Paroles d'un compte en suspens 01

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Paroles d’un compte erratique 1 Clair Charpentier michel lombardo

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pour ne pas vous précipiter dans mon naufrage parce que je vous aime tant parce que je voudrais que vous m’oubliiez

11 janvier 2018 je perds des amis mais quels amis laisse-t-on j’ai laissé des ombres vent de nulle part — il balaie d'une rafale les débris d'une âme

mélanger bourbon et pur malt fonds de bouteille militante ivresse

lorsque je l'ai vue pour la première fois devant le terminal le vent d'un matin d'été luisait dans les étoiles de ses yeux lorsque je l'ai perdue dans le terminal le vent dehors était visqueux brûlant de torture et d'angoisse adieu fleur au parfum qu'un autre respire

je garde de toi toute cette amertume nauséeuse et flétrie me reste l'amour que jamais je n'oublierai que j'avais pour toi le crabe me laisse un choix je vais tâcher de vider ses pinces pleines de chair avant qu'il ne morde

12 janvier 2018

13 janvier 2018

sous l’auvent je pleure les amis que j’ai laissés et qui m’oublieront

je les garde encore ces photo d'elle envoyées par inadvertance

car ils m’oublieront tandis qu’ils resteront agrafés à mon cœur

dans ce beau carnet où je n'ai pu rien écrire flâne son parfum

la saveur tourbée du Caol Ila exaspère et secoue mes lèvres

reste inconsolé mon cœur transpercé de flammes cruelles

il est tard ce soir mon désir de vous revoir agite mon ombre

14 janvier 2018 premier café d’un dimanche sans amis le ciel s’est couvert

vous pensez tous que je vous ai laissés que j’ai quitté le navire de vos poèmes et pensées comme un rat qui sent le naufrage je vous ai quitté

la nuit et le froid me rappellent que l’hiver rode sous l’auvent

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15 janvier 2018

21 janvier 2018

que me reste-t-il de ce rêve inachevé — un gosier noué

ampoule fragile mais dans la peau de cristal ton cœur bat soleil

16 janvier 2018

22 janvier 2018

j’ai couru mille chemins traversé de vastes plaines rampé dans des boues fétides sans atteindre un but

une pluie de rires de mépris et de sarcasmes sur mon cœur percé j’aurais tout donné tout le reste de ma vie contre quelques jours

quand le vent se dresse dans un ciel sans compassion les nuages saignent

elle s’en défend pourtant elle m’a jeté comme un kleenex sale

je rêve d'un vent complice qui s'en irait lui conter la douleur d'un cœur qui plisse de trop de bonté

23 janvier 2018

17 janvier 2018

24 janvier 2018

café mal passé une boule à l’estomac toute la journée

le vent et le temps ont eu raison des grands chênes sans la moindre feuille

j’ai froid je frissonne la température grimpe dans le thermomètre

25 janvier 2018

18 janvier 2018

départ nécessaire mais bien lourd est le retour sans pouvoir parler

19 janvier 2018

26 janvier 2018

les cafés me pèsent j’aurais dû me contenter ce matin d’eau chaude

je n'oublierai pas que vous étiez des amis le resterez-vous ?

20 janvier 2018

dans le vent du nord le parfum de votre peau vient me réveiller

une nuit malade vingt fois j’ai troublé mon chat mais il dort encore

il y a vos yeux combien de saisons encore avant que j'oublie

j’ai froid des vertiges je n’aurais pas dû sourire au jardin l’hiver

je vous oublierai 3


malgré mon peu d’envie la vie c'est l'oubli

de danse légère

31 janvier 2018

et vous oublierez pour qui vous m'avez laisser la vie est oubli

ampoule orangée — la lumière acidulée d’un vieux cœur dissout

27 janvier 2018 les nuages gris cèdent la place au ciel bleu — quand reviendra-t-elle

01 février 2018 l’amitié se pose moineau au milieu des branches deux cœurs pour racines

trop vieux pour aimer tout le monde le lui dit — et pourtant, pourtant

au fond de son cœur demeure à jamais planté un dard de poison

j'ai aimé si fort celle trop jeune pour moi que j'ai pris mille ans

vous pouvez nier la blessure saigne encore et vos mains sont rouges vous pouvez baigner de larmes vos manches d’où le sang coule

28 janvier 2018 avant les bourgeons les tourterelles déclament une ode au printemps

02 février 2018

29 janvier 2018

combattre froid qui ronge l’âme et le corps un premier café

un soir il le faut partir ne plus revenir malgré les regrets

03 février 2018

mais je reviendrai amputé d’inspiration bien moins clair qu’avant

l’hiver est entré ricanant et fier de lui dans mon cœur ouvert

30 janvier 2018

un vent plein de dards trouble les oiseaux qui chantent pour se réchauffer

un ciel oxydé maltraité par des rayures d’argent déchiré

soleil sans chaleur l’eau froide de la piscine m’a mordu les doigts

un petit pixel qui s’allume qui clignote c’est un cœur qui bat

04 février 2018

l’hiver se murmure prend des airs de nuit d’été

vous devez oublier ce vieux fou qui dégoise

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du bonheur égaré dans une aérogare

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que nous pourrions nous aimer parfois seulement les bruits de la nuit ont bâillonné le silence — je ne vois plus clair

30 avril 2018 sous la lune torse l’éclat d’acier des nuages crisse dans le ciel

la robe de gaze dont la lune s'est parée danse dans mes yeux

la nuit m’a froissé comme un vieux papier buvard plein de taches d’encre

j'imagine un vent qui d'une histoire stérile ferait table rase

crapaud mon ami voudrais-tu bien s'il te plaît cesser ton vacarme

je suis un vieux chien errant d'impasse en venelle perdu sans collier

un Perier rondelle que serait-ce sans citron de l’eau et des bulles

il est tard amis dans ma tête je répète tous les mots non dits

01 mai 2018 lune de diamant qui d'une lame affûtée détoure les nues

chemineau des rêves je trainaille ma carcasse le long de la nuit

les yeux pleins de lune une chouette énamourée se perd dans la nuit

le soir est venu et son grand manteau de brume traine dans les flaques

ce soir un crapaud égaré dans son chant triste me tient compagnie

les nuages offrent une couronne d'eau sombre aux rayons de soleil

l'écho s'est perdu dans l'enfer de la vallée — mon ombre soupire

oliviers d'argent dans tes branches mal taillées des cris affamés

sur le banc je lis un message et l'au revoir d'une feuille morte

sud-sud-est la jonque toutes voiles rabattues se laisse porter

les jambes pendantes je devine au fond du gouffre les derniers grains de sable

loin de Wakkanai elle remonte le Huang fleuve métallique

il avait pour elle une affection sans limite mais gardait le sourire

dans la vapeur monte un parfum de tropiques un goût d'orchidée

parfois je rêvais

ses yeux de cobalt

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intensément étincellent de joie accablée

02 mai 2018

passée comme un songe je vole vieille éphémère des jours à ma vie

la nuit est câline qui me prend dans ses bras et me berce comme un jeune chat

sur le bord de l'aube une nue retient la nuit dans un coffre d'or

les parfums de mai se subliment dans le noir la nuit est immense

une porte grince sur les paumelles rouillées — la nuit est mystère

j'étire mes membres dans le fauteuil de l'auvent mon esprit en pause

quelques spectres errent sans but sans passion non plus dans la nuit d’orage

murmures lointains la nuit délicatement les effeuille

le vent me surprend de ses contes d'autres lieux de temps révolus

somnolent déjà minuit une chouette hulule plus de douze fois

à grands coups de fouet il repousse les nuages entre les étoiles

sur le pont de lianes entre les rives du gouffre je rêve de ciel

le vent qui n'a cure de mon air mélancolique rebat mes oreilles de ses anciennes rengaines qui lui donnaient le beau rôle

plus rien bouge dans les feuilles endormies s'ennuie le silence

je ne souffre plus je ne ressens plus rien — serait-ce la mort

sur le banc gauchi une vieille branche morte un éclat de moi loin dans les ténèbres les wagons claquent des dents sur les rails tordus

dans le vieux taudis qui prend soin de son vieux corps le vieil homme attend

dans un grand carton j'ai rangé tous ses présents sauf son souvenir

elle viendra bien avec sa lame aiguisée lui parler d'amour

je croise un fantôme il dit que je lui ressemble je ne trouve pas

ivre de lumière l'âme d'un papillon heurte la lampe sans flamme

03 mai 2018

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assis dans le soir que frôlent les hautes herbes je pense en silence

mon chat veut qu'on aille au lit je m'en souviens encore de la morue salée qui trempait des jours et des jours dans le tian sur la pile et du pilon d'olivier qui battait l'ail dans le mortier en pierre les légumes qui cuisaient lentement sur la cuisinière le jaune d'œuf et l'huile d'olive je me régalais d'avance de l'aïoli que mémé préparait

une brusque averse profite du crépuscule pour narguer le ciel le jardin embaume après l’averse du soir — parfum symphonique ballade de nuit — dans l'herbe gorgée de pluie mots ensevelis au nord de nulle part sur la mousse tendre une fée rêvait de mai

je me souviens le café vert que mon oncle sortait dans ses poches poignée par poignée coulant de sacs éventrés au déchargement sur les quais le café vert dans le tambour qui flambe sur la cuisinière il fallait tourner longtemps tourner la manivelle du grilloir mais alors cet arôme de café brûlé vous enivrait l'âme

musique grinçante quelque part dans la vallée des lutins ivres dansent la lune se cache dans le manteau d'Arlequin invisible et nue l'ogresse avait faim dans son frigo ne restait qu'un crapaud bougon

je me souviens le moulin à café en bois callé entre les cuisses la petite trappe qui s’ouvrait en dôme sous la manivelle que l’on tournait et tournait encore pour broyer les grains enfin on ouvrait le tiroir sur la poudre brillante sur l’âme de la potion magique

elle était ma maitresse celle à qui je devais les bleus de mon âme hirsute il rêvait de vous dans l'égarement des nuits les ruses des jours il rêvait de vous madame d'une âme folle et fiévreuse regard indécis — le phare au bout de la digue un signe une piste

je me souviens venait la cérémonie de la cafetière émaillée blanche toute simple le café moulu qu’on tassait plus ou moins dans le filtre tandis que l’eau frémissait dans la casserole sur le gaz

04 mai 2018 j’aime pas le thé thé ensaché encagé mais j’aime tes vers

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délicatement on la versait sur la poudre par petites coulées l’arôme déjà voyageait les sens la petite cuisine faisait le tour du monde

il a bu d'un trait la liqueur amère ce compagnon attendu le spectre en face de moi me sourit et nous trinquons entre nous silence pas un mot plus haut que l'autre nous nous connaissons

je me souviens il n’y avait pas de soucoupe ni même de tasse on buvait le café dans des verres en duralex longtemps on tournait la cuillère pour bien mélanger les trois morceaux de sucre nécessaire pour adoucir l’amertume du café épais alors doucement on soufflait sur la surface pour le refroidir un peu et ne pas se brûler les doigts il n’était pas bon il était amer et lourd comme du goudron mais c’était le matin il me réveillait

il regarde en coin je sais qu'il veut que je vide tout mon sac de bile il passe au tamis le sable de ma mémoire dont il ne retient que l'épaisseur des grumeaux dans lesquels je suis poissé mon ombre est sévère en silence il m'interroge je baisse la tête

parfum de la nuit une odeur d'herbe mouillée et d'âme froissée

je sens sa couleur entre grise et noire ouvrir les portes fermées de mon âme corrodée depuis si longtemps déjà

crapauds inlassables ils répètent sans arrêt que l'herbe est mouillée

et enfin j'explose en un million de lambeaux de mémoire et de sang

ce soir les étoiles paresseusement scintillent dans le ciel liquide

j'ai lâché prise et mon ombre docile se couche à mes pieds

au bout de la ligne comme une anguille ferrée les souvenirs gigotent

la nuit insoluble tourne autour du premier verre de whisky doré

le ciel s'embourgeoise il enfle comme un notaire après une vente

au sommet du pin une étoile s'est piquée — chemin des légendes

05 mai 2018 sur la table un verre déjà vide un autre plein l'ombre est en retard

orage de grêle les tuiles de l'auvent tremblent sous le fouet

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un orage brusque renvoie la pluie sous l'auvent les chéneaux débordent

une jeune guêpe mire dans la goutte d'eau son âme guerrière

les coquelicots décapités par les grêlons saignent sur le pré

un filet de brume lie le chêne et l'olivier pour la nuit entière

la vallée sonore couvre le chant des crapauds qui sourdement geignent

je vous vois madame étendue nue sur le drap m'oubliant déjà sous le lent ventilateur dans la torpeur de midi

les sons de la nuit s'estompent dans le néant de ma somnolence

l'auvent minuscule ouvert sur un clos d'arômes filtrait la lumière souvent vous étiez pensive mordillant votre crayon

sur le lac sans ride une barque est immobile elle est vide aussi en plongée profonde je respire l'eau salée de mes souvenances

je vous regardais penchée sur votre carnet alignant des phrases qui ne me décrivaient pas et complotaient mon oubli

sur le vieux pupitre au dernier rang de la classe j’ai gravé son nom

je savais cela et j'avais perdu l'espoir de vous voir écrire les mots que nous nous disions avant de nous rencontrer

06 mai 2018 je poursuis un rêve jusque devant sa tanière perdue dans l'oubli

les nuits étaient chaudes et souvent nous étions nous de mes mains tremblantes alors les matins riaient dans le parfum de l’été

assurément non je ne suis pas le poète de mon âme absurde

car je n'étais plus celui que j'avais été pour d'autres que vous toutes celles oubliées par votre peau enfiévrée

un ongle tremblant glisse sur un chapelet d'instants oubliables sur le pavot rouge papillon oh papillon ne te pose pas

mais cela qu'importe vous regardiez au-delà de mon horizon je devenais invisible à vos yeux d'exploratrice

le bourdon bourru lourdement quand il se pose fait frémir l'iris

j'ai fait une croix 10


et sans jamais rien vous dire j'attendais vos mots ils sont venus tout de même tard à ce que mon corps dit

nous rentrions aux ports même quai sans doute mais pas le même port une nuit sans ténèbres une nuit grosse d'espoir mais la nuit quand même

et quoi qu’on en pense je n'ai rien à pardonner c'est la vie qui bat la mesure des ébats je en vous dois tellement

08 mai 2018 me voilà encore seul en face de la nuit nous nous observons elle attend que je l'éclaire sur le chemin des étoiles

07 mai 2018 la chouette malade dans les branches ténébreuses hulule en tremblant

noyé dans les herbes le coquelicot perdu lance un SOS

tanguant sur un bord de flaque une feuille morte tente l'aventure

des trains jouent des trompes l'un sans doute très pressé veut dépasser l'autre

une reine grosse cherche une poutre accueillante — maison de papier

sur le fil des mots funambule malhabile j'hésite et bégaie

ce soir pas d'étoiles le ciel et l'ombre des arbres les ont dévorées

parfums dans la nuit herbe coupée et jasmin l'éclair d'un sourire

promeneur paisible qui sourit à un oiseau foule une fourmi

plonger dans l'oubli comme on plonge dans l'Érèbe et en rester sec

les coquelicots provoquent les pissenlits le pré pour témoin

09 mai 2018

entre les nuages une étoile se faufile insolente et nue

soirée de satin douceur de la pluie cessée et de son silence

entre le Château d'If et le Vieux-Port je comptais les vagues d'une mer sans colère la navette haletait bruyamment j'étais silencieux mutique refermé elle aussi qui regardait vers l'autre bord

la nuit se parfume — l'odeur de fumée mouillée sombre entre les arbres le matin de mai les coquelicots s'éveillent d'un bâillement rouge le soleil sans force

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essaie d'écarter les nues le ciel est solide j'allais nonchalant suivant la lenteur du fleuve coupant les méandres

des chouettes répondent au lent bruissement des feuilles — la nuit attentive un lent crépuscule frôle la joue des collines d'un doigt de lumière

j'avais pour bagage une besace de mots et l'arc d'un poète

matin des oiseaux qui de leurs chants insouciants saluent le soleil

parfois je lançais une volée de carreaux vers le ciel opaque

le soleil s'abreuve de l'herbe gorgée de sève — midi de mai tendre

j'excitais l'orage qui se moquait bien de moi et de mes légendes

mon cœur battait fort assis près de la fenêtre je voulais sauter le parfum de ma voisine me retenait au pupitre

dans le grau du fleuve je m'assis sur la besace inutile et lasse de l'arc et des flèches appareillés par le verbe je fis un radeau sur lequel je pris le large vers l'horizon d'inconnus

vous ne savez pas pour un collégien venu d'un cours de garçons quels effets cela déclenche d'être assis près d'une fille

j'attendais les pluies de ces mots incomparables qu'aucun dictionnaire jamais n'avais recensés et que j'espérais pourtant

11 mai 2018 perdue dans la nuit la petite lampe jaune gribouille le noir

jamais ils ne vinrent — au sommet de nulle part je brûle de sel

dans le manteau sombre de tout petits trous d'épingle pour croire aux étoiles

vagabond stérile sur des vagues insomniaques je me rêve d'ailes

j'ai marché longtemps dans l'ornière du chemin — je m'assois j'attends

10 mai 2018

que dis-tu la chouette dans ton langage lugubre je ne m'entends plus

dans mon cœur de miel la durée est suspendue l'espace infini

à l'ombre des chênes le soleil de l'an passé m'illumine encore

arbres ruisselants dans les forêts embrumées chemin des lutins

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parfum de mémoire les iris sur le talus perdent leurs pétales

pourtant tu n'es pas soumise à ma pesanteur les rêves s'envolent vers l'oubli à tire d'ailes — amer crépuscule

une rame cassée pour lutter contre le flot mon esprit chavire

vagabond fourbu je m'assois à la fontaine tarie de mes larmes

je ne vois plus clair les ténèbres me dépècent la nuit me déchire

les nids endormis dans le silence et la nuit bruissent doucement

je cours sur la lande comme un renard harcelé de chiens ameutés

je posais ma joue sur la douceur de son sein j'étais un enfant

je souffle et je souffre acculé dans la nuit sombre par les rats perfides

un ciel écarlate — le sang des âmes défuntes brûle les étoiles

je suis un vieux chat pelé aux griffes limées et aux crocs sans force

j'ai offert ma peau à l'usure de la nuit et au temps complices

plus forte que moi mon ombre aux contours confus s'écarte et me fuit

poussières d'étoiles mes larmes inassouvies quêtent vos soupirs

sur le sol visqueux il ne reste que la peau d'un fantôme humide

13 mai 2018 entre bruine et brume en contre ciel de l’ennui un voile d'argent

les os calandrés par des insectes voraces luisent au soleil et peu à peu ils retournent au limon tant espéré

un petit vent froid souvenir d'un long hiver succède à la pluie

12 mai 2018

silence profond — le ciel retient son souffle dans la nuit figée

dans la flaque d’eau l’oiseau aux plumes espiègles peint un arc-en-ciel

les crapauds rejoignent leur repaire de silence — le cri d'une chouette

ô mon âme sourde aveugle à l'écho du monde sors de ta tanière

sous l'averse les chênes pleurent

mon ombre diffuse

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les feuilles de frêne à peine défroissées frissonnent de froid

un mince trait de crayon dans le gris des nues sous la lampe froide un petit papillon de nuit réchauffe ses ailes

sous l'auvent la lumière embrumée de la lampe humide

le bruit du silence sur les ailes de la nuit — chute d’une plume

milieu de la nuit — je me souviens des minuits à bord de l'été

15 mai 2018 éreinté je pose ma vieille carcasse usée au bord du sommeil

le vieux sans bagage qu’une hotte de soupirs glisse vers la nuit

dans ma tête grince la girouette rouillée qui perd ses écrous

je sens son haleine sur ma nuque hérissée — l'ombre me rattrape

le soir nonchalant entraîne mon indolence dans le lit des songes

sur mon crâne je rabats la capuche d'un oubli sidéré

mon ombre fourbue dissimule sa fatigue dans les branches mortes

vent je dis le vent et il me répond qui es-tu toi pour parler au néant dans les ténèbres

sur la table raides deux verres et une carafe d'un très vieux whisky sans impatience ils attendent le lent et dernier baiser

la pluie s'est mise à tomber le cœur de la nuit vient de s’arrêter

en fermant les miens je revois ses yeux d'eau pâle dans mes yeux coupables

sous le ciel sans couleur la pluie perd le rythme musique sauvage

14 mai 2018

ombre est ma compagne avec elle au grand soleil on joue aux charades

un soir sans escale est passé sans crépuscule du jour à la nuit

l'ombre du feuillage — des bouquets en noir et blanc que le vent caresse

les nuages s'ouvrent lentement comme une bouche aux lèvres tendues

elle s'appelait Michèle la nuit j'épelai son nom fallait-il une ou deux ailes pour voler vers elle

la langue de ciel

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un papillon gris gros comme une feuille morte mange la lumière

vomie depuis les entrailles de quelques humains mourant c'est pour ça qu'ils dansent autour d'un feu de poèmes que jamais personne ne déclamera sur terre eux seuls eux seuls s'en souviennent

sourire demain quand j'ouvrirai le volet des coquelicots

16 mai 2018

les coquelicots sourient à l'aube endormie — rosée du matin

la nuit équivoque elle envahit le jardin et vide ma tête

un café fumant sur la terrasse au soleil — le chant du loriot

dessus les ténèbres d'une terre à l'agonie les anges sanglotent

je somnole encore — je fais le tri dans les miettes de la nuit passée

se tenant la main amoureusement ils dansent entre les étoiles

j'ai rêvé de vous princesse au rire d'enfant j’en souris encore je vous sais si loin de tout mais qu'importent les chemins

les étoiles chantent leur mélopée au silence dans l'espace froid sur la terre brune les vents dégainent leur sabre et chassent les arbres

les coquelicots au milieu des pissenlits troquent leurs abeilles

on the darkened earth the winds unsheathe their sharp swords and they chase the trees

muguet roses blanches comme un dimanche de mai c'est aimer le temps

il y a longtemps que l'homme n'est plus qu'un mythe dans l'âme des blattes

la brume de mer — les mains s'accrochent encore aux vieux souvenirs

les vieux rats eux-mêmes se sont dévorés entre eux dans la cendre épaisse

brûle la toison des rêves incandescents sur mon cœur d'agneau

la terre s’épuise encore autour d'un soleil essoufflée et lasse

17 mai 2018

ils sont seuls les anges a être les héritiers de la poésie

aux sources du vent une nymphe s'est baignée dans un courant d'air

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on trouve parfois des écailles de sirène l'hiver sur les galets

