique générale du territoire. Tandis que les liens tissés avec les scènes bisontines facilitent le travail des artistes, les dialogues noués entre structures alimentent la cohérence des projets de chacun. Et cela, tout le monde y gagne… Par Caroline Châtelet
SEMAINE DES ÉMERGENCES, théâtre, cirque, musique, marionnettes du 2 au 6 juin à Besançon. www.besancon.fr
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Côte à Côte Initié par la salle de concert bisontine La Rodia, Side by Side est un projet issu d’une étroite collaboration franco-suisse, visant à l’échange transfrontalier par une série d’actions artistiques et culturelles. Un carrefour tant géographique qu’humain, qui favorise les rencontres entre musiciens et publics. Cette année, c’est autour de la création Avant l’Aube que se sont concentrés les efforts, sous la direction d’Erik Truffaz, trompettiste de renom. Expérience musicale transfrontalière inédite, Avant l’Aube se présente comme un « poème symphonique, pour orchestre, sampler [confié à Franz Treichler un des fondateurs des mythiques Young Gods, ndlr] et trompette solo », une vaste pièce où se mêleront sonorités électroniques, jazz et classique. On peut donc s’attendre à ce que la richesse musicale et la diversité des univers donnent naissance à un ensemble inouï. D’ailleurs la partie trompette, interprétée sur scène par Erik Truffaz himself, fera la part belle à l’improvisation, faisant de chacune des quatre représentations une œuvre unique en soi. Afin de compléter l’expérience, les concerts seront accompagnés d’actions diverses, en direction des jeunes musiciens notamment, programmées dans les deux pays, tels que des rencontres avec des élèves de conservatoire, des ateliers de création et des conférences. Par Julien Pleis
SIDE BY SIDE – AVANT L’AUBE, concerts et rencontres du 27 mai au 15 juin entre la France et la Suisse. www.larodia.com
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Le pouvoir du récit
Du mouvement, du temps et de la vie S’il n’est jamais évident de se confronter à l’altérité, cette démarche humaniste reste nécessaire pour comprendre ce qui relie tout être pensant et sensible. Les choix qui ont forgé les civilisations de l’Occident et de l’Extrême-Orient sont comme deux pôles opposés mais néanmoins complémentaires d’une seule vérité. Artiste coréen arrivé en France en 1990, Lee Bae en sait quelque chose. Lui qui a choisi de se déraciner volontairement commence alors à travailler avec du charbon de bois, pour des raisons économiques certes, davantage pour se réapproprier un matériau symboliquement fort de son pays. S’inscrivant dans le mouvement transgénérationnel du Dansaekhwa, rompu aux techniques classiques du dessin et de l’estampe, son œuvre s’est trouvée, une fois installée en Europe, contaminée par les mouvements occidentaux d’après-guerre. Sans que cela n’altère des fondamentaux orientaux qu’il nous est bien difficile d’appréhender : primat de la substance sur la forme, équilibre des contraires, confusion de l’abstraction et du figuratif. Cette exposition remplit donc une double fonction : nous dégager de nos certitudes pour mieux les relativiser, avant de nous offrir une expérience visuelle lorgnant clairement vers la sérénité et le dépouillement d’une grande sensibilité poétique. Dix ans après avoir accueilli Lee Ufan, dont Lee Bae est l’assistant, la fondation Fernet-Branca persiste courageusement à nous montrer des artistes majeurs méconnus travaillant sur des thèmes éternels propres à transgresser nos différences et présupposés culturels. Par Xavier Hug
LEE BAE, exposition du 13 avril au 31 août à la fondation Fernet-Branca à Saint-Louis. www.fondationfernet-branca.org
Qu’attendre d’un artiste qui renvoie depuis le lien « biographie » de son propre site web vers une notice mortuaire d’un de ses homonymes ? La même chose, sans doute, que de celui qui s’amuse à reproduire la lettre annuelle adressée par Goldman Sachs à ses actionnaires, soit le déroulé sur plus de 130 pages d’une logorrhée continue de simulacres sexuels mélangée à des remerciements divers adressés à la Très Sainte Trinité. Paul Chan appartient à cette génération d’artistes nés après le supposé effondrement des grands récits et qui prend un malin plaisir à faire de son fiel tout ce qui touche aux artefacts du postmodernisme. Sous des dehors frivoles, comiques, divertissants ou tapageurs, l’œuvre de Chan exemplifie les ramifications sociales, politiques et religieuses liées à la convergence entre l’homme et la machine pour en dénoncer les errements et les dangers uchroniques. Adossé aux figures tutélaires du marquis de Sade, de Charles Fourier ou encore de William Blake, Chan explore les non-dits et traces inconscientes de la civilisation américaine, des guerres du Golfe à la Ceinture biblique en passant par le mouvement Occupy Wall Street. L’exposition monographique très exhaustive du Schaulager permettra aux visiteurs d’explorer les sentiers vertueux de l’utopie et leurs revers cauchemardesques au sein d’un parcours que l’artiste a pensé comme un studio où chacun aura son rôle à jouer. Par Xavier Hug
PAUL CHAN. SELECTED WORKS, exposition du 12 avril au 19 octobre au Schaulager de Bâle. www.schaulager.org Visuel : Paul Chan, Volumes, (Detail), 2012 Installation - © Paul Chan - Photo : Bisig & Bayer, Basel
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Aigre-doux Photo tirée du livre Fourt de Yves Tenret
Livrés les beaux jours Les beaux jours reviennent, de beaux livres nous parviennent. C’est là tout le propos de la Foire du Livre qui comme chaque année se propose de célébrer la littérature en compagnie des acteurs culturels de la région mobilisés pour l’occasion : auteurs, éditeurs et libraires, bibliothécaires et bouquinistes. Désormais trentenaire – l’édition 2013 fêtait les trente ans de l’événement – la foire dépasse de quelques années son hivernal cadet, le Salon du Livre de Colmar et c’est avec une sage maîtrise qu’elle perpétue une formule qui lui réussit : expositions, dédicaces, rencontres, conférences et remise de prix. Journaliste aux multiples casquettes, Olivier Barrot présidera cette 31ème foire du livre qui se tiendra place de l’Hôtel de Ville, entre le Théâtre La Coupole, le caveau du café littéraire et la médiathèque. La Foire investit le centre de la ville et multiplie les lieux où l’actualité du livre pourra s’exprimer. Deux invités d’honneurs prestigieux, Maryvonne de Saint-Pulgent et Gaétan Dorémus viennent compléter le parrainage de cette édition et lui assurer de démarrer sous les meilleurs auspices. C’est l’occasion de rêver avec (entre autres) les éditions Médiapop. À l’occasion de cette Foire, elles vous proposent un voyage dans le temps et l’espace. Se retrouver dans la Belgique des sixties de Fourt en compagnie d’une bande de sales gosses fugueurs aussi bien que parcourir le monde par monts et par vaux animés par l’Amour de la Marche… à vous de choisir à quel « sublime ailleurs » logé entre les pages vous allez succomber. Par Marie Marchal
FOIRE DU LIVRE, du 9 au 11 mai place de l’Hôtel de Ville à Saint-Louis. www.foirelivre.com
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Sous couvert d’une comédie populaire dont on aurait pu penser deviner les ressorts avant même le lever de rideau, L’Étudiante et Monsieur Henri étonne par l’authenticité de ses situations et l’efficacité d’une écriture théâtrale mordante, soutenue par un quatuor d’acteurs dont les rôles semblent écrits sur mesure. Ivan Calbérac tire avec bienveillance les ficelles d’une famille tourmentée par le caractère type « vieil ours mal léché » d’un septuagénaire dont la vie solitaire tourmente son entourage. Farouchement opposé à un placement en maison de retraite, Monsieur Henri – campé par l’infatigable Roger Dumas – est contraint par son fils de louer une pièce de son appartement à une jeune étudiante de 21 ans. Une cohabitation transgénérationnelle haute en couleur mise en scène avec tout le réalisme qu’on connaît à José Paul, et qui ne manquera pas de troubler les affaires d’une famille dont la belle-fille un peu niaise est la cible favorite d’un vieillard aigri. Arrêtonsnous là pour le « plot », car il est des pièces dont faire le résumé réduit le propos plus qu’il ne l’introduit. Le reste est à découvrir sur la scène du Théâtre de La Coupole, ponctué de plus d’une agréable surprise. Une tragi-comédie malicieuse et sensible, accessible à tous, qui nous donne envie de tout lâcher pour aller faire un gros bécot à notre grand-père. Par Claire Tourdot — Photo : Bernard Richebe
L’ÉTUDIANTE ET MONSIEUR HENRI, pièce de théâtre le 8 avril au Théâtre La Coupole à Saint-Louis. www.lacoupole.fr
MARS à AOUT 2014
LIVRE DU 19 MARS AU 12 AVRIL Festival Mir Redde Platt
Sarreguemines (57) DU 5 AU 6 AVRIL Festival de la Bande Dessinée
Villers-lès-Nancy (54) DU 5 AU 6 AVRIL Salon du Livre Jeunesse Zinc Grenadine
Epinal (88)
DU 10 AU 13 AVRIL Festival Littérature et Journalisme
Metz (57)
DU 10 AU 11 MAI Festival de la Bande dessinée “Le Rayon Vert”
Thionville (57)
DU 15 AU 18 MAI Le Printemps du Grand Meaulnes
Saint-Rémy-La-Calonne (55) DU 22 AU 25 MAI Les Imaginales
Epinal (88)
CINÉMA DU 26 MARS AU 11 AVRIL Alonzanfan : quinzaine du cinéma jeune public
Tout le département de la Moselle
DU 14 AU 18 MAI Caméra des Champs Festival internationale du film documentaire sur la ruralité
Ville-sur-Yron (54)
DU 29 AOÛT AU 6 SEPTEMBRE Festival International du Film - Nancy Lorraine
Nancy (54)
A RT S P L A S T I QU E S A PARTIR DU 14 FÉVRIER Exposition Phare Centre Pompidou - Metz
Metz (57)
DU 7 MARS AU 4 MAI Exposition Catalino Lozano Fonds Régional d’Art Contemporain
Metz (57)
DU 28 AU 29 JUIN Boulay Bouq’In
DU 3 AU 18 MAI Biennale internationale de l’Image
15 AOÛT Foire européenne aux livres et vieux papiers
DU 24 MAI AU 2 MARS 2015 Exposition La Décennie Centre Pompidou - Metz
Boulay (57)
Fontenoy-la-Joûte (54)
Nancy (54)
Metz (57)
DU 13 JUIN AU 5 NOVEMBRE Exposition Formes Simples Centre Pompidou - Metz
Metz (57)
EN JUILLET Vent des Forêts
autour de Fresnes-au-Mont (55)
PLUS D’INFORMATIONS SUR
Lorraine.eu
S P E C TAC L E S V I VA N T S DU 17 MAI AU 13 JUILLET Festival de musique sacrée et baroque
Froville (54)
DU 29 MAI AU 1ER JUIN Les Nuits d’Eole - Festival des arts du cirque
Montigny-lès-Metz (57) DU 6 AU 8 JUIN Festival Au fond du Jardin du Michel
Bulligny (54)
DU 18 MAI AU 14 AOÛT Festival des Abbayes
Senones (88)
DU 18 AU 19 JUIN Les Plateaux Lorrains NEST Théâtre
Thionville (57)
DU 4 AU 6 JUILLET Festival Renaissances
Bar-le-Duc (55)
PAT R I M O I N E DU 4 AU 6 AVRIL Journées Européennes des Métiers d’Art
Dans toute la Lorraine
DU 5 AU 6 AVRIL Journées d’Histoire Régionale “Lorraine et Grande Guerre”
Saint-Mihiel (55)
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Ours en plus !
Il était trois fois l’Amérique La Filature rend hommage à Jérôme Brézillon, disparu prématurément en 2012, en présentant On board une sélection de ses photographies prises depuis des trains américains. C’est grâce à la presse, notamment Libé et les Inrocks, que l’on avait découvert ses reportages et aimé ses portraits dès les années 90. En 2010 et 2011, fasciné par l’Amérique et sa mythologie, Jérôme Brézillon y avait effectué deux longs voyages. Fuyant le spectaculaire et guettant l’image juste, il aimait photographier depuis son siège de passager-spectateur les grands espaces comme les décors plus intimes qui défilaient devant ses yeux à la manière d’un interminable travelling. Au retour de ses deux périples, il avait collé ses images dans des carnets, laissant de précieuses indications pour le livre publié récemment aux éditions Textuel. Comme pour descendre du train et s’écarter des rails empruntés par Jérôme Brézillon, la Filature propose conjointement à On board deux plongées saisissantes à la rencontre d’Américains vivant à la marge de la société dans des communautés délaissées. Les séries Appalachia, USA de Anne Rearick et Hungry Horse de Pieter ten Hoopen, tous deux membres de l’agence VU’, réussissent en quelques images à nous donner un aperçu saisissant de l’étendue de la désolation dans une Amérique gangrenée par la crise. Par Philippe Schweyer
JÉRÔME BRÉZILLON, ANNE REARICK, PIETER TEN HOOPEN, exposition jusqu’au 4 mai à la Filature de Mulhouse. www.lafilature.org Visuel : Hungry Horse © Pieter ten Hoopen – Agence VU’
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Dédié à la faune arctique, l’Espace Grand Nord a enfin ouvert ses portes au Parc zoologique et botanique de Mulhouse. Ce gigantesque espace de 10 000 m² va permettre aux visiteurs du zoo de se familiariser avec les habitants à poils et à plumes des régions polaires, comme les chouettes lapones, les bœufs musqués et bien sûr les ours polaires. Des arbres, des plantes et des roches ont été intégrés pour reconstituer un environnement végétal proche de celui qui caractérise la taïga et la toundra. Plus spécifiquement, l’enclos des ours est équipé de deux bassins, d’une cascade, et de deux points d’observation, dont la grande vue en « aqua vision » – une large baie vitrée de 10 mètres de large – qui permet d’admirer l’animal sous l’eau. Le public pourra ainsi faire connaissance avec le nouveau couple plantigrade qui vient d’emménager : Sesi, une femelle de 3 ans et Vicks, un solide gaillard de 400 kg. Mais au-delà de l’aspect féerique que constitue la présence de ces invités venus du froid, le parc souhaite sensibiliser les visiteurs aux enjeux climatiques auxquels sont injustement soumises les espèces nordiques. Un circuit ludique agrémenté d’outils interactifs, conduit à une immersion progressive dans ce fragile écosystème et, souhaitons-le, à une prise de conscience de la nécessité de le protéger. Par Julien Pleis
ESPACE GRAND NORD, à partir du 2 avril au Parc zoologique et botanique de Mulhouse. www.zoo-mulhouse.com Visuel : Espace G.Nord - © Guilhem de Lépinay
Le printemps du tango Après le succès inespéré de la première édition qui avait fédéré 5000 spectateurs en quatre jours, le nouveau festival mulhousien est attendu de pied (et de jambe) ferme par les aficionados du tango. Cette année, ils seront comblés par un programme pantagruélique qui bien au-delà de la musique et de la danse, permettra de découvrir, souvent gratuitement, les multiples facettes de la culture argentine à travers lectures musicales, cinéma, gastronomie et autres plaisirs disséminés un peu partout dans la ville du 7 au 15 juin. (P.S.) www.leprintempsdutango-mulhouse.fr L’homme au chèche jaune, huile sur toile, 116 x 89 cm, 2013
Dolce vita Grand voyageur, autant par choix que par nécessité, Jean-Paul Milleliri a depuis toujours navigué entre l’île de Beauté, d’où il est originaire, et l’Alsace où il vit. Mais ce sont les couleurs ardentes du feu méditerranéen, l’aspect défragmenté des océans de sable du Sahara, les bleus et verts de la mer, les foules des médinas et des plages qui ont ses faveurs picturales. Sans jamais tomber dans la vulgaire reproduction, la peinture de Milleliri ne cache pas ses influences orientalistes et impressionnistes. Ses toiles sont un voyage en soi, comme un prélude aux vacances estivales. Par Xavier Hug
JEAN-PAUL MILLELIRI : « SUD-EXTRÊME », exposition du 11 avril au 25 mai au Musée des beaux-arts de Mulhouse. www.musees-mulhouse.fr
Festival sans nom La tradition éditoriale veut que souvent, la couleur jaune vienne habiller le genre dit « du polar ». Ainsi assorti à la collection jaune des emblématiques éditions Du Masque, le tout aussi fauve tramway mulhousien se met au diapason du mystérieux Festival Sans Nom... Du 11 au 13 avril se tiendra à Mulhouse la seconde édition de ce premier festival du polar en Alsace qui permettra d’explorer en compagnie des écrivains ces problématiques propres au genre : scènes de crimes, erreurs judiciaires, tueurs en série, etc. On découvrira peut-être lors de ces échanges la clef de ce secret bien gardé qui fait que dans les « romans de gare », parfois regardés de haut, il est parfois impossible de suspendre sa lecture. (M.M.) www.festival-sans-nom.fr
Art libéré La Villa Renata, majestueuse demeure du XXe siècle, est un lieu qui se définit par la négation : ni galerie d’art, ni musée, ni schauraum, la propriétaire a voulu remettre les artistes au centre de l’intervention artistique. Paradoxalement, la prochaine expérience visuelle offerte se déclinera autour d’œuvres de neuf d’entre eux qui ont accepté d’exposer incognito. Libérées de leurs concepteurs, les propositions plastiques vivront désormais leur propre vie, pour elles-mêmes et pour le visiteur. Par Xavier Hug
WERKE SIND WESEN, LES HIRONDELLES… exposition du 26 avril au 31 mai à la Villa Renata à Bâle. www.villa-renata.ch Visuel : Wesen 1
Manson’s Child Chez nos amis colmariens, les disques s’enchainent – déjà le 6e ! –, mais les “pa la pa pa” demeurent avec la même ferveur pop. Là, le groupe poursuit sa quête d’un son qui le rapproche autant de Wire – décidément, la tonalité de la voix de Mathieu Marmillot nous fait penser à celle de Colin Newman – ou à Joy Division qu’à un Etienne Daho en anglais. La fraicheur est là, la qualité d’écriture aussi, dans ce disque enregistré entre leur local de la Manufacture de Tabacs à Colmar et le studio Downtown de Didier Houbre à Strasbourg. Alors, les petits gars évoluent en toute discrétion, mais avec cette belle facture new wave qui les distingue de bien des tentatives dans le domaine. (E.A.) Summer chez Parklife / distribution digitale : Modulor Pro Release Party le 25 avril au Grillen www.mansonchild.com 23
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Bouffonnerie cathartique Poursuivant l’exploration des possibles du théâtre visuel et corporel en langue des signes française, l’IVT – International Visual Theatre est de retour sur la scène de la Comédie de l’Est de Colmar avec Une Sacrée boucherie. La compagnie avait déjà répondu présente l’an passé dans le cadre du projet « Une culture pour tous » porté par le théâtre alsacien afin de favoriser les rencontres entre public sourd et entendant. Cette nouvelle création bilingue en langue des signes et français est l’occasion pour Emmanuelle Laborit – directrice de l’IVT – et PierreYves Chapalain de rendre hommage au théâtre du GrandGuignol, éminent lieu burlesque de la nuit parisienne reconverti aujourd’hui en locaux pour le laboratoire de recherche de l’IVT. Un clin d’œil que souligne cet inquiétant huis clos familial, contant sur le ton de la fable toute la cruauté du monde moderne. Entre les quatre murs d’une boucherie, les déboires d’une famille peu ordinaire sont exposés avec trivialité, comme le seraient les quarts de bœuf et autres pièces sanguinolentes suspendus au plafond d’une chambre froide. La mère et le père, l’enfant adoptif et les triplés non désirés, tous portent en eux les déviances d’une société gouvernée par une violence omniprésente. Soulignant la double écriture visuelle et verbale, la mise en scène de Philippe Carbonneaux vacille entre humour noir et épouvante : doit-on crier d’effroi ou rire sans retenue ? Un sentiment de flottement qui reste sans réponse face à ce macabre cabaret qu’est l’existence humaine.
Hot Chocolate Boy Attention idole ! Calvin Johnson est l’un de ces musiciens pionniers parmi les plus influents depuis près de 30 ans. Qu’on en juge ! Avec Beat Happening, il a tout simplement replacé les États-Unis sur la carte du rock quand le continent avait plongé dans les affres du business à outrance au cours de la deuxième moitié des années 80. Il n’était pas le seul, certes, mais son propos séditieux, de sa base dans l’État de Washington, faisait admirablement écho aux démarches tout aussi dissidentes et isolées signées Black Flag en Californie, Flaming Lips dans l’Oklahoma et même Daniel Johnston au Texas. Il faisait surtout la jonction avec des scènes post-punk et indie-rock de la fin des années 70 et du début des années 80, retrouvant le sens de la pop, avec ce goût prononcé pour la série B et l’aventure lo-fi. Avec l’une des formations les plus réduites qui soient, Beat Happening, un trio guitare, batterie et voix, il renouait avec le propos séminal et primitif du rock et ouvrait ainsi la voie à certains de ses plus fervents admirateurs, parmi lesquels Kurt Cobain, Beck ou Jon Spencer. Depuis, que ce soit avec Dub Narcotic Sound System et The Halo Benders, autant de groupes qu’il signe sur son propre label, K Records, cette grande tige ne cesse d’explorer avec sensualité des voies personnelles, loin de toute virtuosité. Par Emmanuel Abela — Photo : Michael Lavine
Par Claire Tourdot — Photo : Sylvie Badie-Levet
UNE SACRÉE BOUCHERIE, pièce de théâtre les 15 et 16 avril à la Comédie de l’Est de Colmar. www.comedie-est.com
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CALVIN JOHNSON, en concert le 3 avril à l’atelier Arn à Colmar dans le cadre du festival Supersounds. www.hiero.fr
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Bénéfice du doute
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Visuel : extrait de Waste Land, de Caroline Gamon
À mesure que les éditions des Ateliers Ouverts se succèdent, il devient de plus en plus difficile, pour nous journalistes, d’innover pour vous présenter cet événement phare de l’art alsacien, sous toutes ses formes, qui permet aux artistes, sous toutes leurs formes, de présenter leur travail. Ce qui – nous le rappelons – n’est pas chose facile dans une société où les budgets culturels s’amenuisent et où montrer son travail s’assimile à un parcours du combattant. S’il est difficile pour nous, de se montrer inventifs, les artistes eux, fort heureusement, ne manquent pas de créativité et sont nombreux sur notre territoire. La bonne idée de l’association Accélérateur de Particules (et ce depuis 15 ans !) est donc de présenter au public ce flux de créativité de là où il vient : des ateliers, et dans toute l’Alsace s’il vous plaît. À la campagne comme à la ville et sur deux week-ends. À chacun de choisir son parcours selon ses critères, ou de se laisser guider à vélo par les médiateurs parmi les 150 ateliers. Et puisque tout est subjectif, surtout dans l’art, quelques repères « Novo subjectif » : au Bastion à Strasbourg, l’excellent travail de l’illustratrice Caroline Gamon qui travaille notamment pour le New York Times et la revue XXI ou les peintures de Peter Bond ; à Houssen, les photographies floues et inquiétantes de Nina Herden ; à Mulhouse, le design textile de Bérangère Paris ou la première exposition collective des artistes installés à l’espace Le Séchoir. Pas de panique : les informations vous seront fournies sur dépliants et site Internet ! Par Cécile Becker
ATELIERS OUVERTS, expositions chez l’artiste les 17, 18 et 24, 25 mai de 14h à 20h en Alsace. www.ateliersouverts.net
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Quand l’incertitude s’installe dans une société fondée sur des croyances inébranlables, chaque conviction est remise en question, bouleversant l’ordre établi. Cette dramatique dualité est à l’origine de Doute, chef d’œuvre de John Patrick Shanley paru en 2004. Lauréate du Prix Pulitzer, la pièce intrigue de par les personnages qu’elle anime et le portrait générationnel qu’elle dresse autour de thèmes universels que sont le racisme, l’exclusion et les faux-semblants. Dans le quartier du Bronx d’un New York des années soixante, une église catholique est tourmentée par une série de rumeurs dérangeantes : Sœur Aloysius – interprétée par la géniale Josiane Stoléru – voit d’un mauvais œil l’amitié que le père Flynn noue avec un jeune élève noir tandis que l’enthousiasme de Sœur James dérange une éducation autoritaire. Un grain de sable dans un rouage jusque là si bien huilé qui induit dans l’esprit des fidèles un sentiment perturbateur : celui de la méfiance, de la crainte, du changement imposé. Robert Bouvier met en scène ce thriller théologique par le biais d’une scénographie mouvante, mimant les états psychologiques des personnages. Car tout comme le kaléidoscope module la réalité par son prisme facetté, la vérité n’est pas la même selon le point de vue adopté... et le doute qu’on pensait jusque là dégradant se révèle être une formidable voie vers la sagesse d’un renouvellement humain et social. Par Claire Tourdot — Photo : David Marchon
DOUTE, pièce de théâtre le 3 avril au Relais Culturel de Haguenau, le 5 avril au Théâtre de la Coupole à Saint-Louis et du 10 au 13 avril au Taps Scala à Strasbourg. www.taps.strasbourg.eu
www.schaulager.org Paul Chan, 3rd Light, (détail), 2006, projection vidéo digitale (couleur, muet) et table, Fondation Emanuel Hoffmann, don de la présidente, 2010, prêt permanent à la Öffentliche Kunstsammlung Basel, © Paul Chan, photo: Jean Vong
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Do it yourself
Rhapsodie en bleu La France est sans doute l’un des rares pays à faire vivre, à côté des stars de la variété, des personnalités étranges qui évoluent à mi-chemin entre chanson, pop et musique classique. Immanquablement, William Sheller fait partie de ces artistes-là. Ce fils de soldat américain s’était distingué dans un premier temps par cette manière particulière de raconter des histoires avec ce phrasé jazz et ce groove dans la voix. En dandy de la pop, il avait su fédérer autour de lui ces amoureux d’une certaine chanson à la française qui se reconnaissaient aussi bien dans Claude Nougaro que dans Michel Jonasz, Véronique Sanson ou Alain Souchon. Mais chassez le naturel, il revient au galop ! Celui qui avait obtenu ses premiers hits en solo au milieu des années 70, retournait à ses véritables amours musicales. Sa formation classique qui le destinait à une carrière de pianiste l’amenait à repenser le format chanson, en toute discrétion et loin des projecteurs du show-business dès le début des années 90. Une manière de retourner à d’autres modèles tout aussi singuliers, Léo Ferré en tête. Sauf qu’à la différence, William Sheller apporte toute sa culture anglo-saxonne, Gershwin en tête, l’associant à son amour de la musique de chambre pour des résultats enchanteurs comme en témoignent ces dernières prestations scéniques. Par Emmanuel Abela — Photo : Olivier Roller
WILLIAM SHELLER, concert le 23 avril au Palais de la Musique et des Congrès à Strasbourg, le 24 avril à la Salle Poirel à Nancy, le 25 avril au Théâtre Municipal de Thionville.
