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POUR LA COULEUR DES CHOSES, RÉCOMPENSÉE PAR LE PRIX DU MEILLEUR ALBUM À ANGOULÊME, MARTIN PANCHAUD A INVENTÉ SON PROPRE LANGAGE.

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ÉPILOGUE

ÉPILOGUE

L’attribution du Fauve d’or à La couleur des choses consacre cette bande dessinée tournée vers des formes nouvelles, inventives et surprenantes, combinant une audace graphique au talent de conteur de son auteur, le Genevois Martin Panchaud. Ce premier album conte les péripéties de Simon, un gamin anglais qui remporte des millions aux courses ; c’est alors que sa mère se fait agresser et tombe dans le coma tandis que son père disparaît. Simon se lance à sa recherche à travers le pays, croise une voyante, des brutes en tous genres, deux flics peu amènes et un aimable aventurier : un scénario entre récit initiatique et comédie noire loufoque rappelant certains films des frères Coen ou de Guy Ritchie. Mais la patte de l’auteur vient bousculer ces paysages familiers : les personnages sont des jetons colorés, le monde à explorer une succession de cartes et de plans. Pour Martin Panchaud, c’est le résultat d’années passées à accumuler une culture visuelle qui fut longtemps pour lui la seule source dans laquelle puiser.

Comment l’identité graphique de La couleur des choses a-t-elle pris forme ?

C’est un style que j’ai d’abord voulu expérimenter avant de l’utiliser pour un récit complexe ; par exemple avec SWANH.NET, qui adapte Star Wars, ou Royal Ascot, reconstitution d’une célèbre course hippique [ à retrouver sur www.martinpanchaud.ch, ndlr]. Autant d’univers bien identifiés par le public qui peut ainsi se raccrocher à des références connues. Mon premier souci pour La couleur des choses était de ne pas perdre le lecteur : je voulais lui raconter une histoire qui lui plaise, de façon singulière mais sans être dans la démonstration.

Peut-on dire que ta culture originelle était surtout visuelle ?

Étant dyslexique et dysorthographique, lire a longtemps été impossible pour moi, les mots étaient des énigmes, j’ai donc pivoté vers le langage graphique. Les cartes notamment me passionnaient, j’aimais décoder ces images abstraites qui transmettent des informations mais aussi des émotions, comme dans ces vieilles cartes incomplètes où l’imaginaire voire la poésie avaient leur place.

C’est plus tard que tu as découvert la bande dessinée ?

J’ai été initié par les passionnés que je côtoyais à l’EPAC, une école d’art en Suisse. Je suis un converti, du coup, je pense avoir une approche plus radicale. J’étais convaincu que ce médium ouvrait des possibilités très vastes et voulais trouver mon propre chemin, mon propre langage.

Comment as-tu passé le cap entre tes premières compositions et La couleur des choses ?

J’ai fait un plan auquel j’ajoutais des choses au fur et à mesure ; c’était très organique. J’avais aussi en tête une phrase de Tom Clancy : « Écrivez dans l’idée que votre livre pourra être adapté en film. » Ça m’a inspiré ; non pas que j’ambitionnais de vendre La couleur des choses au cinéma… je me disais surtout que c’était avec ce genre de ligne directrice que mon récit allait tenir.

C’est vrai qu’il y a quelque chose de très cinématographique dans ton album, en termes de références mais aussi avec ces dialogues qui « claquent » et qui semblent plus oraux que littéraires.

J’ai toujours admiré les dialoguistes qui savent imaginer des répliques inattendues ; c’est très jouissif à faire. J’ai ingurgité beaucoup de cinéma dans ma jeunesse, ainsi que des livres audio qui m’ont permis de rattraper un peu mon retard : c’est donc à travers la parole, l’écoute et les mots « dits » que je me suis autorisé à écrire.

Tu fais cohabiter différentes formes : schémas, notices, icônes, cartes marines… pour éviter une forme de monotonie ?

Faire avancer l’histoire et surprendre passe aussi bien par les dialogues que par l’intrigue ou le graphisme. Celui-ci doit s’adapter aux situations : raconter un rêve érotique avec une carte, c’est un peu froid… Il fallait toujours inventer de nouveaux moyens de raconter l’histoire.

Au-delà du graphisme, tu as aussi créé des personnages attachants bien que représentés sous une forme abstraite, au sein d’une aventure drôle, rythmée mais aussi émouvante.

J’ai imaginé une biographie complète et une psychologie pour chaque personnage, leur place, leurs actions devenaient évidentes au moment de construire le récit. Il faut que l’on puisse y croire, il faut les aimer, sinon cela ne fonctionne pas.

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