dans la nuit diffuse des glissements dans l'herbe — mes pensées s'évadent

j'ai longtemps pleuré parfois des larmes de joie souvent de chagrin

roulée sur la plage comme les nues en hiver — une vieille épave

minuscule insecte je pousse mon gros boulet de bouse et d'ennui

sur la table blanche l'ombre immense de la brume du café brûlant

le profond silence filtre les bruits de la nuit — j'écoute les fleurs

le soleil dénombre les nuages effrontés qui lui font de l'ombre

un noir sans nuance le ciel et l'ombre des arbres confus confondus

parfums de la nuit sur le dos d'un vent léger — le silence oscille

les spectres se taisent assis autour de la table ils boivent le silence

19 mai 2018 odeur d'herbe verte le jardin m'a poursuivi jusque sous la douche

le cri des corneilles qui descendent la vallée vers les vieux greniers

l'orage menace à coups de tambour sonores mais il ne mord pas

mon pays c'est l'enfer du souvenirs des défaites des espoirs déchus

entre les galets sur la plage désertée une arête sèche

jamais solitude ne m'a pesé - c'est à croire qu'il faut vivre seul

un arc de galets entre deux pitons de grès l'océan respire

le bruit de la rame — Charon ne se presse pas pour changer de rive

je respire enfin la tempête de silence me lâche la gorge

gravé dans le mur un silène rit de moi sans frémir d'un poil

18 mai 2018

leurs regards se croisent ils se sont déjà connus dans une autre vie

les ombres repassent l'aube froissée de demain à la pattemouille

le roman s'achève — ils avaient bâti entre eux un mur de silence

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trace sur le sable une longue traînée noire rejoint l'horizon

réveil épuisé — j'ai marché toute une nuit accablé de rêves

son cœur de lionne ne m'a jamais offert que son rugissement

le volet ouvert le ciel me saute au visage — tout ce bleu ce blanc

malle du grenier dans le plumier bat encore un cœur d'écolier

compère loriot de son chant plein de gaieté tourne le café

à sa source fraîche il l'abreuvait de désir mais s'en souvient-elle

soleil déjà haut je cours à mon rendez-vous avec le jardin

la nuit sous l'auvent je parle à mon téléphone qui ne répond pas

avec précaution je change le pansement de mon cœur blessé

l'odeur d'herbe rase se mêle aux parfums subtils d'une nuit d’avril

faucille d'argent la lune d'un geste habile éteint les étoiles

la lune est fantasque — son premier croissant paraît à l'ouest du néant

j'ai semé des rêves mais aucun de leur bourgeon n'a fleuri mon ciel

la mélancolie assise en face de moi veut un autre verre

cette tache d'encre sur le buvard maculé — vieille comme l'enfance

je me sens si vieux — je pense entrer comme rat au musée Grévin

fontaine tarie — les mots comme de la cendre glissent entre mes doigts

pour rire de soi il n'y a pas de secret il faut avoir mal

ma besace est vide pour me rassasier de mots j'en mâche le cuir

20 mai 2018

elle était mon aube le matin de toutes les joies puis s'en vint le soir

un café serré sous le soleil de satin — dimanche et sourire

nuit sans espérance l'aube n'effacera pas la glu des ténèbres

enduit de fatigue je suis jaloux de mon chat qui dort n'importe où

la joie est un leurre et comme pour l'alouette le miroir nous berne 17


dans le grès du temps les jours qu'il me reste à rire sont déjà gravés

la mer retirée a effacé les empreintes de notre avenir

les fleurs sont tombées de mes mains qui les tendaient à son rire froid

être sans attache je cours dans la cour des rêves je cherche un collier

un obscur silence vient emprisonner l'auvent — je n’y rêve plus

22 mai 2018 le front sur la vitre j’écoute la pluie tomber sur les herbes tristes

dans cet anneau d'or bat toute notre espérance avant le naufrage

sur la table blanche je pose tasse fumante et rêves perdus

21 mai 2018 il pleut doucement un murmure sur le toit une tuile tinte

entre les étoiles je chevauche une licorne aux dents aiguisées elle me conduit vers l'aube de l'univers balbutiant

pluviôse est en mai valet de cœur dame de pique sous un parapluie sur son rocher bleu bercée par le son du sel la sirène chante

un rêve de soie aiguillonne ma monture qui franchit l'enfer d'une détente d'échine sans laisser le moindre crin

dans les herbes hautes un petit peuple s'affole de mes pas prudents

précédant son dard des libellules d'acier défient le chemin

au fond de la poche le trou par lequel s'échappent tous mes souvenirs

dans la nuit brillante intimidant les étoiles nous allons confiants

de mes espérances le temps me rend la monnaie — comptoir du destin

passés les amas les galaxies et les gouffres le néant se déchire

les bruits du silence — un glaçon fond lentement le verre s'embue

voile de trous noirs voilà le dernier obstacle et le ciel se fend

elle est là en face tournant sa tasse sans boire la mélancolie

nous perçons l'armure de mon sabre et de sa corne jusqu'à l'explosion

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l'univers naquit du rêve d'une licorne et d'un coup de sabre

fière de ses yeux elle lançait dans mes yeux un regard d'arbalète

pensif sur le banc l'ombre est douce sous les chênes les heures s'égaillent

sur la haute dune je m'imagine berger d’un troupeau de sable

parfum de rosée — l'aube frémit des caresses d’un soleil craintif

la source était claire elle luisait sur la mousse entre les rochers

la sirène chaste dissimule ses blessures sous un drap d'écume

j'étais sans attache mais comme le vent d'été je m'essoufflais vite

je respirais son parfum de fraise et de sucreries dans l'encre des mots gravés sur les pages bleues

24 mai 2018 de hier en demain le temps file et se repasse comme un rasoir

la nuit me harcèle pour que j'aille la border entre des poèmes

tic-tac fait l'horloge au sablier presque vide lui qui s'en balance

23 mai 2018

sous l'auvent en silence les pensées font le ménage de mes nuits grinçantes

la chaude faïence sur mes lèvres somnolentes — le premier baiser les fleurs se réveillent après une nuit bien courte manque de sommeil

sur le chemin de l'école j'ai rencontré un feuillet sur lequel j'ai reconnu ma pâle écriture

doux matin de mai — les coquelicots fragiles ploient sous la rosée

et je me revois au temps des culotes courtes et du sac de billes

la nuit hésitante enivre le crépuscule titubant et rouge

la rue Beauregard aux marches inégales en pente et étroite et derrière chaque mur une cour et son figuier

tremblant sur les pierres à la mousse redoutable je traverse à gué le torrent des souvenirs sous les sarcasmes du ciel

ou son amandier qui fleurissait en hiver — Marseille la vieille

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le soleil et l'ombre tailladés par un rasoir sur les murs lépreux

humide moiteur — sur ma peau déjà collante valsent les moustiques

je la descendais en courant sans respirer et la remontais en peinant tant elle était raide et creusée de ravines

prémisses d'été les spigaou sont déjà prêts à faire la course d'un geste indolent je disperse un cauchemar qui volait trop près

les mêmes venelles sur le chemin de l'école montée Saint-Esprit sur le mur de l'Hôtel-Dieu des affiches du PC

je courbe l'échine — les coups de fouet du soleil haranguent mes pores

une école rose elle était neuve à l'époque juste après la guerre

au bord du sourire comme le coquelicot mes lèvres frissonnent

rongée par la vermine qui exige qu'à Marseille rien d'antan ne reste une ville si ancienne tellement peu de mémoires

la jeune tarente sur le mur illuminé guette sa pitance quand j’étais enfant les flaques des caniveaux étaient océans

dans la cour d'école doivent être encor gravés les bleus de mes chutes

écorce de pin taillée et longtemps polie fière goélette

au début de mai nous jouions aux osselets en os de mouton en juin nous jouions aux billes avec des noyaux de fruit

de toute ma joie je l'ai portée jusqu'au port sous les grands navires mais ma pauvre goélette fut prise du mal de mer

pendant toutes ces années je ne me souviens pas qu'il ait jamais plu

au pet d'un ferry elle laissa voile et mat dans les flaques d'huile

25 mai 2018

je l'ai ramenée ensanglantée de nausées dans son caniveau

la cuillère tinte sur le bord de la soucoupe — sirène de brume

j'ai gardé longtemps cette écorce de pin rouge dans mon cœur saignant

aux premiers rayons l'haleine des herbes folles ondule dans l'air

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je l'ai tant aimée celle qui n'a jamais su que je l'aimais tant

26 mai 2018 matin pot de glu — l'odeur du café brûlant me fait transpirer

en tirant des bords je remonte le courant de mes souvenirs

les bruits d'une noce dans le lointain vague et noir — les arbres s'agitent

le clapot des vagues courant le long de la coque — le sel du passé

c'était au printemps je me souviens d'une larme tombée dans un bol

une borne en haut des restanques du verger — je m'assois je souffle

le rêve était bleu comme le sel de la mer qui léchait le sable

d'un quartier à l'autre je ne sens pas fuir le temps — la lune immuable

de grands coquillages aux voltes invraisemblables jouaient du violon

la brume du quai — dans la nuit des lampadaires à l'affût d'un signe

complice du vent des enroulements de sable dansaient sur la plage

27 mai 2018 dans le ciel d'étain les nuages innocents couvent la lumière

elle était déserte mais nous deux l'avons remplie à notre mesure

le café caresse de sa douceur exotique ma gorge endormie

nous étions assis le dos contre les oyats nous comptions l'écume

feuilles frissonnant dans la lumière sans ombre — le printemps s’éclipse

les vagues chantaient leur complainte monotone en pinçant l'estran

gavées de soleil les fleurs du jardin sauvage chantent leur parfum

la mer a changé et ce n'est plus ce printemps c'est une autre vie

une brève averse libère les parfums cachés dans les hautes herbes

mais c'est ce matin qu'une larme salée tombe dans le bol fêlé

la nuit équivoque hésite entre odeur de sel et parfum de garrigue

coquelicots roux — leurs pétales se flétrissent le cœur en déroute

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une nuit revêche une somme de questions et un matin gris

sur la verrière les gouttes de pluie pianotent un air mélancolique

plus rien ne bouge — seul le cri des crapauds déroute la nuit

mars sous les platanes de la contre-allée luisante d'une pluie graisseuse

j'ai fini ma tasse je découvre dans le fond un pays sans rêve

nous ne parlions pas sur nos épaules serrées l'une contre l'autre le vieil hiver finissant encourageait nos frissons

je respire la nuit sa fraîcheur et son silence — battements de cœur

nous marchions sans but le parapluie trop étroit protégeant à peine de cette pluie insidieuse qui nous blottissait l'un l'autre

plus de bruit plus de pas sur la route offrande de néant la nuit m'émerveille — la lune dans son halo secoue les étoiles

elle a pris mon bras même sous l'épais manteau j'ai senti son cœur et son sein imaginé battre et rire sur mon coude

les mots me renient ils se jouent de mes paroles et griment leur sens

j'ai tourné les yeux vers son visage un peu blême elle souriait

29 mai 2018

j'ai souri aussi et je me suis approché de sa bouche offerte

sur le bord du quai patiemment j'attends mon heure et je plie bagage

nos souffles mêlés se sont accordés ensemble le premier baiser sous la pluie et dans le froid d'une ville engrisaillée

la lune déploie sa chevelure d'argent sur mon âme amère des rêves féroces m'avait mordu jusqu'au sang — quel réveil pénible

à présent je sais que l'orage était le signe du premier naufrage

28 mai 2018

mes amis qu'importe que je vous ai près tenus le vent me balaye

un ciel bleu marine — légère écharpe de soie au cou de la lune

ceux qu'on croit amis qui ne vous pardonnent rien quels amis sont-ils

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je resterai sage dans le berceau de tes bras et quand viendra l'aube je me laisserai couler dans l'onde amère du Styx

sur la pierre tombale je ne souhaite qu'un silence pas même mon nom j'ai ce mal au cœur de tant faire mal aux autres ça me broie les côtes

au bord de l'Érèbe j'embrasserai de mes dents le sombre néant

un chant d'amertume — l'estomac au bord des lèvres je fais mes adieux

le tonnerre grogne et le Garlaban frémit sous les coups de fouet

la lune et la nuit inséparables ce soir -je me sens de trop

31 mai 2018 une frêle barque accrochée dans les roseaux — les pensées dérivent

indifférent le vent ce soir charrie des parfums d'absence inutile

dans le vent léger tremblent les feuilles de viornes — un orage approche

30 mai 2018

la main dans le thym je libère le parfum des collines grises

nuit de poix épaisse elle colle sur ma peau des odeurs d'orage

dans la haie d'épines le nid se sent à l'abri des dents de mon chat

elle étend les ailes d'un grand et sombre corbeau qui mange la lune

ah pêcheur de lune ta ligne trop haute est prise au cœur d'une étoile

elle fuit vers l'aube d'une lenteur calculée pour brûler au seuil de la naissance attendue d'un soleil majestueux

ils sont nés sauvages — il faut voir comment la poule défend ses poussins

ô ma nuit rebelle couve encor comme une mère le cri des crapauds

sur l'orbe du ciel les étoiles se chamaillent pour un beau miroir

suis les papillons dans leur recherche éperdue de grêle lumière

il était écrit que je goûterai toujours à la déception

ma nuit ma compagne préserve moi du sommeil et des cauchemars

sous l'auvent je rêve — les étoiles me prédisent une nuit limpide

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les joues rouges sang je courais en piétinant les coquelicots

mon cœur de bleuet envie sans vraiment l'avouer les coquelicots

j'étais un enfant de la rue et du bitume blême et mal portant je n'avais jamais cueilli le moindre coquelicot

je l'aimais pourtant comme une amie véritable celle qui se gausse dans le nid de pies un oisillon qui s'agite fait un cauchemar

les rues étaient sales les façades étaient grises et cachaient le ciel

minuit l'heure est douce à mon âme malmenée — les yeux aux étoiles

les volets béaient sur de vieilles pièces sombres à l'odeur de suie

à la croix du cèdre j'ai pris le mauvais chemin et je boite encore

je suivais la route dans le couloir ténébreux jusqu'à l'escalier en m'appuyant sur le mur couvert de lèpre et d'écailles

dans ce monde-là la coutume était que l'empereur envoie deux assassins égorger les vieux nul ne savait quand ils viendraient il fallait être vieux c'était la coutume certains ne se défendaient pas ils offraient leur gorge aux lames c'était les plus sages d'autres résistaient plutôt mal que bien on retrouvait leur corps dépecé torturé sur la place du palais mais il arrivait que l'on voit sur cette place blanche le corps mutilé des assassins le vieux avait alors le droit d'égorger l'empereur et de prendre sa place c'était la coutume en ce temps-là

et quand j'arrivais je recevais une gifle de ma mère saoule sur la mer de sable les matins fendent les dunes et le temps s'enfuit au-dessus des nues blanches sur le ciel bleu nuit les étoiles rêvent dans la pièce sombre les ombres lasses quémandent une place à table je leur sers un verre de l'amère nostalgie que mon cœur distille nous trinquons ensemble dans le plus profond silence seuls les verres tintent elles disparaissent quand la nuit vient réclamer sa pinte de sang

01 juin 2018

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les bourdons se posent même sur les fleurs coupées — ardeur du printemps

alors les ténèbres rouges comme un cœur maudit pissent sur la table

la lumière jaune et poussive de l'auvent brouille mes pensées

tout coule et s'écroule les murs éclatent je crie et la nuit me prend

j'ai tendu la main et je la tendrai encore à tous cyniques

de la calomnie il reste toujours des braises prêtes à reprendre

j'aime cette nuit dont le silencieux murmure apaise mes plaies

02 juin 2018 le bourdonnement tout au fond de la vallée — la vie continue

sur les lauriers-roses la pluie coule à chaudes larmes — fleurs blanches fleurs rouges

assis sous l'auvent je me raconte une histoire d'amour et de sang

je suis le chemin de l'amère rédemption jusqu'au bord du gouffre

parfois je suis moi d'autres fois je suis un autre très souvent personne

dans mes cheveux rares blanches fleurs de l'olivier au tronc tourmenté

sur la chaise vide un spectre a laissé son ombre — je la lui rendrai

l'année du cancer j'ai planté des oliviers pour qu'ils me survivent

nuit écartelée entre l'ombre des collines et l'envie de rire

je sais pardonner mais l'oubli est au-delà de mes frêles forces

je tenais sa main comme on tient à la fortune sans vraiment y croire

le rêve est mon lot — le matin je le vomis dans la tasse vide

à l'ombre du vent gambillent les feuilles mortes de l'hiver prochain

il disait "je cherche un homme" je n'ai pu l'aider

sur la route bleue entre les fleurs des étoiles un ange s'égare

au fond de ma poche de vieux souvenirs sommeillent — qu'ils dorment en paix

03 juin 2018

les bruits de la nuit enveloppent le silence d'un ruban de soie

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elle souriait comme sourit une enfant devant son jouet

on aperçoit même la respiration des feuilles dans le grand silence

je me suis assis sur l'avant-dernière borne blême et fatigué

l'heure du hibou — il se réveille à minuit il a mal dormi

la tige de thym que je froisse entre mes doigts ivre de garrigue

il court par ces sentiers aux noms de ballerines incruster ses dentiers dans les noires racines

04 juin 2018

tout de bois vêtue ma maison va gaiement sur sa cave ventrue vers le firmament

c’est mon doux minou une partie de mon cœur celle qui ronronne

je cours je ris je m'envole vers le vent au nom d'oiseau pour lui offrir mon obole de petit moineau

silence intérieur — les pulsations de mon cœur prennent mes mesures allongé dans l'herbe et la tache de soleil je reprends mon souffle

05 juin 2018

en ombre chinoise le grand pin et son fantôme font enfin la paix

un noir d'obsidienne et de froissement de soie — la nuit se fait femme

sur l'ardoise grasse au-dessus d’un comptoir sale le temps tient mes comptes

le bruit des galets dans la caresse des vagues — une aube écarlate

ma vie sans couleur une longue fable grise et quelques sourires

il bat doucement au rythme lent des crapauds mon cœur apaisé

depuis que j'écoute les palabres des crapauds j'ai appris leur langue

elle me regarde de son petit cri de gorge la jeune tarente

silence total quand les crapauds se taisent la nuit en suspens

l'esprit se repose sur les berges de la nuit — incertain confort

cri d'une tarente sur les carreaux de couvert c'est l'auvent qui geint

dans un champ fleuri j'ai moissonné mes amis — je trie les épis

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dans le champ de blé est-ce que Ruth aimait Booz on s'en fout en fait

bruine sur l'étang — tous les crapauds applaudissent la manne du ciel

06 juin 2018

d’un œil scrupuleux sur la paillasse du cellier il compte les gouttes

le temps se déchire — il ne reste entre mes mains que des confettis

07 juin 2018 garder le silence — la pluie qui vient de cesser s'en chargera bien

j'étais un enfant mauvaise herbe du bitume maigre et le teint pâle

feuillage détrempé — les gouttes qui en ruissellent intriguent la nuit

malgré mon amour pour elle la ville me salissait elle gangrenait mon âme j'étais sans défense

au fond de l'impasse sur le journal plein de pluie la météo d'hier

seule la mer proche pouvait laver ma souillure d'un sel énergique

sous l'auvent je danse — bien calé dans mon fauteuil je dresse les mots

le soleil venu je plongeais entre les vagues d'une mer aimée

l'oubli est facile quand les mots sont le décor d'amis illusoires

je riais sous l'eau et plusieurs fois dans la houle j'ai manqué me perdre

partir en silence et sur la pointe des pieds retenir la porte

je ressortais nu et rédimé de cette eau pure et salvatrice

quand je suis parti même les mouches mielleuses ont pouffé de rire

je pouvais alors affronter les hivers sales les puanteurs aigres et les flatulences grises jusqu'à la saison prochaine

08 juin 2018

ce n'est pas banal la douce odeur du jasmin s'enfuit dans la nuit

sous la voute sombre une à une les étoiles me disent bonjour

dans le sac de billes une agate énamourée d'un calot usé

je suis le chemin je ne sais pas où il mène j'étais le chemin

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j'éteins la lumière — seul le bruit du souvenir disperse la nuit

10 juin 2018 mes désirs obscurs s'envolent en soulevant un voile de lumière

un ange égaré bouscule les galaxies — les étoiles bruissent

sous l'auvent je replace les tuiles des regrets

je revois la mer — comme elle était bleue alors et les vagues lentes

mes amies tarentes se pourlèchent les babines d'un souper aux chandelles

j'étais si naïf— je riais aux mains tendues qui me poignardaient

la nuit m'accompagne sur les traces d'un oubli à jamais fuyant

dans le vent du large éclaboussent les fragrances des espoirs anciens

09 juin 2018

la besace est pleine de ces milliers de caresses dont personne veut

le sens de la vie est de n'avoir pas de sens — je reste interdit

un reflet d'argent a tremblé dans l'olivier — un elfe se cache

la source est tarie — j'ai beau gratter du papier je n'ai plus de mots

là sur mon épaule comme un ara de pirate le souvenir d'ailes

la nuit m'entortille — je roule dans ses filets comme un vieux pageot

un fleuve de boue emporte les illusions perdues par le temps

je me sais au centre de l'univers observable — quelle dérision !

