numĂŠro 7
03.2010
gratuit
ours
sommaire numéro 7
Directeurs de la publication et de la rédaction : Bruno Chibane & Philippe Schweyer Rédacteur en chef : Emmanuel Abela emmanuel.abela@mots-et-sons.com u 06 86 17 20 40 Direction artistique et graphisme : starHlight Ont participé à ce numéro : REDACTEURS E.P Blondeau, Olivier Bombarda, Benjamin Bottemer, Caroline Châtelet, Michel Collet, Sylvia Dubost, Nathalie Eberhardt, Magalie Fichter, Virginie Joalland, Kim, Christophe Klein, Nicolas Léger, Rosa Lopez-Oros, Coline Madec, Guillaume Malvoisin, Adeline Pasteur, Nicolas Querci, Matthieu Remy, Alexandre Rolla, Christophe Sedierta, Fabien Texier, Louis Ucciani, Gilles Weinzaepflen. PHOTOGRAPHES Vincent Arbelet, Pascal Bastien, Roxanne Gauthier, Matthieu Remy, Dorian Rollin, Christophe Urbain.
Édito
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FOCUS La sélection des spectacles, festivals, expositions et inaugurations à ne pas manquer 08 Une balade d’art contemporain : la subtile présencede l’absence à la Synagogue de Delme
RENCONTRES
CONTRIBUTEURS Bearboz, David Cascaro, C’était Où ? C’était quand ? Dupuy-Berberian, EM/M, Christophe Fourvel, Sherley Freudenreich, Christian Garcin, Sophie Kaplan, Florence Manlik, Christophe Meyer, Henri Morgan, Nicopirate, Denis Scheubel, Vincent Vanoli, Henri Walliser, Jean Wollenschneider, Sandrine Wymann.
Jean-Pierre Siméon proclame le zigzag figure nécessaire James Ellroy n’aime pas le politiquement correct 36 Juergen Teller ne reprendra pas de Viagra 38
RELECTURE Léonor Anstett.
MAGAZINE
PHOTO DE COUVERTURE Kate Moss par Juergen Teller (Young Pink Kate, London 1998) Merci à Juergen Teller et Sally Waterman. Retrouvez entretiens, photos et extensions audio et vidéo sur les sites novomag.fr, facebook.com/novo, plan-neuf.com, mots-et-sons.com et flux4.eu Ce magazine est édité par Chic Médias & médiapop Chic Médias u 10 rue de Barr / 67000 Strasbourg Sarl au capital de 12500 euros u Siret 509 169 280 00013 Direction : Bruno Chibane u bchibane@chicmedias.com 06 08 07 99 45 Administration, gestion : Charles Combanaire médiapop u 12 quai d’Isly / 68100 Mulhouse Sarl au capital de 1000 euros u Siret 507 961 001 00017 Direction : Philippe Schweyer u ps@mediapop.fr 06 22 44 68 67 – www.mediapop.fr IMPRIMEUR Estimprim Tirage : 9000 exemplaires Dépôt légal : mars 2010 ISSN : 1969-9514 u © NOVO 2010 Le contenu des articles n’engage que leurs auteurs. Les manuscrits et documents publiés ne sont pas renvoyés. ABONNEMENT novo est gratuit, mais vous pouvez vous abonner pour le recevoir où vous voulez. ABONNEMENT France 6 numéros u 40 euros 12 numéros u 70 euros ABONNEMENT hors France 6 numéros u 50 euros 12 numéros u 90 euros DIFFUSION Vous souhaitez diffuser novo auprès de votre public ? 1 carton de 25 numéros u 25 euros 1 carton de 50 numéros u 40 euros Envoyez votre règlement en chèque à l’ordre de médiapop ou de Chic Médias (voir adresses ci-dessus). novo est diffusé gratuitement dans les musées, centres d’art, galeries, théâtres, salles de spectacles, salles de concerts, cinémas d’art et essai, bibliothèques et librairies des principales villes du Grand Est.
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Per Hüttner multiplie les interventions partout dans le monde 40 EM/M (www.emslashm.com) 42 Gilles Weinzaepflen raconte son passage de la musique au film 44 Matthieu Messagier expose ses dessins chez Agnès B 48 Toméo Vergès explore le corps 50 Les scénographies urbaines investissent les quartiers des capitales africaines Territoires témoins publie des romans borderline 54 Le discours de la méthode Phoenix 56
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CHRONIQUES Novo ouvre ses colonnes à des interventions régulières ou ponctuelles La vraie vie des icônes 4 : Pyrotechnie/Jouer avec le Feu, par Christophe Meyer 59 Tout contre la BD, par Fabien Texier 60 Songs To Learn and Sing : The Ramones, Beat on the Brat, par Vincent Vanoli 62 La stylistique des hits : l’onomatopée, par Matthieu Remy et Charles Berberian 63 Mes égarements du coeur et de l’esprit : égarement #70, par nicopirate 64 Chronique de mes collines : Antonio Rubino, le maestro, par Henri Morgan 66 Modernons : Le soir de l’Academy Française, par Nicolas Querci 67 Le monde est un seul / 6 : Les notes de chevet de Fabio Viscogliosi, par Christophe Fourvel 68 Plastic Soul, par Emmanuel Abela 69 Cinérama 1, par Olivier Bombarda 70 Herbier n°1 : Pissenlits, par Sophie Kaplan 72 Je me suis trompée, par Henri Walliser et Denis Scheubel 73 I’M BAD, par Jean Wollenschneider et David Cascaro 74 AK47 : Eclearcie ?, par Fabien Texier 75
selecta
disques, BD, livres et DVD
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édito par philippe schweyer
SUR LA ROUTE DE GREENWICH
Pendant le vernissage de l’expo Voyages extraordinaires à Altkirch, je passe de longues minutes à regarder l’artiste anglais Simon Faithfull franchir des tas d’obstacles pour marcher aussi droit que possible le long du méridien de Greenwich, depuis les falaises du Sussex jusqu’à la mer du Nord. Quelques jours plus tard, j’achète un GPS pour traverser la France en suivant le méridien à ma façon pendant mes congés. Alors que je marche depuis seulement quelques heures, j’aperçois une femme chaussée d’une magnifique paire de bottes en plastique qui avance dans ma direction à travers champs. Arrivé à deux mètres d’elle, je reconnais Kate en personne. Un peu étonné de me retrouver nez à nez avec la brindille en pleine cambrouse, je lui demande ce qu’elle fait là : - Je marche vers le soleil. Je n’en peux plus de ce bloody fog ! Son GPS est beaucoup plus design que le mien. On dirait un petit téléphone portable avec des diamants incrustés. - C’est bête, moi je vais vers le nord… - Alors, c’est que tu es encore plus paumé que moi ! - Sans doute… Et tu penses marcher combien de temps ? - Je voudrais bien aller jusqu’en Espagne pour faire le point. Depuis que j’ai lu le bouquin de Florence Aubenas, j’ai l’impression d’être complètement inutile… - Ah bon ? - Oui, nettoyer les sanitaires sur un ferry pendant six mois pour raconter la vraie vie des travailleurs précaires, c’est quand même plus cool que de sniffer de la coke avec des rock stars dépressifs ou de prendre toujours les mêmes poses. Tu ne trouves pas ? - Tu sais Kate, j’ai l’impression qu’on est complètement déboussolés tous les deux. Et ce ne sont pas nos GPS qui vont nous sortir de la merde. - Florence a compris que pour que la révolution soit possible, il fallait commencer par informer les masses… Cette fille est une vraie révolutionnaire ! - Peut-être… Tu n’aurais pas une photo de toi à me donner ? - Pour faire quoi ? Tu n’imagines pas comme c’est déprimant d’être l’opium du peuple… Kate fouille dans son sac et me tend une photo où on la voit seule dans son lit. - C’est Juergen qui l’a prise il y a déjà un bout de temps. Elle te plaît ? - Bien sûr ! Après avoir échangé nos numéros de téléphone, je repars le cœur un peu plus léger. En me retournant, j’aperçois Kate qui galope vers le sud à travers la prairie. J’aurais mieux fait de rebrousser chemin pour rester avec elle, mais il est déjà trop tard. La laissant seule avec son destin, je continue d’avancer sur la route de Greenwich, la tête désespérément vide. Un peu plus tard, alors qu’il se met à pleuvoir, je me rends compte de l’absurdité de mon projet. Non seulement ça a déjà été fait, mais en plus je n’ai même pas de caméraman avec moi. Heureusement, comme par miracle, Kate m’appelle sur mon portable. - Hey Phil ! - Oui ? - Tu veux bien faire demi-tour pour boire une bière avec moi ? Alors que je rebrousse chemin pour rejoindre Kate dans un de ces bouges infâmes où elle adore passer la soirée incognito, je comprends que la vie n’est pas une ligne droite. A moi de savoir négocier le prochain virage. En attendant la prochaine Révolution.
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focus
1 ~ Au fond du Jardin du Michel Stars internationales et découvertes régionales se partagent les deux scènes du festival écolo-festif à Bulligny (54) du 13 au 15/5. Avec De la Soul, Olivia Ruiz, Laurent Garnier, Gogol Bordello, Max Romeo, Sexy Sushi et les excellents Colt Silvers (photo). www.jardin-du-michel.com 2 ~ Le décor à l’envers L’exposition proposée par Sophie Kaplan, directrice du Crac, met à jour les liens qui unissent arts de la scène et arts plastiques. A la Filature jusqu’au 2/5. www.lafilature.org 3 ~ ESPOIR DANS LE PLACARD Exposition de Claire-Lise Petitjean et Diego Movilla du 20/3 au 23/4 chez Interface à Dijon. http://interface.art.free.fr 4 ~ Ateliers ouverts Les artistes ouvrent leurs ateliers dans toute l’Alsace les 8, 9, 11 et 16/5. www.ateliersouverts.net 5 ~ Distance irréparable Dans son dernier livre, Louis Ucciani s’intéresse à la distance irréparable, c’est à dire la faille qui sépare de façon radicale le texte de l’image. www.lespressesdureel.com
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6 ~ The Brian Jonestown Massacre Après 5 ans de silence discographique, Anton Newcombe et son Brian Jonestown Massacre sont de retour le 18/4 à la Vapeur de Dijon. www.lavapeur.com 7 ~ DIJON MUST’ART Dijon s’invite au Metropolitan Museum of Art de New-York jusqu’au 23/5. www.dijon.fr 8 ~ Demandez le programme ! Exposition Art & Ordinateur à l’Espace Gantner jusqu’au 24/4. http://espacegantner.cg90.fr 9 ~ L’homme à tête de choux L’histoire d’un homme « moitié légume-moitié mec » de Gainsbourg enregistrée et réorchestrée par Bashung devient un ballet sensuel chorégraphié et mis en scène par Jean-Claude Gallotta. Les 10 et 11/5 au Théâtre Musical à Besançon. Photo : Véra Iso. www.letheatre-besancon.fr 10 ~ Le Meilleur des mondes du point de vue de la collection Mudam jusqu’au 23/5. www.mudam.lu 11 ~ Nuit des Musées Le samedi 15 mai. http://nuitdesmusees.culture.fr
12 ~ Panama Al Brown L’histoire d’un boxeur mythique les 26 et 27/3 à l’Opéra de Dijon. www.opera-dijon.fr 13 ~ Voyages extraordinaires Christoph Keller et Simon Faithfull au Crac Altkirch jusqu’au 16/5. www.cracalsace.com 14 ~ Joe Downing Exposition du 8/5 au 31/10 au musée d’Unterlinden à Colmar. www.musee-unterlinden.com 15 ~ L’attrait du lointain Exposition de livres de voyages scientifiques du XVIe au XIXe siècle au Musée du Temps à Besançon. www.besancon.fr 16 ~ J’AI TOUJOURS RÊVE… J’ai toujours rêvé d’être un artiste… Expo du Frac Alsace hors les murs au Collège de Volgelsheim jusqu’au 31/10. Photo : Stéphane Lallemand, Suzanne au bain, 1991, Télécran. 17 ~ Essey chantant 14ème édition d’un festival de chanson axé sur la diversité du 3 au 11/4 (54). www.esseychantant.com 18 ~ James Ensor Exposition au Musée National d’Histoire et d’art Luxembourg jusqu’au 30 mai. www.mnha.public.lu
19 ~ 10Neuf Eleftherios Amilitos, Alain Lambilliotte et Marie Lepetit exposent au Crac de Montbéliard jusqu’au 7/4. www.le-dix-neuf.asso.fr 20 ~ Nasren Mohamedi Jusqu’au 4/4 à la Kunsthalle à Bâle. www.kunsthallebasel.ch 21 ~ JOHN CAGE L’exposition tente de rendre sensible l’esprit d’un créateur hors norme. Du 30/4 au 19/6, Abbaye de Senones (88). www.scene2.org 22 ~ BABEL BALBUTIE On nous annonce une merveilleuse exposition de l’immense Josué Rauscher chez Robert du 10/5 au 3/7. www.chez-robert.com 23 ~ LE VOYAGE Dans le cadre des manifestations « Utopies et innovations », impulsées par la Métropole Rhin-Rhône, le Musée du château à Montbéliard propose une exposition sur le thème du voyage du 8/5 au 26/9. www.utopinov.net 24 ~ Le Gentil Garçon Si les films sont comme “des trains qui avancent dans la nuit”, ceux du Gentil Garçon sont du genre miniatures électriques. A Faux Mouvement à Metz, jusqu’au 18/4. www.faux-mouvement.com
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25 ~ Regards Projetés Aperçu de la création vidéo contemporaine en Europe jusqu’au 9/4 chez Apollonia à Strasbourg. www.apollonia-art-exchanges.com 26 ~ ART SINGULIER L’association Itinéraires singuliers présente les collections La Tinaïa et Intim’errance qui rassemblent des œuvres créées dans les hôpitaux psychiatriques de Florence et Dijon. A Dijon du 23/3 au 11/4. www.itinerairessinguliers.com Visuel : Claudio Ulivieri, Paesaggio Campestre, 1998. 27 ~ Le Mulhousien… Le Mulhousien dans ses champs au Moyen Âge et à l’époque moderne. Conférence de Odile Kammerer le 22/4 à 18h30, salle de la Décapole à Mulhouse. 28 ~ Week-end de l’art contemporain Les 20 et 21/3 en Alsace. www.artenalsace.org 29 ~ SUPERSOUNDS Le festival colmarien s’offre une session de printemps avec Sax ruins, Little Teeth… Du 31/3 au 5/4. www.hiero.fr 30 ~ Kronenbourg La Fondation Kronenbourg lance un appel à projets. Jusqu’au 15/5. www.fondation-kronenbourg.com
31 ~ Livraison n°13 Superbe numéro de Livraison, la revue d’art contemporain éditée par Rhinoceros, qui se propose d’investir le champ du langage et de la typographie autour de deux axes : - Le langage en tant que proposition linguistique mise en forme par la typographie. - La typographie comme langage graphique, ayant sa structure (syntaxe, vocabulaire), ses modalités d’énonciation (support livre, affiche, etc.), ses producteurs (graphistes, typographes) et ses lecteurs. www.rhinoceros-etc.org 32 ~ Pompidou Pour célébrer son ouverture, le Centre Pompidou-Metz invite le public à participer aux «Journées inaugurales» du 12 au 16/5. Le programme s’annonce artistique et festif. www.centrepompidou-metz.fr 33 ~ Tranches de Quai #12 Soirée transgenre et radical-chic le 1er avril à Mulhouse avec Stéphane Bérard, Hélène Agofroy, Pierre Frankel, Isabelle Cornaro, Nelly Massera… www.lequai.fr 34 ~ Face Moi Eric Vazzoler a photographié la jeunesse des ex-républiques soviétiques. Expo au Maillon à Strasbourg du 20/5 au 15/5. www.chambreapart.org
35 ~ Coming Soon Après New York, Washington et Berlin, les jeunes prodiges de Coming Soon jouent à Kingersheim et invitent Lonesome French Cowboy et Léo 88 man. Le 28/3 à l’Espace Tival. www.lafilature.org 36 ~ LENZ La proposition chorale que compose Thibaut Wenger avec acteurs, musiciens et plasticiens, tisse une constellation embrassant Woyzeck et Hamlet, autour de Lenz. Les 25 et 26/3 à l’Actée, Longwy. Le 30/3 au Théâtre du Marché aux grains, Bouxwiller. 37 ~ DINGBATS LIBERATION FEST L’espace my.monkey à Nancy accueille une expo du collectif belge Open Source Publishing du 25/3 au 30/4. www.mymonkey.fr 38 ~ PETITE CHAPELLE PJ@MelloR se produit dans le cadre de Petite Chapelle 2, performance musicale à découvrir le 27/3 à la Chapelle Saint-Jean à Mulhouse. 39 ~ Far East Bends Le film d’Alexandre Perrier permet de revivre quelques moments grandioses du dernier festival GéRéRiQ. DVD offert aux nouveaux abonnés de Novo jusqu’à fin avril. www.novomag.fr
40 ~ Latifa Echakhch Exposition du 2/4 au 23/5 au Frac à Reims. www.frac-champagneardenne.org © Latifa Echakhch Photo. Charles Duprat 41 ~ WHY? Quelque part entre Brian Wilson, Pavement et Beck, Why? s’inscrit dans cette lignée d’artistes libres et empêcheurs de tourner en rond. En concert avec Josiah Wolf et Sourya aux Trinitaires à Metz le 24/3. www.lestrinitaires.com 42 ~ FESTIVAL NOUVELLES Pôle Sud fête vingt ans de découverte et de confrontation à un art en mouvement, toujours actif et en constante remise en question du 20 au 29/5. www.pole-sud.fr 43 ~ Joanne Leighton La chorégraphe belge d’origine australienne Joanne Leighton succède à Odile Duboc à la tête du Centre Chorégraphique National de Franche-Comté à Belfort www.ccnfc-belfort.org 44 ~ STEPHEN WILKS Après Les Sculptures meurent aussi qui s’achève le 28/3, Sandrine Wymann propose une exposition de Stephen Wilks du 22/4 au 20/6 à la Kunsthalle de Mulhouse. www.kunsthallemulhouse.fr
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par benjamin bottemer
photo : vanessa gandar
focus Triennale jeune création Moving world du 1er juillet au 19 septembre au Carré Rotondes Luxembourg www.rotondes.lu
Rencontre Art Nature, massif du Sancy du 1er juillet au 20 septembre www.horizons-sancy.com
Tigres de papier Les deux membres de Module Ranch ont choisi d’aller au contact du public avec de monstrueux objets cartonnés, scotchés ou gonflés, comme les fers de lance d’un art contemporain tourné vers le ludisme, l’humour, et la nostalgie de ces symboles de notre quotidien désuets et attachants.
Module Ranch est un collectif messin créé en 2008 par Cédric Shili et Vanessa Steiner. Leurs créations à grande échelle investissent l’espace, tapant inévitablement dans l’œil d’un spectateur irrésistiblement attiré par un porte-clés géant, un diadème étincelant ou encore d’envahissantes sculptures en ballons gonflés à l’hélium, manifestes pour un monde coloré et délirant. « Les gros volumes que nous avons choisi d’utiliser créent une perturbation dans l’espace qui attire tout de suite l’attention des gens. Il y a un côté aire de jeux pour enfants, très fun, qui incite au contact. C’est ludique et facile d’accès. » Cédric aime travailler sur les lettrages et les typographies, associés aux idées de Vanessa, qui crée un scénario délirant autour duquel ils extrapolent ensuite pour aboutir à des installations et des performances. « Depuis ce petit synopsis déjanté, on réfléchit à une rhétorique, en s’inspirant d’objets issus de la culture populaire, à laquelle nous nous identifions complètement. »
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Détonants avec leur environnement immédiat (la rue, un vieux four, un cloître...), les pièces de Module Ranch ont ce côté “Do It Yourself” et bon enfant qui les rend si accessibles. Loin de se prendre au sérieux, ils n’hésitent pas à donner de leur personne pour faire vivre leurs histoires, parés d’armures de carton, déambulant grimés en surfeurs improbables, en pilotes intrépides ou en vendeurs de kebabs artificiels tellement authentiques. « On ne veut pas disserter autour de nos œuvres. C’est plus intéressant de créer la convivialité, de susciter l’affection sans faire appel à des références pointues. » Après avoir sévi lors des éditions 2008 et 2009 de la Nuit Blanche messine, au festival Décalage Immédiat de Siercklès-Bains ou encore dans le cloître de Saint-Pierre-auxNonains à Metz, Module Ranch aspire à se sédentariser et à travailler avec davantage de moyens : « On voudrait se mettre en valeur au sein d’une galerie. D’ailleurs nous sommes en pleine recherche pour acquérir nos propres locaux. Et puis on aimerait pouvoir bâtir des œuvres plus solides, car le médium carton est pratique et peu coûteux, mais éphémère. » Avec un projet à Luxembourg, et un autre à Bruxelles chez HalfenHalf autour du baby-foot, ce jeune collectif s’apprête donc à envahir toute la Grande Région à grands renforts de babioles magnifiques. D
par nicolas léger photo : j.picard
focus www.myspace.com/deafrockrecords www.deafrockrecords.com
Deaf Rock : électricité et moustache ! Le Label Deaf Rock a tout pour plaire : il est jeune, il est strasbourgeois et il a du succès. Réunissant trois groupes solides sous son logo à moustache, dont deux sélectionnés pour de grands festivals français, un boulevard semble s’ouvrir à lui.
“Label”, voilà un mot qui à l’origine désignait une bande apposée sur des vêtements pour en signifier l’origine. Le hasard a voulu que ce soit justement grâce à leur look que nous rencontrions les protagonistes de Deaf Rock. Des fringues, certes mais aussi des moustaches fièrement portées : attribut qui n’est autre que le logo du label. Dandysme bien placé puisqu’à l’image du label, il signifie la volonté de promouvoir et de maintenir indépendance et singularité. Ferveur pour le rock et persévérance animent les trois groupes phares de Deaf Rock : Colt Silvers, Plus Guest et Electric Suicide Club. Autant d’albums solides, au design classieux, enregistrés dans des studios strasbourgeois résultent de leur travail. En effet, ne nous y trompons pas : derrière Julien, manager du label, batteur de Plus Guest, musicien passionné, se cache un garçon sérieux et méticuleux n’ayant pas peur de la paperasserie. Récolter des fonds, organiser les tournées à travers l’Europe, c’est aussi ça faire du rock. Efforts payants puisque les Colt Silvers joueront aux Eurockéennes de Belfort et Plus Guest au Printemps de Bourges. C’est un fait, la bonne étoile ne suffit pas à expliquer tout cela. Les gens croisant leur route croient en eux et le leur prouvent : Christophe Pulon, ingénieur du son, leur apporte son professionnalisme, Hiero Colmar, Artefact, La Laiterie les appuient activement, et la région les aide financièrement. « Le manager de Peter Van Poehl nous a appelés en personne pour nous dire de ne pas lâcher le morceau. Ça fait chaud au cœur ! » sourit Julien. La reconnaissance est donc au rendez-vous et l’occasion en or pour ces groupes ne jurant que par les concerts et les tournées auxquels ils sont désormais rôdés : « Ce que l’on cherche avec un groupe, c’est de se prendre une claque en live. Dans la production de nos albums, on tente d’ailleurs d’être au plus près de la puissance du concert. » Et ils ont sillonné toute l’Europe pour éprouver ce précieux adage.
Et à l’écoute, me direz-vous ? D’une moyenne d’âge de 24 ans, ces start-up du rock nous laissent entrevoir jolies promesses. Colt Silvers, ayant écoulé déjà plus de 1000 albums, offre un son bardé d’influences solides : Arctic Monkeys, Klaxons ou encore Foals. Night of The Living Robots, réunissant 11 titres est pleinement de son temps et le fruit d’influences maîtrisées avec jubilation. Plus Guest, aux guitares saturées et mélodies trépidantes se rapproche par son énergie débordante et un peu foutraque de groupes comme The Hives ou des Babyshambles de Down in Albion. « On pourrait appeler ça “nouveau garage” » précise Julien avec fierté. Electric Suicide Club lorgne quant à lui du côté de Dananananaykroyd, avec une identité pop marquée. Telle est l’image paradoxale que cultive Deaf Rock avec force : « une fraîcheur rock qui ne se veut pas novatrice mais nouvelle aux accents rétro, un son garage mélangé à une production pop puissante … » Tout un programme. On ne sait pas où tout ce petit monde va nous mener, mais l’invitation est bien trop aguichante pour ne pas être tentés de les suivre… D
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par caroline châtelet
focus Le Cube, de 23h à 5h, tous les vendredis et samedis, quai Ste Catherine, à Nancy. www.cube-nancy.fr
Le Cube, pré carré électro à Nancy Les basses semblent venir de sous la terre… Au loin, arborant fièrement son logo géométrique et orangé, Le Cube vient d’émerger des eaux nancéiennes.
À bord de la péniche, 5 DJs résidents et le collectif Mange-disques s’emploient à faire vibrer les flots du canal. Antony Adam, Tess Wassila, ODM, Etienne C, Tuttle, Mehdi Mitchell et les autres s’exécutent avec plaisir au sein de leur nouvelle maison. En solo, duo et plus si affinités les DJs émérites du paysage électro glissent avec habileté leurs doigts sur les platines nues qui s’offrent à eux… Pour tous, le principe des résidences est là : Chaque DJ a son “jour”. Ainsi les premiers samedis du mois, c’est à Etienne C d’embarquer sa trompette et de souffler quelques douceurs jazzy dans son cuivre magique. La semaine suivante, c’est à ODM, alias Didier Manuel, également directeur artistique du lieu, de jouer avec les platines. Seul Antony Adam fait exception à la règle, les venues de la vedette des lieux, également Dj résident au Rex, sont à surveiller. Antony Adam est “un dj volant”. Tess Wassila, quand à elle peut se vanter d’être la seule DJette à bord. Féminine mais pas douce pour autant, les sets de cette pro de la tech minimaliste sont percutants. Absinthe, quand tu nous tiens…
Sévissant sur un container flottant du quai Sainte Catherine, le nouveau club électro de Nancy retentit. De jour, rien n’y paraît, les rives du Quai semblent paisibles, mais la nuit tombée, l’effervescence va bon train. Remplaçant de l’Ô, ancien temple flottant des nuits ducales, Le Cube affirme ses quatre facettes : club électro, dance-floor, bar à absinthe et lieu d’exposition. En un mot, Le Cube se veut refuge des noctambules.
