NOVO 39

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La culture n'a pas de prix

04 —> 06.2016

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Photo © Carmine Maringola

MACHO DANCER Danse Philippines

Chorégraphie Eisa Jocson mer 18 + jeu 19 + ven 20 + sam 21 mai 20h30 MAILLON-WACKEN

www.maillon.eu 03 88 27 61 81


sommaire

ours

Nº39 Directeurs de la publication et de la rédaction : Bruno Chibane & Philippe Schweyer Rédacteur en chef : Emmanuel Abela emmanuel.abela@chicmedias.com 06 86 17 20 40 Secrétaire de rédaction : Cécile Becker Direction artistique et graphisme : starlight Commercialisation : Anthony Gaborit

Ont participé à ce numéro : REDACTEURS

Natacha Anderson, Florence Andoka, Cécile Becker, Betty Biedermann, Valérie Bisson, Marie Bohner, Benjamin Bottemer, Charlène Calderaro, Caroline Châtelet, Baptiste Cogitore, Jean-Damien Collin, Matthieu Collin, Mégane Dongé, Sylvia Dubost, Nadja Dumouchel, Xavier Frère, Sylvain Freyburger, Anthony Gaborit, Chloé Gaborit, Sébastien Grisey, Xavier Hug, Pauline Joerger, Paul Kempenich, Claire Kueny, Lizzie Lambert, Nicolas Léger, Stéphanie Linsingh, Camille Malnory, Guillaume Malvoisin, Séverine Manouvrier, Marie Marchal, Alice Marquaille, Fanny Ménéghin, Nour Mokaddem, Antoine Oechsner de Coninck, Adeline Pasteur, Julien Pleis, Martial Ratel, Mickaël Roy, Myriam Seni, Vanessa Schmitz-Grucker, Christophe Sedierta, Sophie Simon, Romain Sublon, Stéphanie Thiriet, Claire Tourdot, Fabien Velasquez, Petra Voss.

ÉDITO 5

CARNET Le monde est un seul 7 Pas d’amour sans cinéma 9 Une balade d’art contemporain 38-39 Regard 92-93 Scénarios imaginaires 94-95 A world within a world 96 Carnaval 98

FOCUS 10—28 La sélection des spectacles, festivals et inaugurations

PHOTOGRAPHES ET ILLUSTRATEURS

Éric Antoine, Vincent Arbelet, Janine Bächle, Pascal Bastien, David Betzinger, Julian Benini, Laurence Bentz, Oriane Blandel, Olivier Bombarda, Aglaé Bory, Sébastien Bozon, Marc Cellier, Ludmilla Cerveny, Caroline Cutaia, Clément Dauvent, Thibaud Dupin, Mélina Farine, Chloé Fournier, Sherley Freudenreich, Sébastien Grisey, Olivier Legras, Marianne Maric, Patrick Messina, Renaud Monfourny, Elisa Murcia-Artengo, Zélie Noreda, Arno Paul, Yves Petit, Bernard Plossu, Olivier Roller, Dorian Rollin, Frédéric-Judicaël Rollot, Julien Schmitt, Camille Roux, Christophe Urbain, Henri Vogt, Nicolas Waltefaugle, Sophie Yerly.

INSITU 30—37 Le tour d’horizon des expositions de peinture, œuvres sur papier et installations

CONTRIBUTEURS

RENCONTRES 40—48

COUVERTURE

Rover 40 GéNéRiQ 42 Calvin Johnson 46 The Soft Moon 48

IMPRIMEUR

MAGAZINE 50—86

Nathalie Bach, Bearboz, Catherine Bizern, Léa Fabing, Christophe Fourvel, Ayline Olukman, Chloé Tercé, Sandrine Wymann. Photo : Hannah Villiger, Arbeit 1980/81 (détail), C-print of a polaroid, mounted on aluminium 355 × 475 cm. © The Estate of Hannah Villiger. http://hannahvilliger.ch

Estimprim – PubliVal Conseils Dépôt légal : avril 2016 ISSN : 1969-9514 – © Novo 2016 Le contenu des articles n’engage que leurs auteurs. Les manuscrits et documents publiés ne sont pas renvoyés.

Ce magazine est édité par Chic Médias & médiapop Chic Médias

12 rue des Poules / 67000 Strasbourg Sarl au capital de 25000 € Siret 509 169 280 00013 Direction : Bruno Chibane bchibane@chicmedias.com – 06 08 07 99 45 Administration, gestion : Charles Combanaire

médiapop

12 quai d’Isly / 68100 Mulhouse Sarl au capital de 1000 € – Siret 507 961 001 00017 Direction : Philippe Schweyer ps@mediapop.fr – 06 22 44 68 67 www.mediapop.fr

Mordillat & Prieur 50 Marco Mancassola 54 Solange te parle 56 Breakin’ Convention 60 Émilie Incerti Formentini 62 Mariame Clément 64 Saul Williams 66 Grand Blanc 68 Theo Hakola 70 Backyard Folk Club 74 La Corée 76 Pascal Bastien 77 Biennale de la photographie 78 Angela Bulloch 80 Damien Deroubaix 82 FRAC+CRAC 84 Le 19 86

SELECTA Disques 88

Livres 90

ABONNEMENT — www.novomag.fr

Novo est gratuit, mais vous pouvez vous abonner pour le recevoir où vous voulez. ABONNEMENT France : 5 numéros — 30 euros Hors France : 5 numéros — 50 euros DIFFUSION Contactez-nous pour diffuser Novo auprès de votre public . 3



édito Par Philippe Schweyer

Mieux que rien

La cérémonie tirait en longueur. Debout, assis, debout, assis… Tout en me bouchant les narines pour ne pas me laisser submerger par les effluves d’encens, je laissais mon esprit sauter d’une pensée à l’autre tel un cabri chargé aux amphétamines : une idée de bouquin pour enfoncer la concurrence, mes parents qui vieillissaient à vue d’œil, les migrants accueillis comme des moins que rien, mon compte en banque désespérément dans le rouge, le gouvernement qui ne semblait plus du tout de gauche, les amis d’enfance que j’apercevais de dos dispersés dans l’église… Je n’arrivais pas à rester concentré pour écouter le sermon du prêtre qui aurait aussi bien pu marmonner ses tentatives d’apaisement en latin. Quand nous nous sommes enfin retrouvés dehors, ce fut un soulagement. Tout le monde était content de s’embrasser et de se prendre dans les bras, de fumer à pleines bouffées et même d’oser rire sans retenue. La vie reprenait ses droits et il était temps d’aller boire un verre. Une fois installés autour de la plus grande table du bistrot, Franz se tourna vers moi, la mine grave : – Tu lis quoi en ce moment ? – Rien de spécial… – Si le livre que tu lis ne te réveille pas d’un coup de poing sur le crâne, à quoi bon le lire ? Je n’avais pas envie de rentrer dans une discussion épuisante. Cela faisait des années que Franz était retourné vivre chez sa mère. Puisqu’il n’avait pas de travail, il avait le temps de lire et de ruminer. Et comme il ne sortait pratiquement plus pour éviter les bars, il avait manifestement besoin de parler : – Tu te souviens de WC3 ? – A 3 dans les WC ? – Oui, toute une époque ! Je viens de finir de lire un livre* sur eux. Tu savais que Janine, la fille du groupe, s’était suicidée en sortant de scène ? Je me suis souvenu de l’imperméable que j’avais piqué à mon père pour aller les voir au Pax et aussi que le concert avait été annulé. – Le lendemain de son suicide, WC3 aurait dû jouer à Mulhouse. Tu ne trouves pas ça étonnant ? J’ai repensé à cet après-midi de 1984 passé à attendre fiévreusement l’heure du concert. Je me rappelais parfaitement de ma déception, mais pas de la raison pour laquelle le concert avait été annulé. Mourir à vingt, cinquante ou quatre-vingt ans, qu’est-ce que cela changeait ? J’avais fait partie de groupes qui n’avaient laissé aucune trace, mais j’avais réussi à éviter les chausse-trappes du destin et j’étais toujours là, bien vivant. J’ai posé mes deux mains à plat sur la table histoire de toucher du bois pendant quelques secondes puis j’ai levé mon verre pour trinquer à l’amitié avec Franz. J’étais heureux d’avoir un ami qui ne renoncerait jamais à ses idéaux et qui préférait vivre chez sa mère que de courir après un CDI. Le temps était passé à toute vitesse et j’avais désormais plus de chances de revoir Franz à un enterrement qu’à un concert. C’était mieux que rien. * Janine d’Olivier Hodasava, aux éditions Inculte


TARTUFFE OU L’IMPOSTEUR texte

NOUS SOMMES REPUS MAIS PAS REPENTIS

Molière

(DÉJEUNER CHEZ WITTGENSTEIN)

mise en scène

de

Benoît Lambert

Thomas Bernhard Conception

© Samuel Rubio

© Vincent Arbelet

Séverine Chavrier

AVEC MARC BERMAN, STÉPHAN CASTANG, ANNE CUISENIER, YOANN GASIOROWSKI, FLORENT GAUTHIER, ÉTIENNE GREBOT, RAPHAËL PATOUT, AURÉLIE REINHORN, CAMILLE ROY, MARTINE SCHAMBACHER, PAUL SCHIRCK, EMMANUEL VÉRITÉ

AVEC MARIE BOS, SÉVERINE CHAVRIER, LAURENT PAPOT, ET LA PARTICIPATION DES ÉLÈVES DU CONSERVATOIRE DE LAUSANNE ELIZAVETA PETELINA, ARTHUR TRAELNES, CAMILLE THÉVOZ

Du 30 mars au 7 avril 2016

Du 27 au 29 avril 2016

AU CDN - GRANDE SALLE

www.cdn-besancon.fr 03 81 88 55 11 Avenue Édouard Droz 25000 Besançon ARRÊT TRAM : PARC MICAUD

AU CDN - GRANDE SALLE


Le monde est un seul

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Christophe Fourvel

Avantage Le Caravage Mort subite est paru en janvier aux éditions Buchet-Chastel sous une couverture jaune, relativement sobre, et donc tout à fait trompeuse. Elle mentionne la signature peu connue en France d’Álvaro Enrigue, écrivain mexicain né en 1969 et déjà deux fois traduit dans notre langue sous la couverture blanche de la maison Gallimard qui, soit dit en passant, doit se mordre ce qu’elle peut pour avoir laissé échapper ce petit concentré d’intelligence. Si Mort subite était une tapisserie de la Renaissance italienne, il conviendrait de situer en son centre un motif essentiel : un improbable match de tennis opposant dans des effluves puissantes de grappa, le peintre Le Caravage et le poète espagnol Francisco Quevedo sur la plaza Navona. Nous sommes à Rome, en 1599, au temps de la Contre-Réforme. L’Église s’en donne à cœur joie à « l’extirpation des hérésies » et à sa soif éternelle de magouilles et de complots. Il en sera longuement question ici tandis que l’identité d’un des compagnons du poète espagnol justifie un autre arrière-plan essentiel : l’histoire du conquistador Cortés, saisie (comme une viande rouge) au moment le plus brûlant de sa présence dans l’Empire Aztèque de Cuauhtémoc. Enfin, pour rehausser encore sa tapisserie littéraire, Enrigue noue des fils avec la cour royale britannique au moment où la reine Anne Boleyn expire sur l’échafaud. Il faut dire que quelques mèches de ses illustres cheveux, sauvées par son cupide bourreau, seront utilisées plus tard, à la confection d’une balle de tennis… Quelle liberté avec l’Histoire, Álvaro Enrigue s’est-il autorisé pour concevoir son ouvrage, est une question à laquelle le lecteur enthousiaste sera brièvement tenté de répondre avant de renoncer, enfiévré par un plaisir de lecture qui rend paresseux le recours aux dictionnaires historiques et de noms propres, fussent-ils suspendus au bout d’un simple clavier d’ordinateur. L’auteur joue habilement du montage, enchâsse des nouvelles du match de tennis au cœur de ses fresques historiques et nous repartons ainsi, haletant de curiosité, sur les fils de la grande Histoire au moment où les joueurs reprennent leur souffle entre les jeux (ou plutôt, pendant ce règlement de compte censé solder un égarement sexuel, on l’apprendra plus tard). À la page 234, lui-même un peu sonné par le vertige que lui procure sa propre architecture, Álvaro Enrigue se permet l’aveu suivant : « je ne sais pas, tout en l’écrivant, quel est le sujet de ce livre. Ce qu’il raconte. Ce n’est pas exactement un match de tennis. Ce n’est pas non plus un livre sur la lente et mystérieuse intégration de l’Amérique à ce que nous appelons avec une obscène perte de repères « le monde occidental » – pour les Américains, l’Europe c’est l’Orient. Peut-être estce un livre dont le sujet consiste juste à trouver comment raconter ce livre ; il se pourrait bien que tous les livres traitent de cela. Un livre avec des va-et-vient, comme dans un match de tennis.

C’est un livre avec Le Caravage et avec Quevedo, mais ce n’est pas un livre sur Le Caravage ou sur Quevedo. Avec eux deux, mais aussi avec Cortés et Cuauhtémoc, Galilée et Pie IV. De gigantesques individualités qui s’affrontent. Tous en train de baiser, de se soûler, de parier sur le vide. Les romans aplatissent les monuments du fait qu’ils sont tous, y compris les plus chastes, un peu pornographiques. » Au fond, nous comprendrons bien vite de quoi il est vraiment question dans ce livre. La tapisserie a beau multiplier les plans et les arrière-plans, confondre le baroque et le postmoderne, se régaler des décrochages de langage qui font qu’un paragraphe mêle la transcendance et « les couilles », suspendre la narration historique pour une beuverie et une partie de baise rondement menée, feindre de regarder sans ciller les atrocités du monde, les flots de sang dégoulinant des temples aztèques et des ambitions espagnoles, mentionner les bûchers, les assassinats, les perfidies comme des revers de main au col de l’aventure humaine, tout cela n’en est pas moins, au bout du compte, d’une grande simplicité. Et l’émotion d’avoir affaire à un grand livre vient aussi de cette synthèse tardive, de cette épure éprouvée au final, une fois emportées les impressions rétiniennes laissées par le grand kaléidoscope narratif : Mort Subite se révèle être un miroir possible, dans lequel un écrivain mexicain se regarde et cherche à savoir comment l’entremêlement des intrigues, des hasards, des libidos et des massacres, scelle l’identité d’un peuple au bout d’un coup de raquette du destin. Reste, pour emballer ce qui reste de sceptiques, un ultime trésor : l’évocation d’un art pas bien né entre les tavernes sombres et les bourses des évêques mais ô combien lumineux : celui d’un certain Michelangelo Merisi da Caravaggio dit Le Caravage, peintre sublime des ténèbres de l’âme et des bas quartiers. Certains de ses tableaux sont embarqués dans cette odyssée joyeuse et glaçante, à laquelle nous convie un capitaine plein d’humour, d’audace et d’incertitude. Mort Subite, d’Álvaro Enrigue, paru aux éditions Buchet-Chastel et traduit par Serge Mestre (310 p. 21 €)

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Pas d’amour sans cinéma

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Catherine Bizern

Amers remarquables Cela se passe sur le palier d’un immeuble parisien, entre quelques marches d’escalier et une porte d’ascenseur. Arlette, la femme de Jean, est venue réclamer à Janine – avec laquelle il vient de s’installer – de lui rendre son mari. Tout dans sa posture joue de la victime innocente : elle est malade, va mourir dans quelques mois… Janine ne résiste pas. Et dans une grotesque scène vaudevillesque, sous des prétextes absurdes, elle renvoie Jean à sa femme. Janine pense-t-elle s’être sacrifiée ou a-t-elle tout simplement pris la fuite et choisi de se dérober à la difficulté ? Quelques années plus tard la réponse de Jean est cruelle : la supercherie de sa femme pour récupérer son mari à tout prix, était un geste désespéré, qui anoblit définitivement son épouse à ses yeux. Tandis qu’elle, l’avait abandonné. Le cinéma, il s’agit de vivre la vie qui va avec, d’en prendre le risque, y compris dans les moments les plus exaltants, les plus vibrants, des films de Hawks, Lubitsch ou Leo McCarey. Et dans des situations que nous avions pourtant pensées ne jamais avoir à connaître. Alors le cinéma nous offre des amers remarquables. De ces balises qui nous permettent de naviguer loin de ce triangle infernal : culpabilité, victimisation, mensongeet-jalousie, de sa nuisance par contagion sans borne. Et de surtout garder le cap jusqu’à contrecourant de toute bien-pensance. Car dans Mon Oncle d’Amérique, la démonstration est sans faille, l’inhibition nous transforme en une proie facile, la proie de la conformation à une vie sociale qui sclérose tout amour dans la violence des rapports de domination.

Mon Oncle d’Amérique d’Alain Resnais

Aurore aussi est une proie facile pour Dolorès, la femme de Jean dans Une autre vie d’Emmanuel Mouret. Le piège est implacable. La destinée parfaite : le mensonge de l’enfant à venir, l’accident de voiture mystérieux, Dolorès en fauteuil roulant à vie, la culpabilité de Jean, le retrait d’Aurore. Et puis lorsque les amants renouent, Dolorès pardonne, se retire au couvent et tranquillement attend… Figure magnifique de bonté et de dévouement. Et lorsque Aurore vient lui offrir le dilemme moral dans lequel les deux amants ont sombré et leur amour dissout, elle joue de sa domination : « Vous voulez me rendre, avoir la conscience tranquille ? », jusqu’à asséner le coup de grâce : « Vous n’êtes pas assez forte pour aimer, si vous l’étiez vous n’auriez pas d’état d’âme. » Non pas d’état d’âme. La sentence est devenue mon garde-fou. Jusqu’au bout et quoi qu’il se passe, mon amour serait sans morale, il ne connaîtrait ni le bien ni le mal, rien de la bienséance des codes bourgeois. Il ne serait pas tranquille mais la juste conscience de lui-même. Et de toute façon accroché à cette pensée : en amour, il n’y a pas de rivale.

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focus

Prix de groupe

Décors de Mitridate

La Rivière rouge Benjamin Britten s’acharne à créer dans son œuvre des frottements carmins, étranges et fragiles. Curlew River (op.71), la rivière aux courlis, est une frontière, une limite entre les vivants et les morts, entre l’individu et la communauté construite sur une morale fixe. Autre limite : quand en 1964 il compose Curlew River, l’opéra peine à se réinventer. Britten, pourtant, cherche encore : dans les formes transgenres, dans les frasques élisabéthaines de Shakespeare (Midsummer Night’s Dream – 1960) ou dans les souvenirs d’un récent voyage au Japon. Et le théâtre Nô de lui fournir l’ascèse nécessaire pour ne pas finir parmi les fantômes sur les rives cavatines ; parmi les fantômes, comme le petit Miles de Curlew River. Dans cette épure, réconciliée avec le sentiment du sacré, un enfant a été kidnappé. Sa mère rendue folle par les refus du passeur de l’embarquer, devra attendre de croiser le spectre de son fiston pour trouver un peu de paix. Sans doute décidé à régler quelques comptes, Britten confia le rôle de cette mère courage à l’amour de sa vie, le ténor Peter Pears et trouva l’air qui lui manquait sur des chemins non balisés. Faisant un peu la nique au hasard, l’Opéra Dijon confie cette avant-dernière production de la saison aux Traversées Baroques et à Étienne Meyer. Rien d’inhabituel pour cet ensemble créé en 2008, qui affirme sans trembler son objectif : suivre avec acharnement les routes de traverses. Par Guillaume Malvoisin – Gilles Abegg

CURLEW RIVER, opéra les 26, 28 et 29 avril à l’Opéra Dijon www.opera-dijon.fr

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Deux amis – encore eux (cf. La Mouette) –, épluchent les plaquettes des théâtres. « Pourquoi tant de programmations printanières se dédient-elles à des festivals de jeunes artistes ? » s’interroge le premier. Le second – un brin acerbe – y voit là la conséquence d’un rapport paternaliste aux artistes émergents, voire d’une frilosité à leur égard. « Le jeune n’étant pas connu, tu le vends plus facilement quand il est à plusieurs et en bras de chemise. C’est plus “festif”. » À ces esprits peu charitables, on répondra que, certes, cette éruption est trop unanime pour être honnête et qu’elle est autant le produit du fonctionnement de l’institution théâtrale que des rapports ambigus de cette dernière à sa relève. Mais ces temps forts offrent aussi des découvertes. À Dijon, pour Théâtre en Mai, outre la riche confrontation promise par la présence de la chorégraphe Maguy Marin et d’une dizaine de compagnies, le festival porté par le Théâtre Dijon Bourgogne accueille, entre autres, Un Beau ténébreux. Paru en 1945, ce roman de Julien Gracq est adapté par Matthieu Cruciani (dont certains ont pu voir en 2014 au festival le saisissant Rapport sur moi). À travers le parcours d’oisifs retirés dans une cité balnéaire, Gracq brosse le portrait, dixit Cruciani, « d’une société occidentale, vacante et inquiète, attendant la catastrophe ». Mais ce portrait n’est pas dénué d’une dimension rieuse, qui se déploie par le moyen « du roman de genre, noir ou gothique. » Car « on est toujours un peu satirique quand on emploie un moyen ». On ne saurait le contredire. Par Caroline Châtelet – Photo : Jean-Louis Fernandez

THEATRE EN MAI, festival du 20 au 29 mai, à Dijon www.tdb-cdn.com


MUSÉE DE LA COUR D’OR METZ MÉTROPOLE

CRÉER MALGRÉ TOUT ARTISTES IRAKIENS CONTEMPORAINS

MINISTÈRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES ET DU DÉVELOPPEMENT INTERNATIONAL

+ d’infos au 03 87 20 13 20 / musee.metzmetropole.fr /

MAAN KERMASHA MAHMOOD SHUBAR AJWAD AZAWI JAFFAR KAKI HANI DALA ALI QASIM ALSABTI LATEEF AL ANI TAHA WAHEB NAJEM QAISI RADA FARHAN HAYTEM HASSAN ALWAN ALWANI MAHER SAMARAE AHMED NUSSAIF

CRÉATION GRAPHIQUE : METZ MÉTROPOLE - PÔLE COMMUNICATION. MARS 2016.

MOHAMED KENANI FAKHER MOHAMED SAAD ALTAI YUSRA ALABADI HASAN IBRAHEEM SALEM ALDABAGH MOAYED MOHSEN WADAH MAHDI JAFAR MOHAMED ZEYAD GHAZI ISEM ALAMEER SATAR DERWEESH ALI SHAKER TAHSEEN ALZAYDI

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Facebook/MuseeDeLaCourdOr


focus

Maurice Ravel

La fonction de l’art

Le diable par la queue Ça n’est pas nouveau, mais la chanson d’expression française continue de nous réserver bien des surprises, avec ces figures en marge ou à contre-courant de tout, comme récemment Flavien Berger ou Mansfield.TYA. Depuis 2010 et son premier chef-d’œuvre La Langue, le duo Arlt poursuit son petit bonhomme de chemin, de manière discrète mais avec une conviction qui en fait le digne héritier des plus grands dans les années 70, que ça soit Brigitte Fontaine, Catherine Ribeiro ou même Pierre Barouh. Qu’on se le dise, Eloïze Decaze et Sing Sing libèrent la chanson, et lui offrent des détours qu’ils qualifieraient eux-mêmes de « zinzins », mais qu’on situerait nous, comme quelque chose à la lisière de la poésie ou du récit chanté, avec cette part d’onirisme et de fraîcheur qui les rendent tous les deux irrésistibles. Comme l’indiquerait le titre de leur troisième album, Deablerie, il y a quelque chose de coquin dans cette manière de lier l’attitude des troubadours médiévaux, les orchestrations pop baroques presque minimales et ce petit quelque chose d’un rock qui reste à inventer. On se soumet volontiers à la tentation, nous sommes piégés et le pacte qui nous lie à eux nous engage pour l’éternité.

La Fonction Ravel, voilà un titre énigmatique pour moitié. Car si l’on devine aisément que ce spectacle s’intéresse à Maurice Ravel, compositeur de la première moitié du vingtième connu de tous pour son Boléro, qu’en est-il de cette « fonction » ? Comme l’explique son concepteur le comédien Claude Duparfait, le terme désigne ce que le contact avec l’œuvre de Ravel a produit chez lui. « Sa musique est une source d’inspiration, de rêverie, de communication avec les autres. Il a généré une fonction vitale, aussi essentielle que respirer. La « fonction Ravel », c’est ce qui me donne envie de continuer à être dans la raison et la déraison de l’art. » Découvrant la musique de Ravel par hasard, l’adolescent se « [met] à écouter tout ce qu’[il peut] ». Non seulement ce choc esthétique fondateur lui permet de renouer avec les études alors qu’il traverse une période scolaire difficile, mais il l’amène aussi, par un étonnant détour, au théâtre. « Je me suis mis à exprimer littérairement ce que je percevais de sa musique, écrivant des poèmes, des petites pièces, que j’ai commencé à monter avec des copains. » Réunissant sur scène Claude Duparfait et le pianiste François Dumont, un autre « fou de Ravel », La Fonction Ravel offre à travers le dialogue des textes et des compositions, le récit de cette fonction fondatrice et passionnée. Par Caroline Châtelet

Par Emmanuel Abela – Photo : Julien Bourgeois

ARLT, en concert le 23 avril à la Vapeur, à Dijon www.lavapeur.com

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LA FONCTION RAVEL,

théâtre, les 22 et 23 avril au Centre dramatique national de Besançon, le 26 avril aux forges de Fraisans, le 28 avril à la Fraternelle à Saint-Claude www.cdn-besancon.fr


PHILIPPE COGNÉE STEPHAN BALKENHOL

MARIE BOVO

21 mai > 9 octobre 2016 1er Salon de

L’ÉDITION D’ART

22 > 24 avril 2016

FONDATION FERNET-BRANCA 2 rue du Ballon - 68300 Saint-Louis

www.fondationfernet-branca.org


focus

Jeanne Added

Adoucir les mœurs Marion Roche

En immersion Le dispositif Émergences, mis en place par la ville de Besançon et ses partenaires, œuvre depuis près d’une dizaine d’années au développement d’un spectacle vivant éclectique. C’est dans ce cadre que bon nombre de groupes, collectifs ou compagnies ont été accompagnés ; des talents qui poursuivent aujourd’hui leur route et développent leurs projets. Le spectacle vivant s’émancipe des étiquettes qu’on voudrait bien lui coller, sort des cases dans lesquelles on aimerait le faire rentrer. La perméabilité entre les arts est mise à l’honneur et ce sont représentations, concerts et créations étudiantes que la semaine des Émergences propose de faire cohabiter. Les projets menés par les artistes du dispositif sont mis en lumière et soumis pour la première fois au regard du public et des professionnels. Cette édition dévoilera notamment le spectacle Vieille Branche de la sémillante Compagnie Prune qui raconte l’histoire d’un arbre vue par plusieurs générations, mémoire toute en poésie, musique et délicatesse ou encore l’auteur-compositeur-interprète Marion Roche et sa formation musicale mise au service de l’interprétation sensible de ses textes. On retrouvera enfin le groupe pop/rock Gliz, qui après le succès de ses revisites enjouées de classiques éclectiques s’essaye à l’écriture et présente ses créations originales. Par Marie Marchal – Photo : Antonin Borie

SEMAINE DES ÉMERGENCES, festival de spectacle vivant, du 31 mai au 3 juin, à Besançon www.besancon.fr/emergences

Entre les savantes inflexions mélodiques et les profondes vibrations du beat qui parlent aux cœurs comme aux corps, la musique serait-elle un langage universel ? Si pour le maire-sénateur de la ville d’Audincourt « la musique rapproche les peuples et ignore les frontières », le festival Rencontres et Racines œuvre depuis vingtsept ans à rassembler le public autour de la musique dans sa richesse et sa pluralité. La programmation nous promet funk, chanson française, reggae, hip-hop, soul, musique du monde, dub, indie, pop, rock electro, et rap, rien que ça ! Rencontres et Racines, festival fusion s’il en est, annonce qu’il y en aura pour tous les goûts et toutes les curiosités, et nous invite à nous laisser surprendre par ce qui nous serait encore inconnu. Et comme on ne change pas une formule qui gagne, les trois jours de concerts (avec Jeanne Added, Oxmo Pusccino, Deluxe) auront à nouveau lieu dans le « village aux couleurs du monde » où près de quatre-vingt associations tiendront des stands valorisant la découverte des cultures d’ici et d’ailleurs. L’invitation au voyage lancée aux festivaliers sur le mode de la célébration festive sera l’occasion de s’ouvrir au monde, mais aussi aux autres. Car pour les organisateurs, la musique et le rassemblement sont autant de prétextes à la défense des valeurs telles que la paix, la solidarité et l’humanisme. Par Marie Marchal

RENCONTRES ET RACINES, festival les 24, 25 et 26 juin à Audincourt rencontresetracines.audincourt.fr

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Prolongation 4 SEPTEMBRE 2016

Avertissement : une pArtie de l’exposition est déconseillée Aux moins de 14 Ans.

toutes les activités du musée Würth France erstein sont des projets de Würth France s.A.