sur le front de mer les barques tirées au sec rêvent de glaciers

tailler les ténèbres à grands coups de souvenirs ne m'éclaire pas

11 juin 2018 assis sur le banc j’ai laissé passé l’hiver sur les feuilles mortes

une étoile chante d'un silence illuminé dans mon firmament

un enfant encore — endormi profondément les pattes croisées

ciel de pacotille — dans son manteau de nuages il fait moins le fier

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perché sur les nues je me tends vers les étoiles pour frôler la lune

sur les galets j'entends l'écho de ses pas encore — ce n’est qu’une vague

je replie mes rêves bien à plat dans ma caboche et je me réveille

les plages l'hiver étaient de vastes repaires où nous étions seuls

parfums de l'été dans les pots de confiture et les doigts qui poissent

de lointains éclairs ont embrasé les nuages de poudre d'argent

je ne courrais pas je volais d'un rêve à l'autre quand j'étais enfant entre deux étoiles d'un bout à l'autre du ciel j'ai tendu un fil

la vibration grave du tonnerre sur les monts embrumés du nord reflet d'un éclair sur les tuiles de l'auvent — l'orage s'approche

sur ce brin de toi improbable funambule je danse en jonglant

trempé par l'averse mon chat m'offre une souris — surpris tous les trois

il a bien dormi — mon chat après le souper se lève de table

pourquoi tant de pluie — de combien de sécheresse doit-on la payer

c’était l’hiver un peu avant l’aube au loin brillait la ville dans le ciel deux lunes s’interpellaient

gris le ciel les nues à peine si doux minou a osé sortir

13 juin 2018

12 juin 2018

une nuit épaisse écrase de tout son poids mes pensées diffuses

au bord du sommeil il confie à son coussin ses rêves de chasses le doux chat médite parmi les ombres figées — silence des arbres

tu parles de cul tout le monde accourt tu parles de cœur tout le monde a peur

ce bruit de silence froissement de l'air et feuilles aux murmures lents

la peau me démange si je pouvais l'arracher pour un peu changer

un jour j'ai eu l'âge de ne plus être un enfant — les regrets me mentent

autour de la lampe les vieux papillons de nuit tissent la lumière

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perdu sous mon crâne un poème mal foutu cherche la sortie

pavé après brique j'ai dressé un mur d'ennui sur la vie des autres

c'est pas l'heure encore mais j'aimerais pouvoir pondre ma propre épitaphe

trace dans le sable — elle laisse l'illusion d'être encor vivant

j'ai déjà la pierre ne manque plus que les dents pour la buriner

un mur de prison ce n'est qu'un mur comme un autre qu'y a-t-il derrière tous les murs sont des prisons on s'y cache on s'en protège

j'ai pris le manteau du rêve et du souvenir pour courir vers toi

à l'ombre des chênes je rêvasse sur le banc qui grince avec moi

tu étais si belle dans ta robe de soie rouge si jeune et si brune

j'ai tendu la main certains ont voulu la prendre pour me la couper

impossible oubli — tintamarre dans ma tête et odeur de sel

souviens-toi la belle oh combien je t'ai aimée tu l'as jamais su

je suis un vieil homme abusé désabusé je vais incertain

14 juin 2018

les rues de ma ville aux mille voix emmêlées suintent de crasse

le vent ce matin déchiquète les nuages comme vieux brouillons

vole l'oiseau vole entre les branches sans fruit crie ton désespoir

j’ouvre la fenêtre quel temps fait-il dans ma tête — humeur paresseuse

15 juin 2018

crabe dans le ciel — un reflet de celui qui me ronge les tripes

l’ombre du grand cèdre se reflète dans le ciel couleur de nuages

un chien aboie depuis le fond de la nuit — il garde son enfer

son œil de poisson plongeant jusqu’au fond du ciel noie les galaxies

du haut de mes ans le regard vers l'horizon je comble les brèches

soulevant les nues par-dessus la mer de brume un fantôme émerge

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elle me démange cette pensée agaçante — j’hésite à gratter

dans le crépuscule sur le banc enténébré la mélancolie

d'une fleur à l'autre ils se déplacent en couple les vieux papillons

froissant dans mes doigts une feuille de laurier — odeur d’un passé

odeur d'herbe sèche presque une odeur de foin mûr — l'été prend racine

les plumes des flèches dans le carquois de papier ont soif d'encre épaisse

réfléchie dans l'onde la pureté des étoiles filtre la distance

sous l'auvent secret je caresse mes pensées à rebrousse poil

j'aimais cette plage que nous n'avons jamais vue que dans nos chimères sur la table un verre une carafe et un seau de glace patientent hésitant un peu je verse une dose d'amertume

la lampe discrète égratigne mes paupières d'un rêve inaudible ce cri dans la nuit régulier comme une horloge — mon cœur qui résonne au bord de l’ennui il se demande parfois s’il devrait sauter

une nuit turquoise transparente et affûtée comme un katana effile mon cœur d'enfant en de longs lambeaux geignant

17 juin 2018 un scarabée noir est tombé de la lumière sur la page blanche

vider son esprit et rejoindre le néant pour y prendre feu

les arbres se taisent — un silence religieux effleure leurs feuilles

des doigts éphémères vers mes mots mal agencés pointent leurs sarcasmes

tiédeur de l'auvent — caressé par la pénombre je bois le silence

calme plat — somnolent le ciel d’été se démaquille

16 juin 2018

sur la table mise la poussière s'épaissit — j'éteins la chandelle

sur la passerelle d'un immense paquebot naviguent mes rêves

le phare palpite comme un cœur sur l'océan — battement des vagues

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au bout de la digue je m'assois sous la balise j'affûte les vagues

la tarente court sur le mur illuminé par la lampe maigre

18 juin 2018

sous l'auvent brûlant le ventilateur s'essouffle à brasser la glue

perdu dans le pin par un baiser du soleil Garlaban s’éveille

les crapauds se taisent ils ont laissé la parole à la nuit brûlante

entre vie rêvée et rêver mon avenir la distance est faible

trop jeune tarente la grosse et vieille mégère t'as mordu la queue

étrange parfum qui hésite sous l'auvent -la nuit veut séduire

20 juin 2018 signes des collines de blancs nuages s’accrochent aux cheveux du vent

festin sous la lampe deux tarentes se partagent un plat de moustiques

ce n'est pas encore malgré tous les points virgules la fin de l'histoire

le long de ma vie je n'ai fait que dérouler le fil du rasoir

une nuit d'ébène frappe de tous ses tambours sur la peau du ciel

l'espoir se décline comme un serment capricieux toujours au passif

l'auvent accablé par l'épaisseur du soleil souffle sur la nuit

au bord de son monde les fleurs étaient espérance hérissée d'épines

19 juin 2018

sur les murs transpire une odeur de béton chaud — le soir deviens moite

la nuit s'est couverte d'un épais drap de nuages pour se tenir chaud

reste au fond du verre la goutte d'alcool nacrée de mélancolie

dans l'ombre profonde dansent les fées et les elfes — froissements de feuilles

avant de sauter je bois la dernière goutte de la corde à nœuds

un épais silence dans la torpeur de la nuit écrase mes tempes

entre les sarcasmes j'irai si le vent me porte vers l'oubli profond

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pas de sentiment juste mon regard qui plonge au fond des entrailles

21 juin 2018 entre les pétales glissent des grains de couleurs aux parfums amers

les arbres fantômes déversent leur ombre chaude sur l'herbe brûlée

devant la maison menton posé sur sa canne le vieillard soupire

les pas du vieillard sur les aiguilles de pin crissent de colère

l’ombre de Garlaban veille sur les ravines enivrées de ténèbres

toiles d'araignée sous les poutres de l'auvent — mes pensées frémissent

ombre est ma couleur elle coule sur ma gorge comme du sang noir

le vent la soulève puis elle retombe lasse — poussière d'étoiles

une lame froide brandie par mes souvenirs frôle mon gosier

couché comme un sphinx mon chat compte des énigmes du ciel illisible

le cœur bat sans rythme comme une peau mal tendue sourde entre les côtes

perdue sur la plage comme une croix mal plantée une vieille étrave

dans les lauriers-roses tout un peuple infréquentable de pucerons noirs

et le sable coule comme un robinet qui goutte sur l'éponge sale

des maisons voisines des sons mal articulés font fuir la musique

dites-moi madame quel goût avait donc mon cœur quand vous le mangiez

le soir du solstice même les crapauds aphones fêtent la musique

sur les marches raides qu'un vieillard peine à gravir un jeune homme vole

la lune imparfaite à la cime du grand chêne cherche un caniveau

aux crocs de la lune les guenilles palpitantes d'un cœur sans couleur papillons de nuit — tes rêveries sous l'auvent brisent la lumière

22 juin 2018 premières cigales — l'écorce des pins se raye jusqu'à l'âcre sève

encre de la nuit pour écrire des mots sombres sur le ciel livide 33


je te suis ami oui moi dont la compassion frise le délire

23 juin 2018 matin de nuages — le souvenir des ténèbres hante la journée

24 juin 2018

si près des nuages il garde toute sa tête — Garlaban docile

le ciel aquarelle sur le jardin sombre gouache — été pâte humide

posée sur mon ventre comme un oiseau bienheureux nous dormons en paix

le tambour résonne et la langue de l’orage lèche les collines

ciel de crépuscule — un cerf-volant sur la lune ne tient qu’à un fil

pose sur mon bras ta patte aux griffes ardentes et prends soin de moi

les graviers s'échappent hors de mes mains sur la route pour que je m'égare

petit point perdu à l'ouest ombreux de la lune — centre de la nuit

le ciel sans étoile donne à la nuit silencieuse une odeur de cave

le ciel se déchire sur les arêtes coupantes d'un oiseau de nuit

le long du courant les corps de mes ennemis gonflent au soleil

ombre est ma saveur — les pinces des dragons luisent dans ma chair noircie

croire en ma clémence c'est être sourd et aveugle dit le dieu tout bas

les signes du vent égarés dans les collines restent inaudibles

une ville est née dans mon imagination — une ville morte

dans mon sac de billes quelques noyaux de cerises — un air de vacances

quand je pense à elle je pleure entre les étoiles et je rêve d'ailes

perchée sur l'épaule une salamandre en flamme vibrait de colère

sur ma joue frileuse la nuit pose son front froid — nous fermons les yeux

regarde la mer enfant n'as-tu pas envie d'en boire le sel

la vallée sonore tinte sur la branche humide — cristal qui se brise

sur la meule ancienne perdue au milieu des ronces médite une pie

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les ombres s'allongent et bientôt viendra le temps d’embrasser la mienne

à l'heure des comptes je n'ai toujours pas fini le plat de colère

sur le mur de pierre déjà la mousse s'incruste — hiver de ma vie

la plume d'acier comme un vieux sabre émoussé rejoint son fourreau

sur les doigts je compte le nombre d'amours déçues — une main me manque

l'encre est trop épaisse — sur le papier elle laisse des monts de sang sec

25 juin 2018

étal du tripier — les cœurs palpitent encore sous la lame froide

le regard se perd vers un horizon amer — la mer fuit le ciel

une bombe éclate — la lune embrase les nues d'un feu écarlate

fin d’après-midi — la pesanteur de l’été double sa paresse

au bord du chemin une croix se penche inerte sur l'herbe plus drue

puis le point s'éloigne pourchassé par le fantôme de la lune lasse

je cherche des mots joyeux et pleins d'enthousiasme pour mon épitaphe

le silence lourd dans la moiteur de la nuit glisse sous l'auvent

26 juin 2018

sous les ailes noires d'un ange désespéré les étoiles bruissent

son regard croisé m’éloigne de la lumière — il me perd de vue

under the black wings of a desperate angel the stars are swishing

peu à peu le lien entre la lune et le point se tend et va rompre

les bruits se rassemblent jusqu'au point focal du sable — le temps étranglé

l'étoile se vrille elle abandonne le ciel pour couler sur ma joue

le soleil larmoie sa transpiration salée sur la peau des arbres

elle fut dernière pour qui son cœur a tinté le temps d'un juillet les instants d'une escapade au jardin gorgé d'arômes

je compte à rebours — les jours n'en finissent pas de passer trop vite

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je pense invalide — je ne sais pas oublier l'ordre et le désordre

silence soluble — la nuit tourne et tourne encore le mélange aux ombres

opprobre jeté sur des mots pleins d'innocence avec insistance

le ciel était rouge et le soleil au déclin bradait sa lumière c’était l’hiver sous les chênes je comptais les feuilles mortes

j'aimais dans mon cou le souffle ému de ses lèvres — souvenir de fraise

une fée en pleur bat des ailes dans les feuilles du chêne impassible

s'abreuver de nuit dans le silence impassible -goûter au sommeil

dans le contre ciel silhouette des collines et ombre des pins

les dés sont jetés et sur la piste il ne reste que grains de poussière

lumière trop vive d'une lune prétentieuse je bois son orgueil à la santé des médiocres des chétifs et des poètes

étrange silence que celui de cette nuit armée de fantômes je lève une pierre et une armée de cloportes me saute au visage

longue traversée partir ne plus revenir rester sur le quai

un vin éventé que tant d'autres ont goûté noircit dans mon verre

quitter des amis mais étaient-ils des amis un choix insoluble

le vent m'éblouit il raconte à qui le croit que je suis aveugle

28 juin 2018

27 juin 2018

la nuit m’a conduit dans un sombre corridor encombré de rêves

sommeil du matin — un reflet sur son pelage récite un poème

dormir sur la table — c’est bien une idée de chat plus près des assiettes

les signes du vent écarlates dans le ciel griffent Garlaban

le dieu de la lune jaloux d'Amateratsu vole sa lumière

j'ai envie de rire — ne cherchez pas la raison c'est sans importance

au fond de mon verre reste une dernière goutte de mélancolie

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pouvoir oublier le dédain et le mépris de ses derniers mots

dans les creux de nacre le bruit du ressac renâcle à chanter la mer

sur des rails qui geignent il roule loin vers l'oubli le train des ténèbres

j'écris sur les murs d'une forteresse en ruine un poème aride

au dessus des ombres un ballon gonflé d'orgueil — la lune se dresse

craintive et curieuse la tarente m'examine de mille questions

les rues de ma ville tranchent l'ombre et la lumière été comme hiver

dans l'onde du ciel la lune tarde ce soir à prendre son bain

sur l'étrange estran que découvre la marée des étoiles mortes de long lambeaux de peau pâle et des traces effacées

l'escalier l'échelle la nuit a tout emporté et même la lune

sur le quai de jade une jonque a débarqué sa cargaison d'ombre

me reste de vous l'ineffable souvenir d'une peau d'iris et le parfum granuleux d'un litchi inavouable

nuit de lune pleine -la cime des arbres ploie sous l'orbe d'argent

30 juin 2018

29 juin 2018

petits limaçons d’un œil il les examine sur l’herbe brûlée

j’aime les corps de femmes sur lesquels la vie a roulé plusieurs fois j’aime leur âme tendre et leur sourire d’amande amère

ombre et courant d’air il est plutôt confortable l’appui de fenêtre

entre les deux rives tendre le fil du rasoir n’est pas nécessaire

quand l'ombre grandit avidement les fleurs boivent les derniers rayons

le sifflet d'un train qui ondule sur ses rails — la vallée sursaute

parcelle de monde — un promeneur immobile au bord du verger

la vague fourbue de la longue traversée s'endort sur le sable

une vieille pomme oubliée dans la corbeille la peau ravinée

37


le regard se tend comme une flèche inutile à l'arc horizon

c’est un soir paisible le silence des cigales frôlent les collines

dans l’ombre ténue deux tarentes se défient d'un jet de regard

sauras-tu résoudre l’énigme au fond de tes yeux petit sphinx de table

brume sur la mer — un sel plein de mystère brille dans l'écume

la vallée ronronne comme un vieux chat somnolent sur un drap de laine

au bord de son océan le bruit rouge des galets que le sel vient caresser les yeux pleins de larmes

le cœur apaisé je respire sous l'auvent l'odeur de la nuit terrasse couverte des fleurs blanches du laurier — hiver simulé

c'était mon totem le fruit violet de ses lèvres ma bête à bon dieu

pas le moindre souffle seul le lent frémissement des pins qui soupirent

buvez mes paroles car quand le verbe est tiré on finit le vers

soirée d'aquarelle — vautré sur la méridienne je repeins le monde

sur le point arqué de ses lèvres au jus de fraises je signais d'un doigt

sous le ciel obscur la petite lampe pâle prends des airs d'étoile

sous mon corps d'obèse la dame avait des pudeurs d'infante docile

lueur de l'auvent un fanal pour les insectes qui y font naufrage

son cri se tendait comme une corde de luth pincée jusqu’au sang une musique irréelle rougissait sous mes paupières

le rire de cuivre qui tintait dans ses pupilles m'avait couvert d'or j'étais un enfant indocile et capricieux qui ne voulait qu'elle

01 juillet 2018 c’est au crépuscule que les grands fauves s’abreuvent dans le lavabo

mémoire ma douce ma compagne chimérique berce-moi encore

un ciel bleu lavande sur l’épaisse canicule — Garlaban transpire

il ne bouge plus crucifié de lumière longue flèche noire 38


au bord du sommeil un parfum de chèvrefeuille dessille la nuit

elle aurait pu taire ces mots qu'on dit pour jouer quand on est enfant nous ne l'étions plus bien sûr et les mots furent des dards

épaisse est la nuit qui me roule de caresses et d'ennui profond

03 juillet 2018

02 juillet 2018

dans mes doigts je froisse une fleur de basilic — parfum de salade

quand la lune danse au fond de la vallée brune la ville s’embrase

au bord de son rêve il plisse un peu les paupières pour le retenir

sa robe était rouge flamme dans le vent d’été mes doigts embrasés

les yeux dans les yeux avant de fermer la porte un dernier regard

un amer silence — les cigales se sont tues au bruit de la nuit

c'était un long quai tout ce qu'il y a d'ordinaire sans aucun bagage

c'était un été d'une intense canicule — ses cris étaient rouges

j’ai serré son cœur de toutes mes faibles forces ça n'a pas suffi

je suis arrivé à la fin du dictionnaire au bout de mes fables la mélancolie cristallise au fond du verre en squames verbeuses

quelle étrange histoire la fin en était connue avant le début j'ai suivi ce bref chemin jusqu'au bord du précipice

la petite plage sur la berge du ruisseau garde notre empreinte

je reste à genoux je n'ose plus me dresser pour un rire amer

nos doigts emmêlés pour ne former qu'un seul poing et briser les murs

04 juillet 2018 été sans merci — quand le ciel sent la lavande même l’ombre souffre

j'avais sur la langue le goût salé de la sienne — nous nous comprenions

j’ouvre la fenêtre un rien de fraîcheur nocturne entre dans la chambre au parfum de chèvrefeuille répond le chant du loriot

le long des ravines courant entre des collines de larmes brûlées

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après déjeuner il reste à table et attend le repas du soir

c'était un ruisseau qui chantait clair nos sourires — nous buvions l’été

onde paresseuse — dans le courant sans force un lézard se hasarde

oui je me souviens quand je guettais les étoiles qui comblaient mes yeux

la lumière molle enduit le crépi du mur d'un geste indolent

06 juillet 2018

d'un doigt sur sa peau je décrivais aux rivières la source du cri

le vent est tombé sur un grand tas d'herbes sèches il a mis bon ordre

d'un doigt de rêveur je désignais les étoiles brûlant dans ses yeux

la mélancolie du jardin abandonné où les arbres souffrent

tarente à l'affût sous la lampe de l'auvent le dîner est froid

en suivant les rails je remonte vers la gare d'où je suis parti

dans l'opacité et la nuit de mes entrailles un crabe s'éveille

je me rends aux dieux — j'ai posé mon bâton d'encre sur sa pierre inerte

05 juillet 2018

c'est la nuit en moi la nuit sans rumeur ni rêve la nuit simplement

encore embrumé Garlaban se démaquille d’un coton rageur

d'un songe sans poids sur les arbres assoupis la nuit pèse peu

le vent et la nuit — l'ardente et moite caresse d'un enfer précoce

le cœur écorché pour s'en vêtir d'onde rouge — elle a pris ma peau

blotti sous l'auvent j'imagine des étoiles qu'on ne verra pas

les jours fuient les jours — immonde soulagement de toucher au bout

des mots inusables — pourtant ils se sont brisés sur le mur du temps

le vieux maître dort pris par son rêve de jonque sur l’océan d’or

papillon de nuit — la lumière ou la tarente que crains-tu le plus

07 juillet 2018

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fin de promenade — encore un reste de brume dans les yeux du chat

je ne bouge pas — je pousse à peine ma chaise pour goûter l’été

le ventilateur de son souffle chancelant peine dans la glu

leurs longs cheveux d'algues répandus sur les épaules les sirènes rêvent

la nuit est mutique — accablés par la chaleur les bruits sont en pause

sur le pré jauni les dernières fleurs succombent à l'été féroce

fantôme de bruit un acouphène insolent joue de la cigale

j'ai suivi la route sans savoir où elle allait et j'ai trébuché

la lumière glisse par les fentes des volets et joue des poussières

j'ai rempli les verres — mon ombre trinque à la nuit je trinque au néant

à l'abri des pins quelques pies veillent encore dans la nuit douteuse

sous la lampe fade nous écoutons nos silences rirent sans pudeur de la hauteur des échecs qui s'empilent dans nos verres

petit à petit comme une expectoration je remplis nos verres

nous baissons la tête — or c'est de cette manière que passent les vies

merci dit la nuit quand je lui montre le sien — nous buvons nos larmes

je n’écoute plus ce silence inconfortable entre deux tournées car mon ombre et moi attablés devant nos verres nous sommes bien seuls

pas d'étoiles ce soir l'auvent me cache le ciel et je lui en veux sur l'herbe brûlée par un soleil irascible odeur de garrigue

sur l'embarcadère nous attendons un bateau qui fera naufrage

08 juillet 2018

le vent s'est grimé d'un insoluble murmure pour leurrer la nuit

prolonger la nuit soleil somnolent encore grasse matinée

09 juillet 2018

le ciel est figé dans l’improbable espérance d’un peu de pitié

même ciel encore chargé de dards de frelons prêts à en découdre

41


un œil entrouvert pour ne rien perdre du monde — dormir cependant

le toit du son monde — quelques tuiles qui recouvrent la vieille charpente

dans les hautes herbes les oliviers plantés jadis se fraient un passage

fleur de grenadier — un petit cœur suspendu écarlate et fier

ardent crépuscule — le cri brûlant des cigales court sur la garigue

au pied du muret les lavandes étincellent et effacent l’ombre

ciel de crépuscule — la silhouette des pins sent bon la résine

la respiration moite de la nuit d'été embrasse l'auvent

douceur de la nuit — le silence de l'auvent devient respirable

haleine du diable — un souffle brûlant s'engouffre sous la peau des arbres

à l'ombre des chênes la lumière caressant le velours des fleurs

un vent liquoreux venu d'un sud inquiétant embourbe la nuit

des gouffres sans nom ont dispersé les étoiles à perte de mémoire

au sud du néant là où se noie la lumière le rêve infini

on est toujours seul sur la route qui conduit à l'ultime borne

d'un geste brutal mon ombre pose son verre — je sers ma tournée

je comptais mes billes quand je sortais de l'école — jamais une en plus

sur un coin de table mon ombre et la nuit complotent à m’abandonner

demain est bien terne tant qu'hier n'a pas laissé obole au présent

11 juillet 2018 ciel ultraviolet — les mensonges mis à nu brûlent la garrigue

de cette souffrance mon âme te souviens-tu les larmes versées

10 juillet 2018

dans les herbes sèches le soleil laisse les marques de sa majesté

les mêmes matins — la chaleur en embuscade dessus les collines

on n’est jamais sûr mais je pense que mon chat aime que je l’aime

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à l’est les collines imitant le crépuscule anticipent l’aube

