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LA MUSIQUE DU HASARD

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ÉPILOGUE

ÉPILOGUE

Stephan Crasneanscki, l’âme du Soundwalk Collective, parcourt le monde pour y questionner la mémoire des lieux, y prélève les sons comme il en prendrait le pouls. Aux matières puisées se mêlent les voix ou les notes d’artistes associés. Les amples pièces sonores qui naissent de sa quête offrent une vision inédite, un sens inouï au cours chaotique de nos vies.

Du 20 octobre au 6 mars s’est tenue au Centre Pompidou l’exposition « Evidence » que tu cosignes avec Patti Smith. Peux-tu revenir sur votre rencontre, il y a dix ans, en 2013 ?

À l’époque, je venais de traverser l’Ukraine, la Moldavie, la Roumanie, étais remonté dans les Balkans et en Bulgarie pour enregistrer de la musique tsigane. C’est en Macédoine que j’ai terminé mes enregistrements, tous réalisés dans les ghettos tsiganes. Je devais retourner à New York pour monter toutes ces bandes en vue de la réalisation d’un album qui serait Sons of the Wind. C’est à Paris, où je prenais ma correspondance pour les États-Unis, que je l’ai rencontrée. Patti rentrait de Tanger. Elle avait apporté sur la tombe de Jean Genet de la terre qu’elle avait collectée en Guyane quinze ans auparavant. Nous revenions tous deux de voyages intenses. Nous nous sommes retrouvés assis l’un à côté de l’autre dans l’avion – un pur hasard. Nous nous sommes salués poliment. C’est au moment où j’ai sorti de mon sac un livre de poèmes de Nico que Patti m’a parlé. Elle avait été proche de Nico dans les années 1970, jusqu’à lui racheter un harmonium quand on le lui avait volé. Je lui ai raconté que j’avais été en juillet, le mois de sa mort, à Ibiza sur les lieux de son accident de vélo et y avais enregistré le son des grillons. Ceux-ci sortent de terre, montent dans les arbres et stridulent tout l’été. Ils sont à ce point dévolus à leur appel à l’amour qu’ils en oublient de se nourrir. Et de leurs corps vides monte en puissance leur chant. Jusqu’à en mourir d’épuisement, brûlés le temps d’un été, intoxiqués par l’amour. Je trouvais que c’était une belle métaphore pour Nico. Les chants des grillons sont les derniers sons qu’elle a entendus avant de glisser dans la mort. Cette histoire a touché Patti, nous avons parlé tout le long du vol et, quand l’avion a atterri à New York, nous n’avions pas terminé notre conversation. Le lendemain, nous nous retrouvions et nous attelions à la réalisation de « Killer Road », notre hommage à Nico. Cette conversation, nous la poursuivons encore aujourd’hui, dix ans après.

Votre rencontre est marquée par le mouvement et le voyage, qui caractérisent ton collectif, le Soundwalk. Peux-tu revenir sur son point de départ ?

Tout a commencé à New York. Je faisais des études d’art, j’étais féru de vidéo et d’installations, mais je ne savais pas définir où je désirais aller. Je l’ai su le jour où le son m’a pris par surprise. Il m’est apparu que le son, seul, m’offrait la possibilité de raconter une histoire avec beaucoup plus de liberté et d’espace que l’image filmée. J’ai délaissé les images et me suis mis à créer des installations autour des sons de New York. Ma première pièce, « Kill the Ego », est un collage de sons que j’ai captés tandis que je marchais. Ainsi est né le nom Soundwalk. Mes micros étaient invisibles, je les customisais moi-même et ils enregistraient à 360 degrés. J’ai ainsi enregistré un peu partout, de jour comme de nuit, avec en tête cette réflexion de John Cage, selon laquelle l’accumulation de sons à New York fait qu’ils s’annulent et deviennent une sorte de silence. J’ai longtemps enregistré sans but précis –des clubs SM du fin fond de Meatpacking à du rap dans le Bronx, des block parties d’Afrika Bambaataa au quartier ukrainien de Little Odessa. J’ai laissé, des années durant, le son dicter l’histoire qui devait se raconter. J’étais, quant à moi, un flâneur. Je me laissais porter, sans volonté, sans ego, par la couleur des sons, acceptant qu’ils m’emmènent dans un bâtiment, une rue, un quartier.