2015 - 2016

THÉÂTRE DIJON BOURGOGNE CENTRE DRAMATIQUE NATIONAL

THÉÂTRE EN MAI

GR APHISME DATAGIF

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FESTIVAL DU 20 AU 29 MAI 2016

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Bonjour, Monsieur Botero (détail), 1982, huile sur toile, Collection Würth, Inv. 14838

Collection Würth et prêts


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Coup double

Sales gosses Prenez Grimm, prenez Perrault, passez-les au mixeur et vous aurez la recette de Laura Scozzi pour dynamiter les contes de fée. La chorégraphe italienne n’en est pas à son premier détournement de codes populaires, ancrés en chacun de nous sans qu’on le souhaite forcément. En 2001, elle dépeint avec sarcasme le monde de l’entreprise dans Étant donné la conjoncture actuelle. L’an passé, c’est aux personnages de notre enfance qu’elle s’attaque avec Barbe-Neige et les sept petits cochons au bois dormant. Un titre qui reflète la direction fantasque prise par la compagnie Opinioni in Movimiento, dans cette création réunissant 8 danseurs au vocabulaire hip hop. Chevaliers servants, princesses blondes aux yeux bleus, mariage heureux... ces modèles éternels se retrouvent ici en bien mauvaise posture. Laura Scozzi les triture jusqu’à en altérer les fondements et provoque immédiatement le rire, moyennant une savante maîtrise du comique de répétition. Un héritage des années d’apprentissage passées par la chorégraphe à l’école du mime Marceau. Côté bande-son, la musique du violoniste classique Niccolo Paganini accompagne, scène après scène, les apparitions d’une Cendrillon en basket, d’ours videurs de boîtes de nuit et d’un Barbe Bleue à l’allure de gangster. En bref, une fantaisie qui ne s’essouffle pas malgré la superposition des références, et c’est là tout le talent de Laura Scozzi. Par Claire Tourdot – Photo : Dan Aucante

BARBE-NEIGE ET LES SEPT PETITS COCHONS AU BOIS DORMANT, danse le 19 avril au Théâtre de La Coupole, à Saint-Louis www.lacoupole.fr

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Avec les beaux jours, on a tous envie de faire peau neuve : avec un nouvel espace et un nouveau salon pour l’accompagner, on peut dire que la Foire du livre de Saint-Louis n’est pas en reste ! Alors que la nature est toute occupée à bourgeonner, les éditeurs n’ont pas chômé cet hiver et s’y retrouveront pour présenter le fruit de leur travail. Cette année, l’organisation propose de réunir lecteurs et visiteurs autour du thème des voyages. Que ce soit pour préparer consciencieusement ses escapades estivales ou planifier ses prochaines lectures exotiques et rêver à des ailleurs, la Foire nous invite à rencontrer auteurs, éditeurs et libraires pour choisir au mieux. Et c’est le Forum, superstructure architecturale innovante inaugurée en décembre dernier, qui servira de toile de fond à l’événement pour tout le week-end. Autre nouveauté, le Salon d’édition du livre d’art, qui se tiendra simultanément à la fondation Fernet-Branca. Un rendez-vous qui vient compléter la Foire et met un coup de projecteur sur une pratique pointue, des matériaux nobles et des techniques artisanales souvent méconnues du grand public. Cette toute première édition permettra aux curieux et aux connaisseurs de découvrir le travail d’une vingtaine d’exposants présentant lithographies, éditions d’art et livres d’artistes. Par Marie Marchal – Photo : Philip Anstett

FOIRE DU LIVRE DE SAINT-LOUIS & SALON DE L’ÉDITION D’ART, 22, 23 et 24 avril, au Forum et à la Fondation Fernet-Branca, à Saint-Louis www.foirelivre.com


L’Apprenti

De Daniel Keene Traduction : Séverine Magois Mise en scène : Laurent Crovella Du 19 avril au 04 mai 2016 En tournée : 22 – 27 novembre 2016 TAPS – Strasbourg Scénographie : Gérard Puel Constructeurs : Olivier Benoit, Métallerie Bettinger Apprentis métalliers : Jordan Zehringer, Maxence Collet Lumière : Thierry Gontier Création sonore et musicale : Grégoire Harrer Costumes : Blandine Gustin Avec : Xavier Boulanger, Gaspard Liberelle Comédie De l’Est Centre dramatique national d’Alsace 68000 Colmar 03 89 24 31 78 comedie-est.com Direction : Guy Pierre Couleau


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BKO Quintet

Cumulus sonore

Histoire vraie Irlande du Nord. Années 70. Sorj Chalandon, journaliste à Libération, rencontre Denis Donaldson, leader de l’IRA et de sa branche politique le Sinn Féin. Le reporter tombe fou d’amitié pour cet homme éclatant de détermination et fait le choix d’embrasser sa cause. Décembre 2005, le couperet tombe : Donaldson est l’informateur des services secrets britanniques depuis vingt-cinq ans. Une confession insupportable que Sorj Chalandon exorcise dans ses romans Mon traître (2008), puis Retour à Lillybergs (2011) publiés chez Grasset. Deux ouvrages pour un homme à l’identité hermétique, dont l’existence n’est finalement qu’une vaste imposture. Mais que dire de son amitié avec le journaliste ? Intéressée ou sincère, elle constitue le cœur de l’adaptation théâtrale d’Emmanuel Meirieu. Le metteur en scène réunit dans une même création les monologues du trompé et du trompeur, disséqués par l’écriture pudique, bien que sensible, de Chalandon. Distinction particulière pour le jeu de Jean-Marc Avocat, Stéphane Balmino et Jérôme Derre qui déversent avec la sobriété nécessaire cette parole douloureuse. Tantôt sombres, tantôt lumineuses, les heures de l’Irlande sont quant à elles figurées sur écrans : Belfast et les affrontements entre civils, la chaleur des pubs, les quartiers populaires... Hommage puissant à une nation écorchée. Par Claire Tourdot – Photo : Mario del Curto

MON TRAÎTRE, théâtre les 21 et 22 avril à la Comédie de l’Est, à Colmar www.comedie-est.com

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Ne plus savoir dans quelle langue danser ? Ni à quelle oreille se vouer ? Être déboussolé, faire une halte, puis se laisser porter par les chants mandingues du BKO Quintet et entrer en résonnance avec les vibrations du djembé d’Ibrahima Sarr. Ne plus être très loin de la transe rock animiste malienne, puis être trans-porté par les pulsations du balafon chromatique de Ba Banga Nyeck en duo avec Boni Gnahoré au Cameroun. Pour sa 20e édition Musiques Métisses se teinte d’une sonorité plus africaine et ne laisse personne sur le pavé. Vendredi, la parade dans la ville des Bal’us’trad entraîne les pieds les plus réticents au sautillement. Les concerts, les apéro-concerts, un grand bal mené par Coco Sunshine… Quatre jours où les genres musicaux fusionnent et ouvrent l’ouïe aux mélanges culturels. La talentueuse Anne Paceo, jeune batteuse et compositrice primée aux Victoires du jazz, est l’ambassadrice de cette génération décomplexée. Entourée de son 4tet sur son dernier album Circles, elle électrise l’air et virevolte entre envolées instrumentales et bourrasques groove. Aziz Sahmaoui & The Walk, fondateur de l’Orchestre national de Barbès, donne un caractère oriental au rock tandis que le nouvel afrobeat enthousiaste des Balaphonics clôture les festivités dans un tourbillon d’instruments à vent boostés par un balafon… originaire d’Afrique de l’Ouest. Par Lizzie Lambert – Photo : G. Dussably

FESTIVAL MUSIQUES MÉTISSES, du 12 au 15 mai au Cercle St Martin, à Colmar www.lezard.org/musiquesmetisses


CDC - STRASBOURG

FESTIVAL

EXTRA DANSE 21 AVRIL  06 MAI 2016

FESTIVAL

EXTRA POLE 27  29 MAI 2016 T + 33 (0)3 88 39 23 40 POLE-SUD.FR /   


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Normes d’aujourd’hui

L’impossible clôture du témoignage Lorsqu’Arthur Nauzyciel met en scène en 2011 Jan Karski (mon nom est une fiction), la polémique déclenchée par le roman de Yannick Haenel est encore vivace. Paru à l’automne 2009, l’ouvrage a suscité de vives réactions, notamment l’ire de Claude Lanzmann, réalisateur de Shoah, somme cinématographique sur l’holocauste. C’est que le témoignage du résistant Karski, qui constitue la première partie du récit de Haenel, est tiré de Shoah. Transcrire à l’écrit sa visite du ghetto de Varsovie et sa tentative d’alerter les dirigeants alliés sur le sort réservé aux juifs est une chose. S’en inspirer pour imaginer l’échec de Karski à transmettre son message en est une autre. Ce qui est reproché à Haenel est, au-delà du fait de créer une fiction sur la Shoah, d’adosser cet imaginaire à la réalité et de participer ainsi d’une falsification de l’histoire. Mais s’en tenir à cette critique oblitère des sujets passionnants sous-tendant le roman : les questions de la place du témoin et de la perpétuation du témoignage. Ces problématiques passionnantes, Arthur Nauzyciel les prend en charge avec virtuosité. Respectant la structure en trois parties, le metteur en scène conçoit un spectacle où le ressassement obsessionnel d’une histoire et de ses culs-de-sac raconte aussi l’intenable position qu’est celle des témoins de la Shoah, et l’impossibilité à cesser de témoigner. Par Caroline Châtelet – Photo : Frédéric Nauzyciel

JAN KARSKI, théâtre, du 1er au 11 juin au TNS, à Strasbourg www.tns.fr

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Lorsqu’un journaliste évoque le travail de Phia Ménard, il commence le plus souvent à préciser son sexe. Ou, plutôt, son changement de sexe : Philippe Ménard a, en effet, décidé au début des années 2010 de devenir une femme. Loin d’être incongrue ou déplacée, cette précision se révèle essentielle pour saisir son travail actuel. Car les questions de la transformation, de la mutation des corps (quels qu’ils soient) comme de la contrainte s’exerçant sur eux traversent tous les projets de Phia Ménard. Elle aborde avec Belle d’hier une nouvelle étape dans son parcours et crée un spectacle sans en être l’une des interprètes. Après un prologue inquiétant où une multitude de hautes figures sombres se disloquent sous nos yeux, cinq femmes se livrent à diverses activités « d’entretien » des silhouettes. Mécaniques, répétitifs, tous les gestes qui vont suivre soulignent la domination masculine sur ces corps féminins engoncés dans leur robe de personnages de contes de fées. En regard des précédents travaux de Phia Ménard, Belle d’hier tient à distance le spectateur par sa désincarnation, son propos littéral et sa mise en jeu d’un travail à la chaîne. Peut-être pour mieux souligner à quel point les normes hétéro-patriarcales sont aussi aliénantes que difficiles à briser. Par Caroline Châtelet – Photo : Jean-Luc Beaujault

BELLE D’HIER, théâtre / cirque, du 27 au 29 avril au Maillon, en co-accueil avec le TJP – Centre dramatique national d’Alsace-Strasbourg www.maillon.eu


BAM TRINITAIRES

1

19

Trinitaires

Trinitaires

Dralms + Farao

Korpiklaani Moonsorrow

2

Trinitaires

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Festival Les Femmes s’en mêlent

Trinitaires

U.S. Girls Aldous Harding Tuff Love

F. Agulhon / G. Laurent D. Prud’homme

7

Soirée Jazz

22

BAM

BAM

Metz est WunderBam !

Deluxe

Guillaume Perret & the Electric Epic Funkstörung Cascadeur (Solo) Mara Moja

8

Trinitaires Wild Soul Party

Little Clara & Les Chacals The Adelians Charlene

9

Elodie Pong, Untitled (Plan for Victory), 2006 - Coll 49 Nord 6 Est - Frac Lorraine, Metz (F) ©E.Pong

AVRIL 2016

23

Trinitaires Festival We are a Young Team 5

Jakob Year of no light Celeste Thisquietarmy

Vigies and Co

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BAM

Binkbeats

29

Trinitaires

Trinitaires

Puts Marie Chicken Diamond

Girls Names Pethrol

30

Trinitaires

Tremplin Zikametz

MONICA BONVICINI, MARTA CARADEC, ESTHER FERRER, GUERRILLA GIRLS, MARCIA KURE, SIGALIT LANDAU, MARGE MONKO, ANNETTE MESSAGER, OTOBONG NKANGA, CORNELIA PARKER, ELODIE PONG, ANGEL RIBÉ, LOTTY ROSENFELD, HITO STEYERL, KATRIN STRÖBEL, INGRID WILDI MERINO Œuvres de la collection du 49 Nord 6 Est Frac Lorraine, Metz

23.01.2016 – 25.02.2016

Et plus encore à découvrir sur www.trinitaires -bam.fr

www.centredart-dudelange.lu


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Manifesto

Hakanaï

C’est Extra ! Fraîchement nommé Centre de Développement Chorégraphique, Pôle Sud a scindé son ancien festival printanier Nouvelles Danses en deux temps : Extradanse et Extrapole. Ces deux moments forts de la danse contemporaine à Strasbourg ouvrent plus que jamais la belle saison dans un élan festif et convivial. Extradanse nous raconte la danse durant deux semaines avec quelques sept spectacles, des rencontres, des conférences, des masterclass, un petit bal décalé pour clôturer le tout et toujours les indispensables apéros ouverts sur le jardin. À l’affiche, on aura le plaisir de voir ou revoir le célèbre et déjà classique May B de Maguy Marin, de se laisser conquérir par les performances engagées de Louise Lecavalier, d’Arkadi Zaides ou de Nadia Beugré, de se questionner sur les changements engendrés par les nouvelles technologies avec Hakanaï de Adrien Mondot et Claire Bardainne, de se dépayser avec les étranges métamorphoses de la subversive Marlene Monteiro Freitas, et enfin d’exulter sur le déjanté En souvenir de l’Indien de Aude Lachaise, créé lors de sa récente résidence à Pôle Sud. Elle y amorce avec force conviction, jubilation et insolence, la posture de l’artiste au travail. Extrapole, seconde partie du festival, suscite également la curiosité des spectateurs durant deux jours chorégraphiés par Franck Micheletti et interprétés par une quinzaine de danseurs. Trois journées intenses et ludiques. Ce volet sera ponctué de parcours inédits allant de la Meinau au centre-ville et faisant un détour jusqu’à Bouxwiller pour un exceptionnel Dimanche à la campagne orchestré par le chorégraphe Louis Ziegler. Extrapole se déploiera aussi dans une vingtaine d’événements pluridisciplinaires donnés par pas moins d’une dizaine d’artistes issus de différents pays et horizons artistiques ; de quoi aborder pleinement les beaux jours. Par Valérie Bisson – Photo : Romain Etienne

EXTRADANSE et EXTRAPOLE, danse du 21 avril au 6 mai et du 27 mai au 29 mai au Pôle Sud CDC, à Strasbourg www.pole-sud.fr

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Dans le temple du théâtre français, L’Illusion comique de Pierre Corneille est une création merveilleuse – au sens propre, comme figuré –, une démonstration des possibles du théâtre au cours d’un siècle où la scène se fait reflet de la vie. A leur arrivée à la tête du Théâtre des Osses de Fribourg – il y a de cela plus d’un an –, Geneviève Pasquier et Nicolas Rossier brandissent cette illustre pièce du XVIIe siècle comme un manifeste pour un théâtre contemporain libéré et créatif. Choix étonnant ? Pas tellement. Balayant toute référence trop « classique », le duo fribourgeois exploite à l’extrême la direction absurde déjà (timidement) empruntée par Corneille en 1635. Le baroque est ici prétexte à l’exploration des genres, invoquant sur scène la bande-dessinée, le cinéma, les jeux vidéo pour mieux brouiller le rêve et la réalité. Et c’est par le biais d’images projetées que les spécialistes de l’animation Frédéric et Samuel Guillaume donnent vie au monde imaginaire invoqué par le mage Alcandre. Celui-ci fait entrevoir à Primadant l’avenir de son fils grâce à un étrange procédé magique. Les jeux visuels se multiplient alors pour figurer les enchâssements de l’intrigue, faisant sombrer le spectateur dans un jouissif piège coloré. Une mise en scène audacieuse, qui embrasse la folie cornélienne. Par Claire Tourdot – Photo : Isabelle Daccord

L’ILLUSION COMIQUE, théâtre du 26 au 29 avril au Taps Scala, à Strasbourg www.taps.strasbourg.eu


Partenaire de l’exposition


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Parfaitement bilingue

Accélérateur de rencontres Impossible de résumer la 17e édition des Ateliers ouverts portée par l’association Accélérateur de particules. Cette année, ce sont précisément 418 artistes que l’on pourra rencontrer en visitant les 129 ateliers ouverts au public dans 31 communes alsaciennes durant les deux derniers week-ends de mai. Pour ceux qui préfèrent se laisser guider que de se fier au hasard, des pointures du monde de l’art contemporain proposent sept parcours choisis. On pourra ainsi faire confiance à l’équipe de la Synagogue de Delme, à Camille Giertler ou à Françoise Theis. Nouveauté 2016 : les organisateurs ont souhaité donner un coup de pouce aux artistes. Ainsi, 15 professionnels de l’art venus du Grand Est mais aussi de Suisse et d’Allemagne rencontreront 40 artistes à Motoco (Mulhouse) et au Bastion 14 (Strasbourg) lors d’entretiens individuels les 21 et 28 mai. De nombreuses fêtes seront par ailleurs organisées pendant les deux week-ends, notamment dans les ateliers collectifs. On citera en vrac un premier vernissage au Bastion à Strasbourg le 20 mai, des concerts programmés par Hiéro et 5 foodtrucks, puis un second vernissage, cette fois à Motoco à Mulhouse le 27 mai, avec des performances, des concerts, de la danse, du théâtre, de la restauration… et un bar. Enfin, le finissage aura lieu le 29 mai à la Semencerie à Strasbourg, avec des concerts, des performances, de la micro-restauration… et un bar ! Encore plus de détails sur le site internet de la manif et dans le programme joliment illustrés par Julie Luzoir.

S’il y a encore des frontières à faire tomber, le Festival Perspectives y participe activement ; seul festival franco-allemand consacré aux arts de la scène et se déployant de manière transfrontalière de Saarbruck à Metz, le succès de ce projet fait aujourd’hui partie intégrante de l’identité culturelle de nos régions. La programmation bilingue recouvre aussi bien le théâtre, la performance, la danse contemporaine, que le cirque et la musique. C’est le chorégraphe de renommée internationale qui ouvre le festival à Saarbruck, Angelin Preljocaj, avec son Roméo et Juliette sur des décors d’Enki Bilal, et qui donne au festival son ton d’audace et de créativité. Plus contemporain, la chorégraphe danoise Mette Ingvartsen présente une performance aérienne et décalée au Centre Pompidou de Metz. Arts scéniques aussi avec les deux prouesses de Pamina de Coulon, Fire of emotions: Genesis et Si j’apprends à pêcher, je mangerai toute ma vie, dont les titres seuls laissent présager de l’originalité de la jeune artiste suisse. Perspectives fait la part belle au théâtre documentaire avec Milo Rau et Markus&Markus, musical avec Samuel Achache et Hugo von Hofmannsthal ou décapant avec le Collectif OS’O… Une série de spectacles est dédiée au jeune public et convoque les nouveaux talents des arts du cirque, du théâtre d’objets et de marionnettes, de l’acrobatie… La sélection est pointue et exigeante et le voyage par-delà les frontières vaut vraiment le détour ! Par Valérie Bisson – Photo : Flavie Leleu

Par Philippe Schweyer – Visuel : Laurence Mellinger

LES ATELIERS OUVERTS, 21-22 & 28-29 mai de 14h à 20h www.ateliersouverts.net

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PERSPECTIVES, festival franco-allemand des arts de la scène du 12 au 21 mai 2016 www.festival-perspectives.de


Damien Deroubaix, Garage Days Re-visited, 2016 (détail de l'œuvre en cours de réalisation dans l'atelier de l'artiste) Courtesy de l'artiste et galerie Nosbaum Reding, Luxembourg © Photo : Guy Rebmeister

MUDAM L UXEMB OUR G 20.02.2016 – 29.0 5. 2016

DAMIEN DEROUBAIX PICASSO ET MOI Avec le soutien exceptionnel du :

Partenaire de l'exposition :

Mudam Luxembourg Musée d‘Art Moderne Grand-Duc Jean 3, Park Dräi Eechelen | L-1499 Luxembourg t +352 45 37 85 1 | www.mudam.lu

vendredi

29.04 20:30

confluence – renaissance

Médée

Orchestre Dijon Bourgogne Chœur de l’Opéra de Dijon direction musicale Nicolas Krüger mise en scène Jean-Yves Ruf

opéra Auditorium

17/05 19/05 21/05 20h00 20h00 20h00 opera-dijon.fr | 03 80 48 82 82

Conception : starHlight

Cherubini

N° de licence entrepreneur du spectacle : 1050935 - 936 - 937

Opéra de Dijon 2016 - crédit photo © Gilles Abegg - Opéra de Dijon - design graphique Atelier Marge Design & VITALI. - composé en Minion & Dijon - licence 1 - 107675 2-107676 -107677

concert

avec Sur Scène chriStoPhe hohler et le grouPe DeciBellS SzilàrD Buti, SiegfrieD Kutterer, Domenico melchiorre : PercuSSionS chriStoPhe hohler : clavierS matthieu BoetSch : viDéaSte-réaliSateur

SaiSon De PrintemPS 2016

lacoupole.fr


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Tout est dada !

Operetta Burlesca

Cinquième round Une vingtaine d’événements au sein d’une dizaine de lieux : le festival RING trace un cercle autour de Nancy et du Théâtre de la Manufacture, qui organise pour la cinquième année consécutive ces « Rencontres Internationales Nouvelles Générations » tournées vers des écritures et des mises en scène actuelles et audacieuses. Cinq créations y seront présentées, dont The Events de David Greig, avec Romane Bohringer et Antoine Reinhartz, où pulsions destructrices et esprit de communauté se télescopent. Tank man, le face-à-face avec un char d’assaut du chorégraphe et danseur Ali Salmi, de la compagnie Osmosis, ou Drivein, autour des « supermarchés » suisses de la prostitution à la scénographie saisissante, sont au rang des créations locales, partageant l’affiche avec des compagnies internationales. Des spectacles en version originale surtitrée seront également présentés, comme le jardinage urbain entamé par Rodrigo Garcia avec 4, ou encore le ping-pong d’idées et de théories autour du processus créatif de Las Ideas par Federico Leon. La multiplicité des espaces investis fait écho à celle des esthétiques, des formes, des propos, toujours tournés vers des images et des émotions conçues pour secouer. Événement cathartique et festif autour d’un spectacle vivant et palpitant, RING propose aussi, pendant un peu plus d’une semaine, de communier autour de moments musicaux, ou encore des installations plastiques de Johnny Lebigot. Par Benjamin Bottemer – Photo : Fabio Melotti

Festival RING,

du 21 au 29 avril à Nancy et alentour. www.nancyringtheatre.fr

26

Quel meilleur hommage peut-on rendre au courant dada, à l’occasion du centenaire de ce non mouvement, que d’offrir la vision des pratiques les plus ouvertes, les plus éclatées ici bas ? De la musique bien sûr, mais aussi de la photographie, de l’installation sonore, de la vidéo, de la danse et de la performance, sous toutes ses formes. Dada donc, dans ses filiations les plus (in)directes, via les tentatives du siècle – Fluxus, le free-jazz, le punk, les avant-gardes tous azimuts depuis plus de 50 ans – dans cette manière si singulière de décloisonner, de transgresser, mais aussi de susciter. Au cours de cette 32e édition, pas moins de 79 rendez-vous en 13 journées pour 58 concerts ou performances dans le cadre d’un festival qui n’aura jamais aussi bien porté son nom : action. Action et création, avec 22 pièces, dont plusieurs séries – Vagabondage de Pallandre et Pichelin, le dispositif immersif Phonoscopie de Yanik Miossec et Thierry Madiot –, et même un feuilleton en 6 épisodes de Dominique Petitgand, des « pièces sonores, parlées et musicales » qui se présentent sous la forme de 6 séances d’écoute différentes d’une vingtaine de minutes. Autant de microunivers qui tiennent autant du récit que de la poésie. Des rencontres inédites, du mouvement, de la vie. Comme dit Dada encore, Dada toujours (et joyeux non anniversaire) ! Par Emmanuel Abela – Photo : Céline Fernbach

MUSIQUE ACTION #32 Du 3 au 16 mai au CCAM – Scène Nationale de Vandœuvre www.musiqueaction.com


L.E.S :

1-1024928 / 2-1024929 / 3-1024930

CDN Nancy Lorraine

ARSENAL

Danse

MUSIQUES ET DANSE 2015-2016

MAGUY MARIN 22.04.16 20H

CRÉATIONS FRANÇAISES

CRÉATIONS

TANK MAN, DRIVE IN, Truc&Truc

Rencontres Internationales Nouvelles Générations

3 avenue Ney 57000 Metz

LES ÉVÈNEMENTS (THE EVENTS), QUATRE INFIRMIÈRES SUÉDOISES EN DÉPLACEMENT

+ 33 (0)3 87 74 16 16 www.arsenal-metz.fr

VENDREDI

CRÉATIONS VÉGÉTALES JOHNNY LEBIGOT ...