à l'ombre des pins qui respirent de résine la nuit se repose

dans la nuit sereine je repose mes pensées sous l'auvent complice

de je ne sais où pour me couper la parole il sort une griffe

je ne reviendrai pas dans la taverne enfumée j'ai lu trop de vers

je rêve de vous joli rêve d'un été parmi les arômes

les digues rompues dans le tumulte des os ma mémoire sombre

à son cœur de braise tout mon sang s'est enflammé jusqu'aux bout des cendres

au bord du néant je me suis assis rêvant balançant les jambes

sur le mur où rêvent les tarentes insouciantes j'ai scandé son nom

tant de verres bus tant de rêves disparus et tant de mots crus

les paupières closes je vois encor des étoiles qui tombent dans l'eau

13 juillet 2018

12 juillet 2018

c’était un matin où dans leur peau au soleil les fleurs se font belles

avant de dormir il jette un dernier regard sur un mode absurde

des fleurs blanches dans le jardin assoiffé pour narguer les roses

quelques papillons dans la torpeur de l'auvent brassent la lumière

sur le banc bancal de la terrasse sans ombre le soleil se pose

le point sur le "i" indique la position d'une petite île

ma noire mémoire dans le vent des souvenirs elle flotte encore

surface de glace — dans le miroir noir j'hésite à me reconnaître

machinalement je bois le philtre de l'ombre — je suis invisible

dans ce rêve étrange les rats courent sur les murs de mes tripes sales

je lève les yeux vers les abysses du ciel — mon étoile est morte

d'un port oublié toutes les jonques sont parties vers leur Amérique

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la terre est déserte même l'air incandescent s'est vaporisé debout sur son arrogance le dernier homme ricane

ma première cuite mauvais Gewurztraminer fauché à mon père

le pont de la jonque qui a subi tant de sang grouille de fantômes

près du papillon j’ai épinglé l’araignée qui rit dans ma tête

de la ville basse jusqu'aux palais de cristal les marches sont hautes

au bord de l’ennui il hésite à endormir sa mélancolie

14 juillet 2018

une orange amère qui ne murira jamais flatte le soleil

depuis la terrasse il pointe un regard avide sur les ombres fraîches

l’été sous les chênes — les viornes-tins se prélassent dans les taches d’ombre

encore en effort il va rouler sur la table sans avoir rien bu

moiteur de la nuit sur ma peau elle se colle et englue mes rêves

comme je voudrais pouvoir prendre une photo du chant des cigales

dans les rues ce soir une humanité de lemmings se noie en chantant

quatorze juillet en barque sur le Vieux-Port le feu d'artifice luisait comme un sac de billes dans mon regard d’enfant

un vaisseau vermeil chargé de milliards d'étoiles fend les galaxies

15 juillet 2018

perdue dans le ciel la constellation de l'ange dérive et s’éteint

soleil de midi le cri cuisant des cigales sur la peau des pins sur les galets de la plage la plainte sourde des vagues

les murs éclairés par un lampe asthmatique boivent le silence

mon ombre est fidèle mais quand la nuit se rapproche elle disparait

l'espoir se dilue — chaque verre que je bois est un pas de plus

ma première clope — qui se souvient des P4 qu'on grillait minots

oui je l'ai aimée avec les derniers sursauts de mon cœur d'enfant

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pourtant j'ai perdu j'avais poussé sur la table la plus haute mise

nous croyions au vent au soleil et aux étoiles au creux de l'été

pendu dans l'armoire mon vieux costume de clown — il me va encore

où est-elle à présent la sublime mensongère au rire d'enfant

dans l'immensité où se perdent les étoiles un rien d'espoir

17 juillet 2018

16 juillet 2018

le maitre du lieu bien campé sur son estrade impose sa loi

un ciel couleur d’étain me repousse dans la chambre — pleuvra-t-il au moins ?

escale au jardin — il tourne un dos dédaigneux à l’enfer des villes

ce n’est pas vraiment la manière et la méthode du studio Harcourt

au bord du chemin troènes et oliviers soignent leur verdure

ah ! mon araignée saura toujours profiter d’un petit en-cas

même par temps calme accroché au bastingage je vomis mes tripes

dans les herbes folles il s’installe un nid douillet pour faire une sieste

je suis un rônin pas un marin de grand large mon sabre est ma nef

même ciel de zinc après la pluie bien avare — les collines saignent

18 juillet 2018

juste après l'averse les parfums se sont hâtés d'ouvrir leurs fenêtres

dépouillée des peaux fanées la vie peut sourire encore et au bout d’un vieux rameau fleurir un bourgeon

je me souviens du ciel et des vagues sur sa peau dans l'été flamboyant

sous les lauriers il le regarde couler le fleuve tranquille

sa peau qui brillait comme un miroir au soleil et son goût de sel

confiance et tendresse dans son regard il y a mon amour aussi

nous n'avions pas d'âge mais nous étions si limpides à l'ombre des pins

j'ai fermé le livre où ma vie s'est consumée sans la moindre flamme

45


perdu sur le quai un vieil homme étrange et las cherche son bagage

sous le grenadier le petit banc de l’hiver a pris des vacances

c'est un vent sans force que les pins n'écoutent plus qui sèche mes larmes

rien ne lui échappe — même les pas d’un fantôme le font sursauter

19 juillet 2018

la vie sans piment ce serait la mer sans sel le ciel sans nuage

incertain matin — un peu de flou dans les branches dans mes yeux aussi

l’été immuable qui domine les collines on s’en lasse un peu

paupières mi-closes il ferme toutes les portes aux pensées moroses

sur l’arête en tuiles il s’endort en équilibre veillant son domaine

fleurs de basilic — dans la poêle brûlante les tomates frissonnent

une feuille-fleur a surgi dans le feuillage en levant son doigt

senteur chocolat — tentation au bout des doigts mais ça ne prend pas

dans l’ombre propice il se tient prêt malgré tout à piquer un somme

les lavandes sèchent sur un lit de laurier sombre — leur parfum s’endort

un étrange fruit porté par un vent d’ailleurs pousse en liberté

toujours aux aguets il vient d’entendre s’ouvrir un sac de croquettes

aucune frontière n’interdira à mon chat de faire le mur

dans le crépuscule les cigales se sont tues — les songes dérivent

le dais de la nuit ensemence le silence d'éclats de diamant

été sans passion — les jours suivent le chemin de l'indifférence

le soleil s'éloigne de l'orbe de l'univers il enfle et transpire

libre comme l'air dans la nuit désespérée mon esprit s’égare

je sens son haleine et une odeur de sommeil au creux de l'épaule

21 juillet 2018

20 juillet 2018

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après les orages le soleil reprend sa place au cœur de l’été

dans l'étrange ennui d'une nuit tumultueuse le sommeil se noie

il mord la lumière de ses crocs de chat heureux d’en goûter le suc

buffet sous l'auvent cachée dans l'angle des murs la tarente dîne

au bord du chemin il provoque un pissenlit déjà résigné

ma sœur équivoque un peu de toi m'appartient — brin de souvenir

seul et égaré un œillet sans boutonnière ce n’est pas la fête

22 juillet 2018 j’ai perdu son nom mais elle n’a rien perdu de son élégance

au bout de sa tige la corolle d’hibiscus rouge de désir

un petit nuage posé au creux des collines devient indiscret

quand le soir approche il prend son tour de garde sous les lauriers-tins

il ne veut rien voir des misères de mon monde — il s’endort inquiet

sept cœurs vont s’ouvrir — dans leur éclat écarlate sept fleurs vont s’offrir

serait-il vegan à vouloir tant convoiter un vieux pissenlit

bien droit sur le mur mon chat surveille les marches de son univers

bouquet de lumière pour quelques fleurs maladives vibrant sur leur tige

seul un acouphène couvrant le silence me dit que je suis en vie

pensif il écoute au fond de son propre corps les rumeurs du temps

la vallée se fait féroce et les voix du bal blessent le silence

loin après les collines le ciel par moment s'embrase d'un éclair furtif

odeur de garrigue — les collines se promènent avant de dormir

la nuit se disloque et l'ombre des pins dévore mon ombre assoupie

c'était un jour gris terne comme une idée noire rien à espérer mais le destin joue des tours et nous nous sommes croisés

le rêve était vaste — je n'ai pas trouvé de vase suffisamment grand

47


brindille de nuit je veux que le vent m'emporte — j'aspire à l'oubli

sans heurt je m'efface comme un vieux polaroid de l’album jauni

sur les tuiles chaudes la vigie imperturbable surveille la lune

24 juillet 2018

23 juillet 2018

pouvoir résister aux œillades des œillets il faut être aveugle

forêt exotique — les chênes se sont grimés en parfum de figue

content ce matin il m’offre une tourterelle — il s’était servi

car fermer les yeux ne sera pas suffisant pour pleurer le monde

une forteresse se dresse dans les collines à l’assaut du ciel

renversante averse les arbres tombent du ciel ou y plongent-ils

son pelage ondule dans le flux de glu que brasse le ventilateur

la belle rencontre qui hélas n’a pas duré — l’échelle s’en souvient

la lune gibbeuse accrochée en haut du pin me tire la langue

les mots se hérissent et buttant sur le silence je deviens mutique

25 juillet 2018

la ville s'endort dans le morne ronflement des impasses grasses

les combes s’emplissent des stridulations rageuses des tribus cigales

j'ai lâché la herse j'ai hissé le pont-levis me voilà bien seul

il hésite à l’ombre s’il lève les yeux au ciel c’est pour la lavande

dans les oubliettes de ma forteresse intime pourrissent mes rêves

les ombres dociles suivent l’orbe du soleil d’un été sans fard

dans les caves moites les rats rongent ma mémoire et chient sur l'oubli

fraicheur des carreaux sous le flux climatisé — que c’est beau l’été

les douves s'emplissent des excrétions nauséeuses de mon corps flétri

entre ombre et lumière dans le langage des arbres les pins s'interpellent

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j'ai rencontré là des nombrils démesurés sur peu de talents je les ai bien reconnus tant ils sont à mon image

la lune lustrée avant de passer au bronze fait l'argenterie nous avions vingt ans tous deux dans la chambre minuscule nous nous sentions si heureux le lit semblait vaste

parfois il me parle il me raconte ses rêves de sphinx de tiroir

la photo passée de nos amours insensées et nos cœurs blessés

bientôt pleine et ronde la lune au dessus des pins a la grosse tête

27 juillet 2018

lumière diffuse à travers l'épais feuillage des idées confuses

un bain de soleil pour s’asperger le visage avant les croquettes

entre noir et bleu la nuit ne prend pas parti — ce n’est qu’un clin d’œil

les fruits ont mûri qui sera donc assez fou pour aller goûter curieux de rien sur le mur de son domaine il baye aux corneilles

26 juillet 2018 sur la brume rouge la lune semblait flotter — un bouchon de liège

j’avais rendez vous avec la plus belle rousse — j’étais dans la lune alors j’ai imaginé que j’en rencontrais un couple

un petit coup d’œil pour voir si j’y suis toujours et il se rendort

couleur de muraille les tarentes se confondent aux vieilles blessures

encore du flou dans sa tête somnolente — la brume est partout

28 juillet 2018

mais qui donc est-elle cette tige aux fruits étranges montée seule en graine

quand il dort parfois on ne sait où est sa tête dans quel rêve étrange

sur la place vide la nuit s'est mise à danser les yeux pleins d’étoiles

ce regard perdu il sait cependant très bien où est son assiette

juillet se termine les œillets ne chantent plus dans leur pots brulés

inconstant retour de la lune dans le ciel des nuits insomniaques

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la nuit colle aux pores malgré le ventilateur qui geint sous l'auvent

sous son air de diable il cache une ”âme câline libre tous les jours“

à travers les branches la lune roule et plastronne hautaine et muette

deux pierres précieuses — ses yeux gorgés de mystère luisent au soleil

29 juillet 2018

dix heures du soir — le thermomètre est bloqué sur trente degrés

dans le ciel marine des nuages malicieux se sont déguisés

je bous d'impatience la fraicheur se fait attendre par coquetterie

museau dans les pattes il voudrait bien oublier la rigueur des heures

la lune se dresse sur l'horizon des collines rouge de colère

sur un cœur de lierre l’ombre même de son cœur garde sa couleur

31 juillet 2018

lentement il vient chercher un peu de fraîcheur près de mon pastis

souviens-toi du vent — à l’aube l’hiver dernier le ciel était rouge

rouge elle se lève par dessus les silhouettes sombres des collines

avant de dormir le récapitulatif des heures passées

le chemin luisant sous le regard de la lune était une impasse

des papillons roses à l’extrémité des tiges si frêles mais fières

sous l'auvent repues les tarentes impassibles boivent la lumière

quand il dort mon chat semble vouloir racheter l’abjection des hommes

il frémit encor sur le bord de l'inconscience ce rêve coupable

la tôle brûlante qui a remplacé le ciel doucement grésille

30 juillet 2018

l'odeur de fer chaud parcourt la nuit intranquille — anxieux je transpire

sous l’ombre indécise le soleil avance et glisse des trainées de feu

ce soir sous l'auvent c'est un safari photo après les tarentes

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dans l'ombre complice dans les plis des nues la lune trace un destin connu d'elle seule

sans quitter ma chaise je suis le bal des tarentes sous la lampe terne enfin un parfum de jasmin et de nuit tiède me prend par la main

02 août 2018

01 août 2018

c’est l’enfer sur terre le ciel est en feu dès l’aube les pinèdes tremblent

même dans la nuit on ne le surprendra pas il brouille les pistes

il le fait très bien choisir un coussin douillet et dormir longtemps

j’ai eu cette envie de punir le messager — un coup de chaleur

au fond du jardin baigné de chaleur torride même l’ombre brûle

les fleurs de laurier dans le brasier de midi semblent prendre feu

sur le vieux tuteur sérieux comme un écureuil il grave son nom

sous les tuiles chaudes dans le fourneau de l'auvent je bous lentement

cette nuit gluante enveloppe les collines d'un ardent suaire

quand reviendra l'aube sur la terre calcinée l’espoir sera mort

les murs de la nuit rayonnent de la chaleur du midi torride

redevenue rats la descendance des hommes rongera ses livres

la jeune tarente plus petite que mon doigt mais qu’elle est gloutonne

l'ancien prédateur ne sera plus qu'une proie blême et apeurée pour les hordes de cafards qui parcourront leur domaine

l'ombre du feuillage accablé par la fournaise vibre dans la nuit elle avait l'odeur du sel et ses cheveux d'algues brunes luisaient dans le plein soleil elle était ma vague

un colibri sur l'épaule la fille aux cheveux d'argent dissimulait ses yeux the silver haired girl a hummingbird on shoulder was hiding her eyes

couchée sur la plage notre empreinte était commune comme une pirogue aux pagaies entremêlées pour traverser l'océan

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je nageais sur elle et nos corps pleins de sueurs épuisaient le sable

où elle m'entraine j'aurai perdu la mémoire et le goût du sel

elle était mon eau que je fendais de la proue vers un nouveau monde

le linceul de nuit qu'elle pose sur mes yeux voile les étoiles

nous comptions nos grains elle de sel moi de sable de nos doigts fiévreux

je plonge au néant que jamais je n'ai quitté — mais qui est ce "je"

de flux en reflux l'épave d'une pirogue pleure sur la plage

le soir sous l'auvent parfois je vais bien plus loin que l'enfer de glace

03 août 2018 04 août 2018

une aube écarlate dépose sur les collines son odeur de braise quand il se réveille un moment d’adaptation lui est nécessaire

douze vues de Garlaban le matin mise à jour du microprogramme de la caméra avant la douzième dommage

le genévrier fut naguère son repaire — il s’y cache encore

beaucoup de patience faire le plein de fraîcheur attendre la nuit

quelques gouttes chaudes ont maculé la terrasse d'auréoles grasses

c’était au printemps parmi l’herbe juvénile sous l’œil des agaves

simple spectateur je suis resté dans les coulisses au bord de ma vie

un autre printemps dans la fraîcheur du soleil vif et facétieux

assis sur le seuil je la regarde approcher d'un rictus narquois

lumière et ténèbres se disputaient les nuages sous un ciel d'Érèbe

elle a les mains vides — besoin de rien pour me dire qu'il est bientôt l'heure

un épais couvercle retient l'ardeur de midi bien après minuit

et ses os qui grincent et même ses dents qui claquent ne me font pas peur

le ventilateur qui s'essouffle sous l'auvent bave de la glu

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quelques gorgées d’eau avant de rentrer au frais passer la journée

les ombres grésillent dans la nuit de la chaleur bue dans la journée

la même moiteur et la même nuit visqueuse -la même sueur

l'année est passée — je me souviens de l'été de tous les tourments

la main dans la main nous marchions face au soleil -l'aube était nouvelle

j'aurais dû rester à ma place de vieillard courbé sur sa canne

j'étais déjà vieux elle n'était pas si jeune nous avions vécu

ne pas croire aux fées qui scintillent sous les yeux pour tromper l'ennui

nos regards croisés dans les rumeurs de la foule se sont reconnus

ni même aux sirènes qui donnent désir de sel et envie de vagues

oui nous avons cru pouvoir traîner nos boulets dans le même effort

le petit auvent et le jardin aux arômes je les oublierai

les nouveaux soleils brillaient sur de nouveaux jours et de vieilles rides

quand la nuit profonde aura eu raison de moi j'aurai oublié

nos peaux se parlaient d'une seule et même langue c'était l'innocence que nous avions retrouvée après l'avoir piétinée

mais le souvenir de cet été parfumé m'a cloué le cœur la tarente grise sur les mallons de couvert a perdu la tête

mais au crépuscule elle a chuté la première et ma cendre éteinte dans la pénombre grisâtre est retombée sur la sienne

05 août 2018 hier soir le ciel pesait comme un couvercle sur les collines moites

06 août 2018

après la nuit douce il retrouve la fraîcheur dessus son perchoir

l’aube cramoisie prédit déjà aux collines un jour de fournaise

il a fait semblant de pleuvoir pourtant le vent a rafraichi l’air

narguant le soleil la fente de ses pupilles une lame noire

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les papillons bleus dans nos yeux et dans nos tripes dessinaient des cœurs

on a quelquefois l’impression désagréable de se faire avoir le tonnerre a aboyé mais pas une seule goutte

lorsque vint septembre nous nous sommes éloignés de nos souvenirs

il aime dormir dans mon fauteuil à l’étage et tout près de moi alors je prends une chaise et le regarde dormir

07 août 2018 un index levé dans une main de nuages — c’est la voie à suivre

la nuit fait silence je n'entends plus que les plaintes de mon propre corps

ses yeux interrogent — il me pose une charade que je n’entends pas

deux pies convoitaient une branche de figuier aux fruits verts encore

premières fraicheurs — sous le regard des tarentes je respire enfin

le fil du rasoir que j'ai suivi pour elle m'a coupé du monde

elle était si jeune et moi si vieux dans ma tête — le rêve impossible

nous avions treize ans et nous sortions de l'enfance par la grande porte

comme une fissure — sur mon cœur une tarente guette la lumière

sa voix éraillée comme on marche sur le sable abreuvait mon cœur

d’un grand coup de faux je couche dans les andains l’épis d'une vie

ses petites dents qui mordillaient mes oreilles parlaient en diamant

08 août 2018

et ses seins naissants n'avaient soif que de mes mains pour tendre leur tige

une aube écarlate a marouflé les nuages sur un ciel de bronze

c'était un été dans les hautes herbes sèches nous avions le temps

voici l’heure heureuse où débute sa journée de testeur de sieste

nous parlions si peu car nos langues étaient prises à d'autres jargons

un sacré veinard : journée internationale des chats de coussin

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la mélancolie sur le chemin de la nuit je l'ai rencontrée et depuis cette seconde nous ne nous séparons plus

odeurs dans la nuit de terre et d'herbe mouillée -fraîcheur retrouvée s’il y a un oiseau sur l'aurore boréale c'est un porte-plume

elle dort au chaud se blottit tout contre moi la nuit pour complice

un matin d'orage les grêlons tombaient obliques de l'antre du diable

il est des soirs las pourtant elle m'insupporte et me colle à l'âme avec une telle force qu'elle m'étouffe et me broie

la nuit se sent moite même les bruits sont liquides — une pluie d'été

elle m’est fidèle et mon humeur détestable lui importe peu

un malin silence gauchit les bruits de la nuit — mon cœur bat si mal

parfois elle manque quand trop de bonheur sourit et que je l'oublie mais elle revient très vite jeter du fiel sur mon cœur

le ciel s'éclaircit les étoiles jouent des coudes pour chasser les nues

10 août 2018

nous nous comprenons ses baisers sont bien plus doux qu'on ne l'imagine

le ciel est de marbre figé entre le soleil et l’ombre des chênes

le petit mulot qui visitait le cellier est-il en vacances

pensif il écoute la chronique de ses rêves et ses chants intimes

09 août 2018

derrière le pin malmené par les grêlons veille Garlaban

peu à peu s’éteint le cœur d’azur dans le ciel mangé par les nues

guetteur impassible du haut de la haute tour ses yeux réverbèrent

prudent il écoute le chant de la pluie qui berce les tuiles avides

le ciel d'encre bleue souligne l'ombre des arbres d'un halo blafard

entre les tonnerres qui effarouchent les collines le chant des cigales

sur la frange obscure de ce rêve inassouvi la nuit se parfume

nous avons dormi tout l’après-midi ensemble bercé par l’orage

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le cœur en avance il s'allonge sur le sable de mes heures lasses

autour de la table l'espoir et la nostalgie se toisent des yeux

un été trop chaud aiguise les souvenirs d'un été torride

tous deux ont joué ma vie à qui perd gagne chacun à son tour

j'aimais ces dialogues qui nous prenaient la journée mais c'était un leurre

quand l'espoir riait la nostalgie s'effaçait du cours de ma vie

plus jamais question de paroles chaleureuses l'hiver fut très froid

quand la nostalgie bridait l'élan de mon cœur l'espoir s'enfuyait

en suivant le fleuve d'une vie trouble et boueuse on atteint l'amer

au bout de la route ils se sont réconciliés en trinquant ensemble

11 août 2018

autour de la table nous faisons bonne figure à nos verres pleins

par le fenestron le jardin ensoleillé rit dans le cellier

je verse à nouveau ce philtre d'oubli sans goût : la mélancolie

la même posture immobile dans sa tête les mêmes pensées

monostiche rêvé d'une histoire engloutie : « Sur l'écorce du vent j'avais gravé nos noms »

