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Florence Andoka
eT Toi, commenT Te Débrouilles-Tu avec l’ennui ?
C’est la question que finit par directement nous poser Florence Andoka. Et qui ne s’est jamais demandé de quelle manière tuer le temps ? Qui, dans un moment d’égarement, ne s’est jamais retrouvé à errer dans les méandres d’Internet ? Une errance que l’expression surfer sur la toile a transformé en un loisir, une activité ludique et divertissante, au même titre que n’importe quelle autre.
Avec Dans ton tube, un court texte de 80 pages, Florence Andoka nous invite à explorer l’espace infini de la plateforme YouTube et à nous pencher, au-delà de la création de contenu vidéo, sur l’univers du marketing d’influence.
L’ouvrage procède lui-même tantôt de l’errance, tantôt du loisir, à ceci près que la combinaison de plongée est venue remplacer la planche de surf. À l’horizontalité étale qu’une vague parfois venait perturber succède la logique de la verticalité : l’autrice nous immerge par les mots, nous entraîne dans une descente abyssale pour toucher à une réalité enfouie - qui risque à tout moment de nous faire chavirer, enfin, au cœur de l’espace « de partage ».
C’est une fille qui monte une chaîne YouTube. Cela commence toujours de la même manière et l’anaphore, vecteur d’une puissance poétique, est aussi une manifestation de la logique de l’algorithme, des codes qui régissent le lieu. Le poète, le démiurge, celui qui crée est alors remis en question, en même temps que l’espace apparent de liberté. Un piège se referme. Un piège pour qui ? Un piège pour quoi ?
C’est une fille qui monte une chaîne Youtube. Cela se répète donc. La mécanique est lancée, nos envies anticipées. Plus besoin de penser ! L’informatique peut le faire pour nous, nous évitant le surmenage.
C’est une fille qui monte une chaîne YouTube. Des questions sont posées, des idées énoncées et déjà, le contenu change, les visages se métamorphosent. DIY. VLOG. TUTO. HAUL. Le syndrome de la zappette nous atteint. Il n’est plus question de découverte ou de dégustation, mais d’une consommation jusqu’à l’excès, jusqu’à saturation, jusqu’à l’oubli. Seul encore nous attrape le slogan d’une publicité venue interférer avec les images en mouvements, venue nous retenir, venue nous barricader les issues de secours.
C’est une fille qui monte une chaîne YouTube. C’est aussi vous. C’est aussi moi. Ce sont des identités et des altérités qui communiquent et cohabitent. Ce sont toutes ces filles qui s’exposent à notre regard. La bienveillance et la nuisance sont au bout de nos doigts – Robert Mitchum dans La nuit du chasseur –, sur les touches de notre clavier, à portée d’un clic.
C’est une fille qui monte une chaîne YouTube. C’est finalement une fausse répétition. Celle que nous nous faisons d’un métier que nous ne connaissons pas. Nourris de clichés et de préjugés. Et pourtant, une richesse infinie se déploie, à chaque page, dans une langue contrastée dont l’oralité interpelle, frappe le tympan, assourdit parfois jusqu’au déséquilibre. Et même si l’on risque la noyade, il subsiste encore, à la fin, ce plaisir immense de renfiler masque et tuba, de plonger à nouveau.
Toute trouvaille relève autant de la recherche que de la suggestion, et c’est toujours un pied dehors, un pied dedans que s’effectue la balade.
Un pied dehors. Un pied dedans. Deux pieds qui donnent la cadence, le rythme. Celui d’une marche, d’une course. Au-dedans, la plateforme de partage de contenus, ce nouveau métier de marketing d’influence. Au dehors, nous spectateurs, nous lecteurs. Florence Andoka livre une réflexion dense qui attise la curiosité. Une réflexion limpide, fluide qui ne s’interdit pas une incursion en territoire poétique. Le fond et la forme se rejoignent alors, se répondent en un jeu de miroir, de superpositions. Et à nouveau tout est changeant, en mouvement, toujours sur le point de se métamorphoser, se réinventer. Nous lisons un livre, pourtant demeure cette impression d’écouter, d’assister à une représentation, une performance, seul·e·s derrière nos écrans.
C’est une fille qui regarde une chaîne YouTube. Elle découvre autre chose, le temps d’un confinement. Elle découvre le monde du marketing d’influence et, immédiatement, l’effet d’un pharmakôn : à la fois remède et poison. Elle est fascinée, l’envie d’écrire la saisit. L’écriture comme un automatisme en réaction aux images qu’elle visionne, à ce que celles-ci provoquent, font ressentir. Désir ou manque. L’écriture libérée de toutes contraintes formelles qui devient le miroir de son sujet.
C’est une fille qui écrit un livre. Florence Andoka, une autrice talentueuse qui collabore avec des artistes, des revues et des institutions. Une autrice déjà publiée aux éditions Vanloo, Médiapop, Derrière la salle de bain. Une autrice en quête de nouvelles explorations à commettre.
— DANS TON TUBE,
Florence Andoka, Gorge bleue