BIT 29€ / 25€ / 10€ * * – 26 ans & demandeurs d’emploi Photo : P. Grappe. Conception : fredetmorgan.com

L’illusion comique MAR 26 MER 27 VEN 29 AVRIL

20H30 JEU 28 AVR. 19H

TAPS SCALA

De Pierre Corneille Mise en scène Geneviève Pasquier, Nicolas Rossier Centre dramatique fribourgois Théâtre des Osses, Givisiez, Suisse

saison 15 — 16 www.taps.strasbourg.eu tél. 03 88 34 10 36

Pangramme – learning type design 50 projets typographiques issus d’écoles en France et à l’étranger, exposés à l’ École Supérieure d’Art de Lorraine, Metz. Plus d’informations sur www.pangramme.org Jury Andrea Tinnes, Allemagne Alejandro Lo Celso, Argentine Matthieu Cortat, France Hans-Jürg Hunziker, Suisse Gerard Unger, Pays-Bas

École Supérieure d’Art de Lorraine, Metz 1 rue de la citadelle, Metz + 33 (0) 3 87 39 61 30 Vernissage 28 avril 2016, 18 h Exposition 29 avril – 20 mai 2016


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Sylvain Rifflet

Esprits dans la machine

La danse des sens Les Variations Goldberg, on les connaît surtout au piano – on a même surtout tendance à les connaître interprétées par Glenn Gould. Mais il est bon parfois de rappeler qu’elles ont été composées au clavecin – Keith Jarrett ne s’était pas privé de le faire par le passé ! – et même qu’elles étaient destinées à deux claviers. D’où une complexité particulière dans l’interprétation pour un musicien seul avec un usage fréquent de croisements de mains. Une difficulté dont Anne-Catherine Bucher, claveciniste en résidence à l’Arsenal et animatrice des très plaisants Cafés Baroques, s’accommode aisément, évoquant à propos de ce qu’elle nomme les Goldberg, « cette folle chorégraphie des doigts, l’humour omniprésent, cette tonalité de sol majeur pleine de bagou, ces rythmes aux caractères bien trempés et puis les canons dans lesquels on plonge comme dans un labyrinthe et dont on ne se lasse jamais ». Et de poursuivre, avec l’enthousiasme qui la caractérise : « C’est un monument et nous allons le gravir ensemble de manière si légère que vous serez émerveillés d’en atteindre le sommet ! » Sa manière bien à elle de resituer cette œuvre infinie qui tout en se basant sur une technique exigeante ne cesse d’interroger la forme, le rythme, la question de l’expression et du raffinement. Bref, d’ouvrir des perspectives esthétiques vertigineuses. Par Emmanuel Abela

CAFÉ BAROQUE

concert d’Anne-Catherine Bucher (clavecin) autour des Variations Goldberg, le 26 mai, à l’Arsenal, à Metz www.arsenal-metz.fr

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En quelques années, le festival Like a jazz machine s’est imposé comme un rendezvous incontournable pour les amoureux de la note bleue en Grande région. Pour sa 5e édition, l’événement réunira à l’Opderschmelz de Dudelange 17 formations croisant des esthétiques diverses, contemporaines et voisines du jazz. Parmi les musiciens confirmés, on retrouvera le vétéran Fred Wesley, icône du funk qui s’est fait connaître auprès de James Brown, le allstar band European leaders de la pianiste Rita Marcotulli, intégrant notamment les excellents Michel Benita et Andy Sheppard, ou encore Bojan Z, dont le be-bop balkanisé se télescopera avec le jazz fusion du saxophoniste Julien Lourau. Deux sorties de résidence sont programmées : celle de Sylvain Rifflet et son bruitiste Acous_matic, et le (De) Lux project de Sigurdur Flosason avec le Luxembourgeois Jeff Herr, tandis que Pit Dahm présentera son nouvel album avec son trio augmenté de la présence du Hollandais Harmen Fraanje. Le Rubrica Art ensemble, dont fait partie le local Maxime Bender, se produira pour la première fois sur scène. Au rayon des surprises hybrides, citons le Hidden orchestra, qui se balade entre jazz, trip-hop, musique classique et contemporaine, le tout jeune quartet Orioxy, ou la fusion opérée par le Tinissima 4tet de Francesco Bearzatti. Une édition sous le signe de la découverte et de la curiosité. Par Benjamin Bottemer

Like a jazz machine, du 5 au 8 mai à l’Opderschmelz de Dudelange, au Luxembourg www.jazzmachine.lu


AfficheDECAUX_Avril-Juin_BAT-FOGRA39.pdf

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22/03/2016

14:11

Avril Juin 2016

machines à perturber le temps

EXPOSITION DU 30 AVRIL AU 9 JUILLET 2016 Commissariat ANNE LAFORET UnE CoprodUCtion dE l'imal (BrUxEllEs) AVEC LES ŒUVRES DE : signal to noisE, Bálint Bolygó, projECtsingE, daVid gUEz, CéCilE BaBiolE Et jEan-mariE BoyEr, yann lEgUay, dardEx, sUzannE trEistEr, Flo KaUFmann. \\\\\\\\\\\\\\\\\\\\\\\\\\\\\\\\\\\\\\\\\\\\\\\\\\\\\\\\\\\\\\\\\\\\\\\\\\\\\\\\\\\\\\\\\\\\\\\\\\\\\\\\\\\\\\\\\\\\\\\\\\\\\\\\\\\\\\

1, rue de la Varonne ■ 90 140 Bourogne www.espacemultimediagantner.territoiredebelfort.fr Espace multimédia gantner

DÉPARTEMENT DU TERRITOIRE DE BELFORT | DIRECTION DE LA COMMUNICATION | MARS 2016 | N° DE LICENCE : 2-1017942 - 3-1017943 - VISUEL : 1,8S - FLO KAUFMANN

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InSitu

Anarchronisme Dans la continuité du projet présenté l’année dernière à l’iMAL (Interactive Media Art Laboratory) à Bruxelles, l’Espace multimédia Gantner accueille un ensemble d’œuvres déjouant la mesure scientifique de l’écoulement du temps. L’idée ? Mieux brouiller le stockage des informations et perturber la communication. Une dizaine d’artistes parmi lesquels Suzanne Treister, David Guez ou encore Flo Kaufmann présentent ainsi leurs œuvres anarchistes à contretemps. (F.A.) Du 30 avril au 9 juillet, à l’Espace multimédia Gantner, à Bourogne www.espacemultimediagantner.cg90.net

Nackter Mann mit Goldener Krone, Stephan Balkenhol, 2015

Conversation au fil de l’eau, de Cécile Babiole et Jean-Marie Boyer

Philippe Cognée Stephan Balkenhol Depuis les années 80, les deux artistes ont engagé leur pratique sur la voie de la figuration. Le rapprochement pourrait sembler quelque peu anecdotique s’il n’y avait pas chez chacun une volonté de faire de la figuration le lieu d’une interrogation. Entre expressivité et détachement, les silhouettes hirsutes et solitaires taillées par Stephan Balkenhol dans la chair tendre du bois répondent aux peintures photographiques réalisées à la cire par Philippe Cognée. (F.A.) Du 22 mai au 9 octobre à la Fondation Fernet-Branca, à Saint-Louis www.fondationfernet-branca.org

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Simone Adou En apesanteur Les figures dessinées par Simone Adou semblent traverser un monde parallèle et expérimenter divers états du corps, entre pesanteur de la chair et évanescence onirique. Ces corps dédoublés, presque aspirés par le blanc de la feuille, troublent autant que les créatures hybrides aux allures mythiques. L’abysse d’autres mondes et d’autres formes de vie menace à la surface de la feuille. Entre l’homme et l’animal, un cerf, à la cage thoracique translucide, dont les bois se métamorphosent en floraison ondoyante, incarne à lui seul la multiplicité du vivant. (F.A.) Projection, Simone Adou, pastels secs et pigments sur velin d’Arches noir, 2012

Jusqu’au 14 mai, au Musée des Beaux-Arts, à Mulhouse www.musees-mulhouse.fr

Prière de toucher Le tactile dans l’art Après Belle Haleine – L’odeur de l’art, le musée Tinguely poursuit son cycle d’expositions thématiques consacrées aux cinq sens. Que se passe-t-il lorsque notre peau intervient en premier dans notre découverte de l’art ? Peut-on décrire et transposer en images les expériences tactiles ? Deux questions auxquelles l’exposition Prière de toucher s’efforce de répondre tout au long d’un parcours stimulant. Et comme certains artistes réussissent à nous « toucher » plus que d’autres, on signalera notre coup de cœur pour les photographies d’Hannah Villiger, une artiste suisse décédée en 1997. Une de ses œuvres (non exposée) est en couverture de ce numéro. Parviendra-t-elle à « toucher » nos lecteurs ? (P.S.) © Pipilotti Rist, Pickelporno (Pimple Porno), 1992 (vidéo still)

Jusqu’au 16 mai au musée Tinguely, à Bâle www.tinguely.ch

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Le chemin du retour La Filature réunit deux photographes pour une même plongée au cœur de deux types de forêts : Fred Jourda retourne chaque année se ressourcer dans les sous-bois du Morvan où il fixe des motifs raffinés qui ne cessent d’évoluer. De la miniature à un mur entièrement boisé à la manière des imprimés kitsch sur papier vinyle des années 70, ses clichés reflètent une forme de tranquillité intérieure. De son côté, Estelle Hanania documente méticuleusement les étranges traditions ancestrales d’une région montagneuse reculée de Suisse et nous envoûte avec ses photographies aussi énigmatiques qu’inquiétantes, réalisées dans la forêt artificielle d’un spectacle de Gisèle Vienne. (P.S.) Jusqu’au 30 avril à La Filature, à Mulhouse www.lafilature.org

© Fred Jourda

1+1=Un Artiste, éditeur et imprimeur d’art, Charles Kalt explore les techniques d’impression les plus diverses pour réaliser des estampes, des livres d’artistes et des installations. Pour cette expo, il a délibérément choisi un titre « bateau pas sérieux » en forme de jeu typographique (1 chiffre + 1 chiffre = 2 lettres) qui lui rappelle l’école et les devoirs. Jouant avec la configuration des deux salles d’exposition, Charles Kalt propose un accrochage presque symétrique avec l’espoir de rappeler que la gravure est un médium à part entière, aussi important que la peinture ou la photographie. (P.S.) Du 22 avril au 22 mai à la Bibliothèque Grand’Rue, à Mulhouse www.mulhouse.fr

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InSitu

Ilana Isehayek Hushed Breath Ilana Isehayek s’approprie l’espace d’exposition André Malraux en concevant deux volumes en contreplaqué. En s’inspirant du voyage et de la nature, l’artiste manipule ce matériau habituellement dévolu au mobilier ordinaire selon des procédés inattendus, et lui insuffle grâce et légèreté. Le visiteur entre en tension avec des formes oblongues et enflées qui révèlent un minimalisme radical, mais poétique. (F.A.) Jusqu’au 15 mai, à l’Espace d’Art Contemporain André Malraux, à Colmar www.colmar.fr

The Lull before the Storm, Ilana Isehayek, installation in-situ – 2016

Léa Barbazanges La fragilité se lit parfois au cœur même de la nature, Léa Barbazanges l’a bien compris. C’est pourquoi elle assemble différents matériaux sous des formes végétales, minérales ou animales. Ainsi, les ailes de mouches, les pétales ou les fragments de cristaux nous amènent à penser différemment ce qui nous environne. Loin de toute grisaille, comme si les éclats de lumière jaillissaient par instants. (E.A.) Jusqu’au 28 mai, au Lieu d’Art et de Culture / LAC, à Sainte-Marie-aux-Mines (en partenariat avec le FRAC Alsace)

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InSitu

Now watching Strasbourg/ Séoul 20052015 Comment le voyage et la découverte d’une autre culture peuvent-ils influencer la création ? Qu’est-ce qui retient le regard et nourrit la sensibilité en terre inconnue ? Venant fêter une décennie d’échanges artistiques entre Strasbourg et Séoul, l’exposition accueillie par le CEAAC résonne comme un premier bilan. Une vingtaine d’artistes, parmi lesquels Ramona Poenaru ou Sojung Jun présentent ainsi des œuvres réalisées en résidence de part et d’autre du globe. Alors qu’est célébrée l’année FranceCorée, la question de l’identité se révèle aussi insaisissable que fertile. (F.A.)

Self-portrait Subway, Line 3, June, Seoul, Cécile Straumann, 2005, photographie argentique, 80×120cm

Jusqu’au 22 mai, au CEAAC, à Strasbourg www.ceaac.org

Figures de la femme à l’aube de la modernité 1880-1920 Et si l’émancipation féminine en Occident avait pour origine la révolution industrielle au XIXe siècle ? C’est l’hypothèse suggérée par les commissaires de cette exposition, Marie-Jeanne Geyer et Thierry Laps. La vie nocturne s’intensifie, aussi les femmes quittent l’antre du foyer pour mieux s’enivrer dans l’agitation au dehors. Issues des collections strasbourgeoises, les œuvres présentées dévoilent cocottes et demi-mondaines, domestiques et grandes bourgeoises comme les incarnations d’une féminité nouvelle. (F.A.) Jusqu’au 29 mai, au MAMCS, à Strasbourg www.musees.strasbourg.eu

Élégantes sur les boulevards, René Hermann-Paul (Paris, 1874 – 1940), 1898, lithographie en couleur Strasbourg, MAMCS

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Boterosutra 51, Fernando Botero, 2013, Huile sur toile, Collection de l’artiste Photo: François Fernandez

Fernando Botero, collection Würth et prêts L’univers bouffi de Fernando Botero déroute, amuse, inquiète. Peut-être que le célèbre peintre colombien, qui dévoile aujourd’hui un travail autour du Kamasutra, n’est pas le peintre de la chair débordante qu’on imagine d’abord. En cela, finalement, il n’est pas le digne successeur de Rubens, Ingres ou de Renoir. Puisque tous les éléments de ses peintures et dessins subissent le même gonflement, on peut imaginer que c’est l’hypertrophie du réel qui engage véritablement l’art de Botero. (F.A.) Jusqu’au 15 mai, au Musée Würth, à Erstein www.musee-wurth.fr

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InSitu

Nil Yalter, Topak Ev, 1973 Courtesy santralistanbul Collection

Nil Yalter L’artiste turque Nil Yalter méritait sa rétrospective française. Engagée, exilée volontaire en France, installée à Paris dès 1965, elle n’a eu de cesse de confronter les médiums, peinture, dessin, photographie, vidéo et installation. Elle l’a fait en pionnière, en phase avec son temps – et l’avènement de l’art conceptuel –, mais aussi en femme libre. Il était temps qu’on s’attache un peu plus précisément à son œuvre. C’est chose faite avec une quinzaine de pièces qui la révèlent dans toute sa diversité. Dans sa plus grande sensibilité. (E.A.) Jusqu’au 5 juin au Frac Lorraine, à Metz www.fraclorraine.org

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Les cinq sens dans la peinture Michel Sweerts, Garçon au turban, 1661

Les 5 sens sont trompeurs, et donc sources de péché, c’est pour cela que le Moyen-Âge s’est montré méfiant quant à la manière de les représenter. Au moment de la Renaissance, et plus encore à l’ère baroque, ils deviennent matière à spéculation figurée : sous la forme symbolique ou allégorique, ils ne cessent dès lors de nourrir l’imaginaire des peintres. En focalisant sur des peintures et des gravures du XVIIe jusqu’au XIXe, la Villa Vauban restitue ce long cheminement vers les sens. En quête de belles perceptions. (E.A.) Jusqu’au 26 février À la Villa Vauban – Musée d’Art de la Ville de Luxembourg villavauban.lu

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Une balade d’art contemporain Par Sandrine Wymann et Bearboz

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Rover 03.03

Laiterie

Strasbourg

Par Emmanuel Abela et SÊverine Manouvrier Photo : Pascal Bastien

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Lors de tes premières interviews, tu évoquais l’un de tes premiers chocs musicaux, l’écoute de A Day In The Life des Beatles. C’est amusant parce que l’on constate constamment chez toi cette envie de créer de l’espace pour tes chansons pop. Est-ce là l’un des enseignements des Beatles, entre autres choses ? Oui, entre autres choses. C’est aussi et surtout d’amener la musique classique dans la sphère pop, de fusionner les styles, d’assumer une forme de liberté. Je pense que ce serait se mentir que de dire qu’on n’a pas d’influences et qu’on les renie. Les Beatles en font partie, c’est le seul groupe que je peux écouter sans me lasser, parce qu’il y a un panache, une fougue qui leur est propre. Certaines chansons vont très loin, dans l’exploration d’une certaine forme de psychédélisme, quitte à flirter avec le krautrock comme c’est le cas sur In The End. Le krautrock a été une vraie découverte, aussi bien le son que la démarche. C’est le rock’n’roll mis ailleurs, une forme de provocation saine via la musique. Les disques de cette génération de musiciens allemands sont sublimes à écouter, ils me mettent en état de transe. Ce mélange, et puis ce travail rythmique basse-batterie me fascinent ; éthiquement, il y a quelque chose qui se passe parce que ça s’appuie sur une réflexion, d’où une musique patiente qui prend le temps là où la pop se livre très vite avec un refrain, un couplet. Mais il y a quelque chose de très accrocheur dans la pop, que j’adore aussi ! Ce passage sur In The End est clairement une référence à un titre de Neu!, le titre d’ouverture de leur premier disque d’ailleurs [Hallogallo, ndlr], où le groupe développait cette espèce de musique électronique avant l’heure, avec l’aspect très organique de toutes ces couches réalisées avec de vrais instruments et des êtres humains derrière ! Tes modèles sont anglo-saxons, avec Dylan et Bowie parmi d’autres, et pourtant tu t’inscris dans une tradition pop bien française qui remonte à Christophe ou Polnareff, et bien sûr à Serge Gainsbourg. Tu chantes en anglais mais ta facture reste très française… Oui, je l’assume complètement, j’aime la France et je suis fier d’être français. Le fait d’avoir voyagé m’a fait aimer la France, c’est un peu comme en amour : on voit son pays de loin et on l’aime d’autant plus. Il m’a beaucoup manqué dans certains voyages, j’étais heureux de le retrouver. Dès lors qu’on voyage dans d’autres contrées, on se rend compte de la chance qu’on a. Ce pays est imparfait, mais l’imperfection me plaît – c’est ce que j’aime tant en musique, chez les gens –, puis il est plein de bonne volonté, de ressources, de richesses, et ce n’est pas quelque chose que je voulais renier dans mon projet malgré le fait de chanter en anglais. Je suis quand même un enfant français qui a voyagé, qui a grandi aux

Etats-Unis. Donc, la langue anglaise je l’assume comme je l’ai apprise, avec mes travers et ma liberté de l’interpréter. Je voulais que ce disque sonne très européen, je me le suis dit très tôt au moment d’écrire. Des gens comme Gainsbourg sont allés s’inspirer du son anglais, de même pour Polnareff dont certaines productions dans les années 60 sont presque meilleures que certaines productions anglaises. Tout cela se mélange très bien, et même si je chante en anglais, il faut que le terreau français transpire dans la musique. Comment vois-tu ta propre évolution ? Plus j’avance, et plus le style de musique que j’affirme s’affine. Ça permet d’avoir une assise solide pour pouvoir intégrer d’autres influences ou expériences, en collaborant avec des gens qui viennent d’un son plus moderne, plus américain, anglo-saxon. On a une approche de la musique, de l’écriture, de l’enregistrement radicalement différente de ce qui se faisait il y a trente ans. Je trouve la cassure entre musique classique et rock inquiétante parce que profonde, j’aimerais qu’on remette le classique au goût du jour car on en a fait quelque chose de très précieux et d’inabordable par moments auprès de la jeunesse. Et les Beatles montrent qu’on peut avoir cinq ou six harmonies dans une chanson sans que ce soit trop complexe pour l’oreille du non musicien. J’ai peut-être ce fantasme de faire de la musique classique de 2016, avec des instruments empruntés au rock. Tu dis une chose étonnante : les gens ne doivent plus avoir peur de l’avenir, ils doivent garder leur confiance. Un message qui tranche avec la torpeur actuelle. D’où puises-tu ta propre confiance ? Je ne sais pas d’où je la puise, en tout cas, je me bats pour ne pas la perdre, mais c’est très fragile, on peut être tenté de baisser les bras chaque jour. On doit admettre qu’il n’y a pas de but, que la fin est la même pour tout le monde. On a tous nos raisons d’avoir peur, mais n’ayons pas peur de nous tromper ! Il n’y a pas de risque de se tromper en art. Même en amour, en amitié. Avant, il y avait cette envie d’avancer ; aujourd’hui, les choses sont plus cadenassées, et je ne veux surtout pas que ça se sente dans la musique. J’ai tendance à beaucoup l’entendre dans les musiques d’informaticien qui ont peur de se tromper. Je fais une musique sur bande, et si je me trompe, ce n’est pas grave, je ferai d’autres disques !

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Rencontres

Abd al Malik 26.02

Noumatrouff

Mulhouse

Par Emmanuel Abela et Pauline Joerger Photo : Vincent Arbelet

Dans Scarifications, on constate un triple retour : à une forme originelle de rap, à une forme électronique sèche, immédiate et urgente comme aux origines de la techno de Detroit, laquelle est magnifiée par cette belle collaboration avec Laurent Garnier. As-tu ressenti le besoin de retourner à l’essence même des choses ? En fait, tout s’est fait naturellement. De manière générale, j’essaye de ne pas préméditer les choses afin de privilégier la nécessité du moment. Lorsqu’avec Bilal [le frère de Malik, compositeur et producteur, ndlr], on travaillait sur la bande originale du film Qu’Allah bénisse la France, nous voulions retrouver ce que nous écoutions gamins quand on allait en Allemagne dans des clubs : de la house, du rap, du funk, de la techno et de la house de Chicago ou de Detroit. Bilal a commencé à faire des choses, mais nous n’étions pas vraiment satisfaits, et on s’est dit que Laurent pouvait nous aider à amener les choses un peu plus loin.

Les textes, tu les avais écrits en même temps que le tournage du film ? Oui, j’écrivais en même temps que je tournais, d’où ce retour sur ma propre histoire. Rien n’était prévu, ni programmé, et l’introspection est née comme ça, de manière naturelle. J’analyse a posteriori, mais il arrive un moment où chaque artiste fait une sorte de bilan. Tout est mu par une espèce de nécessité intérieure. D’une certaine manière, quelque chose m’obligeait à aller dans des zones où je n’avais pas nécessairement envie d’aller. C’est curieux comme sensation. On tournait, on travaillait et le soir j’écrivais, ce qui fait que tout allait ensemble.

Pourquoi ce choix ? Avec Laurent, nous nous sommes rencontrés il y a un peu plus de dix ans ; il était venu nous voir jouer à la Maroquinerie deux soirs de suite, avant de nous rendre visite en loge. Nous étions hyper honorés parce qu’évidemment nous connaissions son travail. Quelque temps après, au festival jazz de Montreux, nous avons partagé la même scène, lui un jour et nous le lendemain. Il nous a invités à le rejoindre sur scène, ce que nous avons fait et comme nous avons vécu un moment hyper fort, nous nous sommes promis de retravailler ensemble. Les occasions ne se sont pas présentées, mais nous avons gardé le contact. Là, l’opportunité était là, nous lui avons amené ce que nous avions fait, Bilal et moi. Il a tout pris et tout éclaté ! De manière absolument magnifique.

Le titre de l’album nous indique des marques qu’on s’impose à soimême, les Scarifications. Cellesci s’inscrivent sur la durée. Ces marques nous identifient-elles ? Il y a d’un côté l’automutilation et les marques qu’on s’inflige à soi-même, mais la vie, l’existence, nous mutile aussi. Après, si l’on parle de cicatrices, on parle aussi de choses qu’on a transcendées, qu’on a dépassées. Tout d’un coup on magnifie ces cicatrices-là, on dit : regardez, je suis un survivant. Ok l’ombre, ok l’obscurité, mais ça ne m’a pas contaminé totalement, je me suis battu pour devenir cet être de lumière. Et je continue à me battre. C’est donc un cri d’espoir. Aucune obscurité n’est jamais assez épaisse pour voiler la lumière. C’est une démarche presque volontariste dans le sens où l’on doit se battre pour ne pas se laisser contaminer par la part de noirceur qu’on a en nous. Cette vision-là te libère-t-elle en tant qu’artiste ? Sans prétention aucune, j’ai le sentiment de maîtriser quelque chose de mon art. C’est ce qui semble nécessaire pour pouvoir éclater les règles. Au préalable, il faut s’inscrire dans une démarche de maîtrise. C’est ce qui m’intéresse, d’ailleurs : je n’ai pas

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envie de repousser les limites esthétiques de mon art, j’aimerais le redéfinir, le réécrire, réinventer quelque chose. Il y a une vraie réflexion autour de la chose musicale : est-ce que la musique est simplement un objet de consommation ou est-elle une forme d’art à part entière qui, à ce titre, doit être traitée comme telle ? Surtout aujourd’hui, à l’ère du streaming, au moment où j’accumule 20 000 morceaux dans mon iPad comme si c’était la quantité qui déterminait la qualité. Ce qu’il y a de positif dans le monde d’aujourd’hui, c’est d’avoir accès à tout cela et de tenter de construire quelque chose de cohérent. Cette réflexion concerne aussi bien la manière de choisir mes collaborateurs pour le disque lui-même que la manière de l’amener sur scène. Le spectacle, le concert qu’on propose se situe entre la rave party, le concert de rap et l’installation d’art contemporain.

L’idée c’est de se rapprocher de l’œuvre d’art totale. J’utilise tous ces médiums, la musique, la littérature ou le cinéma, pour dire la chose suivante : nous sommes un, nous ne devons pas nous limiter aux formes. Il y a quelque chose qui en même temps nous dépasse et qui est nous. Essentiellement nous.

Abd al Malik, le 25.02 à la Vapeur dans le cadre de GéNéRiQ

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GéNéRiQ 2016 Par Martial Ratel (traduction Julien Rouche) Photos : Vincent Arbelet

Crows 27.02

Consortium

Dijon

LA Priest 28.02

Consortium

Dijon

GéNéRiQ se pose deux soirs au Consortium, pour deux ambiances : « rockisante et électronisante ». On retiendra du premier, les Londoniens Crows édifiant un mur de son psyché, tout en reverb, et badinant parfois avec des atmosphères lugubres, dark, post-punk de la meilleure école british. J.Cox, le frontman, va au contact du public, descend dans la foule tenant la dragée haute à ses musiciens et au public. Le lendemain, c’est l’incroyable LA Priest qui, au bout de quelques morceaux, va lui aussi s’allonger micro en main au milieu de ses fans. Continuant à chanter, allongé au milieu de ceux à qui il vient de demander de s’accroupir. Temps d’union après l’exaltation des corps.

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Cavern of Anti-Matter 26.02

Cellier de Clairvaux

Dijon

Après des années de silence, Tim Gane, ex-Stereolab, revient sur le devant de la scène avec Cavern Of Anti-Matter, trio krautrock instrumental qui n’hésite pas à faire appel à des chanteurs comme Bradford Cox ou Sonic Boom. Le premier disque Blood-Drums date de 2013. Est-ce la date de naissance du projet ? Ce premier enregistrement est une commande pour un label basé à Berlin, Grautag, dirigé par un artiste français : Nicolas Moulin. Il m’a demandé de composer une bande-son électronique. Je venais d’acheter pas mal de matériel pour mon studio et j’ai demandé autour de moi si quelqu’un pouvait m’aider, on m’a conseillé Holger Zapf qui joue des claviers sur scène. Joe Dilworth [ex-Stereolab aussi, ndlr] avait fait une session de batterie mais ce devait être un remix. Au départ, il n’était pas question de groupe. C’était juste mon projet.