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Au bar, Sébastien Dion, en capitaine utile et polyvalent du Cube marin oscille entre commande de cocktails et gestion du lieu. Cet amateur d’absinthe a réservé le bar de l’étage à ces douceurs longtemps prohibées en France. Riche idée du lieu, proposer une carte à absinthe, plutôt fournie. Les verres de “Fée verte” y sont servis traditionnellement. Toutes les absinthes sont légèrement amères, elles sont donc le plus souvent servies avec du sucre, ce qui contrebalance l’amertume et contribue au développement des parfums d’herbes et floraux. Le succès de ces spiritueux aux plantes est tel que Le Cube envisage d’ouvrir les portes plus tôt afin de proposer des apéritifs autour du précieux liquide. A long terme, Sébastien Dion souhaite convier les amateurs d’absinthe à former un club privé au sein duquel s’organiseraient des soirées dégustations. La particularité du lieu flottant ne s’arrête pas là. La péniche se veut également lieu d’exposition mensuel pour les artistes. Toiles, photos et autres créations animent le bar cosy du club. L’artiste nancéien Flow et ses dripping furent les premiers à bénéficier de cette “galerie” flottante. Bien d’autres suivront. D
par emmanuel abela photo : romulo sans
par nicolas querci
Raul Paz, en concert le 29 avril à la salle Poirel, à Nancy 03 83 32 31 25 – www.poirel.nancy.fr
Brassaï, la maison que j’habite, exposition jusqu’au 17 mai au Musée des Beaux-Arts de Nancy 03 83 85 30 72
focus Le 30 avril à la salle des fêtes, à Schiltigheim www.ville-schiltigheim
Latin penseur Fort de son succès international, Raul Paz a ressenti le besoin de retourner à Cuba pour s’y ressourcer. Il revient avec un nouveau disque et un nouveau spectacle, et convie une nouvelle fois son public à la danse. Il est parfois bon de voyager pour mesurer le plaisir qu’on a de retourner chez soi. C’est un peu l’expérience qu’a vécu Raul Paz, globetrotter invétéré, voyageur du son, qui s’était installé à Paris, mais qui est finalement retourné dans son pays, enrichi de mille vies nouvelles, pour y enregistrer son sixième album. Le titre En vivo nous renseigne sur ce drôle de disque en forme de bilan et d’affirmation de son identité propre : un enregistrement live de ses meilleurs titres, un florilège très spécial 100 % Cuba, produit par Sébastien Martel ! Quinze ans après l’avoir quittée, cet artiste éclairé apporte sur son île chérie tout ce qui a fait l’éclectisme et le succès de ses enregistrements ensoleillés précédents : la musique latine bien sûr, mais aussi le jazz, la soul, le funk et l’électro, pour une vision ouverte de la musique, régénérée, vivante. Raul Paz l’affirme, il aime « l’ambiguïté » qui réside dans ses chansons, il raconte la solitude, la distance, mais aussi la joie, au cours d’une fête partagée, à laquelle chacun de ses auditeurs est invité. « J’aime bien l’image du troubadour qui raconte des histoires, ce que sont la plupart de mes chansons. Elles racontent un quotidien qui révèle une façon d’être. » Latin lover, mais aussi latin penseur, sensible et humaniste, il nous convie à partager une danse avec lui, troublante et chaleureuse, sans oublier de réfléchir à ce que nous sommes, ni à ce que nous faisons. D
Pas banal Brassaï, la maison que j’habite, réunit quelque 150 œuvres du photographe hongrois, principalement connu du public pour ses photos du Paris nocturne et secret, dans les années 30. C’est en 1924 que Brassaï (1899-1984) s’installe à Paris où il apprend la photographie au contact de son compatriote André Kertész. Il se lie d’amitié avec des poètes, des écrivains, des peintres, notamment Picasso, qui lui ouvre son atelier ainsi que les pages de la revue surréaliste Le Minotaure. Le titre de l’exposition renvoie d’ailleurs à celui d’une photographie illustrant un article d’André Breton, La beauté sera convulsive. L’exposition se concentre sur cette collaboration et sur la proximité de Brassaï avec le mouvement surréaliste. S’il n’adhéra jamais au groupe, il porte le même regard émerveillé que ses membres sur la banalité du quotidien. La beauté, la poésie, l’étrangeté jaillissent d’objets apparemment anodins grâce au regard du photographe, qui n’hésite pas à préparer, à recadrer et à retravailler ses images, à la manière d’un sculpteur de la lumière. Ce n’est pas pour rien que Brassaï abandonnera la photographie pour la sculpture, lui qui aura toujours refusé d’être considéré comme un photographe professionnel, qui n’aura jamais eu de studio, qui ne s’intéresse ni au reportage, ni à la mode, ni à la publicité, qui déteste les voyages et le sensationnel. Parmi tous les thèmes abordés, l’exposition accorde une place prépondérante aux graffitis qu’il photographia pendant plus de 25 ans, saisissant avant tout le monde l’importance de cette forme d’art. D
Nu 134, épreuve argentique – 17,1 x 23,5 cm © Estate Brassaï / RMN
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par caroline châtelet photo : christian berthelot
par sylvia dubost
focus Arrêtez le monde, je voudrais descendre, du 16 au 31 mars Théâtre de la Manufacture, CDN de Nancy 03 83 37 42 42 – www.theatre-manufacture.fr
Le manège de la vie Connus pour leur Volière, aventure nomade et oiselière, les Dromesko baladent sous leur baraque Arrêtez le monde, je voudrais descendre, nouveau précipité de poésie foraine. Ce titre, citation de René Obaldia récurrente en 1968, n’a pas pris une ride pour son injonction... Alors, tentative de lutte contre ce monde qui s’emballe, mise à nu métaphorique et poétique de ses dysfonctionnements, possibilités d’y échapper ? C’est un peu tout cela que contient la nouvelle création. Et, les spectacles de la compagnie étant intimement liés à leurs espaces de représentation, Arrêtez le monde, je voudrais descendre abrite un bien étrange manège. Une tournette, qui révèle airs aux accents tziganes, étranges cauchemars animaliers, rendez-vous amoureux, ou tourbillons d’un quotidien déréglé. Tandis que les séquences s’égrènent, des patients et leur animal « familier » défilent dans la salle d’attente d’un Docteur-Dieu. Ne reste rapidement plus qu’un homme sans âge, son poisson rouge, une femme et sa poule, le couple discutant à bâtons rompus de la vieillesse, la mort ou de la pluie. Est-ce elle, d’ailleurs, ou l’eau, qui mouille ? Cette question parmi d’autres – tirées de textes de Pierre Bourdieu ou Roland Dubillard –, confrontée à la succession de scènes burlesques, graves ou dérisoires, nous rappelle autant l’absurdité de la vie que sa brièveté. Des instants poétiques à éprouver jusqu’à l’ultime tour de manège, ouvrant sur un verre à partager, le spectacle n’ayant de sens chez les Dromesko que pour la vie qui l’accompagne... D
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La tragique histoire du nécromancien Hiéronimo et de son miroir Les 11 et 12 mai au CCAM de Vandœuvre-lès-Nancy www.centremalraux.com
Toute première fois L’ensemble S:I.C reprend la première pièce de théâtre musical du compositeur Georges Aperghis, l’un des inventeurs et maîtres du genre : indispensable ! Installé à Paris depuis 1963, Georges Aperghis se lance dès le début des années 70 dans l’exploration des rapports entre la musique et la scène, qu’il poursuit encore aujourd’hui. Il se dégage alors de ses premières influences : le sérialisme du Domaine Musical, la musique concrète de Pierre Schaeffer et de Pierre Henry, les recherches de Iannis Xenakis, pour créer, en 1971, sa première pièce de théâtre musical. La tragique histoire du nécromancien Hiéronimo et de son miroir. Pour conquérir la cantatrice, un marionnettiste imagine de donner un spectacle sur son castelet. Mais sa pièce est sans cesse contrariée par la musique et par les marionnettes, qui deviennent autonomes et se révoltent. Aperghis superpose ici les différentes formes que prennent au théâtre les histoires d’amour, et s’amuse beaucoup en faisant de la musique le maître du jeu. La re-mise en scène de ce premier spectacle par Françoise Rivalland a presque valeur de document : Aperghis est depuis passé maître dans le domaine du théâtre musical. Avec l’Atelier Théâtre et Musique (Atem) qu’il fonde en 1976, il invente une nouvelle forme inspirée du quotidien, de faits sociaux transposés vers un monde poétique, souvent absurde et satirique, où musiciens, chanteurs, comédiens et plasticiens sont placés sur un pied d’égalité. D
par nicolas querci
par sylvia dubost
El final de este estado de cosas, Redux, le 8 avril à l’Arsenal, à Metz 03 87 74 16 16 – www.arsenal-metz.fr
Listen to your eyes Jusqu’au 18 avril au Frac Lorraine et à l’école d’art de Metz http://esamm.metzmetropole.fr
focus
Le cavalier andalou Avec El final de este estado de cosas, Redux (littéralement : la fin de cet état de choses), le danseur et chorégraphe andalou Israel Galván propose une version dansée de l’Apocalypse de Jean, dans laquelle chaque pas, chaque geste, chaque écart, chaque rupture, symbolise une phrase du livre qui referme la Bible chrétienne. Sur une plateforme de bois noir, masqué, sur des cercueils, entouré d’une dizaine de musiciens, il offre son corps au mythe de la fin des temps pour en donner une interprétation habitée, en passant du flamenco le plus pur à des formes radicalement contemporaines. Né en 1973 à Séville – berceau du flamenco – fils du célèbre danseur José Galván, Israel Galván ne cesse depuis le milieu des années 90 de réinventer les codes d’un art coincé entre la pantomime folklorique et l’affectation moderne, grâce à une maîtrise parfaite de ses techniques, une vision pénétrante de son essence, et une audace formelle éblouissante – en n’hésitant pas à se servir d’éléments issus de la culture populaire. El final… puise jusqu’aux racines émotionnelles du flamenco, qui est un chant, une musique, une danse, exprimant la douleur du monde, la souffrance de ses interprètes, jouant sur un mouvement de tension extrême entre désir incontrôlé, passion brutale, désillusion et espoir de rédemption. Israel Galván préfère électrifier son public plutôt que l’édifier, et cette lecture de l’Apocalypse, à prendre dans son sens métaphorique – universel, contemporain, comme le flamenco – s’adresse directement au corps et à l’âme des spectateurs. D
Motus Ecouter le silence, les gestes qui parlent mieux que les mots… La double exposition Listen to your eyes offre un espace à tout ce qui s’exprime autrement qu’à travers le verbe et le bruit. Comment communiquer par-delà les mots, par delà le son ? Tout en répondant à ces questions simples et éternelles, les œuvres nous emmènent encore bien plus loin. Au Frac Lorraine, Eva Koch, Artur Żmijewski et Roman Signer recherchent un langage gestuel universel, qui pourrait soutenir la parole défaillante à exprimer le sens. Manon de Boer rejoue 4’33 de John Cage, faisant porter toute son attention sur les gestes et la respiration que suppose son interprétation. On Kawara, par la succession de ses fameuses dates, pose la question de la « mémoire » et de la possible fixation du souvenir sans le truchement des mots. L’école supérieure d’art de Metz a quant à elle composé une proposition qui met en image de rythme, et le silence qui le marque. Dans sa vidéo, Su Mei Tse joue du piano avec des attelles au bout des doigts. Son geste, entravé et ralenti, crée une chorégraphie qui donne au son une nouvelle profondeur. Rainier Lericolais, plasticien et musicien, figure sur le mur une onde sonore, tandis Carl Andre tente, par l’intermédiaire de son quadrillage de dalles, de la faire ressentir au visiteur. Ces deux expositions, qui mettent le spectateur en état d’éveil et de perception maximum, inaugurent Son, vibration et musique, parcours de 20 expositions à travers la France, autour de la place du son et de la musique dans la création. Elles l’inaugurent en en prenant, d’entrée, le contrepied. D
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par emmanuel abela photo : alain kaiser
par emmanuel abela photo : rebecca miller
[Des]astres du Monde, les 18 et 19 mars au Carreau, à Forbach 03 87 84 64 34 - www.carreau-forbach.com
Les Femmes s’en mêlent #13, le 27 mars avec Lonelady, Taxi Taxi !, Ólöf Arnalds, aux Trinitaires, à Metz ; le 25 mars avec Lonelady, Jenny Wilson, le 27 mars, avec Miss Platnum, à La Laiterie, à Strasbourg ; le 31 mars avec Sarah Blasko, The Tiny, Peau, à la Poudrière, à Belfort 03 87 20 03 03 – www.lestrinitaires.com 03 88 237 237 – www.festival.artefact.org 03 84 58 11 77 – www.pmabelfort.com
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Ruine étoilée [Des]astres du Monde est un ovni artistique. Un objet pluridisciplinaire, né de la collaboration entre le chorégraphe Ali Salmi, de la compagnie Osmosis, et le reporter de guerre Patrick Chauvel. En amont, son travail photographique a fait éclore un processus de création autour de l’urbanité, du corps, du réel. Il joue le rôle du témoin, de celui qui a vu et qui rapporte. Ali Salmi a voulu pour décor un désastre, un écho spectaculaire de la réalité. Il a alors fait appel à Mario Goffé, habitué des œuvres monumentales et urbaines. Il a conçu une grosse machine, l’incroyable « ruine active », le « mur en mouvement » qui sert de décor et qui « comme tous les murs finit par tomber ; mais l’envie de vivre n’a pas de limites ». Trois interprètes danseurs-acteurs (Ali Salmi, Kaïs Chouibi, Saiffeddine Manaï), « guerriers de la beauté » y évoluent et y incarnent cette bataille, cette énergie malgré les cendres, cette survie au milieu des décombres. « Ce spectacle est notre arme pour témoigner de notre époque, des tensions de ce monde que nous voudrions illuminer d’autres feux. » Une danse en éclats, primale, engagée et poétique. Finalement, le spectacle est plus que le résultat d’une simple collaboration, c’est un véritable dialogue, une confrontation d’expériences entre différents moyens d’expressions. D
Girrrl Powerrr Depuis 1997, le festival Les Femmes s’en mêlent, révèlent chaque année son paquet de nouveaux talents féminins. Lors de cette édition, coups de projecteur sur Miss Platnum et Lonelady. L’histoire entre les femmes et le rock ne datent pas d’hier : on ne dénombre plus les expériences qui ont été menées depuis près de 50 ans, les artistes femmes rivalisant souvent d’inventivité avec leurs homologues masculins. Mais force est de constater que l’influence de celles-ci se fait de plus en plus fortement ressentir depuis quelque temps, quel que soit le style abordé. Peut-être le festival Les Femmes s’en mêlent n’est-il pas complètement étranger au phénomène. Il permet en tout cas de restituer sa part de vérité concernant l’importance effective des artistes féminines dans la production internationale. Depuis 12 ans, il les célèbre dans plusieurs villes de France, dont Strasbourg, Metz et Belfort pour le Grand Est et n’hésite pas à proposer des incursions aussi bien en Allemagne, en Belgique, en Suisse, et même en Espagne et en Angleterre, pour amorcer un véritable mouvement européen. Parmi les révélations de cette nouvelle édition, Miss Platnum, une artiste d’origine roumaine adulée en Allemagne qui à l’égal de Beth Ditto déverse des torrents de générosité, dans un style R’n’B d’inspiration balkanique, mais aussi Lonelady, une jeune mancunienne, signée sur Warp, qui accompagnée par Rob Ellis, batteur et producteur de PJ Harvey, et de Guy Fixsen, le clavier de Laïka, renoue avec une écriture after-punk minimale. Dans les deux cas, l’occasion de se familiariser dans des styles bien différents, avec deux artistes dont on devrait entendre fortement parler les prochains temps. D
LoneLady
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par sylvia dubost
focus La Cerisaie, mise en scène Julie Brochen Du 27 avril au 30 mai au TNS à Strasbourg www.tns.fr
En Tchekhovie Pour sa première création à la tête du Théâtre National de Strasbourg, Julie Brochen a choisi l’ultime pièce de Tchekhov, La Cerisaie, avec laquelle elle a une longue histoire…
Lectures préparatoires en présence de Jeanne Balibar
Les spectacles de Julie Brochen sont toujours des projets au long cours. Certains ont mûri pendant presque dix ans, « puis cela éclot, on ne sait jamais pourquoi, mais c’est inévitable ». Cette Cerisaie, elle commence à y penser il y a six ans, alors qu’elle prépare sa mise en scène de L’histoire vraie de La Périchole. Elle apprend que La Périchole triomphait à Paris exactement au moment où Tchekhov créait sa pièce à Moscou. Elle découvre aussi un enregistrement d’une chanteuse russe des années 20, qui rit aux éclats sur l’air de Lioubov, le personnage principal de La Cerisaie. Julie Brochen cherche alors à rapprocher ces deux pièces pourtant très éloignées, à « assombrir La Périchole » tout en cherchant la comédie dans La Cerisaie. « Tchekhov est souvent mal monté en France, avec une sorte de complaisance autour de la notion de l’ennui qui n’est pas du tout la même quand on la prend avec les Russes. Avec eux, ce n’est pas du tout doux, c’est très brutal, et très drôle. » D’ailleurs ce sont les Russes qui ont fait entrer Julie Brochen en « Tchekhovie », comme elle dit, deux comédiens du théâtre d’art de Moscou, Alexandre Kaliaguine et Anastasia Vertinskaïa, avec qui elle travaille plusieurs textes au Conservatoire.
L’auteur russe, lui file, encore aujourd’hui « une trouille bleue ». Elle s’y attaque une première fois en 2003, avec Oncle Vania et y revient pour sa pièce-testament, sans conteste la plus sombre et la plus drôlement cruelle. De retour dans la maison familiale après un exil à Paris, Lioubov, ruinée, doit envisager de vendre cette propriété qui donne sur la plus belle cerisaie de toute la région. Que faire alors des objets ? Comment trouver la force de partir ? Doit-on oublier pour avancer ? Pour sonder ces questions si intimes, Julie Brochen a fait appel à une équipe de compagnons fidèles : ceux qui font partie désormais de la troupe permanente du TNS, Jeanne Balibar, qui l’a suivi sur plusieurs projets, dont Oncle Vania… et cette cantatrice russe qui rit aux éclats. Elle sera très certainement là, quelque part, dans le spectacle. D
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par sylvia dubost
focus La photographie n’est pas l’art Jusqu’au 25 avril au Musée d’Art Moderne et Contemporain de Strasbourg www.musees-strasbourg.org
Inquiétante étrangeté L’exposition La photographie n’est pas l’art propose un parcours à travers la collection du mystérieux Sylvio Perlstein, où domine le surréalisme et l’étrange.
Exposer une collection est un exercice particulier. Ni exposition scientifique, ni thématique, ni monographique, elle doit en faire ressortir les lignes forces en s’appuyant avant tout sur la personnalité qui l’a constituée. Elle est d’autant plus intéressante qu’elle s’appuie sur une personnalité forte, qui va lui donner sa cohérence et son caractère unique, au delà du nombre de pièces et d’artistes remarquables. D’autant plus passionnante qu’elle est un acte amoureux… Des œuvres remarquables, la collection de Sylvio Perlstein n’en manque pas. Parmi les 200 photographies qu’il expose ici, les Surréalistes, et plus largement les photographes des années 20-30, dominent très nettement. Un bel ensemble de Man Ray, auquel le titre de l’exposition rend hommage en reprenant celui de son recueil publié en 1937, le Cœur de Pic de Claude Cahun, les poupées de Hans Bellmer, la série des Subversions de Paul Nougé… voisinent avec des œuvres plus récentes de Pierre Molinier, Gordon Matta-Clark, Vito Acconci, On Kawara, Joseph Kosuth, Nan Goldin… C’est l’étrange, le fantasmagorique, qui domine la collection de Perlstein, ce qu’il appelle « le beau bizarre ». « J’éprouve de la passion pour tout ce qui me dérange, m’intrigue, me gêne », explique-t-il. Une passion qui donne à sa collection une belle cohérence, soulignée par l’accrochage de Régis Durand et David Rosenberg. Plutôt qu’un classement chronologique, ils ont privilégié un parcours thématique, bien plus excitant puisqu’il met en relation des artistes travaillant à des époques différentes. Les sections « Corps », « Objets », « Espaces », « Mots », « Scènes », « Masques et visages » opèrent ainsi des rapprochements surprenants entre François Kollar et Maurizio Cattelan, Bernd et Hilla Becher et Andy Warhol, Man Ray et Candida Höfer, Adel Abdessemed et Robert Frank… Éclairage subjectif sur l’histoire de la photographie des XXe et XXI e siècle, l’exposition dessine aussi le portrait d’un collectionneur à travers ses affinités électives. Car de Sylvio Perlstein, on ne sait finalement pas grand chose… Bijoutier et diamantaire né au Brésil et installé à Anvers, il cultive la discrétion sur sa vie et sa collection, qui compterait un millier d’œuvres dont 500 photographies. Avec La photographie n’est pas l’art, il révèle pourtant le plus intime… D Paul Nougé, La Subversion des Images, 1929-1930 6 épreuves argentiques, 8,5 x 6,3 cm chaque © ADAGP, Paris, 2009
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par nicolas querci
par nicolas querci photo : klaus stöber
Par l’opération du Saint-Esprit, une exposition de Christian Zeimert, du 19 mars au 3 avril à la Chaufferie, à Strasbourg 03 69 06 37 78 – www.esad-stg.org
En présence, exposition jusqu’au 16 mai au CEAAC, à Strasbourg 03 88 25 69 70 – www.ceaac.org
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Au nom du Rire, du Lard et du Calembour Peintre de l’humour noir, peintre « calembourgeois », peintre Panique, libertaire, anarchiste, satiriste, ironiste, Christian Zeimert fait partie de cette bande de joyeux drilles qui a émergé dans le sillage de Topor au début des années 60, sans autre mot ordre que l’éclatement des conventions, au moyen du rire, de la dérision, du jeu et de la provocation. À rebours des fats qui prennent leur art très au sérieux et qui se voient comme des êtres surnaturels, Christian Zeimert oppose une œuvre autodérisoire consciente de sa futilité et de son ridicule. Ses toiles sont des œuvres de l’esprit au sens noble du terme et jouent sur la polysémie des titres, qu’il s’amuse à prendre au pied de la lettre : dans Nicolas Poussin et ses frères, il met littéralement en scène… un poussin et ses frères poussins en train de picorer la terre, un ver et des tubes de peinture. Toutefois il ne se contente pas de faire le pitre ou de filer des bons mots (on peut également l’entendre digresser sur France Culture, dans l’émission Des Papous dans la tête), auquel cas il ne serait qu’un amuseur. Christian Zeimert est avant tout un peintre doté d’une technique impressionnante qui fait de lui un dessinateur et un coloriste hors pair. C’est encore quelqu’un qui a énormément appris (notamment auprès de Gromaire), qui a étudié les maîtres et qui possède une connaissance intime de l’histoire de l’art lui permettant de parodier les tableaux les plus connus – et de rendre hommage, d’un clin d’œil, à tous ceux qui l’ont précédé. D
Microfictions L’exposition du CEAAC propose une réflexion sur la construction de la mémoire collective, comme pour souligner que la mémoire et le souvenir ne sont pas des choses que l’on impose, que l’on décide, que l’on décrète, mais qui agissent par accumulation d’événements invisibles que le travail des artistes tente de révéler et de fixer. Tacita Dean s’intéresse au processus de maturation du fruit en filmant deux poires coincées dans deux bouteilles d’eau-de-vie, créant une nature morte en mouvement où seul le changement de lumière indique le passage du temps. L’Allemand Wolf von Kries présente une suite de quinze séquences filmées d’événements apparemment sans importance et sans lien entre eux, pour former une sorte d’archive personnelle, poétique et méditative. La photographie de Becky Beasley qui ouvre l’exposition représente une étagère en construction, montrant ainsi ce qui d’ordinaire sert à montrer. La pièce du Belge Leon Vranken explore la même voie en offrant au regard une vitrine de musée, vide, entaillée en plusieurs endroits, fragile, où seuls l’air, la lumière, la poussière pénètrent. Privée de son contenu, la vitrine devient un objet en soi, encombrant, inutile. Les installations de Katinka Bock et de Dan Peterman élargissent la notion d’archive, en additionnant pour l’une les branches d’arbres laissées par une tempête, pour l’autre les matières plastiques correspondant à la consommation annuelle de 57 Américains. Autant de façons de souligner que la mémoire est un processus lent, inconscient, irréversible, dans lequel chaque seconde occupe un rôle unique, décisif, et contient sa part d’éternité. D
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par sylvia dubost photo : klaus stöber
par emmanuel abela
L’art est un jeu. Tant pis pour celui qui s’en fait un devoir Jusqu’au 16 mai au Frac Alsace à Sélestat http://frac.culture-alsace.org
Le festival des Artefacts, du 16 au 18 avril au Zénith de Strasbourg, et du 21 au 24 avril à La Laiterie The Stooges, le 16 avril au Zénith de Strasbourg (avec Brian Jonestown Massacre, Eiffel, Yuksek, Bloody Beetroots Death Crew 77 et Crookers). 03 88 237 237 – www.festival.artefact.org
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Youpi ! L’art est un jeu, pour Olivier Grasser. Le directeur du Frac Alsace compose, à partir des œuvres de sa collection, une exposition joyeuse. Et ça fait du bien ! « L’art est un jeu. Tant pis pour celui qui s’en fait un devoir », clame haut et fort le Frac Alsace, empruntant sa verve à Max Jacob (Conseils à un jeune poète, 1945). Certes, l’art est une affaire sérieuse, mais pas seulement. L’exposition du Frac rappelle qu’une œuvre ne provoque pas seulement la réflexion, mais aussi l’étonnement, l’émerveillement, l’amusement, la rêverie… bref, le plaisir. Un plaisir multiple : en s’appuyant sur sa riche collection, le Frac peut se permettre une exposition pléthorique, regroupant quelque 25 artistes. Pascal Bernier déploie, dans sa vidéo Flowers Serial Killer, des trésors d’imagination pour massacrer des fleurs innocentes, en gros plan et sur une bande son digne des meilleures séries Z des années 80. Didier Courbot installe des nichoirs dans Paris, le Lituanien Deimantas Narkevicius remonte à l’envers des images du déboulonnage de la statue de Lénine, Peter Rösel a « sculpté » des plantes d’appartement à partir d’uniformes militaires… Des œuvres poétiques, politiques, des expérimentations graves ou légères, qui ont pour point commun de jouer avec le langage, la forme, le spectateur… L’art est un jeu prend ainsi le contrepied de toute une série d’expositions qui, ces derniers temps, et sans doute face à cette fameuse crise, se sont enfoncées dans une austérité certaine, financière (souvent forcée), intellectuelle et formelle. Car n’en déplaise aux pisse-froid, l’art doit aussi être un plaisir. D
Still no fun ! Il est des groupes qui conservent au fond d’eux-mêmes toute la charge fantasmatique qui découle de leur histoire propre. Il est étonnant aujourd’hui de constater l’unanimité qui se fait autour des Stooges, groupe longtemps méconnu, voire déprécié, alors qu’il paraît évident aujourd’hui qu’il représente l’irrévérence même, associée paradoxalement à une forme d’élégance extrême. On se souvient d’Elli Medeiros, interrogée dans Best au début des années 80 sur la notion de provocation : photographiée en marinière, elle faisait un doigt d’honneur et répondait « les Stooges. » À un moment où les punks étaient passés, la mesure étalon de la provocation restait tout de même le célèbre groupe de Detroit formé par Iggy Pop et les frères Asheton, Ron et Scott. Alors, on a beau se poser la question de savoir ce qu’on cherche chez les Stooges aujourd’hui sur scène, ceci dit un peu comme pour un concert du Velvet Underground à la Meinau il y a quelques années, de Lou Reed au Palais des Fêtes, de Neil Young à la Foire aux Vins ou de Bob Dylan au Zénith ! On sait que la réponse, dans cet étrange saut dans l’espacetemps, se situe quelque part dans notre propre quête de nous mêmes : le temps passe, l’ami Osterberg ne vieillit pas ; le temps passe, et nous ne souhaitons pas vieillir non plus. Ainsi, nous participons à chacun de ses sauts de cabrit sur scène comme si nous sautions nous-mêmes. À chacun de ses cris, résonne en écho notre propre cri. Comme lui, nous aimerions être son chien à elle. Comme lui, nous nous aspergeons le torse de beurre de cacahuète, en proclamant : No fun, my babe no fun Feeling that same old way No fun to hang around Freaked out for another day. Comme lui, nous ressentons l’urgence de vivre. De vivre et de transmettre. D
Peter Rösel, Yucca, 1997 Uniformes de policiers allemands cousus, pot en plastique, carton
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par nicolas querci photo : stéphane lempereur
par nicolas querci photo : anémone du roy de blicquy
La Maladie de la mort, du 27 au 29 avril au Taps Gare, à Strasbourg 03 88 34 10 36
Les giboulées de la marionnette, du 19 au 27 mars au TJP et autres lieux à Strasbourg et dans la CUS 03 88 35 70 10 – www.theatre-jeune-public.com
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Les âmes mortes Un homme paye une prostituée pour qu’elle passe plusieurs nuits avec lui (« Peut-être pendant plusieurs semaines. / Peut-être même pendant toute [votre] vie. »), nue, allongée dans un lit. Il lui impose silence et soumission. Il dit vouloir essayer d’aimer. Il voudrait apprendre. Il la regarde dormir, il la touche, il dormira, il pleurera contre elle. Ils se parlent peu. Il s’apitoie sur lui-même. Elle lui apprend qu’il est atteint de la maladie de la mort. Elle lui apprend que c’est une maladie incurable. Il pleure encore plus. Il n’aime pas. Il est forcé d’admettre qu’il n’aime pas. Peut-être qu’il ne s’adresse pas à la bonne personne. Elle prend le contrôle. Un jour elle ne revient plus. Sandrine Gironde, directrice de la compagnie L’Escalier (Nancy), adapte à la scène le court roman de Marguerite Duras, paru en 1982. Au lieu d’un narrateur unique elle choisit d’opposer un homme et une femme sans jamais établir de dialogue (le texte n’en prévoit pas : « Elle demande… » « Vous dites… » « Elle sourit… » « Vous lui demandez … »). Dans une mise en scène minimaliste comme l’était l’écriture de Duras, c’est la voix des acteurs, traitée, amplifiée, qui est chargée de rendre palpable le mystère et la tension de cette rencontre désespérée, habillée par la composition sonore de Jean-Marc Weber. Les personnages, eux, ne sont déjà plus que des ombres qui se frôlent quand elles devraient s’enlacer, comme tous ceux qui passent leurs nuits à chercher l’âme sœur sur Internet. D
Les ficelles du métier Pour cette 21e édition, Les giboulées de la marionnette accueillent une vingtaine de compagnies venant de toute l’Europe, et font plus que jamais la part belle à un théâtre exigeant. Exigeant du point de vue artistique, avec des mises en scène belles à couper le souffle. Exigeant du point de vue technique, avec des mécanismes toujours plus habiles. Exigeant du point de vue du discours, avec des textes forts et des thématiques pointues, illustrant la volonté des organisateurs de proposer des spectacles « engagés ». Il est ainsi question de guerre, d’Histoire, d’identité, de femmes, d’environnement, du travail des enfants, de l’amour et de la mort. La marionnette se prête idéalement à toutes ces formes de récits parce qu’elle symbolise le destin de l’homme, jouet de puissances qu’il ne contrôle pas, et qu’elle permet de simplifier les rapports qui unissent tous ces courants contraires. Les spectacles proposés s’adressent aux enfants, certains aux tout petits (Grand-père, du Théâtre des Marionnettes de Genève, Ernest et Célestine, du Figurentheater Margrit Gysin), d’autres aux adolescents (Avec des Ailes immenses, du Figuren Theater Tübingen, Histoires de crevettes, de la compagnie Hotel Modern), sans jamais sacrifier le fond au plaisir, à l’étrange, au rêve, au fantastique, à la féérie. Les plus endurants pourront assister à l’intégrale de la Petite Odyssée, qui regroupe les trois épisodes des aventures de Bernie et Odyssée (Trois Odyssée… à demain), signées Grégoire Callies, directeur du TJP : trois heures de spectacle qui prouvent que l’on peut tout dire aux enfants. D
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par emmanuel abela
par emmanuel abela
Micky Green, en concert le 29 avril au Noumatrouff, à Mulhouse www.noumatrouff.fr
Soirée Herzfeld (avec Roméo et Sarah, Electric Electric, T., Herzfeld Orchestra), le 25 mars à La Filature à Mulhouse 03 89 36 28 28 – www.lafilature.org
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Micky Micky Micky Le printemps d’Herzfeld Pour Micky Green, c’est l’instant de confirmation, sur disque, mais aussi sur scène. Une artiste est née, elle est là pour durer. La preuve lors de son concert au Noumatrouff. Contre toute attente, Micky Green manifeste un véritable esprit de contestation. Sans doute, en réaction à un environnement familial protecteur qui semblait lui imposer une voie toute tracée. Le sport tout d’abord – elle a failli participer aux Jeux Olympiques en water polo –, le mannequinat ensuite, chez Kenzo, Comme des Garçons, Vanessa Bruno ou Jean-Charles de Castelbaljac, ne la révèlent que partiellement. Tout au plus, ces activités la conduisent-elles à Paris, une ville parfaite pour l’esprit, selon elle. Elle se cultive et découvre la volonté de s’exposer davantage et surtout différemment. On connaît la suite : elle soumet au producteur Renaud Letang les démos qui alimenteront White T-Shirt, un premier album frais, mais maîtrisé, qui contient quelques vraies réussites mélodiques. Loin du simple passe-temps et d’un one-shot pour jeune fille capricieuse, cet enregistrement a valu à notre belle Australienne un succès qui dépassait le cadre de l’effet purement trendy. Nous sommes en présence d’une réelle songwriter, dont l’écriture a été nourrie très tôt par une pratique du chant à l’église et de la batterie à l’école, ce que confirme la sortie récente d’un deuxième album, au moins au niveau du premier, peut-être même au-dessus, dans la mesure où il affirme encore plus la diversité d’approche de la jeune femme, décidément douée. Il est évident que sur scène, l’image très sexy, un brin distante, voire gentiment insolente, de ce joli brin de fille, rajoute au plaisir global de l’instant. D
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Chez Herzfeld, le label alsacien, ce qui importe c’est la dimension collective de l’aventure. Une soirée organisée à La Filature nous invite à rejoindre ce club très ouvert. Herzfeld, c’est plus qu’un label, c’est une vraie famille de musiciens, pour la plupart alsaciens, qui s’est réunie sur la base de désirs communs. Pour avoir tous vécu des expériences artistiques fructueuses, ils ont décidé de créer un concept exigeant, mais positionnant, dans lequel ils se reconnaissent tous. L’idée est simple : unité de son, unité visuelle, unité de packaging. Les talents se fondent dans cette identité commune, comme ce fut le cas dans les années 80 avec les expériences remarquables menées par les labels Factory, 4AD ou Creation. Du coup, chacun apporte sa contribution, à égal des autres membres de cette communauté d’artistes qui ne dit pas son nom – à l’image des expériences menées par les Dada, Cobra ou Fluxus – ; ainsi, le photographe, le vidéaste, le producteur ont leur importance au même titre que les musiciens ou le producteur eux-mêmes. Dans des styles différents, folk, pop ou arty, ces artistes interchangeables – le chanteur d’un groupe devient le batteur d’un autre, etc. – s’appuient sur l’expression d’une aventure intimement collective à laquelle il est possible d’adhérer, en rejoignant le Club Herzeld : pour la somme de 39,99 €, les abonnés semestriels se voient offrir 6 disques et des cadeaux exclusifs. Par ailleurs, Roméo et Sarah, Electric Electric – de retour d’Austin, aux Etats-Unis –, T. et l’Herzfeld Orchestra au grand complet se produiront sur la scène de la Filature, avec pour vocation de célébrer le nouveau printemps du label. D
par adeline pasteur
par adeline pasteur
André Jacquemin (1904 – 1992), la Lorraine trait pour trait, jusqu’au 24 avril, au Musée départemental d’art ancien et contemporain à Épinal. 03.29.82.20.33
Connivences, exposition jusqu’au 2 mai, au Musée de l’Image d’Epinal 03 29 81 48 30 – www.epinal.fr
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Trait pour trait
Complicité inattendue
Le Musée départemental d’art ancien et contemporain d’Epinal accueille les œuvres de l’un des plus éminents artistes lorrains : André Jacquemin. L’homme s’est illustré au cours du XXe siècle comme l’un des acteurs du renouveau de la gravure française, ce qui lui a valu les titres de membre de l’Institut et président de l’Académie des Beaux-Arts.
