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Stéphanie-Lucie Mathern

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Disques

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mes parents DesCenDaient Le rhin en kayak

Par Stéphanie-Lucie Mathern ~ Photos : Benoît Linder

franCis meyer

Nous sommes en retard. Francis attend à l’extérieur, total look jean et petites lunettes à la Araki, videur de la rue, cerbère lançant un « Tout arrive ! »

Il le sait, la poésie est un insolent moyen de dire la vérité et de lier les choses. En commençant par les toilettes, je trouve le parfum Memento Mori de Killian, odeurs de café, de rhum et de cyanure.

Tête de mort, qui trouve sa place parmi les autres natures mortes expressionnistes. Francis, facétieux, a mis un moulage de fente à l’intérieur du coffret. Drame de la mère qui met au monde un homme mort, disait Anna de Noailles.

Les crucifix, crânes et statues d’art premier se confrontent aux livres dans un frais carambolage entre le médiéval et le primitif, infernal cabinet de curiosités. Il préfère le mot Wunderkammer, cabinet des merveilles. Le pèlerinage n’a pas de fin et ouvre les portes de la compréhension. L’œuvre est comme nous, toujours à la recherche de ce qu’elle peut devenir.

Francis Meyer est collectionneur, il interviendra sur l’Art africain dans un colloque du 6 au 7 mai, intitulé Idoles d’hier et Images d’aujourd’hui, organisé par l’Université de Strasbourg. Son intervention

Voir, toucher, manipuler, présentera et donnera à voir des statues africaines. Des œuvres nécessaires pour appréhender pleinement notre humanité, la part maudite et essentielle de nous-mêmes.

Chacun de nous porte en lui le fantasme d’une société secrète, des réminiscences de rites initiatiques qui encourageraient à approfondir notre identité, proche du tumulus funéraire. L’art n’est jamais loin de la magie, mouvement créé par la dissymétrie et la frontalité.

Son premier achat était une chauve-souris de Hans Bellmer. Il y a 50 ans, rappelle-t-il. Payé en plusieurs fois avec son salaire de prof de lettres. Il faut autant de talent pour dépenser son argent que pour le gagner.

Il parle de vocation, dit avoir été bon pédagogue, avoir puni rarement. Il est toujours question de transmission chez Francis Meyer.

Tout commence par la mort, la dernière danse pour venir jusqu’aux arts premiers, la genèse. Collectionnés depuis vingt ans. Je veux tout savoir, et l’important c’est d’avoir du nez, rappelle-t-il. Francis prend note de ce qui l’entoure et sait voir au-delà de ses habitudes. Il faut savoir faire résonner les choses ensemble, l’ancien avec le contemporain (Bonnard, Manet, et son cadeau de mariage, une gravure de Gauguin), le votif avec la simple esthétique.

Il encourage la perception sensible avec un regard généreux et vif sur le monde. Il s’approprie pour s’enrichir et entendre des voix d’ailleurs. Celles de peuples sans écriture à la mythologie complexe dans une profusion de bois, matériel simple et brut. Les statues, Christ d’une autre croyance, sont des gardiennes du temple où de nos états d’esprit, pouvant à certains moments rétablir l’envie de cultiver l’altérité. Même si parfois – comme l’homme des cavernes – il faut décider immédiatement si on a affaire à un ami ou un ennemi.

Sur la question de la foi, il se dit agnostique. La résonance s’est faite avec cet univers éloigné de sa culture, mais pas forcément de son vécu.

La base de tout, c’est les livres, lance-t-il. Et je me souviens de certaines plaisanteries sur le suicide, disant que tant qu’il reste des piles de livres, il n’y avait pas lieu d’y penser franchement.

Lévi-Strauss a fait du bien. Malraux a commis une erreur avec l’univers des formes.

Il lit les Cahiers de l’Herne d’Hannah Arendt (elle était quand même très moche, lance-t-il pour réveiller les morts), et finit par la citer, dans le vide de la pensée s’inscrit le mal. Les arts ne font que dialoguer, sa musique c’est plutôt le jazz (Thelonious Monk !) et le classique, des choses qui ne troublent ni la lecture ni l’écriture.

Alsacien – nous blaguons en dialecte (lipf des butterarschel!) en buvant crémant et fleur de bière. Francis est fils unique. Il a grandi à la Montagne Verte, avec un jardin au bord de l’Ill. Son père, Malgré-nous, pilote de char, survivant en Russie, est rentré à pied de la frontière russe.

Francis Meyer lie l’esprit au corps – lever 5 heures, cent pompes. Il a fait de la lutte, de l’haltérophilie et a aussi joué en Nationale 2 de volley.

Il aime les rituels, commence par les premières nouvelles du jour du canal 27, un café noir, et trois tartines de pain complet (2 confitures de fruits rouges et 1 au miel). Toutes les pièces, je les ai en triptyque.

S’ensuit 2 heures de lecture et d’écriture, repas, une marche rapide en ville, promenade des chiens pour finir par dormir à poil et bien. Savoir jongler avec la rationalité et le cri primal.

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