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Maëlle Poésy
Le théâtre au présent
Par Caroline Châtelet ~ Photo : Vincent Arbelet
nouveLLe DireCtriCe Du tDB, La metteuse en sCène, autriCe et ComéDienne maëLLe poésy imaGine un festivaL proGrammatique De son proJet De DireCtion. renContre.
Trente-trois ans. Cela fait plus de trois décennies qu’au printemps Dijon s’anime une poignée de jours et que la ville bruisse de spectacles à l’occasion de Théâtre en mai. Si le festival porté par le Théâtre Dijon Bourgogne a muté au fil des années et des directions successives, si son nom même a parfois changé (Frictions, Le Festival), la manifestation a perduré, opérant un brassage des spectateurs, des artistes et des esthétiques. Ce rendez-vous essentiel dans le paysage culturel dijonnais, Maëlle Poésy le défend pour son édition 2022 comme son « premier acte artistique » à la tête du Centre dramatique national. Arrivée à la direction du TDB en septembre dernier avec à ses côtés l’auteur et dramaturge Kevin Keiss, Maëlle Poésy n’est pas une inconnue du territoire dijonnais : associée au théâtre de 2016 à 2021 avec sa compagnie Crossroad, elle y a présenté nombre de ses spectacles et souvent dans le cadre du festival (citons Funérailles d’hiver d’Hanoch Levin en 2011, Candide d’après Voltaire en 2014, Ceux qui errent ne se trompent pas co-écrit avec Kevin Keiss en 2016, País clandestino co-mis en scène avec Jorge Eiro en 2018, Sous d’autres cieux d’après Virgile et adjoint de textes de Kevin Keiss en 2019).
Outre une création de Poésy – Gloire sur la terre, pièce de l’autrice écossaise contemporaine Linda McLean – le festival réunira une quinzaine de projets : danse (Roshanak Morrowatian, Miet Warlop), marionnette et théâtre d’objets (Yngvild Aspeli), cirque (Baro d’evel), croiseront le théâtre (David Geselson, Tiago Rodrigues, Tamara Al Saadi, etc.) ou des propositions plus inattendues, tel un Bal littéraire. Une édition résolument tournée vers le contemporain qui, en faisant la part belle aux artistes associés au TDB, invite à décentrer le regard et à entendre des récits et des voix encore trop minoritaires sur les plateaux de théâtre. Rencontre avec Maëlle Poésy.
Comment avez-vous souhaité faire évoluer le festival ?
L’idée première est de garder un de ses aspects, celui de l’émergence de jeunes compagnies en l’ouvrant au travail d’équipes internationales comme européennes. Je souhaite aussi transformer les frontières du théâtre sur la ville, en le faisant rayonner à travers des propositions in situ et hors les murs dans Dijon pour permettre des rencontres, des dialogues entre des espaces et des créations artistiques. Et il y a cette notion de mettre en son cœur les écritures contemporaines (très présentes par ailleurs dans mon projet) : je parle ici d’écritures au sens large, qu’elles soient plastique, chorégraphique, textuelle, ces différents langages amenant une richesse particulière pour
appréhender le monde à travers différents points de vue. Il s’agit de programmer des metteurs et metteuses en scène, des auteurs et des autrices vivants qui racontent des histoires du présent. Ces histoires nous aident à traverser l’époque, à la questionner, la comprendre. Je souhaite partager avec le public un théâtre urgent, nécessaire, qui donne de la force dans la pensée que l’on peut construire sur une société – tout en demeurant joyeux dans ce partage.
Concrètement, quels choix cela vous a-t-il amenée à faire en termes de programmation ?
En arrivant à la tête du TDB je voulais assez vite présenter le travail des artistes associés. Ce festival-là est, donc, particulier, puisqu’il leur laisse une grande part de la programmation, afin que ces artistes et le public dijonnais puissent se rencontrer au plus tôt. Ce ne sera pas le cas des futures éditions de Théâtre en mai, et les artistes associés trouveront ensuite leur place dans le reste de la saison. Pour le reste, ça a été des coups de cœur, des rencontres avec des artistes que je suis depuis longtemps. Les propositions hors les murs se sont, elles, inventées plus tard, selon les possibilités et les lieux. Après, il y a une particularité pour les années à venir : les artistes associés seront en résidence pendant un an sur le territoire et proposeront une création – dont la forme sera libre (performance, documentaire, podcast, etc.) – dont le cœur sera le territoire et ses habitants. Ce sera l’occasion pour eux de croiser leur pratique avec d’autres artistes, ce qui est un peu trop rare dans nos métiers. Les créations sont souvent longues et solitaires pour les compagnies. Les Centres dramatiques étant des maisons de création il me semble important d’initier des laboratoires et des collaborations hors des sentiers battus de la production et de la création. « Histoire des lieux, histoire des gens » sera le fil rouge de ce travail qui sera présenté à chaque édition du festival.