Le Musée de l’Image d’Epinal ouvre l’exposition Connivences et marie les œuvres, les styles et les époques avec habileté, en créant une complicité insoupçonnée entre les artistes. L’occasion d’admirer les pièces de la collection sous un autre jour, mais aussi de découvrir des talents contemporains.
André Jacquemin a démontré un appétit immodéré pour les « instants de vie », scènes du quotidien ou paysages familiers, qu’il a croqués dans quelque 6000 dessins et 1500 gravures. Amateur de la pointe sèche, l’artiste s’est aussi révélé dans la maîtrise de l’eau-forte et du burin, ce qui lui valut d’illustrer des ouvrages de Colette, Montherlant, Gide, Malraux, et de son compatriote Barrès. L’exposition spinalienne a pour originalité de proposer une facette peu exploitée de son œuvre : le lien avec sa terre d’origine. L’artiste s’est en effet largement inspiré de la campagne lorraine et de cette atmosphère si particulière liée au climat changeant des Vosges, qu’il traduit en noirs veloutés et pluie de traits. Les amateurs se délecteront de scènes pittoresques prises sur le vif à Epinal, de natures mortes de gibier ou encore de paysages si typiques de la plaine lorraine. L’exposition s’attarde également sur le parcours de l’artiste, qui a été conservateur au Musée départemental des Vosges, entre 1943 et 1974. D
« Connivence », littéralement, signifie « complicité » ou « entente secrète ». Un mot très justement choisi, puisque le Musée de l’Image entretient, depuis plusieurs années, cette « complicité secrète » entre les images populaires qu’il conserve et les œuvres de divers artistes contemporains. Les supports changent, les époques aussi, mais sur un même thème et avec une même inspiration, les ouvrages, si différents au premier regard, trouvent un terreau commun. Ainsi, Dorothée Selz, émue par les images de poupées mannequins, souvenirs lointains de son enfance qu’elle avait achetées dans une brocante, a-t-elle voulu surajouter son propre regard à l’image ; de même que Jochen Gerner qui, en peignant sur les images de l’épopée napoléonienne, refait ses propres voyages, gommant et recréant des champs de bataille ou des pérégrinations. La connivence se fait aussi dans le choix des thématiques : Clark et Pougnaud photographient leur Petit Poucet ; Jacqueline Salmon ou Jean-Pierre Bos, quant à eux, photographient les soldats ou la sainte Bernadette, que les images ont également reproduit Des connivences surprenantes, qui ont l’avantage de lier passé et présent, pour une exposition riche en références. D
André Jacquemin, Isabelle, 1964, collection particulière © cliché Joëlle Laurençon © ADAGP, Paris, 2010.
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par emmanuel abela
par philippe schweyer
Henri Rousseau, jusqu’au 9 mai, à la Fondation Beyeler, à Bâle +41 (0)61 645 97 00 – www.beyeler.com
Bitmap de Martina Gmür, jusqu’au 11 avril au Forum de l’Hôtel de ville à Saint-Louis (68)
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La force de l’intuition Henri Rousseau (1844-1910), le Douanier, reste un cas à part dans l’Histoire de l’art : ne relevant ni de la tradition, ni des avant-gardes, il se situe comme un autodidacte intuitif, qui ne se base sur aucune culture, ni pratique, pour composer l’une des œuvres les plus originales qui soit. Longtemps méconnu, l’ancêtre des peintres naïfs s’est imposé dans les salons parisiens. Les poètes tout d’abord, comme Apollinaire, puis les peintres comme Picasso, Léger, Delaunay et Kandinsky ont contribué à la notoriété de ses toiles, Rousseau entrant en contact, les toutes dernières années de sa vie, avec l’avant-garde. Les différences avec ses nouveaux amis – son âge, le milieu et la culture – ont également façonné sa légende. Cent ans après la mort du peintre, la Fondation Beyeler regroupe une quarantaine de ses œuvres – des portraits singuliers, des images de villes et des paysages français – en provenance des musées et collections particulières d’Europe et d’Amérique, parmi lesquels la National Gallery, London, le Solomon R. Guggenheim Museum, New York, et le State Hermitage Museum, St. Petersburg. Toutes ces toiles restituent la part de mystère qui réside dans son imagination débordante. En témoigne l’important groupe des célèbres tableaux de jungle, un ensemble pour lequel Rousseau a laissé livre cours à toutes les fantaisies plastiques, pour la création d’univers exotiques et poétiques, à la limite de l’onirisme. Un ensemble qui a ouvert les portes de la perception à bon nombre d’artistes fascinés, aussi bien cubistes que surréalistes. D
Un soir de carnaval, 1886 Huile sur toile, 117,3 x 89,5 cm Philadelphia Museum of Art, The Louis E. Stern Collection, 1963 © Graydon Wood
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Du 20 avril au 3 juillet à la galerie Stampa à Bâle www.stampa-galerie.ch
Enigmes lumineuses La jeune artiste suisse Martina Gmür a réalisé une pièce lumineuse pour l’hôtel de ville de Saint-Louis en attendant sa prochaine exposition chez Stampa à Bâle. Au centre du forum de l’hôtel de ville de Saint-Louis, le spectateur est plongé dans la pénombre face aux lumières d’une ville inconnue. L’artiste a imaginé un dispositif qui ne cache rien tout en laissant le spectateur libre d’imaginer ce qu’il veut. Martina a-t-elle percé les trous au hasard pour figurer une ville imaginaire ? S’agit-il d’une vue de New York, Bâle ou Tokyo ? Quand on lui pose la question, elle explique qu’elle a projeté différentes images nocturnes d’Abidjan, capital économique de la Côte d’Ivoire, un pays qui lui est cher, sur les panneaux qu’elle a ensuite percés pour redonner vie à ces vues figées. Elle avait déjà sculpté ainsi un beau tigre tacheté, mais c’est la première fois qu’elle utilise cette technique à aussi grande échelle. Comme dans ses peintures, ce qui frappe, c’est le sentiment d’inachèvement. Martina Gmür a l’art de laisser les choses en suspens. Ne pas trop en dire est sa manière de débrider nos imaginations. Une fois dans la pénombre, Abidjan apparaît et on redécouvre le miracle de la lumière avec un plaisir enfantin. Tout autour de la pièce, Martina a accroché des peintures de petits formats. Là aussi, elle suggère avec délicatesse. En arrêt devant une femme allongée, on imagine le début d’une histoire. Ses personnages sont passifs, comme en apesanteur, pas forcément résignés, mais dans l’attente. Malgré la fraicheur et la simplicité des procédés employés, derrière chacune de ces énigmes se cache peut-être une histoire plus sombre, plus complexe. Comme derrière chaque lumière d’Abidjan, nous échappe un monde inconnu. D
par philippe schweyer photo : bouto par boris boris
focus Festival Impetus (concerts, projections, arts numériques, danse et conférence sur l’histoire du metal), du 15 au 20 avril à Lausanne, Montbéliard, Belfort et Héricourt. www.impetusfestival.com Collectif Burtstscratch feat Bouto le 17 avril à 18h au CCN de Franche-Comté à Belfort (gratuit). www.cineastes.net/st/burstscratch.html + www.labandeadhesive.com
Divergences franco-suisses Pourquoi Impetus ? La réponse saute aux yeux sur le versant suisse du site Internet de ce nouveau festival qui entend redonner des couleurs au printemps : « Parce que la scène rock underground est chaude comme une baraque à frites ! ».
1 ~ Premier son entendu ? Il fut moins grave que les suivants. 2 ~ Premier son capté ? La voix de Mme Stupa m’ordonnant de travailler dans le noir pour oublier le clavier du piano. 3 ~ Premier scratch ? Sur mes Stan Smith modèle 2. À l’origine d’Impetus, festival franco-suisse de « cultures et musiques divergentes », il y a l’association Impetus à Lausanne, Le Moloco (Espace musiques actuelles du Pays de Montbéliard qui ouvrira en 2011) et la Poudrière de Belfort, rejoints par de nombreux partenaires (l’allan, l’Espace Gantner…). Centré autour du metal, de la noise, du hardcore et de leurs dérivés (Eyehategod, Jarboe, Lords Of Altamont, A Silver Mt Zion, Punish Yourself, Agnostic Front, Jeremy Wade, Kylesa, M.O.P.A, Sludge feat Oktopus…), la programmation s’ouvre aussi aux musiques bruitistes, à la danse contemporaine et au cinéma expérimental. Ainsi, la performance de Zbigniew Karkowski vs Julien Ottavi ou notre coup de cœur, Le Point aveugle, un ciné-concert expérimental du collectif Burstscratch (Silvi Simon, Laurence Barbier et Laurent Berger). Ces adeptes du 16 mm qui se plaisent à varier les plaisirs lors de leurs performances (changements de focales, superpositions, répétitions de séquences, masquages partiels, ajouts de filtres colorés ou d’objets transparents) sont désormais accompagnés par le génial “trafiquant de sons” Bouto, lequel a bien voulu répondre à nos questions par SMS depuis le mystérieux studio où il s’enferme pour bidouiller le prochain enregistrement de Suboko. D
4 ~ Première source d’inspiration ? Les séracs, les crevasses et le bon air de la Vallée Blanche, derrière les Aiguilles de Chamonix : je voulais devenir guide de haute montagne. 5 ~ Première rencontre avec le collectif Burstscratch ? En octobre 2009. 6 ~ Ce qui vous rapproche ? L’âge et le bricolage. 7 ~ Ce qui vous sépare ? Les praticables sur lesquels nous posons nos appareils. 8 ~ Ce que tu n’as jamais osé leur dire ? Mes notes au bac français. 9 ~ Le film que tu aimerais les voir brûler sur scène ? Celui dont la combustion assainit l’atmosphère. 10 ~ Le son que tu rêves de triturer pour les épater ? Celui de la première pomme croquée. 11 ~ Si je te dis «cultures et musiques divergentes» à quoi tu penses ? A un chant de lentilles un peu louche. 12 ~ Ton coup de cœur dans la programmation du festival Impetus ? Tarkovski... mais je le kroyais disparu en 1986 ?!
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par adeline pasteur
par caroline châtelet photo : andré morin
Laurent Sfar, L’hypothèse contrastive, exposition jusqu’au 25 avril, à la Galerie du Granit et à la Bibliothèque Universitaire à Belfort.
Hier aujourd’hui demain / Aujourd’hui demain hier / Demain hier aujourd’hui, Armando Andrade Tudela, jusqu’au 16 mai, au frac bourgogne, Dijon 03 80 67 18 18 - www.frac-bourgogne.org
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La perturbation de l’ordinaire
Combinaisons minimalistes
Laurent Sfar s’installe dans la galerie du Granit, pour une expérience déroutante, poétique et insolite, qui bouscule les références communes, à l’image de l’ensemble de ses œuvres.
Investissant le FRAC Bourgogne avec ses sculptures épurées, Armando Andrade Tudela réinvente les trajectoires de circulation entre les œuvres.
Laurent Sfar a fait son entrée sur la scène artistique au milieu des années 1990. D’emblée, ses œuvres se sont distinguées par leur caractère à la fois polémique et intrigant. L’artiste se plaît à perturber l’ordinaire, le quotidien, invitant ainsi le public à s’interroger sur la nature même du geste artistique. Féru de l’espace urbain, qu’il réaménage avec des dispositifs parfois très sophistiqués, il trouve en la galerie du Granit sa « matrice à expériences poétiques », d’après les mots de Paul Ardenne. Partant de la configuration de la Galerie, l’artiste a élaboré différentes propositions qui s’imbriquent, se répondent, s’interfèrent, fidèles à l’esprit de jeu, aux stratégies de détournement et aux gestes perturbateurs qui caractérisent nombre de ses créations. « À un mur près, le Granit deviendrait un théâtre à ciel ouvert, confie t-il. La Galerie est placée en sandwich, adossée à un espace clos, celui du théâtre, dont elle forme l’antichambre d’un côté, et de l’autre ouverte sur la ville par une baie vitrée ; elle détermine ainsi une zone de frictions entre deux champs qui me sont chers, l’espace urbain et celui des mots. » L’exposition se prolonge à la Bibliothèque Universitaire de Belfort où Laurent Sfar présente des livres d’artistes et le film Supermâché, aire de pique-nique : un déjeuner sur l’herbe où des sangliers, robustes et indélicats, s’empiffrent de purée, pommes et poulets, éloquente mise en correspondance du sauvage et du civilisé. D
Lorsqu’on entre dans la salle d’exposition, la première chose qui s’offre – s’impose – à la vue sont des parois. Isolées, sans lien aux murs ni au plafond et situées chacune à une extrémité de la salle, ces cloisons structurent la circulation. Cachant les œuvres à notre regard, elles nous contraignent, nous invitant à contourner et à user de trajectoires autres pour appréhender le travail exposé. On saisit ainsi rapidement que l’artiste péruvien, qui présente ici sa première exposition personnelle en France, déploie une interrogation et une exploration de l’espace. Matériaux pauvres et rudimentaires (bois, béton, verre), formes géométriques et structures brutes servent de base à ses sculptures. Des pièces minimalistes, qui conjuguent et déclinent en elles-mêmes leur propre vocabulaire, à l’image du titre de l’exposition combinant ses modules. Ainsi de la pièce constituée de quatre plaques de verre adossées à un mur, et qui, superposées les unes aux autres, semblent de dimensions similaires. Mais seule celle située à la surface est totalement rectangulaire, les autres « creusant » par des coupes géométriques la forme du rectangle prédéfini. Rouges teintées, elles réfléchissent la salle, son éclairage et les sculptures environnantes, offrant par là une étonnante diffraction du regard jeté sur l’ensemble du lieu... D
Vue de l’exposition présentée au Frac Bourgogne Armando Tudela
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par françoise abela-keller et emmanuel abela
focus Josh T. Pearson, en concert le 28 avril, à la Vapeur à Dijon (avec Zombie Zombie, Chain and The Gang, Errors) dans le cadre du festival Kill Your Pop #7 www.myspace.com/joshtpearson
Kill Your Pop #7, 30 artistes en concert du 28 avril au 2 mai, à la Vapeur et à l’atheneum à Dijon www.myspace.com/sabotagecrew
La quête d’une destination Certains s’en souviennent : Josh T. Pearson faisait partie d’un groupe texan, Lift To Experience au début des années 2000. Depuis, il tourne en solo, mais avec une force d’évocation demeurée intacte. Il sera à l’affiche de la 7ème édition du festival Kill Your Pop organisé par l’association Sabotage.
Vous êtes vous-même fils de pasteur, vos chansons demeurent empruntes d’une certaine religiosité. Oui, absolument. Elles correspondent à une forme de quête : la quête d’une destination ou d’un espace où vivre. Elles évoquent cette manière de chercher et de trouver, mais surtout de chercher. Votre première expérience musicale, vous la vivez à l’église, lors des célébrations. Oui, le fait de chanter dans un chœur continue d’avoir une influence sur ma manière d’appréhender la musique. Ça le reste pour le gospel, qui est décidément une musique incroyable. Je n’ai découvert le rock’n’roll qu’à 14 ans. Quels étaient les premiers groupes rock que vous découvriez adolescent ? Ma première K7, c’était U2, Under A Blood Red Sky, The Cure, la compilation Standing On The Beach et les Smiths. C’est drôle, mais ce sont des groupes anglais et irlandais… Oui, je n’ai découvert le rock américain que dans un second temps. Là, j’écoutais tout ce qui pouvait sonner très américain, les Butthole Surfers, par exemple.
Qu’en est-il de David Eugene Edwards, des Sixteen Horsepower et de Woven Hand ? Les Sixteen Horsepower faisaient partie de mes groupes préférés. Il y a quelque chose qui me séduit chez David Eugene, c’est cette manière d’accorder de l’importance à chaque note. De même, chaque son a une importance particulière pour moi ; il n’y a donc rien d’expérimental dans ce que je peux faire. Ce que je cherche, c’est de conduire le public à se transcender par l’esprit. Avez-vous le sentiment d’une dimension prophétique de certaines de vos chansons ? J’aimerais qu’elles le soient, pas forcément dans l’instant. Je souhaiterais que les choses se produisent dans le futur, mais à un niveau très personnel. Dans ce sens, tous les bons artistes adoptent cette approche prophétique. Vous avez dit qu’à 19 ans Dieu avait quitté votre corps physiquement, mais que la seule manière de le retrouver, c’était la musique... Je ne me suis plus posé la question depuis longtemps… Ce que je sais c’est qu’il faisait partie de mes besoins intérieurs et qu’à l’époque je suis retrouvé prostré durant des mois. Quand j’ai fini par admettre qu’il ne se passerait rien, j’ai commencé à jouer de la guitare. Je ne sais pas pourquoi, mais j’aimerais penser qu’il m’a poussé à le faire… D
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par caroline châtelet photo : joséphine declerck
focus Babelgique, 5ème édition des Cyclopédies, du 22 au 28 mars, à Dijon 06 58 46 79 50 - www.babelgique.com
À l’épreuve de la réalité Babelgique, cinquième édition des Cyclopédies, ouvre sa programmation aux voisines Flandres. L’occasion de faire résonner tous les langages artistiques de la Belgique dans Dijon.
C ’est une drôle d’affaire que ces Cyclopédies... Festival pluridisciplinaire biennal, organisé par les étudiants en formation aux métiers de la culture à l’IUP Denis Diderot, les Cyclopédies pourraient tout autant être le contre-exemple en matière de projets culturels. Cela par leur fonctionnement même, la réalisation de l’événement étant confiée à une équipe sans cesse renouvelée, peu consciente des problématiques culturelles et des nécessités à l’œuvre sur le territoire – car les découvrant parallèlement à la construction du projet. Le risque serait, alors, celui d’un festival trop peu ambitieux, à la programmation établie dans l’urgence faute de temps et remplissant les cases prédéfinies par les éditions précédentes. Un projet vite emballé, aux antipodes de la « réflexion mûrie » prônée par l’institut qui les initie. Voilà les Cyclopédies, « version pire »... Mais peut-être faut-il y voir plutôt un formidable champ d’expérimentation pour des personnes destinées à œuvrer dans le secteur artistique. Soit, une chance unique de mêler dans un aller et retour concret la théorie à la pratique. Les Cyclopédies seraient, alors, le lieu possible de l’alliance entre des réflexions sur les politiques culturelles et de leurs applications sur le terrain. En s’y coltinant, les équipes éprouvent la réalité d’élaboration d’un festival, travaillent en réseau avec les partenaires culturels dijonnais et mobilisent la population autour d’un festival volontairement pluridisciplinaire, incitation à la découverte d’autres cultures. Un espace de liberté – un luxe diront certains – vital, d’autant plus à l’heure où les coupes budgétaires drastiques induisent une réduction des prises de risque, pourtant nécessaires à la création artistique...