Les longs morceaux non formatés de Cavern t’offrent-ils plus de possibilités qu’avec Stereolab ? Il n’y a jamais eu de standards à respecter avec Stereolab. On a toujours fait ce que l’on voulait. Là, j’ai juste voulu que ce soit différent de tous les autres groupes auxquels j’ai participé. Et ce n’est pas facile parce que les habitudes mentales sont là. Sur le nouveau disque, il y a des voix. À quel moment, décides-tu d’ajouter des chanteurs comme Sonic Boom (Spacemen 3) et Bradford Cox (Deerhunter). Contrairement au premier disque, j’ai exprimé l’envie de placer des voix, y compris pour des sons de bouche noisy. J’ai demandé à Sonic Boom car j’adore ce qu’il a fait par le passé, des choses très inventives. Le morceau avec Bradford était une musique de film, mais j’avais très peu de temps pour la produire. Elle est restée sous la forme de démo jusqu’au jour où j’ai eu le très beau chant de Bradford. Du coup, on l’a refaite pour qu’elle sonne mieux. Le nom du groupe est une référence aux situationnistes. Qu’est-ce qu’il y a de situationniste dans ta musique ? Oui, c’est vrai pour la référence, mais c’est juste un nom, il n’y a rien de situationniste dans ma musique [rires]. Tu choisis un nom en fonction de ce qu’il inspire lui-même comme musique. Les mots sonnent bien... Et ça c’est situationniste ! [Rires]

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Calvin Johnson 26.11

Lieu secret

Mulhouse

Par Jean-Damien Collin Photo : Dorian Rollin

« On le fait jouer ? » La question de Nicolas [Jeanniard, ndlr] ne s’est pas posée longtemps… Ce sera peutêtre la 4e fois en 20 ans, mais jamais à Mulhouse. Un concert privé et un à-côté radio peuvent réparer cela et trouver son aval. Et puis dire non, ce n’est pas possible ! L’échange de mails se conclut par un « Let’s do it ! » de Calvin Johnson… Le 26 octobre vers 14h, toujours sans nouvelle de son arrivée, j’emmène mon fils et un de ses amis prendre le train pour Colmar. Évidemment, j’aperçois Calvin Johnson avec un chariot dans le hall de la gare mulhousienne… Une sorte de déambulation nonchalante. J’avais vérifié les heures d’arrivée des TGV et c’était une option envisagée. Sans surprise, comme les autres fois, un événement soudain crée un rapport à l’espace et à la vie quotidienne avec lui. Et le mieux est de le prendre sans se poser de question. C’était le cas en 1997 avec sa disparition en trans du show de Dub Narcotic Sound System pour divaguer dans les rues colmariennes avoisinantes. Ou en 2003, avec mon coup de frein soudain en l’apercevant marcher d’un pas déterminé de la vieille ville vers son concert. « Hey Calvin, come on! », vitre baissée dans le noir et au loin. Sans chercher à comprendre, il monte et nous partons. « Colmar is cool! » dira-t-il quelques heures plus tard sur scène. C’est vrai qu’il en connaît la face la plus cool…

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Bon, soyons pragmatique, j’ai Isidore et Lucas à mettre dans le train et j’ai besoin de billets. Et puis le retrouver. Il semble être parti pour divaguer, c’est jouable. Go ! Dans le calme, Opération billets, quai, train. Maintenant, le chercher. Personne dans le hall, ni au stand alimentation industrielle… Personne dehors… Direction le hall des arrivées, à l’opposé de celle qu’il prenait. Et… bingo ! Au milieu du couloir, je l’observe en diagonale prolonger sa dérive nonchalante vers moi. Là, il m’aperçoit et certainement aussi mon insigne rond au revers de ma veste, celui avec un K dans un écusson, qui me vaut tant de questions… Mais là, cela le fait sortir de sa déambulation et nous partons pour la maison. Dans le tram, je le vois regarder les immeubles défiler. Le soir, il racontera qu’il a aimé ce voyage en tram, ces immeubles qui jalonnent le chemin de la gare au Grand Rex. Et comme il préfère cette poésie à celle du métro parisien… À 16h30, Nicolas passe à la maison. Calvin Johnson a commencé son engagement culturel par la radio… On connait ! Pour cette journée très personnelle, nous lui avons proposé une carte blanche. Deux heures en libre service sur MNE. Un moyen d’associer le plaisir de l’avoir avec nous et d’avoir construit cette radio pour les habitants. À 17 h, On The Air. « Si vous êtes là, great ! J’en suis heureux. Calvin Johnson, en direct live sur Mulhouse New Experience. C’est une radio d’habitants, mais elle est aussi disponible partout dans le monde avec le world wide web… So exciting, de vous avoir ici avec moi ! » Une fin d’après-midi où il prendra sa guitare pour chanter et partagera son plaisir avec la musique des Shivas, Xperience, Pop Group, Lime Crush ou Dream Boys. Ou un superbe Wasn’t Said de Mecca Normal… La suite de la soirée suivra son cours.


Rencontres

Il y quelques années, j’avais lu ses positions sur les labels musicaux locaux et le parallèle avec la production agricole. De la similitude politique dans l’alimentation comme dans l’art de penser local dans une forme ouverte. Il me précisera : « C’est important de soutenir l’économie de l’agriculture locale pour de nombreuses raisons. Cela fournit les moyens de vivre à tes voisins, les fermiers. L’environnement est protégé, car tu

consommes des aliments produits localement plutôt que ceux qui font des centaines, voire des milliers de kilomètres, causant une émission carbone incalculable. Et la nourriture est meilleure quand elle est servie fraîche ! Ceci est similaire au soutien aux labels de disques locaux et indépendants, car tu soutiens tes voisins et aides à maintenir une culture locale ». En cette période culturelle et internationale terriblement réac-

tionnaire, où l’injonction du local est instrumentalisée à des fins d’anthropophagie culturelle, repenser cette question à partir de l’expérience de K Records, le label qu’il a fondé en 1982 en même temps que son groupe Beat Happening, est une idée lumineuse. Au début des 90’s, j’avais trois personnalités fondamentales qui me semblaient complémentaires et relever de cette figure si importante au XXe siècle de l’artiste-organisateur : Calvin Johnson dans la musique, Jean-Christophe Menu dans la bande dessinée et Yann Beauvais dans le cinéma d’artiste. Trois chemins, mais un engagement commun à impacter leur domaine par la création d’un outil économique – un label, une maison d’édition, une coopérative de distribution – pour faire exister leur production, créer une scène artistique tout en stimulant une ouverture à des esthétiques complémentaires. Et finalement troubler l’horizon culturel de leur art. Je me rappelle aussi que je passais par Steven Pastel et Katrina Mitchell à Glasgow pour avoir mes disques K Records… Dont cet incroyable CD, qui changera tant de choses, tout jaune avec un chat sur une fusée sobrement intitulé 1983-85. OlympiaGlasgow-Colmar-Mulhouse. Repenser l’art et le local est fondamental contre les approches populistes qui occupent les espaces politiques et médiatiques. Et avec un sens du risque, voir si le local, ce serait l’universel moins les murs ! Le lendemain, au petit déjeuner, en étalant la compote de quetsches sur ses tartines tout en commentant les sérigraphies dans la cuisine, la machine à café et les placards orange, Calvin Johnson nous demande si c’est nous qui l’avons faite avec nos fruits. Les quetsches, non, elles viennent du marché, mais la compote oui : in Do it yourself, yes we trust!

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Rencontres

Soft Moon 3.11

Atheneum

Dijon

Par Martial Ratel (traduction Julien Rouche) Photo : Vincent Arbelet

C’est un Luis Vasquez apaisé qu’on a rencontré en octobre dernier au festival Novosonic, à Dijon. L’homme derrière le nom Soft Moon enchaîne les dates en live et son troisième album Deeper, sorti en 2015, est une réussite totale : rock indus sombre, tendu et noisy, dont la retranscription scénique explose en un mur sonore soufflant l’auditoire sur son passage. Une vitalité musicale qui contraste avec un certain fatalisme. Tu dis avoir fait ton nouvel album Deeper de manière plus « libérée ». Et pourtant cet album est peut-être le plus tendu que j’ai fait. Le précèdent était plus agressif, j’étais paumé dans ma vie. Celui-là est plus précis, j’ai un peu mieux compris qui je suis et j’ai décidé de plonger un peu plus « profondément » dans ce monde. Je me sens aussi plus à l’aise avec ce disque, je le trouve plus expressif, plus dynamique, plus musical, avec plus de strates sonores. J’avais besoin d’être seul pour le faire. Il n’était pas plus dur à écrire au niveau du chant, il était plus dur à accoucher dans la mesure où j’allais dans des endroits plus sombres de ma personnalité. Comme j’étais loin de mes amis, de ma famille, je me retrouvais dans une solitude totale. Il a été enregistré à Venise. Pourquoi ? J’aurais pu l’enregistrer n’importe où. C’est une sorte de fatalité, c ‘est juste là que la musique m’a emmené.

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Est-ce exact que tu as donné toute ta collection de CD ? Oui, en partie. J’arrête d’écouter de nouveaux disques à des moments particuliers, notamment quand je compose. La musique extérieure risque de trop m’influencer et je souhaite rester « pur ». En 2014, tu as fait la tournée européenne avec Depeche Mode, soit une vingtaine de dates. Est-ce que ça a apporté des choses à ta musique ? Oui. Leurs performances scéniques étaient fantastiques. Dave Graham assurait. Ça a fait de moi un meilleur artiste scénique. D’une manière générale, je me nourris de tout ce qui m’arrive dans la vie. Si tu devais n’exprimer qu’une émotion à travers ta musique ? Ce serait le courage. Le courage d’exprimer ses sentiments devant des gens. La vie demande du courage. En live, ta musique, c’est un mur de sons. Quand tu composes, tu penses à ça ? J’y pense un peu maintenant. Avant pas du tout. Je pense au rendu en concert, comment ça va sonner, à quoi ça va ressembler... Mais il y a une dimension imprévisible : comment je vais me sentir, dans quel état d’esprit je serai au moment de jouer. Tu te retrouves figure de proue de la nouvelle vague post-punk, dark wave... Comment vis-tu ça ? Honnêtement, c’est une chose à laquelle je ne pense pas. Je fais juste ce que j’ai à faire. Je fais les choses naturellement, sinon je deviendrais cinglé. Je prends positivement toutes les bonnes choses. Et le négatif, je me dis juste que ça devait se passer comme ça. Mais, je suis fier que ma musique « grandisse ». La suite pour toi, c’est quoi ? Un nouvel album ? Je n’en sais rien [rires]. Rien n’est encore écrit. Quand j’aurai fini la tournée Deeper, je verrai bien, les choses se font comme elles doivent se faire.


C YO P & K A F

G A S AT I — 2013 V I L L E  :  Ta r a n T o

c yo p e k a f . o r g

F e s t i va l

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2–10 AV RI L 2016 D IJ O N

F e s t i va l M v . CO M Design graphique : A t e l i e r To u t v a b i e n


Par Emmanuel Abela Photos : Léa Fabing

La puissance de la littérature 50


Leur série précédente, L’Apocalypse, permettait d’achever un cycle complet de la Passion du Christ jusqu’au sac de Rome en 410. Avec leur dernière série, diffusée sur Arte et disponible en DVD, Gérard Mordillat et Jérôme Prieur s’attachent à Jésus et l’Islam. Une manière émouvante d’établir des liens entre les grandes religions monothéistes et de bousculer bien des convictions. Tout en restant dans une stricte chronologie, vous bifurquez vers le Coran. L’importance de Jésus que vous découvrez explique-t-elle seule cette option éditoriale-là ? Jérôme Prieur : Ce qui nous a fascinés sans arrêt, c’est le roman disparu du Christianisme, le rameau des Juifs Chrétiens. Nous avons pu constater au fil des séries qu’il était le contrechamp du Christianisme dominant qui allait se répandre dans l’Empire romain jusqu’à en devenir la religion officielle et exclusive. Certains chercheurs nous ont alertés sur cette question, ils nous ont conduits au constat qu’on trouve, aux marges de l’Islam, une dernière résurgence de ce rameau qu’on supposait disparu à la fin du Ier et du début du IIe siècle. C’est ce qui expliquerait pourquoi le texte du Coran est littéralement truffé de références bibliques et chrétiennes mais aussi pourquoi on donne à la figure de Jésus un rôle exceptionnel. Gérard Mordillat : Nous sommes partis précisément du passage des Actes des Apôtres où l’on voit les Hébreux, c’est-àdire les Juifs qui tout en reconnaissant Jésus comme le Messie d’Israël poursuivent des pratiques juives, la circoncision, les interdits alimentaires et le respect du Sabbat, et les Hellénistes, les Juifs de tradition grecque qui eux vont quitter la Palestine. Or, c’est dans ces communautés qui au départ agrègent des non-Juifs que va se former ce qui va devenir le Christianisme occidental tel que nous le connaissons. L’autre branche, ce rameau qu’évoquait Jérôme est chassé de partout parce que, n’étant ni Juif ni Chrétien, il ne trouve de place nulle part. Plusieurs sources nous indiquent en revanche qu’il est aux premières marches de l’Islam. La tradition musulmane – ces textes qui ont été mis par écrit deux siècles après la mort de Mahomet – relate l’importance d’un personnage qui s’appelle Waraqa ibn Nawfal, le cousin de la première femme de Mahomet, Khadija, et qui serait celui qui l’aurait ouvert aux textes chrétiens et peutêtre juifs. Il nous a semblé important de montrer en quoi ces trois monothéismes sont intrinsèquement liés par les textes.

Comment expliquer le fait que Mahomet se montre fasciné par la figure de Jésus et qu’il veuille renforcer ce monothéisme-là en écartant ce qu’il estime être des formes larvées de polythéisme comme la Trinité ? J.P. : Jésus est une figure de clivage. C’est un personnage qui suscite de la fascination, le prophète maudit auquel peut s’identifier Mahomet qui se revendique lui aussi comme prophète alors qu’il n’est pas accepté ni par les siens ni par les Juifs de Médine. Par ailleurs, ce qu’on aperçoit très fortement dans le Coran, c’est que Jésus permet à la fois de se différencier des Juifs en leur disant : « Vous avez le mérite d’avoir découvert le monothéisme, mais vous avez le grand tort de ne pas avoir compris que Jésus était le messie que vous attendiez » et de dire en même temps aux Chrétiens « mais vous, vous avez eu tort de faire de Jésus le fils de Dieu. » Du coup, Mahomet affirme rétablir le monothéisme dans sa pureté originelle, cette pureté dont « vous n’auriez jamais dû dévier, vous Juifs et vous Chrétiens ». Si les arguments visent les polythéistes, les païens, l’humus, le terreau religieux qui nourrit le Coran c’est bien la Bible et la tradition chrétienne. Et quand je parle de la tradition chrétienne, je ne fais pas allusion au Nouveau Testament, mais à ces références – bizarreries du texte – aux débats les plus spéculatifs qui ont eu lieu lors de conciles à Byzance sur la nature du Christ – autant de questions qui ont déchainé les guerres et les passions dans le Christianisme. Tout comme ces références, allusives, indirectes, implicites ou très explicites, qui sont faites à un Christianisme très populaire, lequel s’exprime à travers les textes dits aujourd’hui apocryphes. Si l’on s’attache à l’histoire de Marie / Maryam dans le

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— Il nous a semblé important de montrer en quoi ces trois monothéismes sont intrinsèquement liés par les textes. — Coran, celle-ci vient des apocryphes chrétiens et non des textes chrétiens officiels… G.M. : …les textes canoniques [l’ensemble des textes admis comme sacrés ayant conduit à l’établissement du Nouveau Testament, ndlr]. J.P. : Cela peut vouloir dire deux choses : d’une part qu’au moment de la rédaction du Coran on n’a pas besoin d’y faire référence parce que ces textes canoniques font partie du bagage – on sait de quoi il s’agit ! –, mais d’autre part qu’on ne souhaite pas y faire référence parce que c’est précisément ce contre quoi on se défend. Personnellement, j’aurais tendance à penser cela.

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Avec une volonté affichée de rupture… J.P. : Oui, la scène de la Crucifixion de Jésus dans le Coran, par exemple, me paraît mener un double objectif : elle reproduit la Crucifixion telle que nous l’enseignent les Évangiles canoniques, sauf que là Jésus ne meurt qu’en apparence. Cela fait-il appel à la tradition docétique [le docétisme, une hérésie chrétienne pour laquelle le Christ se faisant “chair” ne signifie pas qu’il se soit fait “homme”, son aspect n’étant qu’une simple illusion, ndlr] qui nie la mort de Jésus comme Dieu, et donc d’une certaine façon l’Incarnation ? S’en prendre ainsi à la Crucifixion et n’en faire qu’une fiction, une équivoque, c’est jeter violemment une pierre dans le jardin du Christianisme. Pour le Coran, la Crucifixion n’a pas eu lieu. Jésus ne meurt pas, il est élevé à Dieu. Surtout, il ne ressuscite pas. C’est une façon de s’en prendre à ce qui fait ce qu’on appelle en

termes savants le kérygme, le dogme chrétien. Sur le plan théologique, c’est redoutablement élaboré, construit et déconstruit, même si ça a l’air comme ça d’une simple histoire. Et puis, il y a cette autre chose qui ne s’est jamais exprimée aussi ouvertement dans les Évangiles, mais qui s’exprime dans le Coran, c’est l’accusation faite aux Juifs d’avoir voulu tuer Jésus. En effet, dans le Coran, les Juifs eux-mêmes revendiquent de l’avoir tué. On voit bien qu’il s’agit-là d’un procédé rhétorique : les Juifs s’accusent de l’avoir tué, mais lui donnent tous les titres que lui attribue le Coran : messie, fils de Marie et envoyé de Dieu. On le constate, nous ne sommes pas au cœur d’un récit pittoresque, mais bien d’une dispute théologique intense. G.M. : Il faut rajouter que Mahomet a besoin de Jésus. Dans ce contexte religieux, historique et social, il faut


— Pour le Coran, la Crucifixion n’a pas eu lieu. Jésus ne meurt pas, il est élevé à Dieu. Surtout, il ne ressuscite pas. — afficher des ancêtres. Or, Mahomet en rupture visiblement avec sa tribu doit s’en trouver d’autres. Il va donc adopter les prophètes de la Bible Hébraïque, en commençant par Adam même s’il n’est pas prophète, puis Noé, Abraham et Moïse, auxquels il rajoute Jésus. Il s’inscrit dans une lignée de prophètes dont il constitue, lui, l’ultime avatar. Il se dit le « dernier des prophètes » – là, on ouvre des perspectives vertigineuses dans la mesure où l’expression est empruntée au manichéisme, Mani se déclarant justement le « dernier des prophètes ». Dans le livre, vous affirmez que Jésus est « le maillon intermédiaire qui peut rattacher Mahomet à la généalogie prophétique ». G.M. : Absolument. C’est le rôle qu’il joue dans la tradition musulmane, ce rôle que joue Jean-Baptiste dans la tradition chrétienne, autrement dit le prophète qui annonce le vrai prophète. J.P. : Après, l’on constate que 6 siècles séparent Jésus de Mahomet ! À travers Jésus se joue un débat au cœur des différents monothéismes : il est issu du Judaïsme, dont il se revendique et dont il n’est pas sorti, mais il est la figure sur laquelle ses disciples ont fondé leur nouvelle religion. Et voilà l’état des lieux auquel est confronté Mahomet à la fin du VIe siècle. Dans le Coran, on attribue à Jésus une singularité : c’est un être exceptionnel, né d’une Vierge, qui parle dès sa naissance, une figure surnaturelle qui revient à la fin des temps… G.M. : Oui, mais à la fin des temps, il n’est pas le sauveur, ni le rédempteur, il est le dernier combattant pour l’Islam. La notion de rédemption, je ne crois pas que cela existe dans la pensée musulmane. Mais c’est vrai, il est ce personnage hors du commun à la fois fils de Marie et en même temps nouvel Adam, créé directement par Dieu. Vous avez utilisé le terme de “figure”, je pense que c’est très juste parce Jésus, dans le Coran, n’apparaît pas comme

une personne ni même comme un personnage. Ça n’est pas un individu qui agirait. D’une certaine façon, il est hors de l’action. C’est une figure qu’on invoque et que l’on pare de tous les titres dont on veut la parer. Il est un outil ou une arme… J.P. : … ou un nom… G.M. : … nécessaire à Mahomet. J.P. : Puis, il y a ce personnage issu du Christianisme officiel, mais aussi dissident : Marie. Par rapport au texte du Nouveau Testament, elle a un rôle décuplé. Cette question demeure : pourquoi le Coran a-t-il fait de Jésus le « fils de Marie » ? D’insister ainsi sur un enfant sans père, né de façon miraculeuse d’une vierge, ça interroge. On aurait pu se contenter d’en faire le fils de Marie et de Joseph, ou même un bâtard, mais alors que dans le Nouveau Testament il n’est mentionné comme « le fils de Marie » que dans l’Évangile de Marc, le Coran le martèle au moins une dizaine de fois. Dans le Coran, cette insistance fait écho aussi bien au Christianisme officiel qu’hérétique, mais surtout fonde Jésus dans son essence surnaturelle, y compris par rapport aux autres prophètes. Après, le trait commun entre Marie et Mahomet c’est la rencontre avec l’Archange Gabriel… J.P. : Oui et en même temps ça n’est pas la question que se posent les rédacteurs à ce moment-là. Il faut se rappeler que les textes ne sont pas lus à la suite, mais avec une approche fragmentaire. Ils nous conduisent d’énigme en énigme. Ça reste quelque chose de fascinant quand on songe à la puissance de la littérature. Ces textes aussi énigmatiques soient-ils ont fini par créer une civilisation… G.M. : Ni la pensée antique ni les grands textes monothéistes ne s’embarrassent des contradictions. Le Coran n’échappe pas à cela, on y trouve des propositions et leur contraire. Ce qui nous semble plus intéressant c’est structurellement de voir comment s’articulent les chevilles Jésus, Marie et Mahomet. De

même pour la cheville Gabriel. Et effectivement, entre Marie et Dieu, on trouve Gabriel ; de même entre Mahomet et Dieu. Au même titre que Jésus était la révélation de Dieu aux hommes pour les Chrétiens, pour l’Islam c’est bien le Coran en tant que livre qui constitue la révélation pour les croyants. Ce qui nous a intéressés ça n’était pas tant de retrouver Jésus dans le Coran, mais bien de voir en quoi il a été le marqueur d’une résurgence du Christianisme au VIe siècle. C’est bien ce fil-là que nous avons essayé de tirer. La réflexion qu’on se fait c’est que dans notre sphère christiano-centrée on ignore ces liens-là. J.P. : Oui bien sûr. Cela s’explique par cette lutte pour savoir qui détient la bonne définition du monothéisme. Le Coran aurait pu constituer le dernier Testament en intégrant la tradition néo-testamentaire et la Bible Hébraïque, mais il ne l’a pas fait. Même s’il s’y réfère il annule les textes précédents. Il prétend implicitement que sa lecture est la seule lecture valide. Depuis, l’Histoire qui se prolonge à travers les méandres militaires, politiques et sociaux, fait que la séparation a été extrêmement violente. G.M. : Le monothéisme n’a fait qu’engendrer une interminable guerre de successions. Quand il se construit intellectuellement, philosophiquement et politiquement, le Christianisme a besoin de se revendiquer comme véritable Israël, de détrôner et de déshériter ceux qui l’ont précédé. Le même mouvement va se produire quand l’Islam va se réclamer du monothéisme, il va se distinguer du Judaïsme comme du Christianisme. Et donc tous deux les disqualifier. Il en résulte une guerre fratricide à l’intérieur du monothéisme, à laquelle on assiste dans les textes. Aujourd’hui, pas mal de siècles après, il est important de remettre de l’Histoire, de l’intelligence… J.P. : … et du contexte ! G.M. : Oui, et du contexte ! Pour montrer au final qu’aucune des trois grandes religions monothéistes ne s’oppose radicalement aux autres... Gérard Mordillat et Jérôme Prieur, Jésus et l’Islam, Arte Éditions ; Jésus selon Mahomet, Seuil / Arte

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Par Marie Marchal Photo : Sam Bottega

Dernière Danse En 2005 paraissait en Italie la version originale de Last Love Parade, aujourd’hui traduit et édité par La Dernière Goutte. Marco Mancassola, auteur de La vie sexuelle des super-héros, revient avec tendresse sur une jeunesse fin de siècle marquée par la musique électronique.

Avez-vous pensé les morceaux sélectionnés dans Last Love Parade (LLP) comme une playlist pour la lecture ? LLP n’est pas un essai traditionnel sur la musique, et certainement pas un guide du genre, il existe des ouvrages qui peuvent offrir une meilleure histoire de la musique électronique et de la dance. LLP se rapproche plus du roman que du guide musical : on s’y intéresse aux sentiments, aux personnages, on y retrouve des métaphores et une critique sociale. Ceci dit, le lecteur aura probablement besoin d’écouter quelques morceaux pour vraiment ressentir l’ambiance décrite dans l’ouvrage. J’ai mentionné certains morceaux que, pour une raison ou une autre, je pense emblématiques et représentatifs de ce dont je parle.