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Quel est ce sentiment qui peut pousser un individu jusqu’au point de rupture avec son environnement ? Prenant appui sur d’authentiques destinées marginales, les cinq joyeux lurons du Raoul Collectif épinglent avec légèreté les dérives et dysfonctionnements de notre monde qui ne tourne pas toujours rond. Tous issus du Conservatoire de Liège où réflexions politiques, sociales et philosophiques fondent l’apprentissage du métier d’acteur, ils s’appuient sur le révolutionnaire Traité de savoir-vivre à l’usage des jeunes générations écrit par le situationniste Raoul Vaneigem en 1967 pour alimenter une création lucide et à la tension positive. De la mise en scène à l’écriture en passant par la scénographie et la diffusion, Le Signal du promeneur est un spectacle collectif « fait maison » qui redonne au théâtre sa fonction première : interroger le pourquoi de toute société et de ses acteurs. Parenthèses musicales et saynètes décousues se succèdent dans un tourbillon d’absurdités qui n’épargne personne sur son passage. Un laboratoire des plus farfelus qui laisse place à l’expérimentation scénique et séduit un large public puisque la pièce décroche en 2012 le Prix Odéon-Télérama, celui du public mais aussi de la critique au Festival Impatience. À mi-chemin entre les Monty Python et le conte voltairien, cette création made in Belgique fait du rire la meilleure des armes face à l’oppression sociale. Par Claire Tourdot
LE SIGNAL DU PROMENEUR, pièce de théâtre le 19 avril à l’Espace Georges-Sadoul à Saint-Dié-des-Vosges. www.saint-die.eu
NANCY-THEATRE
9, 10, 11 AVR / Manufacture
LE JEU DE L’OIE
9>18 avril 2014
L’Amicale de Production
1 FRANÇAISE 9 AVR / Manufacture ère
LE GARAGE
Zdenko Mesaric / Ivica Buljan (Croatie)
9, 10 AVR / Manufacture
LA RENCONTRE
10 AVR / Ludres, Espace Chaudeau
ME, MYSELF AND US
Cirque apatride (Belgique / Québec)
1ère FRANÇAISE 12 AVR / Manufacture
LIGNE JAUNE
Juli Zeh, Charlotte Roos / Ivica Buljan (Croatie)
11 AVR / Manufacture
BORDERLINE
Sébastien Ramirez / Danse
11, 12 AVR / Cour Manufacture
15 AVR / Manufacture
FAUST A FAIM IMMANGEABLE MARGUERITE Projet-co Théâtre SciencesPo
16 AVR / Manufacture
FILS DE PERSONNE
Francesca Garolla / Christine Kœtzel
16 AVR / Manufacture
EMILIA
Claudio Tolcachir (Argentine)
16, 17, 18 AVR / Maxéville
BUCHETTINO
Societas Raffaello Sanzio (Italie) / à partir de 8 ans
16, 18 AVR / Manufacture
REPITE CONMIGO
FORECASTING
11, 12 AVR / Laxou
FORECASTING / ANTIFREEZE SOLUTION / ADDICTIVE TV / JUKE TEXT / LA RENCONTRE / BATTLE RING DE DJ
Danse verticale (Espagne)
L’AURORE
David Gallaire / à partir de 8 ans
1ère FRANÇAISE 11, 12 AVR / Conservatoire
BE LEGEND !
Daniele Villa / Teatro Sotterraneo (Italie)
12 AVR / Manufacture
GISZELLE
Eszter Salamon, Xavier Le Roy
12, 13 AVR / Lycée Henri Poincaré
EXAMEN / CRÉATION
Michel Didym
12, 13 AVR / Maxéville
AGAMEMNON
François Rodinson
14 AVR / CCAM Vandœuvre-lès-Nancy
LES JEUNES David Lescot
1ère FRANÇAISE 14 AVR / Manufacture
LES AUTEURS
Alejandro Leiva Wenger / Frida Röhl (Suède) Conception graphique populardesign.fr
Rencontres Internationales Nouvelles Générations 4e édition
15 AVR / Villers-lès-Nancy
WURRE WURRE
17 AVR / Soirée à L’Autre Canal
18 AVR / Manufacture PEARL, inspirée de la vie de Janis Joplin
Fabrice Melquiot / Paul Desveaux / Vincent Artaud
18 AVR / Médiathèque Nancy
JECROISENUNSEULDIEU Stefano Massini / Michel Didym
18 AVR / Manufacture
L’ÂGE DES POISSONS Charlotte Lagrange
9 > 18 AVR / Manufacture
VOST / projections 5e rencontres vidéos des Écoles d’Art du Grand Est AFTER’ING
Fil Tilen (rap croate), M.L.F, Battle RING de DJ étudiants, Paralel.lel, le Juke Box d’Hélène et Ivan, DJ Unzip, Garçons d’étage, DJ Shweps, KDJ, On vous passera des disques
Infos 03 83 37 42 42 nancyringtheatre.fr theatre-manufacture.fr 10, rue Baron Louis, BP 63349, 54014 Nancy Cedex
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Le bal des artistes
L’œuvre imparfaite La Clémence de Titus ne fait certes pas partie des pièces les plus jouées, mais occupe pourtant une place fondamentale dans la carrière de Mozart : celle de son dernier opéra. Et c’est sur le thème du pardon, perceptible dès la lecture du titre, qu’il a fondé cette œuvre ultime. Au cœur de l’intrigue : la clémence de l’Empereur Titus qui s’étiole au fil de la pièce, sur fond d’amour, d’amitié, de jalousie et de haine. La médiocrité naissante du monarque sonne en fait comme une mise en abîme, car ce dernier opéra de Mozart n’est en rien un modèle de perfection. Le virtuose l’ayant composé en urgence, il fait l’impasse sur quelques détails, ce qui, à première vue, pourrait nuire à la pièce. Mais ces petits défauts parsemés sur une trame très académique donnent à l’œuvre une dimension nouvelle, plus moderne tant sur la forme que sur le fond. Ainsi, La Clémence de Titus, jadis très mal accueillie, trouve aujourd’hui son public. Un public qui sait apprécier la beauté dans l’erreur. « Ce sont toutes ces imperfections qui doivent faire sens lors d’une représentation et qui rendent l’approche de cette œuvre aussi excitante » assure John Fulljames, metteur en scène. Dans un contexte politique, Mozart décrypte les limites d’un chef d’état. Ici, ce sont les émotions qui mettent à mal l’équilibre de l’autorité. Un sujet résolument actuel donc, qui offre une vision ancienne mais pourtant si contemporaine du Pouvoir. Non moins captivante que les frasques de l’Élysée, La Clémence de Titus éblouit par la pureté de la forme et la justesse des notes. Trois mois avant sa mort, Mozart nous offre une œuvre-testament, gage de son amour de l’humain. Par Valentine Schroeter — Photo : Bill Cooper
LA CLÉMENCE DE TITUS, opéra du 29 avril au 8 mai à l’Opéra national de Lorraine à Nancy. www.opera-national-lorraine.fr
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Les danseurs pourraient être considérés comme des relais entre l’art et le public, des professionnels au service du spectacle, des expéditeurs du Beau. Mais derrière ces artistes se cachent des hommes et des femmes, avec l’affect qui en découle. L’idée de la chorégraphe Mathilde Monnier est de mettre en lumière ce que l’on ne voit pas : l’expérience des danseurs, leur regard sur la danse et le lien entre leurs propres émotions et la chorégraphie. « Je n’ai eu de cesse d’observer les danseurs (dont je fais partie) et de tenter de comprendre leurs mécanismes de perception, leurs stratégies d’approche, leurs incroyables capacités mimétiques » confie Mathilde Monnier. Objets re-trouvés dévoile les coulisses d’un ballet : les danseurs comptent, se soutiennent les uns les autres, se conseillent... Mais il arrive souvent que l’humour s’invite aux heures studieuses : pendant que le corps effectue les gestes, machinalement, l’esprit s’évade et donne lieu à des scènes cocasses. Et soudain, ces talentueux acrobates nous paraissent si accessibles et finalement si humains sous leurs costumes imaginaires. Sur la scène règne une ambiance de répétition bon enfant, pour une plongée réaliste et omnisciente dans le ressenti des artistes, sans décor ni artifice. « Un hommage aux danseurs, à leur force, à leur puissance créatrice ». Par Valentine Schroeter — Photo : Mathieu Rousseau
OBJETS RE-TROUVÉS, ballet le 9 avril et le 22 mai à l’Opéra national de Lorraine à Nancy. www.ballet-de-lorraine.eu
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$8',725,80
Commissaires invités : Élodie Royer & Yoann Gourmel
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LE COLLÈGE DES ARTS Des conférences accessibles à tous sur l’art à travers les époques et les disciplines artistiques (arts plastiques, mais aussi littérature, cinéma, arts de la scène et musique) CRISES Au-delà du vocable qui envahit les actualités, avec ce nouveau cycle la notion de « crises » est confrontée aux arts, tant dans leur histoire que dans leurs relations avec l’économie et dans leur réception publique. En partenariat avec l’AMAMCS
Centre européen d’actions artistiques contemporaines Avec :
(0)3 88 25 69 70
Etel Adnan / Ulla von Brandenburg / Guy de Cointet Ryan Gander / Joseph Grigely / Daniel Linehan Barbara & Michael Leisgen / Jean-Luc Moulène
Mercredi 7 mai à 19h L’étrange crise du Maniérisme L’histoire de l’art a forgé l’idée d’une Renaissance en crise, crise dont le Maniérisme devenait le symptôme. Pourtant ce phénomène est nourri d’a priori critiques et de consensus historiques qui pourraient révéler une « crise » de l’histoire de l’art elle-même. Guillaume Cassegrain est Maître de conférences en histoire de l’art moderne à l’Université Lumière Lyon 2. Mercredi 21 mai à 19h Circulation de la révélation apocalyptique à travers sociétés et mouvements artistiques en Europe, de la fin du XIXe siècle aux années 1930 Les métaphores religieuses ont inspiré la littérature et les arts occidentaux à travers la perception d’une catastrophe inévitable et l’utopie d’un nouveau règne humain. Lionel Richard est Professeur honoraire des universités.
Entrée libre dans la limite des places disponibles. Réservation conseillée : michele.buckel@strasbourg.eu
Mer — Dim : 14h > 18h
Centre d'art : 7 rue de l’Abreuvoir, 67000 Strasbourg GRAPHISME HOR STAXE.FR
VISUEL : RYAN GANDER — YOU WAL K INT O A SPACE, ANY SPACE, OR , P O OR L IT TL E GIRL BE ATEN BY THE G AME, 20 09 ZABLUDOWICZ COLLECTION, LONDRES
Plus d’informations sur : www.musees.strasbourg.eu Auditorium des Musées Musée d’Art moderne et contemporain 1, place Hans-Jean-Arp, 67000 Strasbourg Tél. 03 88 23 31 31
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Gustave Doré, Des-agréments d’un voyage d’agrément, 1851 Photo : M. Bertola. Graphisme : Rebeka Aginako
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www.ceaac.org
Mercredi 11 juin à 19h Après Duchamp et Benjamin Les nouveaux paradigmes de Marcel Duchamp et de Walter Benjamin permettent de décrire les crises de l’art moderne et contemporain. Catherine Perret est Professeur d’esthétique et de théorie des arts à l’Université Paris 8 Vincennes-Saint-Denis.
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Une famille wallonne
L’équipée sauvage Il est parfois difficile de trouver une formation rock qui ne soit pas simplement dans le gimmick. C’est le cas outreManche et outre-Atlantique, c’est encore plus le cas pour les rockers d’ici qui sombrent bien trop souvent dans le folklore rock plutôt que d’explorer de nouvelles formes. En ce qui concerne Stuck in the Sound, peut-être faut-il revoir son jugement ? Certes, le groupe ne dissimule guère ses influences propres – on se souvient d’un premier album trop ouvertement référencé pour ne pas sembler suspect parfois ou quelques tentatives shoegaze qui atteignaient vite leurs propres limites –, mais il a su s’émanciper, nuancer son propos et surtout distiller derrière la lourde charge électrifiée quelques réminiscences pop ; la résultante sans doute d’une écoute attentive de Neil Young, entre autres artistes majeurs. L’album Pursuit en 2012 manifestait un virage beaucoup plus psychédélique et une belle maîtrise, de vrais signes de maturité qui situaient le groupe à l’égal des plus grands à l’échelle internationale, les Strokes par exemple. Peut-être rêvent-ils aujourd’hui – peut-être même peut-on rêver à leurs côtés ? – qu’au moment de leur retour, alors qu’ils peaufinent leur nouvel opus, ils n’enlèvent enfin la mise et accèdent pleinement à la reconnaissance qu’ils méritent aussi bien en France qu’à l’étranger. À ce titre, la tournée que le groupe entame les prochains mois sera sans doute décisive. On trépigne d’avance ! Par Emmanuel Abela — Photo : Pierre Lapin
STUCK IN THE SOUND, concert le 15 avril aux Trinitaires à Metz dans le cadre des Ricards SA Live Sesions. www.stuckinthesound.com
C’est l’histoire de deux chaises d’enfant, abandonnées en lisière de forêt de Soignes. En les observant, Laurence Vielle, marathonienne du mot mais pas que, imagine ses ancêtres assis là. L’un collaborateur, l’autre résistant. Une jolie métaphore sur fond de secrets de famille tachés de sang. « Je sentais que je voulais vraiment travailler sur ce sujet, j’avais en plus envie de marcher à travers la Flandre, du Coq à Lasne, et j’ai senti que ces deux choses allait faire écho l’une à l’autre ». De la mer du Nord à la région bruxelloise, Laurence Vielle use ses baskets pour parcourir la Flandre et éclaircir les tabous, pour comprendre les non-dits cultivés par ses parents. Après avoir retrouvé le fils de son grand-oncle, après avoir épluché tant d’archives, Laurence Vielle lève enfin le voile sur le passé mouvementé de ses ancêtres. La comédienne belge transforme ce sujet pourtant très épineux en un monologue pétillant : grâce à ses nombreuses casquettes, elle passe littéralement du coq à l’âne, jouant tantôt le rôle d’un vendeur de vélos rencontré sur le chemin, tantôt celui d’une enfant, celui de la petite fille qu’elle était et qui est devenue ce qu’elle est aujourd’hui. Plus qu’un périple touristique, Du Coq à Lasne propose un réel plongeon en musique et en images dans la Belgique en temps de guerre et constitue même une ouverture sur les clivages du pays, bien actuels cette fois. « À l’amour, à la mort, à la vie... ». Par Valentine Schroeter
DU COQ À LASNE, pièce de théâtre le 15 avril au Théâtre du Saulcy à l’Espace Bernard Marie Koltès à Metz. theatredusaulcy-contact@univ-lorraine.fr
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13.5 — 28.5 L'Excursion des jeunes filles qui ne sont plus
Printemps 1913. Une classe de lycéennes en excursion sur le Rhin. Et quinze adolescentes à l’orée de leur vie. Trente ans après, Anna Seghers se souvient. De cette journée, mais aussi de ces quinze destins, happés par la tragédie de la guerre. Les époques se superposent, entrent en collision. Cette nouvelle, d’une lucidité et d’une pureté sans égales, nous ouvre un chemin vers l’humain.
D’Anna Seghers Mise en scène : Hervé Loichemol
Avec : Caroline Melzer
C D E 13/14
Comédie De l’Est Centre dramatique national d’Alsace Direction : Guy Pierre Couleau Réservation : 03 89 24 31 78 www.comedie-est.com 6 route d’Ingersheim 68027 Colmar
15 mars / 11 mai 2014
MUSÉE D’ART MODERNE ET CONTEMPORAIN / 1, PLACE HANS-JEAN-ARP / WWW.MUSEES.STRASBOURG.EU Les Amis du Musée d’Art moderne et contemporain de Strasbourg
Robert Cahen, L’Entre, 2014. 12’. Coll. de l’artiste © ADAGP Paris 2014. Graphisme : R. Aginako
MUSÉE D’ART MODERNE ET CONTEMPORAIN / 1, PLACE HANS-JEAN-ARP / WWW.MUSEES.STRASBOURG.EU
Clément Cogitore, La Caverne, 2013. C-print. Courtesy Galerie White Project . Graphisme : R. Aginako
Entrevoir Robert Cahen
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Street style
Livres et petits papiers Les festivals du livre se suivent mais ne se ressemblent pas. Pour Littérature & Journalisme, il n’y a pas d’un côté les chroniqueurs pour couvrir l’événement et de l’autre les auteurs pour le faire, l’événement. À Metz, on a bien compris la perméabilité de l’écriture, on la met d’ailleurs en scène, on la provoque. Que les invités soient journalistes, écrivains, ou bien les deux en même temps, ils pourront peut-être nous dire où s’arrête l’information et où commence la fiction. Et vice et versa… C’est autour du thème de l’Europe que s’articule le programme de cette 27e édition ; pour « lire et raconter le monde », on y attend une guest list prestigieuse et internationale. Près de deux cents écrivains, journalistes et artistes – parmi lesquels Tomi Ungerer, dans le cadre d’une exposition qui lui est consacrée – sauront rassembler et interroger aussi bien les observateurs férus d’actualité que les lecteurs avertis à l’occasion d’entretiens, d’expositions et autres rencontres. Il sera possible de retrouver – entre autres – Abdulmalik Faizi et Frédérique Meichler autour d’une table ronde ; le duo formé par le jeune réfugié afghan et la journaliste pour l’écriture de Je peux raconter mon histoire fait la démonstration en acte, des rapports entre littérature, journalisme et illustration ! Car les dessins de l'artiste Bearboz ponctuent et commentent très justement le récit. Cette histoire désormais prête à être dite possède l’exactitude du souvenir, elle est cousue de massacres, de violences et de déchirements ; pourtant rien n’empêchera le tandem d’écrivains de transcender la simple énonciation des faits pour partager avec le lecteur un récit riche, poignant et personnel. Du journalisme à la littérature. Par Marie Marchal — Photo : Tomi Ungerer par Olivier Roller
FESTIVAL LITTÉRATURE & JOURNALISME, édition spéciale « Europe » du 10 au 14 avril à Metz. www.litteratureetjournalisme.com
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D’un voyage à Taïwan entrepris il y a quelques années, Mourad Merzouki conserve le souvenir d’une relation à la danse contemporaine particulier, parfait équilibre entre tradition ancestrale et modernité outrancière. Un fructueux rapport à « l’étranger » que le chorégraphe aime mettre à profit dans ses créations métissées à l’exemple de Yo Gee Ti. Sous ce doux nom orientalisant, se joue la rencontre entre cinq danseurs hip-hop issus de la compagnie Käfig et cinq danseurs taïwanais de formation contemporaine. Un croisement transculturel audacieux et étonnamment harmonieux, exacerbé par la collaboration avec le jeune styliste Johan Ku dont les folles créations se jouent des volumes et matières textiles. Transporté par des mélodies hypnotiques, le danseur est contraint d’adapter ses pas, ses mouvements, son rythme à cette sculpture-costume qu’est devenue son corps en revêtant un habit organique fait de fils de laines enchevêtrés. Par mimétisme, le moindre geste semble reproduire un tissage invisible, resserrant les liens qui unissent en osmose décors, costumes et interprètes. Doucement, sans précipitation, chacun s’éveille à un monde végétal, dans un élan commun vers les origines d’un monde monochrome qu’incarne ce Yo Gee Ti. Mourad Merzouki distille là des hybridations à la limite du mysticisme, révélant toutes les possibilités de sa danse. Un moment de grâce inclassable. Claire Tourdot — Photo : Michel Cavalca
YO GEE TI, spectacle de danse le 8 avril au Carreau de Forbach. www.carreau-forbach.com
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État critique
The Pulse Le compositeur américain Steve Reich expose très tôt sa conception de la musique, dans un court manifeste qu’il écrit en 1968, La musique comme processus graduel. Il insiste sur sa propre quête : « Ce qui m’intéresse, c’est une musique dont le processus de composition et le son soient une seule et même chose ». Ce pionnier de la musique répétitive n’aura de cesse d’explorer cette voie, que ce soient dans des compositions électroniques à ses débuts – en précurseur du sample –, ou des pièces rythmiques pour percussions, Drumming (1971) ou Music for Pieces of Wood (1973), mais c’est sans doute avec Music for 18 Musicians que sa pensée s’exprime le plus magistralement. Esquissée dès mai 1974, l’œuvre est achevée en mars 1976. L’instrumentation exclusivement acoustique repose sur un violon, un violoncelle, deux clarinettes doublant deux clarinettes-basses, quatre voix de femme, quatre pianos, trois marimbas, deux xylophones et un métallophone – un vibraphone sans moteur. Avec cette particularité que les changements et les développements de la plupart des sections reposent sur la relation fondamentale entre harmonie et mélodie, Steve Reich sort d’une mécanique froide pour créer un environnement chargé en émotions, avec l’idée « de détourner son attention du lui, du elle, du toi et du moi, pour la projeter en dehors, à l’intérieur du ça ». Cette manière d’interroger la pulsation aura un impact considérable non seulement sur bon nombre de compositeurs contemporains mais aussi sur des artistes majeurs de la pop ou des musiques électroniques. Par Emmanuel Abela — Photo : Wonge Bergmann
MUSIC FOR 18 MUSICIANS, concert de l’ensemble Links le 4 avril à l’Arsenal à Metz. www.arsenal-metz.fr
Alors que le Frac Lorraine était condamné en novembre dernier pour avoir exposé en 2008 des œuvres de l’artiste Eric Pougeau, jugées de nature à porter « gravement atteinte à la dignité humaine » et pouvant « créer un sentiment de peur chez le mineur susceptible de les lire », son président Roger Tirlicien se félicitait que l’institution culturelle messine soit reconnue pour son engagement à « exposer des œuvres qui interrogent l’intelligence humaine ». Sans vaciller, c’est précisément sur cette lancée que la directrice du Frac, Béatrice Josse, entend mener la poursuite d’une programmation significative de cette volonté « de bousculer, croiser les savoirs et par-dessus tout expérimenter ». À la fois écho direct à la décision de justice précitée et clin d’œil à ses dix ans d’existence, 49 Nord 6 Est présente dans l’espace du rez-de-chaussée l’exposition Classé X, composée notamment d’une petite bibliothèque de livres et de films censurés pour des motifs de « pudibonderie, violence, sexualité » et d’une vidéo de l’artiste Eric Baudelaire qui s’intéresse à la pratique du Bokashi. Usage japonais qui consiste à flouter en grattant les images qui « excitent ou stimulent le désir », il est ici questionné à travers la mise en scène d’une libraire dont l’intervention sur des motifs qu’elle juge inappropriés sonne comme la démonstration par l’absurde d’un monde en proie aux fondamentalismes, que seul un sursaut d’éducation pourrait renverser. Espérons. Par Mickaël Roy
CLASSÉ X & UNE MACHINE DÉSIRE DE L’INSTRUCTION COMME UN JARDIN DÉSIRE DE LA DISCIPLINE, expositions jusqu’au 4 mai au Frac Lorraine à Metz. ARCHITECTURE ONDOYANTE DE GIANNI PETTENA, week-end anniversaire du Frac Lorraine les 16 et 17 mai. www.fraclorraine.org Visuel : Eric Baudelaire, (Sic), 2008, extrait de la vidéo, courtesy de l’artiste
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Clair-obscur Exilé d’une patrie irlandaise qu’il considère comme un « error land », James Joyce fait pourtant de Dublin le point de départ privilégié d’une réflexion labyrinthique développée au fil de ses écrits. Du recueil de nouvelles Les Gens de Dublin publié en 1914, on retient la dernière histoire courte Dead, délectable condensé de fastes mondains confrontés aux mutations sociales d’un XXe siècle naissant. Philippe Lardaud adapte sur les planches l’odyssée de Gabriel Conroy, anti-héros antipathique dont l’obscurité intérieure vient contrebalancer l’atmosphère festive d’une nuit d’Epiphanie. Derrière l’éclat des célébrations rythmées des rituels ancestraux se dessine un homme en marge des conventions, piégé par d’existentielles réflexions à propos du temps, de la mort et de l’existence. La mise en scène de Lardaud préfère une interprétation collective de l’ouvrage : interrogeant la notion d’hospitalité, elle fait de l’écriture joycienne l’élément premier d’un théâtre où le spectateur est lui aussi amené à vivre son propre moment d’épiphanie, sa propre expérience sensorielle. Une création soulignée « banquet théâtral » qui réunit public lorrain de Mancieulles et de Thionville grâce à la mise en place d’une navette entre les deux villes. Allons-y gaiement. Par Claire Tourdot — Photo : Philippe Lardaud
LES GENS DE DUBLIN, pièce de théâtre le 26 avril au Théâtre Ici et Là à Mancieulles. Navette mise à disposition du public par le NEST au départ du Théâtre en Bois de Thionville. www.nest-theatre.fr
Une balade d’art contemporain par Sandrine Wymann et Bearboz
Quand sommes-nous maintenant ? Voilà que pour un mois, tous les chemins de l’art contemporain mènent à Marrakech. Pour sa cinquième Biennale, le petit monde de l’art contemporain se retrouve dans la ville ocre, au pied de l’Atlas encore enneigé. Dès la place Jemaa El Fna, au cœur de la cité, le ton est donné par une œuvre de Hicham Benohoud : une enseigne de néons très hollywoodienne, installée sur le toit de l’agence historique de la Bank Al Maghrib souhaite la bienvenue. Elle est un signal lumineux qui avertit toutefois que Marrakech est une ville qui marche à l’envers. Les expositions sont installées dans différents sites de la ville. Au dire des organisateurs, c’est afin de trouver un public spontané et non seulement averti qu’ils ont choisi d’investir des lieux touristiques, de mélanger patrimoine et création contemporaine. L’enjeu est de taille et au Palais Badii, la première impression est peu convaincante. L’endroit est vaste, les œuvres sont discrètes, on les croise par-ci par-là. Un personnage issu de la saga de Max Boufathal, un globe-moulin en pierre de Mohamed Marjdal, une installation alliant four traditionnel et miroir de Katinka Bock. On passe sans vraiment s’arrêter, le palais, même en ruine, s’impose et laisse peu de place aux autres interventions. C’est à l’arrière, dans les annexes de la construction, que le déséquilibre s’estompe. L’endroit est plus confiné, des murs s’élèvent et des espaces se dessinent.
On est d’abord accueilli par une installation d’Asim Waqif. L’artiste indien a récupéré sur le site même, d’anciennes portes, fenêtres et autres matériaux. De ces restes, il a érigé un Pavillon des débris, un ensemble qui s’apparenterait à une construction mais qui n’a pas d’autre fonction que d’occuper un espace de passage selon un principe d’harmonie visuelle et sonore. Chaque partie de l’œuvre est reliée à des amplificateurs qui sont déclenchés par le touché du public traversant le dispositif. Les visiteurs activent différents sons au gré de leurs passages, tandis que de part et d’autre de l’installation, une invitation à s’asseoir permet aux moins aventureux d’écouter les compositions et d’admirer l’ouvrage dans son décor de rêve. 38
À deux pas de là, une autre installation sonore se fait discrètement entendre. Intrigante, la pièce de Cevdet Erek se découvre lentement. Des cliquetis, un son qui grésille, des sources éparpillées, des hautparleurs qui se fondent sur les murs en pierre... un ensemble difficile à cerner mais dans lequel on devine une logique.