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D’autant que, au final, c’est bien chaque édition qui prouvera la capacité de l’équipe à s’adapter aux contraintes du projet. Une ambition portée haut et fort par les Cyclophiles, cinquièmes du genre, à travers une programmation dédiée à la Belgique et faisant la part belle à la pluralité des langages artistiques développés. Car au-delà du cliché de plat-pays et de ses célébrités pédophiles, la Belgique véhicule une création foisonnante : bande-dessinée, clown, cinéma, poésie, spectacle vivant, musique etc., la scène belge contemporaine n’a rien à envier à ses voisins français. De ces découvertes, qu’il convient à chacun de réaliser soi-même, on vous parlera de l’installation de l’artiste Gaëlle Leenhardt. Exposée avec d’autres étudiants de l’école des arts visuels La Cambre à la Ferronnerie, Leenhardt interroge dans son travail les canons de la féminité. Une drôle de chose que ses sculptures-costumes reprenant des statuettes préhistoriques connues, de la Vénus de Willendorf à la Vénus de Lespugue ou à la Vénus de Savignano. Portées lors de performances, ces figures d’un autre temps nous renvoient au corps féminin, en tant qu’objet de représentation historique et sociale. Un travail étonnant, à découvrir parmi d’autres, avant de clôturer le festival par un repas belge, joli pied de nez au chauvinisme culinaire bourguignon. D
par rosa lopez-oros photo : vincent arbelet
par caroline châtelet photo : gilles abegg
Casimir et Caroline, du 21 au 30 avril Théâtre Dijon Bourgogne, Parvis Saint-Jean 03 80 30 12 12 – www.tdb-cdn.com
L’Amour des trois oranges, les 5, 7, 9 et 11 mai, Auditorium, à l’Opéra Dijon 03.80.48.82.82 – www.opera-dijon.fr
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New way of party Leyla-Claire Rabih adapte au Théâtre Dijon Bourgogne Casimir et Caroline, le vernis folklorique disparaissant pour mieux laisser apparaître une société déchirée entre fête et crise. Caroline sort avec Casimir. Mais Casimir a perdu son travail, il n’a pas envie de s’amuser. Ils se disputent. Casimir part et Duréal en profite pour aborder Caroline. Ça tombe bien, Caroline veut faire du karaoké. Casimir revient, ne comprend pas la froideur soudaine de Caroline. Le fossé entre eux se creuse au fil de la soirée, jusqu’à leur rupture définitive... De la pièce d’Ödön von Horváth écrite en 1937 et se déroulant initialement à la fête de la bière à Munich, la metteur en scène Leyla-Claire Rabih et Marianne Costa tirent une actualisation décapante. L’arrivée dans le domaine public en 2009 du texte – et qui nous vaut de multiples mises en scène, de celle d’Emmanuel Demarcy-Mota à la version de Johan Simons et Paul Koek –, leur permet, en effet, de proposer une traduction de la première version de la pièce, à ce jour jamais publiée en français. Convaincue de la nécessité d’un « théâtre pour ici et maintenant », LeylaClaire Rabih transpose l’action dans une réalité contemporaine directe. La fin des illusions à laquelle sont confrontés les personnages demeure centrale, mais elle se révèle ici par l’accentuation de l’effet de réel au sein de la fiction. Leurs préoccupations sur la nécessité de l’ascension sociale, et sur les sacrifices indispensables à leur mise en œuvre nous apparaissent alors pour ce qu’ils sont, profondément contemporains. D
Machine poétique opératique L’Amour des trois oranges. Un opéra mouvementé de Prokofiev, avec lequel Sandrine Anglade interroge le débordement des frontières entre les genres. Accueillie en 2008 à l’Opéra de Dijon avec le théâtre musical Pinocchio, signant cet automne un Médecin malgré lui, Sandrine Anglade met en scène ce printemps l’Amour des trois oranges. Avant de revenir la saison prochaine pour créer l’Oiseau vert de Gozzi. C’est, d’ailleurs, ce même Gozzi qui signe le livret de l’opéra de Prokofiev. Un choix a priori étonnant que cet intérêt pour l’écrivain, pamphlétaire et dramaturge italien du XVIIIe siècle, réactionnaire de son temps qui combattait fermement les idées réformatrices de Carlo Goldoni sur le théâtre. Là où Goldoni met en œuvre une subversion de la hiérarchie linguistique et sociale, Gozzi entend, lui, préserver les codes de la Commedia dell’ Arte, et c’est dans ce but qu’il écrit l’Amour des trois oranges en 1761. Mais, si Gozzi est demeuré à la postérité, fascinant les romantiques allemands, les artistes et hommes de théâtre français ou russes tels Guillaume Apollinaire, Jacques Copeau, ou Vsevolod Meyerhold, c’est plus pour sa machine poétique que pour ses idées. Gozzi enchevêtre le bouffon et le fantastique avec virtuosité et fait dramaturgie de tout, inventant un théâtre fabuleux, à partir de contes orientaux ou de nourrices comme pour l’Amour des trois oranges. Et l’opéra qu’en tire Sergueï Prokofiev en 1921 nous rappelle, s’il était besoin, qu’une œuvre transcende bien souvent les idéaux, aussi étriqués soient-ils, de son auteur... D
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par guillaume malvoisin photo : lissalvy tiegel
focus Festivals Why Note, Le Son en Scène, du 18 au 21 mars à Dijon et Mâcon Ici l’Onde, du 21 au 25 avril à Dijon 03 80 73 31 59 – www.whynote.com
Le meilleur d’un monde Tout juste sorti des crépitements du Mégaphone, Why Note fait le coup du ready-made revu par la Gorgone. Multicéphales et hétérogènes au plaisir, ces deux festivals nouveaux jouent autant avec la grammaire qu’avec la matière.
À grands coups de colères et de forfanteries, Duchamp balançait ses mariées nues dans l’escalier. L’art n’était plus le reflet d’un effort mais d’un regard multiple. Résonance minorée, les dijonnais de Why Note s’asseoient, joyeusement eux aussi, sur cette indécence obligatoire qu’est l’héritage. Sus à l’Académie ! Mort aux Diktats !
diablement ludique. Le jeu là encore, pour le trio formé par John Butcher, Andy Moor et Thomas Lehn. Pirate punk, soufflant free et docte synthétique, cet attelage annonce de sérieuses remises en question de la question. Suite aux diffractions sonores de Thierry Madiot, le duo Carla Bozulich (aka Evangelista) et Francesco Guerri devrait vous frapper 1. Avant qu’il n’y ait le monde le coin de la certitude de ses élans gospel-noise. La scène Le premier festival pose le décor de l’aventure. Le Son en Scène ou dijonnaise battra le bouillon de ce festival : Untel et son les amours incestueux de la musique et du théâtre. Et de ces dieux étrange sérénité, Le Placard aux expériences secrètes et La bizarres et copulants naissent labyrinthe, machines à mémoires et Générale d’Expérimentation pour quelques salves en guise quelques légers sourires. De quoi faire naître le monde en quatre petits de faire-part (Point Zero, Japanese Kiss, Ghotul...). D jours, record battu ! Un genre de baraque à miracles qui vous plante des frissons du rachis aux talons. Laborintus donne un ticket à Sylvain Kassap et à Hélène Breschand sur leur Scènes de Manège : Ravel et la tradition en embardée jamais définitive. Ce monde-là aura son Pierrot Lunaire hurlant agité par Marc Démereau et Didier Kowarsky. Symbolisme et ElectroNoise dans un corps à corps ténébreux. Autres pépites, entre crapauds modernes et ateliers radiophoniques à cartes blanches, Doux Mix et Léger Sourire pour une rencontre où la jubilation reste la règle. C’est une forme de communauté où l’énergie dispute à l’inventivité les palmes du plaisir. Les Rémouleurs finissent à leur manière la création de ce monde hétérodoxe. Albert Marcoeur rencontre le Quatuor Bélà. Machina Memorialis traque la mémoire dans ses plis. Liquide et hautement libératoire. 2. Et les flots de se répandre Liquide, nous disions. Ici l’Onde, chambardement général. Free rock et impro en bandoulière, l’arsenal est mis à sac et l’ébullition tance la réaction. Autoportraits revisités, Coupe du monde 82 entre autres cartouches. Le seul gant qu’accepte de prendre Thierry Balasse, c’est celui qui contrôle ses larsens dont le musicien fait une loi d’innovation. Virtuose certes, mais
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par caroline châtelet photo : christian terrade
focus My Way, du 20 au 23 avril au Nouveau Théâtre, Besançon. Le 24 avril à Baume-les-Dames 03 81 88 55 11 – www.nouveau-theatre.com.fr
Les 27 et 28 mai à la Filature, Mulhouse 03.89.36.28.28 – www.lafilature.org compagnie Oh! Oui, www.ohoui.org
Territoires imprenables My Way de Joachim Latarjet trace sa route à l’Est : de passage au Nouveau Théâtre de Besançon, à Baume-les-Dames, puis à la mulhousienne Filature – salle à laquelle l’artiste est associé pour trois saisons –, cette ballade hybride nous rappelle qu’une scène de théâtre est un vaste territoire que chacun peut, à sa façon, arpenter.
Se pencher sur un spectacle programmé à la Filature peut se révéler un exercice périlleux. Ce, parce que bien souvent, les formes accueillies rentrent difficilement dans les cases traditionnelles. Mais, une structure pratiquant la limpidité jusqu’à expliquer la signification du label « scène nationale » et donner les chiffres de son budget sur son site internet ne peut que se moquer de ce type de conventions. Là, certains me rétorqueront que ces deux choses n’ont rien à voir. Pas si sûr... Elles prouvent, au contraire, que l’information « utile » ne se situe pas seulement dans la dénomination à tout prix des œuvres. Et que l’art n’a pas besoin d’un qualificatif unique de genre pour valoir la peine d’être présenté... Prenons My Way. Étant conçu par la comédienne et dramaturge Alexandra Fleischer et le musicien, compositeur et metteur en scène Joachim Latarjet, il est entendu que My Way mêlera volontiers les médiums. C’est, d’ailleurs, l’une des marques de fabrique de la compagnie Oh! Oui... que de convoquer les matériaux multiples, construisant des spectacles avec des textes a priori non théâtraux. Ainsi, l’équipe part ici de la chanson qui compte à ce jour le plus de reprises et élabore
une proposition entre théâtre, concert et cinéma. Pourquoi la chanson ? Comme l’explique Joachim Latarjet, « parler de la chanson, c’est parler de l’endroit dans lequel on vit, de sa maison, de son pays, de ces moments où enfant on fredonnait pour se rassurer dans le noir, de ces souvenirs rattachés à telle ou telle chanson. C’est parler de pourquoi l’on a quitté son pays d’origine. Ce sont des histoires singulières et incroyables, impossibles à inventer. » C’est durant l’élaboration de la première mouture de My Way en 2009 aux Subsistances, à Lyon, que l’équipe saisit toute la force de ce propos. Là, collectant des témoignages d’habitants sur la question « quelle chanson a fait votre vie ? », elle réalise « qu’en parlant de la chanson on parle de territoires ». L’intuition initiale étant bonne, le projet sera prolongé. My Way, deuxième version, mêle donc au documentaire - paroles intimes - la fiction via le jeu, la danse, la musique et le cinéma. Et pour mieux expliquer la possibilité, en partant « d’un sujet aussi futile que la chanson, de parler de quelque chose de bien plus important », Joachim Latarjet cite l’exemple de Zakia. « Arrivée en France lorsque les talibans étaient au pouvoir en Afghanistan, elle a fui un régime qui empêche les gens de chanter. Institutrice dans son pays, ici elle n’a rien, ou pas grand chose, elle n’est pas heureuse. Elle ne chante plus depuis dix ans parce qu’elle n’a plus d’endroit à elle. Il aura fallu la scène pour qu’elle nous fasse entendre le son de sa voix, qui est hallucinant... »
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L’art de ne pas y être Par Sandrine Wymann et Bearboz
Il y a des lieux et des expositions à ne pas prendre à la légère. La Synagogue de Delme et l’exposition Self as disappearance sont indiscutablement de ceux-là. D’abord le lieu : ancienne synagogue abandonnée suite aux mouvements de l’histoire, le bâtiment est devenu centre d’art contemporain. Si ce n’était la dimension spirituelle qui émane de l’espace, il ne serait pas forcément nécessaire de rappeler cette origine mais quand l’exposition en cours parle de post-colonialisme, d’absence et de désirs, il est difficile de ne pas l’évoquer. Mathieu K. Abonnenc, artiste commissaire, s’intéresse à un sujet difficile, abordé ici de manière précise et inattendue. Tout l’art de cette exposition est d’interroger notre regard sur le post-colonialisme, de déjouer les préjugés qui s’avèrent aussi nombreux que dans le cas du colonialisme. Au-delà de la lecture bienséante que nous avons aujourd’hui de ces temps de l’histoire, c’est surtout les relations entre deux cultures, entre deux peuples, entre un homme et une femme dont il est question. Quels rapports se mettent en place, quelles interprétations en avons-nous, quels usages en faisons-nous ? Ce qui frappe de prime abord, c’est l’austérité de la proposition du commissaire. L’espace apparaît quasi vide, les objets se réfèrent à l’absence et la blancheur du lieu agresse le regard. Petit à petit, les œuvres se révèlent, prennent sens et force et s’impose finalement une impression de finesse et de justesse. On comprend aussi que la proposition est un point de vue déposé, une succession de questionnements qui valent pour leur sincérité et leur sérieux. Première réussite de l’exposition, la subtile présence de l’absence. D’abord, quatre étagères Otto Kind et le sofa attribué à Egon Eiermann de l’installation What I’d like to have at home de Haegue Yang donnent le ton. Ces meubles, dans leur plus simple appareil, l’artiste rêvait de les posséder alors qu’elle préparait une exposition du même nom. À défaut de les avoir, elle les a empruntés aux fabricants. Un peu plus loin, elle retourne un miroir de salon face contre mur... celui-ci ne renvoie plus la moindre image.
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Centre d’Art Contemporain La Synagogue de Delme Self as Disappearance jusqu’au 23 mai www.cac-synagoguedelme.org
William Pope L présente Prop, une paire de chaussures vide de ses pieds et même de tout son corps. Posées sur un socle, elles semblent flotter mi-mortes, mi-irréelles. Une photographie d’Adrian Piper, Everything will be taking away, représente une famille aux visages effacés. On entend également les sifflements discrets de cette artiste qui accompagnent des concertos de Bach. Ils commencent assurés et se poursuivent jusqu’à l’épuisement. Une vidéo de Coco Fusco, AKA Mrs George Gilbert est consacrée à Angela Davis, son engagement mais aussi son mythe. Entre document et fiction, l’artiste tourne autour d’une figure qui au-delà de ses actions liées au combat de la minorité noire américaine, est devenue une icône et même une silhouette emblématique. Avec Coco Fusco, un deuxième volet de l’exposition est abordé, celui des œuvres documentaires. Cet autre travail, Buried pigs with moros montre comment les stéréotypes raciaux sont utilisés dans les conflits armés. Sont mises en parallèle des méthodes de torture utilisées par les blancs face aux musulmans. De la guerre coloniale des Philippines début XXe à la guerre d’Irak, une triste continuité s’affiche. À leur manière, les photographies de Peggy Buth Travelling through the Musée Royal, documentent ces mêmes stéréotypes en observant une institution muséale européenne consacrée à l’histoire coloniale. Mathieu K. Abonnenc a l’intelligence de ne pas s’enfermer dans un propos moralisateur en esquissant différents types de relations. Certaines apparemment moins dramatiques n’en impliquent pas moins une subordination dans un rapport à deux. Ainsi ce dessin de Pontus Hulten par Adrian Piper. Elle l’accompagne d’un texte qui fait état de sa rencontre avec le grand homme de l’art, de l’attirance qu’elle a eu pour lui et de la domination qu’il a exercée sur elle. La scénographie de l’exposition veut que l’on termine par le film Episode I de Renzo Martens. Ce dernier circule sur le front tchétchène en 2003, caméra au poing mais demandant aux personnes croisées ce qu’elles pensent de lui. Les sondés dans leur violence reprochent à l’artiste sa démarche, qui n’est pour eux qu’une tentative de chercher l’aventure. Cette dernière pièce repose encore, si besoin était, la question du point de vue et fragilise les analyses trop manichéennes souvent développées sur le sujet du post-colonialisme.
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rencontres par guillaume malvoisin
photo : roxane gauthier
La multitude et l’insoumission font le prix du zigzag. Jean-Pierre Siméon le proclame figure nécessaire et tance la route pour lui faire rendre gorge. Chemineau, orateur en forme de tempête, le poète invite qui veut dans ses circonvolutions vitales. Lucides et définitivement humanistes.
Jean-Pierre Siméon, l’appétit des détours La rupture rythmique et la syncope sont la chance native du poème, qui le sauvera de toute récupération politique. C’est pourtant le terreau de prédilection de Siméon, le forum, la place publique, le débat à voix haute. Le zigzag restera la règle et le politique brandit très vite la bannière poétique, décrétant alors possible toute victoire de la parole sur l’idée. Jean-Pierre Siméon était à Dijon en octobre dernier, à l’invitation de La Voix des Mots pour sa saison Tempoésie. La table du banquet était large et le rendez-vous trop beau pour amener l’homme fervent sur son équilibre entre la défaite et l’espoir. Le Printemps des Poètes s’annonce-t-il enfin ? Votre parole semble paradoxale, à la fois claire et tissée d’une multitude : Il est difficile de répondre car cela ne procède pas d’un choix théorique. Pour moi, l’écriture est subordonnée au geste de l’existence. C’est une sorte de surgissement. Je suis dans la position éthique de quelqu’un qui a de l’appétit des choses, des êtres et de l’existence. Pourtant, je ne le revendique pas comme une posture héroïque. Je suis fait comme ça, depuis que je suis jeunot, que mes parents ont façonné ces compétences de curiosité et d’enthousiasme.
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Il y a pourtant de la colère dans votre écriture : Au revers de l’enthousiasme, il y a l’indignation, la colère. Je ne supporte pas la vie neutre, la vie molle. J’ai eu, comme tout un chacun, le sentiment de la fugacité de l’existence. On naît dans un monde effervescent, riche de toutes les suggestions possibles. Ce qui a pu manquer à certaines utopies, c’est le poème qui est incertitude ou inquiétude. Mais au lieu de me décourager, je me jette sur les routes. Concrètement. Ma vie littéraire est faite de déplacements, de rencontres. Je me sens attiré par ce qui semble être un chemin possible, un chemin nouveau. Tous ces chemins montrent cependant une belle unité : J’ai commencé par la poésie. C’est ce qui m’a requis d’emblée. J’essaie de trouver les voies de la poésie à travers les autres formes. Comment, à travers la prose, la poésie peut agir, comment on peut y retrouver cette incandescence de la vie. Si je me suis lancé dans le théâtre, c’est avec l’intention très ferme d’illustrer une poésie de théâtre. C’est une question passionnante, Claudel ou Beckett y ont répondu à leur manière. L’art est donc une façon possible de dire le monde ? L’art souverainement insoumis, insubordonné, oui ! Si on le voit comme un geste gracieux face au néant, on tombe dans le gouffre du formalisme, du dandysme. On dégénère vers un narcissisme. Si on considère la fonction éthique que l’art a depuis Lascaux, on trouve les lois premières du sentiment commun de l’existence.
Ce sentiment prend chez vous la double apparence de la mort et de la fraîcheur... Etre crédible quand on parle comme moi d’humanisme, de vue positive, il faut la conscience crue et à vif de l’inverse. L’homme fait la mort. On vit constamment avec les deux. Ce que je crois c’est qu’on meurt aussitôt que l’on chante. On a cette déception d’emblée, on doit mourir. Il n’y a pas de raison de l’oublier, de faire semblant. C’est même ce qui donne du prix à l’existence. De ce pessimisme foncier procède alors un nouvel humanisme. Vous dites : « il n’ y a pas lieu de s’incliner sur la mort » J’ai emprunté cette idée à Andrée Chédid qui compte beaucoup pour moi. Son œuvre part toujours de la catastrophe pour aller au sentiment de la bonté des choses. On ne peut pas regarder ou l’un ou l’autre. Il faut prendre les deux. Je crois que les sociétés occidentales sont morbides. On voit que l’art contemporain ne fait que ressasser le dépit, le désenchantement et l’amertume. Le rire franc d’un Rabelais a dégénéré en ricanement. La dérision est le rire des vaincus de la vie. C’est une forme de complaisance.
Le Printemps des Poètes, que vous dirigez, pourrait sembler une sorte d’aveu d’échec de la poésie ? Bonne question. Il y a les fausses représentations de la poésie : le sentimentalisme, l’édulcoré, le joli. C’est un danger. J’ai retourné cet outil qu’est cette manifestation par sa force d’éducation populaire. Il dit : le poème n’est pas ce que vous croyez. Il faut aller contre les représentations et faire que le plus grand nombre approche la vérité du poème. C’est une arme dangereuse. C’est peut-être ce qui l’a exclue de la place publique. La poésie est un outil de démocratisation. Il faut y aller sans précaution mais sans terroriser. C’est une question de confiance, un geste simple et familier. ❤
On pourrait vous objecter une forme de naïveté. C’est arrivé. Je regarde alors avec sourire. L’horreur, je la connais et je la dis dans mes œuvres. Je scrute le pire en l’homme. Une parole n’est valide que s’il y a conscience. On n’a pas besoin de répéter le malheur, si on choisit l’art. Il doit agir dans la cité. Il doit être conscient de lui-même et faire sa part au sentiment. Sinon, il perd son humanité.
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rencontres par nicolas léger
photo : pascal bastien
Hi, I’m James Ellroy ! James Ellroy, roi du polar, était de passage à la librairie Kleber pour Underworld U.S.A achevant la trilogie initiée par American Death Trip. Nous nous sommes entretenus à cette occasion avec celui que l’on surnomme le Dog. Coqueluche des médias, personnage fort en gueule, il est avant tout un génie littéraire dominant son art avec maestria…
L’homme, étonnamment grand, entre dans le restaurant, vêtu d’un simple pull alors que les rues strasbourgeoises sont enneigées… Accompagné de son éditeur français, François Guérif, il salue tout le monde d’un ton jovial : « Hi, I’m James Ellroy. » Après quelques commentaires sur la météo et la commande d’une « choucroute garnie » en français, le Dog passe à table… Comment décririez-vous votre vie présente ? Je vis dans un vide. Le présent ne me convient pas ! Je n’y vois aucun attrait culturel : vous ne trouverez pas de téléphone portable, de télévision ou internet chez moi. Je ne vais pas au ciné ou à des concerts. Pourquoi cet ascétisme ? J’ignore volontairement le monde pour mieux vivre et penser le passé. C’est lui le cœur de mes romans. Je suis obsédé par l’Histoire et ma ville Los Angeles ! Je n’aime pas le rythme, les images que produit le monde. Tout ce qui importe, c’est de me concentrer pour gagner de l’argent et payer les pensions alimentaires de mes deux divorces !
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Vous aviez une vocation de moine ou quoi ? Au contraire ! La solitude m’est certes indispensable mais j’adore « communiquer intensément avec les femmes ». Oui, c’est ça les femmes et la solitude. Et comment combine t-on ces deux passions ? Ma copine a deux enfants : c’est trop de bruit. On ne peut pas vivre ensemble. Chacun chez soi, voilà ma nouvelle règle. Et si un troisième divorce se profile à l’horizon, je pourrai toujours être clodo à Strasbourg, dans la neige. Ou non, attendez… dans un carton à Pigalle ! Quelle est l’aspiration première de vos livres ? Mon grand dessein est de recréer de manière fictionnelle l’histoire du XXe siècle américain. Ma création se fonde sur des personnages réels qui vont devenir des personnages de fiction. Ce sera une véritable infrastructure humaine, privée, avec de multiples interactions. Par exemple, les actions de vrais personnages, historiques, influencent en permanence celles des personnages purement fictionnelles.
Mais quelles sont vos méthodes pour écrire les complots, les collusions entre agences gouvernementales, entre malfaiteurs ? Je fabrique tout, d’un bout à l’autre. J’emploie des chercheurs à plein temps. Ils amassent les faits, les documents, les chronologies… Tout ce qui est nécessaire à mon travail. Je vais vous dire : pour ce qui est des faits historiques, tout est vrai. En deçà, tout n’est qu’invention et création. D’après vous, pourquoi les gens préférent souvent opter pour les théories du complot que pour une réalité contingente, voire chaotique ? Simplement parce que ces histoires sont meilleures, plus belles et plus drôles que la réalité ! Peut-on dire qu’Underworld U.S.A dépasse cette thématique du complot ? Oui, dans mon nouveau bouquin, les idéologies, l’amour, le rapport hommefemme s’entremêlent. La politique et le sexe sont la clé de tout. Ce livre est profondément romantique, au sens
Vos nouveaux projets ? Mémoires est un récit autobiographique : il paraîtra bientôt en France, chez Rivages. Il y a un grand respect pour les écrivains chez vous de manière générale : j’y vends plus de livres qu’en Amérique ! propre : c’est une histoire d’amour sur fond politique. Il est moins dur et violent que le précédent. Toutes les communautés y sont présentes : des italiens, des cubains, et les « afro-américains ». Avez-vous eu des réactions particulières de tout ce monde-là ? (L’air interloqué) Afro-quoi ? Les Blacks ? Ouais, ils me lisent bien sûr et ils kiffent ! Je suis un des leurs : ils se reconnaissent dans mon écriture. Vous savez, j’adore la langue, les idiomes américains ! Les conneries langagières de la haine, du K.K.K, des Blacks, des homos, ou le yiddish, tout ça c’est très amusant. Funny shit ! Comment percevez-vous votre travail d’écrivain à ce stade de votre carrière ? Je suis bien meilleur aujourd’hui. J’ai beaucoup écrit sur les pervers sexuels. Maintenant mon thème, ce sont les complots à motivations idéologiques et financières.
Les histoires sont plus intéressantes du point de vue des émotions, des conflits intérieurs. Mais surtout il y a une dimension spirituelle et morale. La romance historique, là est la clé. Tout tient dans la rencontre d’un homme et d’une femme. Avec cette recette, on ne peut pas échouer ! Comment avez-vous vécu les années 60-70, cadre de votre trilogie ? On vous imagine mal en hippie… Il n’y a rien qui ne me vienne à l’esprit si ce n’est la conscience d’être pris dans le fleuve de l’Histoire. J’ai été caddie dans un club de golf, je me droguais, me masturbais beaucoup… Sans l’écriture, je serais clochard. J’ai arrêté toutes ces conneries pour avoir une vie amoureuse. D’ailleurs ce n’est qu’au 4ème essai que j’ai compris les choses… Je n’ai jamais été un hippie. Mes personnages n’y songeraient même pas une seconde ! La perspective que j’explore c’est celle des hommes de loi, en costume.
C’est un détail… mais une chanson Tighten Up d’Archie Bell and the Drells, revient tout au long du bouquin. Hoover y voit même un complot des Noirs pour subvertir l’Amérique blanche… (Un sourire illumine son visage. Il commence à chanter et à claquer des doigts. Après avoir imité basse, guitare et batterie) Archie Bell and the Drells ! C’est énorme ! J’en ai fait un motif récurrent, une petite touche d’humour. Vous savez, Archie est de Houston, il a fait le Vietnam : c’est quelqu’un avec qui je me serais bien entendu ! J’adore cette merde ! Vous n’êtes pas prêt de verser dans le politiquement correct… Non. Et vous savez pourquoi ? Parce que… je suis un fan d’Archie Bell, babe ! Et si ça ne plaît pas à certains : tant pis. Vous citez rarement d’autres écrivains ou cinéastes comme influence. Pourquoi ? Je n’ai pas d’influences. Je ne suis en compétition qu’avec moi-même ! ❤ Dernier ouvrage : Underworld USA, Rivages
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rencontres par caroline châtelet + e.p blondeau
photo : vincent arbelet
Juergen Teller, loin des codes Ses campagnes pour Marc Jacobs défraient la chronique, son indiscipline et sa tendance à « malmener » les icônes qu’il photographie n’étant pas habituelles dans ce milieu. Mais parallèlement à la mode, Juergen Teller produit une œuvre personnelle, hybride, dont la crudité des thèmes et l’acuité du regard forcent notre attention. Rencontre avec un photographe du vivant, lors de sa dernière exposition au Consortium.
Comment avez-vous reçu cette invitation du Consortium ? Connaissant le lieu, j’ai été très honoré de l’invitation d’Éric Troncy. C’est un espace vraiment intéressant, à l’atmosphère particulière. Il ne s’agit pas d’un cadre institutionnel, j’ai toute latitude. Éric Troncy ne considère pas l’exposition comme une simple rétrospective et cette liberté m’a permis de faire des expérimentations. Comment avez-vous construit l’exposition ? Lors de nos discussions, Éric m’a demandé ce que je voudrais que l’on retienne de moi à ma mort. Je ne m’étais jamais posé cette question, et elle a constitué mon fil conducteur. Éric m’a poussé à considérer mon travail avec beaucoup d’acuité, ce qui me permet de le présenter de façon plus complexe. Au lieu d’exposer des séries, il y a une confrontation entre des portraits et des photos issues de séries. C’est très intéressant de donner une image de mon travail moins évidente que dans une exposition classique. Cela me permet de revoir des correspondances oubliées ou enfouies, et de nouvelles connections s’établissent. Par exemple, dans la première pièce se trouve la photo d’une femme qui tient un candélabre, un symbole phallique, et je me suis rendu compte en montant l’exposition que je l’avais mise exactement en face de la femme sur le canapé de Sigmund Freud... Cela me fait rire, j’en suis assez content...
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La photo représentant un ventre de femme enceinte ainsi qu’un sexe en érection est particulièrement intrigante... C’est une photo de ma femme, de moi... et de mon fils. Son histoire est particulière : j’ai toujours été intrigué par le fait que les femmes enceintes sont désexualisées dans nos sociétés. Elles deviennent des figures maternelles, intouchables. Or, ce n’est pas vrai. Avec ma femme nous n’avons jamais eu autant de relations que lorsqu’elle était enceinte, les hormones étant extrêmement développées ! Aimant photographier ce qui ne l’a jamais été auparavant, j’ai eu l’idée de cette photo. Mais je ne parvenais pas à photographier et à avoir une érection en même temps. J’en ai parlé à mon agent et il m’a conseillé de prendre du viagra. Ça a été une expérience totalement horrible, c’était très douloureux. C’est comme si il y avait eu ma femme, moi, et une troisième personne, mon sexe en érection. J’étais incapable de prendre « ça » en photo. Finalement, celle exposée correspond à une prise sans viagra... C’était la première et la dernière fois que j’en prenais, c’était plus du porno que de l’amour !