LLP est construit sur une alternance entre les passages musicologiques et autofictionnels. De quelle manière l’histoire de la musique nourrit-elle la vôtre ? Je voulais raconter l’histoire de la musique électronique et la présenter comme le produit d’une période spécifique, de la fin des années 70 jusqu’aux années 2000. Ma posture est la suivante : si « l’air du temps » de cette époque avait une voix, celle-ci était principalement électronique. On peut être d’accord ou non, mais je suis né, j’ai grandi pendant cette période et j’ai pu utiliser mon histoire et mes expériences pour montrer que la musique a affecté ma vie, qu’elle incarne comment je me suis senti jeune en cette fin de siècle. La musique, l’histoire collective, la société et l’histoire personnelle sont interconnectées. Votre carrière d’auteur est d’ores et déjà confirmée, considérez-vous aujourd’hui que votre style en tant qu’écrivain est directement inspiré de la musique ? Dans LLP il y a un moment où je me reconnais dans la pureté et le dépouillement de la techno minimale et je dis vouloir écrire quelque chose d’aussi essentiel et viscéral. Mais écrire a

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plus à voir avec le besoin d’articuler des pensées au travers de mots et de phrases, cela ne peut pas uniquement dépendre du rythme pur, ou réduire le mot à son noyau – on en reviendrait au silence, silence qui tient également un rôle important dans LLP, surtout vers la fin. Je dirais qu’en fin de compte, la musique électronique qui a influencé mon écriture est plutôt une forme plus mélodique de la techno et de la house. Romantisme et aliénation technologique, ce qui reste désespérément humain dans une époque déshumanisée. Quel est le prétexte de cette épopée musicale ? La nostalgie est omniprésente dans l’ouvrage. Nostalgie du futur brillant qu’on pensait avoir, du futur sombre mais épique qu’on imaginait aussi nous attendre, alors qu’aujourd’hui le futur a l’air sombre mais plus du tout épique – juste effrayant. Nostalgie du passé, d’un âge d’or perdu que chaque génération regrette immanquablement. Une partie de cette nostalgie est un cliché conscient. Une autre partie est une vision contemporaine d’une éternelle préoccupation humaine. Une autre partie est en fait spécifique de l’ère post-post-romantique et hyper-tech-


nologique dans laquelle nous vivons. Il y a ensuite la plus grande des nostalgies : celle que l’on ressent pour l’autre, pour ce sentiment d’être ensemble, la nostalgie des amis qui sont partis. La génération qui a été jeune dans les années 1990, alors que l’ecstasy était consommée en masse et que l’Internet n’avait pas encore bouleversé le paysage des relations humaines modernes, cette génération a peut-être été la dernière à expérimenter une intimité collective à la fois physique et spirituelle. Avec LLP vous faites un tour du monde documentant la musique électronique et vos personnages font quant à eux le tour de l’Europe, de rave en rave. Comment s’inscrivent respectivement la musique électronique et la jeunesse dans l’espace Schengen ? Il y a dans LLP un sentiment européen distinctif. La majeure partie de l’ouvrage se déroule dans les années 90, après la chute du mur de Berlin, quand une Europe de plus en plus intégrée semblait ouvrir un nouveau champ des possibles en matière de liberté. La Love Parade est devenue une célébration massive de la jeunesse européenne. Sur un plan plus underground, l’Europe commençait juste à être qua-

drillée par les nouveaux chemins de la culture rave, avec des groupes qui la traversaient et y propageaient le message mi-hédoniste mi-politique dans des événements dance non-commerciaux. Un groupe a même diffusé ce message jusqu’au cœur de la Yougoslavie en guerre. Vous portez un regard de l’intérieur et plein de tendresse sur les ravers, leurs pratiques, leurs tentatives. J’ai toujours pensé que la culture électronique contemporaine n’est pas si différente des danses rituelles dans les sociétés tribales. On y retrouve une composante mystique intrinsèque même aujourd’hui, alors qu’on pourrait penser qu’on vit une époque profondément « non-spirituelle ». Avec le recul, diriez-vous que nous avons en effet raté la fin du monde, ou que l’Armageddon est un fantasme propre à toute jeunesse qui se termine ? On imagine de plus en plus l’Apocalypse, probablement car nous sommes quelque part surpris que ça ne soit pas encore arrivé. Mais même nos fantasmes de fin du monde tendent à être narcissiques : on se la représente comme l’aventure ultime où un groupe

de survivants héroïques réussiront à tout recommencer de zéro. C’est un bien joli fantasme mais je pense que l’Apocalypse est quelque chose d’à la fois plus subtil et plus brutal : c’est la fin de l’« humanité » et comme qualité morale et existentielle, et en tant qu’espèce. Je ne pense pas que l’une puisse exister sans l’autre : à chaque fois que nous acceptons de devenir moins humains, en devenant un produit du marché contemporain, en réduisant notre complexité à une série de données qui peuvent être gérées par un logiciel, nous nous approchons un peu plus de la fin de l’espèce. Je ne veux pas dire par là que ce sera la fin de tout, simplement que l’humanité pourrait devenir quelque chose d’autre, chose que la musique électronique a fantasmé dès les années 70, avec Kraftwerk et d’autres musiques « robotiques ». Marco Mancassola, Last Love Parade, La Dernière Goutte www.ladernieregoutte.fr

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Par Cécile Becker Photos : Christophe Urbain

Sur moi, sur toi Depuis 2011, Solange te montre son intérieur, au sens propre comme au figuré. Solange te parle d’elle, du quotidien, de poils, de livres ou de féminité, confortablement installée sur YouTube. Cette année, Solange sort de ton ordinateur : un film, un livre et plus, si affinités. Si le tutoiement est de rigueur, le « je » estime avoir le droit d’apparaître ici. Solange te parle, donc me parle aussi. Depuis combien de temps me parle-telle ? Je ne m’en souviens plus. Était-ce cette vidéo où Solange faisait l’offrande d’un bouquet de fleurs à son camembert en guise de cadeau de bienvenue ? Celle où, pour retrouver son accent québécois, elle s’octroyait une bière ? Celle où elle me parlait « d’évacuation de tous ces fluides » (autrement dit : de pipi) ? Lecteur, ça te paraît dingue, mais replace plutôt ton point de vue du côté de la naïveté. Solange se réappropriait alors le concept de l’abécédaire pour l’embedder dans le contexte de l’ère numérique, sur cette aire d’autoroute saturée d’opinions, de quotidiens fascinants et parfois effrayants, de narcissismes aussi. Elle triturait cet abécédaire et le faisait sien : celui d’une personne solitaire, un peu dépressive, profondément effrayée à l’idée d’affronter le monde réel. Depuis, Solange a changé. Comme toi, comme

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moi. Peut-être Ina Mihalache, la comédienne derrière ce personnage, s’est-elle plus affirmée avec le temps. En quoi cela pourrait-il être un problème ? Pleine de certitudes métaphoriques, Solange a fait place au doute, celui que plus personne ne se permet. À l’image de Lena Dunham dans la série Girls, Solange se permet d’afficher ces névroses qui nous traversent à l’âge où l’on est forcé de devenir adulte. Aujourd’hui, elle propose ses bilans culturels mensuels : livres, musiques, expositions, spectacles et cinémas, elle parle de nudité, mais aussi de féminité. Elle traverse l’écran pour venir à ta rencontre cachée dans un livre, qui nous permet de prendre conscience de l’étendue et la profondeur de son discours diffusé sur le Web, et révélée dans son film Solange et les vivants, sorte de prequel à Solange te parle. Avec tout ça, Solange a moins le temps de te parler. Ina Mihalache prend ici le relais, chez elle, dans ce décor qui s’est installé dans notre imaginaire.


— Ce « toi » à qui je m’adresse, parfois, je me dis que c’est moi-même. —

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Le film, le livre, c’est un début d’année chargé pour toi. Oui. En plus de ces sorties, je continue à jouer dans cette pièce de la compagnie La Rousse, Virginia Wolf. C’est très physique et on joue devant des enfants, un public intransigeant. Ce n’est pas si fréquent de pouvoir explorer la dimension physique sur scène, là, tout mon corps est en jeu, j’en ai des courbatures. Cette présence silencieuse dans l’obscurité qui vous reçoit, ça me donne vraiment envie d’essayer quelque chose de l’ordre du one woman show. Pour repousser tes limites ? Comme beaucoup de gens de ma génération, je me lasse assez vite. Je me nourris de la pluridisciplinarité : j’ai fait de la radio, du théâtre, un peu de télé… C’est une manière de rester mobile. Je ne suis pas une spécialiste mais je ne le vois pas comme une faille, j’aime bien que ça se contamine. J’ai eu 30 ans et j’ai l’impression que les choses se sont décantées. J’ai un grand réservoir d’espoir qui patientait. Le fait d’avoir un peu plus de moyens, que ce soit financiers ou en terme de notoriété, c’est comme si je sortais d’une grève de la faim et que j’avais envie de goûter à tout. Je suis impatiente, je l’ai toujours été. Avec cette idée de spectacle, j’ai cette petite variable secrète, mystérieuse, que je vais découvrir petit à petit. Tu échappes au parcours typique et normalisé qui voudrait qu’on passe une étape avant d’en franchir une autre… Je ne peux pas me comparer à la norme parce que ce n’est pas là où je me retrouve. Pour être motivée j’ai besoin d’avoir des réponses concrètes donc je vais là où c’est concret, c’est souvent là où il n’y a pas beaucoup d’argent. Là je me dis aussi que j’ai peut-être envie d’essayer Le Fresnois ou les résidences. Ça me brancherait bien de quitter cet appartement.

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— C’est comme si je sortais d’une grève de la faim et que j’avais envie, de goûter à tout. — Échapper au parcours habituel, c’est aussi être confronté à un certain nombre de difficultés. On l’a vu, la diffusion de ton film a pris du temps. T’attendais-tu à ça ? À un moment, je me suis lassée car, avec Internet, j’ai l’habitude de diffuser les choses au moment où je les fais. Là, il y avait une sorte d’anachronie. J’étais contente de le faire rapidement grâce à la campagne Ulule et à mes productrices. La sortie, ce qui me gêne làdedans, c’est que ça ne dépend plus de moi. Je suis dépendante de gens et d’un système qui fait que mon objet est reçu et distribué. C’est un gros cliché, mais quand j’étais plus jeune et que j’entendais que le métier de réalisatrice était vraiment difficile, je me disais toujours que ça ne pouvait pas être si compliqué, mais c’est dur [émotion difficile à contenir]. Je passe un cap. On dit ça quand les couples ont le projet d’emménager dans une maison, c’est souvent à ce

moment-là qu’ils se séparent. Là, ça me fait pareil. Pierre Siankowski [directeur de la rédaction des Inrockuptibles] joue dans ton film, comment l’as-tu rencontré ? C’était au tout début de Solange te parle. Pierre poste régulièrement des tweets où il demande : “qui fait quoi ?” je lui ai répondu : “je te parle” et j’avais mis une vidéo. Immédiatement, il m’a répondu : “C’est trop bien tes vidéos, il faut que je fasse un article.” C’est lui qui a fait le premier article. Ça a été la mèche qui a déclenché la première vague médiatique de 2012 autour de Solange. Il m’a invitée à son émission de radio sur Le Mouv’, c’est lui qui a été l’intermédiaire qui m’a permis de travailler pour France Inter. C’est assez étrange parce que je ne suis pas très réseautage, mais c’est quelqu’un de très généreux. Quand je lui ai dit que je faisais un film, il m’a immédiatement demandé si j’avais un rôle pour lui.


Qu’est-ce que tu as envie de montrer de Solange ou de toi-même à travers ton livre ? C’est peut-être une manière de faire un petit point sur tout le discours qui a été produit pendant quatre ans. De pouvoir retrouver le fait que je suis aussi une productrice de discours, avant même la technologie et qu’il y a quelque chose de clairement intemporel et d’un peu élevé dans la démarche de Solange. J’aime le fait qu’elle puisse revendiquer une sensibilité littéraire, qu’elle puisse toucher les gens qui jamais, n’auront accès à YouTube ou aux réseaux sociaux. L’image et la vidéo apportent des freins en plus : ma diction, mes mimiques, ma voix, les découpages etc., le livre est la version déparasitée de moi-même. C’est une entrée physique chez les gens, loin de la virtualité. Un livre, c’est une voix intérieure, c’est m’inscrire dans un temps un peu plus long. Tu as placé Narcissime 2.0 au début du livre. C’est un choix marquant. Dans ce texte, tu dis qu’être sur Internet participe de ton besoin de reconnaissance. Puis, plus tard, que tu as peur de décevoir les gens qui te regardent. Il y a quelque chose de paradoxal : tu as peur de rencontrer les gens et en même temps, tu cours vers eux. Pourquoi ? Il y a la frontière illusoire de la virtualité. Les gens me demandent souvent si c’est vraiment un personnage. Certains me demandent : “Peux-tu me rassurer et me dire qu’elle existe vraiment ?” Je pense que le lieu où Solange s’exprime, c’est vraiment cette virtualité-là. Cette virtualité me désinhibe complètement. C’est une sorte de vitrine idéale. Bien sûr, qu’il y a un paradoxe : quand je publie une vidéo, il y a une disponibilité, une ouverture, de l’amour, on pourrait fouiller des questions psychanalytiques. Je pense qu’il y a quelque chose chez moi qui arrive mieux à s’exprimer devant une foule anonyme que devant des personnes bien distinctes. YouTube me permet ça, ce sentiment de la foule innombrable partout, tout le temps, c’est très puissant. C’est très grandiloquent mais Solange a un côté un peu déesse : il y un absolu qui s’exprime qui ne tiendrait pas du tout la route dans la vraie vie. Il y a ce fantasme d’absolue générosité. Ce « toi » à qui je m’adresse, parfois, je me dis que c’est moi-même. Rendre compte

de quoi il est composé est impossible : ce toi, il est cosmique. À la fin du livre, Ina arrive. Chronologiquement, ça correspond aussi au chemin que tu empruntes dans tes vidéos : il y a un peu plus d’Ina. Je ne suis pas très sensible à la fiction. L’inquiétude provient plus du public que de moi-même, il est un peu mon baromètre. Parfois, je me dis qu’il faut que je me distancie un peu plus, que je revienne à une Solange d’il y a trois ans. En ce moment, j’en suis là : je me demande si je l’ai vraiment perdue. C’est un souci de la créatrice envers sa création qui sent que son public demande quelque chose. Je suis encore trop au contact des commentaires même si j’essaye de prendre de la distance. Je ne peux pas les occulter mais ils sont le reflet d’une certaine réalité parfois, j’essaye de m’ajuster. C’est vertigineux de se dire qu’une partie du public préfère Solange, quelqu’un qui n’est pas moi. Il faut composer avec cet équilibre et faire ce que je veux en gardant en tête que c’est délicat. Tu parles de commentaires, comment composes-tu avec la méchanceté, voire la violence de certains internautes ? Ça me touche moins qu’au début. Je les lis moins. Le pire, c’est que ce ne sont pas que les mauvais qui vous affectent. Même les gens qui ont des bonnes intentions y arrivent avec cette sensation de connaître les pensées qui vous concernent. Avec Internet, on a accès à ce que pensent les gens de nous en permanence, ça leur donne un grand pouvoir. J’essaye de lutter. Un type m’a récemment demandé de me suicider avec lui… Parce qu’il y a ce côté “je m’ouvre à toi” chez Solange, les gens se déversent, s’abandonnent, ça relève de la thérapie. Est-ce qu’il y a des propos que tu regrettes ? Dans J’aime regarder les filles, je suis globalement en accord avec ce que je dis. Je dis que quand on trouve une fille jolie, entre femmes, on devrait pouvoir se le dire. Au final, je trouve qu’on n’a peut-être pas à valoriser la beauté. Les commentateurs m’ont fait prendre conscience de ça… La vidéo Pas féminine parle aussi de ça. Globalement, cette vidéo fait du bien mais celles et

ceux qui sont très militants cherchent et trouvent la petite bête, je trouve ça dommage. On m’a dit que j’avais oublié les trans qui ont besoin de se sentir féminines, on m’a parlé de « féminisme blanc ». Dans cette vidéo, je dis que tu as le droit de ne pas être féminine, je pense que c’est super rare d’entendre “ne porte pas de talon, ne te fais pas les ongles”. Il y a des gens à qui la vidéo a fait du bien. On ne peut pas plaire à tout le monde et quand on s’empare d’un sujet pointu, on devient l’ennemie des pointilleux. La vidéo dont tu es la plus fière ? Ce serait peut-être J’ai couché avec Paris que j’ai faite cet été : le planking au petit matin. Parce que ça amène une nouvelle dimension, un côté plus performance que j’aimerais exploiter davantage. Une vidéo que tu voudrais faire et pour laquelle tu manquerais de courage ? Avec Léa Seydoux, j’ai eu peur. [Mon réveillon avec Léa, #léaCdur Solange a regardé toute la filmographie de Léa Seydoux durant 53 heures d’affilé, ndlr]. Parfois, j’ai envie de m’élever contre le cinéma français, ce système de commission, de réalisme sociale, qui pour moi est sur-représenté et ne m’intéresse pas. Le problème quand on est surexposé c’est de parler de sujets délicats. J’aime être seule chez moi et pouvoir tout dire. J’aime fouiller les tabous, l’envie et la jalousie. C’est ce que j’ai fait en tentant d’expier la jalousie que j’éprouve envers cette actrice, en tentant de la guérir. Pour toi, ça veut dire quoi être intelligent ? [Elle réfléchit longuement] Je dirai, se poser vraiment les questions, comme si sa vie en dépendait. Se poser toutes les questions, comme si on n’avait aucun élément de réponses. Soirée Solange et les vivants le 21 avril au Star St Ex, à Strasbourg www.cinema-star.com Solange te parle, Ina Mihalache, éditions Payot www.solangeteparle.com

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Par Benjamin Bottemer

Hip-hop never stops La première édition européenne de la Breakin’ Convention, événement dédié à la danse et à la culture hip-hop né à Londres, aura lieu en juin au Grand Théâtre de la Ville de Luxembourg. Objectifs : révéler la scène locale et présenter des talents internationaux pour mettre en lumière toute une culture.

Depuis sa fondation en 2004 par le chorégraphe et danseur Jonzi D en partenariat avec le vénérable Sadler’s Wells Theatre de Londres, la Breakin’ convention a pour vocation de jeter des ponts entre le monde de la danse hip-hop et les institutions culturelles. S’exportant rapidement à travers tout le territoire britannique puis aux États-Unis, l’événement débarque pour la première fois en Europe cette année. Pour renforcer le lien entre la Breakin’ convention et le Grand Théâtre de la Ville de Luxembourg qui l’accueille, l’organisation tenait la candidate idéale : Kendra J Horsburgh, danseuse et chorégraphe luxembourgeoise installée depuis dix ans à Londres et habituée des précédentes éditions. Chargée de repérer les artistes locaux susceptibles de participer à ce grand rendez-vous, elle a retrouvé avec bonheur une scène locale où elle fit ses premiers pas. « Avant mes 18 ans, j’avais mes petits crews au Luxembourg et j’ai pu voir que ça s’est vraiment développé depuis, raconte-t-elle. C’était un rêve pour moi de pouvoir connecter ce monde-là avec le Grand Théâtre et la Breakin’ Convention. C’est une démarche plutôt nouvelle ici. »

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Bandes originales Au tout début de l’appel à projets, les candidats étaient peu nombreux à se présenter. Au côté du Grand Théâtre, en réactivant ses réseaux et en redécouvrant la scène locale de la Grande région (l’événement est également ouvert aux artistes belges, français et allemands proches de Luxembourg), Kendra a associé son travail de prospection à une démarche de sensibilisation. D’une culture urbaine underground jusqu’aux scènes des théâtres : un processus largement amorcé il y a plusieurs années maintenant mais qui reste à développer ; c’est en tout cas la vision adoptée par la Breakin’ convention en venant poser ses bagages à Luxembourg. « On a l’impression que la scène hip-hop est très calme ici, mais c’est faux, note-t-elle. Simplement, se présenter dans un théâtre ou même passer une audition, c’est quelque chose qui n’est pas familier aux collectifs hip-hop. Je les ai encouragés ; tout comme il est nécessaire que les institutions culturelles prennent des risques et ouvrent leurs portes, il faut que les danseurs saisissent ces opportunités et se lancent des défis. »


Compagnie The Ruggeds © Paul Hampartsoumian

Six compagnies locales seront présentes avec des créations totalement originales, aux côtés de onze compagnies et artistes internationaux parmi lesquels la française Antoinette Gomis, les espagnols d’Iron Skulls, les américains de NL2, originaires de Brooklyn, la compagnie du couple franco-coréen formé par Honji Wang et Sébastien Ramirez, ou encore le Birdgang Dance de Kendra J Horsburgh. Des professionnels habitués à côtoyer les grandes scènes mondiales, et à mêler une danse pratiquée au sein d’un underground urbain aux codes de la danse contemporaine, du théâtre et du monde des médias. « La Breakin’ convention est une plateforme qui peut permettre à tous d’évoluer, mais il ne s’agit pas de perdre son identité, de délaisser une énergie, un sens de l’attaque, un désir de conquête qui font toute la force du hip-hop », précise Kendra.

Imposer sa marque Pour les organisateurs de ce rendezvous, que des graffeurs, rappeurs et DJs locaux ont également été invités à rejoindre, c’est aussi tout un public qu’il s’agit d’attirer et de séduire. « Il y a beaucoup de malentendus autour du hip-hop, le public peut en avoir une mauvaise perception, nourrie par des clichés d’argent, de violence et de machisme, explique Kendra. On a besoin que le public vienne découvrir, expérimenter, et se rende compte que la danse hip-hop a la même valeur artistique que le ballet ou la danse contemporaine. » En marge de cette rencontre entre le public, de grandes compagnies reconnues et des talents naissants, des ateliers seront organisés, et les contacts encouragés entre les différents artistes amenés à s’y croiser. Pourquoi ne pas imaginer à l’avenir que Back to the Lab, volet pédagogique et pépinière de la Breakin’ convention, ait lieu au Grand Théâtre ou dans d’autres villes que les Londoniens pourraient investir dans les années à venir ? « En tout cas, il y a ce

qu’il faut au Luxembourg pour construire quelque chose, évoque Kendra. Avant tout, il ne s’agit pas d’un festival qui vient faire des démonstrations aux artistes locaux : tout le monde est sur un pied d’égalité, et ce que l’on souhaite, c’est laisser une trace pour permettre à la scène locale de se développer. Mon rêve était de me lever le matin et de pouvoir vivre de ce que j’aime : j’espère que la Breakin’ convention contribuera à donner cette chance à ceux qui y participeront. » BREAKIN’ CONVENTION, les 18 et 19 juin au Grand Théâtre de la Ville de Luxembourg www.theatres.lu www.breakinconvention.com

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Par Caroline Châtelet Photo : Renaud Monfourny

Théâtre borderline Aux marges du réel et de la déviance, Rendez-vous gare de l’Est offre un spectacle aussi modeste formellement que particulier par son portrait de femme.

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Il y a des spectacles atypiques autant dans leur forme (inhabituelle), leur propos (pouvant déranger), leur histoire (singulière), que par le jalon qu’ils marquent dans le parcours de leurs créateurs et interprètes. La singulière échappée aux lisières de la raison que constitue Rendez-vous gare de l’Est est de ces œuvres. Lorsque le public entre dans la salle, Émilie Incerti Formentini est déjà assise. Seule en scène, avec pour unique « décor » la chaise qu’elle occupe, elle s’adresse directement aux spectateurs. Dans ce monologue à la première personne où les anecdotes et propos prosaïques et intimes s’entremêlent, la comédienne incarne une femme souffrant de bi-polarité. Une parole réelle, fruit d’enregistrements réalisés il y a huit ans par Guillaume Vincent avec une personne maniacodépressive. Comme l’explique le metteur en scène, « lors des entretiens, l’idée initiale n’était pas d’en faire un spectacle, mais plutôt d’en tirer un texte. La matière recueillie offrant la possibilité de travailler cela théâtralement, et ayant l’envie de faire un spectacle pour et avec Émilie, Rendez-vous gare de l’Est est né. » Imaginé et conçu autant par Guillaume Vincent, la dramaturge Marion Stoufflet que par Émilie Incerti Formentini, le projet est, aussi, l’occasion pour le metteur en scène de travailler plus étroitement avec la comédienne. Élèves tous deux à l’école du Théâtre national de Strasbourg, Émilie Incerti Formentini (sortie en 2002) et Guillaume Vincent (sorti en 2003) se sont retrouvés quelques années plus tard, en 2006, lors de la mise en scène de Nous, les héros de Jean-Luc Lagarce. Un premier spectacle commun qui a inauguré un compagnonnage fructueux, et en dix années, la jeune femme a participé à la majorité des créations de la compagnie MidiMinuit montée par Vincent et Stoufflet. Pour autant, avec sa parole libérée sur la maladie et son dispositif d’adresse ultra-directe, Rendez-vous gare de l’Est occupe bien une place à part dans leur parcours respectif. Interrogé sur son désir de proposer un tel projet à une actrice, Guillaume Vincent demeure d’abord un brin laconique : « Parce qu’on l’aime beaucoup, tout simplement », avant d’évoquer ses particularités de jeu. « Ce qu’il y a d’assez formidable et fou c’est sa capacité à jouer énormément de choses, tant du point de vue de l’émotion que de la pensée. En tant que metteur en scène, c’est passionnant de travailler avec quelqu’un qui a une étendue de jeu tellement vaste. » Quant à Émilie Incerti Formentini (nommée en 2015 aux Molières de la meilleure comédienne pour ce rôle), si elle avoue sa difficulté à savoir si ce projet a fait évoluer sa façon de travailler, elle évoque volontiers ces qualités particulières. Rencontre.

Depuis sa création en 2013, comment vivez-vous ce spectacle ? Étant traqueuse, au début j’avais très peur. Ce spectacle est une vraie mise à nu. C’est une adresse directe au public, donc c’est à chaque fois un saut dans le vide. Des fois, c’est troublant car il y a autre chose que le théâtre qui se joue. Me retrouver moi, comédienne, interprétant un personnage qui s’appelle Émilie, pendant une heure face à des gens, sans avoir rien à quoi me raccrocher, est bouleversant. C’est un délire, assez particulier, c’est une traversée toute seule, où il faut essayer de se laisser surprendre par soi-même. L’an dernier, durant une représentation, un spectateur a dit : « Qu’est-ce que je fous là ? » C’est une vraie question, ce n’est pas simple. Ce n’est pas normal d’être sur une scène, ça n’a rien de naturel. Je n’ai pas un rapport au théâtre où je considère cela comme ma vie, ma destinée. Des fois ça peut être très douloureux d’être face à des gens qui vous regardent. Je pense que c’est important de garder du mystère, de ne pas tout donner. Comment avez-vous construit le personnage ? Une fois compris le cheminement de la pensée de cette femme, le travail a été de me l’approprier. Mais je n’ai pas écouté les enregistrements, il n’y a aucune psychologie sur le personnage ni aucun présupposé sur la bipolarité. Ce n’est ni un hommage, ni un spectacle sur la folie. Guillaume voulait qu’on ait l’impression que cette parole vienne de moi. C’est un portrait de femme, dans ses rapports à sa famille, ses amis, son travail, etc., avec, en arrière-plan, la maladie qui est toujours là. Comment définiriez-vous le travail de Guillaume Vincent, avec qui vous collaborez régulièrement ? Habituellement il y a quelque chose d’assez baroque dans ses spectacles, avec des décors, des mélanges, etc. Après, un metteur en scène ne travaille jamais au même endroit et Guillaume a fait des spectacles très différents… Si Rendezvous gare de l’Est est un peu l’antithèse de ces précédents spectacles, ce qui l’intéresse dans le travail c’est la frontière entre ce qui est réel et ce qui ne l’est pas. Il aime jouer à faire peur, aussi. Pour les acteurs le travail est particulier, la frontière entre le personnage et soi est très trouble. Il nous laisse une part de construction du personnage à partir de nousmêmes, selon comment nous, ça nous inspire, à quel endroit ça nous touche. RENDEZ-VOUS GARE DE L’EST, théâtre du 18 avril au 4 mai au Théâtre National de Strasbourg, Espace Grüber www.tns.fr

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Par Marie Bohner Photo : Pascal Bastien

Amour pour tous

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L’Opéra du Rhin s’offre la création française de Das Liebesverbot, opéra de jeunesse de Wagner inspiré de la pièce de Shakespeare Mesure pour mesure. Marc Clémeur a fait appel à Mariame Clément pour la mise en scène : une affaire d’audace et de fidélité. Points de vue d’une artiste multiculturelle. Comment expliquez-vous que Das Liebesverbot ait été si peu joué auparavant ? C’est un opéra des débuts, il ne fait pas partie des 10 opéras canoniques que Wagner a accepté que l’on joue Festspielhaus de Bayreuth. À partir du Vaisseau fantôme, qui est le premier des 10, il a décrété que tout ce qu’il avait fait avant ne comptait pas. Je pense que Wagner le considérait comme une faiblesse de jeunesse. Cela montre qu’il était bien plus influencé qu’il ne voulait l’admettre par l’opéra italien. Même si Wagner a renié cette œuvre, qu’y retrouve-t-on de lui ? Wagner a écrit lui-même le livret, c’est l’une de ses caractéristiques. Dans le style musical, il y a une manière de composer les grandes scènes en continu qui est déjà wagnérienne. On sent aussi qu’il expérimente avec la forme, avec l’alternance airs / récitatifs. Il y a dans la deuxième partie des scènes de dialogue, alors qu’il n’y en a pas dans la première. On dirait qu’il hésite sur la manière de traiter les récitatifs. Cela disparaît ensuite complètement de ses opéras. Constantin Trinks, qui assure la direction musicale, avait déjà travaillé sur Das Liebesverbot. Est-ce que cela change quelque chose pour vous ? Bien sûr ! Il l’a joué à Bayreuth justement, mais pas dans le temple wagnérien. C’est particulièrement important pour une œuvre comme celle-là, qui dans sa forme originale est très longue, lourde et répétitive. Il faut donc la jouer avec des coupures, sinon c’est interminable – et les répétitions ne s’imposent pas vraiment par leur légitimité musicale... L’avoir déjà maniée sur scène donne au chef d’orchestre un bon sens du rythme de l’œuvre et de son économie.

Quelle direction avez-vous prise pour la mise en espace de Das Liebesverbot ? Il faut voir cet opéra d’un point de vue critique. Dans ce microcosme, il y a un ordre moral très puritain contre lequel s’insurgent les personnages de la pièce – et Wagner en filigrane. Quand on y regarde d’un peu plus près, on se rend compte qu’il prône l’amour libre, mais que celui-ci est surtout pour les hommes. On parle beaucoup de sauver l’honneur des femmes. C’est donc un peu comme si le puritanisme et la liberté de mœurs étaient deux facettes d’une même logique où les femmes sont les objets de désir des hommes. Il faut donc introduire un peu d’ironie là-dedans. Nous avons créé un monde fantaisiste, même si notre cadre est ultra-réaliste. Nous jouons dans une espèce de café viennois, avec des serveuses, des clients, des gens qui vont et qui viennent, tout ça de façon loufoque. Que vous inspire le personnage d’Isabella ? Elle est la sœur de Claudio, qui mène une vie dissolue. Isabella, elle, est entrée au couvent, on a l’impression qu’elle n’a pas trop l’intention d’en sortir. Même si elle tombe amoureuse du premier écervelé venu. Je me demande ce qui l’a menée au couvent : est-ce une espèce de dégoût de tout ce qui se passe autour d’elle ? La raison qui l’a menée là est sa faille. Friedrich, quant à lui, est l’un des personnages de méchants les plus intéressants que je connaisse. En bon fanatique religieux, il fait régner cet ordre moral très puritain – cela rappelle un peu aujourd’hui d’ailleurs –, mais lui-même désire Isabella. Il est torturé par cette contradiction. Pour rester dans sa logique, il est prêt à céder à son désir pour ensuite se condamner à mort lui-même.

Vous travaillez régulièrement à Strasbourg ces dernières années, quelles sont les spécificités de l’Opéra national du Rhin ? D’abord c’est une maison dans laquelle on se sent un peu chez nous avec ma scénographe. Je ne veux pas dire que c’est pépère, c’est très stimulant. Nous connaissons la qualité des départements, des ateliers : ce sont des gens avec qui on sait travailler. Le côté multiculturel de l’Opéra du Rhin me plaît. Je suis française et ma scénographe, Julia Hansen, est allemande. Nous travaillons en allemand toutes les deux. C’est très agréable d’être dans une maison où beaucoup de gens comprennent l’allemand, mêmes les équipes techniques, ne serait-ce que par l’alsacien. J’aime aussi les dimensions : c’est pour moi la jauge idéale dans le rapport scène-salle. C’est assez grand pour faire des choses intéressantes, mais suffisamment intime pour mener une direction d’acteurs subtile. Il y a beaucoup de public allemand aussi... La maison est plus ouverte d’esprit que d’autres opéras en France. Elle symbolise absolument les côtés positifs du multiculturalisme, à cheval entre deux pays comme je le suis moi-même artistiquement. Et puis j’aime passer du temps à Strasbourg. C’est une ville dont j’aime bien les dimensions, les gens sont chaleureux, et surtout on y mange et on y boit très bien ! Ça c’est très important pour moi... [Rires] Das Liebesverbot du 8 au 22 mai à l’Opéra national du Rhin, à Strasbourg ; les 3 et 5 juin à La Filature, à Mulhouse www.operanationaldurhin.eu

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Par Xavier Frère Photo : Olivier Legras

Saul en profondeur Le plus francophile des slammeurs américains, Saul Williams, décrypte avec Martyr Loser King la mutation technologique et ses dangers pervers. Son personnage de hacker solitaire du Burundi est ciblé comme dangereux terroriste. Une fiction aux messages militants qui sort en pleine campagne électorale américaine, où l’artiste new-yorkais bat le rythme pour Bernie Sanders. Votre héros fictionnel, qui vit dans un village du Burundi, porte les mêmes initiales que Martin Luther King. Faut-il les rapprocher ? Dans l’esprit, oui. Mon hacker a pris les initiales que tout le monde connaît, et il les a changées. Mais ce n’est pas tant l’esprit que donner sa vie pour un idéal. Il est narcissique, et tout ce qu’il cherche, c’est se faire connaître. J’ai pensé au hacking comme une performance : mon personnage ressemble à un Banksy virtuel !

Notre futur se joue-t-il là-bas, comme le laisse entendre MLK ? Oui, c’est sur ce continent qu’il y a le plus grand nombre de gens connectés à Internet, et c’est le seul continent où la majorité de la population a moins de 25 ans. La seule solution pour nous est de « remixer » notre connaissance de ces endroits-là. Je voulais raconter une histoire comme une parabole, mais qui ne soit pas de l’ordre de la pornographie de la pauvreté, comme les pays occidentaux le font souvent avec l’Afrique. On raconte souvent des histoires horribles sur ce continent, mais tout ce dont nous avons besoin pour la technologie d’aujourd’hui vient de là-bas. Les Africains n’étaient pas prêts pour la révolution industrielle, mais pour la révolution digitale, « c’est prêt »* [en français dans le texte, ndlr].

Est-ce un moyen de dénoncer aussi le fossé technologique (apparent) entre le monde occidental et l’Afrique ? C’était l’objectif. 80% des ressources que nous utilisons en Occident pour la technologie viennent de ces pays-là : Burundi, Congo, Rwanda. Nous pensons la technologie comme un vecteur de progrès, mais la façon dont nous nous approvisionnons n’est pas une avancée… C’est de la vieille recette, de l’exploitation des ressources qui se produit depuis des siècles. Mais dans ces régions, il existe une ingéniosité qui naît du besoin. Ces villages sont des hubs de technologie, les endroits les plus modernes sur la planète, des Silicon Valley en Afrique.

MLK est tué par un drone parce qu’il est considéré comme un terroriste. Ce thème du terrorisme est récurrent dans votre œuvre. Qu’entend-on aujourd’hui par « terrorisme » ? En raison de nos craintes actuelles, il y a une terrible généralisation. Avant ce qui nous était inconnu nous rendait curieux, le mystérieux était beau, aujourd’hui une chose mystérieuse est forcément dangereuse. Il y a un changement dans nos cultures, et dans nos attitudes. Un ancien manager de Fela Kuti me racontait récemment que quand il faisait du stop, dans les sixties aux États-Unis, il levait son pouce, quelqu’un le prenait et l’emmenait là où il voulait… Aujourd’hui, essayez ça ! Il y a une peur. Je parle de la relation avec cette peur, avec la technologie. Celleci n’a-t-elle pas apporté une nouvelle forme d’exploitation, d’esclavage ? La période actuelle semble très dangereuse et noire en raison de cette somme de peurs, de ces discussions de terreur, de la généralisation faite à propos de l’Islam, des réfugiés… Votre quête de l’exploration, de l’engagement ne s’épuise pas après toutes ces années. Pourquoi ? On connaît tous ce qu’il se passe ici. Je ne sais pas si ça aurait été fun pour moi de réaliser un album sur la Syrie, sur l’austé-

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rité ou sur la Grèce. Ou sur ce qu’il se passe aux États-Unis avec la police. Nous connaissons déjà ces choses. L’art peut offrir une évasion mais aussi une vision, une fenêtre sur cette réalité qui nous échappe. Sur l’engagement des artistes, je crois qu’il y a des cycles, et en ce moment, on traverse une période de « passivité » [en français dans le texte]. L’idée de rébellion s’éteint quand on accepte trop de choses : catholicisme, capitulation, consommation. La société de consommation nous a rendus serviles. Le rap, par exemple, a été bouffé par le capitalisme. Avant il y avait cette attitude du loser. Désormais, on se dit : « Whouah, il se fait beaucoup de fric, c’est un gagnant ». Tout notre rapport avec le succès, avec la culture underground a changé. Le hip-hop a-t-il, lui aussi, mal évolué ? Oui et non. Non, parce que le hip-hop comme tous les arts constituent des reflets de la société. Si je regarde les shows populaires, les émissions TV populaires, alors oui je suis déçu, bien sûr. Mais pas avec le hip-hop… En France, ils changent la constitution en ce moment ? Ça, ça me choque plus !

vie entière. Les démocrates, dont les Clinton, sont tellement liés à l’establishment que Bernie apparait comme une vraie menace pour eux, et pour les banques. Il a toujours combattu ce qu’il combat encore aujourd’hui, et c’est rare. Aux USA, on est arrivé à un moment où les gens veulent du vrai changement et pas de la rhétorique comme sous Obama… Si, par miracle, Bernie Sanders était élu, vous pourriez être nommé « ministre » de la Culture ? Ce ministère n’existe pas chez nous. S’il était créé, des légendes encore vivantes pourraient faire le job : Patti Smith, Stevie Wonder ? Mais un tel ministère serait-il un bien avec un JayZ ou une Beyoncé ? Ça risquerait d’être horrible... La culture ne serait alors que du business comme dans l’industrie de la musique. Au Brésil, avec Gilberto Gil, et au Sénégal, avec Youssou n’Dour, c’était bien. Nous, on aurait besoin d’un Harry Belafonte, qui aime la culture et le progrès, même s’il a 90 ans ! Martyr Loser King, Fader label

Dans la campagne électorale américaine, vous êtes très actif pour soutenir Bernie Sanders. Quels espoirs porte-t-il ? Bernie est le meilleur candidat que je n’ai jamais vu dans ma

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Par Benjamin Bottemer Photo : Julian Benini

Poésie trouble, électro-pop puissante et évocatrice, les Messins de Grand Blanc font sensation en ce début d’année avec leur premier album Mémoires vives. Une « beautiful lose » enrichie de nouvelles couleurs, donnant forme à un sublime et sidérant rêve éveillé.

Impressions fortes

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On zone en 306 avec une bande de post-ado sifflant des Kro en métal. Tout ça se finira à coups de carabine. Ce sont les images du clip de Degré zéro, issu du premier EP de Grand Blanc qui en comprend bien d’autres, notamment celles évoquées par l’étrange L’Homme serpent. Samedi la nuit et Petites frappes finiront d’installer une ambiance délétère, inquiétante, à peine moins brute mais qui contient déjà toute la beauté et l’énergie que le groupe de Metz déploiera dans son premier album Mémoires vives. Camille, Benoît et Luc quittent Metz pour Paris quelques années après le lycée : c’est dans la capitale qu’ils rencontreront Vincent et créeront Grand Blanc. Un texte mélancolique en guise de biographie où rôde le fantôme de Bashung et quelques références à Joy Division lâchées au cours des premières interviews données aux médias parisiens, aura fait de Metz une « Manchester du nord » où flotte la fumée des usines. « On a fait de notre ville un petit théâtre dans lequel on a installé notre EP, indique Camille. On l’a rêvée, sublimée... puis on a souvent dû préciser que ça n’avait rien à voir avec Manchester ! » Tension alternative Cette imagerie avec laquelle Grand Blanc a volontiers joué, on la retrouve dans le clip de Surprise party, le titre d’ouverture d’un premier album qui marque l’évolution poétique et musicale du groupe. « À partir d’un pitch binouze-bagarre, c’est surtout autour de la dégradation de la lumière qu’est basé le clip, comme la musique : d’un truc très pop à quelque chose de très sombre, décrit Benoît. Une façon de dire que les choses n’ont pas changé mais qu’on les présente différemment : c’est tout l’enjeu de l’album. » Mémoires vives est habité par une pop où l’électronique alterne entre force percussive et nappes envoûtantes jouant le rôle d’un excitant, ponctué par les rythmes primaires des guitares. Grand Blanc y gagne en puissance sans délaisser la prose saisissante de ses textes en français et y glisse ses envies de groove et de mélodie. « Le texte n’est pas premier chez nous, parfois, c’est la musique qui finit de l’écrire, explique Benoît. Sur l’album, il y a beaucoup de phrases répétées, martelées... L’objectif était de créer des images qui se fracassent, de dépersonnaliser le texte, pour que tout le monde puisse s’y retrouver : c’est dans ce sens que je travaille. » Écrit en à peine un mois, Mémoires vives parvient à créer sa propre harmonique, sans dissocier le fond et la forme : le son, la musicalité de la langue, portée par la douce voix de Camille et le phrasé plus direct, presque rappé de Benoît, se nourrissent de ruptures et de contrastes qui font toute l’identité de Grand Blanc. « C’est lorsque l’on crée des tensions qu’il se passe des choses intéressantes », note Benoît.

Villes la nuit Ils décrivent volontiers leur musique comme urbaine et « topographique » : construite comme une cité grouillante, bordélique, où de chaque recoin surgissent les échos du passé et les bruits de la nuit ; elle s’est forgée entre Metz et Paris, tantôt glacée, tantôt bouillonnante. Leur concert à la BAM a des airs de retour des enfants prodigues, talents précoces et prometteurs après un premier album excitant et véritablement singulier. Entre l’écriture de Summer summer ou Disque sombre, l’impact sonore de Surprise party ou Désert désir, l’énergie viscérale de Grand Blanc est partout. « On ne cherche pas de concept ou de processus créatif, explique Benoît. Dans la réalisation de l’album, ça surgissait de partout ; ce n’était pas toujours rassurant, mais on a réussi à y mettre notre énergie, à créer les conditions d’un truc totalement libre tout en restant cohérent, avec beaucoup plus de nuances que sur l’EP. » Des synthétiseurs vintage à une poésie classique dont on retrouve quelques éclats, plus rock que nobles, dans les textes de Benoît, la grisaille de Grand Blanc conserve toute sa densité tout en se colorant de teintes chamarrées et dures à la fois, comme celles de la carrosserie éclatée sur la pochette de Mémoires vives, après la cathédrale et les usines, clins d’œil présents sur celle de l’EP. La question de leurs racines messines, si elle reste revendiquée, n’est jamais prise totalement au sérieux. À l’image de leur musique, recomposée et hybride, elle reste un élément de leur identité, empreinte d’un romantisme inspiré. « Notre héritage, son lien avec notre futur, est source d’angoisses, d’interrogations, mais aussi de beaucoup de jubilation ! Il y a tout cela dans Grand Blanc. On ne fait pas de la musique pour se sentir grands ou forts, juste pour se sentir nous-mêmes. » GRAND BLANC, en concert le 6 avril à l’Atheneum de Dijon dans le cadre du festival MV et le 9 juin à Laiterie, à Strasbourg Mémoires Vives, chez Entreprise

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Par CĂŠcile Becker et Nour Mokaddem Photos : Christophe Urbain

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Pour le plaisir Theo Hakola, ancien leader d’Orchestre Rouge et Passion Fodder, explore en solo les chemins tortueux du rock depuis le début des années 90. Il sort cette année chez Médiapop Records I fry mine in butter!, un disque de reprises en forme d’hommage à ses racines musicales tentaculaires.

I fry mine in butter! sort sur Médiapop Records suite à une rencontre avec Philippe Schweyer [également directeur de publication de ses pages, notre grand manitou], pourquoi cette décision ? Philippe m’a abordé à Colmar [au festival Natala, ndlr], après avoir assité à notre ciné-concert Au Bonheur des Dames. Je lui ai parlé de mon prochain album et il m’a demandé si j’avais quelqu’un pour le sortir en vinyle, m’a expliqué en quoi consistait son label, et on s’est très vite bien entendu et il s’avérait également partant pour sortir le CD. J’aime sa manière d’aborder l’art et la musique. Le titre, très interpellant, provient de Timequake, livre de Kurt Vonnegut, pourquoi l’avoir repris ? C’était un auteur drôle avec beaucoup de qualités. Il raconte qu’il assiste à un concert dans l’Indiana : la musique classique, en plein crescendo, s’est tout d’un coup arrêtée et, là, une dame en pleine conversation crie : «I fry mine in butter! » Prendre ce titre est une sorte d’hommage à l’auteur. I fry mine in butter! peut aussi vouloir dire que j’ai fait frire les miens au beurre, une façon de dire que j’ai interprété ces chansons à ma sauce.

La pochette a été faite par l’un de vos amis, Ricardo Mosner, avec qui vous collaborez depuis longtemps, comment avezvous travaillé sur celle-ci ? Ricardo est très prolifique. Généralement, je lui donne une idée assez claire de ce que je veux, ensuite je choisis une version parmi toutes celles qu’il me propose et on revoit les détails ensemble. C’est un grand artiste et un grand travailleur, alors il me faut prendre des gants pour ne pas être trop pénible. J’aurais pu aussi piocher dans la masse de peintures qu’il avait chez lui ce qui a été le cas pour deux ou trois pochettes dans le passé – mais là j’ai préféré lui passer commande. C’est un peu comme pour le titre de cet album : je voulais tout bêtement me faire plaisir... comme d’habitude. Justement, comme il s’agit de reprises, peut-on parler d’un « disque plaisir » ? Tous les disques que je fais sont des « disques plaisir », mais c’est vrai que le fait de ne pas se fatiguer à écrire les textes – ce qui d’après moi a toujours été la partie de l’exercice que je maîtrise le mieux –, me pousse à dire que c’est plutôt un « disque plaisir » oui. Écrire un livre demande encore plus d’ambition, voire de prétention. Bien sûr, j’aime la musique mais ce qui fait que j’apprécie vraiment une chanson – ou la déteste – ce sont les textes. Je les trouve minables pour la grande majorité, donc dès qu’il y en a un qui m’intéresse, c’est plutôt joyeux. Au départ, je n’étais certainement pas le plus grand parolier du monde, je manquais de rigueur, mais avec le temps, je dirais que je me suis bien amélioré. À part ça, je pense que le public est très indulgent à l’égard de très nombreux mauvais textes.

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Vous replongez aussi dans votre propre histoire en reprenant ces chansons qui vous ont marqué. Dans une précédente interview publiée dans Novo, réalisée par Philippe, vous disiez avoir découvert la chanson Subterranean Home- sick Blues de Bob Dylan à l’âge de 5 ans ! J’ai bien découvert le rock à 5 ans, mais j’en avais plutôt 10 lorsque cette chanson est sortie, et ce que je savais de la musique venait surtout et avant tout de la radio. Dire que Dylan avait des tubes avec des textes pareils est assez insensé. On pourrait considérer ce morceau comme l’une des premiers rap, et c’est avec un groove assez hip-hop que j’ai fait ma version. J’imagine que la radio d’hier était différente de celle d’aujourd’hui : le fait qu’une chanson soit un tube dépendait des disc jockeys, moins du grand public... Je pense que c’était autant le public, voire plus, mais le hit-parade était moins affreux. On connaissait Hendrix, par la radio, idem pour Big Brother & The Holding Company avec Janis Joplin. Il y avait des tubes comme Get Off of My Cloud des Rolling Stones qui était n°1 pendant 8 semaines, ça passait tout le temps ! Ce n’est peut-être pas surprenant pour les Rolling Stones mais ça l’est pour Bob Dylan. Dans le documentaire Don’t Look Back, on voit Bob Dylan qui croise des jeunes filles toutes excitées – des fans – un peu comme Justin Beiber le ferait aujourd’hui.

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— Le simple fait de pouvoir écrire, jouer et enregistrer des chansons m’épate. — Comment avez-vous fait pour sélectionner ces chansons ? Avez-vous fouillé votre mémoire ? Sont-elles sorties naturellement ? Tout est assez présent dans mon esprit donc je n’ai pas beaucoup eu à fouiller. C’est peut-être l’envie de reprendre le Coyote de Joni Mitchell – de tout simplement apprendre à jouer et chanter cette magnifique chanson – qui a mis cette machine de reprise en route. J’aime tellement certaines chansons que je ne pense pas dépasser l’originale ou même l’égaliser. Avec Elvis Costello et son (I don’t want to go to) Chelsea, ma prétention a été d’être à la hauteur. Le but était vraiment de rendre hommage à une belle chanson. Mais dans d’autres cas, je tente de faire encore mieux tout de même. Faire mieux, dans mon esprit, pourrait vouloir dire électrifier davantage la belle chanson originale et c’est ce que j’ai fait avec John Prine par exemple. J’ai découvert son premier album à la radio – que des bijoux

sur ce disque ! Pour moi, il est l’un des plus grands paroliers de l’histoire du monde, et sur mon album Drunk women and sexual water j’avais déjà repris son Angel From Montgomery. Vous portez un regard très critique sur ce que vous avez pu faire dans le passé... Lorsque je parle d’Orchestre Rouge, je suis critique... On me dit : “Oui, mais c’est juste parce que c’est vieux”, je réponds : “Non ce n’est pas parce que c’est vieux, c’est parce que c’est nettement moins bien que Passion Fodder.” Si on aime Orchestre Rouge c’est qu’on n’a pas les mêmes goûts que moi, et je dirais que, même si Passion Fodder a commencé il y a 30 ans, les 5 albums de ce groupe s’écoutent presque aussi bien aujourd’hui qu’à l’époque de leur naissance. En gros, chacun était un pas en avant par rapport au précédent, et c’est la même chose pour mes disques solo. Si c’était autrement, si un disque que je venais d’enregistrer était moins


bon – pour moi, bien entendu – que le précédent, j’aurais du mal à dormir... En fait, je dors mal, mais c’est pas parce que je rate mes disques! Vu que ces albums – ce nouveau est mon 14ème – ne paient même mon loyer, ils doivent au moins me donner davantage envie de vivre, doivent au moins être des chefs d’œuvres chaque fois... Non? Mais n’est-ce pas aussi le syndrome du perfectionniste que de dire que les derniers albums que l’on fait sont forcément les meilleurs ? Il y a un passage dans un de mes livres, Rakia – plus ou moins inspiré par quelque chose qui disait un jour un membre de The Gits, un groupe de Seattle, où je fais dire à un personnage : “si tu joues dans un groupe et si tu ne penses pas que c’est le meilleur putain de groupe du putain de monde entier, eh bien, t’es vraiment pas à ta putain de place !” Je dirais même : pourquoi ennuyer les autres ? Si on prend la peine d’enregistrer, de faire des concerts et qu’on veut même que les gens paient pour notre travail, alors on doit tenter de faire la meilleure musique du monde. Les thèmes abordés dans ces reprises vont de la désespérance à la guerre en passant par la critique d’une “ville bourgeoise”. Vous oubliez les chansons d’amour. Il y en a six ou sept, comme il y en a toujours dans mes albums. Soit, mais on vous sait engagé. Faut-il chercher l’engagement dans cet album ? Pas trop, non. Sam Stone de John Prine parle d’un américain qui revient blessé de la guerre du Vietnam , accro à l’héroïne, et qui va finir par se suicider. On sent à la fois une certaine solidarité de l’auteur avec la victime, mais aussi une distance ironique et une espèce humour noire. Le seul morceau vraiment engagé, c’est Bourgeois Blues qui, à l’origine, parle de racisme : Lead Belly et sa femme, Martha, ne trouvaient pas de chambre d’hôtel lorsqu’ils venaient à Washington DC pendant les années 30 parce qu’ils étaient noirs. Quelques chansons de Leadbelly sont aujourd’hui très connues comme Goodnight Irene reprise par un tas de gens, mais pendant sa vie, Lead Belly a été pas mal porté par le milieu

— J’ai du mal à critiquer les gens qui n’achètent pas mes disques parce que, moimême, j’en achète peu. — folk blanc contestataire, il a donc ce langage assez inattendu d’insulter une ville en la traitant de bourgeoise. J’ai trouvé ça très drôle. Cette chanson est la seule que j’ai sérieusement revue et corrigée pour ne pas parler de discrimination raciale, mais de discrimination sexuelle. Au bout d’un moment, je me laisse aller très pour dire des choses que je n’ai jamais dites dans une chanson avec mon “You can all go fuck yourself” adressé, entre autres, aux idiots de la Manif pour tous. Un de mes meilleurs amis d’enfance a une église évangélique dans ma ville natale. Petits, nous étions comme de véritables frères. Aujourd’hui, comme beaucoup d’évangélistes de la droite américaine, il pense que les deux plus grands dangers de la société sont le droit à l’avortement et l’homosexualité. Ils en sont carrément obsédés, ce en quoi ils resemblent aux Islamo-fascistes. J’ai donc enregistré cette chanson pour les emmerder mais aussi pour rendre hommage à Lead Belly Et ce Song to the Siren de Tim Buckley? Voilà. Une chanson d’amour. C’est presque une faute de goût d’avoir repris un morceau qui a été autant repris, mais je l’aime d’amour et j’avais justement envie de le faire autrement : plus rock, pour le dire un peu bêtement. Il y a de belle versions – This Mortal Coil, par example – et des monstrueuses aussi : Robert Plant a eu l’intelligence de vouloir la reprendre mais sa version est affreuse.

de le chanter plusieurs fois de suite – que j’ai plus de respect pour ces qualités poétiques. Rares sont les artistes aujourd’hui qui expriment un vrai point de vue sur le monde qui nous entoure. Y a-t-il des artistes dont vous admirez le travail, l’opinion ? Travail et opinion ? C’est plutôt rare que j’aime, mais il y a sans doute beaucoup de bonnes choses que je rate. Autrefois, je faisais l’effort d’écouter et chercher plus, mais nettement moins à présent. Et j’ai du mal à critiquer les gens qui n’achètent pas mes disques parce que, moi-même, j’en achète si peu. Lorsqu’on me parle de quelque chose de potentiellement intéressant, je vais le découvrir sur le Web et c’est nul. Mais tout ceci est désormais lié à ma vie : ça prend du temps d’écrire des romans, et je ne vous parle même pas du projet de série télé que je tente de monter ! I Fry Mine in Butter!, Theo Hakola, médiapop records. Sortie en mai. www.mediapop-records.fr www.rivalcolonia.com

Le fait de réécouter Blank Generation est presque glaçant aujourd’hui, dans le monde dans lequel nous vivons... Je n’ai jamais eu l’impression de faire partie de cette Blank Generation mais j’adore ce morceau de Richard Hell and The Voidoids que Passion Fodder a d’ailleurs repris, en rappel au Bataclan, par exemple. C’est néanmoins grâce à cet enregistrement – grâce à l’obligation

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Par Emmanuel Abela et Séverine Manouvrier Photo : Benoît Linder

L’évasion folk

Magali Martin a rejoint Hélène Braeuner, Cyrille Martin et Fred Lichtenberger du groupe Grand March pour former Backyard Folk Club. Entre art et artisanat, leur musique s’inscrit dans une immédiateté sans fioritures, de l’écriture à l’enregistrement analogique. Quand la spontanéité côtoie la simplicité…

Vous travailliez déjà tous ensemble sur Grand March. À partir de quel moment avez-vous décidé de mener en parallèle ce projet orienté folk ? Cyrille Martin : Ça s’est fait très naturellement avec Magali qui a commencé à écrire des textes au cours de l’été 2014. Fred et Hélène avaient quelques idées de compositions. Nous nous sommes amusés à mettre ça ensemble. Magali Martin : Avec la possibilité de jouer un peu n’importe où, dans les salons, dans les jardins, sans avoir besoin d’être amplifiés, nous avons exprimé l’envie de revenir à des choses plus simples qui parlent au corps et au cœur. Hélène Braeuner : Avant de manifester cette envie-là, nous avons juste joué. Des mélodies existaient, et nous nous sommes amusés à les faire vivre. Nous n’étions plus dans une configuration Grand March, les auteurs n’étaient pas les mêmes. En fait l’auteure des textes, c’était vraiment Magali. Du coup, ça faisait naître un nouveau projet avec un nouveau nom qui devait aussi porter cette couleur-là et l’exprimer.

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Fred Lichtenberger : La vie de Grand March se poursuit, mais là, en parallèle on explore autre chose. Dans Grand March, je fais de la batterie, Cyrille joue de la basse. Là, avec BFC, nous varions les instruments, avec un concept construit autour de deux chanteuses. De manière pratique, avec Cyrille, nous en avions assez de trimbaler le matériel. Nous avions dans l’idée d’arriver chez les gens avec nos guitares et de démarrer un concert. Sur une cinquantaine de dates en plus d’un an, nous sommes partis avec un dispositif léger, une valise, une guitare, très peu de choses. Le but, c’est d’accompagner les filles en donnant une petite couleur aux chansons. H.B. : Le fait d’avoir décidé au départ que vous aviez très peu d’instruments, ça nous a permis de nous décomplexer pour la composition des chansons, de les interpréter beaucoup plus simplement. C.M. : Avec un côté très expérimental : on fait des essais, on bricole, on remplace la guitare par un banjo ou un ukulélé… M.M. : On voulait un côté spontané, comme si on avait une grande boîte et qu’un enfant sortait un truc et l’essayait. La complicité vocale est palpable entre vous, Magali et Hélène. Depuis combien de temps chantez-vous ensemble ? H.B. : En fait, la rencontre avec Magali n’est pas récente, nous étions au collège ensemble, et depuis nous étions déjà très à l’aise pour s’harmoniser l’une avec l’autre. C’est cette familiarité qui a fait que BFC pouvait exister. Une envie commune de concrétiser quelque chose ensemble, de plus écrit. M.M. : C’est vraiment une longue histoire ! Ensemble, nous chantions les tubes de la radio. Nous avons toujours aimé jouer avec nos voix, les faire se superposer.