un ciel sans surprise inonde les oliviers de flambeaux d’argent

elle lira sans doute avant d'être éblouie que ces mots sans espoir signaient mon abandon

que regardes-tu avec tes yeux d’émeraudes prince du coussin

12 août 2018

au loin la vallée danse — le son diffus des flonflons parfume l'auvent

sous le ciel lavande les ombres glissent farouches entre les collines

les rayons bondissent sur le ventre des collines et jouent avec l'ombre

avant de dormir il fait le tri dans sa tête de son inaction

la nuit me méprise pour déchiffrer ses mystères je suis bien trop clair

dans les taches d’ombre on devine l’impatience du soleil naissant

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13 août 2018

un peu endormi il attend que je le brosse devant ses croquettes

quelques traînées pourpres comme un voile suranné dans le ciel d’orage

le ciel noir reflète les éclats tonitruants d'un feu d'artifice

les lourds grondements l’ont ramené au bercail comme en plein hiver

il se voit déjà sur le bord de l'horizon près à basculer

un jardin si vert par un temps de canicule — parfum d’herbe humide

au fond de l'impasse sous le lampadaire éteint la nuit se maquille

un bain de soleil quand le temps est à la pluie — pas besoin de crème

la bêtise humaine à l'aube du dernier jour crânera encore

un frelon perdu bourdonne autour de la lampe — les tarentes guettent

j'en ai mangé deux -j'attends le troisième crabe et ses pinces froides

ciel noir ciel d'ébène la lumière de l'auvent frôle les ténèbres

j'ai vieilli tout seul comme un fromage oublié au fond du frigo

la vallée sournoise — le silence s'est brisé dans l'œil des collines

j'ai tout déballé à présent je cherche un point pour finir l'histoire

nuances de noir — du noir sans mélancolie au noir des regrets

il guette le ciel sur la route abandonné par ses propres rêves

14 août 2018 au-dessus de l’aube de son vol incandescent il trouble le vent

le vent me l'a dit ne compte pas sur moi je ne fais que passer

sur mon ventre il songe à ce qu’il aurait perdu à être un humain

je remplis mon verre de cette liqueur ambrée comme était sa peau

un loup dans le ciel — le vent se grime de nues pour son bal masqué

sur le front du vent je lis le dernier poème qu'elle a murmuré

parfois il dérive entre attention somnolente et sommeil profond

le vent est tombé — il a laissé sur le sol une fable morte 57


le petit auvent qui s'ouvrait sur les arômes comment l'oublier

fin d’après-midi sur les dalles maculées de feuilles froissées faudra que je lui demande de me faire place nette

oublier le lit au matelas capricieux qui jouait de nous

au bout de sa tige le citron devenu vert est pris de vertige

cet été torride qui embrasait les collines et nos corps fiévreux

le regard flouté par la maladresse humaine il tourne la tête

comment oublier ce premier matin d'été ce premier regard

mémoire insolente qui à l'orée de la nuit me secoue le cœur

et ce dernier soir dans les relents de fournaise où je l'ai quittée

dans le vent léger de ma mémoire faseye un parfum d’iris

dans ce hall de gare au milieu des interdits nous étions meurtris

parfois ils m'échappent comme un vent inconvenant mes tercets pour rire

elle a pris l'oubli comme on part en voyage me laissant la mémoire

15 août 2018

surveillance étroite — les poings serrés dans les poches gardent le sourire

petit matin rouge — mes yeux toujours somnolents brouille la lumière

parle-moi encore disait-elle en minaudant j'aime ton langage

toujours somnolent il s’assure que je suis prêt à le servir

des pensées abstraites voilà tout ce qu'il me reste des amours terrestres

lèvres entrouvertes au bout du pistil tendu — attente fébrile

16 août 2018

il s’est endormi guetteur sans mélancolie sur la haute table

bonjour aux lauriers qui matin après matin ouvrent leurs volets

ce fruit incarnat dans lequel je voudrais mordre il est presque mûr

il est attentif à ce que raconte l’arbre sous lequel il rêve

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reflets contre-jour ce matins tous les fantômes étaient de sortie

parfum de garrigue — crépuscule rougissant derrière les pins

parfois son regard semble vouloir refuser la douleur de vivre

prêt à s’élancer il hésite encore un peu le regard figé

ses petits yeux noirs deux braises qui m'interrogent depuis le plafond monsieur mulot du cellier est revenu de vacances

madame mulot habite chez monsieur chat par commodité je ne dirai rien mais me faire mettre ainsi je n’apprécie guère

un pont dans la nuit tu ne sais ce qu'il enjambe ni même où il mène tu le suis sans réfléchir confiant en ton inconscience

la nuit est épaisse elle déborde l'auvent jusque sous mon crâne

je craignais le vide cette absence d'émotion quand l'amour se meurt mais après y avoir bu je me moque du néant

trop cher pour un coup d'un soir pas assez pour la semaine il n'empêche que j'ai cru son honnêteté

sous la lampe molle qui somnole sous l'auvent — marée de mémoire

le lierre s'agrippe à la façade rugueuse — le cœur lanterné

malgré le silence que je ne peux bâillonner un cri couve encore

au port de l'extrême il n'y a plus de bateaux pour fuir l'horizon

mes doigts se souviennent de ce chemin granuleux qui menait au cri

et je rêve d'elle malgré l'ardente blessure de mon cœur en feu

confiance trahie ? je savais dès le début payer une pute

18 août 2018

17 août 2018

dans l’œil du poisson les nuages décomposent l’ordre du monde

terreur dans le ciel le Nautilus de Nemo va naitre des nues

ne pas s’y fier il ne dort pas tout le temps quelquefois il mange

je suis Domino le plus beau de la toiture et salut à vous

sur les oliviers le nuage en chantilly n’attend qu’une fraise

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repu il s’endort à l’ombre des lauriers-roses fraichement taillés

le bruit de mes larmes qui ont roulé sous la table quand j'ai perdu pied

le pré reverdit — la couleur des papillons abuse les fleurs

perdu sur la mer de tant de fatals naufrages je navigue à vue

son corps l'abandonne et en virtuose il donne un dernier cancer

j'avais rencontré la plus gracile des fées — adieu la sorcière

une nuit d'été elle a eu besoin de moi — de quoi être fier

le masque m'en tombe — je ne me reconnais plus dans cette colère

l'auvent me recouvre il protège mes pensées des fantômes sombres

je m'étais assis à l'ombre des souvenances prendre un coup de vieux

elle avait l'allure d'une jeune infante hautaine au parfum de pute

ma vie m'émerveille je n'en reviens toujours pas d'être aussi naïf

qu’il est beau son mac ! mais ce n’est qu’un maquereau grimé en marsouin

elle a dit je t'aime comme on demande une miche à la boulangère

19 août 2018

la chienne est partie je peux sans aucun regret raccrocher ma laisse

le matin s’ébroue — un léger voile de brume glisse entre mes cils

20 août 2018

fin de promenade — un petit brin de toilette à l’ombre des chênes

pas un seul nuage pour assombrir d’un poème ce ciel trop limpide

au nord les nuages incendiés par le couchant tournent sur eux-mêmes

il se met à table pour pouvoir finir son rêve et manger ensuite

Est-ce que tu te souviens Alice d’un sourire de chat tigré qui disparaissait par malice et revenait de mauvais gré ? ” All mimsy were the borogoves” chantais-tu au doux pain d’épice qui descendait des arbres chauves

il voulait m’aider à dépoussiérer l’armoire je l’ai empêché dans le ventre de la terre pourrissent les anges morts il n'y a aucun mystère la fin monte à bord

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sur les murs en ruines le printemps reverra-t-il un coquelicot ?

il brille au soleil — les fentes de ses pupilles boivent la lumière

au son de la nuit je gambadais dans ma tête — c'était le printemps

chaud et lourd le ciel traîne sa besace de nuages noirs

une fleur s'envole en agitant ses pétales comme un papillon

la sieste dehors — profitant d’une éclaircie pour se mettre à l’ombre

mêlés emmêlés nous étreignions nos rivages au sel de l'été

nous étions perdus entre colère rancune et désir d'oubli

tenir sa parole lui est bien plus difficile que tenir sa langue que serrer les lèvres que fermer les cuisses que garder son slip

marcher dans le sable ne laisser aucune empreinte pas même une larme sur une étagère dans un pot d'étain noirci le sel d'une larme

un énorme sphinx vient provoquer les tarentes sur leur territoire

une robe rouge l'entêtant parfum d'iris et mes mains qui tremblent

l'étoile était creuse une lumière sinistre éteignait son cœur

22 août 2018

une pluie d'étoile couvre les feuilles de chêne la lune sourit

après les averses de ces dernières semaines il faudra bien tondre

a shower of stars is flooding the leaves of oaks the moon is smiling

il n’ira pas loin malgré la mine farouche son vaisseau spécial

la hyène s'enfuit et le chacal qui la suit pue toujours l'ennui

entre Garlaban et la Sainte-Baume des tonnerres de discordes l'orage est passé et les arbres qui s'ébrouent sifflotent de joie

21 août 2018 dans l’œil du poisson les empreintes de voyages gravissent le ciel

une lune ronde comme un ballon de rugby entre les poteaux

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une rose noire et le parfum de la nuit tombent des ténèbres

le voile est tombé de son regard de gorgone quand elle s'est tue

sous les arches du ciel habite une sirène la bouche aux mots de fiel le cœur rempli de haine c'est qu'on l'a abîmée cette pauvre baleine elle avait tant aimé son cœur est plein de peine ses jours ne sont que nuits courant à perdre haleine dans l'enfer et le bruit de la folie humaine

mes journées de plomb entre les nuits de banquise courent vers le gouffre trois vers sans rime trois vers sans queue ni tête trois vers en vain sous l'œil des tarentes je lézarde sous l'auvent et la nuit s'écaille comment être sûr que celui qui m'emportera aura pinces douces

les héritiers de l'Homme auront des os de sable qui tiendra le récit de la mort de l'Histoire

j'ai joué le jeu auquel elle croyait seule connaitre les règles

quand j'aurai admis alors je lui donnerai le denier du cul

24 août 2018

la source est profonde là où je pourrai puiser mon ressentiment

je la vois sur le fil à travers la moustiquaire reprendre son souffle

23 août 2018

que veut-il me dire posé là sur cette table comme sur un trône

sur le même fil pour pouvoir mieux écouter leur monde intérieur

aucune d’habitude mais il est très routinier ce chat d’étagère

il prétend vouloir se préparer un café au lieu de croquettes

le ciel outremer et la trace du passage d’un rêve fugace

dans le champ voisin deux pies glanent leur pitance tout en s’épiant

retour de la lune au beau milieu des étoiles qui brillent de joie

réveil de la sieste — c’est encore un peu brumeux entre les oreilles

malgré les rafales d'un vent sournois la chaleur brûle encore en moi

ils étaient si proches mais la distance infinie en si peu de temps

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un soir de noël je m'étais vu en Scrooge rédimé meurtri

j'ai puisé son sel de mes lèvres insatiables — elle était aride

je me sens froissé au plus profond de mon être comme un bouillon gras

elle a ri de moi de mon rêve de vieillard labouré de rides

le rêve a pris fin duquel je sors sans espoir éperdu d'angoisse

son rire était aigre semant dans mes yeux brûlés un bruit de défaite

tellement sournoise que je n'ai rien vu venir de ses manigances

je veux oublier pourtant sa peau était douce et l'oubli me fuit

reste sur la table le seul message inaudible d'une tasse vide

ce grain de poussière perdu dans le sablier quand on le retourne

25 août 2018

26 août 2018

ciel échevelé — entre les nues distendues les cris des collines

le vent inlassable étire et tisse les nues au métier du ciel

matin dans le flou d’une lumière indécise il hésite encore

dans un endroit sûr il s’abreuve pour chasser les miettes de nuit

c’est le même vent dans les mêmes déchirures qui geint dans le ciel

arrière saison — les dernières hirondelles vibrent dans le ciel

sieste à l’intérieur à l’abri d’un vent féroce sur le canapé

petite toilette avant la petite sieste — tout coussin est bon

la lune contemple le vent qui balaie la terre d'un regard narquois

j'ai mis des chaussettes et enfilé une laine — l'auvent m'a surpris

ivre de colère le vent humilie les arbres qui n'en peuvent mais

la lune étincelle comme une pièce d'argent dans l'œil d'un faussaire

sur sa lande amère un rêve inassouvi court devant son mépris

le temps est compté par un aveugle aux doigts gourds un jour de grand froid

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pour gruger les niais la mémoire sélective un dard redoutable le ciel s’est paré de la houppelande bleue du roi des étoiles

Une personne peut vous décevoir de nombreuses manières, et même de plusieurs manières à la fois. Il arrive aussi qu'elle en invente de nouvelles.

je ne fus pour elle que baudruche mal gonflée perdue sur le sable

en fermant les yeux j'ai rallumé la chandelle qui m'avait brûlé

elle avait des perles noires et bien affûtées au fond de ses yeux

la vie est si courte la preuve j'arrive au bout sans être essoufflé

27 août 2018

j’ai passé ma vie dans la peau d’un étranger que je n’aime guère

en haut du grand cèdre la tourterelle aux aguets prend soin de son nid

28 août 2018

en toute saison quelle que soit la raison il dort à foison

les dernières fleurs du massif de lauriers-roses — septembre bientôt

fin de la journée — négligemment un nuage souffle sa fumée

dernière roulade avant de chercher un lieu où poser ses rêves

quand il me demande de lui chatouiller le ventre il gratte son dos

matin lumineux sur les marches inégales vers le Garlaban

la nuit accompagne le chant muet de mes rêves au son de la lune

dans le vieux verger a fleuri la marjolaine — senteur des balades

c'est l'été encore mais il y a je ne sais quoi qui tient de l'automne

abandon confiant — il dort d’un sommeil puissant pour seule défense

au bord du néant je fais un pas en arrière sans me souvenir

ravis de l'aubaine les arbres prennent un bain de lune bien frais

Dans un fauteuil de rotin je me prends pour un penseur. Il ne faut pas exagérer :

je ne pensais pas atteindre l'âge que j'ai et j'en suis marri

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rêve de la chouette elle écaille les syllabes — je ne peux répondre

perdu dans l'enfer de mon incompréhension j'ouvre un dictionnaire

la lumière fauve lentement déchiquetée par le crépuscule

je tourne les pages une après l'autre pourtant les mots se dérobent

souveraine et moite elle émerge de l'écume — obscure lumière

ah j'étais trop vieux trop abîmé trop naïf pour son cœur d'ébène

30 août 2018

l'ombre des marins sur la jonque encalminée joue aux osselets

le flou matinal entre la brumaille et clarté — vapeur du café

sur la rive aride d'un Styx épuisé et lent Charon s'impatiente

regard intrigué par le feuillage agité dans les lauriers-tins

29 août 2018

couleur crépuscule dans les feuilles de lauriers une flamme danse

rouge comme un cœur l’hibiscus au pistil jaune nargue les murs gris

la pâle lueur crépusculaire caresse l’or de son sommeil

sommeil de lavande au milieu des feuilles sèches — réveil parfumé

la girelle était morue et le marsouin maquereau avec mépris ils ont fait dindon le pigeon

fleurs de laurier-rose votre pâleur me conduit au bord du vertige

éreinté je pose mes ennuis et mes emmerdes sous l'auvent complice

montrer patte blanche on n’y parvient pas toujours quand on marche sur les mains

d'une main experte elle éloigne les nuages et s'offre à la nuit

le long de ses rives je suivais son courant lent et mélancolique elle était fleuve indolent sans pont sans barge et sans gué

le diable s'éveille son museau sans indulgence broute les collines

autour de la lune des flammèches de nuages soufflent les étoiles

dans cette uchronie vous disiez m'aimer madame et je vous croyais

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sa bouche embrasée offre à la nuit un baiser dépourvu de fièvre

elle émerge enfin entre les sombres collines la lune frivole

le vent s'est levé — il plonge dans mon néant un regard sans gène

sur l'ordre d'un dieu qu'importe le nom du dieu je vais me coucher

la suivre peut-être mais n'oublier surtout pas de rester soi-même

au large du cap le sel l’écume et les vagues couleur émeraude

31 août 2018

café sur le port — le chant du vent et des drisses rit dans son arôme

soleil déjà haut sur l’étagère des nues — du blues dans les yeux

01 septembre 2018

dose quotidienne sans lui je serais un autre tant pis les grincheux

autour de la lune un oiseau devenu flou le jet d’un voyage

du masque d’acier s’étirent des filaments de lumière aiguë

dans l’herbe d’automne il roule comme un enfant ratant la rentrée

parfois quand il bâille on pourrait voir un félin lui un doux minou

des points dans le ciel un nuage échevelé envoie un message

le vent me murmure ses aventures absurdes vécues outre monde

le vent la lumière à travers la moustiquaire et un chat curieux

ombre de mémoire — je ne suis plus ébloui par les souvenirs

le soleil se voile quand la reine des étoiles passe un pyjama

l'histoire inutile qui rampe de ma naissance au seuil du trépas la fable insipide et terne d'une existence bâclée

amant de la nuit sans dormir je rêve d'elle — amant éconduit dessus les vallons nord-est la lune se lève et comble les brèches

sur le mur plus sombre les tarentes ont grossi et l'été prend fin

je sens son venin quand elle a piqué au cœur exciter ma langue

un silence inquiet après la plainte des arbres quand le vent s'essouffle

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le frelon nerveux vient disperser les tarentes — festin reporté

comme un vieux marin nostalgique d'océan j'ajoute du sel

02 septembre 2018

03 septembre 2018

un ciel d’océan sur son écume navigue un grand oiseau blanc

matin de septembre — dans un ciel tout en lenteur la nuit s’effiloche

il rêve de sable et de parfums exotiques sur le canapé

coup de peigne à table une drôle d’habitude mais qui lui plaît bien

les deux tourterelles ne s’attendaient pas à voir l’invité surprise

à travers le pin les pins sur la crête au loin se sentent bien seuls

couché à mes pieds sous la table de l’auvent mon fidèle ami

à côté de moi il attend une caresse avant de dormir

retour en silence dans le grand cirque utopique — nombrils délétères

couchés sur le sable nous regardions le soleil embraser nos corps

quand la nuit se pose sous l'auvent enténébré les mots s'illuminent

la nuit pour repère nous allons vers le néant les yeux grands ouverts

la haie d'arbres morts qui ceinture mon repaire ne verdira plus

le flot incessant de paroles non tenues — dormir et se taire

elle semblait pure la source où je m'abreuvais — la langue me brûle

sur le mur en ruine qui longeait notre frontière fleurit le bleuet

sa peau et ses lèvres je peux bien les oublier mais ses mots jamais

dans mes entrailles le fruit de mon cancer est ravi

que l'animal me pardonne cet éclat en forme de dodoitsu

04 septembre 2018

je sens leurs mains froides jouer avec mes entrailles — les crabes m'adorent

la touche d’automne peinte dans le ciel réveille ma mélancolie

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le flou du matin mon appareil et mon chat n’y échappent pas

c’est là qu’il demande de prendre mon tour de garde — toujours aux aguets

taches de soleil — le murmure du silence à l’ombre des chênes

il prend son envol vers le grand cèdre où l’attendent des becs affamés

il se cache dans ce qu’il reste de lavande — il s’est endormi

blotti sur mon ventre il m’aide par sa douceur à aimer la vie

le temps des soupçons s'est installé dans ma tête pour longtemps sans doute

l'ombre suit la courbe et le long cheminement que la nuit emprunte

que sont devenus les souvenirs d'améthyste que chérissaient mes nuits

c'était en automne — toutes mes dents sont tombées brisées de tristesse

au bord de la nuit d'improbables souvenances claquent des molaires

la terre était grise et le ciel plus noir encore sur les os de l'homme la lumière gémissait de ses cendres déjà froides

un torrent me guide jusqu'aux rapides cascades de l'oubli sans fond

dans les rues désertes l'odeur seule règne encore l'odeur des cadavres sur l'insouciance des villes l'apocalypse a frappé

le temps viendra-t-il de me fondre dans la nuit et l'oubli du monde le puits est profond — la charogne ensevelie y pourrit d'ennui

06 septembre 2018 le ciel bougon bat sa carpette de nuages sous un soleil pâle

les chiens ont saigné le pauvre daim acculé dans son cœur de pierre

près du trou à feu il ordonne à mon café de rester bien chaud

parce qu'il n'a pas de costard et qu'il se promène nu l'animal que l'on pourchasse serait sans conscience

05 septembre 2018

une forte averse est venue fort à propos nettoyer les feuilles

une aube imprécise se répand sur l’horizon — encre ensommeillée

encore un peu flou il a pris de la hauteur avec ses croquettes

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cette nuit des temps le jour ne la suivra pas -le soleil s'épuise

bientôt il faut tondre — je laisse les pâquerettes aux derniers bourdons

les ponts et les tours dans un grand cri nucléaire deviendrons poussière

shooté de lumière un papillon immobile rêve de tarente

le "ecce homo" n'aura plus de raison d'être après la moisson

mon cœur s'est blessé dans un buisson aux épines rouges de mépris

le fruit défendu ils le régurgiteront avec l'insolence

la gorge nouée je rêve encore de celle qui m'a détroussé

la nuit est imberbe — douce quand elle m'embrasse d'un rêve de soie

08 septembre 2018 peu à peu ils ouvrent leur portique de vapeur sur un ciel liquide

07 septembre 2018 la tête embrumée loin de ses rêves d’orage Garlaban s’enrhume

instant décisif où se pose la question du lieu de la sieste à l’entrée du temple seules deux colonnes fluides résistent encore

sur les dalles humides il est intrigué d’un souffle qui vient dans son dos

son altesse attend que soient écartées les perles pour sa grande entrée

il compte les gouttes sur la table de l’auvent — impassible sphinx

à flanc de colline la nuit dépose un parfum d'été qui s'achève

juste après la pluie quelques fées ont refleuri dans l’air du jardin

l'été est passé — en rangs serrés les fourmis rentrent le fourrage

il faisait un temps à ne pas sortir le chien pourtant j'attendais frissonnant sous les averses le bon vouloir de mon chat

au fond de leur cale grâce aux errements des hommes les rats font la fête

c'étaient des matins où l'aube était sale et triste nous nous réveillions heureux de nuits lumineuses et retournions sous la couette

un doute m'obsède — vous laissez votre parole dans le caniveau il en restera des traces qui vous monteront au nez