Le titre de l’exposition évoque l’idée de contact, pourquoi ? Touch me renvoie à une photo exposée, la seule que j’ai « volée », chose que je ne fais par ailleurs jamais. Prise en Ukraine, elle représente un homme ventripotent dont le t-shirt porte cette injonction. Ce qui est complètement absurde, car personne n’a envie de le toucher, et peut-être ne connaîtil même pas la signification de ce terme. Nous sommes ici dans de l’irréel, dans une représentation qui n’a rien à voir avec l’idée du désir et du contact... Mais Touch me est également un excellent titre pour sa polysémie : il contient l’idée de désirer toucher certaines photos, par les corps nus qui y sont exposés, et il renvoie également à l’envie que j’ai de vous toucher par mes photos, de susciter des émotions. Ce double sens m’intéresse. Éric Troncy dit que vous faites « le portrait d’aujourd’hui ». Qu’en pensez-vous ? Récemment, j’ai photographié pour Marc Jacobs, Victoria Beckham. C’est l’une des personnes les plus photographiées au monde, elle est en quelque sorte un
« produit » – chose dont elle est consciente. L’objectif de la campagne vise, lui, à vendre des produits, dont des chaussures. Plutôt que de photographier encore son visage, j’ai eu envie de la mettre dans un sac et qu’on ne voit que ses jambes. Si on veut me comparer à quelqu’un qui fixe aujourd’hui, ce serait dans ce sens-là, le fait d’aller ailleurs, au-delà de ce qu’on peut voir partout, et ce même avec des gens très exposés. Je ne photographie pas des stars pour leur célébrité, mais parce qu’elles ont quelque chose d’artistique qui m’attire, m’intéresse, et que je veux montrer. Comment vous accommodez-vous du paradoxe de travailler et dans le champ de l’art, et pour des entreprises de luxe ? Je ne pense pas que ce soit si difficile – quelquefois, ça l’est. Mais je travaille de la même façon pour les deux. Les personnes qui me sollicitent connaissent mon travail et savent que je ne vais pas changer pour eux. D’ailleurs, peut-être est-ce mon univers
qu’ils viennent chercher... J’ai cette chance de pouvoir imposer mes codes. Bien que je prenne mon travail très au sérieux, j’essaie d’appréhender les choses avec la même liberté, et tout ce que j’expérimente participe d’une même progression. Vous arrive-t-il d’utiliser le noir et blanc ? À la fin des 80 et au début des années 90, je ne faisais que ça. Puis, voulant représenter le réel, cela m’a paru naturel de travailler en couleurs. Je refuse le côté “rétro” que peut imprimer le noir et blanc. Mais j’ai revu récemment certaines de mes photos noir et blanc, et je pense peut-être l’utiliser à nouveau, de manière plus abstraite. Pourquoi une peinture s’est-elle glissée dans l’une des salles – la plus retirée par ailleurs ? Cela m’a surpris également ! Cette demande est venue du Consortium. Initialement, je ne comprenais pas l’intérêt d’insérer une œuvre, mais l’équipe avait différents arguments. Nous avons donc
ajouté un tableau du célèbre peintre John Currin, et au final j’aime beaucoup le résultat. C’est difficile à expliquer, mais dans certains de mes travaux incluant des œuvres majeures de l’art – par exemple Charlotte Rampling nue devant Mona Lisa –, il y a une sorte de « retour à l’envoyeur ». Cette contamination de la peinture donne du sens à mon travail. Mais cela n’aurait pas fonctionné avec n’importe quelle peinture : John Currin est un ami et le tableau est un portrait. De plus, sa présence – tout comme certaines de mes photos – crée un inconfort, interroge. Ce tableau force le regard, maintient en alerte en tant que spectateur. Et peutêtre incite-t-il à regarder, à nouveau, les photos. C’est d’ailleurs l’une des raisons pour lesquelles les tailles des tirages sont différentes, permettant de maintenir éveillé le spectateur, de le « toucher ». ❤
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Adaptation française d’un entretien avec Nathan Delancey
Les mutations actives de Per Hüttner par michel collet
Du temps sur une montre-moutarde et de quelques performances pour Molly et Pénélope.
Per Hüttner développe ses œuvres dans une étrange fluidité. Depuis plusieurs années, il multiplie les interventions partout dans le monde, résidant à Stockholm, Los Angeles ou Paris, et active simultanément rencontres, symposiums, installations, impulsant à son travail une permanente hyper-mobilité géographique et conceptuelle. Il mêle périodes d’activité intense, d’une densité peu commune, et retraites réflexives au beau milieu du network contemporain, moments d ’inventions de fond amentaux et d’assemblages théoriques. Ainsi, Per Hüttner est-il l’initiateur d’un dispositif nomade en art contemporain, intitulé Vision Forum, projet collectif construit en lien avec une recherche plastique plus personnelle. En moins d’une année, Per Hüttner a présenté deux expositions à Besançon, un état instantané du rhizome Vision Forum émergeant d’une activité de mise en dialogue de l’art entre l’Europe et la Chine et plus récemment une exposition personnelle intitulée N’entre pas sans violence.
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Vous avez réalisé votre exposition, N’entre pas sans violence, sur deux sites, à l’École Régionale des Beaux Arts de Besançon et au Musée du Temps. Est-ce la mise en miroir de deux propositions, dans le cadre du réseau international Vision Forum que vous avez créé ? Les deux expositions nous permettent de regarder la réalité sous un angle légèrement différent de celui auquel nous sommes habitués. Notre perception de la réalité est inhibée par les conventions sociales. À l’Ecole Régionale des Beaux Arts, l’ERBA, l’exposition, la rencontre, s’est faite autour de l’image et du discours de personnages excentriques en train de reformuler leur propre relation au monde et dans le même temps engagés dans une sorte de recherche personnelle. Il est difficile en fait de discerner qui sont ces personnages, si ce sont des scientifiques, voire des entités appartenant à une autre époque ou à un autre univers… ou simplement des fous. Au Musée du Temps, j’ai installé les traces
de plusieurs actions réalisées durant ces jours de création à Besançon. La démarche reste similaire à celle engagée à l’Ecole d’art. Disons que le travail présenté à l’Ecole est de l’ordre d’un « représentatif », plus figuratif, et la proposition faite au Musée du Temps est à mon sens, strictement nonfigurative. Le travail présenté dans ce lieu suggère notamment qu’il existe un autre regard sur la réalité, ici il est enclenché par une expérimentation à partir d’usages multiples et insoupçonnées d’objets qui libèrent en quelques sorte les pouvoirs cachés, poétiques, de ces objets en apparence banals : par exemple, les livres de Joyce et de Homère sont devenus tout à la fois des montres et des soupières-balais. Le lit de Pénélope et/ou de Molly est devenu horloge et crayon. Ces deux expositions ne sont pas des projets de Vision Forum, mais ceci dit, je tiens à souligner que Vision Forum est une partie intégrante de ma pratique artistique. Et certainement que ces deux expositions n’auraient pas été possibles sans mon travail
N’entre pas sans violence de Per Hüttner à l’ERBA, Besançon, vue de la vidéo numéro I
avec Vision Forum. Ces deux activités sont intimement liées, elles ont des objectifs similaires et les mêmes ambitions, mais les maintenir séparées permet une certaine mise en tension, une création d’énergie, c’est assez stimulant. Et Vision Forum… Vision Forum est un dispositif ouvert à tous les artistes et aux commissaires d’exposition qui veulent utiliser leur pratique afin d’investir et de développer une conception plus visionnaire, inspirée et expérimentale du monde de l’art. Je suis fier de dire qu’en 2010, nous invitons pour la première fois un scientifique qui fait des recherches sur la façon dont le cerveau perçoit le monde, plus particulièrement sur l’empathie. Nous invitons des praticiens qui ne rentrent pas dans une seule catégorie, mais dont l’expérience les situe entre les genres et les définitions. Je pense que par l’étiquetage des pratiques artistiques, on perd quelque chose d’un pouvoir poétique et politique.
Comment avez-vous conçu l’exposition au Musée du Temps ? Les deux expositions ont été développées en étroite collaboration avec le commissaire italien Daniele Balit. Ces monstrations représentent toutes deux une sorte de développement dans ma pratique artistique. Orientations qui se connectent à des thèmes tels que la nature poreuse de la réalité et de l’identité, qui sont au cœur de mon travail depuis longtemps. Mais j’ai aussi repris contact avec le thème de la science, qui a été ma principale source d’inspiration dans la première moitié des années 90. Pour l’exposition au Musée, j’ai été particulièrement inspiré par le travail du logicien français Jean-Yves Girard. Je présente l’un de ses textes Les montres à moutarde : une approche intégrée au temps et à la nourriture, qui se connecte à l’usage multiple des objets que j’ai utilisés pour l’exposition. J’ai passé vingt-quatre heures à genoux, à nettoyer le sol dans une des salles de l’exposition en utilisant douze copies d’Ulysse de James Joyce et douze
exemplaires de l’Odyssée de Homère, les livres étant à la fois des outils de nettoyage et d’étranges horloges pour mesurer le temps ; tout en conservant leur spécificité complexes de chef-d’œuvre, de géants de la littérature. Le récit toujours, dans la première exposition… J’ai terminé l’écriture d’un premier roman, au début de 2009. Il était naturel pour moi de continuer à travailler sur la narration et la durée en réalisant des vidéos. Dans l’exposition présentée à l’Ecole des Beaux Arts, les vidéos traitent de thématiques similaires à celles mises en œuvre au Musée du Temps, mais sur un mode différent. Je suis parti de cet argument, que le concept de temps aurait induit chez nous une mauvaise compréhension de la réalité (tout simplement parce que nous allons tous mourir…). L’idée étant alors de réaliser comme une sorte de mantra pour ces deux expositions. L’identité des personnes dans les vidéos est volontairement floue, incertaine, et la temporalité s’en trouve modifiée, difficile à percevoir. Avec cette nouvelle perception du temps, notre perception du réel est comme remise en question… ce qui permet d’accéder à une nouvelle liberté en quelque sorte. i
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« Angelo me parle de son ami avec la verve, les gestes, l’enthousiasme d’un Italien authentique, plus italien encore que le gamin de Brooklyn qu’il fut… » Ci-contre : Jean-Jacques Perrey
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Prélude au sommeil projection aux festivals CIMM à Chicago et Sensoria à Sheffield. + Sortie DVD + VOD – www.harmattantv.com Une production Les Films d’un jour
À paraître, Goto (Karaoke Kalk, 8 mai 2010) le 6ème album de Toog,
L’ESPRIT DE L’INVENTEUR par gilles weinzaepflen
dessins : florence manlik
Gilles Weinzaepflen est l’auteur de Prélude au sommeil, un film documentaire sur Jean-Jacques Perrey, pionnier français de la musique électronique né en 1929. Il raconte pour Novo ses souvenirs de tournage et revient sur quelques épisodes marquants qui, depuis son enfance à Mulhouse jusqu’au disque qu’il enregistra avec Asia Argento, l’ont conduit de la musique au film, en passant par la poésie.
New Jersey, 3 juin 2007, 11:30 Les arbres le long de la voie ferrée n’ont pas dû voir de coiffeur depuis longtemps ; ils fouettent le train en faisant résonner les compartiments vides de façon effrayante, pour le passager solitaire que je suis. Le contrôleur me montre une ligne horizontale sur la façade d’une maison couleur limace : la hauteur de l’eau, lors de la dernière inondation de la rivière Passaic… À quand la prochaine ? Sur le quai, un homme m’attend. Il me conduit par un dédale de courbes lentes jusqu’à deux énormes maisons jumelles beiges : c’est ici que vit Angelo Badalamenti, le compositeur fétiche de David Lynch, que je suis venu filmer pour sa longue amitié avec le pionnier français de la musique électronique Jean- Jacques Perrey 1 . Au début des sixties, ils composaient
ensemble des chansons pour les gosses américains sur la chaîne CBS, JeanJacques avec son synthétiseur Ondioline et Angelo (à l’époque « Andy Badale », à cause de l’ostracisme que subissaient les Américains d’origine italienne), travaillant avec l’orchestre… Angelo me parle de son ami avec la verve, les gestes, l’enthousiasme d’un Italien authentique, plus italien encore que le gamin de Brooklyn qu’il fut.
professionnels. Sous la pluie fine, je me demande si les litres de sueur versés sur scène par le chanteurguitariste des Cure sont liés à sa position pendant le concert, sur une patte tel un héron, ou s’il est drogué. Les membres du groupe Pavillon 26 (le pavillon des fous) ont bien fait de m’emmener : il y a une vie à Mulhouse en dehors des Barclay James Harvest, Téléphone et autres Peter Alexander. Plus tard, seul à la maison, je mets la boîte à rythme du Lowrey à fond et troue la nuit avec mes bribes de chansons : la mélodie du bonheur new wave…
Mulhouse, 26 mai 1982 Minuit. Les fans attendent sur la place de la Concorde, derrière le Palais des Fêtes. Nous décidons de passer de l’autre côté, dans la rue des Trois Rois. D’ailleurs, les voici, nos trois rois : Robert Smith, Simon Gallup et Laurence Tolhurst. C ’est la première fois que j’approche des musiciens
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Amiens, été 1951 Jean-Jacques Perrey annonce à ses parents qu’il va lâcher ses études de médecine pour devenir vendeurdémonstrateur de Clavioline (synthétiseur inventé en 1947 par Constant Martin, le grand-père du réalisateur Michel Gondry). Quelques mois plus tard, il se tourne vers l’Ondioline, aux sonorités plus riches et au clavier pourvu d’un vibrato. Son inventeur, Georges Jenny, l’a conçu en 1938 dans la morgue du sanatorium où il soignait sa tuberculose… pour être au calme et ne déranger personne ! C’est avec cet instrument que Jean-Jacques Perrey va répandre la bonne nouvelle électronique, séduisant tour à tour Charles Trenet, Jean Cocteau et Edith Piaf. En 1960, Piaf envoie JeanJacques aux Etats-Unis, consciente que la France n’est pas prête pour un bouleversement sonore d’une telle ampleur… Il y restera 10 ans et repartira une fois sa mission de vulgarisation du son électronique accomplie. New Jersey, 3 juin 2007, 17:00 Alors que j’attends un taxi hypothétique dans la chambre de David Lynch où Angelo m’a laissé, je remarque la présence de frelons qui se font grésiller la panse sur les ampoules, puis tournent en catastrophe autour de moi. Après bien des efforts, je réussis à en piéger un entre le rideau et la fenêtre. J’ai beau taper, taper avec ma chaussure, entendre le bruit rassurant d’un écrasement, la chose bouge encore, danse, puis reprend son vol pour un nouveau bain de lumière, halogène. Quelques heures plus tard, je fais découvrir aux deux Ed (Edwyn et Edward) que leur commune de Rutherford dans le New Jersey abrita la vie d’un grand poète américain : l’auteur de Paterson, William Carlos Williams. Nous nous rendons dans la bibliothèque qui conserve son bureau et sa machine à écrire, puis devant la maison où il exerçait la médecine. Je cueille des baies dans son jardin, qui ne prendront pas en France : Williams et moi ne sommes pas du même monde. Je suis un lyrique2 ; et vous, vous allez bien ? Paris, automne 2007 Angelo Badalamenti m’avait parlé d’une musique pour une publicité Esso, composée avec Jean-Jacques Perrey au début des sixties. Comment mettre la main dessus ? À tout hasard, je me connecte sur eBay et tombe sur un commercial Esso en 16 mm, datant de cette époque. Je remporte l’objet pour 7 dollars… Quelques jours plus tard, en regardant le film à la lumière, un tigre apparaît en transparence. On finit par dénicher un projecteur 16 mm ; surprise : je reconnais la musique qu’Angelo Badalamenti m’a jouée au piano à la fin de notre rencontre.
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Michel Gondry, contacté par mail au début de l’année pour parler de son grandpère, m’avait répondu le soir même : génial, mais pas le temps, pas là. Hollywood... 6 mois plus tard, je le relance. Par hasard, il se trouve en France pour enregistrer la musique de Be Kind Rewind, son film avec Jack Black, Mos Def et Danny Glover. Le lendemain matin à 10 heures, on démarre l’interview dans un studio de Suresnes par un solo de batterie. Michel n’a pas oublié qu’il était le batteur du groupe Oui-Oui… Encore un que la musique a conduit au film. Massif de la Grande Chartreuse, printemps 2007 Avec Jean-Jacques, nous nous rendons au sanatorium où Georges Jenny inventa l’Ondioline. Dans la voiture, il me raconte qu’il était parti en tournée dans les années 50 avec un jeune chanteur encore inconnu : Jacques Brel. Pourquoi celui-ci n’a t-il pas saisi la chance que lui offraient les sons électroniques ? Charles Trenet utilisa l’Ondioline de Jean-Jacques dans L’Âme des poètes (1951), mais ce fut un coup dans l’eau. Il fallut attendre Gershon Kingsley, moitié de son duo américain Perrey & Kingsley et son morceau Pop Corn (1972), très inspiré par le style Perrey, pour que la musique électronique obtienne son premier hit planétaire... Pendant la tournée, JeanJacques servait d’écran pour éloigner de Brel une chanteuse aux yeux mouillés devenue folle de lui. « Il n’est pas là » devaitil répondre au téléphone. « Heureusement, la ligne était souvent coupée », précise JeanJacques alors que nous passons devant l’usine Opinel. Los Angeles, 14 février 2003 Dans la maison que loue Asia Argento près de Venice, je rencontre Daria Nicolodi, sa mère et co-auteure de plusieurs chefs d’oeuvre de Dario (Suspiria, notamment). Elle me parle de sa vie en Sardaigne. Pour faire ses courses au supermarché du coin, elle utilise son cheval, à qui le gardien du parking (un ami) réserve toujours une place de stationnement… Asia et moi filons sur la terrasse, passons devant le mur de post-its où les scènes de son prochain film (The Heart is deceitful above all things) s’emmêlent dans un joyeux bazar jaune. Un petit appentis nous attend sur la terrasse, transformé en studio pour les besoins de
mon album3. Très professionnelle, Asia insiste pour refaire les voix, déclamant de sa voix caverneuse le texte qu’elle a écrit pour la chanson Ugly Ducklings, où de faux souvenirs empreints de nostalgie surgissent d’une seconde mémoire… Mulhouse, printemps 1983 Qui dira que les punks ne sont pas des êtres démocratiques ? Chez Charles, dans ce quartier haut du Rebberg où se réfugient ceux que l’argent a élevés, on trouve de tout : des gosses de riches aux cheveux hérissés et aux bras maigres ; Baron, un punk prolétaire de Montbéliard, qui trouve ici un soutien dans sa mission
« Pour faire ses courses au supermarché du coin, elle utilise son cheval à qui le gardien du parking (un ami) réserve toujours une place de stationnement… » Ci-dessus : Pavillon 26
de rébellion. On va aux concerts des uns et des autres. Mon frère Philippe, associé au futur découvreur de Patricia Kaas dans l’A.P.R.A. (association pour la promotion du rock en Alsace), défend les couleurs du rock le plus pointu : il organise le passage des Gun Club de Jeffrey Lee Pierce au Pax, à Bourtzwiller. Dans ses soirées du jardin Miquey, on danse sur O Superman, tube indansable de Laurie Anderson, ou sur le Buffalo Gals de Malcolm Mac Laren, dont les scratchs annoncent le hip hop avant le hip hop. En 1983, chacun monte un groupe, file de l’autre côté de la frontière au Cräsh, à Fribourg en Allemagne, ou pour les plus délicats au Totentanz à Bâle, ou
dans des salles communales alsaciennes transformées en laboratoires à décibels… Un génie musical a répandu sur le Grand Est une poussière de déroute et d’innovation sonores ; nos voisins, les Kas Product de Nancy, sont aussi nos frères. 40 ans avant la techno… Constant Martin fut au son électronique ce que Thomas Edison fut à la cire. Michel Gondry parle de ce grand-père comme d’un être un peu loufoque, volant au gré de sa fantaisie de l’électronique à l’image en relief... Une émission des années 60 fait le portrait de cet homme à profil d’aigle, sec comme un ascète. On le découvre dans
son laboratoire versaillais (Versailles et l’électronique : les futurs Air n’étant pas nés), où l’inventeur en blouse blanche a mis au point un appareil grandiose: des cloches électroniques, reproduisant à la perfection le carillon des ouailles. Le journaliste reste bouche bée devant ces cloches vides qui se balancent et emplissent l’atelier de sons électroniques. Avec elles, Constant Martin équipa jusqu’en Amérique du Sud des églises incapables de se payer des cloches en bronze. Il inventa d’autres instruments électroniques, comme ce fameux Clavioline que Jean-Jacques représenta un temps dans sa jeunesse, appareil que le fabricant Selmer commercialisa avec succès, 40 ans avant la techno… i (1) Gilles Weinzaepflen, «Prélude au sommeil» (DVD/VOD sur harmattantv.com) (2) Gilles Weinzaepflen, «L’Egalité des signes» (Editions Le Quartanier, 2007) (3) Toog, «Lou Etendue» (Karaoke Kalk, 2004)
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Matthieu Messagier, Humeurs sur couleurs par leurs noms, Fage éditions, 2009. Images du monde, Fage éditions, 2009. Matthieu Messagier Anima chromatica, Dessins 2007-2009. Fage éditions, 2009.
L’écho de la naissance du poème par louis ucciani
photo : philippe bonan
On a pu voir en octobre dernier la première exposition des dessins de Matthieu Messagier, c’était à la Galerie du jour Agnès b, à Paris. Se profile une seconde exposition à Besançon au mois de juillet prochain. A l’initiative du Centre d’Art Mobile de Besançon, ces deux expositions montrent une face méconnue du poète.
Pour l’exposition de Paris, le Centre d’art mobile avait confié à André Magnin la difficile tâche de faire une sélection dans une production déjà très prolifique. C’est sous le titre Anima chromatica que celui-ci relève le défi et offre une présentation qui révèle l’unité foncière qui existe entre le travail d’écriture de Matthieu Messagier et sa récente production graphique. Trois livres catalogues édités par les éditions Fage donnent aujourd’hui un aperçu de ce qui a été montré. La lignée des poètes qui sont passés par le dessin est prestigieuse. Rappelons quelques noms, Hugo, Blake, Michaux, Artaud, Novarina, mais aussi Kerouac ou encore Bob Dylan… Tous nous disent par le dessin quelque chose de leur écriture, et donc de l’écriture. Outre les échanges entre écriture et figure, qu’on laissera ici aux lettrés, le dessin nous ouvre à une dimension à laquelle l’écriture seule nous laisse extérieurs, voire étrangers. Le dessin livre l’arrière-fond esthétique dans lequel se meuvent rêverie poétique et lexiques du poète. Nous sommes avec lui, confrontés à ce que l’écriture ne peut pas dire du lieu d’où elle vient ; de ces images qui tapissent le fond de l’esprit du poète. Ce
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qui nous est ainsi livré, c’est ce qui se passe au fond du poète ; là où les mots naissent, il y a aussi des images. Si les mots trouvent leur support tissé d’un long travail, les dessins qui surgissent de ce même endroit ont eux la fragilité de ce qui vient au monde pour la première fois. Les mots du poète naissent dans la tradition que son écriture a forgée, ses dessins apparaissent hors codes, hors références explicites. On pourrait voir cela comme s’il s’agissait de mots « loupés » qui ont pris l’aspect d’une image. Matthieu Messagier joue de cette double appartenance en accompagnant, souvent, l’image, le dessin d’un texte. Souvent ce texte est d’ailleurs, d’un poème déjà écrit, comme s’il s’agissait pour nous de voir l’écho de la naissance du poème. Cela donne une esthétique étrange où le dessin semble s’inviter en tremblant avant de se parer des couleurs du réel le plus radical, le sang, ou de la représentation
la plus éphémère avec la cosmétique. La convocation des deux extrêmes, le sang et la cosmétique, c’est-à-dire l’intérieur et la surface, décrit, ouvre et encadre un nuancier de couleurs issu d’encres et de crayons. Cela renvoie à une sorte d’équation à construire où la couleur s’accroche à sa matière et où la matière trouve sa couleur. Le monde qui en apparaît, outre qu’il est celui de l’origine des mots, est aussi celui du poète. C’est son intériorité qui semble se déverser en ces formes et paysages. Anima chromatica, ce sont les couleurs de l’âme mais aussi l’âme de la couleur, toujours ces chiasmes qui s’entrecroisent dans la mise en évidence du lieu de l’origine. Cela dit simplement que cela d’où tout vient est un monde tout aussi complexe que celui où tout arrive. i
Willkommen in Trêllesland Par Alexandre Rolla
En me promenant sur Hollywood Boulevard, après un bref échange avec Superman et Darth Vader, je m’éloigne d’un bon pas, la tête baissée, plongée dans les étoiles. Quelques centaines de mètres plus loin, je tombe face à celle d’Yvonne De Carlo et je pense au film de Nicola Sornaga, Le Dernier des Immobiles, à Matthieu Messagier tenant une photo de l’actrice hollywoodienne et disant qu’elle est « un peu cosmique… qu’elle flotte entre la théâtre et la vie…. qu’elle est un peu absente du théâtre des choses », pour Matthieu, « elle est de toutes les couleurs, elle a du sang blanc, noir, indien, chicanos…1 » Dans Mal de Vair, un théâtre dépareillé, une pièce poème dédiée à Michel Bulteau et publiée dans le dernier livre de Matthieu Messagier,
le poète fait dire à un de ses personnages, Friedrich Nietzsche : « soin des yeux, soin du cœur !2 » Une nouvelle fois, il s’agit d’être absent du théâtre des choses, du théâtre tout court, s’absenter du monde en y étant si farouchement détaché qu’il vous revient en plein regard, en pleine figure et en plein cœur. Les extraits de films flottent encore dans mon esprit lorsque je regarde Mirror, Mirror3, un des derniers films d’Yvonne De Carlo, où elle apparaît en guest star dans ce brouillon fantastique dans lequel il est question d’un miroir magique. Dans le dernier livre de Matthieu Messagier, comme dans le film de Nicola Sornaga, il est question de miroir aussi, mais c’est ailleurs que la magie opère.
Matthieu Messagier, répondant à André S. Labarthe, dit : « Le cinéma n’est pas dans les images comme la poésie n’est pas dans les mots.4 » « Cinéma sans tain », « Poèmes sans tain », les questions sont les mêmes, ni miroir, ni fenêtre, il ne s’agit pas de voir grâce à, ou à travers, il ne s’agit pas non plus de refléter mais plutôt de tout embrasser, d’être à la fois dedans et dehors5, dans et hors le poème, dans et hors le théâtre, dans et hors le cinéma, dans et hors le monde. Seul, le pays de Trêlles permet tous ces écarts. Habiter ce pays permet à Matthieu Messagier de dépasser l’écueil de l’artiste. Se plaçant dans un écart absolu, dans et hors du monde, il n’est plus le garant, la sentinelle de la perception, piège pour l’artiste, qui, comme le philosophe, à force de questionner le monde en oublie l’objet premier de sa quête, l’art pour le premier, la vérité pour le second. « Entre la nature et nous, que dis-je ? Entre nous et notre propre conscience, un voile s’interpose, voile épais pour le commun des hommes, voile léger, presque transparent pour l’artiste et le poète.6 » Matthieu Messagier pulvérise tous ces leurres, le voile, la nature, la conscience. Le poème est sans tain. Il n’a pas à dire, lire, voir, transmettre, éclairer, expliquer… Son territoire est infini, sa parole est libre, ses images non censurées. Le poète côtoie le monde, parfois, le parcourt, à l’occasion, il y croise quelques êtres humains, échange quelques paroles, mais toujours il vagabonde, du réel à l’imaginaire, de lui à l’autre, de Trêlles à Strasbourg ou de Katmandou à Novgorod. Dans le territoire du poème, il n’y a ni distances, ni frontières, ni réticences, ni porosités. Tout est là, à portée. Le poème est sans tain, il réfléchit comme il traverse, il ignore comme il absorbe, il disperse comme il inonde. i « Ici… Ici à Trêlles, les choses s’allongent indéfiniment, il semble que rien ne soit fini le rétrécissement y est inconnu la matière vous étire malgré vous de chaque côté de l’être les jours et les nuits passent des chemins et encore d’autres et d’autres encore.7 » Ici Trêlles, à vous les studios.
