4 minute read

Momix 64-65, Pinocchio(live)#2

Next Article
Martine Lombard

Martine Lombard

PiNocchio(live)#2

jeux d’eNfaNts

Par Aurélie Vautrin

de l’histoire mouvemeNtée du PiNocchio de collodi, alice laloy N’a Gardé qu’uN fraGmeNt : celui de la métamorPhose. À la différeNce Près qu’ici, ce soNt les eNfaNts qui se traNsformeNt eN PaNtiNs… uNe exPérieNce aussi fasciNaNte que siNGulière, acclamée au derNier festival d’aviGNoN.

Pinocchio 8.4 (Extrait de l’exposition) © Alice Laloy

À l’origine du projet, il y a une image. Une photo, commandée par un magazine consacré aux arts de la marionnette pour en faire sa couverture. Nous sommes en 2014, Alice Laloy, issue de l’école du Théâtre National de Strasbourg, grime alors son bambin en pantin grâce à quelques accessoires et astuces de maquillage. Elle ne le sait pas encore, mais elle réalise alors son Pinocchio 0.0., point de départ d’une longue recherche photographique qui la conduira du Québec à la Mongolie, où l’art de la contorsion, patrimoine culturel, est enseigné dès l’enfance. De son périple, elle rapportera des centaines d’images – et l’idée d’une performance consacrée à cet infime espace-temps de la transformation, où l’on ne sait plus si l’on a devant soi des morceaux de bois ou un corps de chair. Ou l’inverse. « Ce Pinocchio, je ne l’ai pas imaginé tout de suite comme un spectacle – plus comme une performance, jouée dans un lieu ouvert, avec un public qui circule, se souvient la metteuse en scène. Quelque chose qui aurait fait concrètement le lien avec le travail photographique sur lequel je travaillais. » PUPPET MASTER

De sa longue réflexion naitra finalement un diptyque : une exposition de 45 photographies de corps-pantins singulièrement mis en scène à travers le monde, et une expérience scénique intitulée Pinocchio (live)#1, créée en 2019 lors de la Biennale internationale des Arts de la Marionnette à Paris. « Cette première version, c’était un prototype, une esquisse, même si le mouvement global, la ligne d’écriture, la trame chorégraphique, la musique étaient déjà là. » Pour le second live, pensé pour le festival d’Avignon, rien n’a donc vraiment été transfiguré… « Pourtant les changements sont partout. Dans l’appréhension de l’espace scénique, dans le rapport avec la lumière, dans le travail avec des contorsionnistes professionnelles, dans des détails de décors, de costumes, d’accessoires. Nous voulions aller encore plus loin dans l’expérience. » L’expérience de Pinocchio (live)#2, justement, c’est de nous inviter à la transformation, pas à pas, d’un enfant-danseur en marionnette à fils, d’un gamin plein de joie à un corps inerte, de la vie à la mort à la vie, peinture, couture, maquillage – mouvements identiques réalisés par des ados-ouvriers inexpressifs, ateliers mouvants, travail à la chaîne, cadence des tâches assénée par les coups de tambour et les battements d’un mégaphone. Au croisement du théâtre et de l’art scénique, de la danse et de la performance artistique, Pinocchio (live)#2 secoue les codes pour trouver son propre langage, poétique, singulier – fort et impressionnant, aussi, forcément, comme une plongée en apnée dans un monde déshumanisé, sans paroles ou presque, sans expressions ou presque. « Ça peut paraître étonnant, mais je suis plus théâtre de texte – la marionnette est arrivée par hasard, au fil de mes études, de spectacle en spectacle. Parce que le pantin, pour moi, c’est un objet aussi puissamment vivant que puissamment mort, un objet de théâtre qui est déjà le théâtre en soi. Et je trouve ça vraiment fascinant. »

Pour incarner ces marionnettes en devenir, Alice Laloy est allée rencontrer de jeunes danseurs du Centre Chorégraphique de Strasbourg. Dix gamins sur pile électrique, neuf-dix ans au compteur. Et une soif de jouer, de danser, de mouvoir leurs corps à l’extrême qui transpire dès leur arrivée sur scène… Avant de s’enfermer dans un mutisme physique, statues sans expressions, sans émotion, aux membres comme désarticulés, démantibulés, à qui l’on peint de grands yeux bleus sur leurs paupières fermées façon Jean Cocteau… De là à y voir une symbolique de notre société actuelle, il n’y a qu’un pas, qu’Alice Laloy laisse le spectateur libre de franchir – ou pas. « Ce n’est pas mon point de départ du tout, c’est même à l’opposé de mon travail. Je ne fais pas du théâtre politique – même si évidemment d’une certaine manière ça finit toujours par le devenir. Mais quoi qu’il en soit, mon point de départ est avant tout poétique. Ce Pinocchio est formé par plein de couches, travaillées par la matière, le plateau, l’écriture des corps, les relations qui se sont révélées sur scène, l’exploration sensible, le mouvement d’ensemble… Toutes ces couches ont fabriqué une écriture qui n’est pas univoque. Je me la formule comme de la poésie, parce que c’est ce dont je me sens le plus proche. » Pas de sens caché – en tout cas pas caché directement par sa créatricemanipulatrice, donc… Mais un instant suspendu de poésie, hors du temps et de l’espace, hors de la légende et de l’Histoire, que chacun reçoit selon sa propre sensibilité façon coup de poing dans le bas ventre, la plupart du temps. « C’est vrai qu’il y a mille lectures possibles de ce projet, et d’ailleurs je suis souvent surprise des retours des spectateurs sur mes spectacles. Et c’est justement ce qui les rend encore plus vivants, je crois. » Attendez-vous à être bousculé. Déstabilisé. À être ému, secoué, fasciné. Et surtout, surtout, oubliez tout ce que vous pensiez savoir sur Pinocchio. Une nouvelle histoire commence aujourd’hui…

— PINOCCHIO(LIVE)#2, une production La Compagnie S’appelle

Reviens, mise en scène Alice Laloy, spectacle les 11 et 12 mars au TJP - CDN

Strasbourg Grand Est, à Strasbourg www.sappellereviens.com www.tjp-strasbourg.com

This article is from: