
4 minute read
Marie Ndiaye 50-51, Extradanse
Anna-Marija Adomaityte, Workpiece © Elie Grappe
par Les temps qui Courent
Par Valérie Bisson
aveC DéJà pLus De trente ans D’aCtivité, Le Centre ChoréGraphique pôLe-suD Continue à amener La Danse Contemporaine, urBaine, afriCaine ou JaZZ, au Cœur Du quartier De La meinau et De La Cité.
La scène de danse maintient la diffusion et la création de pièces, de même qu’elle soutient les pratiques amateurs avec ses spectacles, ateliers, résidences et rencontres. Moment phare du printemps, le Festival Extradanse occupe l’espace pendant une quinzaine de jours, du 25 avril au 19 mai, avec le soutien du Point d’Eau, du théâtre de Hautepierre et du 5e Lieu. Envisagé comme un outil d’émancipation, un lieu d’apprentissage et un espace de liberté, le corps se partage dans les représentations et invite acteurs et spectateurs à découvrir chorégraphes et danseurs.
Panorama de la danse contemporaine et instant festif, le festival Extradanse veille également à exprimer la temporalité de la rencontre où les spectacles sont présentés sur deux dates et répondent à un thème commun dans un esprit de cheminement, de voyage à l’intérieur du
sujet choisi. Après deux saisons singulièrement chahutées, l’édition de reprise se veut tout aussi particulière et les multiples facettes qui y brilleront seront l’occasion de découvrir ou de retrouver des artistes issus de pays différents tels que Brésil, Lituanie, France, Portugal, et des spectacles inspirés comme chaque année par l’air du temps mais aussi la joie de renouer avec l’effervescence du collectif et le partage des imaginaires. Par essence, la danse questionne l’intime et le collectif, et l’écriture chorégraphique explore les nouvelles formes d’états du corps et de sa mobilité. Parmi ces catalyseurs d’époque, Lia Rodrigues, dont la compagnie est implantée dans une favela brésilienne, danse Fúria, une pièce colorée, charnelle, dangereuse et solidaire, Volmir Cordeiro dont les 6 danseurs masqués de Trottoir arpentent un corps social tantôt libre tantôt sécuritaire, ou Étienne Rochefort qui crée Bugging à partir de ses « bugs », tics et tocs physiques personnels, reflets croissants d’un monde qui avance vers son délitement.
Ezio Schiavulli, Marco da Silva Ferreira et Jorge Jácome font part de leurs représentations de l’état du monde et exultent leurs soulèvements intimes. Catherine Diverrès avec Écho met à l’épreuve son écriture chorégraphique en tissant, avec des extraits de ses créations antérieures, un voyage dans le temps où mémoire et actualité s’emparent des corps, au fil d’une danse vibratoire et rebelle, infiniment puissante et sensible. Alors que le mouvement du monde frémit aux nouvelles urgences qui le traversent, quelles résonances cette danse peut-elle entretenir avec ce qui fait l’actualité de nos sociétés d’aujourd’hui ? Écho est le défi que s’est donnée la chorégraphe, une poétiquegéométrique ciselée et horizontale qui se confronte à la réalité physique d’un corps qui parle de gravité, de vide et de verticalité.
Avec son premier solo, Either way, Sarah Cerneaux interroge sa mémoire mais aussi son errance et ses transformations. Sa danse composite et fragmentaire explore l’inconnu, le désir de se perdre et de se retrouver. Sans craindre les sorts, elle se retourne sur son parcours et interroge ses origines. Danseuse pour Abou Lagraa, Liz Roche ou Akram Khan, elle choisit d’explorer sa relation à la perte, au désir de s’égarer et aux manières dont on parvient finalement à se retrouver. Traces, rituels, liens enfouis sont autant d’éléments épars qui lui servent de fil d’Ariane et inaugurent sa langue identitaire unique et singulière. Dans workpiece, une pièce poétique et sociologique documentée à partir de son expérience du travail et de témoignages de femmes, Anna-Marija Adomaityte interroge les conditions physiques et sociales de la productivité et ses effets sur les corps, un endroit qui oscille entre aliénation et agir créatif. Elle questionne l’expérience sensible du corps au travail et ses résistances physiques, le langage en faisant partie, face à la violence du profit. Le 13 mai, AnnaMarija Adomaityte et Sarah Cerneaux proposeront de discuter des enjeux autour de leurs pièces respectives, enjeux d’une nouvelle génération de femmes artistes émergentes et de leur position dans le champ chorégraphique.
C’est finalement la danse d’un corps individuel et social malmené qui redit ses combats pour la liberté, qui résiste au conflit initial contenant en germes tous les autres, ceux du pouvoir, de l’argent et du territoire. Alliances et trahisons sont d’abord celles que nous menons avec nous-même lors de la reconquête de notre identité en crise. À un moment stratégique où l’histoire bascule, où les choses redeviennent difficiles, où les forces antagonistes malmènent notre matérialité, il est vital de redire l’utopie du collectif, de refuser les principes de domination, de reprendre la main sur le mouvement. Résistance des corps, postcapitalisme, dissolution de l’attention et reconquête du geste, une programmation qui rassemble quelques-uns des grands enjeux de société qui font l’actualité de ces derniers temps.

Sarah Cerneaux, Either Way © CHA Production
— EXTRADANSE, festival du 25 avril au 19 mai à Pôle-Sud et hors les murs, à Strasbourg www.pole-sud.fr