(1) Matthieu Messagier, cité dans Nicola Sornaga, Le dernier des Immobiles, 2004, film, 103 minutes, édition DVD, Choses Vues, 2007. (2) Matthieu Messagier, Poèmes sans tain, autres sauvageries, Paris, Flammarion, 2010, p. 84. (3) Mirror, Mirror, 1990, film de Marina Sargenti, 104 minutes. « Cinéma sans tain », dialogue entre André S. Labarthe et Matthieu Messagier à propos du Dernier des Immobiles, livret accompagnant le DVD, Nicola Sornaga, Le dernier des Immobiles, 2004, film, 103 minutes, édition DVD, Choses Vues, 2007. (4) À cette occasion, Notes du dehors, de Matthieu Messagier, déjà publiées en 2005 par Léo Scheer, ont été rééditées. (5) Cinéma sans tain, dialogue entre André S. Labarthe et Matthieu Messagier à propos du Dernier des Immobiles, livret accompagnant le DVD, Nicola Sornaga, Le dernier des Immobiles, 2004, film, 103 minutes, édition DVD, Choses Vues, 2007. (6) Henri Bergson, Le Rire, III, 1, Paris, Alcan, 1900, p. 115. (7) Matthieu Messagier, Poèmes sans tain, autres sauvageries, Paris, Flammarion, 2010, p. 157.
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French Chicken, dans le cadre de la Nuit des Musées, le 15 mai, au Musée des Beaux-Arts de Besançon Théâtre de l’Espace : 03 81 51 03 12 – www.theatre-espace.fr www.tomeovergesmandrake.com
En résidence avec sa compagnie Man Drake au Théâtre de l’Espace, Toméo Vergès fait partie de ces chorégraphes dont le travail se situe à la lisière du théâtre et de la danse. Une certitude que l’artiste bouscule avec Meurtres d’intérieur, solos féminins faits de désirs mutins et de libertés archaïques tout entiers dévoués aux corps. Rencontre.
Toméo Vergès, la danse sensationniste par caroline châtelet
photos : alex perez
Jubilations intimes Quelques mots échangés avec Toméo Vergès sur les intitulés de certaines de ses créations – French Chicken, Chair de Poule – suffisent pour que celui-ci vous glisse, presque en s’excusant, « mes parents étaient bouchers. Alors la viande, chez moi, vous savez... » Non, le public ne le sait peut-être pas, mais il le découvrira à coup sûr devant l’une des pièces chorégraphiques du catalan : il y a dans le travail de Toméo Vergès une présence du corps particulièrement prégnante, au sens le plus charnel du terme. Travailler la danse n’étant pas nécessairement travailler le corps, Toméo Vergès a, lui, choisi d’explorer les possibilités du second. Rien dans ses spectacles d’une danse éthérée, exécutée par des figures à la plastique parfaite. Ce sont, au contraire, des corps concrets et bien réels qui investissent le plateau, produisant une danse organique et puissante. Entre plaisir et gêne, les créations de la compagnie font mouche, prenant aux tripes et se gravant dans la mémoire.
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Ce sont ces persistantes émotions que l’on éprouve à la découverte de Meurtres d’intérieur. Dans un espace épuré et dénué d’accessoires, la dernière création de la compagnie se construit autour de trois solos de femmes. Comme Toméo Vergès l’explique : « J’ai souhaité explorer la féminité dans sa contemporanéité. N’ayant jamais travaillé uniquement avec des femmes, je me suis lancé dans cette aventure avec Sandrine Maisonneuve, Sandrine Buring et Antje Schur, collaborant pour la première fois avec ces deux dernières. » Ensemble, l’équipe puise dans l’imaginaire collectif ainsi que dans la singularité des interprètes. Les solos sont, donc, intimement portés par ces « trois femmes particulières, chacune s’appropriant à sa façon les questionnements soulevés en équipe. » On n’en doute d’ailleurs pas une seconde, tant les pièces sont organiques, chacune des danseuses partant d’une situation initiale propre – tentative de définition via “je suis...” pour Antje Schur, répétition près de cent trente fois d’un même parcours pour Sandrine Maisonneuve, mise à nue pour Sandrine Buring – pour épuiser ce cadre donné.
Dans ce qui relève d’un travail sur leur propre motif, il s’agit pour chacune « de lutter, d’effleurer toutes les choses qui luttent en nous, et de les donner à voir. Mais elles ne sont pas que dans la contrainte, il y a du plaisir et ces deux éléments provoquent une friction. » Cette friction est d’ailleurs directement adressée au public, par leur « regard frontal, qui interpelle. Chacune d’elles se montre » sans s’exhiber, Toméo Vergès précisant « qu’elles donnent à voir un paysage », questionnant par là notre présence au monde. Et derrière l’apparente austérité du dispositif se révèlent des univers qui, entre malices, tumultes, insolences et moqueries enfantines, bruissent de chacun de leurs gestes. Des mouvements amplifiés par des robes de papiers, « pages blanches sans connotations sociales ou vestimentaires particulières » sur lesquelles chacune écrit sa propre féminité. Plis, froissements et autres pulsations intimes viendront marquer leur robe, rappelant une fois encore que même en proie à des luttes ou à des obsessions universelles, chacune travaille son propre matériau...
Le geste en questions Si Meurtres d’intérieur, à l’image des travaux précédents de Toméo Vergès, contient une puissance charnelle, la pièce constitue cependant un tournant dans l’histoire de la compagnie. Comme lui-même l’explique : « Ayant toujours été confronté au double travail de la danse et du théâtre, notamment lors de mon travail avec Maguy Marin sur May B, continuer dans cette voie au sein de ma compagnie m’était naturel. Mais dans mes dernières pièces, la théâtralité m’intéressait moins. » Voilà la raison pour laquelle Meurtres d’intérieur ne comprend pas d’objets, “béquilles” pour le chorégraphe : « C’est très subjectif, mais j’ai parfois utilisé les objets en remplacement d’une chose, d’un être, des personnes sur le plateau... » En se contraignant à leur absence, Toméo Vergès veut réinterroger son geste, « ce qui se passe sans parachutes pour tenter d’entendre, d’écouter le besoin, le cri. Y aller en dépit des risques est un challenge, mais l’angoisse qu’ils produisent est à utiliser comme un moteur de créativité. » Soit une volonté assumée, portée par la nécessité de se remettre en danger.
Ce souci de questionner le geste de chorégraphe se manifeste également par une permanente envie d’échange et de dialogue avec le public. D’une part par ce que le spectacle peut produire chez celui qui l’a vu, d’autre part par des temps de rencontres institués. Ainsi, la résidence de la compagnie Man Drake au Théâtre de l’Espace à Besançon est l’occasion de la tenue de multiples rendez-vous, qu’ils soient workshops avec les étudiants de l’École d’art ou ateliers avec des amateurs. Un atelier pédagogique organisé en février donnera lieu à une performance présentée
en mai à l’occasion de la Nuit des musées. Intitulée French Chicken – la fameuse – et réalisée un peu partout en France et en Europe « à chaque fois avec des volontaires locaux, elle réunit douze hommes et douze poulets. » Une création où, on l’aura compris, Toméo Vergès réaffirme son souci de « travailler sur le vivant, d’explorer le corps, en interrogeant ce que signifie “sentir” ». Car tout comme l’artiste se doit pour le chorégraphe de se livrer à une remise en danger, il importe que chacun puisse « sentir, en travaillant avec les sensations, le toucher, l’écoute, pour par là s’interroger sur sa présence au monde... » i
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urban Scénos<<RR=FF>>dark Zone? du 18 au 30 mars au Maillon à Strasbourg www.le-maillon.com – www.eternalwork.org/scenographiesurbaines
[re]montrer la vi[ll]e par sylvia dubost
photo : jean-christophe lanquetin
Depuis 2002, les Scénographies urbaines du collectif scu2 investissent les quartiers des capitales africaines. Entre exposition et installation, urban Scénos<<RR=FF>>dark Zone? tente de restituer ces aventures autant humaines qu’artistiques, où les œuvres produites sont le plus souvent immatérielles.
Comme souvent, l’histoire du projet débute bien avant le premier événement. Elle commence en 1998, avec la rencontre entre les artistes camerounais du Cercle Kapsiki et les scénographes et artistes François Duconseille et Jean-Christophe Lanquetin, tous deux enseignants à l’École Supérieure des Arts Décoratifs de Strasbourg. Naît alors un véritable compagnonnage : Duconseille et Lanquetin se constituent en collectif (Scu2) et invitent les Kapsiki en résidence à l’Esad ; ensemble, ils organisent en 2000 les premières Scénographies urbaines à Douala, dans le quartier de New Bell, l’un des plus durs de la capitale et patrie des Kapsiki. Ils invitent 26 artistes – plasticiens, photographes, vidéastes, scénographes, chorégraphes, poètes, musiciens… –, venus du Congo, d’Égypte, du Kenya, du Liban, de France… à vivre et travailler dans le quartier, ensemble et avec les habitants, pour trois semaines de résidence. Une manifestation d’une ampleur que la ville n’a jamais connue, New Bell encore moins. En l’absence de structure relais sur place, il a fallu tout inventer, tout gérer, négocier avec les habitants. Et en l’absence de lieux de production et d’exposition, tout le travail se fait dans l’espace public. Pendant trois jours de festival, les artistes et habitants présentent le fruit de leurs rencontres dans les rues et les cours de New Bell : beaucoup de performances, des œuvres installés dans la rues ou réalisées à même les murs, des lectures de poésie, un défilé de mode…
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Le projet est reconduit selon les mêmes modalités. Pour chaque « Scéno », Scu2 s’appuie sur un collectif d’artistes installé dans la ville choisie, « pour ne pas être une pièce rapportée de plus ». À Alexandrie en 2004, Kinshasa en 2006, Johannesburg en 2009, et bientôt Dakar, l’ambition est de revisiter « des espaces urbains souvent non pensés-regardés, sinon en termes de banlieue, bidonville, (in)salubrité, (in)sécurité, alors qu’ils sont nos villes contemporaines, des lieux de vie, des espaces publics en devenir. » Comme à Douala, les Scénographies urbaines y produisent des gestes, des actes, plutôt que des pièces. Dans ce processus, le travail mené avant et pendant la résidence, les rencontres entre artistes et avec les habitants sont aussi importants que les œuvres. C’est l’ensemble du travail, l’intervention des artistes dans la cité pour la questionner et la repenser avec ses habitants, qui est ici œuvre. Habiter la ville devient un acte artistique, que Jean-Christophe Lanquetin conçoit ainsi : « Le rôle des résidences est de poser des questions, par un jeu de croisement de regards et d’actes, de susciter des échanges, de déplacer, d’altérer les points de vue, de créer de la mise à distance sur un territoire devenu très familier et souvent perçu négativement par ceux qui y vivent. Ce territoire est si peu traversé par des regards extérieurs qu’il est vécu comme oppressant et semble sans issue. Il s’agit simplement d’une traversée des résistances.
Que quelque chose ait lieu, se déplace et fasse sens, tant chez les participants que le public. Il est possible, et c’est notre souhait, que les résidences servent de déclencheur à un désir des habitants de faire évoluer une situation. » Les traces de cet acte, né par, pour et avec le contexte, sont aussi immatérielles que l’acte lui-même. Il en reste quelques-unes, physiques, sur les murs des quartiers. D’autres, évidemment, dans les mémoires des participants… et dans leur disque dur. Photos, vidéos et
textes : toutes les Scénographies ont été abondamment documentées. C’est l’ensemble de ces traces que Lanquetin et Duconseille ont voulu ré-exploiter. Dans ces dispositifs de restitution, de représentation, il ne s’agit pas d’exposer ces traces (un exercice assez ennuyeux pour les artistes comme pour le spectateur), plutôt de créer une nouvelle œuvre, une proposition artistique qui réinterroge les précédentes. Entre installation et parcours, urban Scénos<<RR=FF>>dark Zone?
revient à Strasbourg sur la résidence de Johannesburg, et se demande une nouvelle fois, après Paris et Bâle, comment rendre visible et intelligible des rencontres et des échanges, qui continuent de transformer les regards. i Le prochain numéro de la revue Livraison sera consacré aux Scénographies urbaines (sortie mai 2010) + Prochaine résidence en mai 2010 à Dakar
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Une secte et quelques monstres de Didier Fohr, collection Borderline, éd. Territoires témoins.
Territoire témoins : édition sans limites par virginie joalland
illustration sherley freudenreich
Corruption, viols, crimes, trahisons rythment les premiers romans publiés par cette toute nouvelle maison d’édition. À son bord, des passionnés de littérature, des plumes en devenir et un goût prononcé pour le subversif.
Zone de perturbations Il y a un an tout rond, la maison d’édition Territoires témoins émergeait à Malzéville, dans la banlieue nancéienne. Derrière elle, deux piliers familiers du paysage local : Serge Klock et Rachel Valentin. Il est un ancien communicant ayant vagabondé d’agences en agences, de Nancy à Paris, en passant par Metz. Elle est une ex-fine plume de l’Est Républicain à Nancy et sévit encore au gré de piges dans la presse féminine. Chez Serge Klock, l’idée de monter une maison d’édition avait déjà germé il y a quelques années. « En 1985, j’avais acheté un petit bouquin, Comment monter sa maison d’édition. » Mais à l’époque, le pari était plus difficile et onéreux à relever. L’ambitieux projet ressurgit finalement en février 2009 et quatre romans plus tard, le bilan est plutôt positif. « On n’a pas perdu notre temps ! » savoure l’éditeur. Derrière une vocation affirmée, découvrir de nouveaux talents, Territoires témoins donne un réel coup de pouce aux jeunes auteurs. « On les aide à accoucher de certaines choses. » Et si l’un de “ses” auteurs était goncourisé, que se passerait-il ? « Les gens achètent un auteur pas une maison d’édition. » assure Serge Klock. La maison d’édition envisage de vendre certains droits à des éditeurs de livres de poche ou encore à l’étranger, mais l’ambition financière s’arrête là. « Nous sommes une association, pas une entreprise ! »
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Au sein de la maison cohabitent deux collections : Dépendances et Borderline. La première a pour but de recueillir les ouvrages au bon goût de thriller psychologiques où les personnages doivent jouer et lutter avec leurs sentiments. À ce jour, seul Une amie qui vous veut du mal d’Annick Elias porte les couleurs de Dépendances. En l’occurrence il s’agit d’une histoire d’amour et de trahisons qui tourne mal. « Quand ça finit bien, c’est Harlequin. » précise Serge Klock. Inutile de chercher les niaiseries sentimentales, il n’y en a pas. La collection Borderline compte déjà trois romans sacrément subversifs. Mauvaises nouvelles d’Afrique et des Caraïbes, de Christian Samson est un recueil de nouvelles toutes plus violentes les unes que les autres. L’exotisme des paysages n’adoucit en rien les mœurs des personnages. Le lecteur glisse progressivement du rêve à une réalité effrayante, parfois même dégoûtante. Tout cela dans la lignée des grands romans noirs.
Squatteurs’ story, d’Alexis Gleiss est lui aussi bien à sa place dans la collection. Car “borderline”, ses personnages le sont. De scènes de viols détaillées au possible en courses-poursuites improbables, le polar de ce natif de Nancy est joliment mené. Le petit plus, un CD où figure la musique du roman comme il existe la musique de film. Une création originale du Messin Christian Stomp dont on profite davantage après lecture. Troisième auteur à avoir publié dans Borderline, Didier Fohr s’amuse à décrire les investigations d’un Rouletabille aux déboires sentimentaux amusants dans Une secte et quelques monstres. Le roman n’en est pas moins sombre et jongle entre maltraitances sexuelles, corruption et cadavres à gogo. i
Rouletabille en territoires sectaires Journaliste à Belfort, Didier Fohr a publié chez Territoires Témoins Une secte et quelques monstres, son premier roman. Un polar dirigé par un Rouletabille convaincant. Les Éditions Territoires Témoins racontent de préférence les histoires extraordinaires de gens ordinaires. Votre source principale se situe t-elle dans les faits divers que vous couvrez ? Le roman est librement inspiré d’une histoire que j’ai traitée il y a une dizaine d’années. Le fait en lui-même était déjà très romanesque mais le roman est une libre interprétation. J’ai fait huit années de faits divers, forcément il y a des histoires qui restent, qui marquent mais ce ne sont que de lointaines inspirations.
Quelle liberté vous apporte l’écriture d’un roman ? Face à son ordinateur, on fait ce qu’on veut et c’est jubilatoire ! Si on veut faire mourir les gens, on peut. Il y a une vraie liberté. Mais il y a quand même un côté angoissant, parfois on se demande où on va. On garde des réflexes journalistiques, on s’en débarrasse au moment de la relecture. Écrivez-vous uniquement par plaisir ou bien cherchez-vous à démontrer quelque chose au travers de vos écrits ? C’est d’abord du plaisir. On n’écrit pas que pour soi. On écrit pour donner à lire. Quand j’ai mis le point final au bouquin, je me suis dit que ce serait dommage de le laisser au fond d’un placard.
Une secte et quelques monstres fait partie de la collection “Borderline”. Vous sentez-vous très “borderline” ? L’histoire l’est. Elle est sulfureuse. C’est très érotisé, c’est très malsain. Moi je suis pur, bien sûr ! Je n’ai aucune attirance pour les godemichés de 38 centimètres de long, comme certains de mes personnages. C’est un livre sur la part d’ombre qu’on ne soupçonne pas chez les autres. Que pensez-vous des autres livres de la collection ? Ils sont très “borderline” également. Quand j’ai lu Squatteur’s Story d’Alexis Gleiss, j’ai compris que j’avais ma place dans cette collection. Ce livre m’a renvoyé au mien. i
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Un pour tous / tous pour un ! par coline madec + emmanuel abela photo antoine wagner
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Phoenix en concert le 21 mars à La Vapeur, à Dijon ; le 24 mars à l’Autre Canal, à Nancy 03 80 609 610 – www.lavapeur.com www.lautrecanalnancy.fr
Fraîchement auréolé de son Grammy awards, Phoenix revient en tournée en France. Désormais le succès est là et la reconnaissance unanime. Retour sur la méthode de ces mousquetaires de la pop, avec le guitariste Christian Mazzalai, lors de leur dernier passage à La Laiterie, à Strasbourg
Nous nous étions déjà rendus compte que chaque album comptait 10 morceaux et durait 37’, la chose se confirme sur Wolfgang Amadeus Phoenix. Est-ce le format pop idéal pour vous ? Oui, ça peut paraître ridicule, mais pour pouvoir s’exprimer librement, il faut se fixer quelques règles. Il est important pour nous de nous inscrire dans un cadre. Après, à l’intérieur de ce format, on explose tout ! C’est digne de l’Oulipo, votre affaire ? Absolument, 10 morceaux et un instrumental, c’est notre règle depuis notre adolescence. En tout cas, nous le voyons ainsi. Mais pour ce disque, nous avions enregistré une quinzaine d’heures de musique. Tout ce matériau inutilisé, que devient-il ? J’aurais le fantasme de les exploiter ainsi sous la forme de face B de singles, mais ça n’est pas notre truc. Chaque morceau est pensé comme le dernier. Un mot sur cet instrumental central, qui a généralement une vocation expérimentale ? Je ne saurais expliquer sa présence, ça répond à un besoin, surtout là sur le dernier album. Ce morceau, en deux parties [Love like a Sunset part.1 and 2, ndlr], impose une tension qui se relâche au fur et à mesure. En fait, quand on a commencé à enregistrer c’était la seule idée que nous avions : un instrumental long et minimaliste. En tournée, nous avons commencé à beaucoup écouter de musiques minimales, Brian Eno ou Steve Reich que nous sommes allés voir en concert à Cologne – peut-être le meilleur concert que j’ai vu !
En fait, vous créez des effets de symétrie, comme s’il existait une face A et une face B. Oui, tout simplement parce que cet album a été pensé vinyle. Il s’agissait de placer entre les deux faces un tunnel qui marque une destination. Vous avez récemment affirmé vos affections musicales dans le cadre d’une sélection pour le label Kitsuné : Chris Bell, Roxy Music, Red Crayola. On adore tous ces artistes ; ils sont fondateurs pour nous. Nous écoutons rarement les morceaux que nous avons sélectionnés, mais à chaque écoute, nous sommes bouleversés. Kitsuné est identifié à la fête, mais nous avons souhaité proposer quelque chose à l’opposé : le truc à écouter, seul chez soi, ou en voiture la nuit ; le truc presque mystique, nocturne et solitaire. Et en même temps, on peut écouter Red Crayola et prendre du plaisir à réécouter Thriller de Michael Jackson, qui se situe au plus haut niveau. Nous avons toujours envisagé la musique loin des concepts, qu’elle soit underground ou mainstream. Et pourtant, c’est avec votre dernier album, qui n’est pas forcément le plus abordable, que vous accédez enfin au succès en France. Oui, contre toute attente. Ce disque que nous souhaitions réaliser en deux mois, nous l’avons fait en deux ans. Les paroles se veulent critiques, les structures sont complexes, mais au lieu de perdre des fans, nous en avons gagné beaucoup. Notre album d’avant était plus populaire, mais c’est avec celui-là que nous obtenons la consécration. Tout cela est anecdotique, mais on ne peut nier notre plaisir à obtenir ce succès, même si ça reste incroyable pour nous.
Il y a un retour au format chanson chez des groupes américains comme Au Revoir Simone ou Chairlift et quand on les interroge, ils vous citent vous comme l’une de leurs influences. Je n’avais pas conscience de l’influence que nous pouvions savoir. Il est vrai qu’on se sentait isolés, il y a encore 5 ans. Là, aujourd’hui, on ne fait pas forcément la même musique, mais on se sent proches de plein de jeunes groupes. L’attitude est commune, elle est voisine. Ça peut être Chairlift qu’on a invité à ouvrir pour nous récemment en France, mais aussi des groupes comme Grizzly Bear. On peut constater un état d’esprit général orienté vers une forme pop nouvelle. Par exemple, je suis très fan des Dirty Projectors. Leur dernier album est une vraie réussite. Ils constituent pour moi l’avantgarde musicale aujourd’hui. Y a-t-il une collaboration à laquelle vous rêveriez aujourd’hui ? À quatre, nous avons développé une manière de faire de la musique qui est assez singulière : moi, seul, je ne vaux rien par exemple, et il en va de même pour les autres membres du groupe. On ressent le besoin de nous enfermer tous les quatre dans une pièce et de travailler beaucoup, et du coup il n’est pas simple pour nous d’inviter d’autres personnes. On a déjà essayé, mais ça n’a jamais fonctionné, sauf pour le dernier avec Philippe Zdar. Mais là, c’était un copain. Je ne sais pas pourquoi, mais nous n’arrivons pas à accueillir une cinquième personne et c’est comme ça depuis qu’on a quatorze ans. i
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Visuel : Tobias Rehberger, Non Stop, 2008 + AlsachĂŠrie : DĂŠfense dâ&#x20AC;&#x2122;afficher, 2008.
MULHOUSE, VILLE D'ART CONTEMPORAIN Le Quai, ĂŠcole supĂŠrieure dâ&#x20AC;&#x2122;art // lequai.fr La Kunsthalle, centre dâ&#x20AC;&#x2122;art contemporain // kunsthallemulhouse.fr Mulhouse 010, exposition de la crĂŠation contemporaine issue des ĂŠcoles dâ&#x20AC;&#x2122;art europĂŠennes // mulhouse.fr
La vraie vie des icônes / 4 Par Christophe Meyer Le décès de Michael Jackson, le 25 juin dernier, inspire à Christophe Meyer une série de gravures, pour autant d’épisodes d’un feuilleton en cours. Quatrième volet : Pyrotechnie/Jouer avec le Feu.
Permettez-moi de me présenter Je suis un homme riche Un homme de goût Voilà longtemps que je rôde J’ai volé à plus d’un Son âme et sa foi J’étais là quand Jésus Christ Douta et souffrit Quand Pilate s’en lava les mains Ravi de vous rencontrer J’espère que vous devinez mon nom Mais vous aimeriez bien savoir à quel jeu je joue... Cette chanson en fabrication artisanale, fiévreuse, tendue autant que décontractée s’égrène dans le film de Jean-Luc Godard sur les Rolling Stones, One +One et loin semble la présence de celui qui demande à se présenter, tant l’énergie du rock en construction dégage d’une vitalité antidote à l’invocation du mal, alors que le lumineux ange blond Brian Jones en est saisi, déjà. This is It, le film de Kenny Ortega tente de reconstituer ce qu’aurait été le dernier spectacle de MJ. Lors de la présentation en mars 2009 de la tournée prévue pour juillet, déceptive apparition de moins d’une minute, noirs cheveux longs raides, noirs orbites lunettées, noir vêtu chamarré d’argent, galonné de chevrons de strass sur fond de rideaux rouges, MJ lâche dans un souffle d’espoir et de soulagement “this is it, this is the final curtain call”. L’appel au tiré de rideau. This is it le film s’ouvre sur le témoignage de danseurs et danseuses venus du monde entier en audition, débordés d’émotion après leur sélection, un Graal pour chacun d’entre eux, pour différentes raisons, qui toutes, nous touchent. Le making-of est en route. Générique gris bleuté parcouru de bulles (préfiguration d’une embolie ?) dédié « pour les fans », le producteur invoque « une ouverture choc, avec des effets pyrotechniques, on veut que ça crépite, des étincelles, des explosions », puis stock-shots chocs de l’actualité sanctifiée, vidéo-informations en rafales (Eagle vers la Lune, Mère Theresa, chute du Mur de Berlin, Yes We Can). Michael Jackson est présenté comme l’Homme de Lumière, en un éblouissant scaphandrier vidéoanimé s’ouvrant par pièces et dont il sort dans un flot de lumière, veste argent, pantalon rouge vif, bras droit tendu vers le ciel. Sur un geste, le son est lancé,
et il s’anime, glissant moonwalk. Unification de différentes séquences de répétitions par la musique, tout le spectacle est préfiguré, parfois dépouillé à l’os et à vif s’articule et s’incarne dans la silhouette et le corps décharné de MJ, vibrant d’urgence. Mais où joue la part de l’ombre, dans cette lumière ? Let me introduce to you the dark side of the moonwalk. Anesthésie, Propofol.
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Tout contre la bande dessinée Par Fabien Texier – Illustration : détail de la page 77 de L’Art sans Madame Goldgruber, Malher, L’Association
« Une BD, en dessous d’un certain nombre de milliers d’exemplaires vendus, 8000 ou 10000, n’est pas rentable. ». Propos cité par Jochen Gerner dans Contre la bande dessinée, l’Association
Le visage de la bande dessinée en librairie s’est métamorphosé de 1990 à 2010 consacrant des œuvres et des auteurs : nouveaux, indépendants, alternatifs… Sévère lifting en vue ! C’était, au début des 90’s, de ces livres qui semblaient ne devoir paraître que chez de petits éditeurs décidés à prendre leur part de risque pour voir vivre des œuvres qui avaient disparu du marché… Cette altérité développée dans l’ombre éclatait par des signes manifestes aux yeux de qui connaissait une librairie d’initiés ou risquait de se rompre le dos pour atteindre ces rayonnages ésotériques, à demi squattés par des BD porno. Du noir et blanc d’abord, synonyme de mévente hors quelques niches commerciales comme (À suivre), à bout de souffle, et Fluide Glacial à qui Blutch livrait Sunnymoon, et d’extra-terrestres comme Marc-Antoine Mathieu chez Delcourt. C’était aussi des formats plus petits, des couvertures souples, parfois très proches de l’aspect de l’édition littéraire et publiés par : L’Association, Cornélius, Les Requins Marteaux, Atrabile, ego comme x, Vertige Graphic, Rackham, Six pieds sous terre, Flblb… On questionnait ou s’affranchissait de la narration, particulièrement chez Fréon, Amok et Le Dernier Cri, les expériences de l’Ouvroir de Bande dessinée Potentielle démarraient. Au milieu des 90’s, Christophe Blain et David B. travaillaient à un western décalé, doutant que Guy Vidal, éditeur chez Dargaud, puisse un jour faire accepter La Révolte d’Hop-Frog. Mais c’était surtout le monde réel qui l’emportait chez les alternatifs : l’autobiographie était reine, ego comme x la prenait même comme seul horizon. En 1996 commençaient à sortir des traductions des reportages de Joe Sacco chez Vertige Graphic, et avec lui les indépendants américains.
