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D’Autres Formes 78-79 , Fragment
Depuis vingT ans, l’associaTion fragmenT faiT résonner Des sonoriTés avenTureuses eT inviTe l’inaTTenDu parTouT.
musiques façon puzzle
Pas besoin de fouiller dans les archives de Fragment pour mettre en évidence la diversité de sa programmation, il suffit de jeter un œil à l’agenda des trois mois à venir : deux cornemuses face à deux batteries, un duo vielle à roue-saxophone, des lectures de poèmes, la projection d’un documentaire, un solo de violoncelle. Musiques nouvelles, musiques expérimentales, électroacoustiques... difficile de définir précisément la ligne esthétique suivie par l’association messine. Les lignes, elle préfère les croiser, les enchevêtrer, les tisser plutôt que tracer des frontières et coller des étiquettes. « On a certains marqueurs esthétiques, on aime la musique électroacoustique, l’improvisation libre... mais ce sont surtout les notions de liberté et de mélanges qui nous correspondent » tente Fabrice Schmitt, fondateur et programmateur de Fragment, qui a en tout cas une certitude : il y a peu de place sur les scènes pour ce type de propositions. Ce dernier en faisait déjà le constat il y a vingt ans lors de sa rencontre avec Jean-Philippe Gross, cofondateur de Fragment et musicien professionnel, à l’Université de Metz. « Plutôt que de se plaindre de la quasi-invisibilité des musiques que l’on aimait, on a décidé d’agir » résument-ils.
En 2001, le Théâtre du Saulcy, qui ne s’appelait pas encore Espace Bernard-Marie Koltès, fut un point de départ et d’ancrage pour Fragment. On se souvient avec émotion des concerts où, ne sachant jamais vraiment ce qu’on allait entendre, on était toujours assurés de vivre une expérience un peu à part en comparaison de l’offre musicale messine. « Les choses ont peu changé aujourd’hui, il y a des initiatives mais à mon goût ça reste timide » estime Fabrice. Et ce n’est pas faute de tenter de convertir tous azimuts : entité hautement mobile, Fragment s’installe dans les médiathèques, les églises et cathédrales, les bars, les librairies, les musées, sur les places, au Centre Pompidou-Metz et parfois dans des salles comme la BAM et l’Arsenal à Metz ou l’Adagio à Thionville. L’occasion d’attiser la curiosité chez les habitués, aux côtés des fidèles de Fragment. « Jouer dans ces lieux, et notamment dans des espaces de passage, permet de toucher des personnes qui ne seraient pas venues par ellesmêmes, explique le duo. Dès le début, on a eu envie de bouger, d’aller vers les gens. »
Les convaincus ? Une cinquantaine par soirée, au rythme de deux concerts par mois en moyenne. Une fréquentation qui paraît bien modeste, mais l’association a souvent accueilli des pointures débarquant de Londres ou de Paris après avoir joué devant dix personnes. En soignant l’accueil du public et des artistes, Fragment s’est fait une réputation ; tout en menant une quasi-mission de service public pour laisser les sons courir en liberté jusqu’à nos oreilles. « Organiser ces concerts depuis vingt ans en tant que bénévoles pour défendre ces musiques, ça a un côté militant » pointe JeanPhilippe. « On pourrait comme certains organiser des concerts privés, mais ça va à l’encontre de nos principes, ajoute Fabrice. On préfère l’ouverture et l’accessibilité, avec une politique de prix hyper bas, autour de huit euros. » Au-delà de mélanger les publics, les genres et les instruments, Fragment a un autre principe : servir à ses adeptes des mixages homogènes et authentiques, présenter de véritables rencontres artistiques ; la notion d’improvisation étant souvent au cœur des concerts de Fragment. « Quand l’accordéoniste Emilie Skrijelj et le pianiste Loris Binot invitent le percussionniste Lê Quan Ninh, on assiste en direct à la fabrication de leur musique, un moment spontané rendu possible par leur maîtrise et leur travail, exposent les deux amis. C’est ce type de démarche qui nous intéresse avant tout. »
Si les fondateurs de Fragment jugent les salles de concert traditionnelles trop frileuses, ils s’accordent sur l’état d’esprit plus audacieux qui règne dans les festivals. Dans la région, Densités en Meuse, Météo à Mulhouse, Musique Action à Vandoeuvre sont sur la brèche depuis de nombreuses années. « Dans les festivals, il y a plus d’ouvertures, concède Fabrice. On a des échanges avec tous ces acteurs-là, pour faire tourner des artistes et laisser de l’espace à tout le monde. » Si organiser un festival estampillé Fragment a déjà traversé l’esprit des membres de l’association, ces derniers tiennent avant tout à « maintenir le lien » via une sorte de saison nomade, une succession de rendez-vous aux quatre coins de l’agglomération messine et un peu plus loin, avec récemment des concerts du côté de Jarny et de la Maison d’Elsa. « Tant que l’on pensera qu’il y a un intérêt à montrer tel ou tel groupe, on ne perdra pas notre enthousiasme, indique Fabrice. Que ce soit dans l’arrière-boutique d’une librairie, un squat ou au Centre Pompidou, on peut toujours proposer un événement : c’est lié aux musiques que nous défendons, qui bougent en permanence et inventent toujours quelque chose de différent. »
— TRILLES / LIMPE FUCHS, concert le 18 mars à l’Atrium de Woippy — TAÏEB & GESTADLER, lecture-concert le 27 avril à la Librairie
Autour du Monde, à Metz
www.fragmentasso.wordpress.com