Quel est ce jour où le son t’a pris par surprise et a enclenché ce mouvement de la marche et de la quête sonore ?

Le 11 septembre 2001. Quand la première tour s’est effondrée, je me suis aussitôt rendu sur les lieux de ce que l’on croyait encore être un accident. Quand la deuxième tour est tombée, tout le monde autour de moi filmait. Moi, j’ai enregistré et n’ai cessé de le faire toute la journée. L’effondrement de la tour, les sirènes, les hurlements, les corps qui chutaient de centaines d’étages, la torpeur : j’ai capté ces sons, comme étouffés par l’immense nuage de cendres. J’en étais totalement recouvert. 9/11 a opéré un double déclic : j’ai arrêté mes études d’art et j’ai compris qu’il y avait dans le son un chemin à suivre.

Ce point de bascule mondial a opéré chez toi un bouleversement plus intime, a scellé ton destin ? Oui, et comme le destin est souvent fait de loops, un an plus tard, j’ai été approché par la radio NPR. Elle avait collecté les messages laissés sur les répondeurs de leurs bien-aimé(e)s ou ami(e)s par les personnes qui étaient dans les tours ou les avions. NPR avait eu connaissance de la pièce sonore que j’avais réalisée sur la naissance du hip-hop et c’est ainsi qu’ils m’ont demandé de réaliser un montage sonore avec ces messages, en collaboration avec l’écrivain Paul Auster. Ce montage m’a pris des mois, des nuits peuplées d’insomnies et de cauchemars. Des mois passés en compagnie de ces centaines de voix, souvent très calmes, qui disaient au revoir. Je repensais à cette légende indienne selon laquelle les âmes des morts disparus brutalement traînent un temps avant de s’incorporer à nouveau. Elles tournoient, errent sur les « lieux du crime ». Cela me troublait d’autant plus que les buildings ont été en grande partie construits par les Indiens eux-mêmes, car ils ne connaissent pas le vertige. La pièce sonore que j’ai créée, intitulée « 9/11 », mêle mes enregistrements de l’effondrement des tours, les messages des disparus et la voix de Paul. J’enregistrais déjà beaucoup avant cela, mais le 11 septembre, j’ai compris que dans l’espace du son, il y avait une vie possible pour moi. Une vie non entravée ou formatée par le circuit des galeries d’art, une vie libre où il me serait possible de voyager, de flâner. Cela coïncidait aussi avec une certaine philosophie de vie : ne pas forcer, être dans une situation de présence sans objectif précis, être disponible, accueillir ce qui se présente.

Quels souvenirs gardes-tu de cette collaboration avec Paul Auster ?

Son obsession du mot juste. Sa volonté d’arriver à l’essentiel en coupant au maximum. De créer une ponctuation, un rythme et des espaces qui permettent au lecteur, et à l’auditeur en l’occurrence, de trouver sa place, de dialoguer avec les mots que l’on livre. Nous avons passé beaucoup de temps ensemble à écouter mes bandes et les messages des disparus. C’était une expérience intense ; nous vivions dans une période également intense, post-traumatique. Dans ce monde qui avait changé pour toujours, la présence de Paul à mes côtés a beaucoup compté.

Tu accueilles les sons comme tu accueilles les rencontres ?

Je ne me l’explique pas, mais ma vie est tissée de rencontres déterminantes. J’ai pu vivre, à travers ces personnes rencontrées, de multiples vies. J’ai passé des mois dans le Bronx avec Afrika Bambaataa à travailler sur la naissance du hip-hop et à rencontrer en profondeur cet univers musical. J’ai vécu dans la ville sainte de Varanasi en Inde avec Robert Svoboda à parcourir différents lieux liés au mysticisme hindouiste. J’ai passé deux années happé par l’exploration des archives sonores que m’a confiées Jean-Luc Godard. Tous trois m’ont ouvert la porte de leur univers et j’y ai vécu en témoin silencieux. Tous ces gens – Philip Glass, Jean-Luc Godard, Charlotte Gainsbourg ou Nan Goldin, je les rencontre et les côtoie en nomade. Je vis un temps auprès d’eux, puis je pars vers d’autres rencontres, quitte à les retrouver plus tard. Et c’est le son qui m’ouvre à ces rendez-vous, ce sont mes projets sonores qui donnent ses directions à ma vie – pour ma part, je n’ai pas d’intention particulière.