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papillon de nuit à l'envergure intrépide défiant l'auvent

sanglots sur le temps qui coule sans espérance — abreuver le sable

10 septembre 2018

retenez-le bien à mille post je m'arrête batterie à plat

il affole les tarentes comme une chauve-souris tournant autour de la lampe j’ai refait la nuit

dans son propre nid on s'attendrit d'un coucou qui mentait si bien

09 septembre 2018

encore un peu flou — il aime un bon coup de peigne et en redemande

le ciel s’est rayé des filaments de l’automne — les oiseaux d’acier

dans le plomb des nues on sent l’odeur de la poudre — du blues dans le ciel

sur la table il prend souvent la même attitude — évasive et tendre

voilées les étoiles n'ont aucune religion que l'enchantement

sur ce banc mal peint les ans et les feuilles mortes ont laissé leurs marques

les sources taries — le ventre creux des enfants digèrent leurs os

quand il me regarde avec ces yeux hermétiques à quoi pense-t-il

les ombres s'allongent — un crépuscule sans force griffe les collines

c'était une nuit de septembre en bord d'automne que s'en vint l'hiver

la nuit de septembre mêle les mélancolies de chaque saison

il était vêtu des derniers mots de marbre qu'ont lancés ses yeux

un oisillon geint dans la nuit tiède pourtant — quelque mauvais rêve

fracas du silence dont les débris s'amoncellent sur mon cœur figé

une nuit épaisse -je n'ai pu la traverser la glu m'emprisonne

qui croire à présent alors que j'ai cru en elle et qu'elle a tant ri

mes jours sont comptés depuis ma première larme -personne est comptable

il reste un cœur froid grelottant dans ma poitrine et des souvenirs

je songe au venin qu'elle a glissé dans mes veines -je le lui rendrai

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j'étais un crédule une proie facile offerte à des crocs voraces

un matin tranquille — septembre joue de ses heures au rythme estival

11 septembre 2018

mon sphinx d’étagère somnole encore un moment et se met à table

matin sans nuage — le ciel une mer sans ride profonde et lavande il goûte au soleil et s’en lèche les babines — heureux comme un chat

papillon de nuit sur l’armoire du salon posé en plein jour trop vite prise et trop floue je ne connais pas son nom

sous les parasols septembre garde un parfum d’été mystérieux

réveil en douceur — une toilette rapide et zou au croquettes

il dort sur mon ventre libre de toute inquiétude — petite personne

funambule experte sur un fil la tourterelle se gratte l’oreille

sur la longue route il y a trop peu d'auberges pour se reposer

sur le mur de sable un chat fond entre les dalles et l’ombre des feuilles

quand survient la nuit on s'allonge sous un pin pour rêver de vin d'un feu dans la cheminée et d'un estomac rempli

je reste un enfant malgré le cœur qui chahute et le ventre ouvert sur un fil tendu j'ai traversé l'existence en fermant les yeux

on s'éveille à l'aube on s'ébroue on se secoue pour marcher encore sur des cailloux acérés et des semelles percées

petite pluie fine — septembre se manifeste à notre attention

mais la route dure et les auberges sont rares le long de la vie

l'automne s'approche — par moment il est si près qu'on sent son haleine

l'automne est la route que prend la mélancolie et l'hiver la suit

13 septembre 2018 ciel toujours changeant — le soleil grime les nues pour le bal masqué

12 septembre 2018

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il plisse les yeux — son regard en contre ciel reste énigmatique

un bel acouphène prend le relais des cigales — l'été dans ma tête

le ciel effrayé — crépuscule de cobalt au loin l’espérance il attend un signe — que voudrait-il que j’ajoute dans ce grand bol d’eau

les nuits sont plus fraîches mais dans l'arrière saison l'été chante encore plus aucun murmure même les arbres respectent ma nuit intérieure

ce soir l'encre est sèche — désespérément ma plume essaie de voler

le vieux volet grince quand parfois je le repousse sur mes souvenirs

petite virgule dans le soleil déclinant — dernière hirondelle

sur le quai de l'aube dociles les nues attendent un signe du vent

tiédeur de la nuit — j'offre ma peau au moustique qui m'en laisse un peu

fantasmagorie des ombres que déchiquette l'auvent des mystères

curieuse tarente — du toit elle m'examine d'un œil malicieux

15 septembre 2018

j’ai savouré l'heure au goût d'intranquillité qui troublait la nuit

je ne comprends pas ce qu’écrivent les nuages sur la mer du ciel

14 septembre 2018

c’est l’heure mon chat de penser à te lever ! paré pour la sieste ?

victorieux et fier sur les cendres de la terre le soleil se lève

le petit talus sur lequel poussent les chênes change de couleur

plus tard dans la haie sur des feuilles déjà sèches le dos au soleil

il ne sait pas bien sur quoi j’ai posé mes doigts — un clavier peut-être

ordre dispersé — les nues précèdent le ciel sur les doigts du vent

la nuit je respire les anciens parfums d'été quand j'étais minot

et l’après-midi il pose sur un coussin ses rêves de chat

c'étaient les pavés qui luisaient sous le soleil brûlant sans merci

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il y avait les vagues ce goût et l'odeur du sel qui léchait les roches

c'était un auvent tout petit parmi les ronces au cœur de l'été

et puis quelquefois la garrigue et les pinèdes la chaleur d'un four tombant sur le thym fourbu le romarin torturé nous quittions la ville dans un car nauséabond vers l'odeur de sève

un été très court intense et incandescent sous un ciel lavande l'olivier sauvage tout près nous offrait une ombre à peine plus fraîche nous nous allongions sans nous frôler côte à côte dans les herbes sèches

je rentrais le soir égratigné de kermès collant de sueur

et nous attendions la caresse du soleil sur nos peaux fragiles

dès le lendemain le port la mer et la ville me prenaient la main

nous ne bougions pas nous ne pensions même pas nous étions si faibles

entre les pavés grandissaient les fleurs sauvages de mes souvenirs

des bébés langés qu'on essayait de soustraire aux flammes du ciel

l'amour est une course contre la montre il faut se dépêcher d'y goûter avant que le soupçon baisse son drapeau

traversant le Styx j'ai croisé un gros crapaud qui tendait la patte

16 septembre 2018

17 septembre 2018

sur la cheminée les nuages s’imaginent dominer le monde

peu de changements — nues et soleil jouent à chat au seuil de l’automne

nouvelle lubie : boire au cellier dans sa tasse perché sur l’évier

avant le selfie il n’a pas pu résister il s’est rendormi

en pot les tropiques — bientôt si j’en crois ma peau ils seront en terre

doigt sur l’objectif du smart-phone — il a laissé une brume grasse

je n’ai pas osé lui proposer un pastis des fois qu’il accepte

il faisait très chaud de la sueur au bout des doigts brume digitale

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du tiroir en ordre j'ai extrait le feuillet vierge qui le restera

malgré le silence « beaucoup de bruit pour rien » sur mon vieux fauteuil

mon stylo est plein d'une encre noire de sang il reste en suspens au-dessus des mots non dits qui se pressent en tremblant

arête de toit — il fait une courte pause arrêt sur un rêve septembre s'avance dans les gorges de l'automne toujours en été

par où commencer les premiers mots échangés le premier regard par la première question qui restera sans réponse

la pluie aujourd'hui a laissé entrebâillé le seuil de l'automne

peut-on commencer par la première rencontre devant un café

des parfums poivrés et humides à la fois — jardin sous la pluie

on pourrait peut-être cocher le premier je t'aime soufflé sans se voir après un si long échange sur un réseau asocial

je sais ce sourire cette insane souricière sauvage et servile je lui sers un verre — d'un claquement de mâchoire elle dit merci

à quoi bon tout ça il est bien temps d'en finir avec ces pudeurs

I serve her a drink — with a banging of her jaw she says me thank you

sur la page vide pas trace de mot, de sang juste un peu de sel quand les larmes ont séché dans le tiroir rabattu

19 septembre 2018 une aube rosée chasse les quelques nuages encore endormis

the moth on the wall is trying to lift the world with its wings open

le corps assoupi il laisse au soleil le soin de le caresser

papillon de nuit essaie de lever le monde de ton aile ouverte

18 septembre 2018

les fleurs de yucca autour de leur longue hampe narguent le laurier

maladroitement il essaye d’encercler un couple de nues

goûter au cellier — cette nouvelle habitude semble perdurer

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j'ai plongé ma main — son eau était dure et froide comme un assassin

les dards de l'été ont calciné le verger — l'automne est trop lent

petite sirène avec tes dents de murène qui veux-tu saigner

d'une voix de craie sur le tableau de mes rêves elle souriait

eh little mermaid what man do you want to bleed with your moray teeth

je sentais frémir sa peau de cuivre brûlant quand je m'approchais j'aurais voulu m'affranchir de l'attraction de ses lèvres malgré la rocaille elle parlait douce et fraiche comme une cascade

le ciel s'émerveille — Vénus s'est cassé un ongle et la lune est née le ciel et merveilles — le sablier s'est rompu sable de diamant

nous avions vingt ans et peu d'envie de vieillir mais la vie traitresse en décida autrement et accumula les ans

le ciel sans merveille — dans les ténèbres opaques abysses nocturnes le ciel se rendort — la constellation de l'ange ne bat plus des ailes

parfois je remue dans le sac des souvenirs un parfum de cuivre

dans un néant rouge la cendre âcre de la terre est froide à jamais

la lumière est nue — sur les murs crus de l'auvent j'égrène les heures

20 septembre 2018

21 septembre 2018

couché sur la table tout près de moi sous l’auvent il tutoie la nuit

le ciel sans complexe posé sur la cheminée se rit de l’automne

une chaleur moite enrobe troncs et feuillages d’une gaze floue

il dort au bureau et il n’a même pas mis le PC en route

non mon doux minou — les croquettes sont pour toi pour personne d’autre

au bout de mes doigts l’ombre d’un coin de jardin — l’esprit se repose

soirée de septembre — dans la lumière diffuse les tarentes veillent

il n’hésite pas à savourer la douceur d’une fin d’été

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sur un pont de liane je traverserai le fleuve des enfers glacés

22 septembre 2018 il s’est bien levé le dernier jour de l’été — maelström de nuages

of the frozen hell on a thin liana bridge I will cross the flow

réfléchir — à quoi — regarder passer le temps perdu sur les dalles

petite rieuse elle capturait ma main et comptait mes doigts

sur ce banc de bois je regardais vers le nord et l’indifférence

je faisais semblant d'un index inquisiteur de compter son nez

même quand il court pour quêter une caresse il prend tout son temps

je lui racontais qu'elle en avait deux un là et l'autre au menton

la nuit d'équinoxe à la porte de l'automne invoque l'été

ses yeux se pinçaient et elle lâchait ma main pour vérifier

night of equinox standing at the gate of fall summons the summer

nous riions si fort que Sœur Jeanne nous grondait et nous séparait chacun dans un coin de salle nous pouffions de rire encore

vieil homme à présent je peux faire le bilan des heures déchues

petite amoureuse de quatre ans moi un de plus au jardin d'enfants

dans la vieille armoire des sabliers retournés sur chaque étagère

souviens-toi des fées celles que tu ne rencontres que quand tu t'envoles

le sable figé lavé par la pluie du temps sur de vieilles bornes

la lampe vacille l'auvent se met à tanguer et mon verre est vide

chacun a des traces des stigmates de cœur bu par des dents profondes

lamp is flickering awning is starting to pitch and my glass empty

l'armoire sent vieux même l'odeur de lavande devient foin humide

le vent s'est levé — il nous quitte brusquement mais je reste assis

sabliers sans nombre j'ai passé mon existence de mes mains crédules

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à façonner grain à grain de puérils châteaux de sable

nous laissions chanter les gourdes qui débordaient et nos corps aussi

posture zazen la constellation de l'ange oublie l'univers

23 septembre 2018

et au crépuscule nous avons repris la route du petit refuge où nous étions attendus avec les gourdes remplies

dès le premier jour le jardin prend les couleurs rousses de l’automne

les bruits de l'automne — sur la dalle un premier gland tinte dans la nuit

posture bizarre gymnastique matinale mon chat est un clown

the sounds of autumn — on the slab the first acorns tinkle in the night

pyrale du buis — l’automne et le crépuscule la même journée

les dernières fleurs de lauriers-roses flétrissent — cruauté d’automne

il est intrigué — que voit-il par la fenêtre que je ne vois pas

then the last flowers of oleanders wither — cruelty of fall

silence imposant loin très loin une sirène murmure sans joie

rêve transparent — la nuit m'a laissé y croire jusqu'à l'aube opaque

mince filet d'eau souriant en plein soleil dans les éboulis

24 septembre 2018 une aube incertaine des arbres échevelés — le vent de l’automne

nous avions si soif nous sommes restés longtemps à remplir les gourdes nous avons même eu très peur que s'assèche la colline

la lumière est rousse sur les dalles où il toilette — sentiments d’automne

un pin torturé nous a proposé son ombre maigre mais une ombre

un trait hésitant — le ciel d’un bleu mal lavé tremble encore un peu

dos contre l'écorce nous goûtions la mélodie de la source claire nos mains se frôlèrent puis nos regards puis nos peaux en pleine garrigue

couché sur le dos il attend de sa posture l’illumination dans l'œil de la lune il y a une poussière — d'or en est le grain

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si j'étais un ange j'irais d'un battement d'aile consoler la lune

souveraine et fière sa houppelande de reine s'impose à la nuit

quand l'homme n'aura plus à porter ce corps lourd alors il pourra se tourner vers les étoiles si elles le veulent bien

sweat-shirt et chaussettes — l'auvent me fait bien sentir les fruits de l'automne la sirène noire sur sa licorne d'argent affronte les vagues

nous garderons ensemble la meute des idées sombres l'ombre pâle et moi

the young black siren on her silver unicorn is fighting the waves

un automne sec crisse sur les feuilles mortes — fraîcheur sous l'auvent

avec son poignard il attise le brasier qui rougeoie en lui

dans le crépuscule le ciel perd ses oripeaux — lambeaux de nuages

la petite fée aux longues ailes de gaze sur le pot de miel

d'un trait d'ombre pâle sur l'échine des collines la nuit s'est couchée

le fleuve est en crue — sur les berges inondées les pingouins jacassent

comme tu ronronnes — viens mon chat viens mon amour tu sais que je t'aime

25 septembre 2018

26 septembre 2018

dans un ciel troublé le soleil se démaquille — bouts de coton sales

vite dissipés les nuages et la brume paradaient pourtant

le flou de ses yeux est-il le reflet diffus de ses pensées troubles

pendant qu’il s’étire le soleil donne à son poil des pièces d’argent

si j’avais voulu j’aurais pu jouer aux quilles — j’ai joué aux lunes

l’hibiscus fleurit de nouveau après l’été — les saisons s’emmêlent

avant de dormir il jette un coup d’œil vers moi pour m’encourager

terrasse en automne — qu’importe la position insouciant il dort

lune étincelante — une auréole d'argent sacre les nuages

l'histoire s'achève — le vieux mage du jardin a repris son souffle

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sous le lit du fleuve l'amoureux de la naïade cache bien son jeu

déjà grignotée la lune montre les dents dans le ciel vorace

l'écorce des pins se souvient dans ses replis du cri des cigales

nuit mélancolique — l'automne s'est assoupi dans le cœur des arbres

encore affamé dans le champ de lespédèzes le rônin s'endort

les fruits défendus par une armée de frelons pourrissent sur l'arbre

sur la fourmilière un gnome au nez rubicond compte les recrues

sous l'auvent plus frais les tarentes se font rares — je suis un peu seul

la vague était haute — les hommes ensevelis en ont bu le sel

la nuit de velours sur l'épaisseur des collines glisse lourdement

de tous les amours on se souvient du dernier comme un ex-voto

sur le quai régnait la forte odeur creuse et âcre du goudron brûlant un ragrément de carène pour quitter cette galère

elle était rivière je n'étais qu'une brindille posé sur son rire

je voulais partir fuir cet horizon bouché mais je suis resté au bord de la mer obtuse à rêver mon existence

la Terre se meurt — les experts en assurance cherchent un coupable

l'eau du port brillait d'huile et de vieilles bouteilles sans aucun message quand je regardais les voiles je ne voyais que linceuls

27 septembre 2018 mêlé d’herbe jaune et d’herbe jeune le pré espère une tonte

mer libératrice tu m'as lié aux pavés aux caniveaux sales je lève les yeux au ciel je suis jaloux des nuages

mon explorateur cherche encore la souris qu’il a égarée pause sous les chênes — la promenade peut-être était bien trop longue

28 septembre 2018

portrait d’un félin encore bien hébété quand il se réveille

un regard coupant qui peut passer sous les portes des âmes fermées

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un trait de vapeur a rayé le crépuscule — le cri du silence

29 septembre 2018 avec nonchalance ils flânent sur les collines puis ils s’évaporent

l’ombre sur le mur aussi aigüe que ses griffes — un soleil farouche

un œil soupçonneux ou bien quémandeur de quelques caresses

entre deux collines une première lueur puis elle apparaît dans une immense splendeur l'énorme lune gibbeuse

quelques fleurs encore osent provoquer l'automne dans les lauriers-roses

le printemps pluvieux témoin de notre rencontre n’est toujours pas sec

avec sa démarche de vieux matou fatigué il trompe son monde

les doigts des nuages sur l'établi d'un ciel noir pétrissent la lune

soirée nonchalante — j'ai laissé à mes pensées le choix du sujet

les nues s'amoncellent devant la lune qui peut respirer à peine

les étoiles pâles tissent une toile lâche — une gaze brume

où se cachent-ils les rêves évaporés quand on se réveille

si peu de labeur une si grande fatigue — vieillesse implacable

sa peau d'abricot je m'en souviendrai encore en mangeant des poires

j'avais quatorze ans à peine et je me sentais si vieux comme ce vieux pull de laine au ras de mes yeux

ses lèvres sucrées avaient posé sur mes lèvres son goût de Cassis

je n'osais la regarder la fille aux yeux d'émeraude pour elle j'aurais brodé un poème une ode

son rire de soie — il m'habille encor de joie quand j'ouvre les yeux

mais j'étais trop indécis trop maladroit trop timide il m'aurait suffi merci d'un regard humide

elle m'a menti mais c'était dans sa nature donc sans importance

jamais je n'ai dit un mot car par ses yeux d'émeraude luisant comme des émaux ma langue est pataude

c'était sans compter sur l'habileté des fées à mentir aux gnomes

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rongée par les rats qui gangrènent les étoiles la lune gémit

au fantôme en face je demande un café double pour me réchauffer

30 septembre 2018

un seau de goudron bondissant sur le comptoir me saute au visage

le soleil se lève — sur la cendre des nuages il refait son lit

sans sucre merci même s'il est très épais je le bois ainsi

à peine éveillé déjà il cherche un endroit où faire la sieste

j'aime l'amertume l'odeur âcre des fumées et le goût du fiel

fin de la journée — le soir tombe un peu plus tôt sur les fleurs fragiles

je rejoins ma place les passagers revenus ouvrent leurs cartons

il prenait le frais au rebord de la fenêtre — puis on l’a changée

ils piochent des mains des yeux des foies et des cœurs qu'ils croquent en chœur

silence d'orfèvre — dans cette profonde nuit les étoiles bruissent

on m'offre une langue violette et rongée de vers — je ne sais que dire

un train passe au loin — destination inconnue je pars en voyage

claquement des roues qui sautent les aiguillages grincements de freins

dans ma tête il roule sur une voie éphémère de rêve et d'acier

une gare enfin je repousse l'ouverture bondis sur le quai

le ballast gémit — les traverses sont les bornes de mes nuits passées

et je me retrouve hébété et somnolent assis sous l'auvent

d'un wagon à l'autre je traverse les parois — les sièges sont vides

je souffle et transpire en me servant un grand verre de whisky glacé

la voiture-bar m'accueille d'un rictus — dehors il fait nuit

jamais le besoin d'écrire ne sera plus fort que ma flemme

les vitres opaques ne peuvent laisser filtrer qu'un éclair fugace

01 octobre 2018

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écouter le ciel quand le cyprès parle au vent — ratisser les nues

le vent se déchaine et les chênes encor vifs y laissent des plumes

un matin frisquet — il prend cependant ses aises et reste couvert

les yeux des fées luisent dans la clarté de la lune — rire des étoiles

l’automne est bien là dans cet arbuste inconnu aux feuilles qui toussent

02 octobre 2018

à l’abri du vent dans le coin de la terrasse il dort nostalgique

une pie traverse un ciel encombré de nues — elle cherche un arbre

premiers jours d'octobre — les dieux ont abandonné la route des hommes

il dormait si bien couché en travers du lit — je l’ai réveillé

le vent est inquiet — il essaie de se cacher dans les hautes herbes

fin d’un jour d’automne — une lumière sans force épuise les couleurs

le temps dépassé — soixante-dix ans bientôt et ils pèsent lourd

le même air pensif toujours la même attitude détachée du monde

mais malgré ce poids et les rides dans les yeux j'ai le cœur léger

la soirée paresse dans la fraicheur de l'automne — le jardin somnole

tous mes souvenirs même les plus douloureux font danser leurs ailes

loin de la lumière qui palpite sous l'auvent règnent les ténèbres

je peux bien avouer que j'ai acquis le pouvoir de tout oublier

le fil du rasoir sur lequel je déambule me meurtrit les pieds

à l'abri du vent la tarente solitaire tente un papillon

c'était une fée aux sortilèges brisés la vieille marraine mais pour moi elle est restée la fée aux ailes d'argent

dans l'immense nuit que le vent violet déchire les étoiles tremblent

she was a fairy a fairy with broken spells the old godmother but for me she will remain the fairy with silver wings

in the mighty night that the purple wind’s shredding the stars are shaking

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03 octobre 2018

je ne saurai dire s’il avait de l’inquiétude il m’a attendu

grasse matinée — il dort en pleine confiance posé sur ma cuisse

revenu de tout sans jamais y être allé je descends du train

étoiles brisées leurs éclats se sont grimés en fleurs de nuages

les ondes sonores d'une courte anesthésie — voir la vie en rouge

il a peu grandi l’olivier que j’ai planté l’année du cancer

mon esprit vacille — le silence incandescent d'un réveil douteux

réveil de la sieste — une couche de sommeil englue ses paupières

my wavering mind — of a doubtful awakening the burning silence

attentif j'écoute les bruissements de la nuit — l'orchestre s'accorde

à côté de moi sur les carreaux de l'auvent une feuille morte

la soie impalpable de la lumière du soir — la peau de mes rêves

souvent je repense — l’odeur de sauge et de menthe un petit auvent

chemin du mystère — le vol lent du papillon qui cherche sa fleur

la poutre se vrille et parfois les tuiles tintent — le temps manque un pied

the stars are sliding -like gentle dancers they skate on the icy sky and from time to time they sow their lightly diamond dust

sa robe incarnat et son parfum d'iris fauve je n'y pense plus

les étoiles glissent -danseuses elles patinent sur le ciel glacé de temps en temps elles sèment leur poussière de diamant

une fleur aux dents et le rêve en bandoulière je défie le vent je suis bien trop vieux pour cultiver l'espérance rêver me suffit

des yeux des enfants coulent des larmes de sang — mères sauvez nous

04 octobre 2018

05 octobre 2018

voir le crépuscule les arbres en contre-jour et se voir soi-même

ciel énigmatique — ses runes de gaze floue restent insolubles

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soucieux il examine sur la table de l’auvent l’automne qui rampe

pause sur la table avant d’aller au grenier pour la longue sieste

il y a des fleurs qui traverseront l’automne sans jamais se plaindre

parfum du jardin — du talus la marjolaine envoie des messages

regard de côté — la lumière le couronne de timidité

sur la dalle humide un pot et une potiche posent côte à côte

la vie sans histoire je ne l'ai pas contournée je passais à gué

l'école est finie — le jour range ses cahiers dans le crépuscule

l'automne s'installe — sur la terrasse déjà les feuilles frissonnent

de l'ancien smart-phone j'ai relu d'anciens messages — le cœur qui se gerce

souvent je disais qu'il était temps de partir pourtant dans mon cœur il y a de la place encore pour y aimer mille vies

amitiés discrètes amitiés tentaculaires amours plurielles ces mots chuchotés ces mots parfum d'arc-en-ciel parole écrasée

dès mon plus jeune âge je rêvais d'amours sublimes — j'étais un rêveur

nous nous disions vous un vous qui nous rapprochait puis le tu lointain

de mon vieux plumier j'ai revu la tache d'encre que j'avais laissée en ne sachant pas écrire mon premier billet d'amour

ah petite sœur ton souvenir n’est qu'un spectre aux ailes noircies

s'il en avait une mon chat connaîtrait le jardin comme sa poche

le vent a tourné au tout début d'un automne aux griffes de chat

le ciel est opaque — quand elle ne brille pas je suis mon étoile

l'orage s'avance les nuages s'engrisaillent — je baisse la tête si elle savait combien, comment j'ai eu mal comme elle rirait après avoir bu mes larmes et vidé mon cœur de sang