Tout cela se double d’un process d’enregistrements à l’ancienne, sur bande pour créer un son, selon vos propres mots, « dynamique, chaleureux, soyeux ». J’imagine une émotion particulière au moment de l’enregistrement, vous renouez avec une part de magie. C.M. : Oui, l’intensité est toute autre que lorsqu’on enregistre en numérique, parce qu’on l’a fait aussi avec les groupes précédents. Là, on se situe beaucoup plus dans l’instant et ça procure un plaisir infiniment plus grand. Après, on n’est pas dans une quête de perfection, mais plutôt de justesse, du propos et d’intention. M.M. : Nous cherchons à reproduire un peu les sensations du live. C.M. : La technique d’enregistrement nous force à reproduire cette symbioselà. F.L. : Aurélien Meyer, le guitariste de Grand March, qui est ingénieur du son, nous a proposé de nous enregistrer sur bande avec deux prises maximum chacun. Après, c’est du mixage en direct. C.M. : Initialement, il nous a proposé de jouer ensemble et d’enregistrer ça. On avait quand même quelques petites pistes supplémentaires à placer, une

guitare en plus, etc. Nous appréhendions le moment parce qu’effectivement il fallait être absolument parfaits à quatre. L’artwork est signé Tino, il colle si bien à l’ambiance de vos compositions, à la fois désuet, référencé au passé, mais en même temps d’une très grande modernité. F.L. : Tino s’est arrêté au stade des esquisses, il nous a paru très pertinent, il y a une belle résonance avec le côté brut, naturel, simple de la musique qu’on propose. On ne s’est même pas posé la question. H.B. : Dès l’un de ses premiers jets, il nous a cernés, il a tout à fait compris ce qu’on attendait, ce qu’on cherchait. F.L : On est retournés le voir un matin, et c’était là…

instruments, on s’oriente très naturellement vers cette musique-là, parce que c’est une forme populaire basée sur des accords simples. Finalement, le blues et le folk sont nés comme ça. H.B. : Le folk est une musique ancrée, on essaye de se recentrer sur soi-même, comme lors d’une séance d’haptonomie. C’est comme si nous cherchions à nous prolonger dans le sol pour y puiser les éléments et trouver de nouvelles inspirations… BACKYARD FOLK CLUB, The Broken Spoon, 14 Records

Cette manière de faire de la musique de manière quasi artisanale, était-ce pour vous une façon de renouer avec la tradition folk ? F.L. : C’est justement la façon de procéder qui nous a conduits au folk. Moi je n’étais pas forcément amateur de folk au départ. On s’aperçoit qu’avec certains

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Par Florence Andoka

Turbulences intérieures À l’occasion de l’année de la Corée en France, Le Maillon et la Chambre accueillent Turbulent transition, exposition en deux volets, offrant un panorama de la photographie sud-coréenne des années 1950 à nos jours et une rétrospective Hein-Kuhn Oh. Si la photographie asiatique est bien connue du grand public par ses artistes nippons, Nobuyoshi Araki et Daido Moriyama en tête, on ne peut pas en dire autant de la photographie coréenne. L’exposition Turbulent transition a d’abord l’immense mérite d’esquisser une histoire de ce médium dans un pays divisé depuis 1945 et dont les frontières actuelles datent de 1953. Les photographies sud-coréennes du premier volet de l’exposition, installé au Maillon, racontent l’évolution d’un pays. Les liens de plus en plus distendus entre l’homme et l’architecture sont érigés

en symptôme d’une modernisation mortifère. Ainsi, les photographies récentes de l’artiste contemporain Taedong Kim laissent toujours entrevoir un personnage isolé au milieu d’une architecture sans chaleur. Ce n’est plus l’architecture qui sert l’homme, mais l’individu qui devient un élément ordinaire au sein du paysage de la mégalopole qui le dépasse. Malgré le constat commun d’une Corée du Sud qui tourne une page de son histoire et entre, non sans ambages, dans l’ultralibéralisme, les photographies réunies renvoient à des partis pris esthétiques très différents. Aux photomontages monumentaux dépourvus de chairs humaines de Sekwon Ahn, répondent sur une note humaniste les photographies en noir et blanc de Ki-Chan Kim. Le portrait d’un petit enfant tenant un chien sous le bras dans une ruelle du quartier de Jungnim-dong à Séoul s’inscrit parfaitement dans la tradition du photoreportage. L’œil du photographe semble complice et attendri par cette scène de rue. Cette dimension sentimentale anime aussi le travail de Ok Hyun Ahn. Photographies et vidéos reconstituent les images du cliché amoureux et placent l’émotion comme valeur universelle. Aussi, les larmes mêlées d’érotisme donnent un charme énigmatique au travail de l’artiste, tandis que de troublantes jeunes femmes, la poitrine à demi délestée de l’étoffe, fixent le visiteur. L’histoire de la Corée du Sud semble s’arrêter là, entre urbanisation dévorante et sentimentalité individualiste révélant aussi l’intérêt de la société post-moderne accordé à l’intime. Le travail de Hein-Kuhn Oh, présenté au Maillon comme à la Chambre, sert ainsi de fil directeur à l’exposition. La première série exposée au Maillon, Itaewon Story, s’inquiétait des âmes marginalisées d’un quartier interlope de Séoul dans les années 1990. Souriant seulement le temps de la photographie, les personnages dissimulent mal, sous l’agressivité du flash, leur véritable détresse, explique Hein-Kuhn Oh. Le photographe a poursuivi son chemin et, notamment pour la série Cosmetic girls, a immortalisé d’autres masques, comme les visages maquillées des adolescentes qui ne seraient que des façades cachant l’anxiété d’un pays. TURBULENT TRANSITION #1 et #2, expositions jusqu’au 4 mai à La Chambre et au Maillon, à Strasbourg www.la-chambre.org www.maillon.eu

© Ok Hyuen Ahn

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Par Petra Voss

À livre ouvert Dans l’ouvrage Aujourd’hui, c’est toujours maintenant ?, Pascal Bastien élabore un récit à partir de photographies de son quotidien, laissant une large place à la joie de l’enfance comme à la douceur de l’amitié.

Aujourd’hui, c’est toujours maintenant ? Pourquoi le titre de votre ouvrage joue-t-il ainsi sur la multiplicité des temporalités ? Le titre est une phrase prononcée un jour par mon fils de 5 ans. Il s’agit d’évoquer le rapport spécifique de l’enfance au temps, à sa multiplicité comme à sa dilatation. La photographie suspend le temps en arrêtant un moment mais ce qu’elle montre excède la seule réalité de l’instant. Elle est toujours un support qui conduit aux souvenirs sans qu’ils soient toujours liés à la situation immortalisée. Vous photographiez beaucoup votre vie quotidienne, en particulier les enfants et les vacances. Beaucoup de chapitres du livre font référence aux jours de la semaine. Ce qui m’intéresse c’est de raconter des petites histoires à partir de mon quotidien. Les images et les récits qui les accompagnent peuvent parler d’hier comme de demain. C’est très subjectif. J’y parle aussi de mon sentiment de paternité, de mon rôle de photographe. Quel est ici le statut du texte qui accompagne les séries de photographies ? Ça faisait très longtemps que j’avais envie d’expérimenter une narration photographique qui sorte du livre d’images. Comme neige au soleil, mon premier ouvrage, publié également chez Médiapop, procédait de la même manière. Je me suis inspiré de romans graphiques comme ceux de Riad Sattouf ou de Marjane Satrapi. Bien sûr, la photo marche différemment parce qu’elle part nécessairement de l’existant. En même temps, je n’avais pas envie que les photos viennent illustrer le texte. Pour le chapitre d’Aujourd’hui, c’est toujours maintenant ? consacré aux portraits, j’ai choisi d’éviter les légendes, elles sont nécessairement trop réductrices. On ne peut pas résumer une personne à son prénom, son âge, son métier. J’ai alors eu envie de mettre ces portraits en relation avec une autre image en regard. Mon métier de photographe de presse m’impose un rapport normé du texte et de l’image, j’avais donc envie d’en sortir. Il n’y a que dans la presse où tu dis ce que tu montres. Dans la réalité, tu peux être dans un lieu et penser à autre chose. Dans ces deux livres, je joue avec ça. Il y aussi le cinéma qui m’inspire : les docu-fictions d’Agnès Varda ou de Chris Marker.

Même en voyage, il semble que vous continuez à photographier des choses proches, les gens en particulier. D’une manière générale, je documente mon quotidien. J’ai toujours un Rolleiflex avec moi. L’argentique est un retour aux sources. Mon regard reste bienveillant, les rapports avec la société et les autres y sont apaisés. C’est une photographie d’acceptation du monde. Ce travail, je l’ai aussi initié en découvrant le travail de Vivian Maier. Elle m’a conforté dans ce que je faisais. L’œil de Vivian Maier me semble très juste. Elle sortait tous les jours avec sa poussette, prenait des photographies. Pour ma part, je ne fais pas des photos tous les jours, mais je tiens à photographier des choses parfaitement ordinaires que l’on ne regarde pas forcément. AUJOURD’HUI, C’EST TOUJOURS MAINTENANT ?, de Pascal Bastien aux éditions Médiapop, exposition du 20 mai au 31 juillet à Stimultania, à Strasbourg www.mediapop-editions.fr www.stimultania.org

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Par Florence Andoka

Photographier l’Autre

Vincent Delbrouck, Mulhouse, 2015 (résidence BPM / MAC)

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Qu’il s’agisse d’un autre homme, d’une autre culture ou d’une autre discipline, l’altérité est une énigme. La BPM - Biennale de la Photographie de Mulhouse entend confronter les regards sur ce thème complexe. Sa directrice, Anne Immelé, revient sur les enjeux de cette deuxième édition. Cette année, l’intitulé de la Biennale de la Photographie de Mulhouse est « L’autre et le même ». Comment faut-il entendre cette thématique ? L’altérité est une question qui traverse la photographie depuis son invention. Cette technique est utilisée au XIXe lors des voyages de découvertes, dans des albums qui donnent à voir ce qui est différent chez l’Autre et le catégorise, notamment par le biais de la légende. La photographie de l’Autre est à la fois document, objet de curiosité et de désir. J’avais envie d’aller au-delà d’un exotisme attendu, au-delà d’apparences et d’identités trop établies. L’autre et le même est également le titre de l’exposition dont je suis commissaire et qui se tiendra au Musée des Beaux-arts de Mulhouse. J’envisage l’exposition comme une œuvre à part entière et le commissariat comme un geste artistique. Ainsi, des documents d’archives et des photographies contemporaines sont agencées dans l’intention de questionner la représentation de l’Autre et de l’ailleurs. Les œuvres rassemblées dans l’exposition témoignent souvent d’un champ référentiel qui n’est pas l’art mais une autre discipline comme la science par exemple. Ainsi, l’artiste brésilienne Livia Melzi a une formation d’océanographe, et son travail photographique Sur les traces d’Hercule Florence relève de l’enquête scientifique et poétique à la fois. Il y est question d’un explorateur et naturaliste français du XIXe qui a inventé la photographie au Brésil mais aussi de la manière dont Livia Melzi s’est construite en tant que photographe en venant en France. Dans la BPM, toutes les formes de l’altérité et de l’identité sont envisagées, qu’il s’agisse de l’intrication entre l’identité individuelle et l’identité sociale chez Rebecca Topakian (CCFF de Freiburg), de la représentation des extraterrestres et des ovnis dans l’installation Are we alone? d’Anna Meschiari (Galerie de la Bibliothèque de Mulhouse), ou des migrants dans le bassin méditerranéen dans le travail de Franck Pourcel (Chalampé ). Vous avez publié en 2015 un ouvrage théorique intitulé Constellations photographiques. Défendez-vous une approche particulière de la photographie ? Pour cette édition, j’ai rassemblé des photographes émergents et des figures confirmées. Plus qu’une approche spécifique, c’est la singularité de leur démarche artistique qui est le critère de choix. Les artistes de cette BPM s’interrogent sur les processus qu’ils mettent en œuvre, sur le sens du geste photo-

graphique. Les deux artistes venus en résidence à Mulhouse s’inscrivent bien dans cette dynamique. Pascal Amoyel pose un regard ouvert et poétique sur le quartier du Rebberg, ses images mulhousiennes font écho à la série intitulée Not All, qu’il a réalisée dans le sud des États-Unis. Les images de Vincent Delbrouck témoignent d’un rapport existentiel à la pratique photographique. Vincent Delbrouck a réalisé quelques 4000 photographies argentiques lors de sa résidence d’un mois. Il mêle l’art et la vie et s’attache à garder une trace de l’intensité des expériences vécues. Quelle est la singularité de la Biennale de la Photographie de Mulhouse parmi les manifestations consacrées à la discipline ? Bien que l’on expose des artistes internationaux, la Biennale de la Photographie de Mulhouse est ancrée dans un territoire transfrontalier, entre la France, la Suisse et l’Allemagne. L’évènement investit également de nouveaux territoires : Alicja Dobrucka, Marc Lathuillière et Franck Pourcel réaliseront des accrochages dans l’espace public au sein des villages de Hombourg, Ottmarsheim et Chalampé. C’est le maire de Hombourg Thierry Engasser qui, suite à la première Biennale Play & Replay, est venu spontanément nous proposer un partenariat. La BPM est aussi structurée par un thème parce qu’elle a été pensée comme un ensemble où s’articulent différentes sensibilités. Il me semble nécessaire d’inviter, non seulement des photographes mais aussi des commissaires d’exposition afin d’exprimer des approches photographiques diversifiées. La jeune commissaire suisse Marie DuPasquier a travaillé avec Anna Meschiari pour Are we alone? et nos expositions partenaires sont aussi pensées par des commissaires extérieures aux structures : Karine Jobst (Kunstraum L6), Simone Demand (Galerie T66-Kulturwerk) et Laura Serani (La Filature). Les acteurs de la Biennale seront présents lors du week-end d’ouverture afin de susciter des rencontres et échanges avec le public. Des projections auront lieu à la Chapelle Saint-Jean par le collectif suisse NEAR. Ultime temps fort, le finissage de la manifestation sera consacrée aux livres de photographies, puisque cette forme bien spécifique nourrit aussi bien le travail d’Anna Meschiari, de Pascal Amoyel ou de Vincent Delbrouck. BIENNALE DE LA PHOTOGRAPHIE DE MULHOUSE du 4 juin au 4 septembre www.biennale-photo-mulhouse.com

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Par Florence Andoka

Les lumières de l’espace Parmi les dix-huit créateurs choisis pour l’exposition Almanach 16, reflétant la singularité du Consortium, figure Angela Bulloch. L’artiste présente un ensemble de sculptures géométriques et colorées auxquels la lumière vibrante donne un éclat mystérieux.

Depuis vos débuts, la lumière colorée est très présente dans votre œuvre. Pourquoi et comment travaillez-vous cette matière ? C’est quelque chose que je peux contrôler. Les couleurs viennent après. Au début, ça n’était qu’une simple lampe qui s’allumait et s’éteignait. Elle illuminait un objet en verre de l’intérieur, mais aussi de l’extérieur. Ça permettait de varier les points de vue, et les perspectives. Je travaillais également avec du silicone pour rendre cette lumière visible, tangible. Ainsi, j’ai créé des circuits à partir de fragments de silicone qui me permettaient de mieux contrôler la lumière. Une manière de codifier la chose, afin de lui donner du sens comme dans le langage binaire. Si j’ai travaillé ainsi avec ce matériau, le silicone, c’est parce qu’il me fascinait. Ses propriétés – le sili-

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cone présente des trous qui permettent au courant électrique de passer ou pas – peuvent être utilisées pour créer un langage, comme c’est le cas pour tout ordinateur.

non à la cité antique. Eve, Helen, Mary et Sophia sont les archétypes féminins, Ernest, Troy, Adam et Hermes, précisément dans cet ordre, constituent les archétypes masculins.

Lorsque la couleur et l’intensité de la lumière oscillent, est-ce une façon d’insuffler une présence vivante dans un univers géométrique ? Je crée effectivement des programmes qui tournent à l’intérieur des sculptures ; ils agissent sur le comportement des lampes. Je les appelle “animations” parce que c’est bien ce qu’ils font : ils “animent” les sculptures.

Almanach 16 est une exposition collective. Parmi les artistes réunis, y en a-t-il certains avec lesquels vous entretenez une relation particulière ? Oui, j’étais particulièrement ravie de découvrir les œuvres de Paolozzi. Comme je le disais précédemment, mon exposition New Wave Digits se référait à J.G. Ballard. Or, il s’avère qu’il était étroitement lié à Eduardo Paolozzi que ce soit au niveau des ambiances qu’il créait, mais aussi des idées qu’il diffusait. Il en va de même pour les œuvres d’Ashley Bickerton. Je me suis toujours montrée intéressée par cet artiste par le passé et j’étais vraiment en train de me poser la question de savoir ce qu’il produisait les derniers temps.

Le titre de l’œuvre présentée au Consortium, Stack of Six Seagrass Sculptures évoque en partie la flore marine. Pourtant, l’univers de l’œuvre peut également rappeler 2001, l’Odyssée de l’espace de Kubrick. Le pouvoir de la technique ainsi que la science fiction sont-elles des sources de questionnement dans votre pratique ? Pas vraiment. Seagrass est le nom de la couleur du matériau fait de coraux. Bien que j’aie eu l’occasion de faire référence à 2001, l’Odyssée de l’espace de Kubrick dans d’autres de mes œuvres, je ne l’ai pas fait avec ces œuvres-là. Le titre de mon exposition à Londres en mai 2015 était New Wave Digits, en référence de manière générale aux idées qu’on peut rencontrer chez un auteur comme J.G. Ballard ou d’autres comme lui. Après oui, je dois bien l’admettre, ce type de références me permet aussi de me situer. Les formes lumineuses que vous mettez en scènes rappellent aussi le design. Pour moi, l’art a une fonction différente de celle du design dans la société. Les circuits de distribution diffèrent, tout comme leurs buts respectifs. Le parcours de l’exposition Almanach 16 s’ouvre sur une copie réalisée par Bénigne Gagnereaux de L’Ecole d’Athènes de Raphaël. Helen, Hermes, Troy, Sophia figurent dans les titres donnés à vos sculptures exposées au Consortium. Quel lien peut-on déceler entre la mythologie grecque et votre propre imaginaire ? Un lien existe effectivement, les noms, les idées, même si au départ je n’avais nullement l’intension d’intégrer cette peinture à l’exposition. Mes titres proviennent des archétypes tels qu’ils ont été exposés par Carl Gustav Jung, surtout les noms féminins. Troy dans mon titre se réfère à un homme et

Vous avez maintenant quitté Londres pour Berlin. Oui, il me semblait importer de me déplacer, et surtout de me rendre là où il était le plus excitant de travailler. Je vis à Berlin en ce moment, mais je me rends régulièrement à Londres tout comme je voyage beaucoup. Vous avez étudié l’art au Goldsmiths College à Londres, ville où vous avez également commencé à exposer. La critique vous a alors associée dans les années 90 au mouvement des Young British Artists. Qu’en est-il aujourd’hui de votre regard sur cette période ? YBA ne constituait pas vraiment un mouvement, mais une manière de nommer un groupe, notamment par ceux qui n’avaient pas le sentiment d’y participer. Il est étonnant de constater combien ce label de Young British Artists vous permet de conserver une éternelle jeunesse. Juste à cause d’un nom… ANGELA BULLOCH, du 9 avril au 13 août, au Consortium, à Dijon leconsortium.fr

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Par Florence Andoka

La possibilité d’une filiation L’exposition au MUDAM Picasso et moi, poursuit un projet initié à la Fondation Maeght l’année dernière, en confrontant l’œuvre de Damien Deroubaix, figure majeure de la peinture contemporaine, à celle du maître espagnol. À 19 ans, Damien Deroubaix découvre Guernica dans un musée d’Arles. Il s’agit non pas de la peinture mais de l’une des trois tapisseries réalisées sous l’égide de Picasso d’après son célèbre tableau de 1937 où il dénonce la barbarie de la guerre d’Espagne. Damien Deroubaix confie avoir éprouvé alors « des sensations physiques très fortes ». Cette expérience fut déterminante dans son parcours puisqu’elle marqua la naissance de sa vocation d’artiste. Pourtant cette révélation face à Guernica impliquet-elle nécessairement une filiation entre Picasso et Deroubaix ? Le dialogue, plus que la filiation, est le terme retenu par l’artiste comme par Enrico Lunghi, commissaire de l’exposition et directeur du MUDAM. Si dialogue il y a, c’est à sens unique puisque les deux artistes ne sont pas contemporains l’un de l’autre. Aussi, celui qui n’est pas spécialiste de Picasso ni de Deroubaix n’est pas forcément acquis à l’évidence de la rencontre entre les deux œuvres. Les peintures de Deroubaix semblent évoluer dans une gamme colorée obscure confrontant les bleus aux bruns et aux gris avec, souvent, une large prédominance des noirs. Vénus polymastes aux yeux surnuméraires constellant le corps et squelettes prophétiques peuplent l’œuvre de Deroubaix, rappelant l’univers de Dürer comme celui du heavy metal. Qu’en est-il alors de la sensualité brutale et chatoyante de la période bleue, de la période rose,

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comme des nombreux portraits que Picasso a réalisé de ses compagnes ? Il en va ici du défi de l’exposition Picasso et moi comme de sa réussite. En effet, la confrontation est un succès, parce que l’œuvre de Picasso est immense et que les œuvres retenues pour l’exposition ont été choisies avec finesse, notamment les gravures issues de la série des années 60 ou encore celles intitulées Sueño y mentira de Franco. Ce qui lie les deux hommes, outre leurs expérimentations dans différents médiums, de la gravure à la sculpture, avec toujours la peinture au centre de l’attention, relève également du processus de création. « Ce qui m’inspire dans la démarche de Picasso, c’est sa façon d’avancer en détruisant tout. En peinture, les choses sont ainsi : parfois tu passes des heures et des semaines sur une toile dont une partie marche bien et puis à cause de ce qu’il y a à côté ça ne va pas. Alors tu recouvres tout et tu recommences. On voit très bien cela lorsque Henri-Georges Clouzot filme le peintre à l’œuvre dans Le Mystère Picasso », explique Damien Deroubaix. Tuer le père Deux œuvres de Damien Deroubaix occupent une place particulière dans la conception de l’exposition. Ainsi World Downfall, datant de 2014, immense tapisserie mêlant laine, cuir et dentelle, réalisée avec les ateliers Néolice à Aubusson, est considérée par


Sous les feux de la rampe : l’austérité, Damien Deroubaix, 2013 Watercolour, ink, acrylic and collage on paper, 330 × 450 cm Courtesy the artist and Galerie In Situ - Fabienne Leclerc © Photo : Le lieu unique, Nantes

l’artiste comme une interprétation de Guernica. La figure maternelle tenant son bébé mort et hurlant de l’œuvre de Picasso est devenue un mannequin de vitrine sans vie, malgré sa pose aguicheuse, soutenue par un socle. Sa face masquée inquiète, tout comme le canidé fantomatique à son côté. Le taureau tirant la langue est désormais une vache morte, les pattes en l’air, le crâne apparent. L’atmosphère apocalyptique de Guernica a été transposée à d’autres faits historiques. La Shoah et plus spécifiquement le camp d’Auschwitz ont inspiré Damien Deroubaix. Cette « chute du monde », pour le spectateur d’aujourd’hui, fait également écho à d’autres phénomènes, comme les explosions atomiques, la souffrance animale ou encore le capitalisme. Les mots : « world, downfall, money » ponctuant l’espace pictural sont sans appel et pointent avec véhémence les écueils contemporains. « Je peins le monde tel qu’il est, je n’invente rien », lance Damien

Deroubaix en guise de provocation. Garage Days Re-visited conclut le cheminement de l’exposition. Aussi, l’œuvre conçue spécialement pour l’événement, est une copie de Guernica par Damien Deroubaix. L’échelle a été respectée, le motif a été fidèlement repris par projection. Néanmoins, le matériau diffère : l’artiste a choisi le bois comme point de départ et a travaillé la matière avec des ciseaux et de l’encre. En préparant l’exposition, il souhaitait y intégrer l’une des tapisseries de Guernica, mais l’histoire en a décidé autrement, il a donc fait le choix interpellant de la copie. Trois mois de travail ont été nécessaires pour réaliser Garage Days Re-visited. Quel sens attribuer à cette reprise, baptisée du nom d’un EP du groupe Metallica ? Damien Deroubaix reste énigmatique dans sa réponse, affirme seulement l’avoir voulu et l’avoir fait. On pourrait aisément y voir le meurtre d’un père spirituel, comme le désir de confronter son talent à celui d’un maître de l’histoire de l’art, ou encore celui de replacer au centre de sa propre cosmologie l’œuvre à l’origine de sa vocation. Entre hommage et iconoclasme, Garage Days Re-visited est sans doute le point culminant de l’exposition, apportant un ultime argument à la possibilité d’une filiation entre Picasso et Deroubaix. DAMIEN DEROUBAIX - PICASSO ET MOI, exposition jusqu’au 29 mai au MUDAM, à Luxembourg www.mudam.lu

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Par Florence Andoka

Les enjeux de la fiction Les expositions Légende et Trust in fiction, présentées respectivement par le FRAC Franche-Comté et le CRAC Alsace révèlent un intérêt commun pour la fiction. Dans une société où le virtuel fait rage, la fiction serait-elle une voie d’accès privilégiée au réel ?