La rencontre avec Patti Smith s’inscrit dans cette logique ?

Oui. Patti Smith a offert à mon travail une dimension inédite : une dimension vocale. Avant elle, la voix ne figurait dans mes pièces sonores que de façon fragmentée. Patti, en y délivrant ses mots, a agi en chamane. Nous nous comprenons profondément. Elle observe une grande discipline de travail ; elle parle souvent de ses « fellow workers », ses collègues de travail. J’ai le même rapport au travail – utilisons ce mot à défaut d’un autre. Ma vie est exclusivement liée à ma pratique et je ne connais aucune autre activité qui m’intéresse. Je n’ai ni week-ends ni vacances ; je demeure constamment dans la pratique de l’écoute. Ma relation avec Patti s’est installée dans le temps et chacun de nos projets nourrit le suivant ; plus nous avançons sur notre chemin, plus nous gagnons en précision, touchons au but de notre collaboration.

« Evidence », l’installation visuelle et sonore de Beaubourg, fait écho à la trilogie The Perfect Vision qui recueille trois albums célébrant les quêtes des poètes Rimbaud, Artaud et Daumal. Comment est née Perfect Vision ?

Après que Patti et moi avons réalisé Killer Road , je suis parti en Éthiopie. J’étais passionné par le soufisme et ai découvert que le lieu saint du soufisme en Afrique est Harar, la ville où vécut Arthur Rimbaud plus d’une décennie. Je m’y suis donc rendu – là encore sans idée préconçue, juste attiré par le tropisme du soufisme. Il a migré du Moyen-Orient au Yémen, a traversé la mer Rouge pour arriver en Somalie puis à Harar dans ce qui s’appelait alors l’Abyssinie. Sa pratique y a été très peu persécutée et est restée très fidèle à ses origines. À Harar, j’ai découvert que les maîtres soufis plantaient dans leur estomac des graines de banians, ces immenses arbres africains qui, après des centaines d’années, croissent et recouvrent leurs tombeaux. Des milliers d’oiseaux s’y posent pour chanter. C’est un chant métaphorique : ils chantent pour l’éternité. Ces chants sont les premiers enregistrements que j’ai réalisés à Harar et c’est d’ailleurs le premier son que l’on entend quand on pénètre dans l’exposition « Evidence » Puis m’est apparu le lien qu’entretient la transe soufie à la transe poétique de Rimbaud – il y est question de transcendance, d’illumination. Quand je suis rentré à New York, j’ai parlé à Patti de ce pont entre Rimbaud et les soufis. Elle a adoré l’idée ! J’ai fait d’autres voyages à Harar, ai continué d’enregistrer des sons, dont les chants soufis. Ceuxci fonctionnent comme le blues, sur un système de call and response. J’ai enregistré les appels, sachant que ce serait Patti qui chanterait, a posteriori et à distance, les réponses avec les mots poétiques de Rimbaud. Dès les premiers essais dans un studio à New York, j’ai compris qu’une alchimie s’était mise en place. C’est ensuite que j’ai pensé à associer Philip Glass, dont le fils est converti au soufisme et dont je savais qu’il aimerait le projet. Le percussionniste éthiopien Mulatu Astatke s’est imposé lui aussi. Le premier album, Mummer Love, mêlant l’univers sonore de Harar, les chants soufis, Patti, Philip et Mulatu, est né comme ça. Je le dois aux oiseaux de Harar : j’ai suivi leur piste et ils m’ont mené jusque-là.

