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Daniel Buren 88-89, Se Souvenir du Présent

faire de rieN uN tout

Par Lucie Chevron

au 19, crac de moNtbéliard, matières et alléGories fusioNNeNt Pour édifier de Nouveaux imaGiNaires imPalPables.

Se souvenir du présent, esprits de l’assemblage, est née d’une rencontre. Celle d’Anne GiffonSelle, directrice du 19, Crac de Montbéliard, ayant longuement étudié une frange des assemblagistes californiens des années 1950 et 1960, rattachée à la Beat Generation, avec Arnaud Zohou et ses recherches sur le vodoun du Bénin. De part et d’autre du monde, on pratique l’assemblage. Tantôt spirituelles et/ou populaires, tantôt politiques et/ou sociales, de nouvelles réalités symboliques émanent des compositions faites de rebuts hétéroclites. Installations, sculptures, peintures, collages et textes ne s’inscrivent pas dans l’ensemble de ces imaginaires. Tous cependant se rejoignent dans l’empirisme matérialiste et l’expérience souvent collective du sensible.

Dans la première salle, faisant office d’introduction aux grands axes abordés au cours de la visite, trônent trois pièces emblématiques. En entrant, sur la gauche, de petits objets colorés et scintillants se révèlent. La géométrie des formes et la composition picturale des œuvres de Sarah Pucci évoquent la minutie de la joaillerie, des créations chocolatières, mais surtout du kitsch des objets liturgiques. Chaque année, à l’occasion des fêtes de Noël, l’artiste américaine envoyait à sa fille, Dorothy Iannone, elle-même artiste, ces précieuses réalisations confectionnées par ses soins. Constituées harmonieusement à partir de milliers de perles, sequins et paillettes récupérés, ces sculptures matérialisent son amour maternel et du Christ. Versant spirituo-populaire.

Plus loin, une photographie d’une œuvre de Noah Purifoy, Aurora Borealis. Moins mystique, son utilisation du rebut à des fins d’assemblage se situe au carrefour d’une tradition de la récupération et d’une

Se souvenir du présent, esprits de l’assemblage, Montbéliard, Le 19, Crac de Montbéliard. Crédit photo : A. Pichon

critique des gouvernances américaines. Après les émeutes raciales de 1965, dans le Watts, un « ghetto noir » en périphérie de Los Angeles, il coconçoit l’exposition collective 66 Signs of Neons. Faites à partir des vestiges signataires d’un combat fratricide, récupérés directement dans les ruelles déboulonnées du Watts, les œuvres présentées attestaient déjà de sa vision engagée et thérapeutique de l’assemblage. Plus tard, en 1989, il crée sur ce même modèle, son « Outdoor Museum », une composition à taille

environnementale située au beau milieu du désert de Joshua Tree. Sur la photographie capturée outreAtlantique que nous présente Le 19, les planches de bois, portes et volets, tuyaux, rebuts d’acier et filets de pêche raccordés forment la façade d’une maisonnée délabrée. Elle rappelle à la fois les villes fantômes désertées par les pionniers autant qu’elle figure les disparités économiques américaines dont certaines populations discriminées sont les victimes majoritaires. Versant socio-politique.

Et, telle une passerelle entre ces diverses faces de l’assemblage, une petite statuette de bois emplie de matériaux composites nommée Bociò siège au milieu de ces deux œuvres. Originaire du plateau d’Abomey au Bénin, fabriqué et utilisé au cours du XIXe siècle, cet objet de protection vodoun, aujourd’hui déchargé de son pouvoir, était planté dans la terre afin d’écarter les dangers extérieurs et intérieurs. Partout dans l’exposition, les pièces vodoun, issues de la collection de Gabin Djimassé, sont placées à la charnière, en regard des créations exposées. Symboliquement installée au centre de la seconde salle, une tenue d’adepte Lègba datant du XXe siècle. Originellement, cet habit cérémoniel était porté par un possédé, lors des festivités publiques en l’honneur de la divinité Sakpata. À l’image de son rôle premier de médiateur entre les hommes et les dieux, ce vêtement joue ici un rôle d’intermédiaire entre toutes les idées traversées dans les œuvres. De même, un Ganbada, talisman constitué de crin de cheval, de terre, d’ossements d’animaux, de ficelles et de cadenas, etc., est positionné en regard d’un assemblage de l’artiste franco-haïtienne Gaëlle Choisne. De cette scénographie, est bâti un écho avec le vodou haïtien et l’importance du bricolage dans la culture de ce pays.

Tout au long de la visite, le credo reste inchangé. Spatialités, temporalités et propos sous-jacents se croisent, se juxtaposent, sans hiérarchie. Réunies en ce lieu, elles forment un assemblage, comme une mise en abîme de cette pratique artistique. Une table alchimique élaborée à partir de débris pour personnifier les maux féminins, une monumentale tapisserie de canevas populaires découpés puis cousus d’où se télescope des stéréotypes artistiques et là aussi féminins, des dizaines de leurres de pêche faits de plumes, objets résiduels et bijoux, pour célébrer la nature dans toute sa dangerosité et ses possibilités de dialogue, etc. Des liens formels se tissent, des idées se rencontrent. Il émane de l’espace une énergie sensible. L’esprit authentique de l’assemblage.

— SE SOUVENIR DU PRÉSENT,

ESPRITS DE L’ASSEMBLAGE, exposition jusqu’au 16 janvier au 19,

Crac – Centre régional d’art contemporain, à Montbéliard le19crac.com

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