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Au tournant du millénaire, même si chez certains libraires spécialisés, on se gausse encore des « gribouillis » d’un Joann Sfar, la révolution est déjà accomplie. Dargaud a publié Hop-Frog (1997) et Vidal créé en 2000 la collection poisson-pilote chez Dargaud. Dans la foulée de Daniel Clowes en 1998 chez Cornélius et Vertige Graphic, Jim Woodring chez l’Association, Delcourt se lance dans la publication d’un autre chef d’œuvre underground américain, Black Hole de Charles Burns, puis Jimmy Corrigan de Chris Ware. Seth, Joe Matt et les Hernandez Bros. seront publiés par Le Seuil. En 2000, Marjane Satrapi a déjà porté le coup décisif avec le succès inespéré de Persépolis à l’Association, et en 2007 son adaptation au cinéma (son co-réalisateur, Winshluss, pointure des Requins Marteaux, est alors encore méconnu !). Denoël qui a demandé à Jean-Luc Fromental de traduire Gemma Bovery de Posy Simmonds (2000) ne répète pas l’erreur de Flammarion, qui avait annexé Maus, le Pulitzer 1992, à la littérature. Il charge ensuite l’ex redac’ chef de Métal Hurlant de créer un label spécifique : Denoël Graphic. Casterman sort sa « collection blanche », Écritures, avec notamment un gros travail de Frédéric Boilet (un auteur phare d’ego comme x) sur Quartier Lointain de Jiro Taniguchi. Le travail des indépendants a servi de tremplin au renouvellement de la bande dessinée francophone, à son ouverture au monde. Les rayons alternatifs ont gagné en puissance, y compris dans les Fnac/Virgin, les librairies généralistes, des plus grandes aux plus pointues, consacrent un espace croissant aux indépendants et aux labels des majors qui leur ont emboîté le pas. Éditeurs de tous bords, auteurs, journalistes, ont la même expression à la bouche, c’est le nouvel « âge d’or », étayé par le succès exponentiel des mangas pour ados, importés depuis 1990 par Glénat. Nouveau symptôme : les indépendants publient après 2000 les mangas d’auteurs de Nakazawa, Tatsumi, Tsuge, Mizuki…
Alors que de plus en plus d’œuvres fortes sont accessibles en librairie, il est encore possible de suivre l’essentiel, de discerner les mouvements généraux dans un art en pleine explosion. Même si l’on s’inquiète déjà d’une tendance à la surproduction, le succès des petits a nourri les mastodontes dont la mise en branle a créé à son tour de l’espace pour eux. Aux fondateurs cités plus haut s’ajoutent, prenant de l’ampleur ou nouveaux venus : la Cinquième Couche, l’An 2, Çà et là, la Boîte à bulles, Les Impressions Nouvelles, Denoël Graphic, Actes Sud BD, Le Seuil BD, Gallimard-Soleil-Futuropolis et les labels des majors spécialisés. Les auteurs passent chez les uns et les autres, deviennent directeurs de collection, comme Sfar (Bayou) et Trondheim (Shampoing), L’Association perdant nombre de ses têtes au passage. En 2010, ils sont imités et vénérés comme des maîtres, l’autobiographie est un genre à la mode, les plus petits éditeurs, comme Warum, parviennent à se frayer un chemin dans les grandes enseignes pourvu que le responsable du rayon soit inspiré. Voici venu le temps rêvé où les piles de La Genèse, La Guerre d’Alan, et Palestine rivalisent avec les Lanfeust, Les Passagers du vent ou Putain de guerre ! Persépolis est aussi indispensable dans un fond qu’Astérix. AlléluÏa ! L’heureux client a tout sous la main : que cela vienne de chez les gros ou les petits éditeurs. Pourtant le malaise et la crise émergent* : la (relative) symbiose des 00’s n’existe plus. Les auteurs indépendants réintégrés publient toujours davantage chez les éditeurs les plus puissants, concurrençant leurs propres ouvrages et leurs découvreurs qui ont de plus en plus de mal à placer leurs livres. Dans un contexte général de surproduction où même les plus grosses séries peuvent voir un bon tiers de leur énorme tirage repartir chez l’éditeur,
il s’agit d’inonder les libraires de nouveautés pour manger l’espace concurrentiel. Le fond de moins en moins mis en valeur s’étiole, les rayonnages sont de moins en moins lisibles, la durée de vie des livres est de plus en plus courte. Les signes distinctifs des 90’s ne représentent plus rien : l’autobiographie, le reportage, comme le noir et blanc peuvent servir une œuvre indigente, parfois mise en en avant par un éditeur seulement désireux d’occuper le terrain, ou de récupérer quelques kopecks. Si l’avenir financier de L’Association semble assuré par la fidélité (exclusive !) de sa locomotive Satrapi, on peut s’inquiéter pour les autres (en dépit de succès relatifs comme NonNonBâ ou Pinocchio), leur suivi attentif d’un auteur, leurs projets hors normes de Comix 2000 à L’Autre fin du monde. Ironie du marketing, on remarque un retour en force des couvertures cartonnées dans l’espoir d’attirer le chaland. La concrétisation des craintes de J.-C. Menu dans Plates-Bandes ? Un éditeur nous confiait récemment : « La lassitude gagne beaucoup de monde en ce moment, des éditeurs aux libraires, en passant par les diffuseurs. La faute à la surproduction et l’écœurement giroboulatoire qu’elle produit, mais sans doute pas seulement. Nous nous trouvons à un tournant dont on ne mesurera la courbe que bien trop tard sans doute… »
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Songs to learn and sing Par Vincent Vanoli
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La stylistique des hits Par Matthieu Remy — Illustration : Dupuy-Berberian
L’onomatopée
Ce qu’adore la variété française, c’est le langage apparemment le plus décontracté, le plus dans l’air du temps. La variété française aime la langue qui se transforme, qui s’américanise, qui se modernise ou qui régresse. On ne compte pas les onomatopées dans les paroles de chansons françaises, et qui viennent raviver les titres, gonfler les refrains. Dans Les Playboys de Jacques Dutronc, en 1966, le narrateur utilise une série d’onomatopées pour prévenir la censure et évoquer mystérieusement le fonctionnement d’un appareil qui rendrait folles les jeunes filles : « Croyez-vous que je sois jaloux? Pas du tout, pas du tout !/Moi j’ai un piège à fille, un piège tabou/Un joujou extra qui fait crac boum hu/Les filles en tombent à mes genoux ». L’onomatopée sert merveilleusement bien les desseins du « poème approximatif » qu’est une chanson, selon la formule de l’auteur Pierre Philippe. Car l’onomatopée a le sens du rythme et se colle un peu partout, bouchant les trous, faisant swinguer ce qui pourrait être désespérément plat. Regardez Comic Strip de Serge Gainsbourg, qu’y aurait-il dans cette chanson sans les CLIP ! les CRAP ! les BANG ! et les SHEBAM !?
Ces mots qui sont autant de bruits renvoient encore et toujours à la fonction de divertissement que se donne la variété française à ses débuts. On s’amuse avec les mots, avec les sons qu’ils produisent, sans se soucier forcément du sens, parce qu’il n’est pas vraiment question de faire de la poésie. Dans la variété française post-yéyé, on veut s’émanciper de la grande chanson française, celle qui lorgne vers la poésie justement, et l’on utilise pour cela non seulement une langue américanisée, mais aussi une langue retournée en enfance, où les onomatopées deviennent des signaux de ralliement pour une jeunesse avide de liberté quoique mélancolique. Fin 1966, c’est une chanson à onomatopée douce-amère qui va valoir le succès à Sheila, Bang Bang. Sheila s’appelle en réalité Annie Chancel et elle est née à Créteil, dans le Val-de-Marne. Ses parents tenaient une confiserie ambulante. Bang Bang se rappelle les jeux d’enfants, qui, avec leurs onomatopées pétaradantes, provoquent des réminiscences douloureuses, un peu comme le narrateur de la Recherche du temps perdu se souvient de Gilberte Swann. C’est une chanson minime, tenue par un seul couple de mots symétriques, par une répétition et une explosion vocale : « Quand j’aperçois des enfants/ Se poursuivre en s’amusant/ Et faire semblant de se tuer/ Je me sens le cœur serré/Bang bang, je me souviens/Bang bang, tout me revient/Bang bang, et ce bruit-là/Bang bang, je ne l’oublierai pas ». Un véritable chef-d’œuvre, écrit par Sonny Bono pour son épouse Cher, et popularisé par Nancy Sinatra. Et peut-être une adaptation clef en France par George Aber et Claude Carrère, marquant le début d’une maturité soudaine pour la variété française, qui décide alors de quitter le langage de l’enfance pour découvrir un désenchantement qui culminera avec les tubes de mai 68, de La Cavalerie à Il est cinq heures, Paris s’éveille. Les playboys – Jacques Dutronc Comic Strip – Serge Gainsbourg Bang Bang – Sheila
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Mes égarements du cœur et de l’esprit Par Nicopirate Égarement #70
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C’était où ? C’était quand ? Image n°20 Remplir de photographies, puis parfois vider des boites à chaussures. Se frotter à la chaleur de regards anonymes. cetaitoucetaitquand@free.fr + 06.79.09.33.42 / 09 53 40 87 29
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Chronique de mes collines Henri Morgan vit retiré à la campagne, et se consacre à l’étude et à la méditation. Antonio Rubino, le maestro italien de la bande dessinée, Actes Sud/L’An 2
Antonio Rubino, le maestro
Les amateurs de bande dessinée connaissent Antonio Rubino comme l’inventeur du personnage de Quadratino, le petit garçon à tête carrée, pour le Corriere dei Piccoli. En consultant l’anthologie Antonio Rubino, le maestro italien de la bande dessinée, parue aux éditions Actes Sud/L’An 2, on constatera que, si Rubino fut effectivement le pilier du Corrierino, le fameux Quadratino n’est qu’une création des plus éphémères, puisqu’il n’existe que le temps de sept planches, à partir d’août 1910. (Comme toutes les histoires reposent sur le fait que Quadratino subit une déformation géométrique de sa tête à la suite d’une chute ou d’un choc, la série est limitée par la liste des polygones réguliers étudiés à l’école primaire.) Ceci étant, Quadratino est exemplaire de la première manière de Rubino, qui puise dans l’esthétique du début du siècle (appelée Stile liberty en Italie). La composition géométrique, l’aplatissement des plans, le souci décoratif se prolongent sans solution de continuité du petit personnage à tête carrée à son environnement.
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C’est à Rubino que revint la trouvaille d’adapter les planches dominicales américaines dans le Corrierino (Buster Brown d’Outcault, dès le numéro un du 27 décembre 1908), en remplaçant les bulles par des vers de mirliton. Placés sous chaque image, ces vers modifient légèrement la composition de la planche en élargissant la gouttière entre deux bandeaux. Ce remplacement des bulles par des vers ramène l’art plébéien que sont les funnies américains vers une esthétique plus noble, celle du livre pour enfants. Et surtout, le procédé modernise les bandes, puisque, du point de vue de Rubino, les bulles évoquent les ballons des vieilles estampes satiriques de Gillray et de Rowlandson. C’est donc Rubino qui fixa, d’abord par ses adaptations de planches américaines, puis par ses propres œuvres, les normes de la bande dessinée italienne du début du siècle, dispositif des cases régulières, vers de mirlitons dans la gouttière entre les strips. Il imposa aussi à ses collègues du Corrierino le principe d’une composition imagière géométrique et décorative, qui attrapera, au fil des années, des influences du futurisme et du style Art Déco. Rubino nous propose un univers à la fois familier et étranger, et par conséquent fascinant pour les enfants. La première guerre mondiale est ainsi transposée au royaume des joujoux dans Piombino et Abetino (jouets de bois italiens, contre soldats de plomb des Austro-Hongrois). Mais au-delà de son étrangeté, le monde de Rubino est extraordinairement rassurant. Les mamans, dans leurs jolies robes Liberty, sont des fées. Le couple du frère et de la sœur (Pino et Pina, Caro et Cora) sont définis comme des quasi-jumeaux, aux attitudes symétriques et portant la version masculine et féminine du même costume, comme si garçon et fille étaient deux versions du même animal. Tout ceci a pour effet de désexualiser l’univers fictionnel de Rubino, et donc de le faire échapper à l’angoisse. Rubino adhéra au fascisme. Les aventures du balilla Dado sont même de la pure propagande, à grand renfort de bataille du blé, de santé par le sport et de défilé devant le Duce. Quant à ses dernières collaborations au Corrierino, dans les années 1950, elles révèlent un style biscornu, tout en courbes hérissées, qui noie la composition sous la surcharge. Tant il est vrai que les verts paradis de l’enfance ne résistent ni aux turbulences politiques ni aux turbulences de l’âme.
Modernons Par Nicolas Querci Un but : dénoncer les exactions du moderne.
Le soir de l’Academy Française Ce soir, c’est la première de la nouvelle saison de Demain l’écrivain. D’ores et déjà, les deux favoris sont l’africaine Fatou Yambé et le controversé Stéphane Humbert. Le talent de Fatou Yambé, c’est sa vie de Nobel. Baladée d’un camp de réfugiés à l’autre, elle grandit seule, à l’écart. Comme personne ne l’écoute, elle se met à écrire, des contes africains, pour parler de sa souffrance. Une souffrance n’a pas besoin d’être bien écrite pour être belle. C’est ce qu’elle se dit. Un membre d’une ONG la remarque et l’envoie chez sa mère, en France. Sa mère n’en veut pas et la traite en esclave. Fatou s’échappe avec un homme qui la bat comme il l’aime. Elle reste avec lui pour protéger l’enfant handicapé qu’ils ont ensemble. Commence alors une forte période créative où elle milite contre le fascisme, le racisme, la violence, les expulsions, la pauvreté. Elle signe de nombreuses pétitions. Elle écrit, dans métro, tous les matins, son premier roman coup de poing, Le Monde la misère. La bande éditeur annonce la couleur : « Je vote à gauche je le dis j’ai pas honte ». Face à elle, Stéphane Humbert, un tout autre oiseau. Issu d’un milieu aisé, il fume sa première Gitane à l’âge de huit ans, sous le regard bienveillant de ses parents, qui font tout pour le placer dans des conditions idéales. Un jour, un agent littéraire le repère à la terrasse d’un café où une trentaine de jeunes et moins jeunes grattent du papier comme lui. « J’étais sûr que ça ferait un merveilleux écrivain. Chez lui la pose était innée. » Dans la foulée, il lui fait signer un contrat publicitaire avec les stylos Montblanc et les netbooks Compaq. Surtout, il veut en faire le premier écrivain à ne publier ses livres qu’au format électronique. Provocateur, Stéphane est aussi l’inventeur du langage marketing en littérature. Son œuvre s’attache à dénoncer avec une ironie jubilatoire la médiocrité de notre époque. Selon les producteurs de l’émission, « Fatou et Stéphane incarnent l’avenir. Mais ils ne sont pas les seuls ! 18 000 personnes ont participé au casting. L’avantage de cette émission, c’est qu’elle introduit de la démocratie dans le milieu littéraire. Les gens peuvent voter par texto pour celui qu’ils ont envie de voir publié. » Rappelons que le gagnant recevra le Prix Goncourt et qu’il sera publié par un grand éditeur.
le monde est un seul / 6 Par Christophe Fourvel – photo : Christian Garcin
Les notes de chevet de Fabio Viscogliosi
Il existe de très belles et de très simples questions auxquelles nous finissons rarement de répondre. Qu’est-ce que j’ai gardé de précieux de mes jeux d’enfant ? Quel temps faisait-il le jour où j’ai reçu ma première guitare ? Que chantait-on dans la voiture lorsque l’on partait en vacances ? Ces très belles et très simples questions ne demandent pas plus parfois que le temps d’une discussion de fin de repas ou d’une lente promenade solitaire. D’autres fois, le tragique d’une vie ou l’insatisfaction d’un regard imposent une introspection plus conséquente qu’un soliloque de fin de soirée. À l’origine, il y a toujours la même intuition : le montage de quelques scènes ordinaires de notre vie dit plus certainement qui nous sommes que n’importe quel discours. Fabio Viscogliosi a dû se poser ces questions et plus encore, a-t-il dû choisir la forme d’expression qui convenait à son désir de dire : chanteur, musicien, dessinateur1, il avait le choix. Son désir a abouti à l’écriture d’un livre et au vu de la palette dont dispose l’auteur, cela ne doit certainement rien au hasard. Le titre est tout autant une humeur, une musique, une résolution. Je suis pour tout ce qui aide à traverser la nuit. Nuit, il y a. Elle se couche à rebours sur le livre à partir de la dernière page. Quand on parvient jusqu’à elle, on ressent l’imprégnation parcellaire, pointilliste qu’elle avait déposée sur notre peau de lecteur un peu à notre insu. Son immanente inquiétude comme sa lourdeur d’encre étaient bien là, car La nuit de Fabio Viscogliosi figure un drame, à la fois subi et subit. Ce qui aide à la traverser est une partition musicale d’environ cent cinquante courtes proses de guère plus d’une page, ayant vocation à figurer ensemble un peu plus de quarante années d’existence à travers des épisodes vécues, des curiosités intellectuelles, des expériences artistiques. Presque chacun des textes choisit la suspension et appelle par une respiration retenue et haute, le suivant. D’où cette sensation musicale, cette cohérence ressentie, à l’oreille, et dans laquelle trouve « naturellement » leurs places, les évocations tout aussi intimes de quelques icônes de l’adolescence ou de plus tard : Chandler, Magritte, Scutenaire, Calet, Sinatra, Siménon, Manchette ou Cassavetes.
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Ce choix de laisser la chair du souvenir à nu, effilochée, lacunaire comme l’est la mémoire et ce, au risque de la ténuité, possède aussi son histoire littéraire. Les Japonais, depuis (au moins !) les fameuses Notes de chevet de Sei Shônagon (notre XIème siècle) ont donné à la littérature plusieurs de ces « romans du je » faisant la part belle aux silences qui émanent des existences et balayant les moments d’une vie sans tenter d’en cimenter les pierres éparses. À la charnière du vingtième siècle et de celui qui le précéda, Natsumé Sôseki publia deux ouvrages, dans la proximité d’une maladie qui ne tarda pas à l’emporter. L’écrivain, à travers la vitre d’une chambre qui serait bientôt le théâtre de sa mort, dessina lui aussi quelques empreintes d’une vie. Le premier de ces deux ouvrages, intitulé en français, Choses dont je me souviens fut écrit en 1910, à un âge qui est aujourd’hui celui de Fabio Viscogliosi. Le second, À travers la vitre, vit le jour cinq ans plus tard, en 1915, un an avant la mort de l’écrivain. La nuit qui fut celle de Sôseki n’est pas celle qui hante Fabio Viscogliosi. Mais deux fois, on entend bruisser les mêmes habits humbles que la vie revêt un jour, quand la conscience de son extrême fragilité vient interrompre notre grand show narcissique. C’est le lot du cœur des hommes. Le pauvre cœur des hommes, pour finir ici, en évoquant le livre le plus connu de Sôseki. Je suis pour tout ce qui aide à traverser la nuit, Fabio Viscogliosi, éditions Stock Choses dont je me souviens, Natsumé Sôseki, Philippe Picquier poche À travers la vitre, Natsumé Sôseki, Rivages poche Le pauvre cœur des hommes, Natsumé Sôseki, Gallimard, Connaissance de l’Orient. Notes de chevet, Sei Shônagon, Gallimard, Connaissance de l’Orient 1 — Fabio Viscogliosi, auteur, compositeur, interprète a réalisé deux albums solos dont le dernier s’intitule Fenomeno (deluxe éditions). Il a également joué et chanté avec les Married Monk, et Yann Tiersen, entre autres. Ses livres illustrés sont publiés aux éditions Le Seuil et L’association.
Plastic Soul #1 Par Emmanuel Abela
Pop Pleasure Les hasards font parfois bien les choses. Alors que je me baladais entre les rayonnages du Centre Pompidou en quête d’ouvrages sur le design et l’architecture, je tombe sur l’ouvrage de Nicholas Rombes, A Cultural Dictionary of Punk 1974-82, publié aux États-Unis chez Continuum. Outre, le titre très engageant, c’est la forme qui m’a de suite interpelé. Une couverture sobre qui reprend l’esthétique d’époque dans son essence même, sans fioritures, ni complaisance. L’image digne de certaines tentatives de Linder ou d’une pochette des Residents nous renseigne clairement sur le propos qui consiste à re-situer le mouvement dans son contexte culturel. Les entrées sont subjectives : un groupe, un artiste, un mot, un film, une ville, une chanson, une notion, un sentiment. Aucune vocation exhaustive ici, mais au final un tour d’horizon complet, fouillé jusque dans ses recoins, de la part d’un professeur d’anglais à Detroit – la ville des Stooges et de Pere Ubu –, auteur par ailleurs d’un ouvrage sur le cinéma punk et sur les Ramones. Comme tout dictionnaire, une entrée en suggère une autre, et on se prend à lire une notule ici, une interview là, un propos théorique sur 4 pages, et surtout on consulte avec gourmandise chacune des notes bibliographiques qui accompagnent les entrées. Là, un article dans Creem, là dans Le New Musical Express, ailleurs dans le New York Times. Au hasard des pages, dans l’ordre et le désordre : Boredom – Blank Generation – Feelies, the – Frankie Teardrop – Clash, the – Minimalism – Going Underground – Patti – New Wave, the (1, 2, 3) – Paint It Black – Radio On – Ramones – No Wave – Sister Ray –Jarmush Jim –Diodes, the – Raincoats, the – Sterling, Linder – etc.
Une entrée attire mon regard spontanément ; elle sort du cadre alphabétique, et apparaît en tout premier : 400 Blows, the, autrement dit les 400 Coups de François Truffaut. Outre l’idée que la Nouvelle Vague (The French New Wave) a influencé la New Wave musicale, l’auteur voit dans la scène du tambour rotatif à la fête foraine, un instant fondateur du punk, quelque chose dont l’extension brutale se fait par l’intermédiaire de Richard Hell et de bien d’autres : « des paysages soniques dans lesquels des personnages comme Antoine, ou comme nous, se perdent. » * p.37, entrée Jimmy Carter and the New Wave : « Blondie was the fullest expression of pop pleasure. » * La première fois que je t’ai vue, c’était dans un car. Tu étais adossée entre deux rambardes métalliques, dans un coin, la tête baissée. Tu arborais encore ce look des jeunes filles sages des collèges, jupe blanche, veste rose et queue de cheval. De temps en temps, tu relevais la tête, comme apeurée par un environnement hostile. Je jurerais que tu m’as souri ; je n’osais y croire. Les jours suivants, il m’arrivait de prendre le même car, à la même heure. Presque tous les matins, je te retrouvais adossée au même endroit, la tête baissée, balayant du regard les gens environnant. À chaque fois, tu m’esquissais un demi-sourire presque complice. Mais moi, je n’osais t’aborder.
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cinérama 1 Par Olivier Bombarda
« Je ne veux parler que de cinéma, pourquoi parler d’autre chose ?
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Avec le cinéma on parle de tout, on arrive à tout. » Jean-Luc Godard
Fast Food Nation : Les films se succèdent en France, près de quatorze nouveautés par semaine en salles dans une course effrénée à l’attention du spectateur. Et l’on badine de ci de là dans les médias enfiévrés au rythme du grand zapping de l’actu – « bof » , « 4 sur 10 », « énorme », « jubilatoire ! » – au détour de mini-sujets d’une minute dans des JT tenus par des chefs de culture aux moues blasées, avant que les objets ne passent sur Canal+, puis se retrouvent coincés sur l’étalage du net au rayon promos DVD. L’ami cinéaste a bien du courage aujourd’hui. * Fantôme : Qui aura remarqué la sortie en catimini d’un inédit de Luchino Visconti ? Prétexte aux célébrations d’Albert Camus, l’apparition sur les écrans de L’Étranger (1967) est d’autant plus étonnante qu’il fut renié par le cinéaste qui considérait son film raté, contrarié tant pas la veuve Camus scrupuleuse du scénario que par Dino de Laurentiis, producteur qui lui imposa, à la place d’un ange devenu trop cher (Delon), un « bouffeur de spaghetti » (Marcello Mastroianni). Malgré ses intentions – « Je ne pouvais qu’être violemment touché par l’histoire d’un homme victime du jugement imbécile du monde » - Visconti décide de rendre son film invisible à l’issu de sa réalisation. Se retourne-t-il dans sa tombe ? * Succès mondial d’Avatar, cinéma 3D, jeux vidéo 3D, télévision 3D... À quand les éboulements d’Haïti dans notre salon ? * Spectateurs du hasard du fait de leurs cartes illimitées, perdus face à A Serious Man de Joel et Ethan Coen : « C’est quoi ce film ? », « ... », « N’importe quoi ! » Rires étouffés de leur propre gêne alambiquée devant l’œuvre mémorielle des deux frères dont l’humour crisse autant que le pop-corn entre leur bouche de naïfs stupéfaits.
« Une œuvre doit être un “objet difficile à ramasser”. Il faut ne pas savoir par quel bout la prendre, ce qui gêne les critiques, les agace, les pousse à l’insulte mais préserve sa fraîcheur. Moins elle est comprise, moins vite elle ouvre ses pétales et moins vite elle se fane. » Jean Cocteau, Entretiens sur le cinématographe. * Après la répétition : après avoir placé des ailes au bébé joufflu Ricky, après avoir laissé disparaître Melvil Poupaud sans descendance dans Le Temps qu’il reste, après avoir filmé le rapt d’un enfant dans Regarde la mer, avec Le Refuge, François Ozon dénude sur la plage le corps au ventre rond d’Isabelle Carré... Lucky Luke du cinéma français qui filme plus vite que son ombre, Ozon tient le fil d’obsessions lisibles – qu’est ce que la grossesse, qu’est-ce qu’être mère ? - tel un cordon ombilical le liant au cinéma : prononcer « moteur ! » l’engage pourtant à dire « coupez ! » * Jour de colère : Les plus belles émotions de rages désemparées que le cinéma ait donné à voir depuis longtemps sont celles de Jinhee dans Une vie toute neuve de Ounie Lecomte. La cinéaste raconte son enfance, la révolte d’une petite fille de 9 ans abandonnée par son père dans un orphelinat de Séoul. Au firmament des étoiles solitaires bouleversantes, le film brille et le cinéma Star ne pouvait que la repérer. * « Je suis allé au cinéma deux fois avec Emmanuel qui ne comprend pas toujours ce qui se passe sur l’écran. Il faut alors lui donner des explications. » L’Étranger (1942) d’Albert Camus.
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Herbier n°1 : Pissenlits Par Sophie Kaplan
Il en va ainsi des pissenlits. Ils entrent dans l’atelier de l’artiste dès la fin des années 80 (4). En 1997, quelques-uns d’entre eux apparaissent dans l’exposition Engrais, orties et pissenlits (5). On les retrouve ensuite, une centaine, suspendus au plafond et nimbés de brouillard, lors de la 48ème biennale de Venise en 1999 (6). En 2000, ils font partie de l’exposition La plante en nous (7). Cette fois-ci, ils ont la tête à l’endroit et sont fichés dans une planche posée sur deux tréteaux, dévoilant ainsi leur processus de fixation. Dix ans après, à Gand et Villeurbanne, les voici à nouveau, partie d’une installation intitulée Pas tomber.