Courtyard Ornementation with Sounding Dots and a Prison fait suite à deux installations précédentes : Courtyard Ornementation with 3 Sounding Dots and anti-pigeon net à Vienne en 2010 et Courtyard Ornementation with Sounding Dots and a Shade à Sharja en 2013. Dans les trois formats, Cevdet Erek disperse les sons qui se révèlent ensemble en un seul point d’écoute.
Issu d’une formation à la fois architecturale et musicale, il compose autant avec l’espace qu’avec les rythmes. C’est en référence à Adolph Loos qui conditionne le progrès de la culture à l’abandon de l’ornement, que Cevdet Erek a entamé ce projet. À Marrakech, cinq haut-parleurs diffusent chacun une séquence propre, liée à des textes sur l’ornement dans l’architecture marocaine, l’un d’eux reprend le claquètement de la cigogne qui a inspiré l’artiste lors de ses repérages. L’œuvre minimaliste dégage une pulsation, ranime les ruines, leur donne un nouveau souffle.
Au cœur du dispositif de Cevdet Erek le Où sommesnous maintenant ?, posé par le titre de la biennale, glisse imperceptiblement vers un Quand sommes-nous maintenant ? plus inattendu mais réjouissant.
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Julia Kerninon 27.02 Librairie 47°Nord Mulhouse
Par Philippe Schweyer — Photos : Olivier Roller
Dans Buvard, son premier roman, Julia Kerninon se penche sur la figure de l’écrivain au travail à travers le personnage de Caroline N. Spacek, auteure à succès atypique, qui confie ses secrets à Lou, un jeune lecteur fasciné. Pour démarrer l’interview, j’aimerais vous poser les quelques questions que Lou pose à votre héroïne page 76. Question n°1 : où est-ce que vous écrivez ? Dans mon lit. C’est là que je passe la plupart de mes journées. Le matin je reste au lit pour lire. L’aprèsmidi je sors, mais je ne suis pas très heureuse de sortir. Ensuite je me remets au lit pour écrire. Il n’y a que dans mon lit que je suis bien.
Question n°2 : avec quoi écrivez-vous ? Un ordinateur portable (une machine à écrire quand j’étais petite). Question n°3 : qu’est-ce que vous faites quand vous n’écrivez pas ? Je lis, je gagne ma vie et j’essaye de passer un bon moment. En ce moment, je suis occupée par mes études, ce qui prend un temps scandaleusement long. Question n°4 : qu’est-ce que vous vouliez faire quand vous étiez enfant ? Je voulais être écrivain. Je pensais que c’était possible. Après j’ai compris que ce n’était pas possible et puis encore après, c’est devenu davantage possible. Question n°5 : votre défaut principal ? Je suis catatonique. Je change tout le temps, je vais bien, je ne vais plus bien.
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Question n°6 : votre qualité principale ? La persévérance. Question n°7 : vous croyez à la postérité ? Non. Je crois qu’à notre époque les écrivains n’ont plus de postérité. Question n°8 : comment est-ce que vous écrivez ? Le mieux que je peux ! Non, je veux dire à la main, à la machine ? À la machine. OK. Détends-toi mon lapin. Tout va bien se passer. (Fin du questionnaire de la page 76). L’écriture et la lecture sont-elles des activités qui isolent du monde ? En écrivant Buvard, je voulais réfléchir à l’aspect pratique de la littérature, aussi bien du côté de l’écriture que de la lecture. Les gens qui lisent ou qui écrivent sont solitaires à la base, c’est pour ça qu’ils sont attirés par ces activités. Je crois qu’il est possible d’écrire et d’être dans la vie. Passer autant de temps tout seul à faire un truc aussi privé ayant à voir avec l’imaginaire, c’est peut-être juste une toute petite déviance, un mini autisme. Si ce qu’on lit ou ce qu’on écrit nous procure davantage de plaisir que de sortir et de voir des gens, ce n’est pas pour autant une activité maladive. Même si, quand on est en train d’écrire, on devient égoïste et que l’on peut facilement devenir négligeant voire violent si on est perturbé dans son travail. Un écrivain doit savoir ménager son temps. Si on m’invite à dîner, je calcule le temps que ça va me prendre ! Au risque de se priver d’une vie “normale” ? Bien sûr. De nos jours, la sociabilité est particulièrement valorisée et on se coupe du mouvement ambiant si on préfère rester dans sa chambre à faire un truc qui n’est même pas électronique. Personnellement, je ne trouve pas très intéressant d’avoir des discussions. Les vrais grands sujets sont mieux évoqués dans les livres puisqu’ils ont été polis par des gens malins. Ça m’intéresse davantage que les discussions de bistrot, mais c’est un peu “nazi” de dire ça. En fréquentant certains bistrots, j’ai parfois l’impression fugace que la vie est plus intéressante que les livres. C’est peut-être quand j’ai beaucoup bu… J’ai bossé dans un bistrot pendant longtemps et j’en suis revenue. Il y a des moments d’épiphanie où tout d’un coup la vie est géniale et c’est le pied de boire des mojitos, mais en réalité les livres sont plus intéressants. La difficulté du métier d’écrivain, c’est cet aller-retour permanent entre la vie vécue et la vie qu’on se re-raconte. D’avoir parfois envie d’être avec des gens pour pêcher des informations et être vivant et parfois pas. C’est ça aussi la catatonie.
Ce n’est pas très réaliste qu’une fille recrutée comme secrétaire dans un bar devienne écrivain. C’est la chose la moins réaliste du livre. Pour ma thèse, j’étudie les chances de départ qu’un individu doit avoir pour devenir un grand écrivain. Caroline ne rentre pas du tout dans ces statistiques ! J’avais envie de faire un personnage d’écrivain qui soit très pragmatique, qui n’ait aucun code, pour qu’elle ait un discours plus intéressant sur la question de l’écriture. Sa réussite est un peu miraculeuse, comme dans un conte.
Rencontres
On ne sait pas vraiment comment elle s’y prend pour écrire. Elle a étudié l’écriture à partir de la matrice quand elle était secrétaire d’un écrivain. Elle a beaucoup décortiqué les mots. Il y a des gens qui s’entraînent en recopiant à la main des œuvres pour comprendre comment faire des phrases. Ce n’est pas une mauvaise technique. Elle commence à apprendre à faire des phrases avant de commencer à écrire parce qu’elle est désespérée et qu’elle essaye de résumer. C’est courant chez les écrivains d’essayer d’ordonner le réel en l’écrivant. Comme ça fonctionne, elle se met à inventer des histoires à son tour. Mais c’est vrai que le livre ne dit pas où elle trouve ses idées.
— Les vrais grands sujets sont mieux évoqués dans les livres puisqu’ils ont été polis par des gens malins. — Buvard est construit autour d’une très longue interview. Il n’y avait pas d’interview dans la première version, c’était juste l’héroïne qui parlait. Il n’y avait pas assez de mouvement, pas assez d’action et je ne pouvais pas dire tout ce que je voulais sur ce personnage. La conversation c’est de l’action ! Ma thèse se base sur des interviews d’écrivains avec des questions comme celles qu’on a vues au début. J’ai eu l’idée d’introduire le personnage qui pose des questions pour fluidifier le récit et avoir plus de possibilités. Pourquoi fallait-il que l’interviewer soit un jeune homosexuel ? Parce que les deux personnages sont enfermés ensemble dans une baraque pendant neuf semaines. S’il n’était pas gay, ils auraient fini par déraper. Ça dérape forcément quand on n’est pas gay ? Non, mais avec deux hétérosexuels enfermés dans une maison, le lecteur s’attendrait sans doute à ce
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Rencontres
qu’il se passe quelque chose. Je voulais vraiment que leur relation soit très chaste. C’était un moment de ma vie où je fréquentais plein de garçons homosexuels et la manière dont ils parlaient de certaines choses était très nouvelle pour moi, ce qui m’a sûrement donné envie de créer ce personnage. Je viens de lire une superbe interview de Jim Harrison dans un livre publié chez Christian Bourgois… C’est là-dessus que je travaille ! Les interviews de la Paris Review ! Il y a plein d’interviews incroyables : celle de Carver, celle de Faulkner… Elles sont toutes disponibles en anglais sur le site de la revue qui existe depuis 1953. Pourquoi les écrivains sont-ils si intéressants à interviewer ? Leur travail, c’est de faire des phrases et de tirer du sens de petits détails. C’est ce qui ressort de ces interviews de la Paris Review enregistrées puis corrigées par les écrivains. On voit bien comment ils construisent un discours. Si on demandait à un musicien de corriger son interview autant qu’il le souhaite, il n’en ferait pas un objet d’art parce que ce n’est pas son art. Quand on lit Devenir Carver de Rodolphe Barry, on mesure combien il en a bavé… Pas besoin de lire une bio pour savoir ça. C’est la mythologie habituelle à propos des écrivains. Le métier d’écrivain se rapproche davantage de la vie monacale que de la vie de Mick Jagger. Carver
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picolait et il a eu des enfants tôt, mais il aurait préféré que ce soit plus simple. Pour devenir écrivain, est-ce le travail qui prime ? “Travail” est un beau mot qui veut aussi dire accoucher. Le travail, ça peut être une ambition qu’on se fixe à soi-même et pas juste d’aller au bureau pour se faire “esclavager”. “Effort” aussi est un beau mot. Quel est le sujet de votre thèse à partir des interviews de la Paris Review ? Je m’intéresse à l’écrivain en travailleur. Qu’est-ce qui fait qu’un individu devient écrivain ? Comment se passe sa vie d’écrivain ? Quels sont ses horaires de travail ? Je remets aussi sur la table la question de l’alcool. Les écrivains de toute une génération ont été alcooliques parce qu’ils étaient jeunes à l’époque de la prohibition et que c’était cool de boire. C’était un truc de jeunes, ça c’est bien passé pendant vingt ans, mais ils sont tous morts à cinquante ans. L’histoire de Burroughs qui a tué sa femme en essayant de tirer sur une pomme posée sur sa tête est géniale, mais elle a été démentie 300 fois ! Qui serait assez con pour faire ça ? Le fait que cette anecdote continue à être imprimée trahit un désir du public de singulariser les écrivains dans un rôle un peu extrême, un peu marginal. Pourquoi les gens qui n’écrivent pas ont-ils envie que les gens qui écrivent soient marginaux ? Il y a peut-être des gens qui apprécient les écrivains clean. Je ne crois pas que grand monde fantasme sur les écrivains clean.
Faut-il avoir une bonne mémoire pour être un bon écrivain ? Peut-être qu’avoir une mauvaise mémoire, c’est comme avoir une mauvaise vue et que ça permet d’imaginer plein de choses ? Les écrivains interviewés par la Paris Review mentent, donc la question de la mémoire ne se pose pas trop. Ils se trompent, mais ils le font exprès. Ils se rappellent assez bien, mais ils bricolent. S’ils ont une bonne mémoire, c’est parce que pour eux tout devient une histoire et que c’est un moyen mnémotechnique de se raconter des histoires. Ces écrivains sont-ils tous laborieux ? J’ai lu quasiment toutes les interviews de la Paris Review et je ne crois pas être tombée sur un seul écrivain qui ne le soit pas. Il n’y en a pas un seul qui dit que ça vient tout seul. Quand est-ce qu’ils écrivent ? Beaucoup écrivent le matin, avant que le reste de la maison se réveille. Cette thèse, c’est pour vous glisser dans la peau du grand écrivain ? Non, mais c’est rassurant de voir que les écrivains interviewés rencontrent parfois les mêmes difficultés que moi. Le métier d’écrivain est un sujet qui m’intéressait depuis très longtemps. Ça m’intéresse d’abord en tant que lectrice de savoir comment les livres s’écrivent. Mon livre parle à peu près du même sujet que ma thèse parce que c’est quelque chose qui me tient à cœur depuis longtemps. En France, le travail de l’écrivain est souvent observé sous un angle romantique. Je trouve important de rappeler le temps que prend un livre, comment ça se fait, que c’est du papier, que c’est des gens. Ça serait beaucoup plus intéressant d’apprendre aux étudiants à aborder les livres sans leur faire croire qu’ils sont tombés du ciel comme par magie. C’est aussi ça le problème du mythe romantique de l’inspiration. On a l’impression que tous ces bouquins ont été envoyés par Dieu alors que c’est toujours une histoire de labeur, de circonstances, d’éditeur… Les parents de votre héroïne disent que l’écriture est un truc de “tafiole”… C’est qu’ils ne connaissent pas Hemingway ! Hemingway a lancé une nouvelle collection d’écrivains. Une collection d’écrivains qui n’ont pas grand chose à voir avec Proust… Proust a fait 15 fois ce qu’a fait Hemingway sur le plan littéraire, donc on s’en fout que ce soit une tafiole.
En France on a davantage d’écrivains de salon… On a Beigbeder… Ou d’Ormesson, mais on n’a pas tellement d’écrivains qui vivent à la campagne comme Jim Harrison… On n’a pas trop de campagne… Il y en a autour de Mulhouse, mais ça n’a rien à voir avec le Montana. En France, la campagne est miniature. Il y a des écrivains ruraux… Ils sont ruraux, mais pas du Far West. Est-ce qu’on peut être une jeune femme et une bonne écrivain ? Je n’ai pas de réponse à ça. J’ai lu que le chiffre d’or du bon niveau dans une discipline quelle qu’elle soit est de 10000 heures. Tous les gens qui sont arrivés à un bon niveau dans leur domaine, ont cumulé 10000 heures de pratique. Je n’ai pas envie d’avoir un âge, un sexe ou un visage quand j’écris. Si en lisant un bouquin on peut savoir qui l’a écrit, c’est un peu emmerdant. On est content de savoir que Bukowski a une gueule ravagée et qu’il picole. Bukowski faisait à moitié de l’autobiographie ! Quand ce sont des hommes qui écrivent, on ne commente pas le fait que ce soit des hommes, on ne parle pas de leur âge ou de la façon dont ils sont habillés. Buvard a été tiré à combien d’exemplaires ? 3500, un truc comme ça. Il a eu une bonne presse ? Oui, mais il y a eu énormément d’erreurs formelles. Plusieurs critiques ont écrit que l’histoire se passait aux États-Unis. C’est aussi ce que j’ai cru au début. Oui, mais au moment d’écrire un article vous vérifieriez quand même ? Non… (rire) C’est peut-être moi qui n’ai pas été assez claire… Sur la couverture de votre livre il est écrit que vous avez 27 ans. Est-ce un argument de vente d’être une jeune femme ? Je ne sais pas pour l’éditeur, mais les gens me parlent beaucoup de ça lors des rencontres. Comme ça fait dix ans que j’écris, il était temps que je sois publiée… 27 ans, ce n’est pas si jeune que ça !
Peut-être que l’écrivain français est une tafiole et que l’écrivain américain est un chasseur macho ? Les écrivains américains sont plus sauvages que nous qui sommes les héritiers des Lumières !
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Maryline Canto 21.02 Star St-Exupéry Strasbourg
Par Emmanuel Abela — Photo : Olivier Roller
Quand on découvre votre film Le Sens de l’humour, on est saisi d’emblée : on sait que l’expérience de deuil que vous évoquez est une expérience que vous avez vous-même vécue. Ce qu’on ne mesure pas en revanche c’est cette difficulté à accepter l’idée d’un nouvel amour. Oui, la thématique c’est bien cette incapacité à aimer que manifeste Élise, le personnage principal, mais ce n’est pas tout : le film traite à égalité les deux autres personnages, Léo, son fils et Paul, son compagnon. On découvre comment elle cherche à se dégager de la culpabilité de survivre à tout cela, mais on découvre aussi comment Paul va réussir à l’arracher et comment ce petit garçon va l’aider, parce qu’il est, comme beaucoup d’enfants, dans une relation plus directe avec la vie.
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À côté du couple principal, d’autres couples évoluent à l’écran, Élise et Léo, et dans une certaine mesure Léo et Paul… Bien sûr, tout cela marche ensemble ; ils fonctionnent tous les trois en interaction et ils ont tous les trois intérêt à ce que ça marche ! Paul, lui, pourrait très bien vivre et finir seul, entre maîtresses et alcool ; il a tout intérêt à choisir cette vie-là, la paternité et l’amour. Léo a aussi intérêt à sortir de cette relation fusionnelle à sa mère, il sent qu’ils sont tous les deux dans un rapport totalement étouffant. Et elle, c’est pareil, elle doit sortir de sa peur et de ses angoisses. Et puis, tout simplement, c’est la vie ! Aimer, oui, c’est encore souffrir, mais il vaut mieux faire ce choix-là ! [rires]
Rencontres
Certaines situations dramatiques font parfois sourire, notamment quand Élise annonce à chaque fois qu’elle n’aime pas Paul. C’est le cas, mais c’est aussi le fait qu’elle le dise à chaque fois dans des endroits publics, de manière soudaine. Ce changement brutal – « je suis très facile », puis « je suis très difficile » – qu’elle opère tout le temps prête effectivement à rire. Ce sont de petits passages à l’acte… Oui, c’est cela ! Dès qu’elle sent une avancée et dès qu’elle s’ouvre, aussitôt elle met à distance ses sentiments et dit implicitement : « Soyons clairs, cette relation n’aura pas lieu ! ». Alors que cette relation existe déjà, elle nie totalement la réalité. Cette violence, elle la retourne contre elle-même. « Je ne t’appartiens pas », « Je ne t’appartiendrai jamais ! », tout cela, au fond, elle se le dit à elle-même. C’est aussi une manière de s’affirmer dans toute sa liberté. Elle a le sentiment de rester libre, et notamment dans sa manière de séparer très nettement la sexualité et l’amour. Pour elle, le cœur n’y est pas, mais le corps peut y être. [rires] Elle se trouve cependant démunie quand les rôles s’inversent. Exactement ! Paul comprend que la seule chose qui permet à Élise d’avancer, c’est de la quitter. Au moment où il la quitte, pour elle c’est à nouveau la désolation, et la désolation, elle l’a déjà connue ! La première fois, c’était la vie qui avait provoqué le chaos ; là, pour le coup, c’est elle qui le provoque par son attitude infernale ! De ce chaos, Paul le sait, peut naître un soubresaut : l’amour de la vie, ou en tout cas une nouvelle capacité à aimer la vie. Ce qui est touchant, c’est qu’en même temps, son fils, Léo, lui aussi cherche à se construire une vie : il cherche à rassembler les éléments de la clarinette de son père et se pose des questions en termes religieux. Il s’interroge sur ses origines. Pour les adultes, la mort est une chose impensable, alors pour un enfant c’est plus impensable encore ; il ne peut pas se faire à cette idée-là, c’est la prise de conscience du tragique. Le fait d’aller vers le religieux, ça le rassure. La religion, pour lui, a cette fonction-là d’englober et de rassurer. Elle lui dit simplement : « Je t’accompagnerai jusqu’à un certain point, mais je
ne suis pas croyante ». Je trouve ça beau, ils se parlent franchement, c’est comme un couple vraiment ! Dans sa quête à lui, il y a ce qu’il regrette et ce qui est, et il fait le choix de ce qui lui est possible pour lui : Paul. La crainte qui grandit tout au long du film, c’est de se dire : est-ce qu’on ne va pas se heurter à un mur ? C’est sa crainte à elle ! On revient à cette incapacité à aimer, parfois dictée par la société. C’est étonnant, mais lors de la présentation du film, j’ai rencontré de nombreuses femmes endeuillées, un peu plus âgées, qui me disaient : « Oui, mais pour nous, c’était pour toujours ! ». Elles ne s’autorisaient pas à vivre, dans les campagnes par exemple. Les choses évoluent, mais la question reste posée : « L’amour est-il plus fort que la mort ? ». Dans ce film, on découvre cette jolie tonalité bleutée – la chambre, les vêtements, etc. – qu’on retrouve dans le tableau des Nymphéas qu’Élise commente auprès de jeunes enfants. Peut-on y voir une métaphore de la nouvelle vie qui s’engage ? C’est marrant, je n’y avais pas pensé, mais je le confirme : cette tonalité est délibérée. C’est un hommage aux Impressionnistes, chez qui le bleu est significatif. Cinématographiquement, c’est une couleur belle à travailler dans ses nuances et dans son rapport à la peau. Du fait, de la présence du bleu, les carnations deviennent roses. J’ai cherché à travailler cette complémentarité, en écartant le rouge par exemple. C’était aussi une manière de rendre hommage aux films qui m’ont inspirée dont Mes petites amoureuses de Jean Eustache – les bleus y sont magnifiques ! La musique n’est pas très présente, mais elle est constamment évoquée : les Kinks, James Brown, le Velvet… On découvre que vous aimez les Ramones ! [rires] Oui, je ne suis pas foutue, hein ? Je trouve que toutes ces allusions mettent de la gaieté. Ça m’a toujours fait rigoler les discussions sur les goûts musicaux, ce côté ado qu’on a encore en nous : « Les Kinks, c’est bien ! », « Le jazz-rock, c’est impossible ! » [on confirme, ndlr]. J’ai encore ça, ce côté radical parfois, et en même temps c’est ce qui nous constitue, non ? Sauf que là, c’est Léo qui fait écouter James Brown à Paul. Oui, il est tellement en confiance, ce petit garçon, qu’il vient faire écouter James Brown à Paul qui lui répond : « C’est la plus belle musique du monde ! ». Là-dessus, on est tous d’accord avec lui ! [rires] La question de la transmission est inversée : cet homme est là au petit-déjeuner, et c’est l’enfant qui vient partager quelque chose avec lui…
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Black Rebel Motorcycle Club 15.02 La Laiterie Strasbourg
Par Vanessa Schmitz-Grucker — Photo : Camille Roux
Les histoires rock commencent parfois comme des contes de fées. Au début des années 2000, Noel Gallagher déclare que son groupe rock préféré du moment est le BRMC qui venait alors de sortir son premier album éponyme. « Ça nous a propulsé sur le devant de la scène. On n’en revenait pas. Nous n’avions pas tant de prétentions. Nous n’étions que des gamins qui s’amusaient à faire du rock », confie un Robert Turner toujours un rien intimidé, presque mal à l’aise face à toutes ces sollicitations. « Finalement, on s’est ancrés dans le paysage, nous étions flattés qu’autant de gens s’intéressent à notre musique mais on reste angoissés à l’idée que ce succès parte aussi vite qu’il est arrivé. Du moins on en reste conscient ». Le danger, ils l’ont bien senti. Passée l’euphorie du premier opus, les critiques se sont peu à peu détournés du groupe « mais le public, lui, est resté, et c’est ce qui compte » se rassure le leader du trio. La pression vécue à chaque album est une ressource dans laquelle ils puisent leur énergie pour aller toujours plus loin. « Avec Peter, on se connaît depuis si longtemps, on est obligés d’accepter que l’un pousse l’autre à sortir de sa zone de confort. Et c’est ça qui nous fait évoluer. De telles rencontres, il y en a peu dans une vie et la musique met en évidence ce lien fort qui peut unir des hommes pour sublimer les choses ». Si Robert est tombé dans le rock quand il était petit,
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il avoue d’une même voix avec sa partenaire sur scène, Leah Shapiro, peu s’intéresser au rock du moment. Conscients de l’éphémère du mainstream, BRMC suit sa propre route avec des références et des influences très éclectiques. Et quand on leur demande pourquoi ils portent si peu d’intérêt aux racines blues du rock, Robert Turner répond avec une franchise presque naïve : « Je serais plus exigeant avec moi-même et je m’astreindrais à écouter ce genre de musique si je pensais qu’il y avait un réel intérêt à le faire. J’ai longtemps cru qu’il y avait encore des choses à dire et puis j’ai réalisé que c’était un leurre, que toutes les grandes choses avaient déjà été dites et que notre rôle n’était que de passer le flambeau. On n’est pas dupe. On sait qu’on a rien inventé ». Si BRMC s’en tient à livrer un rock sombre sans prétention, sur scène, le groupe n’hésite pas à jouer la carte de la performance et de la proximité avec son public. Après un duo acoustique remarquable des deux frontmans sur le très folk Shuffle your feet, le groupe a quitté la scène sur le son surpuissant de Whatever happened to my rock’n’roll. Punk way of life !
Rencontres
Wooden Shjips 07.12 Les Trinitaires Metz
Par Anthony Gaborit — Photo : Hadrien Wissler
Si Wooden Shjips est un groupe de rock psychédélique majeur de la scène californienne, il est bon de préciser que ses membres ne valident pas le cliché des rockeurs sous acide en pantalons patte d’eph. Ripley Johnson, leader charismatique de peu de mots, se pose en contrepied de tout un mouvement emporté par le marketing : « J’ai écrit Summer of Love 07 lors du quarantième anniversaire du Summer Of Love. C’est devenu une chose très commerciale comme Woodstock. L’idée qu’on nous en donne s’est avérée immédiatement fausse pour les gens qui l’ont vécu. C’était en 1967, des gamins étaient sans abris, affamés,… bien avant que les médias ne se montrent. C’était très déprimant ». Rythmiques entêtantes, répétitions, puissance brute et surtout la sensation d’un long road trip halluciné sous un soleil de plomb à 110dB dans les oreilles. C’est à peu près ce que nous a fait vivre le groupe en décembre dernier, de passage à Metz pour leur tournée européenne. « On a commencé aux Pays-Bas, puis Copenhague, et lorsque nous allions à Berlin, une tempête a commencé et nous nous sommes retrouvés vraiment juste en dessous, c’était un moment assez unique» raconte le leader à la barbe fournie. Back to Land, dernier album du groupe, s’est vu être le premier suite au déménagement de San Francisco pour Portland, Oregon, de Erik, auteur et compositeur des morceaux du groupe. « C’est une
ville très calme, très douce, dotée d’un environnement incroyable. Je n’ai pas eu de vraie maison pendant quelques années jusqu’à l’hiver dernier. Ca a été d’un grand effet sur mon mental, rien que cette simple sensation d’être chez soi quand il fait froid dehors… ». La forêt ou la côte rocheuse aux abords de la ville verte, dont la petite taille permet plus facilement de s’en évader, sembleraient avoir eu une influence sur le dernier opus, plus doux que les précédents. Une dualité entre l’électricité de la musique et le côté naturel ressort des compositions, et Erik confie même, sourire aux lèvres, avoir fait beaucoup de randonnées et d’observation ornithologique. « Avant de partir, je ne savais même pas que l’absence de nature à San Francisco avait un effet sur moi. Ma femme et moi [Ils forment le groupe Moon Duo, ndlr] avons même vécu un court moment dans les montagnes du Colorado. Plus tu montes et plus tu deviens discret. Le silence qui y règne est si spécial… Il te fait devenir bien plus calme, plus silencieux » ajoute-t-il. Et quand je lui demande si cela aura également une influence sur scène, il voit le passage au live comme quelque de chose de fort, plus vivant et doté d’une grande énergie. « On essaye de jouer fort puis doux puis fort. Au bout de deux dates, on y va à la hache. Parce qu’on joue souvent dans des clubs, des bars et les gens se saoulent et nous aussi, un peu, et on a juste envie de jouer du rock ».