06 octobre 2018 frais matin d’octobre — pour chasser les nuages le soleil s’essouffle

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Après deux cancers... Comment peut-on parler d'amour quand on n'a sur le pubis qu'un mince tuyau qui fuit et qu'une tonne de Cialis ne saurait faire applaudir ? Peut-on parler une langue qu'on écoute avec les doigts ?

soixante et dix ans et toujours un cœur de laine — pour quand le granit

07 octobre 2018 le jour s’est levé étendant son manteau noir sur la peur des arbres

08 octobre 2018

le regard questionne mais je n’ai pas bien compris le sens du message

sous l’œil du soleil les nues ont livré bataille pour gagner le ciel

pause des nuages — ils se reposent un moment dans le ciel soucieux

dans sa somnolence il s’installe sur mon fauteuil — je prends une chaise

après la balade il s’occupe de ses pattes — c’est très important

l’automne s’attarde sous les arbres verts encore — chant mélancolique

a stone is burning deep, so deep in my bowels heavy and hungry

abri sous la table parce qu’on ne sait jamais il pourrait pleuvoir

une pierre brûle tout au fond de mes entrailles lourde et affamée

de l'ancien smart-phone j'ai effacé les messages qui parlaient d'un temps ... que les moins de...

de son cœur fendu une aubépine a jailli avec ses épines

non rien, je rigole !

les routes bien droites dissimulent des ornières dans leur cœur d’asphalte

quelques gouttes tombent depuis les feuilles des chênes que le vent caresse

on distingue encore la lividité des nues dans les dents du ciel

entre les nuages la nuit étire l'espace et prend tout le temps

j'ai tendu les mains vers l'insatiable appétit de l'obscurité

la ville insouciante qui a l'âme de ses artères sent le renfermé

je somnole un peu — sous l'auvent les tuiles teintent la nuit d'arcs-en-ciel

des ombres chahutent au fond du jardin la nuit — ombres juvéniles

85


j'avais besoin d'ailes comme le jour a besoin d'une aube nouvelle

l'été nous couvait et quand nous avons éclos l’automne guettait pour disperser notre nid parmi les aiguilles sèches

une pluie de sable tombe drue sur mes épaules — un plein sablier

mais nous étions nous et nous avions eu le temps d'enhardir nos ailes

j'ai rêvé en rouge tout le sang que j'ai versé de ma vessie lasse

nous savions voler et n'étions plus les oies blanches d'une basse-cour

je sors de ma poche une boite d'amulettes prête à s'enflammer

il était grand temps tous deux nous sommes partis conquérir l'été

miction accomplie — si j'avais un peu d'humour j'aurais pu le dire

09 octobre 2018

10 octobre 2018

vent d’après la pluie — les nuages qui s’enfuient saluent Garlaban

un ciel chaotique — le soleil ouvre les yeux au pays d’octobre

un sphinx assoupi — avant l’endormissement la dernière étape

brève promenade dans le calme vespéral — parfums de l’automne

un trait de passage — il prend appui sur les nues et crée son nuage

crépuscule gris quelques couleurs sans nuance essaient de parler

terrasse dans l’ombre — il attend le crépuscule et rêve éveillé

que veut-il me dire avec ses yeux qui bégaient dans l’éclair confus

l'ombre tergiverse entre la droite et la gauche au gré de la brise

les mots sont venus de nulle part peut-être rendre la parole

les graffitis sombres sur les murs de ma mémoire lentement s'effacent

il pleut sans arrêt il ne sait où se poser — alors mes genoux

à l'ombre des pins de nos doigts gauches d'enfants nous lissions nos plumes

sous l'auvent venteux nous écoutons le refrain des gouttes qui tombent

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j'ai écrit si mal des phrases que je pensais tellement lisibles

quelques vers timides dans le ventre de la terre ne riment à rien

voilà mon chaton de six kilos de tendresse autant de paresse

sur un coin de table j'ai déposé une mise -elle était trop faible

demain ou plus tard aux caresses du soleil l'herbe répondra

les dés se culbutent sur la piste sans relief et leurs faces blêmes

des heures de pluie la toiture rassasiée le jardin déborde

avant de montrer son squelette dénudé elle hésite un peu

quand on devient vieux la cornée s'opacifie les tympans durcissent on est l'ombre de soi-même une vielle ombre sans ombre

s'aidant de sa faux elle grimpe l'escalier puis sort de ma tombe

11 octobre 2018

bien sûr je plaisante et l'histoire se termine en éclats de verres

dans un autre temps je n'étais qu'un revenant secouant ses vers

le ciel détrempé semble vouloir colmater un horizon de sable

12 octobre 2018

derrière le pin il imite un chat perché dans le crépuscule

visage fripé par des marques d’oreiller le ciel bâille encore

le nuage noir veut dévorer la nue blanche — crabe dans le ciel

brève promenade tout autour de la terrasse avant de rentrer

l'étoile s'enflamme puis elle se dissimule au sommet du pin

troupeau de moutons perdu dans la bergerie immense du ciel

ah je vous dois tant mes compagnes au long cours mes étoiles ivres

peut-être attend-il qu’on lui serve son repas toujours sur la table

la supercherie a duré assez longtemps je ne sais pas lire

couchée à mes pieds infidèle et attachante mon ombre sommeille

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d'un rêve inutile inopportun et grisâtre je coupe les fils

13 octobre 2018 soleil déjà clair le ciel s’habille en bâillant de nuages roses

je voudrais courir sur l'échine des collines roussies par l'automne

c’est un jeu pour lui il croit que le tronc trop mince le cache à mes yeux

amadouer la garrigue et capturer son parfum mais je n'ai plus l'âge de traverser les kermès d'un éclat de rire

taille des yuccas ils vont sécher tout l’hiver avant le broyage

le soleil me brûle il ne m'illumine plus au bout de la route impotent et sans vigueur je subis le crépuscule

premier jour de pluie les collines ont souri saluant l'automne reflets sur l'étang — les feuilles vertes encore en oublient l'automne

reste le sourire de quelques moments joyeux et brillants d'enfance

touristes partis — les vagues moins timorées assaillent le sable

de ces souvenirs je ne peux faire une histoire mais ils sont ma peau ma chair mes os ma charpente grâce à eux je me tiens droit

je l'appelais ombre partout elle me suivait la mélancolie

et face au soleil qui se lève encor' pour moi je souris toujours

peu à peu la ville taille en pièces les collines comme un rat vorace

douceur de l'automne — elles ne se cachent plus du jour les tarentes

son cri met au pas l'indolence du silence couvre les parfums d'une couche de bitume qui étouffe les cigales

l'ombre de mes lèvres se pose au bord de mon verre — la lanterne danse

et pourtant la ville a une âme qui palpite dans les nuits humides qui s'empare de mon âme et pleure ou danse avec elle

l'ombre de mes lèvres comme un papillon de nuit posée sur ses lèvres sur la cendre ardente d'une terre à l'agonie des hommes festoient

quand je l'habitais c'est elle qui m'habitait de son souffle chaud

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je l'aimais pourtant comme un amant insatiable mais j'avais peur d'elle

j'aimais cette plage une plage de galets jamais surpeuplée

j'ai quitté ses rues mais elle m'a poursuivi jusque dans mes rêves dans l'odeur de la garrigue et dans l'ombre des pinèdes

ça a bien changé car à présent tous les corps bronzent sur la tranche un jour nous avons marché bien plus loin sous la falaise jusqu'à une petite anse de rochers tombés

14 octobre 2018

et c'est enfin là sur la dalle presque plate que nos corps ont lui

une mince fente dans l’épaisseur des nuages le ciel ouvre un œil

elle était mon île et cet arbre sous lequel l'ombre était si douce

un chat sur la tête dans un cadre plein de bruit mon chat impassible

mes ailes de nain ne peuvent rien dans le vent sourd de la mémoire

tous les verts se fondent dans l’instable crépuscule d’un silence mauve

il est difficile de séduire un papillon sans briser ses ailes

craignait-il la pluie sous la table de l’auvent — partout à sa place

15 octobre 2018

le feuillage danse sous les caresses du vent — bal de fin d'année

un matin froissé le soleil le sais plus où est sa brosse à dent

je n'ai plus l'espoir de courir dans les collines — mon corps m'abandonne

un brin de toilette après la courte balade dans le vent mauvais

on sait qu'elle est brève en tirant le dernier brin — la vie courte-paille

c’est le seul arbuste aux vraie couleurs de l’automne au nom inconnu

je l'attendais sur un banc dans le square de la poste nous allions jusqu'à la plage c'était en été

un coup d’œil derrière pour voir si le crépuscule est au rendez-vous

nous parlions très peu en fait je ne disais rien juste son parfum

la pluie tombait douce légère comme une gaze — mon regard s'embue

89


je n'ai pu parler à mon amie pourtant chère de cet épisode le lendemain le soleil avait estompé les taches

l'automne en octobre est un pays merveilleux — odeur de la pluie j'ai ramé si loin au nord de toute espérance — j'écope le vide

16 octobre 2018 le ciel ce matin quelques nuances de gris noyées dans l’eau sale

c'était en octobre il pleuvait sur les platanes de la contre-allée sous l'abribus trop petit nous échangions nos sueurs

dimanche il cueillait les olives à sa portée — il faisait très beau

serrés prisonniers de ces visages fermés nous étions blottis moi sur son manteau humide elle sur mon cœur battant

et le ciel étale fièrement cette grisaille à désespérer cuisses pour perchoir mon matou se croit léger comme un papillon

je l'ai embrassée quand le bus est arrivé et je l'ai quittée

la pluie a cessé et le ciel comme une ardoise colmate les brèches

plus serré encore sur l'étroite plate-forme je respirais mal

la soirée de soie dépose sur mes épaules des plumes de songe

un vieux porc soufflant s'est mis à coller de près mais j'étais si mal que je ne pouvais rien dire et encore moins bouger

j'ouvre ma mémoire comme les pages cassantes d'un livre épuisé

mon cerveau vidé et mon visage trop fin me jouaient des tours

dans les mots salis que trace sa main tremblante il y a du sang

après trois arrêts la plateforme se vide éjectant le mec sur le trottoir détrempé alors j'ai pu respirer

longtemps j'ai été même au soleil de midi un homme sans ombre des joies et des peines avec mon ombre à présent j'en écris les fables

arrivé chez moi je me suis mis à pleurer dans ma chambre close rageant contre mon silence et cette bestialité

17 octobre 2018

90


soleil en colère il repousse hors de son nid le gris des nuages

18 octobre 2018 lever du soleil — d’un souffle majestueux il part en voyage

le tapis d’aiguilles sur lequel il s’est couché doit être bien doux

il frottait ses pattes dans le pot de basilic — comme il sentait bon

une pie glaneuse dans la tache de soleil — elle semble inquiète

traversant l’espace au-dessus des oliviers une pie muette

mon gros chat somnole mais il sait que je suis là pour veiller au grain

regard sans douceur — quelquefois on se demande ce qui le tracasse

parfum de la pluie les arbres sont envoûtés et le ciel larmoie

soirée indolente — le chahut de la vallée s’estompe et murmure

délicieusement mélancolique l'automne invite Verlaine

la terre se venge et les hommes ont perdu leur humanité

les bruits sont feutrés par la brume indiscernable qui flotte des arbres

personne ne donne mais les plus goulus exigent toujours plus encore

il repassa son col de chemise la lame du rasoir et enfin l'arme à gauche

l'orgueil veut l'espace mais il est vain d'espérer secours des étoiles

pas doué pour le tir à l'arc ni même au fusil d'assaut j'ai choisi le tire au flanc précieuse paresse

la terre se moque que l'air devienne goudron d'être bleue ou sombre

l'histoire fut courte il suffit de peu de mots : ce fut un été

elle tournera jusqu'à la fin de son temps sans le bruit des hommes

j'enfourche mon rêve je galope dans la nuit et je me rendors

elle tournera encore encore et encore vide et sans Histoire

une brève averse vient inonder mes pensées — ténèbres d'automne

j'entends le silence qui craque tout doucement dans la nuit d'automne

la nuit sent la mort elle sent la pourriture des rêves perdus 91


toute joie se paie et un amour partagé bien plus cher encore

feuilles de figuier — avant de tomber à terre elles prennent peur

gouffre des années dans lequel je suis tombé tête la première

d'une branche à l'autre elle s'accroche et me suit la lune implorante

malgré mes années je n'ai pas suivi mon cœur seulement la pente

j'étais un têtard que nourrissait l'espérance me voilà crapaud

comme une allumette qui se tord après la flamme qui se tord et meurt

il pleut sur la vigne et le raisin moins sucré cède un vin amer

un fil trop ténu nous a maintenu pourtant sur ce pont instable qu'elle a traversé d'un bond tandis que je m'abîmais

19 octobre 2018 ce matin les nues semblent avoir pris la clé des champs et du ciel

c'est la vie qui court bien plus vite que nos ombres la vie simplement

double égoportrait — en fait nous ne sommes qu’un — avant le pastis

je voudrais qu'il m'aime comme on aime d'amitié mais ce n'est qu'un chat

le ciel clair encore juste avant le crépuscule — automne indulgent

j'ai lancé les dés ils sont sortis de la piste — avec qui danser ?

avec nonchalance sur le gravier il s’étire — fin d’après-midi

20 octobre 2018

la vallée est triste — les clochettes du muguet inclinent leur tête

que disent les runes avec la vapeur diffuse d’un ciel enroué

le soir m'appartient je ne le cède à la nuit que contre un poème

là sur mon fauteuil il enjolive les rêves que je ne fais plus

je suis mal assis — cette barre dans le dos qui tord le dossier

les vieux lauriers-roses essaient de garder pour eux leurs dernières fleurs

la vie suit son cours de minuscules souffrances en grandes douleurs

entre ciel et tuiles il somnole en équilibre assis sur l’arête

92


l'été était tendre il m'a permis de l'aimer à n'en plus finir

la photo vieillie qui semble sortie de l’ombre intrigue mon chat

des ombres lointaines s'entremêlent sur le mur frissonnant à peine

et le soir venu seule la forme des nues a changé l’espace

dans un pot de terre des pensées ont pris racine — j'ai dû les tailler un pot ce n'est pas la place de fleurs libres et sauvages

jaune inflorescence sur le profil de mon chat — faut changer la lampe le vent s'est levé — une averse de glands tinte sur la terrasse

je marche derrière mon vieux père et nous aurons alors le même âge

ce soir est plus frais et la nuit qui m'emmaillote remonte mon col

un rayon de lune emportera pour bagage tous mes souvenirs

murmure du vent dans les arbres qui gémissent -plaintes de l'automne

comme un dard aigu les arômes du jardin me clouent au poteau l'histoire claudique — à force d'être contée elle a mal au pieds

au bout de la digue le fanal cligne des yeux pour m'ensorceler viens dit-il viens dans les vagues les rochers te berceront

des mots des fadaises que je pose bout à bout pour remplir le vide

je connais trop bien ce langage aigu comme une lame de rasoir

je suivais sa trace le long des sables mouvants et mes souvenances

je pose les rames et lui oppose mon dos mais la barque tangue

mes cent jours à moi furent cent jours de bonheur sans restauration

voilà que le jour qui se lève le bâillonne et gifle la nuit

21 octobre 2018

je m'éveille enfin mon corps est couvert du sel d'une mer de peurs et de terrible attirance pour les abîmes sans fond

or rien dans le ciel ne laisserait présager que rien ne se passe

tous ceux qui se suivent ont des problèmes d'ego oui eux sur Twitter 93


la plage accablée de soleil l’odeur de sel et de résine nous ont secoués en plein sommeil dans l'enfer des trombes marines

mon chat un peu triste pose encore ce matin un regard inquiet

22 octobre 2018

un trou dans le ciel par lequel passe la lune et ses fils d'argent

le pays d’octobre ne s’en laisse plus conter — il se grime en gris

a hole in the sky through which the moon is crossing with her silver sons

il quêtait l’été aux fenêtres périlleuses et il s’endormait

fraîcheur sous l'auvent — la nuit me prend par la main elle est sèche et froide

le lierre amoureux d’une lanterne rouillée — un conte d’automne

sur les joues des fées reste la trace salée de leur vie de femme

sur la mezzanine aussi il étire son dos et bat la mesure

trahi par la lune qui éclaire le chemin un rêve s'efface

dans cette nuit claire je ne sais plus où poser mon sac de ténèbres

respirant à peine je guette les battements de mon cœur usé

j'aime me lover dans l'âpre mélancolie — murmures d’automne

tapie sous les chênes je sens l'ombre qui me guette dans le clair de lune

je ferme les yeux quand les étoiles dévoilent leur lueur intime

24 octobre 2018 je sème ma route de tercets mal apprêtés de mots équivoques

sur l'étrange estran des marées mélancoliques des cônes de rêves

compagne éphémère la lune revient pourtant arroser le ciel

l'averse est venue depuis le cœur des nuages abreuver la terre

23 octobre 2018

années de lycée — c'était un temps d'amourettes brèves et dolentes

je fais une pause — le premier jour s’est levé d’une courte pause

les allées glissantes — sur les feuilles de platanes mon pas hésitant

94


les quelques étoiles qui veulent narguer la lune sont bien téméraires

il sourit encore puis son visage se ferme — la porte qui claque

nager éveillé dans le flux des souvenirs — mon sport favori

sur le ciel obscur j'imagine un grand navire mais ce n'est qu'un ange

j'aimais son sourire et le souffle de ses mots — j’aimais cet été

le ciel est si clair et cette lune embrumée parait si soucieuse

sur l'arête aiguë de ses dernières paroles j'ai perdu mon sang

elles tuent le ciel et emprisonnent la lune les nues de l'automne

25 octobre 2018

tarentes absentes sous le voile de l'auvent — l'hiver fait un pas

26 octobre 2018

automne indulgent — la journée était si belle au soleil d'octobre

heure de l'auvent — je m'en vais à la rencontre d'un obscur silence

un banc une allée — le soleil sur son visage un vieillard sourit

sur le ciel blafard la silhouette des arbres devient menaçante

il se voit marcher sur la même allée luisante il avait vingt ans et il venait d'acheter ce disque qu'elle aimait tant

le ciel était jaune juste avant que ne s'abatte une pluie de sabres

il la voit au loin qui s'avance et qui sourit serrant un sachet

les dernières nuits d'un automne bienveillant je veux m'en repaître

il lui tend le disque son sourire devient rire en ouvrant ses bras le sachet qu'elle lui montre contient un disque identique

la nuit s'emmitoufle — opulente houppelande douillette des nues du ciel sans espoir tombe une pluie aussi fine qu'un fil de rasoir

les gens se retournent sur leur joie sans retenue communicative deux fois le même cadeau au premier anniversaire