C’est de cet album sur Rimbaud que naît le second, The Peyote Dance, sur Antonin Artaud ? Absolument. Cinquante ans plus tard, Artaud a lui aussi, au Mexique, fait un voyage non élucidé. Il était au départ invité par le consulat de France pour des lectures du Théâtre et son double à Mexico. Mais sans prévenir, Artaud disparaît. Il monte à Chihuahua puis, à dos de cheval, descend dans les canyons ou vivent les Tarahumaras. Il y a participé à des cérémonies de peyotl pour se désintoxiquer de l’héroïne qui le ravageait. À l’instar des lettres de Rimbaud postées de Harar, les écrits d’Artaud sont les seuls indices que l’on ait de ce voyage. Ce qui prévaut, c’est le mystère, une absence. Je me suis rendu dans le village de Norogachi où il avait séjourné et j’ai eu la chance de rencontrer le petit-fils du chaman avec qui il avait pratiqué le peyotl. J’ai pu visiter la cave où il dormait. J’ai enregistré les Tarahumaras qui avaient en mémoire la présence d’Artaud grâce à des chansons qui s’étaient transmises de génération en génération. Ils s’étaient sentis compris par le poète et avaient compris qu’il n’était pas fou. J’ai aussi enregistré les cailloux, le bois, le vent dans les canyons, les chants et instruments des Indiens. Puis j’ai recherché des fragments dans les lettres et textes d’Artaud, jusqu’aux périodes d’Ivry et Rodez, car il n’a cessé de conter cette expérience mexicaine, la considérant comme le dernier moment heureux de sa vie. Patti s’est plongée dans les pièces sonores que j’avais créées et a lu les fragments qui l’inspiraient, créant un dialogue avec les paroles de transe des Tarahumaras. Et elle a créé « Ivry », sa chanson hommage à la dernière nuit d’Artaud, avant qu’il ne soit retrouvé mort au petit matin avec une cigarette encore coincée entre les doigts, à la fenêtre de sa chambre.

Cette trilogie Perfect Vision n’était pas prévue ; c’est le son qui dicte le chemin ?

L’empreinte sonore de la pierre, dans laquelle le vent s’est engouffré durant des millénaires, porte une histoire ; un caillou est le témoin silencieux du passage d’une personne il y a des centaines d’années. Le chant des oiseaux que j’ai entendu à Harar est le même que celui qu’entendait Rimbaud ; la pluie diluvienne qui s’est abattue sur le banian géant, Arthur l’a entendue à l’identique. Nous avons éprouvé la même expérience sonore. Le son est ce pont qui permet de joindre deux époques, il annule le temps, il permet la communion, le partage avec les disparus. Si les âmes continuent d’habiter les lieux, alors le médium le plus sensible pour entrer en contact avec elles, c’est le son. Il possède, comme les odeurs, une dimension proustienne : il ramène à des mémoires enfouies, permet leur réveil.

Le troisième album, Peradam, est consacré à René Daumal, avec Charlotte Gainsbourg. Sa voix ne sonne jamais aussi intensément que lorsque tu la captes. Quel lien entretiens-tu avec elle ?

J’ai rencontré Charlotte à New York où elle s’était installée. Sa voix se situe au-delà du talent ; elle évolue dans les parages de la grâce. Elle raconte la fragilité, l’intimité ; à la frontière du visible et de l’invisible. C’est sa voix qui m’a inspiré pour la pièce sonore « The Time of the Night », que j’ai créée pour la Fondation Carmignac et qui signe notre première collaboration. Elle évoque la nuit, le rêve et la frontière ténue entre le réel et l’irréel. Avec la voix de Charlotte, tout peut basculer d’un univers à l’autre. Entre ses mots surgit la magie, entre ses respirations s’invite la pure lumière, la brillance d’un diamant. Dans cette pièce, je lui fais rencontrer la voix plus physique de Patti. Celle-ci est l’âme de la nuit, le rêve ; Charlotte est la marcheuse perdue dans les bois, sur la ligne de crête du rêve, aux limites de l’aube. Ces deux voix m’inspirent beaucoup : je recherche leur compagnie, car elles provoquent l’inspiration et, ensuite, le plaisir de travailler, de chercher ensemble. Dans la foulée de « The Time of the Night », j’ai emmené Charlotte dans le troisième voyage de la trilogie, celui de Daumal. Cet album part de l’amour que Patti nourrit pour Le Mont Analogue, son livre inachevé. Comme avec Rimbaud et Artaud, il est question de voyage non élucidé, d’absence et de mystère. Tout part d’une conversation avec Patti à l’issue du mixage de The Peyote Dance . Nous parlons du voyage de Daumal dans les Alpes à la recherche de l’invisible, mais aussi du voyage qu’il n’a jamais pu faire en Himalaya. Fasciné par le sanskrit, passionné de mysticisme indien, il rêvait d’y aller. J’ai donc enregistré des sons dans les Alpes, là où il avait grimpé, puis me suis rendu en Inde, à la source himalayenne du Gange, rivière sacrée de l’hindouisme. J’ai descendu le Gange jusqu’aux villes saintes de Rishikesh et Varanasi, où les corps brûlent sur les rives du fleuve. Nous avons convié Anoushka Shankar, fille du musicien Ravi Shankar et nièce du danseur Uday Shankar, un ami et collaborateur très proche de Daumal. Anoushka interprète une très belle pièce au sitar, Vera, et Patti y récite un poème que Daumal avait écrit pour sa femme Véra. Sur « The Four Cardinal Times », je mêle les voix de Patti et Charlotte, pour la deuxième fois après « The Time of the Night »