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Rencontres
Julien Lebrun 24.01 Le Gambrinus Mulhouse
Par Sylvain Freyburger
Comment as-tu découvert la musique africaine ? Je suis de la génération hip-hop. La boucle ultime, tu la cherches dans des disques de soul, de jazz, et plus tard tu découvres l’afro-soul, toutes ces productions africaines des années 60, 70… Un océan inconnu, qu’on n’a jamais fini d’explorer ! On a une image un peu kitch de l’Afrique, exotique, mais les meilleurs disques du genre contiennent de la très grande musique. Quand c’est du grand art, quelle que soit l’époque ou l’origine, c’est une histoire d’harmonie entre les éléments, même chose que pour l’architecture, la peinture, pour tout. Un morceau parfaitement construit, avec 18 musiciens ensemble tout le long et qui en plus peuvent faire danser, c’est immense ! C’est pour faire connaître ces trouvailles que tu as créé ton label Hot Casa Records ? C’est un vrai travail d’archivage : vu les conditions de stockage, on trouve souvent en Afrique des disques crashés, des pochettes foutues… Les jeunes de là-bas s’en fichent, ils écoutent la musique de maintenant, surtout du hip-hop. Les vieux, ça ne les intéresse plus parce que ça réveille des souvenirs. Quand, dans un village, je fais tourner les vieux disques que j’ai trouvés, on les voit débouler, ils aiment ça ! Certaines pièces valent très cher pour les collectionneurs du
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monde entier, des centaines d’euros. Il y a des vrais maniaques, des gens qui veulent l’intégralité de l’Orchestre Poly-Rythmo de Cotonou. Les rééditions permettent de populariser cette musique, des artistes comme Ebo Taylor sont maintenant connus partout. On fait des vinyles 180g, pochette soignée, de quoi satisfaire les connaisseurs et les DJ. C’est le son original, mais pour mes sets DJ, je n’hésite pas à faire des remixes : je viens du hip-hop, je cherche le son qui fédère, sur lequel tout le monde va danser ! Comment perçoit-on cette musique en Occident maintenant ? En faisant le DJ, en passant des disques à la radio sur lemellotron.com, j’arrive à défendre et à faire connaître la musique que j’aime. Les médias ne suivent pas trop en France : en Angleterre, le Guardian peut consacrer une page entière à une perle nigérienne redécouverte, ici tu peux envoyer tes disques à Libération ou aux Inrocks, des disques sur lesquels t’as travaillé des années, tu n’auras jamais de nouvelles… Pourtant c’est une musique qui a quelque chose d’immédiat. Disco Hi-Life d’Orlando Julius, par exemple, qui passe même sur Radio Nova… Ce type a directement influencé I feel good de James Brown ! Comment fais-tu pour orienter tes recherches ? On a des rabatteurs, et mon associé à Hot Casa, Djamel Hammadi, vit la moitié du temps en Côte d’Ivoire. Alors oui, il y a des histoires de guerre, de scorpions, mais « digger », c’est une bonne manière de voyager ! Et on sait qu’il y a toujours quelque chose d’inédit à trouver.
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de soi Les choses s’accélèrent pour Denis Scheubel, et pourtant l’album qu’il signe sous le nom de Singe Chromés a mis bien du temps à voir le jour. Aujourd’hui, il sonne comme une œuvre salutaire.
Rodolphe Burger nous racontait cette anecdote concernant Françoise Hardy qui se plaignait de ne pas retrouver ses « si jolies volutes » à la guitare dans l’enregistrement qu’ils venaient de faire ensemble. Il avait beau lui faire des propositions, il a fallu se replonger dans des K7 démos pour trouver ce son ultime qu’elle désignait sous l’appellation de « volutes ». Parfois, je cherche moi-même des « volutes », elles sont verbales, celles-là, dans la bouche de mes interlocuteurs. Quand je lis les deux pages que Bayon a signées sur Denis Scheubel alias Singe Chromés, je me délecte par avance de ces petits instants langagiers qui lui semblent propres – et dont j’avais mesuré d’ailleurs l’étendue poétique à
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l’occasion de mes rencontres précédentes – du type « Ce sont des chansons. Coupées au cutter » ou « Mes chansons sortent d’une route de l’Oklahoma. Ce qui reste du filtrage de plein de vides », etc. Quelques instants avant de le rencontrer, j’avise même Philippe Schweyer, notre « fixeur local », tel que le définit Bayon, « accoucheur » de ses projets selon Denis, et bien sûr co-éditeur de Novo. Sauf que, et je devrais le savoir d’expérience, les choses ne se passent jamais comme on les souhaite – généralement, elles se passent bien mieux que cela ! Et qu’il semble inutile d’amener notre ami Denis où l’on veut ; il nous amènera lui-même où il le souhaite, quitte à nous amener nulle part. On y verra là un trait typiquement alsacien, trait d’autant plus renforcé qu’on se dirige vers le sud de la région. Je pense que je n’aurais pas pu choisir meilleur endroit que ce salon de thé, Grand’Rue, à Strasbourg – où soit dit en passant, j’ai le souvenir d’avoir appris la mort de Daniel Darc l’an passé. « Whouaouh ! », fait-il en entrant, scrutant la décoration chargée – et non point kitsch, j’insiste ! – de ce lieu
où des tableaux, dont un magnifique Wolfahrt, surplombent la rangée de tartes au fromage et crumbles aux pommes trop engageants pour être dévorés à 10 heures du matin. L’allusion d’emblée au fait que « [sa] mère adorerait l’endroit » situe le lien possible, la mienne adorerait sans doute aussi, quoique elle trouverait à redire sur la présentation des napperons. Dès lors, je me fais la réflexion que le punk c’est peut-être avant tout une histoire de mères, et qu’on résiste comme on peut, n’est-ce pas ? Comme un animal aux abois, il confie d’emblée que les « choses prennent une autre vitesse ! ». Naturellement, il pense à la sortie du disque chez Médiapop, aux premiers retours notamment des Internautes enthousiastes et à ce papier de Bayon – combien sont-ils les artistes français à bénéficier ainsi d’une double dans Libé ? –, mais aussi à la réception de quelques unes de ses œuvres en tant que peintre. Il faut dire qu’il cumule le bougre : musique, arts plastiques, littérature et poésie. « C’est étrange, mais ça va ! », susurre-t-il comme s’il cherchait plus à se convaincre lui-même qu’à nous renseigner. Aujourd’hui, c’est bien ce disque qui le place sur le devant de la scène, mais rien ne l’empêche de mener de front l’ensemble de l’activité artistique, admettant au passage que « c’est une drôle de vie ». Là, je me rends compte que les questions d’usage n’y feront rien, et qu’il faudra s’attacher à l’un ou l’autre aspect de la production de cet album qui arrive comme l’un des vrais bonheurs de ce début d’année. L’aventure d’un disque comme celui-là remonte parfois à loin, en l’occurrence à l’époque où Denis avait rejoint avec son groupe Bigmini l’écurie Saravah de Pierre Barouh et de son fils, une aventure qui s’est soldée par l’enregistrement d’un premier album en 1997, aujourd’hui encore disponible sur les plateformes de téléchargement, mais aussi par des soucis et la mise « sous séquestre » des chansons enregistrées pour le deuxième disque – on découvre par la même occasion qu’on enferme les chansons comme les hommes. Il a fallu sans doute du temps pour que notre ami mulhousien, acolyte des premières expériences rock de Fred Poulet, ne se libère lui-même de tout cela. Heureusement, son nouvel enregistrement sous le nom de Singe Chromés ne se ressent pas de ces difficultés-là. Bien au contraire, il sonne comme un premier album, avec une grande diversité, rock, post-punk et même chanson, tout en gardant une
belle couleur d’ensemble. On a envie de le titiller un peu sur la notion même de chanson, alors qu’il établit un distinction avec ces « morceaux qu’[il] aimerai[t] écrire un jour. Avec beaucoup plus d’instruments ». Là, on découvre que l’allusion concerne des arrangements à la Arvo Pärt, un univers musical qui nous semblait éloigné – on avait pourtant été prévenu pourtant, Calexico nous avait déjà fait le coup ! Et s’il s’excuse « d’écouter Remain in Light des Talking Heads comme un vieux con depuis 3 semaines » – une œuvre qui reste indépassable ! –, ses fantasmes le conduisent parfois plus loin vers des formes orchestrales amples. Et de citer Brian Eno ou Pink Floyd à l’époque de Wish You Were Here. Comme quoi il est toujours hasardeux de coller à un artiste des références qui nous arrangent bien. Là, en l’occurrence Joy Division ou le Gun Club côtoient Jacques Brel, chez un artiste qui n’a nul besoin de se dédouaner. Le débat porte rapidement sur la gravité qu’on peut ressentir à l’écoute. Lui, forcément, mesure le niveau de sentiment qu’il place dans chacune de ses chansons, mais on s’accorde sur l’extrême vitalité du tout, renforcée en cela par un son qui claque ! Naturellement, il ouvre des grands yeux incrédules quand on lui affirme que ce disque trouve légitimement sa place dans notre discothèque française idéale. Et pourtant c’est sincèrement le cas. Même s’il minimise la portée de ses propres mots, insistant sur la part de jeu dans l’écriture d’une chanson comme Le Silence est d’or, ceux-ci sont reçus très favorablement. Presque unanimement. Alors pour celui qui s’interroge sur le rise & fall qu’on rencontre au niveau créatif, le temps du rise est là. Et comme on ne veut pas croire au one shot, on laissera le temps de la chute loin derrière. SINGE CHROMÉS, premier album de Denis Scheubel chez Médiapop Records. www.mediapop-records.fr
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Par Emmanuel Abela, traduction : Marie Marchal Photos : Thomas Deligny
un chant
d' amour Bill Pritchard a enregistré en 1987 un album devenu culte avec Daniel Darc : Parce que. Au moment de son come-back, l’artiste anglais a accepté de nous livrer son propre témoignage sur sa rencontre avec l’ex-Taxi Girl. Publication de l’interview en avantpremière avant parution dans le livre hommage Le Saut de l’Ange. 54
La deuxième moitié des années 80 est marquée par l’avènement de l’indie-rock – largement relayée en France par la jeune revue d’alors, Les Inrockuptibles – et la déferlante à la suite des Smiths de bon nombre d’artistes britanniques qui s’inscrivent dans un revival 60’s. Parmi ces derniers, l’un d’eux se distingue d’emblée par sa francophilie. Il s’agit de Bill Pritchard, un jeune homme discret, qui cultive son amour pour le cinéma de notre pays – Jean Cocteau et les réalisateurs de la Nouvelle Vague, notamment –, mais aussi pour sa littérature – Albert Camus, Jean Genet ou Boris Vian ; et pour cause, il est professeur de français à Birmingham.
Dès 1986, il publie ses premiers singles qui le rapprochent d’une pop à la française, celle qui s’impose depuis peu avec le succès d’Etienne Daho : cette pop dandy se caractérise par une forme de romantisme désuet. Dès lors, la France adopte très légitimement ce charmant rejeton qui n’attendait que cela, et la relation s’établit. Entre 1987 et 1991, tous les disques de Bill Pritchard trouvent leur public, lequel découvre derrière la légèreté apparente l’approche parfois plus sombre du personnage, mélancolique mais aussi contestataire. Depuis Jolie (Souvenir of Summer), l’homme s’est fait plus rare, espaçant ses enregistrements avant de disparaître
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pour de bon du paysage musical au cours des années 90. Pour certains d’entre nous, l’attachement était également lié au fait qu’il avait enregistré un album avec Daniel Darc, Parce que, dès 1987, l’année qui a suivi la séparation de Taxi Girl. Il semblait donc tout à fait légitime au moment de penser notre ouvrage hommage, Le Saut de l’Ange, de l’interroger sur cette rencontre. Il restait à le retrouver, ce qui ne paraissait pas simple, les derniers contacts de certains de nos amis journalistes remontant à plus de 10 ans. Il a cependant suffi d’un échange par mail avec le compositeur Thomas Deligny, ancien membre de Concorde Music Club, qui avait favorisé un premier come-back de Bill en 2005, pour retrouver sa trace. Il acceptait de témoigner ! Et comme une bonne nouvelle arrive rarement seule, le témoignage qui suit coïncide avec un retour discographique, l’album A Trip To The Coast, sorti sur le label de Hambourg Tapete Records qui avait déjà signé le retour remarqué de Lloyd Cole l’an passé. Sur ce disque, on retrouve tout ce qu’on aime chez lui, et mieux encore : la pop y revêt ses plus beaux atours, avec cette tentation quasi psychédélique dans les guitares qui le rapproche autant d’un Robyn Hitchcock et ses Soft Boys que des Kinks période Something Else. Enfin, il adopte ce phrasé lent, presque sourd, à la Hugh Cornwell des Stranglers pour un bonheur total. On sait l’homme cultivé, on le sait profondément amoureux de la musique, on le sent surtout enthousiaste à l’idée de nous revenir avec un bien joli disque. Laissons-le désormais témoigner à propos de son ami, Daniel Darc, et de l’expérience qu’il a vécue en 1987 au moment d’enregistrer avec lui l’album Parce que.
— Il m’a toujours dit qu’il ne savait pas chanter ; des âneries, c’était un des meilleurs chanteurs que j’ai croisé. —
À l’arrière de la pochette de ton album enregistré avec Daniel Parce que, vous écrivez tous les deux : « Si vous en avez l’opportunité, détruisez vos idoles en les rencontrant ». Quand tu rencontres pour la première fois Daniel, est-ce que tu le considères comme un mythe ? Je n’irais pas jusqu’à parler de mythe… Quand je vivais sur Bordeaux on m’a demandé de participer à une émission sur la radio libre “la vie au grand hertz”, et l’ami qui produisait l’émission m’a fait écouter Taxi Girl. J’ai adoré les paroles de P.A.R.I.S., elles étaient vraiment drôles et donnaient un aperçu plutôt excessif de ce Paris urbain-là. J’ai préféré les singles plus tardifs, comme « Je suis déjà parti » [la face B de Aussi Belle qu’une Balle, ndlr] ; ce morceau sonne étrangement britannique, ce qui est plutôt ironique, puisqu’il a évidemment été écrit en français. Il faut comprendre qu’en tant qu’artiste originaire d’Angleterre, je n’étais pas vraiment conscient de l’ampleur que prenait le phénomène de Taxi Girl ou Daniel Darc. C’est une découverte que j’ai faite une fois en France, rétrospectivement, si vous voulez. Par exemple, j’ignorais qu’il avait fait une tournée avec les Stranglers en Angleterre. Il m’en a parlé lui-même plus tard. Comment as-tu rencontré Daniel ? Je l’ai rencontré par pure coïncidence : nous étions produits par le même label. On s’est rencontré dans leur petit bureau (petit du moins à l’époque) de Bruxelles et je l’ai immédiatement apprécié, j’étais frappé par son intelligence ; c’est un mec avec un grand sens de l’humour et une sacrée dose d’autodérision. Je crois me souvenir qu’il a joué pour moi La Ville, je pensais et je pense toujours qu’il s’agit d’un morceau pop brillamment réalisé qui me rappelle l’époque de Ray Davies au sommet de son art. Ca peut paraître un peu exagéré mais c’est comme ça que je l’ai perçu. C’était tellement meilleur que tout ce que j’avais entendu depuis des années. Je ne sais même pas si la chanson a été produite et diffusée depuis [la chanson est sorti sous la forme d’un single produit par Etienne Daho en 1988, ndlr]. Je me souviens aussi à quel point il était excité à l’idée de rentrer sur Paris ce soir là ; il me semble qu’il était à Bruxelles pour des séances d’enregistrement. Il adorait Paris. À quel moment avez-vous eu l’idée d’enregistrer avec ensemble ? Je crois que c’était une semaine plus tard ; j’étais descendu à Paris et on s’est revus dans son appart du 9e. Je séjournais toujours à The Ideal Hotel, c’était un peu comme une deuxième maison pour moi et on a passé notre temps à parler de musique, de la vie et tout ça. Vu que j’adorais la version originale je voulais enregistrer Je rêve encore de toi avec lui, je pensais que ça serait sympa d’avoir une version
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— La façon dont il maniait les mots était si simple, si concise que cela a influencé ma manière de considérer les paroles. — plus « guitare » qui tiendrait la route avec les paroles et les impressions. Il a tout de suite été d’accord et je pense que c’est à ce moment qu’on a décidé d’enregistrer Parce que. Peut-on parler d’alchimie à propos de la fusion de vos univers respectifs ? Musicalement, on avait plus en commun que ce qu’on pourrait croire, surtout en gardant à l’esprit les anciens enregistrements de Daniel. De The Seeds à Captain Beefheart en passant par les débuts de The Who et plein d’autres choses. Daniel était un connaisseur et il appréciait beaucoup de genres musicaux très différents les uns des autres. On était aussi tous les deux gauchers, et ce n’est pas à sous-estimer. En parlant d’influences que vous aviez en commun, il y a Leonard Cohen. Oui nous étions tous deux de grands fans de Leonard Cohen bien que je ne me souviennes pas d’énormément de conversations à ce sujet, j’imagine que c’était en quelque sorte implicite. Je me rappelle avoir beaucoup écouté Love at the time. Quels souvenirs gardes-tu de cet enregistrement ? Je me souviens que Daniel écrivait les paroles dans le studio. Je lui donnais la chanson et il l’interprétait. On a enregistré dans une cave sous les bureaux du label Play It Again, Sam à Bruxelles. Bien qu’on ait fait ça en pleine journée, il n’y avait pas de lumière naturelle puisqu’on était bien sous terre. C’était parfait pour nous. Mon souvenir préféré – et ils sont nombreux ! – de ce moment est l’enregistrement de la chanson Parce que. On l’a enregistrée en une prise, Dan au chant et moi à la guitare. Je me souviens d’avoir pensé à quel point il était bon chanteur. L’interprétation était réellement à couper le souffle et elle m’a donné la chair de poule. Il m’a toujours dit qu’il ne savait pas chanter ; des âneries, c’était un des meilleurs chanteurs que j’ai croisé.
De quelle manière votre relation artistique a-t-elle influencé ta propre carrière ? J’ai vu quelqu’un trouver ce pour quoi il était vraiment doué. La façon dont il maniait les mots était si simple, si concise que cela a influencé ma manière de considérer les paroles. Cet enregistrement était-il un moyen pour toi de déclarer ton amour à la France ? J’imagine que dans un sens ça m’a paru naturel à ce moment-là. C’était très spontané à l’époque, pas de grandes stratégies. Par la suite, avez-vous gardé le contact ? Pas vraiment. On a suivi chacun nos propres chemins. Il me semble lui avoir parlé une fois au téléphone. Je l’ai revu en 2002, nous avons passé une très belle journée à se promener autour de Paris. Je me souviens avoir déambulé dans le cimetière de Montmartre pour qu’il puisse se recueillir sur la tombe de son père. Il m’a ensuite dit qu’il était en train d’écrire un album avec Fred Lo qui habitait le même immeuble ; cet album est en suite devenu Crèvecœur. Je me souviens avoir passé la journée entière et la soirée avec lui, nous avons dîné ensemble et puis il a disparu. Il a marché du 9e au 10e cette nuit-là – il adorait marcher ! Il me semble qu’il écrivait le titre Mes amis (Tour à Tour). J’ai toujours voulu penser que la ligne « Mes amis font des gosses » parlait un peu de moi dans la mesure où plus tôt il avait été choqué d’apprendre que j’avais deux filles ; je lui avais montré des photos. Je ne sais pas si j’ai raison mais c’est une chanson magnifique, une de ses meilleures.
superbe travail. J’aime aussi beaucoup l’interprétation de Dan sur Rouge Rose. Ce morceau est juste parfait pour sa voix. C’est étrange, nous étions tellement heureux de savoir qu’il était « vraiment là avec nous », et sa perte nous est tombée dessus quand on ne l’attendait vraiment plus. Quelle a été ta réaction quand tu as appris sa mort ? Ca m’a touché plus que ce que j’aurais pu penser. J’ai pleuré comme si j’avais perdu un frère, même si je ne l’avais pas vu depuis longtemps. Je pense que c’est ce qu’ont ressenti beaucoup de gens qui l’avaient rencontré. C’était ce genre de personne. J’ai appris plus tard qu’il était amoureux à ce moment-là. J’espère qu’il l’était. Il le méritait. Interview de Bill Pritchard à paraître dans Le Saut de l’Ange, ouvrage-hommage à Daniel Darc, chez Médiapop éditions (juin 2014). Bill Pritchard, A Trip To The Coast, Tapete Records
Quelle a été ta réaction lorsqu’il est revenu avec Crèvecœur en 2004 ? ça a été son premier vrai succès en solo… J’étais vraiment heureux pour lui. L’album est fantastique, bien construit et il capture tous les éléments qui font la personnalité et l’artiste chez Daniel. Je pense que Fred Lo a fait un
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Par Emmanuel Abela — Photo : Vincent Arbelet
Quand c’est (pas) raté !
Pour l’anniversaire de Musique Action, toutes les formes de la contemporanéité sont représentées dans le cadre d’une édition qui ne fait pas le choix de la rétrospective, mais bien de la perspective.
Le festival Musique Action fête ses 30 ans : 30 ans de découvertes musicales, 30 ans de performances live dans des formats hybrides à mi-chemin entre jazz, pop et avantgarde, 30 ans d’expériences inédites, dont certaines uniques ! La fête durera au moins le temps d’une édition avec la présence d’artistes-amis du festival, parmi lesquels Frédéric Le Junter bien sûr, avec ses drôles de machines qui tiennent autant de Tinguely que des expériences Dada, Phil Minton, dont la voix constitue un matériau infini, Michel Chion et Lionel Marchetti dans un registre plus contemporain, Kim
Gordon, l’ex-chanteuse et guitariste de Sonic Youth et enfin l’inénarrable Albert Marcœur, laborantin du mot, qui a conduit la chanson dans ses derniers retranchements. Dès les années 70, ce trublion, fils sans doute illégitime de Boby Lapointe et père tout aussi illégitime de Katerine, pas si éloigné de l’esprit d’autres pionniers, Ferdinand Richard et Etron Fou Leloublan, explorait le quotidien comme personne ne l’avait fait auparavant en langue française. Celui que d’aucuns nommaient, sans doute de manière un peu exagérée, le Frank Zappa français – il se rapprocherait plus d’Henry Cow, hein ? – partait des situations les plus anodines pour nous entraîner à sa suite dans la folie de l’instant ; on se souvient à ce titre de la chanson Poussez pas sur l’album Celui où y’a Joseph, le disque où l’on trouve vraiment le titre Joseph – cherchez pas, c’est comme ça ! –, qui racontait les affres d’un homme perdu dans la queue – enfin celle avec les gens, quoi ! De fil(e) en aiguille, la situation lui échappe ; chacun, un jour, a vécu cet instant-là, mais personne jamais plus ne le vivra – quoique ! – comme ça, dans ce monde bien réel où, à notre grand désespoir, Alfred Jarry croise Kafka – Joseph K, vous suivez ? –, bref dans ces petits emmerdements qui vous entraînent au bout de la vie. Sur le même disque – oui, toujours Celui où y’a Joseph ! –, une conversation téléphonique se résume à des « hum hum », « non, mais tu vois », « bah han », « mais non, hé ! », etc. ; ailleurs, elle prend la forme d’une partie de ping-pong dans un univers qui nous rapprocherait presque du cartoon, et où chaque son trouve sa place dans un vaste dispositif visuel. Sur scène, avec l’appui de ses deux comparses Julien Baillod et Vincent Huguenin, nul doute qu’Albert – non, il ne s’appelle décidément pas Joseph ! – nous emmène en voyage, à l’écart de tout, dans les méandres de son esprit, à la croisée des mots et du rêve. MUSIQUE ACTION, festival du 19 mai au 1er juin au CCAM de Vandœuvre-lès-Nancy ; Albert Marcœur le 31 mai à la salle des fêtes de Vandœuvre. www.musiqueaction.com
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Par Caroline Châtelet — Photo : Florent Doncourt (CG 57)
Dessine moi une cabane Pour la première édition de son festival Cabanes, le Conseil général de Moselle propose une programmation abondante, dont la variété résonne avec les diverses représentations liées à la cabane.
Évoquer l’universalisme de la cabane et la force symbolique de cette construction peut sembler de prime abord ridicule, voire relever de la pure rhétorique communicationnelle. Pourtant, il suffit de se plonger dans le sujet pour découvrir qu’au-delà du jeu d’enfants, la cabane ouvre des voies infinies par son caractère éphémère, entre précarité et autonomie. Explorées par les paysagistes, étudiées par les designers, les architectes et les urbanistes, les cabanes constituent même depuis plusieurs années un modèle pour repenser l’habitat et le rapport à l’environnement. À ce titre, l’attribution le 24 mars dernier du Pritzker Price – « Nobel » de l’architecture – à Shigeru Ban, connu (outre le Centre Pompidou-Metz ou le Consortium à Dijon) pour ses constructions d’urgence destinées aux victimes des catastrophes naturelles, confirme l’intérêt de l’architecture contemporaine pour le précaire. On pourrait citer de nombreux exemples de recherches « cabanesque », de la designeuse Matali Crasset aux frères Bouroullec, en passant par le génial architecte Julien Beller, chantre de l’auto-construction. Si tous les travaux ne sont pas aussi engagés que ceux de ce dernier, qui réfléchit en banlieue parisienne avec les communautés roms à l’aménagement de leurs habitats – soumis à de fréquentes destructions par les pouvoirs publics –, ils partagent une même puissance d’imaginaire. Pressentant la potentialité fédératrice de ce thème, le Conseil général de la Moselle a décidé de lancer Cabanes, festival de Moselle. Une manifestation culturelle pluridisciplinaire, traversée par les chevaux de bataille du conseil général : prise en compte de tous les publics, valorisation des particularités des territoires, fédération des structures associatives, culturelles et sociales existantes. Durant neuf semaines, le festival s’ouvre à tous les vents artistiques, mêlant créations d’artistes reconnus et propositions amateurs. Emblématique de ces croisements, le metteur en scène, comédien et directeur des Tréteaux de France Robin Renucci présentera deux spectacles et mènera des stages de pratique théâtrale. D’autres équipes, telles les compagnies d’arts de la rue Carabosse, Oposito, KompleXKapharnaüm joueront elles à Sarrebrück, Meisenthal, ou encore à Metz. Mais au-delà de toutes ses têtes d’affiches, Cabanes est surtout un projet à l’échelle
du territoire mosellan. Pensées et réalisées par les acteurs locaux, une centaine de cabanes vont ainsi éclore dans tous les cantons, valorisant ici un environnement, rappelant là une tradition, soulignant encore ailleurs une pratique artistique. Éphémères pour certaines, pérennes pour d’autres, mettant en jeu des interactions sociales diverses au cours de leur réalisation, elles constituent le squelette de la manifestation. À mille lieues des constructions normées, ces habitats aux fortunes diverses rappelleront au passage que la cabane excède tout ce à quoi on aurait voulu la réduire. Et qu’au delà du rapport ludique qui lui est intrinsèque, la cabane, en tant que structure autonome et alternative favorisant l’auto-construction, porte en elle des questions éminemment politiques. CABANES – FESTIVAL DE MOSELLE, festival pluridisciplinaire du 16 mai au 14 juillet dans toute la Moselle. www.cabanes-festivaldemoselle.fr
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Par Cécile Becker
Katrinem, Go Your Gait! (2013), installation vidéo
sans frontière Alors que Triptic, programme d’échanges culturels transfrontaliers touche à sa fin, Pierre-Alain Hug – responsable des programmes d’échanges chez Pro Helvetia, fondation suisse pour la culture à l’initiative de Triptic avec les consulats généraux de Suisse à Strasbourg et Stuttgart – en dresse un pré-bilan.
