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Tursic & Mille 78-79, Posada
feuiLLes De Choix
Par Benjamin Bottemer
La rétrospeCtive inéDite ConsaCrée au Graveur mexiCain posaDa par Le musée De L’imaGe à épinaL Lève Le voiLe sur un GranD artiste De L’imaGerie popuLaire.
Calavera de los patinadores (Calavera des balayeurs), années 1890 gravure au burin sur plomb, coloriée au pochoir en bleu et jaune éd. Vanegas Arroyo, coll. Mercurio López Casillas, Mexico
[Calavera de Don Quichotte] Esta es de Don Quijote la primera, la sin par, la gigante calavera (Et voici l’immense, la première, l’incomparable calavera, celle de Don Quichotte) gravure au burin sur plomb, éd. Vanegas Arroyo, coll. Mercurio López Casillas, Mexico
José Guadalupe Posada (1852-1913) fait partie d’un panthéon immense et invisible : celui des artistes dont les images se sont inscrites dans l’inconscient collectif et ont imprégné durablement la culture populaire. Ses calaveras seront reconnues aussi bien par le passionné de peintures muralistes mexicaines que par le fan de dessins animés Disney, l’amateur de bandes dessinées, de tatouages ou de cinéma de genre. Mais l’œuvre du graveur, brièvement redécouvert en France par les surréalistes dans les années 30, est d’une richesse et d’une diversité étonnantes, bien au-delà de ces fameuses figures squelettiques qu’il a contribué à populariser et qui constituent le pan le plus connu de son travail. Le Musée de l’Image en témoigne en proposant, pour la première fois en France, une rétrospective rassemblant 170 originaux de Posada, principalement issus d’une collection privée. Dans un état de conservation remarquable, ces estampes permettent aussi de constater la grande maîtrise technique dont a fait preuve celui qui a œuvré toute sa vie dans le champ d’une littérature destinée aux milieux populaires dont il était lui-même issu.
Naviguant de la satire au drame, les gravures de Posada ont été en grande partie publiées par Antonio Vanegas Arroyo, qui a édité des centaines de petits ouvrages imprimés sur du papier de mauvaise qualité. Seules deux gravures réalisées pour un recueil d’éphémérides et un autre de poésie apparaissent dans l’exposition. Toutes les autres se déclinent en livrets (ou cuadernillos), feuillets (les hojas sueltas), affiches, cartes, plateaux de jeux... la presse satirique en plein essor entre la fin des années 1880 et le début des années 1910 constitue un support privilégié pour le graveur, qui y fait ses débuts, illustrant événements d’actualité et faits divers. Littérature jeunesse, livres de cuisine, images religieuses, chansons... Posada fait feu de tout bois, déclinant une imagerie foisonnante et iconoclaste dans laquelle le Musée de l’Image a reconnu une tradition voisine de celle des images d’Épinal ; une petite partie de l’exposition est d’ailleurs issue de ses collections. Au fil des œuvres sélectionnées ici (on estime que Posada est l’auteur de plus de dix mille estampes), on observe le même soin, la même méticulosité. Habitué aux travaux de commande et aux publications à deux sous, Posada apparaît comme un artisan de l’image au sens le plus noble du terme, accordant une grande valeur à un art aussi dénigré par la haute société de l’époque qu’il est précieux pour les plus modestes.
Sur les deux niveaux consacrés à l’exposition, on peut constater à chaque instant le soin apporté au détail, la précision des imprimés à la main,
Nuestra Señora de Zapopán (Notre-Dame de Zapopán) gravure au burin sur plomb, éd. Vanegas Arroyo, coll. Mercurio López Casillas, Mexico
monochromes puis en deux ou trois couleurs, d’abord par le procédé de la gravure sur plomb avant que Posada n’adopte la zincographie. Paysans, soldats, révolutionnaires, saints et démons, femmes au foyer ou enfants, souvent très expressifs, apparaissent dans des postures et situations variées, sublimés par l’utilisation de teintes d’une finesse étonnante, tout comme le travail de colorisation, alors que Posada ne disposait pas de l’impression mécanisée. On tente, face à certaines de ses œuvres, de faire le portrait politique de cet artiste considéré comme un révolutionnaire par les intellectuels de l’entredeux-guerres. Cependant, ses illustrations à charge aussi bien contre « les bandits zapatistes » que contre le pouvoir en place, ses gravures dévotes côtoyant des cavaleras en pleine bamboche ne semblent pas vraiment confirmer cette assertion. Reste le plaisir des yeux, en plus de redécouvrir plusieurs pans de l’histoire et de la société mexicaine de cette période, dont Posada s’est fait le chroniqueur et le passeur. Son œuvre, intemporelle, réjouissante et fascinante, est présentée ici au sein d’une scénographie tout en sobriété, qui laisse entièrement la place au talent d’un maître méconnu.
— POSADA, GÉNIE DE LA GRAVURE, exposition jusqu’au 18 septembre au Musée de l’Image, à Épinal museedelimage.fr