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SMITH 74-75, Françoise Saur

françoise saur mémoire vive

Par Mylène Mistre-Schaal

personneLLes et universeLLes, Les photoGraphies De françoise saur suBLiment La vie et ses reLiefs.

Les nacres © Françoise Saur

Nous avons rencontré la photographe Françoise Saur à l’occasion de sa dernière exposition monographique au Musée des Beaux-arts de Mulhouse. Une enfance débutée en Algérie, une famille alsacienne et savoyarde, des guerres, des exils et beaucoup, beaucoup de malles, l’exposition. Ce qu’il en reste retrace les trajectoires empruntées par les ancêtres de l’artiste au travers des objets qu’ils ont laissés.

Malles anciennes débordantes de chapeaux et de petits soldats de papier, argenterie décatie, myriades de boutons nacrés, médailles et correspondances d’un autre temps, voici les menus trésors que Françoise Saur a trouvés dans la maison de ses parents. Un héritage matériel sur plusieurs générations, fait de bribes de vies, de fonds de tiroirs, d’un peu de poussière et de beaucoup d’anecdotes qu’elle a photographié du bout des yeux, avec pudeur. « Ce projet découle d’un long processus, qui a débuté avec la maladie de ma mère puis son décès. Découvrir sa maison pleine de documents en tous genres, et, peut-être, de trésors, qui allaient être dispersés, m’a poussée à les prendre en photo. J’avais besoin de faire quelque chose de cette masse de sujets-objets » précise l’artiste.

Pourtant, Ce qu’il en reste n’est pas une autobiographie, bien au contraire. « La photographie qu’elle soit plasticienne ou documentaire renvoie toujours à la mémoire, mais l’objectif n’était pas du tout de rendre hommage à ma famille, ou à certaines histoires personnelles. J’avais envie de proposer un témoignage plus large. » Et c’est vrai que ces reliques ont quelque chose d’universel : qui ne s’est jamais ému devant la boite à boutons retrouvée de sa grand-mère ou à la lecture d’une vieille lettre dont l’identité de l’expéditeur a été engloutie dans les méandres du passé ?

Tirages intimes et grands formats mettent en scène les découvertes de la photographe avec un sens de la composition, des matières et des textures qui évoquent les tableaux des grands maîtres du 17e siècle. Des natures mortes ? « Je préfère l’expression en allemand ! Still Leben, c’est quand même mieux, on reste du côté de la vie », rectifie la photographe, en bonne germanophile. Quand on l’interroge sur l’oscillation, entre le portrait et l’objet dans son œuvre, entre le vivant et l’inanimé elle précise : « Avec le développement des réseaux sociaux et la diffusion rapide des images, les mésusages sont très courants. C’est devenu compliqué de photographier les gens. Il faut des autorisations et je le comprends. Mais si l’on vient chez quelqu’un en lui disant “Vous me signez ce papier et après je fais des photos”, c’est foutu ! Tout ce que j’ai bâti dans ma vie, tous ces gens que j’ai photographiés, c’est une relation de confiance qui s’est établie. En fait, j’adore la rencontre et entendre des histoires de vie. »

Corps des pompiers de la SACM à Mulhouse © Françoise Saur

Dans Ce qu’il en reste, ce sont les objets qui disent les vies passées. Qui racontent les itinéraires empruntés et qui activent la mémoire des disparus. En parcourant les cinq salles du musée, les anecdotes fusent. Un col amidonné retrouvé et Françoise Saur revoit sa grand-mère. « Elle passait une partie de ses journées à repasser l’uniforme de mon grandpère, concierge dans un grand établissement d’Alger, pour qu’il soit le plus élégant. » Une liasse de lettres calligraphiées et c’est l’histoire d’amour entre ses parents qui s’écrit. « Et ce broc doré à l’or fin. Il a été offert à mes tantes savoyardes par de riches Anglais de la cour venus passer quelques jours à Aix-les-Bains, en échange d’un service rendu. »

D’une archive à l’autre, la dernière salle du parcours apporte un contrepoint contemporain au projet. L’artiste mulhousienne y propose une vidéo d’une vingtaine de minutes composée d’extraits de son journal photographique commencé dans les années 70. « Quand j’ai conçu cette expo et que j’ai choisi le titre Ce qu’il en reste, je voulais absolument sortir les photos mortuaires de mes proches que l’on voit dans la salle, un peu par provocation ! En même temps m’est venue l’envie de faire une vidéo composée de photos portant l’énergie de la vie. » Intitulée Prises de vie, on y voit des enfants qui courent après des cerfs-volants, des verres levés, des étreintes festives, et des éclats de rire. Habilement mises en mouvement, ces instantanés ont la saveur d’une journée d’été sans fin, d’un repas de famille dans le jardin. Et soudain, Ce qu’il en reste, ces moments partagés, résonnent avec tout ce qu’il nous reste à vivre au présent…

— FRANÇOISE SAUR, CE QU’IL EN RESTE, exposition jusqu’au 15 mai au Musée des Beaux-Arts de Mulhouse beaux-arts.musees-mulhouse.fr — PRISES DE VIE, photographies de Françoise Saur suivies d’une nouvelle de Nicolas Bézard, Médiapop (Mulhouse). www.mediapop-editions.fr

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