Avec Charlotte, vous avez créé une pièce sonore pour la Maison Gainsbourg, ce musée sis dans l’hôtel particulier de Serge Gainsbourg, rue de Verneuil, à Paris. Charlotte se demandait comment raconter cette maison, dormante durant trente ans, où elle n’avait rien bougé. Nous y avons passé des jours et des nuits. Charlotte me faisait visiter, me confiait ses fragments de mémoire que faisaient ressurgir les lieux. Ainsi est née l’idée de la pièce sonore « Maison Gainsbourg » : on suit Charlotte dans la maison, on écoute ses souvenirs. Ce n’est pas une histoire qui est contée, juste des moments d’enfance, d’adolescence, d’un rapport entre un père et sa fille. J’ai souhaité être fidèle au silence des lieux – les volets et fenêtres sont fermés, les tissus qui recouvrent les murs étouffent le son. Aux sons de la maison se mêle le piano dont joue Charlotte. Elle interprète des morceaux que jouait son père et qui ont habité son enfance – Ravel, Chopin, Satie. J’ai aussi incorporé des extraits des petites cassettes sténo sur lesquelles Gainsbourg enregistrait les mélodies qui lui passaient par la tête. Cette pièce sera en écoute au casque lors des visites de la Maison Gainsbourg. J’ai repris l’idée qui m’a guidé pour l’exposition « Evidence » : le visiteur fait surgir différents sons au gré de ses déplacements. Ces sons peuvent se superposer les uns aux autres, créant ainsi d’infinies possibilités. Tous ces fragments collectés pour la pièce sonore sont « stockés » dans la Maison et peuvent être, à tout moment, convoqués par le visiteur. C’est la marche, encore et toujours, qui déclenche les pistes sonores.

Maison Gainsbourg sera publiée en disque vinyle cette année. Tout comme Correspondances , ta dernière collaboration en date avec Patti Smith. En quoi consiste-t-elle ?

Patti y interprète ses propres textes. Nous avons passé cinq ans à travailler sur Correspondances et je pense que Patti y livre ses plus beaux textes – des textes majeurs, proses, poèmes et chansons. Je pense aux derniers Rembrandt, quand il peignait des noirs d’une profondeur incroyable. Nous n’explorons plus le format chanson comme sur la trilogie ; ce sont des travellings sonores qui excèdent 15 minutes. Je suis revenu pour Correspondances à l’origine du Soundwalk Collective : on marche dans un film sonore et Patti y évolue comme une « voice over » cinématographique – une voix qui passe du chant au cri au chuchotement. La matière de ces pièces est puisée dans mes voyages. Je suis parti sur les traces d’Andreï Roublev et de son monastère près de Moscou, de Pasolini et des lieux où il mourut, de Médée en Géorgie et autour de la Mer Noire. Je suis allé à Tchernobyl et y ai enregistré le son déglingué des pianos abandonnés – il y avait dans cette ville opulente la meilleure école de musique du pays. J’ai saisi le craquement des lacs gelés de Sibérie et des feuilles des chemins de la Forêt-Noire où marchèrent Martin Heidegger et Paul Celan. Ce sont sur les pièces que j’ai composées à partir des traces sonores collectées lors de ces voyages, dont certains ont été accomplis avant notre rencontre, que Patti a posé ses textes. Je les considère comme l’aboutissement de toutes ses années de travail avec les mots et de son compagnonnage avec les morts.

— EVIDENCE, exposition jusqu’au 6 mars au Centre Pompidou, à Paris www.centrepompidou.fr soundwalkcollective.com

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