Conçue en collaboration avec le SMAK de Gand où elle s’est tenue fin 2009, l’Institut d’Art Contemporain de Villeurbanne présente du 12 mars au 9 mai une grande exposition monographique de Michel François (1). Les expositions de Michel François, qui se transforment et se reconfigurent selon les différents lieux où elles prennent successivement place, se construisent sur le mode opératoire du recyclage (de propositions, d’idées, d’œuvres…) (2). Son œuvre, où la sculpture occupe une place fondatrice à côté de la photographie, de l’installation et de la vidéo, est également mouvante, foisonnante, en constante reformation. Elle se développe autour de matériaux, de formes, d’images et d’objets récurrents et « conteste toute conception figée et normalisée de l’œuvre d’art » (3). Ce modèle artistique a quelque chose de végétal, c’est un cycle de croissances et de désagrégations successives. En son sein, les différentes propositions plastiques, qui ont presque toujours partie liée avec le vivant, sont comme des plantes : elles essaiment leurs graines, donnent naissance à d’autres plantes, ailleurs, et ces nouveaux contextes remodèlent la perception que nous avons d’elles.
Plusieurs centaines de fleurs de pissenlits sont suspendues par la tige sur des câbles tendus de part et d’autre de l’espace d’exposition. C’est un ciel nouveau et végétal, fragile et figé, qui est offert ici au regard du spectateur. À l’arrière-plan de ce ciel, formant ligne d’horizon, l’exclamation « PAS TOMBER ! » (s’agit-il d’un ordre ? d’une mise en garde ?) est gravée dans le mur, en lettres capitales (8). Au sol, des morceaux de plâtre : ce sont les débris du mur, presque des morceaux d’écorce. L’installation convoque plusieurs problématiques chères à l’artiste : celle du renversement, celle de l’équilibre des forces (entre le volatile et le statique, l’éphémère et l’immuable, le naturel et l’artificiel) (9), celle du geste et de sa trace (les débris du mur sont les restes du travail accompli), celle de l’enfermement (l’installation est présentée conjointement au plan d’une cellule tracé sur une moquette) (10), celle de l’enfance (son immédiateté, sa liberté sauvage et joyeuse). L’ensemble, d’une évidente beauté, donne naissance à une véritable poésie active (11). 1 – Cette double exposition a pour titre Plans d’évasion. Elle s’accompagne de la publication d’un très complet catalogue rétrospectif : Michel François, Plans d’évasion, Editions Roma Publications, 2010. 2 – Ainsi, Plans d’évasion invente une symétrie variable entre les deux lieux. 3 – Guillaume Désanges et Philippe Van Cauteren, introduction à l’exposition Plans d’évasion, SMAK Gand, 10 octobre 2009 - 3 janvier 2010. 4 – voir la photographie d’atelier in : Michel François, Plans d’évasion, Editions Roma Publications, p. 93. 5 – Cette vidéo fait partie du projet TBS mené par l’artiste dans un centre de détention aux Pays-Bas entre 1996 et 1997. 6 – Horror Vacui, pavillon belge, 48ème biennale de Venise, partagé avec Ann Veronica Janssens. 7 – La plante en nous, Kunsthalle, Bern et Haus der Kunst, Munich. 8 – L’assertion « Pas tomber ! » est elle aussi une des « matrices » de Michel François : elle est notamment le titre d’une installation à la galerie Jennifer Flay (1995), elle existe sous forme de carton imprimé (1997), etc. 9 – Guillaume Désanges parle de « mise en tension du caractère aérien, fragile et évanescent des formes avec une certaine réalité physique de la matière, soumise à la pesanteur, à l’attraction et au danger.», in Michel François, Plans d’évasion, p. 44. 10 – Ce plan est une nouvelle activation d’une partie du projet TBS, mené entre 1996 et 1997 dans un centre de détention clinique aux Pays-Bas. 11 – Jackie-Ruth Meyer, in journal de l’exposition de Michel François À flux tendu, Cimaise et Portique, Albi, 1998. TBS, Plan d’une cellule, 2009 Plan tondu, moquette Pas tomber, 2009-2010 Pissenlits, phrase gravée dans le mur. Coproduction Institut d’art contemporain, Villeurbanne/ Rhône-Alpes - S.M.A.K (Stedelijk Museum voor Actuele Kunst), Gand. Courtesy de l’artiste. Vue de l‘exposition Michel François, Plans d’évasion, 10 octobre 2009 au 10 janvier 2010, S.M.A.K.(Stedelijk Museum voor Actuele Kunst), Gand. Crédit photographique : Dirk Pauwels
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Sur la crête Henri Walliser + Denis Scheubel La rencontre d’un linograveur et d’un poète
Je me suis trompée Je me suis trompée Je croyais que nous étions venus pour faire des choses avec notre cœur aux commandes. Je croyais que nous étions venus réconcilier le loup et l’agneau. Que nous étions venus occuper la place. Mais les places étaient prises. Je pensais que les travaux durs nous rendaient beaux. Et que notre or servirait à être dépensé, pour acheter les outils pour chercher, chercher encore. Je pensais que chanter était un droit pour chacun. J’ai cru que nous étions là pour danser parfois, les bras écartés dans des maisons légères et grandes, que nous étions venus faire du meilleur avec du pire et non pas du beurre avec des empires. Je pensais que la joie des Hommes, leur survie, ne se transformerait pas en additions. Je pensais ne jamais être enfermée dans la condescendance, que les sons, les formes, les couleurs n’étaient pas de la décoration, mais du vin pour l’âme. Que le bord de la mer appartenait à celui qui veut regarder la lune ou dormir emmailloté dans le bruit des vagues. Il appartient à ceux qui l’ont acheté. J’étais venu en me disant que notre mission était d’apprendre la liberté aux enfants et non l’attachement, la contrainte et les pointeuses. Et nos logiques ont transformé les rituels en carcans, m’ont transformée en épouvantail souriant. Je me suis trompée, pardon ! Alors j’ai mis l’armure que je ne voulais pas voir et serai insaisissable. La lumière du soleil glissera sur moi comme du mercure affolé. Je serai une balle dans la poitrine de ceux qui ouvrent les yeux et le reste. Je serai une erreur. About rock, sex and cities de Henri Walliser et Denis Scheubel publié dans la collection Sublime est disponible chez médiapop-éditions (96 pages, 9 euros TTC). www.mediapop.fr
Iâ&#x20AC;&#x2122;M BAD Par Jean Wollenschneider & David Cascaro
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AK-47 par Fabien Texier
« Sarkozy a raison: les médias, il faut les passer à la kalachnikov » Éric Besson
Éclearcie ? Dans la lutte à croc de boucher entre le petit agité et le grand emballé pour qui concourra à l’élection de Père-la-Rigueur-saufpour-les-copains en 2012, on a perdu de vue la relaxe de Denis Robert et le fond de l’affaire Clearstream. Le Lorrain, journaliste et écrivain, remarquait dans le quotidien suisse Le Courrier que cette seconde affaire avait occulté la première, qu’il relie entre autres à la brillante opération de Daewoo dans sa région (relire François Bon à l’occasion). Villepin repart pour un tour de cirque, mais Robert muselle pour cette fois la vindicative « banque des banques » sise au Luxembourg (ceci n’est pas un paradis fiscal). On peut se replonger au cœur du vrai problème avec L’Affaire des affaires, qu’il a signée avec Laurent Astier et Yan Lindingre, dont le second tome est sorti en novembre chez Dargaud. Au passage, on notera que Lindingre a gagné sa propre guerre (du cochon) puisque honteusement vidé de l’École Supérieure d’Art de Metz pour un excès de caricature supposé et traîné devant les tribunaux, il a été titularisé par la nouvelle direction en janvier 2009. Alors que du côté des Arts Décos de Strasbourg, on négocie, le doigt sur la détente, l’avenir de la section communication, c’est de Paris que le scandale arrive : une artiste chinoise censurée par la direction des Beaux-Arts pour un jeu pas vraiment violent sur les mots d’un slogan présidentiel, le « moins » en plus. C’est tellement crétin que même Frédo s’est cru pour une fois obligé d’assumer son rôle de ministre en réclamant le retour des calicots incriminés sur la façade de l’école. L’empressement du directeur parisien à jouer les laquais est de bon augure dans un contexte où les écoles d’arts sont fragilisées par les réformes en cours, les restrictions imposées à tous ! Sauf aux indispensables Clearstream de partout et d’ailleurs bien sûr…
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GONJASUFI La nouvelle tombe parfois au détour d’une rencontre : c’est la destinée des disques d’exception que de se révéler à nous par tous les moyens qui s’offrent à eux. Ceci dit, d’être signé chez Warp, ça facilite parfois les choses, mais ce gourou d’une secte à créer, perdu au fond de sa caravane, près de Las Vegas, au cœur du Nevada, ne doit en avoir cure. Seul lui importe de poser sur la bande les fragments de sa pensée (dé) connectée : blues céleste, ethno-folk, hip hop blanc, easy listening de fonds de tiroir et punk primal. Tout y passe, un peu comme si Captain Beefheart s’enfilait le bon vieux Screeming Jay Hawkins, au détour d’une exposition vaudou, sans lui demander la permission. On pense également au Frank Zappa 60’s, aux débuts folk expérimentaux de Beck ou au Drukqs d’Aphex Twin pour le brio. Avec Dieu pour source d’inspiration, nul doute qu’on retrouve ce lunatic crucifié au firmament des artistes de légende d’une décennie qui ne fait que commencer. (E.A.) i
FOUR TET
YEASAYER
THERE IS LOVE IN YOU – DOMINO
ODD BLOOD – MUTE
Quel chemin parcouru par Kieran Hebdan depuis ses premières expériences en tant que guitariste au sein du groupe post-rock londonien Fridge ! Avec un sens inné de la déconstruction mesurée, cet artiste incomparable impose une electronica pleine de sensualité, délicate et en rupture permanente, comme une évidence esthétique. Il le niera sans doute lui-même, mais il se situe clairement comme le digne héritier des pionniers afro-jazz des années 70, Pharoah Sanders ou Sun Ra, tout en lorgnant du côté de musiques plus conceptuelles et minimales. (E.A.) i
Dès la première écoute, Odd Blood confirme tout le bien qu’on pensait de la formation : tout en empruntant des voies plus pop, ce disque surprend par cette maîtrise d’une forme particulière de déstructuration, groovy et sexy, qui joue sur les accumulations vocales et rythmiques. On retrouve ici tout ce qui a fait l’essence de l’avant-garde des années 70, celle de Brian Eno notamment, avec cette recherche d’un son qui puise sa source aussi bien dans l’électronique et les musiques du monde, tout en s’inscrivant dans la tradition des grands compositeurs contemporains américains. (E.A.) i
THE JIMI HENDRIX EXPERIENCE
LES TUEURS DE LA LUNE DE MIEL
ARE YOU EXPERIENCED ?
SPECIAL MANUBRE – CRAMMED
ELECTRIC LADYLAND – SONY
On le savait, il existait une vie pour les Tueurs de la Lune de Miel – The Honeymoon Killers – avant leur succès anglais au début des années 80. Le disque existait en vinyle, nous l’avions vu ! Un premier album dont nous craignions, sans doute à juste titre, d’explorer le contenu. Là, avec cette première réédition en CD d’un disque publié chez le bien nommé Kamikaze, on prend un peu plus conscience que tout cela n’était pas une mauvaise blague belge, mais le vrai début d’une free aventure débridée pour le regretté Yvon Vromman et toute sa bande d’allumés, instant fondateur qui a conduit à la naissance d’une vraie scène et de quelques belles expériences discographiques sur le label Crammed. (E.A.) i
Pourquoi ne pouvions-nous plus écouter Jimi Hendrix ? Peut-être parce que la notion de virtuosité est très éloignée de nos critères d’appréciation. Le pauvre Jimi n’y est sans doute pour rien, mais à la longue les commentaires faits sur sa musique empêchaient plus qu’ils n’incitaient. Là, la réédition de son catalogue nous offre une opportunité nouvelle de nous réconcilier avec l’œuvre magistrale. Le remarquable travail de remastérisation révèle toute la nuance rythmique de cet artiste visionnaire et repositionne une voix qu’on avait tendance à entendre étouffée derrière l’électricité. On redécouvre ainsi Jimi, être sensuel et sensible, charnel, mais extrêmement cultivé, en phase totale avec la lumière de son temps. (E.A.) i
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FAIRE BLEU
DE JEAN-PAUL WENZEL
SIAMOISES DE PATRICK DAO-PAILLER LE VAMPIRE ACTIF
Le docteur Jekyll et M. Hyde auraient-ils trouvé leur extension féminine, en la personne des sœurs siamoises Lucy et Adina ? Sans jamais forcer le trait ni tomber dans les facilités d’un manichéisme qui en aurait tenté plus d’un, Patrick Dao-Pailler déroule le fil d’une intrigue où l’enquête sur la mort bien mystérieuse de l’amant des deux sœurs sert de prétexte à une belle réflexion sur la normalité, la perversion et l’altérité. Œuvre troublante, qui n’est pas sans rappeler, au détour de certaines pages, l’univers vénéneux d’un David Lynch ou les réflexions cinématographiques d’un David Cronenberg sur le corps et l’esprit, Siamoises montre que celles que l’on aurait tendance à regarder comme un phénomène de foire (« Le Cirque, toujours, nous poursuivra ») jouissent finalement de ce que recherchent, souvent en vain, les êtres incomplets : la moitié dont ils ont été séparés. (C.S.) i
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Les friches industrielles d’Hagondange ont fait place à un parc d’attraction. Les Schtroumpfs ont remplacé les cols bleus poussés à la retraite. André et Lucie ont passé leur vie à être broyés par le système, ils vont enfin goûter à la liberté. Mais l’aliénation cesse-t-elle lorsque les loisirs sont cathodiques et que le consumérisme tient lieu de jouissance ? Pièce de théâtre orchestrée autour du naufrage de sujets vampés par le marketing et la comm’, Faire bleu nous conte l’impossible évasion du prolétaire absolu : le consommateur croit s’évader et devient chaque jour plus esclave de l’industrie des loisirs. (N.E.) i
WILDERNESS / LA NUIT AMÉRICAINE JIM MORRISON
On a beau chercher à l’évacuer, mais la figure de Jim Morrison nous revient toujours avec la même capacité fascinatoire. Nous connaissions La Nuit Américaine, recueil de réflexions, d’expérimentations littéraires, de scénarii de cinéma et journal parisien ; nous découvrons Wilderness, constitué des manuscrits et carnets rapportés aux États-Unis par Pamela Courson, la compagne du poète-chanteur décédé. Pas un vers, pas un mot, qui ne porte sa part de charge prophétique. Comme d’autres, le Roi Lézard était en contact direct avec un ailleurs qui nous échappe. Le résultat de ces notes jetées sur le papier avec une aisance déconcertante est beau, stupéfiant, terrifiant. (E.A.) i
LE GAI SAVOIR DE L’ACTEUR DE DARIO FO – L’ARCHE
Attention, feu d’artifices ! Pourtant Dario Fo ne vous invite pas sur scène mais dans les coulisses. Mieux : dans l’ossature même du comédien, dans son costume, dans son corps, sous son masque ! Interventions savoureuses, leçons truculentes et savantes, improvisations solaires, profondes et désopilantes, voici Le gai savoir de l’acteur. Si vous voulez tout savoir des costumes d’Arlequin et de la commedia, si vous voulez hurler de rire en découvrant Fo bonimenteur dans les Oiseaux d’Aristophane mais aussi un Fo qui dialogue avec Brecht, ce livre est pour vous ! (N.E.) i
OSCAR LE RENARD ET L’IMPALA DE LA SAVANE D’OLIVIER LARIZZA – OSKAR JEUNESSE
Depuis quand n’avons-nous pas pleuré à chaudes larmes à la lecture d’un récit destiné aux enfants ? Depuis Le Petit Prince sans doute. Sauf qu’on le sait bien, le chef d’œuvre de Saint-Exupéry n’est pas destiné aux seuls enfants ou du moins, il continue à faire appel à la part d’enfance qui demeure en chaque adulte. Chez Olivier Larizza, il en va de même. Le récit de ce petit renard tout gris, isolé dans sa pratique de peintre dans la savane, pose des questions essentielles, notamment celle de l’acte créateur. La rencontre de cet artiste maudit avec une splendide femelle impala conduit à l’une des plus belles histoires d’amour qu’il nous soit donné de lire, sensuelle et profondément tragique. (E.A.) i
FÊTE DE LA DANSE à Belfort
Samedis 17 et 24 avril et dimanche 25 avril
Samedi 17 avril i Pi JJaux • 11h - Halle Fréry - Moments dansés avec M Marie-Pierre (CCNFCB), Laurence Renard-Gury (Conservatoire de musique et de danse de Belfort) et les participants à l’Atelier du Mardi du CCNFCB. • 14h - Place Corbis - Danse surprise avec Joanne Leighton Samedi 24 avril de 11h à 18h - Salle des Fêtes Cours de danse et performances Dimanche 25 avril • 11h à 18h - Salle des Fêtes - Cours de danse et performances • 16h - La Coopérative, rue Parisot - GINA spectacle d’Eugénie Rebetez • 18h - Salle des Fêtes - Bal des Voisins avec les chorégraphes Marco Berrettini, Marie-Caroline Hominal et David Colas et DJ Lenny O’Bryan Programme complet sur www.fetedeladanse.ch PASS Fête de la Danse : 6 euros - Ce PASS donne accès aux cours, spectacles et bals organisés dans le cadre de la Fête de la Danse, en France et en Suisse, les 24 et 25 avril, gratuit le 17 avril. Réservations et renseignements au CCNFCB : +33 (0)3 84 58 44 88 - infos@ccnfc-belfort.org
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ÉLISA
DE NATHALIE FERLUT – DELCOURT
On le sait, le passage de l’adolescence à l’âge adulte est un instant douloureux : il constitue un moment de séparation, d’avec ses parents, d’avec ses amis, mais quand il se double comme c’est le cas par une disparition tragique, il peut laisser la personne concernée en plein désarroi. En 1989, le monde bouge, et Élisa – ainsi baptisé en référence à la chanson de Gainsbourg – est pleine des non-envies de sa non-génération, celle des générations issues de la fin du baby-boom. Elle lutte à armes inégales avec un environnement qui lui échappe, et pourtant elle s’accroche, à la fois pugnace et insupportable, à ses ultimes illusions. Et pourtant au milieu du brouillard quasi-définitif de son existence naissent des rencontres, dont certaines peuvent s’avérer déterminantes. Avec un joli coup de crayon, Nathalie Ferlut nous raconte le hasard de cette vie, pas tout à fait terminée, pas tout à fait commencée, cet entre-deux forcément passager, mêlé de désespoir et de vitalité. (E.A.) i
JOURNAL D’ITALIE TRIESTE 1 BOLOGNE DE DAVID B. COLLECTION SHAMPOOING / DELCOURT
David B. repousse très loin les limites de son journal, un genre désormais incontournable en BD, pour donner l’essence même de ce qu’est un esprit en constante ébullition. La chronologie de dates est avant tout le prétexte à plonger dans un imaginaire proche du surréalisme. Les références à Francesco Rossi, à Coppola, à Daoud Ravid, autant de moyens de se perdre dans un labyrinthe éminemment graphique et séduisant telles les ruelles de Venise. Autobiographie et fiction vagabondent ainsi main dans la main dans le but d’évoquer sans contraintes un « grand tout » drôle et érudit. (O.B.) i
DRÔLE DE FEMMES DE JULIE BRIMANT ET CATHERINE MEURISSE DARGAUD
Julie Birmant mène l’enquête et Catherine Meurisse dessine : dix célébrités féminines racontent leurs débuts de carrière hors des sentiers battus. Tour à tour interviewées Anémone, Yolande Moreau, Sylvie Joly, Amélie Nothomb, Maria Pacôme, Dominique Lavanant, entre autres, dévoilent des parts d’intimités et des anecdotes inédites de leurs parcours d’autant plus réels qu’ils sont illustrés ici sans concessions. On notera la part de timidité et de complexe communes à toutes, liées au désir impérieux de s’exposer. Très animées par l’humour, ces femmes sont autant courageuses qu’elles sont gaffeuses sans jamais garder leur langue dans leur poche : en somme une grande famille de marginales cocasses et magnifiques. (O.B.) i
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SMART MONKEY / WELCOME TO THE DEATH CLUB DE WINSHLUSS – ÉDITIONS CORNÉLIUS
Le succès aidant, les Éditions Cornélius rééditent les albums de Winshluss, parmi lesquels Welcome To The Death Club, dont la première édition date de 2001. Une mention spéciale pour le délectable Smart Monkey publié une première fois en 2004. L’ouvrage, en son temps, avait confirmé le statut de l’auteur parmi les artistes les plus prometteurs de sa génération : sens inné du cynisme, connaissance pointue des maîtres de la bande dessinée animalière, tout était déjà en place et le ravissement graphique devenait évident de planche en planche. C’était bien avant sa contribution à Persépolis, bien avant son fauve d’or à Angoulême, mais ça mérite qu’on y revienne de temps en temps. (E.A.) i
HÉLAS DE SPIESSERT ET BOURHIS COLLECTION AIRE LIBRE / DUPUIS
Spiessert et Bourhis qui avaient déjà commis les aventures du pleutre Viking Ingmar durcissent le ton pour Hélas, roman sombre où les humains sont l’objet d’une traque sans concession par des animaux au pouvoir. Pas très éloigné de la trame de la Planète des Singes de Pierre Boule, l’album s’en échappe en recréant l’ambiance d’un Paris des années 1910 – un peu à la manière de Judex de George Franju –, élégante et mystérieuse. Courses poursuites effrénées, complot scientifique et manipulations sont les clés de ce récit de 70 pages bien chevillé, sans temps morts et particulièrement marquant. (O.B.) i
raul paz jeudi 29 avril 2010 . 20h30
une star de la musique latine, un concert chaleureux renseignements & réservations Ensemble Poirel 03 83 32 31 25 www.poirel.nancy.fr Réseau Fnac, Carrefour 0 892 683 622 * www.fnac.com Ticketnet, Cora, Auchan, Leclerc, Cultura 0 892 390 100 * www.ticketnet.fr Digitick, Office du tourisme et Hall du livre à Nancy 0 892 700 840 * www.digitick.com Organisation ville de Nancy licences I 10.22157 & III 10.22159 en accord avec Azimuth productions. Photo Romulo Sans. *Droits de location en sus, appels téléphoniques au tarif de 0,34 €/min. Graphisme : element-s
d 26 FÉV - 18 AVR 10 ------------------------------------------------------------------
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49 NORD 6 EST
ÉSAMM
ARTISTES : M. DE BOER, B. DUFOUR, J. GAUTEL ET J. KARAINDROS,O. KAWARA, Z. KEMPINAS,E. KOCH, J. KOLÁR, A. NEMOURS, R. SIGNER, R. ZAUGG, A. ZMIJEWSKI
ARTISTES : C. ANDRE, Z. ANTAR, J. KNIFER, R. LERICOLAIS, B. MONINOT, M. NANNUCCI, S-M. TSE
INFOS / CONTACTS 1BIS RUE DES TRINITAIRES F-57000 METZ
INFOS / CONTACTS 1 RUE DE LA CITADELLE F-57000 METZ
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HTTP://ESAMM.METZMETROPOLE.FR
FONDS RÉGIONAL D’ART CONTEMPORAIN DE LORRAINE
ÉCOLE SUPÉRIEURE D’ART DE METZ MÉTROPOLE
-----------------------------------------------------------------DANS LE CADRE DE LA MANIFESTATION DIAGONALES : SON, VIBRATION, MUSIQUE PROPOSÉE PAR LE CENTRE NATIONAL DES ARTS PLASTIQUES - CNAP, PARIS
-----------------------------------------------------------------LE FRAC, MEMBRE DU RÉSEAU PLATFORM, BÉNÉFICIE DU SOUTIEN DU CONSEIL RÉGIONAL DE LORRAINE ET DU MINISTÈRE DE LA CULTURE ET DE LA COMMUNICATION - DRAC LORRAINE.
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LES HOMMES
D’ARIANE MICHEL ÉDITIONS POTEMKINE ET AGNÈS B.
LES PREMIERS FILMS DE NANNI MORETTI ÉDITIONS MONTPARNASSE
Que tous ceux qui n’ont pas eu la chance de revoir Je suis un autarcique, Ecce Bombo et Sogni d’oro sur grand écran pendant le dernier festival Espoirs en 35mm se précipitent. Nanni Moretti raconte le désarroi d’une génération, celle de la fin des années 70, et à se replonger dans l’ambiance post-68, on mesure à quel point les choses n’ont fait qu’empirer depuis. La dépression s’est généralisée et les utopies sont devenues des objets d’exposition. Heureusement Nanni Moretti est là pour nous aider à en rire et c’est en mettant en abîme ses propres angoisses qu’il raconte la fin des illusions collectives, bien avant l’avènement du berlusconisme. (P.S.) i
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Comme dans un rêve éveillé, à l’image de son long travelling d’introduction, Ariane Michel nous embarque dans un monde de silence duquel l’homme est exclu. Au travers de la matière, rochers, banquise, vent, neige, mer, mais aussi au détour d’ours polaires et de morses, la cinéaste forge notre regard comme si le Groenland était le lieu d’une respiration renouvelée, une planète vierge qui force là une conception d’un temps inédit. Puis vient le moment d’une renaissance où en s’immisçant avec précaution l’homme apparaît sous un jour nouveau... Avec cette expérience filmique fascinante, Ariane Michel venue des Arts Décoratifs, déstructure nos repères et nous donne à assister à une leçon d’universalité. (O.B.) i
RIO LIGNE 174
DE BRUNO BARRETO – OCÉAN FILMS
À l’instar de Pixote d’Hector Babenco, Rio Ligne 174 de Bruno Barreto suit le trajet terrifiant de Sandro, enfant des rues de Rio, balafré à la suite de moult misères et tragédies, jusqu’à l’acte suicidaire d’une prise d’otages dans un bus, un fait divers réel qui défraya la chronique au Brésil en 2000. Tenu de bout en bout par un jeune acteur inconnu et sensationnel (Michel Gomez), Rio Ligne 174 déjoue le voyeurisme au bénéfice d’un réalisme social brutal qui se fixe sur la recherche d’affection de délinquants paumés. Déclinant sur ce mode une large palette de comportements humains, Bruno Barreto dépasse largement le cadre des poncifs archi rebattus sur le Brésil pour affirmer des vérités saines et essentielles qui ne laisseront personne insensible. (O.B.) i
SUPER 8
CD ET DVD – POOR RECORDS
Emballé dans une pochette qui se déplie de fort belle manière, Super 8 est un objet hors norme décliné en DVD et CD (la B.O. plus des bonus). Le musicien Kid Chocolat s’est inspiré des superbes images tournées en Super 8 par Pascal Greco pour composer une musique électronique abrasive pleine de trouvailles, puis le réalisateur a réadapté son montage en fonction de la musique… Suffisamment étrange pour rappeler incidemment le travail de David Lynch et Angelo Badalamenti, le projet Super 8 nous entraine hors du temps à la découverte d’un univers post-industriel dépeuplé dans lequel les trains foncent vers le néant et les machines tournent à vide pour la beauté du geste. (P.S.) i
RÉCITS D’ELLIS ISLAND DE GEORGES PEREC – VOL.1 INA ÉDITIONS
Avant d’être publié chez P.O.L., Ellis Island était un long métrage réalisé par Georges Perec et Robert Bober entre 1978 et 1980. La visite filmée sur L’Île aux Larmes, lieu d’exil et des drames vécus par les immigrants européens à leur arrivée sur la côte Est des États-Unis, interroge la judéité du célèbre écrivain : Ellis Island, usine à fabriquer des Américains est pour lui le pendant d’Auschwitz, usine à faire des Juifs morts. Une même énumération, la liste des bateaux, qui pourraient être des trains, le mélange des langues, le désarroi des arrivants, la sélection et puis une comptabilité voisine, ces données chiffrées, rectifiées, réajustées, tout nous conduit à une lecture particulière de ce récit, pleine d’une émotion qui redouble d’intensité à chaque vision. (E.A.) i
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