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Stéphanie-Lucie Mathern
c’esT parce que c’esT impossible que c’esT inTéressanT
Par Stéphanie-Lucie Mathern ~ Photos : Benoît Linder
Jean maThis
Quand on arrive chez les gens, on se demande toujours ce qu’ils ont changé pour nous, ou pour eux. Simplement pour donner une meilleure image. Car ici, on parlera d’images et du passage du temps. Il est 16h, rue des Sarcelles, et nous sommes chez Jean Mathis.
Au milieu des Germain Roesz, Jean Claus, René Hetzel (une belle sanguine dans les toilettes) et Daniel Depoutot, nous traitons des problèmes de reproduction des peintres et du plaisir des visites d’atelier. Il dit aimer les années 10 en peinture, Klee, Kandinsky et Picabia. Les nymphéas de Monet, aussi.
Nous parlons des incendies et des négatifs qui ont survécu, protégés par le mur.
Dans la bibliothèque, Novövision d’Yves Adrien, Pierre Guyotat, Ezra Pound – qu’il dit commencer. Et Burroughs – son préféré. Il aimerait prendre des photos comme Burroughs écrit ses livres – en cut-up.
Le photographe est-il introverti est une question que Barthes aurait pu poser dans La chambre claire. C’est l’éternel observateur. Celui qui ne sera jamais sur la photo. Le photographe est certainement effrayé par l’enjeu, appuyer sur un bouton. L’appareil n’a pas de retardateur. La responsabilité semble démesurée, l’autoanalyse perpétuelle.
Jean Mathis, après, adolescent, avoir pris des scènes de gens et de genre en photos pour les consigner, a été photographe publicitaire pour Adidas et se souvient encore de la chorégraphie de la feuille qui vole chez l’imprimeur et se pose à plat. Puis il finit comme responsable national des ventes chez Hasselblad et fréquente les plus grands : Sieff, Knapp, Roversi. Lindberg arrive en grosse Mercedes. Avedon venait en concorde à Paris. Le photographe de mode qui n’a pas de frais de matériel important est ridicule, dit-il. Mais ils restent toujours humbles avec un côté maniaque.
Son héros était Gilles Caron, surtout pour ses photos sur la guerre d’Israël avec Depardon, en retrait à l’époque. Ils ont suivi l’armée en anticipant. Son modèle ? Ralph Eugene Meatyard. Son ambition à 20 ans ? Faire un livre photo par an et en vivre. Il s’est testé pendant une année de chômage. Résultat, il ne s’est pas senti à la hauteur.
En 1982-1983, il commence la série Baala, un avant-après, sorte de voyage dans le temps et l’ego, où l’Alsace se mêle à la Thaïlande. J’ai vécu 30 ans avec une Thaïlandaise, dit-il. Il parle d’opéra en images, avec un pas de côté à la Ionesco. « À la fin de la guerre, il développa à Baala la culture de l’asperge... son goût pour les montres de luxe causa sa chute. »
Le livre l’intéresse sous forme de best-of littéraire, on joint le mot à l’image, jusqu’à transcrire la musique. Il y a une image, une narration, et un rapport au vide et au rythme. Il se dit chercheur et veut trouver un lien entre les différents arts. Il tentera même de traduire le Cantique des cantiques en photo-musique en 2006.
Son rêve secret était de devenir compositeur – son petit décoiffé à la Beethoven le prouve. Il aime John Cage et les Lieder de Mahler (surtout le chant de La 4e Symphonie – la lévitation), le début du Rheingold de Wagner où l’on voit des anges et des fées, mais aussi Jimi Hendrix.
Il suit les conseils de Peter Knapp qui lui disait : La plupart des gens sont intelligents, mais ils n’ont pas l’œil. Il faut un texte.
Jean Mathis a encore – dans le grand malentendu général – le fantasme de vouloir être compris, s’adresser à tout le monde, et faire des choses qui n’ont jamais été faites. Il est heureux quand il photographie autant que quand il cuisine (demandez la recette des huîtres chaudes).
Dans sa chambre noire, un joli capharnaüm, une seule photo de lui placardée, un souvenir sentimental, au milieu des cotillons, des Barbies au crâne rasé et des mèches africaines.