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Dans le premier journal Triptic, vous souleviez certaines limites à la collaboration transfrontalière, notamment le fait que la multiplicité des structures pouvait effrayer les acteurs culturels. Comment simplifier ce parcours ? Le parcours peut être simplifié de diverses manières, chaque niveau peut y contribuer. Triptic montre qu’il est possible de simplifier en partie ces parcours en rapprochant les acteurs culturels et en favorisant une meilleure connaissance des conditions dans lesquels l’autre travaille. Au travers de Triptic, la mise en réseau des acteurs concernés par les domaines culturels esquisse également une des clés de simplification possible par le dialogue direct. L’autre barrière est linguistique, quelles solutions avez-vous trouvées pour contourner ce problème ? Le travail de Pro Helvetia au travers de Triptic se situe dans l’établissement d’un cadre favorable pour les professionnels du monde culturel. Dès lors, tous les documents qui ont été produits ont été bilingues et toutes les rencontres, tant au niveau politique que culturel l’ont également été. À partir de ce cadre, les solutions concrètes pour jouer avec les différences linguistiques ont été l’une des bases de la créativité des porteurs de projets. En guise d’exemple au sein des projets de Triptic, « Théâtre sans contrôle de frontière ! » – co-produit par BAAL novo, Offenburg/Strasbourg et le Théâtre de la Grenouille à Bienne – propose une création théâtrale multilingue. D’un point de vue strictement événementiel Triptic a offert un foisonnement d’expériences, mais qu’est-ce que cela a concrètement apporté aux territoires et aux habitants ? Un des apports de Triptic est probablement une meilleure connaissance des autres territoires concernés, et une mise en évidence des questions qui s’y rapportent. Concrètement, les professionnels de la culture savent que des interlocuteurs partageant leurs préoccupations, sont ouverts à la discussion et à la coopération, afin de mettre sur pied des projets plus larges que leurs pratiques usuelles. Les portes des différentes institutions culturelles sont ouvertes et plusieurs artistes et bien évidemment les publics peuvent en bénéficier. À ces éléments s’ajoute une dimension de contenu culturel portant sur l’identité, interrogeant directement le territoire et ses habitants.
Parallèlement à ces événements organisés entre la Suisse, l’Allemagne et la France, avez-vous noté des préoccupations similaires au niveau du propos artistique ? En plus du projet Melting Pot (Junges Theater Basel, Theater Freiburg, Centre Chorégraphique National de FrancheComté) qui confronte l’idée d’identité rhénane aux regards de plusieurs jeunes d’origines diverses, les projets intégrant IBA Basel 2020 thématisent le territoire trinational et la question d’une identité commune. De plus, de nombreux projets ont tiré parti de l’immatérialité de certains médiums artistiques tels que les arts sonores ou le travail avec la lumière, qui apportent des dimensions permettant de matérialiser ces préoccupations tout en s’appropriant l’espace publique. L’exemple du projet Lichtszene – Dreiland porté par IBA Basel 2020 en coopération avec le Vitra Design Museum et Trinationaler Eurodistrict, illustre parfaitement ces idées en investissant le tripoint de la zone portuaire unissant les trois pays. Des partenariats, des idées, des collaborations sont-ils nés grâce à Triptic pour être pérennisés par la suite sans Triptic ? Beaucoup d’idées existent et pourront se réaliser sur la base de ce qui a été montré pendant Triptic. Il est à noter que certains projets se sont définis avec une perspective durable dès leur conception, pensant les projets sur la base d’un réseau. Ainsi que ce soient Motoco à Mulhouse, Hotel California qui a rassemblé les écoles d'art du Rhin supérieur ou Dance Trip qui rassemble le Theater Freiburg, la Kaserne Basel, Le Maillon et Pôle Sud à Strasbourg, tous se sont associés afin de constituer une structure d’échanges à long terme. De même, le projet Transborder initié par Klappfon à Bâle est pensé comme un projet de réseau dédié aux expériences acoustiques qui réunit différents acteurs à Bourogne, Delémont, Freiburg et Mulhouse. Les réseaux qui ont vu le jour avec Triptic ne sont pas fermés, d’autres acteurs culturels sont appelés à les rejoindre. Triptic étant bientôt terminé, pensez-vous que la collaboration transfrontalière à grande échelle pourra continuer d’elle même ? L’échelle est donnée par la taille des régions concernées et par le dynamisme des acteurs culturels eux-mêmes. Des actions culturelles transfrontalières existaient bien avant la mise sur pied de Triptic et la possibilité qu’un plus grand nombre de projets voient le jour à l’avenir est réelle. Il est certain que Triptic, par sa concentration dans le temps, a permis de focaliser l’attention sur les coopérations transfrontalières. Les initiatives futures pourront avoir des calendriers très différents et apparaître moins denses sur une période donnée, mais elles existeront néanmoins et continueront à enrichir le paysage culturel. TRIPTIC, finissage, expositions et portes ouvertes le 21 mai à Motoco à Mulhouse. www.triptic-culture.net
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Par Claire Kueny
Sous la surface
À l’occasion de l’exposition Anti-Narcisse actuellement au Crac Alsace, qui interroge les manières non autocentrées de regarder le monde et l’Autre, rencontre avec l’artiste égyptien établi à Bâle, Basim Magdy.
son contexte et présente un contexte personnel, où le narrateur lutte avec la perte de la mémoire, des détails, et le douloureux passage du temps, créant un monologue intime sur la manière dont on vieillit dans un monde qui semble aller sans cesse dans la mauvaise direction.
Au Crac Alsace, vous présentez des photographies et des peintures ainsi que deux vidéos : Cristal Ball et A film about the way things are. Dans cette dernière, on reconnaît des images de la Fasnacht de Bâle. Est-il intéressant pour vous que ce film prenne place à Altkirch où de nombreux visiteurs peuvent identifier l’événement ? Dans un sens oui, mais il est très important de dire que ce film n’est pas un film sur le carnaval. Ces images véhiculent autre chose. Nous n’avons pas besoin de connaître l’événement, de le situer pour comprendre le sens du film et en retirer quelque chose. La première scène que j’ai filmée de la Fasnacht et que l’on voit est celle d’un groupe comprenant entre autres un membre du Ku Klux Klan et un détenu américain, tirant une lanterne de la forme d’un minaret sur laquelle est dépeint Obama à côté d’une femme voilée. C’était raciste et ignorant à tant de niveaux que j’ai eu besoin de le filmer. J’ai réalisé que je voulais en savoir plus sur les personnes qui se trouvaient derrière ces masques, comprendre pourquoi, si consciemment, ils s’affichaient ainsi et offensaient les autres avec leurs représentations. Pour moi, à ce moment très précis de ma vie, cette image était un collage de tout ce qui n’allait pas dans le monde aujourd’hui. C’est là qu’a commencé mon intérêt pour le masque. J’ai eu envie d’aller sous la surface, pour dénicher d’où tout cela pouvait provenir. Mais la narration du film tire cela hors de
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Effectivement, le masque est récurrent dans votre travail récent. Que signifiet-il pour vous ? Un masque est censé cacher l’identité de la personne qui le porte et présenter cette personne comme quelqu’un d’autre. Cet acte de dissimulation et d’altération est très important dans mon travail, car il offre un nombre infini de significations. Je tente d’ailleurs d’éliminer l’identité des gens et des lieux dans la plupart de mes œuvres, afin d’éviter que les gens ne se rattachent à une imagerie qui leur est propre, basée sur des idées préconçues et que chaque spectateur puisse trouver son point d’entrée, quel que soit son bagage culturel. Sous quelle surface creusez-vous actuellement ? Je viens de terminer un film appelé The Dent qui parle des épreuves et des échecs des habitants d’une petite ville non nommée qui ont perdu tout espoir au point qu’ils occupent leurs jours en rejouant leur passé. Différentes histoires s’entrecroisent, créant un récit absurde et inattendu invoquant fantômes, œufs de dinosaures et zèbre-éléphant. C’est le plus long film et la plus grosse production que j’ai créé jusqu’à présent et je suis très enthousiaste. ANTI-NARCISSE, exposition du 23 février au 11 mai au Crac Alsace à Altkirch. www.cracalsace.com Visuel : Basim Magdy, A Film About The Way Things Are, 2010 Courtesy de l’artiste et Hunt Kastner, Prague Vue de l'exposition Anti-Narcisse, CRAC Alsace © Photos : Aurélien Mole
Par Xavier Hug
Homo Ludens
De 7 à 77 ans vantent les mérites du marketing à propos de l’exposition Objets ludiques, l’art des possibilités. De 7 mois à 77 fois serait-on tenté de répondre.
Parmi les traits culturels qui permettent d’appréhender l’espèce dans sa globalité, les anthropologues se sont (presque) mis d’accord sur l’usage de la langue, la conscience de la mort, le pouvoir de rire et le plaisir du jeu. Rien d’étonnant à ce que les artistes s’en soient appropriés les règles. L’exposition Objets ludiques, l’art des possibilités retrace cette histoire des années 1930 au début de ce millénaire avec une attention particulière sur la décennie 60. Les artistes d’alors, regroupés sous les dénominations d’art concret ou optique/cinétique, balayaient les aspirations de toute la société où le communisme prospérait, la jeunesse s’échaudait et les forces conservatrices vacillaient. L’Homme souhaitait s’émanciper et aspirait à davantage d’égalitarisme et de coopération. Gruppo T à Milan, Carlos Cruz-Diez et Mary Vieira en Amérique du Sud, le G.R.A.V. en France font partis de ceux qui voulaient
abolir le culte de l’artiste pour impliquer l’observateur dans le processus de réalisation et de transformation de leurs objets artistiques : mobiles, motorisation, illusion d’optique, moirage sont autant de techniques permettant d’y accéder. Si l’exposition a le mérite de mettre entre parenthèse les grands noms consacrés (Calder, Soto, Vasarely) pour présenter des artistes passés de mode (Julio le Parc, Dieter Roth) ou des curiosités suisses, miroir à Tinguely (Hugi Weber, Hans Erni), elle n’échappe pas à deux écueils d’importance. Son parti-pris historique occulte toute la partie contemporaine et passe ainsi à côté des enjeux de la « ludification » actuellement à l’œuvre. Non pas que nous devrions regretter l’absence d’« art numérique » mais n’estce pas le rôle de la culture que de nous projeter en avant par l’intermédiaire d’un questionnement présent, plutôt que de nous offrir une vision rassurante du passé ? D’autre part, le conservateur a toujours été tiraillé entre deux missions contradictoires : participer à la diffusion du savoir en montrant des œuvres et les préserver des dommages qui atteindraient à leur intégrité. Dès lors, comment exposer Essbild de Dieter Hacker puisque les visiteurs sont invités à déplacer et/ou manger les dragées de chocolat qui ornent un plateau de dames ? Réponse : en cloîtrant l’œuvre sous verre et en disposant à travers l’espace des signes sans équivoque où le rouge de l’interdit domine. Fort heureusement, 300 visites encadrées permettent de retrouver son âme d’enfant et d’assister à l’émerveillement de l’art des possibles. Objets ludiques. L’art des possibilitÉS, exposition du 19 février au 11 mai au Musée Tinguely à Bâle. www.tinguely.ch Visuel : Jeppe Hein, Intervention Impact, 2004 300 cardboard boxes, each 30 x 30 x 30 cm, Installation view Courtesy Johann König, Berlin, and 302 Gallery, New York © 2014, Jeppe Hein Photo : Courtesy Jeppe Hein Studio, Berlin, Annette Kradisch
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Par Jean-Damien Collin
une idylle à la plage… À l’occasion de l’exposition James Ensor au Kunstmuseum à Bâle, retour sur l’œuvre du cinéaste expérimental Henri Storck qui a croisé tout jeune le parcours du célèbre peintre belge.
James Ensor, Badewagen, 1876
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En 1993, j’amorçais avec la Fédération Hiéro à Colmar un ciné-club expérimental qui dès ses premières séances a défendu les films d’Henri Storck. Soixante-cinq ans plus tôt, à Ostende, Henri Storck fondait le « Club de cinéma d’Ostende » fréquenté par James Ensor. Et depuis, j’ai toujours gardé ce souvenir, jamais vraiment vérifié, peut-être pour sauver le plaisir du geste, qu’Ensor avait donné un dessin pour soutenir financièrement le ciné-club d’avant-garde… C’est un peu l’histoire étonnante de l’art, de son économie, de ses engagements et des liens particuliers entre les tenants de mouvements intellectuels qui participent au défrichage et la construction du temps présent. L’exposition James Ensor du Kunstmuseum à Bâle s’est ouverte à peine un an après la publication d’un coffret Henri Storck de quatre DVD/Blu-ray par la Cinémathèque royale de Belgique. Cette double actualité a réactivé en moi l’idée d’un trio impensé. James Ensor est immanquablement associé à Ostende, et la ville d’Ostende m’est aussi personnifiée par cet autre artiste qu’est Henri Storck. Le trio, en fait, n’est pas avec la ville, mais avec le cinéma. Dans son rapport à l’art, en particulier avec l’expérimentation. En effet, ces deux artistes sont indéniablement attachés par au cinéma, à l’idée d’avant-garde et de cercle initié par elle. Ensor est un passeur avant-gardiste à la fin du XIXe siècle avec d’étonnants prolongements au XXe. Quant à Storck, l’environnement de peintres à Ostende, mais aussi une passion érudite de l’art, en font un élément fécond des avant-gardes des années 20 et 30. L’exposition Les masques intrigués : James Ensor met en exergue l’influence de la boutique de sa mère sur le peintre, en particulier avec les masques, les chinoiseries et les textures. Pour les deux hommes, les boutiques parentales sont fondamentales. Elles relèvent de la vie quotidienne et des liens qui s’y nouent. En 1923, quand Storck a seize ans et Ensor soixante-trois, le premier doit interrompre ses études et reprendre le commerce familial de chaussures. Sa tante Blanche Hertoge aménage une partie de son magasin de lingerie en galerie d’art pour concerts ou expositions. Quant à Ensor, il est client pour se chausser, et Storck s’occupera de fournir les bottines à élastique du peintre… Mais c’est surtout la visite quotidienne, celle de midi où il passe boire un Porto avec James Ensor, après avoir été chez deux autres peintres, Spilliaert et Permeke, qui ancre le lien entre les deux artistes. Dès lors, que le peintre puisse apparaître dans les aventures d’avant-garde cinématographique du jeune Henri n’est pas étonnant… Il va participer comme de nombreux artistes et intellectuels aux soirées du Cercle de cinéma d’Ostende, mais également et
peu souligné, il apparaît très furtivement dans Une Idylle à la plage, film de 1931 d’Henri Storck. Bien plus tard, en 1970, Storck dédiera Fêtes de Belgique ou l’effusion collective à James Ensor. Celui qui depuis est devenu une figure essentielle du film sur l’art fait certainement un choix plus juste pour Ensor avec un documentaire sur ces fêtes populaires, entre carnaval et processions, qu’avec un documentaire sur l’artiste. L’enchaînement des salles d’exposition du Kunstmuseum est à ce titre une belle expérience pour comprendre l’univers et les thèmes que James Ensor va construire pas si patiemment que ça en traversant le temps et ses diverses turbulences. Mer, plage, scènes du quotidien, objets, morbidité, rapports humains, cultures populaires, hiérarchies sociales, détournements des imageries sociales, caricature, techniques diverses… La diversité des thèmes, l’excellence de la pratique et le regard juste sont mis en relief dans chaque salle. D’un portrait crayonné à couper le souffle de deux chiens à l’image acide sur la société et la nature humaine, rien n’est un hasard ou un pis-aller. C’est là que le trio impensé prend son sens. Car les éditions des films dans le coffret Henri Storck et son complément antérieur Avant-garde : surréalisme et expérimentation dans le cinéma belge montrent que le relais s’est fait. On dit souvent que l’influence de James Ensor se retrouve du fauvisme à CoBrA, mais on voit que l’effet est aussi dans l’esprit et la liberté créatrice que Storck va poursuivre dans le cinéma : les œuvres de détournement d’actualité de Storck constituent des pivots de l’histoire du Found footage. Histoire du soldat inconnu, longtemps interdit en France, ou Sur les bords de la caméra de 1932 sont parfaitement dans la ligne de cette déconstruction-constructive sur les hypocrisies d’élites sociales ou de diversion, par de remarquables effets Koulechov, des comportements populaires. Même, la période de documentaire social et politique qui suivra – avec entre autres le fameux Misère au Borinage – trouve une source intellectuelle qui dépasse l’analyse du glissement vers la démonstration sociale des avant-gardes cinématographiques durant la période de crise des années trente. Le trio impensé prend forme, le plaisir de l’exposition s’élargit à une pensée en construction, à un filage d’époque et de techniques artistiques qui dans chaque domaine développe sa forme. L’exposition bâloise, en cette période de carnaval soulignée dans la présentation, croise une dimension supplémentaire à l’expérience qu’elle nous propose. L’associer à la découverte ou la redécouverte des œuvres d’Henri Storck est une occasion de prolonger l’univers de James Ensor et de regarder les films du cinéaste avec des échos réjouissants. À Ostende, pour quelques artistes, la boutique de chaussures de la famille Storck est un commerce où on peut parfois se chausser contre des dessins… Alors, au final, pourquoi pas un dessin de James Ensor pour soutenir un cercle de cinéma d’avant-garde et d’expérimentation ? LES MASQUES INTRIGUÉS : JAMES ENSOR, exposition jusqu’au 25 mai au Kunstmuseum de Bâle. www.kunstmuseumbasel.ch - Coffret collection Henri Storck (4 titres en DVD et Blu-ray : Images d’Ostende, Misère au Borinage, Symphonie paysanne, Documentaires sur l’art), Cinematek - Avant-garde 1927-1937 : surréalisme et expérimentation dans le cinéma belge, Cinematek
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Par Emmanuel Abela
Odilon Redon, La Coupe du devenir, 1894 Huile sur toile sur carton, 49 x 34,3 cm Courtesy of Michael Altman Fine Art and Advisory Services Photo : Michael Altman Fine Art / Michael Altman
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Méconnu du grand public, Odilon Redon n’en est pas moins un pionnier. Comme le démontre la belle exposition que lui consacre la Fondation Beyler, l’œuvre de ce prince du rêve est l’un des points de passage vers la modernité.
le rayonnement
de l'esprit Je suis malheureusement obligé de le constater : Odilon Redon n’est une évidence pour personne. Ceux qui ne le connaissent pas bien ont parfois du mal à le situer dans son temps et dans sa pratique picturale, et ceux qui connaissent mieux la période le résument parfois à quelques dessins pré-surréalistes au fusain, dont L’Araignée souriante de 1881. D’où vient le malentendu ? Et qu’est-ce qui fait que ce peintre pourtant essentiel se retrouve négligé, voire totalement occulté ? Il vient sans doute du fait qu’il échappe à l’image type du peintre du XIXe tel qu’on cherche à le percevoir aujourd’hui encore. Nulle frasque ni fait déclamatoire pour ce peintre discret, bourgeois et casanier, que sa femme, Camille, cherche à épargner des contingences de son temps. Oh, bien sûr, il fréquente les cercles – on lui attribue une appartenance à quelque cercle occultiste –, rencontre les artistes et se montre même tout à fait fasciné par la vie tourmentée de certains de ses amis peintres, dont Gauguin. Mais lui, n’en fait rien. Et s’il se plaint de sa condition de bourgeois – « Quel malheur d’être un bourgeois ! Je n’ai d’excuse que dans la douleur que cet état me donne », écrit-il dès ses années de formation à son maître en 1873 –, il ne trouve comme possibilité d’en sortir que sa propre rêverie éveillée. Il échappe à tout, ne s’embarrasse guère d’un atelier et se montre même malaisé quand il s’agit de diriger un chantier de grande envergure, et surtout il déteste les voyages, à une époque où bon nombre d’artistes cherchent à vivre l’expérience du voyage.
Lui, il se contente de dessiner et de peindre avec une pleine conscience de l’expérience intime, y compris de déplacement, qu’il lie à ces pratiques – « nous ne pouvons pas bouger la main sans que tout notre être ne se déplace ». Il écrit également, et en amoureux de la littérature il écrit de façon admirable. La réédition récente du recueil À soi-même chez José Corti est éclairante sur un esprit ouvert, lumineux, qui s’interroge sans cesse sur ses finalités propres. On sent dans ses réflexions que la tentation plastique est là, y compris très tôt vers la forme abstraite, qu’il théorise de manière magistrale : « Mais je vous le dis aujourd’hui, en toute maturité consciente, et j’y insiste, tout mon art est limité aux seules ressources du clairobscur et il doit aussi beaucoup aux effets de la ligne abstraite, cet agent de source profonde, agissant directement sur l’esprit ». Hors contexte, et sans signature, il serait assez aisé d’attribuer ce type de propos à Wassily Kandinsky dans Du spirituel dans l’art, et dans la peinture en particulier (1910) ou d’autres écrits plus théoriques du peintre abstrait russe. Il faut dire qu’Odilon Redon ouvre la voie, et il l’ouvre tous azimuts. Il ouvre vers le chromatisme, bien sûr, mais aussi vers la forme onirique, donc pré-surréelle ; enfin, il place ce niveau de sensualité qu’il associe à cette haute forme de spiritualité qui irriguera tout le XXe, en marge des avantgardes : en cela, il se situe à un siècle d’intervalle comme l’un des pères de Yves Klein et de Mark Rothko, tout en affirmant ses propres héritages classiques. Mieux que quiconque, le critique d’art américain Walter Pach insistait dès le début du XXe sur « la capacité [d’Odilon Redon] de s’inscrire dans l’avenir, tout en maintenant une obligation par rapport au passé ». Sa dette envers le passé est grande, elle se mesure à la hauteur des expériences plastiques dans lesquelles il s’aventure : Le Titien de la toute dernière période, Nicolas Poussin, Goya forcément, ou Eugène Delacroix alimentent, parfois même inconsciemment, cette volonté de s’émanciper de la ligne, ou de faire en sorte que celle-ci s’émancipe elle-même pour donner du volume, de l’amplitude, de la vibration pour employer un terme anachronique, au motif figuré. Retournons à son contemporain, Heinrich Wöllflin qui contrairement à d’autres, situait parfaitement les enjeux de son temps – la revalorisation du baroque à laquelle il a participé activement l’y aidait d’une certaine manière –, anticipant de fait l’éclatement de la figuration.
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Dans sa manière d’opposer le « linéaire » au « pictural », il précise que les « possibilités de l’art pictural se révèlent dès que la ligne se voit déclassée de sa fonction limitatrice ». Bien sûr, il pense aux Impressionnistes qui ont œuvré dans ce sens-là, il pense également aux artistes post-impressionnistes qui ont libéré la peinture de son carcan linéaire, mais il songe déjà à des formes qui font que « la vie naît et se répand partout à la surface comme une onde et un scintillement ». Odilon Redon est porteur de cette vie-là. “Onde”, “scintillement” – le scintillement plus fort que le sentiment ? –, quels seraient les mots qui pourraient mieux qualifier la peinture de celui qui est devenu la figure tutélaire des Nabis, le groupe fondé par Paul Sérusier et théorisé par Maurice Denis ? Rodolphe Rapetti, adjoint au directeur des Musées de France, qui a dirigé le catalogue de l’exposition au Grand Palais en 2011, rajouterait “indétermination”, en insistant sur la poésie et la littérature comme « des stimulants de l’imaginaire » chez le peintre. Ces plaisirs de l’indéterminé qui faisaient que Redon fouillait parfois dans ses anciens croquis pour y trouver de quoi illustrer un recueil de textes en cours l’ont amené parfois à repenser le motif en fonction de l’impulsion de l’instant. Avouant son attirance pour « l’incertain », il anticipe toutes ces démarches très contemporaines construites autour de l’aléatoire, de Dada à John Cage par exemple. C’est le cas en ce qui concerne son Cyclope tardif, daté de 1914, qui relate l’une des scènes des Métamorphoses d’Ovide : le cyclope Polyphème qui s’est épris de Galatée, une néréide, découvre la passion de la jeune femme pour Acis ; il décide d’écraser les deux amants. La version qu’en propose Redon semble apaisée ; le cyclope apparaît derrière la montagne et observe la jeune femme nue qui tente de se dérober à son regard. De repentir en repentir, Acis, sans doute présent dans un premier temps, laisse la place à une forme colorée au premier plan à droite, recentrant de fait notre regard à la fois sur la jeune femme et le cyclope. L’expression de ce dernier dit le contentement de la découvrir ainsi, mais aussi la complicité qu’il tente d’installer avec le spectateur
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lui-même – on mesure la situation de trouble qu’on peut associer à pareille complicité, surtout quand on connaît l’issue du drame qui se joue. D’après les historiens, il y a fort à parier que la composition initiale occultait la présence du cyclope et que nous avions là l’un des motifs récurrents de l’œuvre de Redon, à savoir une figure féminine perdue au cœur de la montagne. Le fantasme qu’il associe à cette figure isolée, il le formule avec une certaine emphase dans À soimême : « L’isolement de l’objet aimé fait son éclat et sa force. […] La plus âpre des voluptés serait de posséder en un désert l’être qui est le plus sacré. […] Il y a une puissance de bonheur qui ne peut être atteinte que là. Ô femmes ô montagnes, quel monde est le plus grand ? On répondrait selon les jours et les temps ». Ça n’est que dans un second temps que la figure du cyclope, elle aussi récurrente dans son œuvre – avec cette obsession de l’œil –, fait son apparition donnant ainsi un sens nouveau à l’ensemble de ce petit tableau, à la fois charmant et inquiétant. Après, on le sait, Odilon Redon se distingue par ses choix chromatiques, c’est le cas dans ce tableau comme dans beaucoup d’autres, Le Char d’Apollon (vers 1910), ou des œuvres plus anciennes comme La Coupe du devenir (1894) ou Temple vitrail (vers 1900), entre autres œuvres exposées à la Fondation Beyeler. La couleur n’a pas chez lui une vocation paroxystique comme chez certains de ses contemporains, Cézanne par exemple ; elle lui sert d’élément de passage vers la vitalité. En excellent théoricien de son propre art, là aussi, il le formule magistralement : « Peindre, c’est user d’un sens spécial, d’un sens inné pour constituer une belle substance. C’est, ainsi que la nature, créer du diamant, de l’or, du saphir, de l’agate, du métal précieux, de la soie, de la chair ; c’est un don de sensualité délicieuse qui peut avec un peu de matière liquide la plus simple, reconstituer ou amplifier la vie. […] ». Puis, il évoque la « surface, d’où émergera une présence humaine, l’irradiation suprême de l’esprit ». On le constate, il se démarque là de l’approche strictement symboliste, et tend vers un ailleurs auquel feront écho les grandes tentatives du siècle qu’il ouvre ainsi. On ne peut s’empêcher de penser à Marcel Duchamp, et notamment à sa conférence magnifique sur Le Processus créatif, prononcée tardivement en 1957, mais qui semble résumer tout ce qui s’est passé entre Redon et les avant-gardes d’après la Seconde Guerre mondiale. Duchamp parle de l’artiste comme d’un « être médiumnique qui, du labyrinthe par-delà le temps et l’espace, cherche son chemin vers une clairière ». Duchamp a été subjugué par Redon, et par son intermédiaire, d’autres l’ont été eux aussi, gardant peut-être pour eux-mêmes ce qui reste de la part du secret, cette chose que d’aucuns ne souhaitent révéler. Aujourd’hui, l’exposition de la Fondation Beyeler, comme celle du Grand Palais en 2011, semble un peu lever le voile sur une figure décidément essentielle. ODILON REDON, exposition jusqu'au 18 mai à la Fondation Beyeler à Riehen (Bâle). www.fondationbeyeler.ch
Odilon Redon, Le Cyclope, vers 1914 Huile sur carton sur bois, 65,8 x 52,7 cm Musée Kröller-Müller, Otterlo Photo: Collection Musée Kröller-Müller, Otterlo
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Par Mickaël Roy
Du phare, du signe, des sémaphores !
Avec une sélection d’œuvres d’artistes majeurs, l’exposition Phares tente – sans être exhaustive – une traversée de l’histoire de l’art occidental de notre temps par la mise en œuvre de dialogues sensibles, parfois lumineux.
Dan Flavin, Untitled (to Donna) 5a, 1971, © Adagp, Paris 2013
Après la généreuse exposition inaugurale Chefs-d’œuvre ? présentée à l’ouverture du Centre Pompidou-Metz en 2010, Phares s’annonce comme un nouvel événement néanmoins plus réduit. L’adage populaire voulant que la quantité ne fait pas la qualité, ce sont dix-huit œuvres, importantes par leurs dimensions qui, entre 2014 et 2016, vont occuper la grande nef du Centre Pompidou-Metz, espace dédié dès l’origine du projet architectural de Shigeru Ban et de Jean de Gastines à l’accueil de pièces monumentales. Le titre de l’exposition si prometteur – écho à Charles Baudelaire et à son poème éponyme extrait des Fleurs du Mal – laisse rêveur : allons-nous être éblouis ? Les « phares » que l’auteur évoquait s’appellent Rubens, Vinci, Rembrandt, Michel-Ange, Watteau, Goya, Delacroix : des peintres de la lumière pour certains, du drame pour d’autres, somme toute des figures tutélaires d’une histoire européenne de la peinture moderne. Leurs successeurs, convoqués comme les pères et
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repères d’une autre modernité artistique au courant du XXe, se nomment Picasso, Delaunay, Miró, Hantai, Viallat, Francis, Beuys, Nevelson, Mitchell, Stella... Leurs œuvres, ménagées à la faveur d’un parcours qui s’affranchit volontairement d’un parti-pris chronologique, participent ainsi pour certaines à une remise en question de la figuration, pour d’autres à sa reprise, son abandon, voire sa transgression jusqu’à l’abstraction de la chose vue et représentée. Puisque le phare en tant que moyen de signalisation est communément vu comme ce colossal vigile esseulé en bordure du monde, on ne s’étonnera pas que l’accrochage choisi file cette métaphore en accordant un espace de monstration spécifique quasiment à chaque œuvre exposée. Ce parti pris tantôt monographique tantôt permettant des croisements, réserve de belles surprises. Ainsi la magistrale série de peintures à l’huile de Yan PeiMing Survivants, qui par de grands coups de brosse si caractéristiques, dépeint une présence humaine entre fragilité et permanence. Cette présence est également interrogée à quelques cimaises de distance par Fernand Léger avec une œuvre aux tonalités éteintes, Composition aux deux perroquets qui témoigne d’une mélancolie propre à l’entre-deux-guerres. Plus loin, après une parenthèse anecdotique où Degottex côtoie Alechinsky et Soulages, ce sont d’intéressantes transitions qui ravissent le regard, lorsqu’en fin de parcours, après un long “focus” pictural, la sculpture jusque là réduite à la part congrue avec cinq propositions au total seulement, achève de transmettre un renversement : la couleur et la lumière sont devenues au tournant du XXIe siècle les moyens d’une réflexion sur la perception sensorielle comme enjeu de l’art alors qu’ils étaient les outils de la représentation hier. C’est ainsi qu’un miroir concave d’Anish Kapoor tutoie de près une composition saisissante faite de tubes fluorescents de Dan Flavin, avant que celle-ci ne laisse place à une œuvre de l’artiste Robert Irwin qui questionne l’absorption de l’image par l’espace de l’exposition alentour. Preuve qu’un phare est encore plus rayonnant quand il se fait environnement ! PHARES, exposition jusqu’en 2016 au Centre Pompidou-Metz. www.centrepompidou-metz.fr
Par Vanessa Schmitz-Grucker
En roue libre
Le premier plan cinématographique en 1895 imposait aux ouvrières en scène d’accélérer « leur marche pour s’adapter au temps du défilement de la bobine ». Ce constat établi, Fabien Giraud et Raphaël Siboni présentent deux nouvelles séries de vidéos qui interrogent et les limites de la technique et les connexions entre l’homme et la machine.
The Unmanned (1997 : The brute force), 2013, Episode 2 de la série, 26 minutes, vidéo 4K Courtesy of the artists
La Vallée von Uexküll enregistre cette course technologique qui pourrait bien élever, un jour, la technique à la qualité de l’œil humain. Un coucher de soleil dans le désert est filmé sans objectif ni lentille. Les artistes réitèrent le geste à chaque évolution technologique, guettant le moment où le médium sera aussi performant que l’œil humain. Cette série abstraite ne nomme pas ce que nous voyons mais ce que nous ne voyons pas et ce qui nous regarde : la caméra. Une nouvelle physique, une nouvelle économie des corps et de son environnement deviennent possibles. De cette possibilité découle des données spatio-temporelles qui ne participent plus de la représentation mais de la confrontation entre le genre humain et ses créations. L’art peut légitimement se positionner comme vecteur d’une prise de conscience des dérives ou des évolutions inattendues
de ce que l’Homme a pensé et généré. À l’instar de Deep Blue qui a battu Kasparov aux échecs en 1997, le duo français est fasciné par ces machines qui prennent le dessus sur l’Homme. Au sous-sol du Louvre, ils filment sur rail l’unique accélérateur de particules présent dans un musée français. Cette expérimentation confirme les théories de l’imprévu et de l’aléatoire lorsque l’accélérateur de particules réduit en pièce la caméra détectée. The Unmanned – littéralement « sans équipage » – propose un espace de représentation où la figure humaine n’est plus réduite à une unité de mesure, au sens où Protagoras l’identifiait, mais où les questions d’échelle, de lumière et de temporalité immanentes à l’objet font surface sans l’intervention de l’Homme. La question du temps prend alors tout son sens. Dans La Mesure Minérale et La Mesure Louvre, le regardeur observe un temps qui n’est plus le sien et qui se passe de sa présence pour exister. Le temps du minéral filmé nous évince. Nous participons de cette navigation mais certaines données nous échappent au point de nous exclure et d’exploiter, malgré nous, notre absence. C’est une véritable histoire de la technique qui se joue sous nos yeux et qui nous échappe tout à la fois. Et lorsque l’homme est réintégré dans ces processus, il se retrouve dans un monde à la dérive, sans échelle propre. Ainsi, les deux premiers épisodes de la première saison de The Unmanned se jouent autour de l’histoire de Ray Kurzweil dont le clone, Friedrich, est à la fois le fils et le père. Un paradoxe du transhumanisme qui donne à lire tous les effets pervers de l’alliance de l’homme et de la machine. FABIEN GIRAUD & RAPHAËL SIBONI – THE UNMANNED, exposition jusqu’au 27 avril au Forum d’art contemporain Le Casino à Luxembourg. www.casino-luxembourg.lu
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Par Claire Tourdot
Tête d’affiche
Après Marseille, Washington, São Paulo, Vevey et Grottaglie, le photographe urbain JR vient investir les murs de Baden-Baden avec le projet UNFRAMED. L’occasion pour le Musée Frieder Burda de porter un regard rétrospectif sur le travail d’un artiste contemporain citoyen du monde.
UNFRAMED, Baden-Baden, 2014 © Klaus Schultes
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Automne 2005. Paris est secoué par une série d’émeutes en banlieue qui se généralise rapidement à toute la France. Encore peu connu du grand public, l’artiste de street art JR photographie au 28 mm les jeunes de ces quartiers oubliés et affiche illégalement leurs visages grimaçants dans les rues du Marais. La série « Portrait d’une génération » voit le jour, caractérisant toute l’humanité d’un photographe à l’objectif grand ouvert sur le monde. Les projets s’enchaînent, séduisent amateurs et organisations, passant d’un affichage sauvage à des commandes officielles. La planète toute entière se
transforme en une galerie d’art sans frontière à ciel ouvert pour celui qui imprime ses portraits d’anonymes en noir et blanc avant de les coller sur les murs des métropoles. Une œuvre vivante bien qu’éphémère que le Musée Frieder Burda condense le temps d’une exposition rétrospective, où chaque visiteur peut intégrer les lieux de façon ludique grâce à la mise en place d’une cabine photomaton. Photos et vidéos à l’appui, les projets portés par l’artiste au fil de ces dernières années sont retracés dans une scénographie à grande échelle, à l’image de Women are Heroes. En 2008, JR accompagné de sa fine équipe se rendait dans les régions les plus défavorisées du globe – Brésil, Cambodge, Kenya, Sierra Leone – pour rendre hommage aux femmes, actrices majeures de toute société mais aussi premières victimes de conflits subis. De cette gigantesque fresque avait pris forme le documentaire éponyme, présenté au Festival de Cannes en 2010 dans la catégorie Caméra d’Or. Déjouant toute incompatibilité entre art urbain et espace public, JR fait de ses productions le point de départ d’une réflexion sur la liberté, l’identité et cet irrépressible besoin d’appartenance communautaire à l’heure de la globalisation. Une pratique artistique engagée et accessible par tous, au point d’être générée par le spectateur lui-même au moyen d’un projet itinérant un peu fou dénommé UNFRAMED. Le photographe s’efface pour laisser place aux clichés personnels d’individus qui lui ouvrent leurs albums de famille, provocant l’interaction entre regardeur et regardé. Aussi, les habitants de Baden-Baden ont partagé leurs souvenirs avec le photographe autour du thème de l’amitié franco-allemande. Et c’est peut-être cette dimension participative qui est la plus immédiate : découvrir in situ, au hasard d’une flânerie, le portrait d’un inconnu oublié jusque là dans le tiroir d’une vieille commode, désormais visible au regard de tous, rejoignant une histoire commune. JR, exposition monographique jusqu’au 29 juin au Musée Frieder Burda à Baden-Baden et de les rues de la ville. www.museum-frieder-burda.de
Par Vanessa Schmitz-Grucker
Juste (après) la fin du monde
Reinhold Würth rencontre Anthony Caro en 1995 alors qu’il travaille à son chef d’œuvre, The Last Judgement, exposé à la Biennale de Venise en 1999. Il collectionne dès lors 48 pièces de l’artiste lesquelles sont présentées à titre posthume après le décès de l’artiste survenu en octobre 2013.
Détail de The Last Judgement 1995-1999 Photo : Philipp Schönborn
Sur les docks de Londres, un homme se promène au milieu des matériaux que des marins s’apprêtent à condamner au rebut. À la craie, il signe “A.C”. Anthony Caro réserve ces pièces pour ses sculptures d’acier. En rupture avec sa formation classique dont témoigne un bronze aux allures antiques de 1946, fasciné et par les minimalistes américains et par son nouveau maître Henry Moore, la pensée du jeune britannique va désormais s’articuler autour du matériau de récupération : « la sculpture n’a comme mérite que ceux qui sont intrinsèques à sa nature – soit c’est une camelote sans vie, soit elle porte en elle son intention, soit elle a de la poésie, soit elle n’a rien ». Cette définition de l’œuvre sculptée présuppose d’évacuer tout ce qui pourrait gêner sa lecture, à commencer par le socle. Emma Push Frame est l’aboutissement de ce vocabulaire abstrait où le volume est circonscrit par des lignes souples, légères, courbes. L’œuvre achevée, Caro renouvelle son geste plastique. Il refuse la triste sérialité que les américains s’imposent. Delphi, une manille de chaîne marine peinte, posée à même le sol, « ne raconte pas une histoire. Elle signale ». L’œuvre ne se justifie que par sa seule présence. Aux mêmes considérations, Caro expérimente des réponses nouvelles. Il s’intéresse aux avant-gardistes et
fait vivre en trois dimensions tantôt La chaise de Van Gogh tantôt Les baigneuses à la rivière de Matisse. Mais ce qu’il veut approcher et questionner au plus près, c’est avant tout l’architecture. En 1993, il écrit « En me préoccupant d’architecture, j’ai récemment découvert un filon abondant, où il est question de confinement et d’enveloppement, et même de peau. (...) C’est bien ce qu’est un bâtiment : l’inclusion d’un espace personnel évidé dans l’espace du monde. Cette sorte de sculpture est effectivement une évolution du cubisme ; je la vois comme un cubisme à l’envers. Non un dépliement et une défragmentation, mais un enveloppement ». Caro revient alors, si ce n’est à la figuration, au moins à la narration. Derrière la première porte de The Last Judgment, 28 stations composées de céramique, de béton, de laiton, d’acier, de chêne, de bois d’ekki et bois de jarrah entraînent le regardeur dans une débauche de matière et de volume au sein de ce que l’artiste a conçu comme une architecture inversée parce que construite de l’extérieur vers l’intérieur. L’ensemble est une matière vivante, une peau dans laquelle on se glisse pour avancer jusqu’à la dernière porte, la porte des trompettes, qui sonne la Fin. Entre thèmes bibliques, mythologiques et politiques, l’œuvre ne renvoie plus à elle-même mais au regardeur, à sa propre existence, à sa propre fin. ANTHONY CARO – ŒUVRES MAJEURES DE LA COLLECTION WÜRTH, exposition du 7 février au 4 janvier 2015 au musée Würth à Erstein. www.musee-wurth.fr
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Par Emmanuel Abela
sinon
la vie même
Robert Cahen, pionnier de l’art vidéo, n’a cessé d’interroger notre propre regard, et par delà ce regard, l’image elle-même. Avec les œuvres de son exposition Entrevoir, il nous révèle son obsession d’une forme de vitalité.
Robert Cahen, Traverses, 2002, 30’, projection vidéo en boucle, couleur, muet. Effets spéciaux : Patrick Zanoli.
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Il suffit parfois d’une image pour que l’émotion passe. Dans le cas de l’exposition Entrevoir de Robert Cahen au MAMCS, ce sont bien les deux vidéos consacrées à sa sœur Françoise, Françoise (2013) et plus encore Françoise endormie (2014 ), qui donnent la compréhension du tout, non seulement de l’exposition elle-même, mais peutêtre même de l’œuvre de l’artiste toute entière. Dans la première, Françoise le regarde, elle vit ; dans la seconde, nous la regardons, elle vit également, mais cette fois-ci elle ne vit plus que par les légers mouvements que donne l’artiste à la caméra en la filmant. L’impression est renforcée par l’idée de projeter le film sur un rideau ; la matière filmique se mêle à l’instabilité du support pour révéler l’extrême vitalité du tout. Robert Cahen n’a jamais cherché autre chose que cette vitalitélà. Avec un brin d’émotion dans la voix, il nous renseigne sur ses finalités propres : « Ce que je cherche à exprimer fortement c’est ce désir lié à la vie, et naturellement c’est la rencontre avec l’autre. Nous portons cette vitalité, mais nous n’en sommes pas conscients. Quand je la vois chez les autres, notamment chez ceux qui donnent tout par le regard et la gestuelle, elle me remplit, me rend pleinement heureux. J’aimerais partager ce bonheur-là ». À l’écouter, on se remémore cet extrait magnifique dans American Beauty, ce manifeste mélancolique que l’auteur attribue au jeune Ricky Fitts : « Sometimes there’s so much beauty in the world, I feel like I can’t take it, and my heart is just going to cave in ». La mélancolie, n’est-ce pas cela précisément, le fait de se heurter constamment à la réalité du monde ? Robert Cahen, lui, s’y confronte depuis qu’il a débuté comme compositeur au sein du Groupe de Recherche Musicale dans la classe de Pierre Schaeffer, le père de la musique concrète. Il se souvient du moment de bascule qu’il opère du son vers l’image : « Pierre Schaeffer découvre la musique concrète en écoutant un solo de violon de Bach ; le disque est rayé et tourne sur lui-même. Il s’aperçoit qu’on peut écouter le son pour lui-même. Cette petite chose a suffi à m’ouvrir sur les sons du monde ; elle a changé ma position d’écouteur. Lorsque j’ai eu la chance d’entrer dans les studios de l’ORTF et d’utiliser les prototypes de l’extraordinaire
service de recherche de la chaine, j’ai découvert qu’on pouvait travailler la texture de l’image, en cela, la vidéo se réappropriait ce que le cinéma avait déjà mis en place. » Il poursuit : « Dès lors, je me suis intéressé aux possibilités qu’offraient ces machines que je ne manipulais, non pas en technicien, mais très vite en peintre et en fabricant d’images qui quitte la réalité pour traduire autre chose ». Cette approche picturale, on la perçoit beaucoup plus clairement, notamment quand on s’attache aux portraits dans l’exposition, lesquels comme pour Françoise, ont pour point de départ une image fixe, laquelle vibre et s’anime. Robert Cahen l’avoue : « J’aimerais être peintre, mais dans la peinture, il y a cette matière de la peinture elle-même qui se met à vivre, comme chez Francis Bacon par exemple. Je n’ai pas de formation dans le domaine des arts plastiques, et ce qui m’intéressait c’était de faire du cinéma différemment. La vidéo m’offrait cette liberté d’être comme le peintre dans l’interprétation de la réalité. Là où je suis d’accord c’est que dans cette fixité, il y a le mouvement. Dans ma propre histoire, la mise en mouvement d’images fixes m’a obsédé. C’est même une chose primordiale. Elle permet au spectateur de se projeter dans ce que je lui offre et de se raconter sa propre histoire. Dans le ralenti, le temps dilaté fictionne la réalité ; ça n’est pas toujours vrai, mais j’aime travailler sur cette idée-là ». Et pourtant, le réel est là, il rejaillit même avec force dans ce travail d’une extrême cohérence qui sous-tend le questionnement pluriséculaire sur la vie et la mort, et naturellement sur ce qui s’inscrit, apparaît et disparaît. « J’espère bien sûr que cette cohérence émerge et qu’on puisse glisser d’une pièce à l’autre pour se rendre compte que l’“auteur” met en scène ses propres obsessions », nous précise-t-il avec ce brin de malice qu’on rencontre chez celui qui se sent percé à jour. On en revient à ces vidéos consacrées à Françoise, éléments centraux dans l’exposition – bien que situés à la périphérie des autres œuvres, comme des clés de lecture qui se méritent –, et à ce très beau texte que leur consacre le critique Gianluca Solla dans une magnifique édition italienne à tirage limité, Un volto, un paese, un viaggio. Per Françoise : Devant un visage, nous sommes toujours confrontés à l’énigme de son apparition. Ainsi, chaque visage est pour nous, avant tout, une circonstance toujours nouvelle, un commencement de plus, un « nouveau début » évident qui nous apparaît devant les yeux. ROBERT CAHEN, ENTREVOIR, exposition jusqu’au 11 mai au Musée d’Art Moderne et Contemporain de Strasbourg. www.musees.strasbourg.eu
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Par Cécile Becker
Merveilleux des yeux Regarder le monde autrement. Une invitation lancée par Elodie Royer et Yoann Gourmel – les deux nouveaux commissaires invités du CEAAC – pour une trilogie d’expositions dont le premier acte renoue avec l’enfance sous le regard de Rose, personnage du livre Le Monde est rond de Gertrude Stein.
« Ça pourrait être une petite maison ! » lance un enfant à l’attention du guide Gérald Wagner, tout en observant l’un des tableaux de la série de peintures à l’huile d’Etel Adnan représentant le mont Tamalpaïs. Non, pas vraiment. Oh, et pourquoi pas ? Oui d’ailleurs, pourquoi pas ? Qu’est-ce qui nous empêche de voir une œuvre comme l’on aurait envie de la voir ? Rien, ni personne. Et surtout pas au regard de cette exposition qui nous invite à penser le monde autrement, à renouer, parfois, avec certains automatismes enfantins et à stimuler notre imaginaire. Dès la première salle, l’invitation est claire. Un grand et large pan de tissu multicolore signé Ulla von Brandenburg est suspendu au mur. Passé le plaisir pur de la couleur, une interrogation : où est passée l’entrée du musée ? Il faut s’aventurer sous cet abri, se pencher, comme on le ferait enfants dans nos cabanes aventurières, pour trouver le passage vers la seconde salle
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où l’on peut visionner un film abstrait réalisé par la même artiste, donnant vie aux objets. Plus loin, l’installation magistrale de Ryan Gander saute aux yeux : 72 formes géométriques aux couleurs primaires sont installées dans la salle centrale. Un petit personnage qui pourrait être un enfant, ou un petit adulte, est descendu de son socle pour jouer mais semble perdu. Est-ce pour symboliser une chambre d’enfant mal rangée ou le monde dans tout ce qu’il a de plus primaire ? L’interprétation est libre. Sur les murs, des phrases ça et là, écrites par l’artiste muet Joseph Grigely, nous invitent à voir des bambous, à regarder le monde en faisant le poirier ou à entendre une chanson de Jeanne Moreau. L’interaction avec le spectateur fait partie inhérente de cette exposition : par les déplacements, par les regards ou par l’imagination que peuvent susciter toutes les œuvres présentées. C’est comme si nous étions la Rose de Gertrude Stein explorant le monde comme bon lui semble. Les deux commissaires, Elodie Royer et Yoann Gourmel qui travaillent ensemble depuis 2006 expliquent : « Dès le début, nous avons réfléchi à une trilogie, comme une exposition-personnage, basée sur la littérature. Les trois personnages sont distincts, mais ils sont tous des enfants sans âge, des personnages ouverts dans lesquels on peut se projeter. Avec Rose, nous avons exploré un rapport à la nature, au langage et au mot comme image. Ceci dit, cette exposition n’est pas une adaptation d’un roman, comme on adapterait un roman au cinéma, tout n’est pas systématiquement à ramener à l’œuvre et à ce personnage ». Et si l’émerveillement peut être ressenti par le spectateur, il l’est d’abord par ces artistes qui observent le monde en se plaçant de côté, parfois loin. Lors des deux prochains volets, « chacun révèle une atmosphère différente » précisent les commissaires, nous croiserons Seymour de Salinger et Ernesto de Marguerite Duras. Des étapes de vies, des passages, des imaginaires, des couleurs. Rose nous enchante, la suite est prometteuse. ROSE, exposition jusqu’au 25 mai au CEAAC (Centre européen d’actions artistiques contemporaines) à Strasbourg. www.ceaac.org
Par Vanessa Schmitz-Grucker
L’impertinente À l’occasion du festival Excentricités à l’ISBA de Besançon, Anne Zimmermann présente une performance basée sur le recueil Peau et Truie, à paraître en avril.
La performance est une pratique artistique très actuelle dont les pionniers restent relativement proches de nous. Comment avez-vous abordé pour la première fois ce médium ? J’étais en recherche de sincérité et, avec l’objet manufacturé, figé, il me manquait toujours cette authenticité. Via la performance, j’ai le sentiment de pouvoir nourrir des choses plus personnelles. On rajoute du vivant avec tout le risque que cela comporte ! Mais j’ai bien conscience de ne pas être pionnière. Aujourd’hui, il n’y a plus un événement sans performance, on en tomberait presque dans l’animation, le divertissement. C’est ce que je veux éviter. Je veux que le public s’approche au plus près de mon propos. Quels seraient ces pionniers qui alimentent votre propos ? Les actionnistes viennois, mais sans la violence ! Je ne veux pas être provocatrice. On dit souvent de moi que je suis impertinente, que je suis une gamine mal élevée. Je n’ai pas l’impression d’être provocante, j’essaie juste d’être en accord avec moi-même. C’est une façon de mettre une distance entre soi et ce monde si peu évident, une distance qui permet de se retrouver. La vérité c’est que la révolution, je ne sais la faire que dans mon salon ! Vous participez au festival Excentricité de l’ISBA. Comment préparez-vous cet événement ? Nous allons encore y travailler mais l’idée est de présenter la performance sur le mode du concert. On sera deux, moi à la voix et Alexandre Kittel au son. Ce sera un mix entre batterie et son électronique pour présenter l’ouvrage. L’idée est vraiment de mettre en avant la publication en prenant des extraits de textes. On va donc répéter, ce que je n’ai jamais fait auparavant. Je serai dans une position plus verticale, comprenez par là que, d’habitude, je suis souvent au sol, ce qui permet des configurations plus libres. Le rapport avec le public sera moins frontal mais je me réserve toute la marge de liberté que permet la performance au sein de cette partition. Votre base de travail est Peau et Truie à prononcer avec l’accent anglais comme poetry. Vous parlez de “publication”, de “recueil”, “d’édition”, vous avez du mal à le situer, c’est un ovni littéraire… Oui ! Ce sont 10 ans de textes personnels qui ont toujours été utilisés pour mes performances. Parfois, il s’agissait juste d’un mot. Il y a des performances où je ne dis quasiment
rien. La dernière, Plume et Miel, j’émettais juste des râles, des bruitages. La performance n’est jamais figée et ces textes sont toujours là. À chaque fois, il faut trouver d’autres systèmes de présentation. À l’ISBA, la grande nouveauté ce seront les images projetées sur un écran pour ponctuer le spectacle. Est-ce que vous qualifieriez ce travail d’absurde? Oui, je ne me prends jamais au sérieux, mais peut-être est-ce parce que je n’ose pas m’avancer et énoncer les choses clairement. Je fais des pirouettes pour brouiller les pistes un peu comme un clown. Mais un clown a toujours un fond sérieux. Le clown est toujours angoissé. Le clown est triste. EXCENTRICITES 5 : LE BANQUET, festival les 15, 16 et 17 avril à l’ISBA de Besançon. Performance-concert d’Anne Zimmermann le 17 avril. www.isbabesancon.com www.anne-zimmermann.com
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Par Benjamin Bottemer — Photo : Elisabeth Carecchio
live
fast 78
Dans Les Jeunes de David Lescot et Pearl, ou l’histoire très librement inspirée de la vie de Janis Joplin de Paul Desveaux, le rock débarque sur la scène du théâtre avec armes et bagages, diffusant la musique live, à la rencontre des bébés rockers comme des idoles immortelles. Théâtre rock, théâtre sur le rock ? Avant tout, des histoires d’ascension, de chute, de bonheurs et de désillusions. Le studio et la scène, deux environnements communs au théâtre et à la musique, constituent les espaces dans lesquels se jouent ces deux pièces : dans Les Jeunes, le concert fait figure d’étape dans le parcours initiatique de deux groupes de très jeunes ados, encadrés par un manager sans scrupule. Les trois garçons des Schwartz et les trois filles des Pinkettes, personnages joués par les mêmes actrices, se succèdent sur des scènes loin de ressembler à ce dont ils rêvaient, entourés d’adultes inquiétants, quasi-prédateurs. « Le festival dans lequel jouent les Schwartz est comme une forêt peuplée de bêtes malveillantes, décrit le metteur en scène et musicien David Lescot, tandis que les Pinkettes jouent dans un club plus que glauque. Il y a quelque chose du conte dans Les Jeunes, du cauchemar un peu délirant que peuvent constituer les premiers concerts ». Concernant Pearl, nous voici enfermés en studio, où la créativité débridée en espace clos est source de révélations, de moments de grâce et aussi de conflits. Nous n’y suivons pas vraiment Joplin, plutôt son double théâtral qui lui emprunte le surnom qui sera aussi le titre de son album posthume. À travers l’évocation de sa vie sont abordées l’histoire américaine des années 60 et 70 ou encore la question du carcan familial. « Sans évacuer toutes les références biographiques et historiques, l’intérêt visé était de construire un objet théâtral, pas un biopic, explique Paul Desveaux. Nous n’avons conservé que ce qu’il y avait de plus personnel dans la vie de cette icône ».