Outre le dramaturge et auteur Kevin Keiss associé à votre projet de direction, vous réunissez autour de vous une constellation d’artistes associés : l’auteur, comédien et illustrateur Gustave Akakpo, la metteuse en scène, plasticienne et marionnettiste Yngvild Aspeli, l’autrice, comédienne et metteuse en scène Tamara Al Saadi, la metteuse en scène Julie Bérès, l’auteur, comédien et metteur en scène David Geselson, l’autrice et comédienne Julie Ménard. Qu’est-ce qui relie tous ces artistes ?
Outre que tous partent de l’intime pour parler de la société de façon plus universelle, chacun d’eux porte à sa manière un engagement et un point de vue politique. Tous développent également des écritures et des esthétiques au croisement de plusieurs, qu’il s’agisse des écritures de plateau et littéraire, littéraire et plastique, ou cinématographique et littéraire. Par ailleurs, la présence d’autrices et d’auteurs nous importe à Kevin Keiss et moi-même, nous souhaitons faire du TDB une maison de soutien aux écrivains vivants. Ces derniers ont la plupart du temps du mal à présenter leurs projets, leur travail s’inscrit dans un modèle économique d’autant plus fragile lorsqu’ils ne sont pas metteur en scène. Leur offrir des temps d’écriture, de recherche, leur permettre de travailler dans une forme de tranquillité nous semble essentiel.
De la même manière, y a-t-il des traits saillants qui ressortiraient de toutes les propositions réunies ?
Ce pourrait être la question des récits manquants aujourd’hui. Aller chercher, donner à voir sur les plateaux de théâtre ce qui pourrait s’appeler l’écriture des minorités à travers l’histoire. Cette ouverture sur ces récits qui ouvrent à des points de vue n’étant pas forcément ceux majoritaires jusqu’alors sur les plateaux est très importante. Ce sont des questionnements partagés par les artistes invités au TDB. Avec Kevin Keiss, nous sommes sensibles à cette interrogation : qu’est-ce qu’on souhaite mettre au cœur des plateaux aujourd’hui ?
Comment la préparation du festival a-t-elle nourri votre travail pour imaginer la saison prochaine ?
Tout s’est fait conjointement ! Préparer la saison prochaine s’est inscrit exactement dans le même temps, entre septembre dernier et mars de cette année. Après il y a des axes forts impulsés à l’occasion de Théâtre en mai – l’attention à l’émergence, l’ouverture à l’international, la place aux écritures pluridisciplinaires et plurielles, les propositions in situ – qui vont irriguer l’ensemble, se retrouver au fil de la saison. Ce sera parfois plus diffus, parfois plus concentré, mais le tropisme sera le même. Le festival permet ainsi de donner la tonalité de ce qui sera au cœur du projet du TDB pour les trois prochaines années.
Dans quel état d’esprit êtes-vous arrivée à la tête du TDB – au vu de ce contexte marqué par la pandémie ?
Je pense que la pandémie a finalement accéléré ma décision de postuler. La crise sanitaire a amené une très forte remise en cause du travail artistique – qui doit être, à mon sens, au cœur des sociétés. Ce mouvement a joué sur ma décision de travailler dans ces institutions culturelles, de leur donner toute l’importance qu’elles doivent avoir, de travailler à leur rayonnement, leur ancrage, d’œuvrer à leur dialogue avec la société civile. La précarité est très présente et le théâtre dans cette période post-pandémie doit répondre à des situations plus urgentes qu’avant – que ce soit du côté des équipes artistiques fragilisées économiquement ou du côté des équipes des théâtres qui ont été usées, fatiguées de vivre ces annulations, réouvertures et fermetures continuelles pendant deux ans. Je pense qu’il faut désormais, avec l’équipe et les artistes associés, porter l’énergie d’un nouveau souffle à partager avec le public.
— THÉÂTRE EN MAI,
festival du 19 au 29 mai à Dijon www.tdb-cdn.com