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La fiction est un puissant ressort critique à l’encontre de la réalité. Si ce détour pourrait prendre des allures sentencieuses ou tragiques, Trust in fiction, tout comme certaines pièces de Légende, invitent à sourire. Ici l’humour grinçant s’exerce le plus souvent à l’encontre du monde de l’art comme la Collection Yoon Ja & Paul Devautour. Les deux artistes, à partir de 1985 et pendant une décennie, ont réalisé une collection fictive en inventant les artistes et les œuvres. En pénétrant l’espace qui lui est consacré au CRAC, on découvre un salon richement décoré d’œuvres réunissant toutes les tendances de l’art contemporain. Une vidéo tourne en boucle où s’exerce une critique d’art fictive. Tout pourrait être vrai, or tout est faux. L’œuvre tourne en dérision, sans indulgence, le marché de l’art : union de l’acheteur, du critique et de l’artiste. L’ensemble harmonieux de la Collection Yoon Ja & Paul Devautour relève-t-il seulement de la parodie ? Serait-il risible d’y voir une petite histoire de l’art matérialisée, tenant dans une seule pièce ? Sans doute, dans le parcours de Légende, la rétrospective de l’œuvre de l’artiste fictif, Hubert Renard, s’inscritelle également dans cette perspective ambiguë. Les cartels sont au mur et les œuvres dans un document destiné à la médiation. Les cartels retracent alors le parcours stéréotypé d’un artiste contemporain dont le travail porterait sur l’exposition. Outre sa charge critique à l’égard du fonctionnement de l’art contemporain, la fiction peut aussi viser une réalité plus large et être un moyen d’éviter la censure. Walid Raad crée en 1999 l’Atlas groupe, un

collège d’historiens fictifs accumulant des archives sur l’histoire libanaise, et plus particulièrement sur les guerres civiles du pays. Trust in fiction, présente les travaux de Fadl Fakhouri, membre de l’Atlas Group. On peut être dérouté, par les fausses archives, d’un faux historien qui néanmoins renvoient à des faits réels. « Dire c’est faire », selon la formule d’Austin, ou plutôt c’est faire exister. Ainsi, Walid Raad, par le biais de ces faux historiens, relate la politique libanaise et remet en question la transmission de sa mémoire. L’art ou la vie La fiction n’apparaît pas toujours sous des dehors aussi corrosifs que dans la plupart des œuvres de Trust in fiction, choisies par Elfi Turpin et Santiago Garcia Navarro. Au contraire le récit devient une force poétique, une modalité du réel capable de l’enrichir. Exposer le récit à l’œuvre comme le font les commissaires de l’exposition Légende, Sylvie Zavatta et Laurent Buffet, c’est prendre le risque de se heurter aux questions liées à la dématérialisation de l’œuvre d’art. Matières à récit, titre initial et finalement évincé de l’exposition du FRAC, prend tout son sens lorsque l’on se trouve nez à nez avec l’œuvre intitulée Production d’Annie Vigier et Franck Apertet, formant le collectif Les gens d’Uterpan. Seules deux dates sur un mur indiquent le temps où les deux artistes s’engagent à disparaître de leur travail comme de leur domicile, laissant chacun nourrir cette absence de tous les fantasmes. Egalement animé par l’idée de la conta-


Vue de l’exposition Légende, Frac Franche-Comté, 2016 – Jean-Christophe Norman, Grand Mekong Hotel, 2011-2016
 Photo : Blaise Adilon

mination possible entre la vie et l’art, Jean-Christophe Norman a retracé par le sillage d’un bateau sur le Mékong, le plan de l’appartement parisien de Marguerite Duras. Temps et espaces s’enchâssent dans un mouvement s’apparentant à une forme de transmission, entre l’enfance de l’écrivaine et sa vie adulte, entre la vie de Duras et celle de Jean-Christophe Norman. L’œuvre intitulée Grand Mekong Hotel, 2011-2016 se compose d’un texte écrit à la main sur un mur évoquant la performance de l’artiste. Le texte prend de l’ampleur, quitte ainsi l’espace ramassé du livre pour s’étendre sur le mur alors que le récit n’offre qu’une image mentale des faits rapportés. Mais jusqu’où la fiction peut-elle nous conduire ? Marisa Rubio a choisi de ne pas trancher dans l’infini des vies qui s’offrent à elle. Aussi, elle multiplie les identités en incarnant au quotidien différents personnages. Ce dédoublement de personnalité volontaire, érigé en art

de la performance continue, permet à Marisa Rubio de mener cinq existences d’artistes amateurs. Notamment chanteuse de rock et professeur de mandala, sous diverses identités Marisa Rubio ne dévoile jamais sa véritable entreprise à son entourage qui, par conséquent, participe à son œuvre sans le savoir ni y consentir. Cette œuvre intrigante de Marisa Rubio, habilement présentée dans Trust in fiction, rappelle autant l’histoire inquiétante de Jean-Claude Roman, que la parole libératrice de Robert Filliou : « L’art c’est ce qui rend la vie plus intéressante que l’art. » LÉGENDE exposition jusqu’au 8 mai 2016 au FRAC Franche-Comté, à Besançon www.frac-franche-comte.fr

Ronnie Fueglister, graphisme, au CRAC

TRUST IN FICTION exposition jusqu’au 15 mai 2016 au CRAC Alsace, à Altkirch www.cracalsace.com

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Par Petra Voss Re-photographie : Nicolas Waltefaugle

Nouvelle vague Anne Giffon-Selle prend la tête du 19, le Centre Régional d’Art Contemporain de Montbéliard. Historienne d’art et spécialiste de la Beat Generation, la nouvelle directrice des lieux entend transmettre sa passion pour une création qui brouille les frontières.

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Un vent nouveau souffle sur le 19. Philippe Cyroulnik, à la tête de l’établissement depuis sa création, a pris sa retraite. Depuis le 7 mars dernier, Anne Giffon-Selle dirige l’institution dédiée à l’art contemporain et entend mener une politique d’ouverture afin d’inscrire le centre d’art dans une dynamique de territoire : « Le 19 est idéalement placé

entre Dijon et Strasbourg, au cœur d’une effervescence artistique où les institutions sont nombreuses avec notamment à proximité, le FRAC Franche-Comté, l’Espace Gantner de Bourogne, le CRAC d’Altkirch ou encore la Kunsthalle de Mulhouse. Des liens étroits existent déjà entre les structures de Belfort et le 19, pourtant d’autres partenariats sont à envisager. À charge

du 19 de proposer comme de recevoir. » Rapidement la conversation quitte le champ de la politique culturelle pour évoquer sa passion pour la création contemporaine et sa manière singulière de l’envisager. Anne Giffon-Selle considère le champ de l’art contemporain avec une liberté salutaire. « Il n’y a pas nécessairement de distinction à faire entre ce qui est populaire et ce qui est réflexif. Je défends la possibilité de questionner les frontières, celle qui sépare parfois l’art et la médiation, ou encore l’art et l’artisanat », affirme-t-elle en évoquant tant la pensée de Claude Lévi-Strauss que celle de Seth Siegelaub. Anne Giffon-Selle entend aussi inviter des commissaires d’exposition extérieurs afin que différentes sensibilités puissent s’exprimer au 19, parce que « personne ne détient jamais la vérité et que la réflexion collective est féconde ». Des expositions d’actualité et d’autres plus historiques, destinées à éclairer une scène artistique, seront au programme. À partir du 4 juin, le duo d’artistes Tom Castinel & Antonin Horquin ouvrira le bal avec le projet intitulé Pâle mâle destituant l’imagerie de la virilité dans une veine satirique. Les intérêts artistiques de celle qui a œuvré à Vénissieux avant de diriger le Centre d’Art Plastiques de Saint-Fons, sont multiples, incluent l’anthropologie, le son, le collectif ou encore le textile parce que « l’art est un geste culturel qui s’inscrit dans un ensemble ». Cependant, Anne Giffon-Selle a longtemps vécu aux États-Unis et se révèle spécialiste de la Beat Génération. Un livre de sa plume sur le sujet paraîtra bientôt en collaboration avec le MAMCO de Genève et les Presses du réel. Il n’y est pas question de la triade mythique formée par Allen Ginsberg, Jack Kerouac et William Burroughs, mais de figures moins célébrées, comme Edward Kienholz, Wallace Berman, Bruce Conner, George Herms. Ces artistes ont évolué dans les années 50 et 60 sur la côte ouest américaine, dans l’ombre de la culture beat initiée à l’aube des années 50. Anne Giffon-Selle en parle avec un intérêt communicatif ouvrant ainsi des perspectives à celui qui l’écoute.

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THE GOON SAX Up To Anything, Chapter Music

Qu’on se l’accorde d’office : un groupe qui chante « I don’t need a telephone just to feel ok / Cause I hate those telephone / They hurt me everyday / And if you call me today I think I’m going insane » ne peut que provoquer chez nous une écoute bienveillante. A-t-on entendu quelque chose d’aussi percutant, aussi à contre-courant de tout, depuis le brûlot Fast Cars des Buzzcocks ? Pas sûr. Surtout que c’est formulé avec un sens du second degré pop, comme seuls les Américains en sont capables. Ce qui est d’autant plus étrange quand on sait que ce trio là nous vient de Brisbane, en Australie. Après, si l’on entend les Unknowns avec ce rock minimal d’inspiration 50’s, les Talking Heads ou les Feelies, rien de surprenant à cela : dans le trio formé par ces lycéens figure Louis Forster, le fils de Robert Forster, leader de la formation australienne culte The Go-Betweens qui a dû transmettre au gamin sa passion pour une pop qui va à l’essentiel. Magistralement anachronique et sublime ! (E.A.)

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TROY VON BALTHAZAR

KATERINE

Knights of Something, Vicious Circle

De tout temps, Katerine a aimé faire le pitre. C’était comme pour mieux cacher son extrême sensibilité. Mais ceux qui le suivent le savent : l’homme sait se dévoiler, il l’a maintes fois fait par le passé. Et c’est peut-être là qu’on l’aime le plus, comme dans ce Papa où la dimension surréelle d’une ritournelle populaire ne dissimule plus guère la douleur de l’instant. Le regret s’y exprime avec une émotion qui nous saisit, mais aussi avec ce goût pour l’absurde qui le caractérise tant. Une fois de plus, le Nantais redonne à la chanson ses lettres de noblesse, en digne héritier d’un temps où celle-ci tentait d’exprimer des sentiments vrais. (E.A.)

À intervalles réguliers, l’ami Troy nous donne de ses nouvelles. Et comme à chaque fois, il le fait avec une grande modestie et surtout avec une intégrité sans faille. Tout au plus avec ce disque enregistré entre Berlin et le sud de la France explore-t-il encore davantage le versant lo-fi de sa production avec moult effets très électriques qui lui permettent d’entrer sur le terrain d’un psychédélisme entièrement assumé. La qualité d’écriture faisant le reste, on tient là un petit bijou qui situe l’importance de ce magnifique songwriter à la hauteur de ce qu’il est véritablement : indispensable à nos yeux ! (E.A.)

EMILY JANE WHITE They Moved in Shadow All Together, Talitres A-t-on le droit d’exprimer une demie frustration ? Emily Jane White nous a toujours séduits par le passé, mais une petite pointe de complaisance nous la maintenait quelque peu à distance. Là, dès les premières notes, on a le sentiment de sortir de l’obscurité. La gravité est là, et personne ne la lui reprochera, mais elle est compensée par une approche lumineuse aussi bien dans la voix que dans le son. Peut-être est-ce le roman de Cormac McCarthy justement intitulé Outer Dark qui l’amène à repenser l’expression de sa propre intimité, qui sait ? Quoi qu’il en soit, la Californienne nous rappelle ici à merveille que la mélancolie mêle la détresse à une extrême vitalité. (E.A.)

Le film, Cinq7

THE CORAL Distance Inbetween, Ignition Alors que les Français ne se remettent pas du départ de Bill Ryder-Jones, l’ex-leader de The Coral, les Anglais eux continuent d’apprécier cette bien belle formation de Liverpool. À juste titre sans doute, tant ce nouvel opus qui fait suite à une petite merveille sortie en 2011 s’annonce comme un tournant : si le groupe n’est pas parvenu au bout de son fantasme véritable, à savoir sonner comme Hawkwind, il a gagné en électricité sans rien perdre en subtilité. Il en résulte une énergie qui rappelle les Pretty Things période Parachute ou même les premiers Pink Floyd. (E.A.)


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theo hakola I Fry Mine in Butter! 05.2016 double VINYLE 33T & CD

BANGBANGCOCKCOCK Vinyle 33T & 45T

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MARXER But The Vision Soon Faded Vinyle 33T

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HISTOIRE DE LA LITTERATURE RECENTE De Olivier Cadiot / P.O.L. Dans un entretien à Novo (numéro 35, juillet 2015), l’auteur Olivier Cadiot confiait « J’ai l’impression qu’une nouvelle manière de travailler s’ouvre, techniquement aussi (…), que je suis dans une nouvelle période. Après l’âge de la poésie, l’âge du roman, l’âge de l’essai. » Un sentiment confirmé par la parution en février d’Histoire de la littérature récente – Tome I. Composé d’une soixantaine de courts chapitres, ce livre permet à Cadiot de quitter « le filtre des personnages » pour observer l’acte d’écriture par autant de lorgnettes. À l’image de son intitulé et de sa quatrième de couverture mariant volontairement le grandiloquent et le dérisoire, Olivier Cadiot balance entre sérieux, désinvolture et pince-sans-rire. Analysant, dépeçant, disséquant jusqu’à l’os les mécanismes et fantasmes entourant la création littéraire, l’auteur adresse peut-être moins des conseils à de futurs auteurs qu’il ne lève le voile sur ses doutes, ses obsessions et sa mélancolie. (C.C.)

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LA VEUVE BASQUIAT

TANT DE SILENCES

De Jennifer Clement / Christian Bourgois

De Christophe Fourvel / L’Atelier contemporain

Voilà un livre précieux qui raconte la relation entre Jean-Michel Basquiat et sa muse Suzanne Mallouk, surnommée la « veuve Basquiat » bien avant la disparition de l’artiste à 27 ans en 1988. L’écriture dépouillée et poétique de Jennifer Clement nous plonge dans le New York bouillonnant des années 80. Alors que Basquiat se débat avec l’héroïne et multiplie les relations, il reste pourtant jusqu’au bout profondément attaché à Suzanne Mallouk, son premier amour. Un amour non exclusif, rendu encore plus compliqué par l’ascension vertigineuse de l’artiste. Une histoire vraie, au cœur de l’histoire de l’art, loin des clichés glauques, malgré le sexe, la drogue et les poignées de dollars… (P.S.)

Dans ce livre sobrement illustré par Jean-Pierre Schneider, Christophe Fourvel dresse un inventaire des silences qui nous envahissent à un moment ou un autre de notre vie. Cet inventaire est surtout prétexte pour l’auteur à faire ce qu’il fait si admirablement dans chacun de ses livres : scruter sa vie, nos vies et celles de nos héros cinématographiques, littéraires ou artistiques pour mettre miraculeusement des mots sur à peu près tout ce qui nous échappe. À force de s’intéresser aux détails les plus infimes de nos existences et de scruter à la loupe nos pensées les plus fugitives, Christophe Fourvel est passé maître dans l’art de nous faire voir ce que l’on ne voit jamais : nos silences. (P.S.)

MOUVEMENT

ROULETTE RUSSE

De Philippe Sollers / Gallimard Concernant ce recueil de textes, les journalistes posent à Philippe Sollers la question du roman. S’il n’ose pas formuler la réponse luimême, on pourrait dire que tout cela forme un tout et raconte une histoire. Non pas l’histoire de personnages fictifs, mais plutôt celle d’un étonnant personnage qui s’appelle l’homme – il s’appelait déjà ainsi par le passé. C’est peutêtre cela d’ailleurs l’objet de cet ouvrage, s’appuyer sur l’Histoire, la philosophie ou la science pour raconter ce que nous sommes et ce que nous allons devenir. Sollers le fait de manière faussement désinvolte parfois, mais aussi avec la gravité de celui qui se préoccupe. (E.A.)

De Bayon / Pauvert Perdu de vue depuis qu’il a quitté un Libé en pleine débandade, Bayon nous revient avec l’exhumation de cet anachronique journal d’un jeune homme perdu qui se dévore d’une traite aussi bien qu’il se savoure par fragments en piochant au hasard des fulgurances de l’auteur englué dans la « torpeur toxique » des années 80. Bayon est un styliste hors pair qui ciselle sa prose comme pour mieux lutter contre sa propre résignation à l’inhibition. On comprend mieux ce qui le liait à Bashung, autre grand malaxeur de mots et alchimiste du verbe passé par les soussols de la dépression et la tentation roulette russe avant de nous offrir ses plus belles pépites. (P.S.)


CRAC Alsace 21.2.–15.5.2016

Centre rhénan d’art contemporain 18 rue du château, F-68130 Altkirch +33 (0)3 89 08 82 59 www.cracalsace.com

TRUST IN FICTIONFIC TIONFICTIO NFICTIONFI CTIONFICTI ONFICTION FICTIONFIC TIONFICTIO COLMAR DU 30 AVRIL AU 8 MAI 64ÈME FESTIVAL DE MUSIQUE DE CHAMBRE MARC COPPEY DIRECTEUR ARTISTIQUE

FG W

Olivier FILIPPI Karlos GIL Michèle WAQUANT

Le 19, Crac Montbéliard

JUSQU’AU 8 MAI 2016

Le 19, Centre régional d’art contemporain de Montbéliard I www.le19crac.com I +33 (0)3 81 94 43 58 © Michèle Waquant, Loups (détail), 1982, vidéo, 30’

BACH

2016

Programme complet et billetterie

les-musicales.com


Regard Par Nathalie Bach Photo : Pascal Bastien

Kanak vient du poly-mélanésien. Il signifie «homme, personne vivante». Kanak doit s’entendre comme une réparation, une revendication identitaire opérée par retournement du mot « canaque ». C’est à l’époque une insulte en français calédonien. Kanak s’est imposé en 1985 par la force des choses, celle des « évènements » Kanak désigne les hommes, les peuples, les gens des mers du Sud Kanak est invariable en genre et en nombre, quelle que soit la nature du mot (Avant-projet. Théâtre du Marché aux Grains)

Pierre Diependaële se définit quant à lui comme « un séparé de lui-même ». La question de l’identité, du port d’ancrage, semble tisser un des liens profonds entre cet exilé des Flandres et son projet. « J’ai vécu deux fois plus ici qu’à Lille. Je me déclare fils adoptif et, je l’espère, adopté par l’Alsace où je me suis tout de suite senti bien. Il y a un beau travail d’imaginaire à faire pour se construire. Je ne crois pas que les projets d’art se réduisent à des facteurs dits autobiographiques, mais il y a un maillage sensible qui permet une trame. » Et aussi, il fait partie des indignés. C’est peut-être la raison de sa venue en Alsace en 68, avant de fonder peu après le Théâtre du Marché aux Grains avec Louis Ziegler et Christiane Stroë. Et de sa volonté de porter haut le choix de « continuer à faire théâtre du texte, du théâtre de textes écrits pour le théâtre ». Il a en l’occurrence choisi une écriture féminine. Celle de Nicole Vedrès (1911-1961). Romancière, essayiste, chroniqueuse attitrée de l’émission télévisée Lecture pour tous avec Pierre Dumayet, Pierre Desgraupes et Max-Pol Fouchet, cette figure du Saint-Germain-des-Prés de l’aprèsguerre fut notamment remarquée pour ses films, l’admirable Paris 1900 et La vie commence demain. Pourtant, le nom de cette femme pour qui les traces du passé avaient tant d’importance n’est aujourd’hui une référence que pour quelques happy few. Les Canaques est l’unique pièce de théâtre de Nicole Vedrès écrite pour la scène, faisant suite à plusieurs autres pièces dédiées à la radio. Œuvre posthume publiée aux Éditions du Seuil en 1966 et créée une seule fois à Liège la même année, ce sera donc « une deuxième » quelque cinquante ans plus tard, à Bouxwiller.

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Pierre a décidé de ramener à cinq comédiens la centaine de personnages prévus de cette « crowdplay » pourtant réputée injouable. Qu’à cela ne tienne, le projet se déclinera à l’image de son titre générique Kanak, dans un ensemble d’actions coordonnées les unes vers les autres, de lectures mises en espace avec le public, d’un travail d’approche documentaire mais également photographique s’inspirant des travaux de Denis Rouvre, avant la réalisation du spectacle. Parce que rien ne tient plus à cœur à ce comédien, auteur, adaptateur, metteur en scène et scénographe que la transmission d’une quête artistique. D’ailleurs, son engagement remarquable dans des ateliers en milieu scolaire ne laisse pas le moindre doute sur sa volonté de contribution aux « murmures à la jeunesse ». Brûlants d’actualité sont les thèmes claquants en ces deux syllabes Kanak. Ce terme aujourd’hui empreint d’une forte charge identitaire est devenu l’un des symboles des revendications culturelles et politiques des néo-calédoniens dont les autochtones se réapproprièrent la graphie, « canaque » émanant d’une désignation coloniale. Ce n’est qu’à partir des années 70 que cette appellation sera « reocéanisée » et officialisée en 1985 par le gouvernement provisoire de Jean-Marie Tjibaou. Il est donc question de l’autre, des autres, sur le regard porté à d’autres lieux, d’autres mœurs, d’autres temps. Pour ces peuples présentés « sans écriture » ou « pas assez entrés dans l’histoire », la réappropriation de la terre, de la culture et du nom sont au cœur de la pièce de Nicole Vedrès dont les cinq actes tracent l’histoire de la possession de l’île. « Les Canaques enfin, les canaques surtout, témoins muets de leur propre drame, pour qui la NouvelleCalédonie n’est pas un lieu d’oubli, d’exil ou de plaisance, ni même de salut, mais simplement cette île immémoriale, qui représente pour eux le monde » (Les Canaques, quatrième de couverture).


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Pierre n’a évidemment pas choisi cette œuvre « par hasard », une expression à laquelle il ne croit pas. Comme à chacune de ses créations toujours soigneusement portées en regard, Les Canaques attendaient, empêchés dans leur réalisation par la période dite « des évènements » en NouvelleCalédonie. Le temps est donc venu, et terriblement bienvenu dans ces jours où les mots « déchéance » et « nationalité » ont sonné comme un triste oxymore. « Et puis j’aime cette idée que les écarts artistiques, politiques, puissent s’entendre, du moins s’approcher, entrer en dialogue. Il n’y a de réconciliation que s’il y a eu blessure d’une séparation. Les amours, les amitiés aussi sont travaillées toujours dans cette bipolarité. À quel endroit peut-il y avoir réconciliation ? »

Il faut le voir, oui, le voir parler, ce vif-argent, de toute sa vie consacrée à cet acte de foi dont il vibre à chaque mot, le théâtre. Pierre Diependaële est de ceux qui savent tendre la main. Par-delà les Flandres, l’Alsace, ou la Nouvelle-Calédonie, un homme, tout simplement. KANAK, par la compagnie du Théâtre du Marché aux Grains. Création en Février 2017 au Théâtre Christiane Stroë à Bouxwiller.

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ScĂŠnarios imaginaires Ayline Olukman

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Le miroir est fêlé et ne reflète plus que des ruines. Pourtant le regard tombe dans son creux, inlassablement. Dans une certaine extase, Se laisser noyer dans ce paradis.

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A world within a world

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Emmanuel Abela Photo : Léa Fabing

Tout s’est arrêté soudain. Au lointain, je distinguai une voix, douce et chaleureuse à la fois : « J’ai Rêvé un Rêve ! Que peut-il signifier ? ». Après un court silence, elle reprit : « J’étais dans ce rêve une Jeune Reine : Qu’un Ange Doux veillait ; Jamais séduite, malheur insensé ! » Un dernier silence. Dès lors, elle ne s’interrompit plus.

« Nuit et jour, j’étais en larmes Que l’Ange, nuit et jour, essuyait Jour et Nuit je pleurais À l’Ange le plaisir de mon cœur je celais. Donc, il battit des ailes et s’envola : Parut une aube de couleur rose rouge De dix milliers de lances et d’armes J’armai mes craintes, séchai mes larmes. Sur quoi mon Ange revint : J’étais armée, retour en vain : Car ma jeunesse s’était enfuie J’avais les cheveux tout gris. » Qui, de mon malheur, fit ainsi un poème ? Dans l’attente de le découvrir, je ne pouvais que me répéter, inlassablement : And that I was a maiden Queen.

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WWW.MUSIQUEACTION.COM

Simone Adou en a-pesanteur

Nicolas Hubert Les Endimanchés Françoise Klein XXI.n Jean-Léon Pallandre Marc Pichelin Lionel Marchetti Motus The Invisible Hands Alan Bishop Nanda Mohammad Barre Phillips Collectif Emir Beñat Achiary Henri jules Julien David Chiesa Aude Romary Marie Cambois Mathieu Chamagne Marteau Rouge …

Musée des Beaux-Arts de Mulhouse

19 mars -14 mai (sauf mardis et jours fériés) de 13h à 18h30. Entrée libre.

Ark4 Ensemble Ultim’Asonata Cie Virgule Flottante Phonoscopie Daunik Lazro DrumFire 500 Carol Robinson Christophe Cardoen Strange Ladies François Rossé Louis-Michel Marion Alain Savouret Dominique Petitgand O’Death Jug Jacques Demierre Vincent Carinola MoE Collectif Revue & Corrigée Les patries imaginaires Sophie Agnel Merleau Ponty Gaëlle Rouard … 03.05 > 16.05.2016 CENTRE CULTUREL ANDRÉ MALRAUX SCÈNE NATIONALE DE VANDŒUVRE RUE DE PARME 54500 VANDœUVRE-LÈS-NANCY licences : 540-249/250/251 design graphique : studio punkat photo : Everett Historical / shutterstock


Carnaval Chloé Tercé Atelier 25

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chicmédias éditions

Collection dessins 1

Collection desseins

Ce livre réunit dans l’ ordre chronologique et de manière non exhaustive les textos poétiques et les dessins qui m’ont été adressés par H. au début de notre relation. Ces deux expressions artistiques sont nées de notre relation fusionnelle, de nos séparations régulières, et ce, dès le début de notre rencontre. L’autre absent, mais qui est là et nous inspire. Cette balade érotique évoque l’amour dans sa quête d’absolu, ses manques, les souffrances qui en découlent quelquefois, ses exaltations aussi, et le caractère « cyclique » de la relation. Ce livre est certes un objet intime, mais chaque lecteur pourra y reconnaître « son intime ». Mes réponses à H. existent, mais liberté est laissée au lecteur de les imaginer.

ASSEZ FLIRTÉ, BAISSER CULOTTE ! Anne-Sophie Tschiegg H. Schwaller

L’ÊTRE PRIORITAIRE Hakim Mouhous Hélène Schwaller

ASSEZ FLIRTÉ, BAISSER CULOTTE ! Anne-Sophie Tschiegg

Collection desseins

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Au départ, l’idée est de Bruno Chibane. À la fin, ça me ressemble. On s’est d’abord dit que ça parlerait de couleur et que ça montrerait le cul. Pas vraiment le contraire, ou alors sans narration parce que parler de cul c’est toujours enlever, c’est recreuser les trous pour y loger le désir et tout ce qui passe. Finalement, c’est devenu une sorte de journal qui dit les appétits au jour le jour. Les mots sont posés vite, par liste, comme des images et les images suivent les élans. J’avais juste envie de m’y sentir bien, que ce soit polymorphe et joyeux, que la femme y soit au centre, dessus et dessous. (Et techniquement, c’est le frottement d’un index sur un iPad).

Expéditeur Hakim Mouhous Destinataire Hélène Schwaller

Anne-Sophie Tschiegg

Chic Médias éditions Collection desseins

Chic Médias éditions

Chic Médias éditions Collection desseins

ISBN : 978-2-9544852-2-5

9 782954 485225

Prix : 20 €

Chic Médias éditions

L'ÊTRE PRIORITAIRE

ASSEZ FLIRTÉ, BAISSER CULOTTE

L’ÊTRE PRIORITAIRE

Anne-Sophie Tschiegg

Hakim Mouhous - Hélène Schwaller

100 pages - 165x220 mm - 700 exemplaires

Peintre depuis une trentaine d’années, Anne-Sophie Tschiegg travaille les associations de couleur comme on assemblerait un parfum. Du petit au grand format, du collage au dessin, les couleurs se répandent, se confondent, jusqu’à provoquer l’émotion première.

80 pages - 165x220 mm - 350 exemplaires

L’être prioritaire est né d’un désir commun d’Hélène Schwaller, comédienne et du sculpteur et dessinateur Hakim Mouhous. L’artiste met en mouvement sur le papier une balade érotique et puise son inspiration dans l’absence de l’autre.

La collection desseins laisse libre cours aux artistes : photographes, plasticiens ou illustrateurs en publiant leurs carnets. Une adresse au corps, à la nudité, à la sexualité voire à la pornographie.

À commander sur www.shop.zut-magazine.com

Sortie en librairie avril 2016 chicmédias éditions - 12 rue des Poules - 67000 Strasbourg - 03 67 08 20 87


Semaine de la nouvelle création

Du mardi 31 mai au vendredi 3 juin 2016 à Besançon

9e édition

GLIZ MARION VIEILLE ROCH BRANCHE pOp / ÉLECTRO

COmpagNiE pRUNE / SpECTaCLE EN aRBRE

Tous les soirs à 22H, concerts gratuits dans les bars de la ville Tarif unique : 5€ | Plus d’infos : www.besancon.fr/emergences La semaine des Émergences est organisée par la Ville de Besançon en partenariat avec le Centre Dramatique National Besançon Franche-Comté, la Rodia-Scène de musiques actuelles, Les 2 Scènes – Scène nationale de Besançon et le service culturel du CROUS

photographie : Yves petit, spectacle Sous vide, projet D

pOp / ROCk


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