Au cœur de chaque scène de ces deux créations théâtrales battra une création musicale totalement originale, bandeson omniprésente jouée par les musiciens. « Les moments de musique live sont les plus forts, constituant les trois-quarts de la pièce, le reste ne sont que des transitions » précise David Lescot. Les bébés rockers de Les Jeunes jouent une musique primitive, sauvage, les comédiennes interprétant les textes originaux et tâtant parfois des instruments. Pour Pearl, encore une fois, la création, la réinvention musicale étaient tout aussi indispensables que celle du personnage principal : « il ne s’agissait pas non plus de faire un copier-coller de la musique de Janis Joplin » rappelle Paul Desveaux. L’aventure en studio de Pearl, dont les textes ont été écrits par Fabrice Melquiot et la musique composée par Vincent Artaud, a dépassé le cadre de la fiction : le groupe présent dans Pearl est lui-même passé en studio pour enregistrer la bande originale de la pièce. Quel apport, quelle place pour la musique, surtout au regard de l’immense présence scénique du genre, dans une pièce de théâtre ? « Pour le public, le concert est quelque chose de très frontal, tout en permettant la construction des personnages, indique David Lescot. Les textes des chansons suivent l’ascension et la chute des groupes. C’est là que le spectacle flambe ! » La musique et les textes sont également dans la continuité de la narration de Pearl, qui aborde le voyage intérieur mené par les membres du groupe, une rencontre entre la musique et le texte, en contrepoint de la vie des personnages et de l’époque de bouleversements dans laquelle ils évoluent : « la musique permet de raconter cette histoire d’une façon dont le verbe seul est incapable, explique Paul Desveaux. Elle est très charnelle – à plus forte raison en live – interpelle le spectateur à un endroit très sensible ; et c’est ce que doit être le théâtre ». À savoir si le théâtre des deux metteurs en scène entretient un rapport direct avec le rock, dans l’attitude et dans la revendication, les réponses sont plutôt nuancées. Pour Paul Desveaux, il est très présent mais pas central. Dans la lignée de son travail autour de la création et de l’intime entamé en abordant Pollock, Kerouac ou le Sallinger de Koltès, il explore avec Pearl une période qui le fascine. « Pearl parle de la société, des années 60 et 70 aux États-Unis, qui pouvaient produire le pire comme le meilleur. Quant au rapport entre rock et théâtre, ce sont deux arts scéniques, ils comprennent tous deux les dimensions de comédie, de jeu, de décalage de la représentation ». La figure de l’adulte face à l’adolescent semble être au cœur de Les Jeunes, à travers les questions de l’utopie, de l’exploitation, de la transgression et la métamorphose du corps illustrée par trois comédiennes aux allures d’adolescents androgynes. « C’est un spectacle à la fois drôle et cruel, où, à un moment, ces forces d’opposition que représentent les adultes pour les adolescents leur tombent dessus de manière assez violente. Ici le rock est comme un dessin d’enfant, l’illustration d’une période sauvage que j’ai voulu retrouver ». RING, festival Rencontres Internationales des Nouvelles Générations du 9 au 18 avril à Nancy et alentours. www.nancyringtheatre.fr LES JEUNES, le 14 avril au CCAM de Vandœuvre-lès-Nancy. PEARL, le 18 avril à la Manufacture de Nancy.
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Par Caroline Châtelet — Photo : François Sternicha
le théâtre
au corps
Pour son vingt-cinquième opus, Théâtre en mai confirme sa double attention à la création et à la transmission, en invitant aux côtés des jeunes équipes Pierre Debauche, énergique octogénaire et parrain de cette édition. Plutôt que de lister les dix sept spectacles présentés, la douzaine d’équipes réunies, soulignant par cette énumération la diversité des formes convoquées, si nous évoquions le festival à travers un seul artiste ? En l’occurrence Pierre Debauche, parrain 2014 de Théâtre en mai et figure centrale dans la formation théâtrale de Benoît Lambert [voir Novo 28, ndlr]. Né en 1930 à Namur, ce franco-belge qui revendique ses sept métiers de comédien, metteur en scène, scénographe, poète, chanteur, pédagogue et directeur a été de toutes les aventures de la décentralisation théâtrale. À l’origine de dixsept théâtres ou festivals – au sujet desquels il dit, non sans humour, « qu’ils continuent à fonctionner souvent mieux que [lui] » –, Pierre Debauche a aussi formé plusieurs centaines de comédiens. Une foi indéfectible en l’acteur, « le meilleur ami et le maître du metteur en scène », qu’il continue à mettre en œuvre à Agen. Installé là-bas depuis 1993, il y dirige le Théâtre du Jour, structure réunissant sa compagnie professionnelle (née en 1982) et le Théâtre-école d’Aquitaine qu’il a fondé en 1994. Rencontre avec un « utopiste de terrain », pour qui le nombre des années n’a pas entamé l’intégrité.
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Vous présentez à Dijon trois spectacles : La Danse immobile, Le Chant du cygne ou les 150 miroirs et Ah Dieu ! Que la guerre est jolie... Pourquoi ceux-ci ? Ce sont trois aspects de notre travail à Agen. La Danse immobile, pour lequel Daniel Mesguich m’a mis en scène, est le titre de l’un de mes recueils de poèmes. Le Chant du cygne ou les 150 miroirs offre un aspect curieux : Le Chant du cygne est une pièce en un acte de Tchekhov, dans laquelle deux vieux acteurs, enfermés dans le théâtre après leur toute dernière représentation, se racontent leurs souvenirs. Les « 150 miroirs », ce sont Robert Angebaud, Françoise Danell et moi, qui avons chacun cinquante ans de métier. Après avoir joué Tchekhov, nous passons à la réalité et racontons, avec la ferveur simple des gens à qui c’est arrivé pour de vrai, cinquante années de rencontres. Quant à Ah Dieu ! Que la guerre est jolie..., je l’ai créée en 1966 et la reprends pour le centenaire de 1914, avec un détail qu’il n’y avait pas avant. Les comédiens étaient auparavant plus âgés que les personnages, tandis que là, les élèves ont l’âge des « biquets » morts sur le front. Ce qui était de l’ordre du souvenir devient de l’ordre de la réalité, c’est immédiatement présent. Les voir porter cette monstrueuse histoire est émouvant, mais aussi très joyeux, puisque le texte raconte en même temps le formidable temps de paix que ça aurait été s’il n’y avait pas eu la guerre.
Comment regardez-vous l’évolution de votre travail ? Je veux mourir débutant. Je débute tout le temps, me méfie du savoir-faire et essaie à chaque fois de faire quelque chose que je n’ai pas encore fait. Je suis en cela la théorie des maîtres japonais qui disent qu’arrivé à mon âge, il faut apprendre non pas l’art de jouer – c’est déjà fait –, mais l’art de ne pas jouer. Et c’est un sacré travail. Si on réussit cette performance, on redevient par les voies de l’art un enfant, au sens candide du terme. Ce n’est pas simple, c’est une problématique qui oblige à des positions nouvelles de l’esprit... Mais pour le forain que je suis, qui n’a jamais voulu autre chose que le théâtre, une vie ne suffirait pas à en comprendre la complexité et la simplicité. Vous avez toujours été très attaché à l’enseignement... Si je continue d’enseigner c’est parce que je pense aux élèves, mais aussi à moi : ce n’est pas généreux d’enseigner, c’est égoïste, c’est votre recherche fondamentale. C’est une chose merveilleuse, on se retrouve au pied du mur et on remet en question tout ce qu’on connaît. Continuer cette recherche est essentiel, sinon on risque d’avoir une « manière » et de refaire toujours la même chose. Je dis souvent que le théâtre est un art de la maladresse, et qu’il faut laisser le perfectionnisme à nos ennemis. Quel regard jetez-vous sur l’évolution du théâtre ? Je suis très inquiet d’une espèce de complot qui consisterait à assassiner le désir. C’est imbécile, ce serait jeter le bébé avec l’eau du bain, car sans désir il n’y a plus de vie théâtrale possible. Nous demeurons aujourd’hui encore très largement dans la suite de la dérision obligatoire de l’après-guerre. Alors que ce n’est plus l’époque. Depuis la chute du mur de Berlin, nous avons de nouveau droit à la beauté, la simplicité, la page blanche. L’humour n’est pas dérisoire et la dérision est une chose épouvantable. Il n’y a pas d’amour là-dedans, ce n’est pas un mode de connaissance.
Pourquoi « depuis la chute du mur » ? C’est la date où j’ai constaté qu’il était de nouveau possible de dire un poème sans s’excuser. Je serai toujours désespéré d’avoir dû faire, entre le moment où j’ai commencé le théâtre – dans les années 50 – et 1989, un théâtre d’après-guerre. Un théâtre obligatoirement bizarre, presque aphone, qui lorsqu’il n’était pas un théâtre des ruines avec une obligation de baroque – le baroque étant l’art des ruines –, était un théâtre de la dérision. J’aurais aimé faire un théâtre comme maintenant, où il n’y a plus ces frontières du désespoir imposé. Ce « désespoir obligatoire », le ressentiez-vous à l’époque ? C’était l’air du temps, nous ne pouvions pas faire autrement. Enfin, si, il y a eu au départ trois grands étrangers qui ont sauvé la mise, Arthur Adamov, Samuel Beckett, Eugène Ionesco. En attendant Godot de Beckett mis en scène par Roger Blin a d’ailleurs été fondamental pour moi : tout à coup, la tragédie était reprise en main par des clowns, on pouvait de nouveau espérer quelque chose. Ces trois tentatives – qui consistaient à écrire un théâtre politique pour Adamov, tirer sur les ambulances du langage pour Ionesco, et reprendre en charge les enjeux de la tragédie pour Beckett – ont été appelées « théâtre de l’absurde ». Mais ça n’avait rien d’absurde ! C’était, au contraire, après Buchenwald et Hiroschima, le théâtre tout court, la tentative de sauver ce qu’il y avait à sauver, de remettre en marche le langage. THÉÂTRE EN MAI, festival du 23 mai au 1er juin à Dijon. www.tdb-cdn.com
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Par Claire Tourdot — Photo : Pierre Grosbois
To be continued
À l’heure où la télévision tend à détourner le public des théâtres, Mathieu Bauer décrypte les codes des meilleures séries télévisées américaines au service d’une forme théâtrale inédite. Découverte de la première saison d’Une Faille, entre réflexions sociologiques et intrigues affectives.
Qui n’a jamais été tenu en haleine à la fin d’un épisode clé d’une série ou éprouvé un sentiment de frustration après l’arrêt total du programme en question ? Poursuivant un travail de décloisonnement des arts, Mathieu Bauer n’a pas résisté à la tentation de confronter deux genres à la compatibilité étonnante : « Il y a là un nouveau mode de narration assez jubilatoire et le plaisir de pouvoir développer une histoire ainsi que ses personnages sur plusieurs saisons ». Avec Une Faille, il ose un audacieux feuilleton théâtral qu’il ancre dans le territoire social et politique du Nouveau Théâtre de Montreuil dont il est à la tête depuis 2011. L’intrigue est simple : un immeuble construit en dépit du bon sens s’écroule sur une maison de retraite. Il y a des morts, des blessés, mais surtout des survivants ensevelis sous les décombres. Cinq protagonistes se voient forcés de cohabiter dans l’insécurité en attendant l’intervention des secours. Un huis clos du monde d’en dessous qui fait écho à celui d’en dessus grâce à une esthétique cinématographique transposée à la scène. Projections vidéo, musique, hors champs, cadrages, plans rapprochés, etc., sont astucieusement mis en pratique pour une multiplication des lieux et perspectives. Le rythme soutenu et resserré établi par une équipe de scénaristes issus du monde de l’audiovisuel ne laisse aucune place à l’ennui, et
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c’est sans culpabilité qu’on s’engloutit d’une seule traite une saison entière de cette addictive production. Inspirations premières de l’aficionado, The Wire, Les Sopranos et Six Feet Under trônent au sommet du panthéon des séries favorites du metteur en scène : « Le divertissement y rejoint un tableau social et politique qui fait l’état de notre société actuelle. Tout comme l’intrigue de The Wire peut être transposée à n’importe quelle ville en récession, Une Faille concentre des thèmes universels comme la question du logement et du vivre ensemble ». Des pistes à la connotation politique stimulées par l’écriture de la sociologue Sophie Maurer : dialogues et répliques incisives mettent en place une pluralité des discours à l’image de la complexité des relations humaines. Commentant les péripéties qui s’enchaînent au fil des huit épisodes de cette première saison, les contre-points lyriques d’un « chœur de citoyens » – composé d’amateurs sélectionnés selon les lieux de représentation – rappellent que nous sommes ici avant tout au théâtre, face à une contemporanéité se jouant des frontières fictionnelles. À Strasbourg, l’ancrage social est d’autant plus fort que la pièce adapte son propos au contexte strasbourgeois et à la réalité de ses quartiers. On retient d’ores et déjà notre souffle en attendant la deuxième saison de cet haletant ovni théâtral... UNE FAILLE. SAISON 1 : HAUT-BAS-FRAGILE, pièce de théâtre du 4 au 12 avril au Théâtre National de Strasbourg. www.tns.fr
Par Sylvia Dubost
Bouger les lignes
Barbara Engelhardt, programmatrice de Premières, festival des jeunes metteurs en scène européens, nous dessine les lignes de force de l’édition 2014.
Peut-on dégager cette année des thématiques ou des préoccupations communes ? Le moteur de ma recherche n’est pas une thématique, mais il y a toujours un lien qui se dessine a posteriori. Un questionnement qui, malgré les nationalités et origines différentes, lie les artistes en tant que génération. Un partage d’inquiétudes, de visions et même d’utopies, de la part d’artistes qui essayent de trouver des issues à travers l’art. On pourrait trouver ce lien cette année dans le rapport entre un phénomène de société et sa propre vie, notamment avec la question de la responsabilité individuelle. Dehors d’Antoine Laubin traite de notre façon de vivre avec et malgré les sans-abris. Légionnaires du collectif letton s’appuie sur un fait historique [des soldats lettons recrutés de force par des nazis, réfugiés en Suède et dont les soviétiques demandent l’extradition à la fin de la guerre, ndlr] et pointe les responsabilités politiques et morales de chacun, sans poser de jugement. Peut-on aussi établir des liens esthétiques entre les spectacles ? Je recherche la diversité plutôt que la ressemblance. Cette Europe qui se traduit dans les formes théâtrales très différentes, je la trouve remarquable ! Les outils de travail déterminent forcément des esthétiques par rapport au jeu, à la mise en scène… Certains travaillent avec des troupes permanentes (les Hongrois et les Polonais par exemple) ; les ex-étudiants de Giessen se sont réunis en collectif et essayent
de réinventer le genre de l’opéra et ses moyens théâtraux ; chez le Suisse Thom Luz, le travail sonore devient un véritable protagoniste… Les influences sont très variées, mais tous sont à la recherche de la cohérence entre le fond et la forme. Pour cela, ils inventent une esthétique, essayent de bousculer des traditions. Il s’agit d’être à la hauteur du temps, de tout ce qui se fait aujourd’hui dans les différents domaines artistiques. Il n’y a pas de message ni d’esthétique à imposer, c’est la proposition qui prime. Y a-t-il des pays où la jeune scène théâtrale est particulièrement passionnante aujourd’hui ? Il y a certainement des pays qu’on n’a pas pu prendre en considération, on est sans doute passé à côté de pas mal de choses. Les pays qui bougent aujourd’hui sont aussi ceux où la situation devient difficile. En Hongrie et aux Pays-Bas, pour des raisons différentes, tout ce qui touche à la jeune création est menacé, les subventions sont supprimées. L’infrastructure est en place, des gens qui travaillent même sans argent, mais les structures disparaissent petit à petit. De manière globale, il y a la curiosité de savoir ce que devient le théâtre aujourd’hui : on part à la recherche d’un avenir et d’un futur qui commencent aujourd’hui. PREMIÈRES, festival des jeunes metteurs en scène européens du 5 au 8 juin à Strasbourg. www.festivalpremieres.eu
Dehors © Alice Piemme
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Par Claire Tourdot — Photo : Benoîte Fanton / WikiSpectacle
motif de
rupture Au programme du festival Nouvelles mené par Pôle Sud à Strasbourg, Sacré Sacre du Printemps prend à contre-pied le scandaleux chef d’œuvre de Stravinsky dont on fêtait l’an passé le centenaire. Laurent Chétouane réactualise la question de l’Autre dans une adaptation sacrificielle.
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Votre parcours est plutôt atypique : vous êtes passé par des études d’ingénieur chimiste avant de vous tourner vers le théâtre puis la danse. Comment expliquer cette orientation ? C’est pendant mon stage de fin d’étude à 22 ans en tant qu’ingénieur que je me suis rendu compte que je ne voulais pas exercer ce métier ! Depuis que je suis enfant, j’ai le profond désir de faire de la danse et passer par le théâtre m’a permis de réaliser ce désir. J’ai d’ailleurs abordé véritablement la danse en 2007 avec Paysage sous surveillance de Heiner Müller. Je ne sais pas si mon théâtre influence ma danse, ce serait plutôt ma façon de concevoir le corps et l’espace qui influence ces deux pratiques simultanément ! Vous habitez aujourd’hui à Berlin. Le rapport à la danse est-il différent en Allemagne ? Pour moi, le théâtre est tellement lié à Heiner Müller que mon envie de faire du théâtre devait passer inévitablement par la langue allemande. J’ai fait des études de mise en scène en Allemagne et j’ai décidé d’y rester car ma socialisation dans le milieu des arts de la scène est allemande. Pour mes productions, je suis passé par des structures germaniques mais je ne pourrais pas dire que ma forme de danse est allemande. Ces derniers temps, je me tourne un peu plus vers la France et mon prochain spectacle La Passion selon Saint Jean sera d’ailleurs coproduit par Strasbourg l’an prochain. Le Sacre du Printemps a fait l’objet de nombreuses adaptations. Est-il encore possible d’innover après les illustres lectures de Maurice Béjart et de Pina Bausch ? On peut toujours réinterroger les classiques de ce genre. Dans une époque comme la nôtre où on ne sait pas trop où on va, où il y a une recherche de racine commune, il est bon de remettre en question les classiques et de ne pas forcément être d’accord avec eux. Sacré Sacre du Printemps n’est pas une chorégraphie pour Le Sacre du Printemps, c’est un dialogue avec Le Sacre du Printemps. Le titre montre bien qu’on prend de la distance, que c’est une réflexion autour de la création de Stravinsky. D’ailleurs quand le rideau s’ouvre, c’est une autre composition musicale qu’on entend !
Vous avez collaboré avec le compositeur contemporain Léo Schmidthals. Les compositions de Léo Schmidthals introduisent puis concluent la musique de Stravinsky, elles l’encadrent. La première partie utilise certains éléments typiques présents dans la partition de Stravinsky – on prépare le terrain en quelque sorte – tandis que la dernière partie cherche une réponse à cet « après » Sacre du Printemps. On sait que pour honorer le printemps, il faut un sacrifice mais on ne sait pas s’il fonctionne... À ce propos, votre adaptation écarte la représentation concrète du sacrifice à l’origine de l’œuvre de Stravinsky. Une autre issue est-elle possible ? Il y a bien un sacrifice mais il n’est pas humain. En 1913, Stravinsky était inspiré par les croyances païennes mais le sacrifice n’est pas la seule réponse à la renaissance d’un groupe. Le sacrifice peut aussi passer par l’exclusion et même l’intégration ! Dire à l’étranger que s’il travaille et s’habille comme nous il pourra s’intégrer, c’est une manière de sacrifier ce qu’il est. Mais que se passerait-il si nous étions tous des sacrifiés ? Sur scène, on ne verra pas une personne « élue » mais tout le monde sera choisi. Un groupe va se constituer autour du refus de sacrifier un membre. Comment envisagez-vous le rapport au spectateur ? La pièce a plusieurs niveaux de lecture : on peut la lire d’un point de vue dramaturgique mais aussi politique ou formelle. Dans la chorégraphie originale de Nijinski, les danseurs développent un code particulier que le spectateur ne peut pas contrôler ou comprendre. Pour Sacré Sacre du Printemps, je me suis demandé comment trouver un système autour duquel les danseurs vont se rassembler et qui sera étranger au public. Les spectateurs vont inévitablement être étonnés et au fil des représentations, on a pu constater que les gens étaient parfois même très irrités. Certains réagissent en disant que c’est n’importe quoi alors que d’autres trouvent ça très précis comme interprétation. On essaie de casser l’image traditionnelle du danseur qui s’expose simplement pour montrer quelque chose de plaisant au public. Nijinski a ouvert la danse à la modernité. Quel héritage en conservez-vous ? J’en conserve un aspect brut au niveau du corps en tant que forme qui n’est pas complètement maîtrisable par une technique ou une culture. On a quelque chose en commun qui tient du maladroit, comme si le corps n’était pas contrôlé ou qu’il était malformé. Aujourd’hui, il est cependant plus difficile qu’à l’époque de Nijinski de trouver des formes qui peuvent surprendre, mais on touche avec Sacré Sacre du Printemps à une forme du corps « cru » qui peut vraiment surprendre. Les sept danseurs présents sur scène ont un très haut niveau technique : on a besoin de cette maîtrise pour ensuite retrouver un corps presque naïf. On peut imaginer ce groupe comme une sorte de meute qui vie ensemble, qui a ses propres structures et règles. SACRÉ SACRE DU PRINTEMPS, le 28 mai au Maillon Wacken à Strasbourg dans le cadre du festival Nouvelles du 15 au 31 mai. www.pole-sud.fr
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Par Cécile Becker
La « petite » Chambre devient grande. En construisant le festival Oblick sous-titré « Dialogues de la photographie », elle abat un travail considérable pour stimuler la jeune photographie suisse, allemande et française. Durant presque deux mois, des événements auront lieu sur le Rhin supérieur pour défendre la création.
ménage à
trois
La Chambre fait partie de ces rares acteurs culturels s’étant frottés aux joies de la collaboration transfrontalière avant l’émergence du programme Triptic. En 2012, elle organisait déjà les journées franco-allemandes de la jeune photographie, sorte de préfiguration d’Oblick, « the big one », des mots d’Emeline Dufrennoy, directrice de La Chambre, dont la première édition risque de bousculer la jeune création trinationale. L’idée ? « Nous sommes à Strasbourg le trait d’union entre trois grands pays de la photographie. Ses jeunes auteurs ont l’envie forte de se rencontrer. À travers le prix Oblick et ces neuf jeunes artistes des trois pays, nous voulons soutenir la jeune création, la partager, la faire circuler. Car il est difficile pour ces jeunes auteurs de se faire connaître et reconnaître ». Difficile de devenir un Charles Fréger, un Jürgen Klauke ou un Beat Streuli, les trois grands auteurs invités du festival « qui portent un regard bienveillant sur cette création », ajoute la directrice ; mais tout aussi compliqué de savoir parler de son travail. Charles Fréger qui a également animé le workshop Callacatacat à destination des étudiants de la Hear et de la FNHW explique : « On se retrouve avec des gens de 20 ans qui parlent avec des concepts, et moi, ça me fatigue. Il faut se simplifier la vie ! Le contexte scolaire brasse des théories alors que les fondamentaux qui sont la représentation du monde, on passe souvent à côté... ». Car au-delà de simples expositions, l’idée est aussi de réunir professionnels et artistes pour stimuler les partenariats. Un aspect parallèle à de telles initiatives pourtant primordial pour espérer faire fructifier la collaboration transfrontalière.
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Charles Fréger à la Chaufferie Si les trois grands auteurs de la photographie dont le travail est présenté par le festival Oblick ont en commun une certaine vision de l’identité, la plus surprenante se situe au tréfonds de nos racines européennes, immortalisée par Charles Fréger. Avec Wilder Mann, il a traversé l’Europe pour rencontrer ces « hommes sauvages » mus par la tradition et liés par leurs costumes étranges. Avec Wilder Mann, on se situe en tant que spectateur tellement loin de ces traditions dont on a peu ou pas connaissance, qu’on pourrait croire à une mise en scène. Cette série est-elle le moyen de rétablir une forme de vérité ? Non, ce n’est pas une affaire de vérité, ça documente des choses qui sont réelles et concrètes, le fait de les remettre en scène c’est ma façon à moi de les capturer. C’est à dire de présenter la figure comme dans une encyclopédie, comme un personnage de commedia dell’arte. Je voulais montrer la figure archétypique et me suis posé la question de comment la représenter.
Aujourd’hui, dans nos sociétés, on parle beaucoup de retour à une certaine authenticité. À travers ces traditions, ces hommes et femmes que vous avez rencontrés parlent-ils de retour aux sources ? Ils n’ont jamais vraiment arrêté de le faire, ça existe, c’est tout. Ce sont des traditions qui existent et qui ont été maintenues depuis longtemps. Elles ne sont même pas en voie de disparition, il y a même des endroits où elles s’épaississent. En Roumanie, en Autriche ou en Bulgarie, c’est très vivant. Il suffit finalement d’une dizaine de personnes dans un village pour qu’une tradition existe.
Comment expliquez-vous que le grand public ait peu connaissance de cette existence ? Parce que vous ne sortez pas de chez vous ! Parce que vous passez trop de temps sur Internet, sur Facebook. Plutôt que d’aller acheter un iPad, allez en voyage en Roumanie, marchez dans la campagne ou dans la forêt ! Ça tient à très peu de choses. On a l’impression d’être au contact avec le reste du monde parce qu’on a accès à Internet, mais ce n’est pas parce qu’une chose ne se passe pas sur YouTube qu’elle n’existe pas. Il y a une quantité de communautés qui vivent sans que la plupart des gens de la ville s’en préoccupent, et c’est tant mieux ! De toute façon, tout ça est récupéré par les cultures alternatives, pas la culture pop : la mode, le cinéma, le théâtre ou l’illustration.
Avez-vous personnellement établi un système de préférences ? J’aime toutes les silhouettes d’ours, j’accroche fort à cette représentation là. Ça me parle. Pour Wilder Mann, j’ai cherché les ours, c’était mon plaisir. S’agissant des croyances, parfois, je ne comprenais pas tout. Mais j’aime l’étrange, l’idée qu’on soit étranger les uns des autres. Je n’aime pas l’idée d’assimilation où tout le monde devrait comprendre tout le monde. J’aime qu’on ne comprenne pas une culture, qu’il y ait une distance respectueuse, une curiosité. J’aime l’universel, qu’il y ait des liens existants entre les cultures, mais je préfère qu’on puisse faire le constat de notre incompréhension pour d’autres cultures.
