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Écrire, c’est dessiner
sous leurs Griffes
Par Benjamin Bottemer
la Plus Noble iNveNtioN de l’homo saPieNs PreNd les chemiNs de traverse daNs écrire, c’est dessiNer au ceNtre PomPidou-metz.
Célébrer l’écriture manuscrite au musée semble donner raison à ceux qui prédisent sa disparition prochaine. « Ces dispositions humaines survivent à tout et sauront se réinventer », nous assure le texte de présentation d’Écrire, c’est dessiner, qui fait le parallèle avec la poésie. S’attachant à souligner le dynamisme de l’écriture à travers le lien étroit que celle-ci entretient avec le dessin, la nouvelle exposition du Centre Pompidou-Metz est d’ailleurs née à l’initiative d’une poète et plasticienne : Etel Adnan, qui évoquait le souhait d’une exposition « où l’on regarde les manuscrits comme des tableaux » .Les œuvres, les sensibilités et la parole de l’artiste libanaise jalonnent Écrire, c’est dessiner; ses leporello (ou livres-accordéons) colorés, pouvant se déployer sur plusieurs mètres, nous accueillent à l’entrée de la galerie abritant manuscrits moyenâgeux, parchemins de l’Égypte antique, toiles d’art moderne jusqu’à une œuvre éphémère de street-art.
Rachid Koraïchi et Mahmoud Darwich, Une nation en exil, 1981-1987
AU BAS DE LA PAGE, EN HAUT DU MUR
Ce n’est cependant pas à une histoire de l’écriture que nous invite l’exposition, qui puise notamment dans les collections prestigieuses de la Bibliothèque nationale de France et du Louvre, ainsi que dans les fonds d’institutions régionales. Écrire, c’est dessiner dévoile une diversité de supports, de signes et de combinaisons : autant de rapports à l’écrit, de croisements entre l’écriture et le dessin porteurs de récits multiples. On y observe les symboles les plus ésotériques jusqu’aux lettrages les plus soignés, en passant par d’illustres griffonnages ; comme ce chaotique manuscrit de L’Homme qui rit de Victor Hugo. Au sein de l’exposition, les œuvres contemporaines bénéficient d’un vaste espace à même de mettre en valeur le volume des leporello ou des céramiques de Rachid Koraïchi, et la monumentalité de pièces comme Azur de Nancy Spero, constituée de 39 sérigraphies et lithographies, ou la fresque de Pélagie Gbaguidi. Trois « cabinets d’écriture » plus intimistes sont consacrés aux manuscrits anciens.
Pierre Richard, Album I, vers 1855 SUIVRE à LA LETTRE ?
À travers sa scénographie, Écrire, c’est dessiner semble nous faire voyager du langage académique des copistes et des scribes vers un monde de plus en plus hors cadres : des alphabets inventés d’A.R. Penck ou de Frédéric Bruly Bouabré en passant par des œuvres où lettres et dessins se croisent, se superposent, se mêlent, pour finir sur les pages d’écriture abstraite d’Irma Blank ou de Pierrette Bloch. Comme pour achever la déconstruction de l’écriture en tant que code, donner à voir ses formes les plus primordiales, mieux célébrer les mouvements et les formes. Entre esthétique, mémoire et sens s’invitent le graphisme, la couleur, l’amour du trait, prenant toute leur place. En nous convainquant qu’Écrire, c’est dessiner, l’exposition atteint un objectif à vrai dire secondaire. Son intérêt réside peut-être avant tout dans l’intense émotion que l’on éprouve dans la contemplation de ces marques si diverses et pourtant familières, universelles.
Etel Adnan, Rihla i lâ Jabal Tamalpaïs [Voyage au mont Tamalpaïs], 2008
ENTRE TOUTES LES MAINS
À l’entrée du premier, baptisé « L’écriture et le dessin ne faisant qu’un », l’atmosphère invite à la contemplation d’un papyrus funéraire, d’un manuscrit à peintures du viiie siècle ou d’ouvrages finement ouvragés du xive siècle. Auprès de ces éminences, on découvre aussi les albums mystiques de Pierre Richard, cultivateur interné à l’asile de Gorze au milieu du xixe siècle. Dans « Ce qui parle toujours en silence, c’est le corps », place au geste, parfois bien moins minutieux mais tout aussi habité : carnets de notes, manuscrits, lettres d’Arthur Rimbaud, Vincent Van Gogh ou encore Rainer Maria Rilke sont comme autant de reliques. L’art des calligraphes japonais fait face à celui de Cy Twombly, l’artiste américain symbolisant idéalement cette capacité de la lettre à sortir du champ de l’écriture, à s’éloigner des codes pour rejoindre le trait du peintre. Après un détour par les gravures réalisées par Louise Bourgeois dans une série pensée comme un journal intime se déploient les eaux-fortes de Rachid Koraïchi, réalisées à partir de poèmes de Mahmoud Darwich. Le graveur et sculpteur algérien souhaitait « saisir esthétiquement l’émotion à la source de son poème » en les ouvrageant à la manière des Mou’allaquât de la poésie arabe pré-islamique. À leurs côtés, les « logogrammes » de Christian Dotremont évoquent le même jaillissement du texte et des symboles. — ÉCRIRE, C’EST DESSINER, exposition jusqu’au 21 février au Centre Pompidou-Metz, à Metz centrepompidou-metz.fr