Votre façon de cadrer ces personnes costumées est très animale, pourquoi ? Au-delà de cette idée de montrer des silhouettes de tradition païenne en Europe, il y a aussi l’idée de montrer le bestial, le profond. Ce qu’on voit, ce sont des personnes qui prennent part à des mascarades, qui deviennent des ours, des boucs, des personnages à cornes. Il y a l’idée de devenir la bête qu’on a en soi.
OBLICK, festival jusqu’au 1er juin dans l’Eurodistrict, avec Wilder Mann de Charles Fréger présenté à la Chaufferie à Strasbourg. www.oblick.org
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Par Nicolas Léger — Illustration : Sherley Freudenreich
Dans son ouvrage Les Indiens dans le western américain, l’historien Mathieu Lacoue-Labarthe réussit un pari exigeant : saisir la figure de l’amérindien non plus simplement comme objet esthétique mais comme un objet historique. Au sortir de ses recherches minutieuses, se trace sous nos yeux le portrait d’un archétype sans cesse changeant au fil du XXe siècle où se lisent les misères et splendeurs d’une jeune nation.
sur la piste
des indiens Le grand absent, l’éternel vaincu Le western en tant qu’art est avant tout un regard : comprendre la manière dont il s’est emparé du personnage de l’Indien, c’est aussi saisir toutes les mutations de la condition indienne aux États-Unis. Sur ce continent, où la fiction et l’histoire ne cessent de se construire mutuellement, la question du peuple amérindien est un véritable cas d’école. Là réside la prouesse de l’ambitieux travail de Mathieu Lacoue-Labarthe : prouver au sortir du visionnage méthodique de plus de 600 westerns, par des recoupements d’archives, grâce à des statistiques précises, ce que beaucoup de critiques cinéphiles ont perçu et affirmé sans pour autant être en mesure d’en suivre précisément les lignes d’évolution. En effet, dès que l’on aborde le genre du western à sa naissance, on se rend compte qu’« entre le début des années 1930 et le milieu des années 1950, il fait
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de l’Indien le grand absent, l’éternel vaincu…» nous explique l’historien. Moins de la moitié des films d’alors le prennent pour thème ou le font apparaître. Pendant longtemps, si les têtes blondes ont préféré jouer le rôle du cow-boy, c’est que ces films offraient majoritairement une image stéréotypée et négative de l’Indien ou pire, ne l’évoquait même pas. La plupart de ces représentations répondaient alors à la triste maxime « un bon Indien est un Indien mort ». Héritières des préjugés et légendes collant aux « peaux rouges », elles mettent en scène une sauvagerie primaire qui ne sert qu’à mieux justifier le sort fait à ce peuple spolié et détruit au cours de la naissance américaine. Pour les pionniers, l’Indien avait incarné la menace, surgissant d’un paysage dont il se distingue à peine. De même que le héros doit affronter les rapides, les tempêtes, la soif, les
animaux sauvages, il lui faut aussi rencontrer ces étranges autochtones, presque invisibles, insidieusement cachés dans les arbres ou parmi des rochers. Ils ne sont qu’un faire-valoir du « visage pâle » et font littéralement partie du décor. On peut évidemment ajouter une explication d’ordre esthétique à cette tendance : le western se devait avant tout de répondre à de nombreux codes et attentes du public. « Cette forme artistique, rappelle Mathieu Lacoue-Labarthe, est issue des récits romanesques de captivité ou encore des shows épiques à la gloire de l’armée et des pionniers ». Jules César avait les Gaulois pour se valoriser, Custer a eu les Indiens. Qui plus est, ces productions privilégiaient le happy end : le sort historique désastreux des amérindiens rendait bien difficile la possibilité de les ériger en héros… Les facteurs ont donc été multiples dans ce traitement des Indiens au cinéma : « l’exacerbation patriotique, l’esprit pionnier, les conservatismes, l’exclusion sociale des Indiens… » ont contribué à les maintenir en arrière-plan. À l’orée de la Seconde Guerre mondiale, le patriotisme était en effet de mise : la promotion d’une image chevaleresque et dominatrice du héros blanc américain, a repoussé l’heure de gloire indienne sur les écrans. Ce qui explique selon l’auteur que « plutôt que de se confronter à une réalité complexe et de prendre le risque de faire fuir le public, les dirigeants des studios préfèrent satisfaire son droit au bonheur. Bien plus qu’un art, le cinéma hollywoodien est en effet une industrie, l’industrie du rêve américain ».
«Le quart d’heure de célébrité indien » Mais c’est cette même Histoire qui va influer profondément sur la figure jusqu’alors honnie du peau rouge. Le trauma du génocide des juifs en Europe, le pacifisme face au Viêtnam, la naissance d’une conscience écologique, vont chacun à leur manière convoquer ce personnage de western. Mais là encore (cette fois-ci dans un mouvement de discrimination positive), la réalité indienne sera esthétisée, transformée pour entrer dans des conceptions postmodernes parfois bien éloignées de cette culture en péril. Un des signes patents de ce rendez-vous perpétuellement manqué est, que jusqu’en 1955, aucun des rôles majeurs d’Indien n’a été joué par… un Indien mais par des acteurs blancs grimés, certains en ayant même fait leur spécialité. Dans un examen de soi, l’Amérique hissera l’Indien en miroir pour se
réapproprier son Histoire au travers de ses histoires. Il va non seulement prendre une place conséquente dans les productions mais verra son image se complexifier et s’améliorer. L’intérêt pour les minorités ethniques, la critique sociale et même la contestation de l’impérialisme américain portent ainsi nombre de films des années 70 : pensons à The Professionnals, véritable allégorie westernienne du Viêtnam ou encore Little Big Man, dans lequel l’Indien sera comme un rappel du lien originel perdu avec notre environnement. Le constat de Mathieu Lacoue-Labarthe, cependant, ne s’arrête pas là. Si l’Histoire irrigue bien la fiction, l’informant sans cesse, il nous démontre également avec brio à quel point la dynamique est tout aussi inverse… Le rôle primordial de l’image véhiculée au sein des productions sur le sort politique de la minorité amérindienne est en effet frappant : « l’essentiel des avancées obtenues par les Indiens se regroupent en deux vagues : une première, du milieu des années 60 à celui de la décennie suivante, et une autre au début des années 90. Ce sont précisément les deux périodes de l’histoire du western durant lesquelles celui-ci est le plus favorable aux Indiens ». Danse avec les loups, à cet égard, est symptomatique de ce phénomène. Après un succès au box-office sans précédent en 1990, « la commission du Sénat chargée des Affaires indiennes a alors enregistré le plus grand nombre de candidatures de toute son existence ». Preuve inquiétante que la source d’information principale pour les sénateurs sur la question indienne au jour d’aujourd’hui demeure… les fictions d’Hollywood. LES INDIENS DANS LE WESTERN AMÉRICAIN, ouvrage de Mathieu Lacoue-Labarthe, Édition PUPS, 2013.
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Par Mickaël Roy — Photo : Pétrole Editions
Entre les lignes
Nouvelle structure éditoriale strasbourgeoise qui interroge les possibilités étendues de l’œuvre imprimée, du multiple et du livre d’artiste, Pétrole Éditions a récemment inauguré son activité avec le lancement de la revue TALWEG. Editer indépendamment ? Voilà qui pourrait bien paraître risqué dans un contexte où l’économie du livre peine à voir exister les petits face aux géants du milieu. Mais c’est pourtant là tout l’enjeu de la dynamique initiée par les quatre fondatrices de Pétrole Éditions, Solène Bouffard, Nina Ferrer-Gleize, Marianne Mispelaëre et Audrey Ohlmann, hier diplômées de l’École supérieure des arts décoratifs de Strasbourg et aujourd’hui éditrices parallèlement à leurs pratiques indi-
viduelles d’artistes-plasticiennes. « À l’intérieur d’un monde à haute fréquence où l’argent et les capitaux dominent, nous choisissons de miser sur l’objet et le papier. À contre-pied, notre légitimité est sur le fil, il faut en tenir compte : parce que nous ne suivons pas le taux du baril », annoncent-elles d’emblée sur un ton manifeste et engagé, en préambule de leur projet, exigeant et résistant. Pétrole Éditions se fixe l’objectif de s’inscrire dans la dynamique du marché du livre en s’ouvrant « sur une diversité de langages, qu’ils soient du domaine de l’abstraction, de la figuration, de la théorie, de la poésie », en veillant toujours à la concordance de la forme et du contenu de chaque projet. Colonne vertébrale de cette toute jeune activité d’édition, la revue TALWEG – du nom de cette « ligne d’intersection de deux pentes latérales d’une vallée, suivant laquelle se dirigent les eaux courantes » – toute tournée vers la problématique de la ligne comme ligne éditoriale justement, occupe une place de choix aux yeux de ces jeunes professionnelles du livre qui pensent cet objet à dimensions variables comme un « espace à habiter », sculptural en quelque sorte. De fuite, de mire, de front, de défense, de démarcation, de métro, de nuit, de partage des eaux ou trait d’esprit, la ligne est autant cette forme tantôt abstraite tantôt figurative que l’on trace ou que l’on imagine, qui cerne en tous les cas, délimite ou limite un objet, une idée, somme toute une réalité. Lancé en novembre dernier « sans étude de marché mais avec enthousiasme et ferveur », le premier numéro de cette publication se décline autour du motif du pli « en tant que réflexion conceptuelle et sensible », à travers sept feuillets de formats identiques investis par autant d’artistes. On retiendra notamment, aux côtés des propositions de Elise Alloin, Mickaël Gamio, Maud Guerche, Anne Heyvaert, Aurélie Mourier et Yannis Pérez, la contribution de Marine Lanier qui inscrit par la photographie, dans les plis de la feuille, les oscillations d’autres plis naturels, de vagues et de remous marins. Et afin d’élargir les horizons des collaborations et de poursuivre le sillon que Pétrole Editions a commencé à creuser, le numéro deux de TALWEG sera consacré à la question de la périphérie. Chemin faisant. TALWEG, transrevue publiée par Pétrole Éditions, disponible sur www.petrole-editions.com Lancement de l’appel à participation de TALWEG 2 à partir de mi-mai 2014
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WILL STRATTON
GALLON DRUNK
Nous avions été subjugués par la première tentative de ce gars bien sympa originaire de Californie, mais depuis il lui est arrivé quelque malheur : un cancer diagnostiqué, quelques séances de chimiothérapie et des opérations. De quoi plomber l’esprit. Lui, il en a profité pour écrire quelques chansons dont la poignante Gray Lodge Wisdom qui donne son titre à l’album. Avec la contribution Tamara Lindeman, mais aussi Nico Murphy, l’un des chefs de file du renouveau de la musique contemporaine, cet amoureux de musique minimale signe un disque entre pop et avant-garde qui le situe à l’égal de son ami Sufjan Stevens. (E.A.)
Le rock n’est semble-t-il plus chose aisée aujourd’hui, tant il semble difficile de sortir du gimmick. Il arrive cependant qu’un disque transpire le rock des origines : fragile et malaisé. C’est le cas de Gallon Drunk, ce groupe britannique formé dans les années 90, qui nous avait déjà surpris par le passé par un propos qui renouait avec un esprit blues. Ceux qui aiment Nick Cave devraient se reconnaître dans ce disque qui oppose la force créatrice à l’oppression du quotidien : l’urgence de la vie contre le néant, en quelque sorte, le tout en un cri saisissant ! (E.A.)
GRAY LODGE WISDOM TALITRES – DIFFER-ANT
CHRISTOPHE INTIME TOUR / UNIVERSAL
Christophe est un aventurier, un chasseur de sons comme on en connaît peu. De manière insatiable, cet amoureux de rock, mais aussi d’avant-garde électronique, continue d’épuiser ses synthés en quête des sonorités les plus improbables. Dès lors, on s’étonne de le voir exposer sa voix comme il l’a fait récemment dans le cadre de l’Intime Tour, en solo, s’accompagnant lui-même à la guitare, au piano et au synthé. Et si de son propre aveu, ce dispositif minimal lui procure un confort particulier, l’Intime Tour s’apparente à un work in progress, dans lequel le public joue un rôle important. La réécoute dans ces versions des classiques Les Mots Bleus, Dolcevita et même Aline offre un éclairage nouveau non seulement sur la carrière du compositeur, mais aussi sur sa personnalité singulière, et notamment cette fragilité extrême qui, loin de l’empêcher, lui permet d’avancer vers des territoires toujours vierges. (E.A.)
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DICK ANNEGARN VÉLO VA / TÔT OU TARD
Avec lui, on y va, que ce soit à vélo ou pas. Depuis près de 40 ans, et même s’il s’était arrêté entre-temps, aucun écart de conduite. Toujours la même envie d’explorer les possibilités de la chanson française – un comble tout de même pour un Néerlandais, non ? –, en toute humilité cependant et loin, très loin, des affres de show-business. On le sait, depuis quelques années, notre ami s’est pris d’affection pour un guitariste qu’il situe bien au-dessus des autres, Freddy Koella, l’Alsacien, ancien sideman de Bob Dylan. À ses côtés, il recherche l’épure d’un nouveau blues à la française pour boucler la (grande) boucle. (E.A.)
THE SOUL OF THE HOUR CLOUD HILL – DIFFER-ANT
LINDA PERHACS
THE SOUL OF ALL NATURAL THINGS ASHMATTIC KITTY – DIFFER-ANT Si le mot culte a encore un sens, alors Linda Perhacs est une artiste culte. L’album folk qu’elle a publié en 1970 reste très prisé dans les cercles très informés. Quelle artiste aujourd’hui peut se targuer d’alimenter des fantasmes chez Kim Gordon et Daft Punk ? Après plus de 40 ans d’absence, cette dentiste de métier nous revient, et le plus étonnant c’est que ce nouvel album s’inscrit dans la plus stricte continuité du précédent comme s’il avait été enregistré dans la foulée. On se laisse bercer par cette dimension pastorale qui reste d’une étonnante actualité. Welcome back et à dans 40 ans ! (E.A.)
Offrezvous le pack week-end opéra + hôtel Les Noces de Figaro à 2, tout compris à partir de 187€. Plus d’informations sur www.opera-dijon.fr
Hôtels partenaires : Hôtel du Nord *** | Hôtel Philippe le Bon **** | Hôtel Mercure **** | Grand Hôtel La Cloche *****
lectures
BLAST. TOME 4 :
MANU LARCENET / DARGAUD
KAROO
STEVE TESICH MONSIEUR TOUSSAINT LOUVERTURE Saul Karoo est un beau salaud. Pire : un salaud qui s’ignore et croit faire le bien alors qu’il réduit à néant tout ce qui l’entoure. En n’oubliant pas, au passage, de se rabaisser plus bas que terre avec un cynisme non dissimulé. Archétype du Manhattan des années 90, il travaille pour le cinéma, pour un autre beau salaud qui lui demande de réécrire les scripts de réalisateurs qui n’ont rien demandé, au risque de les saccager. Cet écrivaillon gros plein de fric est aussi bourré de maladies : jamais ivre, refusant l’intimité la plus primaire et psychanalyste de comptoir. Une ordure qui va petit à petit tendre vers le bon au risque de se détruire une bonne fois pour toute. Un chef d’œuvre d’autodérision, toile du pire de l’Amérique, écrit par Steve Tesich, dramaturge et scénariste, notamment du Monde selon Garp et enfin traduit en français. Pour le pire, mais surtout pour le meilleur. (C.B.)
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Le 7 mars dernier, Dargaud lâchait les 200 dernières planches de Blast, la série explosive signée Manu Larcenet. Pour la dernière fois, le lecteur se trouve propulsé dans la salle d’interrogatoire avec le terrible héros Polza Mancini, forcé de revêtir les oripeaux des deux inspecteurs : aussi admiratif et dubitatif qu’eux, devant faire face à cette narration qui s’annule. Manu Larcenet laisse une poésie aussi colorée, aussi terrible que des dessins d’enfants ne recouvrir que trop rarement la médiocre réalité. Il confirme l’odeur de crime et de sexe tristes et sales déjà instillée dans les tomes précédents pour ce qui se veut l’apothéose de la série, un climax en réalité inversé qui vient finir d’achever et la lecture, et le lecteur. Une déflagration finale. (M.M.)
LE RETOUR DU VIEUX DÉGUEULASSE
CHARLES BUKOWSKI / GRASSET « Un jour, en m’en revenant des courses, je me suis assis et j’ai écrit un titre, JOURNAL D’UN VIEUX DÉGUEULASSE ; puis, j’ai dépucelé une bière, et ça a coulé de source. Sans que je ne sois tendu, ni figé par la prudence qui vous transforme en une lame émoussée, comme lorsqu’on se met en tête de pondre quelque chose pour The Atlantic Monthly ». Ce livre réunit les chroniques initialement parues entre 1967 et 1984 dans Open City, NOLA Express, Los Angeles Free Press ou High Times. Une bonne occasion de se replonger dans l’univers tragi-comique du grand Buk. (P.S.)
MÉTAPHYSIQUES D’ALIEN LÉO SCHEER
Explorant la tétralogie d’Alien, cet ouvrage collectif sous la direction de J-C Martin, nous emporte au cœur du trouble philosophique en jeu dans la saga initiée par Ridley Scott. Ces différents regards tracent et suivent avec intelligence et enthousiasme les lignes d’une pensée dès lors qu’elle se confronte à la question extraterrestre. Le film n’y est pas un objet auquel on grefferait des concepts philosophiques après-coup, mais interrogé en tant qu’il interpelle notre rapport à la civilisation et à nous-mêmes : la figure de l’étranger bien sûr, le bizarre en nous, l’androïde, la féminité renouvelée de Ripley… L’analyse de la forme même de cette œuvre procédant par greffes, hybridation et ellipses, est une invitation à elle seule à se replonger dans les espaces hantés d’Alien. (N.L)
WALTER
HÉLÈNE STURM / ÉDITIONS JOËLLE LOSFELD Petit à petit Hélène Sturm fait son nid. Après Pfff qui avait fait mieux que pschitt, elle nous revient en forme olympique pour nous conter les mésaventures très littéraires de son Walter, jeune garçon solitaire et taciturne qui se met dans la caboche d’écrire une pièce de théâtre, rien que ça ! « Au nom de quoi serait-ce une obligation de brouillonner avant d’écrire ? De tâter l’eau du bout du pied avant de s’y jeter ? ». Walter grandit et on l’observe se confronter à la vie, le gosier délicieusement adouci par le jus de fantaisie dont on se délecte à chaque page de ce récit singulier. (P.S.)
Photographie : Claude Nardin
Musée des Beaux-Arts du �� avril au �� mai ����
Spécimens rares et historiques des musées de Montbéliard
Visuel : Cotinga porphyrion (Xipholena atropurpurea) Amazonie – Collection des Musées de Montbéliard
Jean-Paul Milleliri Sud-Extrême
+ TUBS★MJHIU
21.02 — 02.11 2014
Entrée libre, tous les jours (sauf mardis et jours fériés) de ��h à ��h��
Avec Kenneth Anger, Alain Della Negra & Kaori Kinoshita, René García Atuq, Yann Gerstberger, Kapwani Kiwanga, Seulgi Lee, Basim Magdy, Daniel Steegmann Mangrané, et une contribution de Santiago García Navarro & Bernardo Zabalaga, sur une proposition d’Elfi Turpin. CRAC Alsace, 18 rue du Château, F-68130 Altkirch, +33 (0)3 89 08 82 59 www.cracalsace.com
au CRAC Alsace
THE NIGHT OF THE GREAT SEASON Sont programmées une rencontre avec Seulgi Lee le 16 mars à 16 h, une conférence de Bertrand Prévost le 8 avril à 19 h et une performance de Kapwani Kiwanga le 11 mai à 16 h 30. Exposition ouverte du mardi au vendredi de 10 h à 18 h. Le week-end de 14 h 30 à 19 h. Visite commentée chaque samedi et dimanche à 16 h. Fermé le 1er mai, ouvert le 18 avril de 14 h 30 à 18 h et le 8 mai de 14 h 30 à 18 h.
19.02 —11.05 2014
médiapop + TUBS★MJHIU
Anti-Narcisse du 23 février au 11 mai 2014
Conception :
Musée d’Art et d’Histoire Hôtel Beurnier-Rossel
ENTRÉE LIBRE Tél : 03 69 77 66 47 www.kunsthallemulhouse.com
Jakub Julian ZIÓŁKOWSKI, Planet, 2012 – Oil on canvas, 144 x 111 x 2.5 cm Courtesy of the artist, Foksal Gallery Foundation and Hauser & Wirth – Photo : Stefan Altenburger Photography Zürich
dvd
LE SECRET DERRIÈRE LA PORTE
PERSONA
Avec Carlotta, décidément la séance de ciné-club se poursuit : il s’agit cette fois d’un Fritz Lang bien connu des cinéphiles, Le Secret derrière la porte, un film d’après-guerre frissonnant. Une jeune héritière tombe amoureuse d’un architecte qu’elle épouse sans trop le connaître ; l’homme a la particularité de collectionner les chambres dans lesquelles des meurtres ont été commis. L’une des chambres reste fermée à clé. Si la lecture psychanalytique de ce qui se cache symboliquement derrière cette porte – et naturellement dans l’inconscient de cet architecte – prête un peu à sourire, on s’attache tout de même au suspens hitchcockien qui se révèle très tôt et surtout à la maîtrise des superbes cadrages clair-obscur de Lang qui renoue avec une pratique expressive, pour ne pas dire expressionniste. (E.A.)
On redécouvre cette année les classiques de Bergman. On a beau les connaître, mais on reste subjugué, par la singularité de ce geste cinématographique. Parmi les films réédités récemment, les sublimissimes Septième Sceau (1957) ou Fraises Sauvages (1957) on garde une affection particulière pour Persona – et pas seulement pour la présence irradiante de Bibi Andersson –, mais pour cette ambiance étouffante qui se construit autour de la relation fusionnelle des deux femmes – magnifique Liv Ullmann ! L’île de Farö garde sa part de mythe, elle la gardera sans doute à jamais. (E.A.)
DE FRITZ LANG / CARLOTTA
LES GARÇONS ET GUILLAUME, À TABLE !
DE GUILLAUME GALLIENNE / GAUMONT C’est une révolution : en France, il est possible de réaliser une comédie subtile et sensible à l’abri des poncifs, des blagues et acteurs lourdingues. Peut-être est-ce cela que les César ont cherché à récompenser en attribuant cinq prix au film du sociétaire de la Comédie-Française ? Au-delà de la polémique, Les Garçons et Guillaume, à table ! est un très beau film. L’histoire vraie de Guillaume Gallienne portée sur les planches, et désormais sur les écrans. L’histoire d’un être efféminé parce que fasciné par les femmes, que sa famille enferme dans le cliché de l’homosexuel refoulé. Il les observe, les imite, jusqu’à interpréter luimême le rôle de sa mère, jusqu’à ce que l’on assiste à la naissance du jeune homme en acteur à travers le souffle féminin. Jusqu’à ce qu’il se trouve lui-même, avec beaucoup d’humour et de finesse. (C.B.)
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LE MUR INVISIBLE DE JULIAN ROMAN PÖSLER BODEGA
Il ne semblait pas simple d’adapter à l’écran ce grand classique de la littérature germanique signé Marlen Haushofer, et pourtant le pari a été relevé avec brio ; l’interprétation époustouflante de Martina Gedeck participe à cette belle réussite formelle. Isolée dans un chalet, seule donc face aux éléments, elle se heurte aux forces sensibles de la nature. Pour son premier long métrage, Julian Roman Pösler réussit le tour de force de nous entraîner, et grâce à une belle photographie, dans ce conte philosophique qui nous bouleverse totalement. (E.A.)
D’INGMAR BERGMAN STUDIO CANAL
LE CERVEAU
DE GÉRARD OURY / GAUMONT Vade retro, un Gérard Oury dans Novo ! Oui, mais celui-là, on l’adore – ceci dit, on en aime d’autres aussi ! Le tandem Belmondo-Bourvil, renforcé par le tandem David Niven-Eli Wallach, est l’une des réussites de ce film qui se bonifie avec l’âge. On l’admettra, la belle écriture du scénario permet à l’ensemble des gags de s’enchaîner sans qu’on ne sombre jamais dans l’ennui. Et il y a ces scènes cultes comme celle de la panthère : le « Ponpon ? », prononcé par un Belmondo qui retrouve le naturel comique affiché dans L’homme de Rio, reste culte. À chaque fois, il fait mouche et provoque l’hilarité. À revisiter, en toute objectivité. (E.A.)
24.04 — 19:30 25.04 — 20:00 Cie Hotel Modern (Rotterdam) & Arthur Sauer
DÈS 6 ANS
© Sebastian Hoppe
SAM. 17.05
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15:00
ET SI J’ÉTAIS MOI
par Act2 - compagnie Catherine Dreyfus
lacoupole.fr
03 89 70 03 13
Numéros de licences – Entrepreneur de spectacle catégorie I – 1071880 – catégorie II – 1071881 – catégorie III – 1071882 – n° siret – 40791040500015 – code APE – 9002 Z | Graphisme : Bureau Stabil
La Chaufferie • Strasbourg Exposition : � – �� avril ����
N° de licence entrepreneur du spectacle : 1050935 - 936 - 937 ~ Conception : tubs★mjhiu ~ Photo : © BekO
LA GRANDE GUERRE
www.hear.fr Dans le cadre du festival
Wilder Mann Charles Fréger � – �� avril ����
Visuel Kathleen Rousset, graphisme Polo
Ainsi que �� photographies présentées dans l’espace public.
LE CHEMIN DU SERPENT
TAPS SCALA MAR. 27 ET MER. 28 MAI À 20H30
D’APRÈS LE ROMAN DE TORGNY LINDGREN TRADUCTION ÉLISABETH BACKLUND – ÉDITIONS BABEL ADAPTATION ET MISE EN SCÈNE MARC TOUPENCE 03 88 34 10 36 www.taps.strasbourg.eu THÉÂTRE DU PILIER – BELFORT
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Chloé Tercé / Atelier 25
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Antoine Defoort et Julien Fournet 6 - 7 mai
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Kitty Hartl et Pierrick Sorin 10 mai
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photo Cheval © DR - création graphique : Atelier 25, saison 13-14
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LE CONSEIL GÉNÉRAL DE LA MOSELLE PRÉSENTE
+ - Crédits photos : Zingaro : Agathe Poupeney / PhotoScene.fr - HommeCirque : Mario del Curto - Traces : Michael Meske
100 cabanes de 1500 rendez-vous 57jours de festival
Arts vivants Pratiques amateur Éducation artistique
Théâtre équestre
Zingaro “Calacas”
mai-juin juillet 2014 Réussir ensemble !
www.cabanes-festivaldemoselle.fr
du 27 juin au 20 juillet YUTZ
L’homme cirque
du 27 au 29 juin SARREBOURG
7 doigts de la main
“Séquence 8” du 5 au 8 juillet SARREGUEMINES