27 octobre 2018

95


clin d’œil matinal — de la poussière de rêve glisse des paupière

il cherche sa place en laissant dans la poussière des traces de pas

dans le soir qui tombe la tourterelle s’accroche au fil pitoyable

le ciel chiffonné ne laisse pas un seul doute sur ses intentions

il ne change pas toujours la même posture la même distance

c’est un ambitieux il va de plus en plus haut même pour manger

fraîcheur insistante — sous l'auvent l'hiver a mis un pied dans la porte

l'averse finie les odeurs semblent figées par la nuit peureuse

la lune embrumée semble prise de frissons troublés de nuit froide

enfant je courais sur le sable d’une plage de rêve impossible

une brume humide étouffe même les sons de mon propre corps

les galets luisants ricochaient vers l'horizon où ils s'égaillaient dans le désordre salé des vagues et du soleil

la pluie a laissé les arbres pétrifiés et dégoulinants

parfois je restais somnolent comme un vieux phoque sur le sable nu je regardais le lointain et le néant me berçait

des lambeaux de brume se glissent dans la lumière froide de l'auvent ce n'est pas l'hiver mais après tant de caresses l'automne est bien fourbe

j'étais un enfant je ne voulais pas grandir je fermais les portes aux années qui voulaient mordre dans la chair de mon présent

la lune s'allume dans son beau manteau de brume et rit de mon rhume

je ne savais pas qu'on ne freine pas la course des nuits et du temps

souviens-toi ma belle comme il pleuvait sur Marseille quand on s’embrassait

me voilà vieux phoque déchiré par les hivers sur le dernier quai

28 octobre 2018

je regarde encore se lever de l'horizon les galets jetés à la face du soleil toutes ces aubes perdues

je suis à côté à droite de nulle part voilà mon chaos

96


une ancre rouillée cherche encor mon cœur d'enfant pour s'y arrimer

un fond d'améthyste le ciel est rose ce soir — souvenir de soie

…et je me souviens que bien au dessus des nues brillent les étoile

la pluie et le vent ont accordé leurs violons ballade d'automne

29 octobre 2018

il faisait trop froid je suis rentré sous la lampe silencieuse et lente

Garlaban s’embrume dans les entrelacs lugubres des nuages froids

la pluie inlassable trace sur les vitres froides un sombre message

dehors il pleut trop il s’endort sur un coussin et oublie la pluie

j'étais sans constance et maintenant je suis seul à craindre le froid

le ciel était sombre la pluie tombait sans répit sur mon âme grise

pénombre complice dans le fauteuil défoncé je pèse mes mots

à côté de moi il laisse filer le temps et rêve d’espace

"la chambre d'ami" sur le lit dort mon complice ce chat insouciant

une pluie si froide qu'on dirait que des aiguilles cousent mon visage

au cœur de la nuit il viendra tout contre moi ”par pure amitié“

puis le vent s'en mêle des dents glacées et humides me rongent les os

pour l'instant j'écoute le silence de mes tripes un verre à la main

c'était un automne qui se prenait pour l'été l'hiver le corrige

et un de ceux-ci finira bien par m'avoir au détour d'un rot

des gifles cuisantes venues du fond des ténèbres traversent l'auvent

ne trouvez-vous pas que pour un vieil alcoolique j'ai bien fait mon temps

pourtant bien couvert tout au fond de moi l'hiver me gerce les tripes

30 octobre 2018

je revois encore son sourire parfumé de chant de lavande

ce matin le ciel scintillait comme un diamant dans de l’eau glacée

97


retour des nuages — une serpillière sale sur un sol malpropre

il vient de rentrer avec dans ses poils floutés l’eau des herbes hautes

il joue au soleil et il fixe le calcium tout en même temps

les olives luisent délavées par les averses drues et incessantes

c’est un jeu qu’il aime et si ce n’étaient ses griffes ce serait bien doux

quelques coups de langues il fignole sa toilette avant de dormir

Qui se souvient, Pivot vs Bukovski ? Ah, Pivot sait lire, très bien même, mais Bukovski sait écrire ! Un écrivain sobre, c'est un clerc de notaire (je les admire ! Ouf, je m'en sors bien, non ?)

l'auvent fuit un peu une goutte sur la tête je mets la capuche voilà bien des jours et des jours qu'il pleut à verse je sens le moisi

manteau de la nuit frissonnant d'humidité les nuages piaffent

ma mère disait qu'il lui poussait des branchies quand il pleuvait fort

une phrase vient — d'un regard je la soupèse je compte ses pieds

dans combien de jours la pluie va-t-elle cesser une quarantaine

bancale souvent je l'abandonne à son sort de vain bavardage

il fait doux pourtant — juste l'odeur de l'automne et d'herbe mouillée

bruit de la vallée ce soir il est insistant le temps change-t-il ?

répit de la pluie le fracas de la vallée brise mon repos

les façades grises luisantes de longues pluies semblent se dissoudre

la nuit apaisée a repris son ancien rôle de point-virgule

dans le vieux Panier les commères aux fenêtres se traitent de putes assises sur leur pliant les veuves en noir approuvent

le train de nuit glisse sur des rails que j'imagine luisant sous la pluie

01 novembre 2018

31 octobre 2018

il se fait la belle — mais il est vite repris par les surveillants

la pluie tarde un peu mais dans le ciel en colère les nues se déchirent

98


je l’ai mis au lit — sans être vraiment d’accord il s’est endormi

plusieurs fois encore nos verres se sont vidés dans un grand silence

à travers le fenestron de l’étroite mezzanine je compte les hallebardes tomber sur midi

je titube un peu elle me suit dans la chambre titubant aussi et quand j'éteins la lumière elle a déjà pris ma place

sur mon ventre il pose son regard sur moi — je fonds comme un chocolat

je vais rêver d'elle — mon ombre qui le saura essuiera mon front

retour du silence — les tuiles ne claquent plus des dents sur le toit

novembre déjà — la tarente sous lampe ne s'en doute pas

odeur de la terre et de l'herbe détrempées sous l'auvent humide dans la nuit frileuse les carreaux de la terrasse timidement luisent

02 novembre 2018 là-haut rien ne change — les nuages sont collés sur un ciel sans joie

sous l'abri de bus j'attendais de la rejoindre et un rhume vint

mon chat est rentré accompagné d’une odeur d’automne et de pluie

les odeurs sont froides tranchantes comme la lame d'un poignard sanglant

ce vert tout ce vert qui envahit le jardin jusqu’à la nausée

la nuit est épaisse et noire comme un canal d'encre filandreuse

sur le bord du toit il interroge le vent juste après la pluie

mes os me le disent je sais qu'elle finira l'histoire sans fin

la fraicheur humide qui enveloppe l'auvent se perd sous mon pull

j'ai fini mon verre et il ne fait pas si froid je m'en sers un autre

nous irons plus loin que les vastes marécages et nous nous perdrons

mon ombre se dresse puis s'assoit sur une chaise et trinque avec moi

l'ivresse passée il faudra bien ramasser les éclats de rire

nous levons nos verres moi de l'avoir pour amie elle d'être une ombre 99


tous les soirs je tarde à croiser mes cauchemars au bord du sommeil alors je reste éveillé et je m'abrutis de rêves

il vient de rentrer couvert d'aiguilles de pin et d'odeurs de nuit au soleil de midi elles étendent leurs ailes frêles pâquerettes

every night I'm late to meet at the edge of sleep my awful nightmares I stay awake a long time and I am drowning in dreams

elles se referment et dans la fraicheur du soir rêvent d'une étoile

sans autre lumière que la lampe de l'auvent pour pouvoir écrire tous ces mots sans importance et éclairer mon chemin

un vieux promeneur laisse des traces luisantes sur le pré humide bernés par la pluie deux vers de terre enlacés sèchent sous l'auvent

elle avait mon cœur en bandoulière sur ses hanches et elle courait

déposés dans l'herbe ils ont laissé dans ma main des traces de boue

sur l'étroit plongeoir je me prépare au grand saut — y a-t-il de l'eau ?

la solitude est un état d'esprit une façon de ne plus voir le monde l'avoir connu en le sachant immonde et d'être loin de tous les malappris

on the diving board I am preparing to jump — is there some water?

la nuit son silence remplit mon corps du vacarme de mes acouphènes

03 novembre 2018

je suis batelier d'une barge au fond percé où se noient les mots

ce matin le ciel dans sa robe de nuages sentait la lavande

ce rêve est étrange il me semble si réel que j'en perds le souffle

dans la chambre tiède profitant de la pénombre il s’est rendormi

parfois il m'arrive de me souvenir des rêves d’une vie passée

silhouettes sombres contre le ciel de midi fantômes de bois

au fond de l'estuaire une plage sans lumière ensable nos corps

lentement il ouvre sur le monde dont il doute des yeux soupçonneux

100


je l'avais remplie à la citerne rouillée avant de partir

04 novembre 2018 j’ai un peu triché le ciel est plus gris que bleu dans mes yeux malades

mais c'était si bon que le goût importait peu et j'en buvais moins

on dirait qu’il dort mais sous ses paupières closes il critique Kant

je redescendais glissant sur les éboulis c'était mon bonheur

novembre et les chênes qui répugnent à l’automne toujours aussi verts

et à la colo quand je me pointait tout seul on me punissait

il pose sur moi un regard tellement flou que l’appareil tremble

pas de promenade mais je m’en foutais vraiment j’avais eu la mienne

le vent s'est levé il bâille dans les feuillages déjà endormis

autour de la lampe un frelon à pattes jaunes trouble la tarente

j'aimais la garrigue sous l'écrasante chaleur des étés d'enfant

novembre pourtant des frelons et des tarentes on en croise encore

une odeur de thym de laurier et de poussière collait à ma peau

05 novembre 2018

entre les cailloux des kermès cuisants rampaient pour chercher de l'ombre

un oiseau prend peur et s’élance vers les nues d’un ciel incolore

les pins étaient rares ils avançaient par bouquets dans les éboulis

est-il vulnérable lorsqu’ainsi il s’abandonne au sommeil profond

leur ombre brulante pleine d'odeur de résine coulait sur les pierres

le figuier comprend qu’il va traverser l’hiver nu et torturé

soufflant transpirant j'appuyais mon dos raidi sur l'écorce rouge

posé sur mon ventre il craint que je ne m’envole alors il s’accroche

de ma gourde pleine je buvais avide une eau au goût de ferraille

d’un petit murmure je peux rafraichir le front d’un enfant fiévreux

101


with a small whisper I can refresh the forehead of a feverish child

06 novembre 2018 la pluie de novembre assaille les toits glissants froide et incessante

sur la verrière une pluie fine tapote de ses doigts légers

chaleur de la lampe qui se perd dans son pelage en couches d’orange

il vient de sortir une brève et vive averse le fait hésiter

quelque fois le ciel d’un ricanement cruel nous promet l’espoir

puis il s'enhardit et s'enfonce dans la nuit et l'herbe mouillée

il n’est plus chaton mais il me prend pour sa mère avant de dormir

quand reviendra-t-il c'est toujours un grand mystère pour moi insoluble

encore une averse sur les dalles de l'allée couverte de mousse

par bonheur je sais qu'il ne va jamais très loin dans le grand jardin

au bout de la digue il l'a regardée figé piétiner ses rêves

il a dû trouver une tanière abritée dans laquelle il rêve

du grand paquebot il ne reste à l'horizon qu'un point sans réponse

comme tous les chats négligeant mon désarroi il pense à lui-même

je ne sais pas lire — tous les mots qu'elle écrivait étaient des énigmes

puis il rentrera quand je serai las d'attendre et serai couché

l'histoire fut brève quelques jour d'un seul été très vite oubliés

après ses croquettes il viendra alors trempé dormir contre moi

je n'aime pas exposer le fracas de mes défaites mais je n'ai pas de victoire à faire valoir

je pourrai ainsi m'agrippant à sa tendresse affronter mes ombres les nues se dispersent entre leurs blêmes contours glissent les étoiles

07 novembre 2018 feuilles toujours vertes — en profitant des averses l’automne se grime

puis la nuit s'apaise plus de vent de pluie de bruit mais le lourd silence 102


il en a assez il aimerait bien sortir sans mouiller ses pattes

quelques gouttes frappent les tuiles mal ajustées — bourdon de novembre

le ciel est si sale que les pies qui le traversent sont comme des taches

une veine noire pulse sur sa tempe raide — son cœur bat encore

ce regard dehors au travers de la fenêtre rayée par la pluie

enfant il rêvait aux merveilles de la vie — il ne rêve plus

la mélancolie dans le calme de la nuit larmoie doucement

le ciel en jachères — les étoiles oxydées pleurent la lumière

depuis tant de jours il attend au bord du quai que s'arrête un train

08 novembre 2018

posé sur le sol le sac de ses souvenirs ne pèse pas lourd

le ciel est rayé de multiples coups de sabre — il garde son calme

il n'a pas d'amis et sa famille le hait c'est un solitaire

plus jeune il portait un collier qui lui allait — mais il a grandi

il fuit son passé il n'a aucun avenir le présent lui pèse

des faux plis encore — pour le beau temps aujourd’hui on repassera

il attend un train qu'il ne prendra même pas un train vers l'orage

petite toilette avant d’aller sur son lit et faire la sieste

il est devenu fantôme dans cette gare oubliée du monde

au bord du chemin ont poussé des pâquerettes — le vent les salue

il hante les salles le ballast et les wagons qui rouillent sur place

je ne sais que faire de ma carcasse bouffie de mélancolie

un vieux lampadaire dans la nuit humide et froide qui tremble de brume

tantôt je la pose entre des mots mal écrits tantôt je l'arrose de larmes et de whisky j'essaie de gommer la nuit

des lombrics s'égarent sur la terrasse luisante de mauvaise pluie 103


quelquefois je sens son souffle tourner les pages fragiles du livre que je n'ai pas su écrire une vie d'hésitations

souper dans la nuit — sur la paillasse encombrée il n’hésite pas une étoile conte son histoire galactique aux arbres prudents

mais je l'aime bien elle me tient compagnie comme un feu de bois comme un chat sur les genoux quand l'hiver grogne dehors

le ciel se découvre la nuit épouse un vent tiède — un douillet novembre

tous deux sans gémir nous traversons immobiles le poids des saisons

au loin dans mes rêves les lumières transparentes du palais des fées

l'avoir pour compagne ce n'est pas de la souffrance c'est … je ne sais pas

elles brillent d'espoir il faut avoir l'âme noire pour ne pas les voir

les souvenirs vagues de mes sourires d'enfant puis la déchéance

en fermant les yeux je franchis le portail d'or et sa grille d'air

pas de nostalgie le temps passe et c'est la vie qui frôle la fin avec le rire ironique de celle qui a perdu

traversant la cour je marche sur des pavés de pure émeraude me voilà enfin au pied du dais de velours et de soie mêlés

sur la cheminée quelques pots d'étain lustrés puisent la lumière

souriante assise sur un trône en pain d'épice elle joint ses mains la reine des fées se lève et lentement lisse ses ailes de gaze

09 novembre 2018 combat de titans — le soleil prend l’avantage sur les nues fébriles

là je m'agenouille et pose mon front brûlant sur ses lèvres fraîches

un tour sur lui-même les doudous sont toujours là il peut se coucher

elle me redresse et plonge des crocs aigus dans mon cou pulsant

le chêne encor vert qui veille sur le vieux banc se rit de l’automne

je m'éveille brusque et vois dans ma main le sang d'un moustique énorme 104


au fond de l'abîme quand mon corps aura tiédi je dirai encore ces mots d'un été d'arômes qu'on a si mal entendu

le soleil tombait lentement sous la courbure de la mer immense je me le rappelle elle saisissait ma main et me souriait

pensif sous l'auvent la nuit me paraissait douce cet automne encore

elle la posait sur sa cuisse sèche et nue il faisait plus sombre

profondeur du noir que quelques étoiles le teintent d'éclairs minuscules

mes doigts lentement sans que je m'en aperçoive glissaient vers sa source alors nous allions à l'intérieur sur le lit mêler nos embruns

10 novembre 2018 le soleil se hisse au-dessus du ciel de zinc sans grand enthousiasme

le soleil caché avait laissé sur nos peaux l'écume des vagues

somnolence amère je viens de lui dérober une proie vivante

le ciel cette nuit garde entre ses nues le chant du cœur des pétales

dans le vieux figuier les grandes mains de l’automne commencent leur œuvre

une nuit d’automne sans ombre et claire pourtant sous l'auvent chantonne

vigie sur l’arête du toit il n’est descendu qu’à la nuit tombée

ah ces souvenirs qui se pressent à la porte de ma somnolence

les pieds sur la chaise posé en face de moi le temps se murmure

un rat de labo — je cours dans mon labyrinthe rongé de cancers

mes pensées oscillent sur les vagues qui berçaient le lent crépuscule

11 novembre 2018

une odeur de sel d'algue et de lumière rouge caressait nos yeux

un temps d’armistice — le bleu et le gris répondent la même défaite

assis sous l'auvent d'un modeste cabanon nous fixions l'horizon

un grand bol d’eau fraîche vite puisée à la source pour chasser les miasmes

105


pendant seize jours entre matin et midi vue sur Garlaban

12 novembre 2018 encore un matin où le ciel s’est défaussé de sa carte bleue

être au garde à vous en ce jour de l’armistice c’est de bonne guerre

il a eu la flemme de monter jusqu’à la chambre — resté au salon

une nuit de laine — il fait doux comme au printemps l'espérance en moins

les feuilles de chêne qui prennent part à la fête se parent de cuivre

couette de nuages — le ciel prend soin d’une terre glissant vers l'hiver

si de temps en temps il redresse un peu la tête c’est pour respirer

le ciel est opaque — quelques étoiles s’obstinent à rompre le charme

à l’autre bout de la terre c’est un beau jour de printemps ici l’automne s’incruste et la nuit patiente

doucement il bruine — une tiède humidité rampe sous l'auvent le ciel parait clair — il a pris la couleur nacrée d'une perle sombre

13 novembre 2018 l’horizon s’approche chaque matin un peu plus — ciel mélancolique

les arbres ont pris une posture guerrière — samouraïs de bois

quand il s’abandonne dans le sommeil sur mes cuisses je ne bouge plus

le vent s'est levé il a repoussé sa chaise et s'en va au loin

je marche à pas lents pour laisser aux pâquerettes le temps de s’ouvrir

nous marchions ensemble sur le chemin sans ornières et j'ai trébuché

pendant un moment le bleu du ciel a déteint sur les nues livides

le museau dans l'herbe je sentais l'odeur puissante de la solitude

il a retrouvé au dessus du radiateur son panier d’osier

we walked together on the road without a rut and then I stumbled

peu à peu novembre devient ce qu’il devait être un mois dans l’automne

muzzle in the grass I felt the powerful smell of the loneliness

106


ce bruit dans ma tête un torrent impétueux roulant des rochers

cil dans l’œil du ciel — le maquillage a coulé sur les cotons sales

au bord de l'abîme une humanité obèse compte ses deniers

sur la mezzanine là où il est à l’abri il reste aux aguets

novembre en roue libre — au pied du vieux cerisier un tapis de cuivre

le genévrier a pris une telle ampleur qu’il nargue l’automne

les fruits des épines qui fascinent les oiseaux tintent sur les feuilles

sur le banc de bois pause après la promenade il va s’endormir

après tant de pluie l'herbe est si verte et si drue que j'ai la nausée

dans mon vieux fauteuil je me conte des histoires à dormir debout

dans la haie d'épines les petits oiseaux se gardent des griffes du chat

au bord du cratère j'hésite encore un instant avant de sauter

sur le mont du nord un vieux fou sème ses rêves pour l'apocalypse

mes cendres s'envolent et des milliers d'escarbilles toussent dans le ciel

douceur de novembre — quand le gel était de mise j'étais un enfant

dans les turbulences un grand oiseau de lumière peu à peu prend forme

dans mes tripes la nuit complote on ne sait quel fatal désastre

le cœur rougeoyant dans la poitrine de flammes bat frappe et scintille

il neige des plumes tous les anges foudroyés ont laissé les leurs

les ailes se tendent entre les deux horizons sombre et lumineux

il reste prostré au milieu des ruines froides d'une nuit sans fin

des plumes de bronze s'agitent et virevoltent dans l'enfer de lave

la terre a vomi cendres et vagues ardentes de ses bouches mortes

l'oiseau gigantesque se dresse sur ses ergots et prend son envol

14 novembre 2018

battant l'air ses ailes éclatent comme un tonnerre dans l'orage sec 107


dans la nuit il grimpe jusqu'aux étoiles vaincues et il prend leur place

le jardin ne sait de quelle couleur farder le ciel et les nues

une bûche roule sur la braise incandescente je m'éveille alors

patient il attend que j’enfile mes chaussures pour la promenade

le verre m'échappe et glisse sur les carreaux je m'en sers un autre

à travers la vitre je le regardais s'enfuir le temps qui comptait

sous l'auvent reviennent ces étés quand je courais entre les arômes

je ne bougeais pas dans cette immobilité il fuyait moins vite

j'étais le captif d'une flamme d'allumette un fétu de cendre

la nuit me harcèle de mauvais rêves des dards à couper le souffle

la nuit de novembre — bercées de lumière rousse les étoiles bruissent

je revois ses yeux brillants comme de la houille deux poignards de jet

il est temps mon cœur d'oublier cette saison où nous geignions tant

l'auvent a fraichi le temps se met à l'automne — mes mains dans les poches

direction nord-ouest — dans la nuit déboussolée mon regard se brouille

un léger frisson — une pluie de feuilles mortes recouvre le banc

je ne pleure pas c'est juste ma souvenance qui rêve de pluie

je reste incrédule sur la carte de l'espoir le nord est absent

enfourchant un rêve j'ai traversé des pairies d'herbe empoisonnée

puisqu'il faut rêver je rêverai donc de vous et vos yeux de boue

15 novembre 2018

le vent soufflait fort mes yeux se sont embrumés au bout de la digue

les olives vertes sous la protection des chênes lentement murissent

la nuit est novembre — à l'ouest la lune se couche sur la grande ville

perdu dans le vague son regard a effleuré l’écho du mystère

night is November — far west the moon is setting on the big city 108


l'histoire s'achève aux trois points suspendus au cou de mes rêves

l'hiver vient d'un coup comme est survenu l'automne de ma vie bancale

16 novembre 2018

j'ai rêvé ma vie plus que je ne l'ai vécue et je me réveille

toc-toc c’est l’hiver qui vient frapper à la porte — le diable l’emporte !

malgré les lainages j'ai froid et mon cœur se gerce entre ses fissures

runes dans le ciel — poèmes venus du nord sur un bleu lavande

je rêve souvent de ma vie froissée passée d'un écueil à l'autre

vue aérienne du doux minou dans ses œuvres — le coussin consent

je m'assois parfois sur la berge monotone d'un fleuve d'espoir

la langue de braise ce soir lèche les collines comme un sucre d’orge

faut-il que je loue pour un repos éternel un lit de torrent

petit tour dehors il s’abreuve un long moment juste avant la sieste

17 novembre 2018

un cœur immature joue dans mon corps de vieillard un air équivoque

le ciel ce matin dès l’aube s’est teint d’étain — ah journée de plomb !

le ciel s'ennuage et peu à peu il dérobe leur chant aux étoiles

pas d’ombre marquée — au milieu des couleurs ternes il doute du monde

quand j'étais archange j'affrontais mes vieux démons avec un crayon

fin d’après midi — le ciel peu à peu se couvre d’une laine sale

musique de nuit cacophonie des étoiles en plein désaccord

pesant sur mes cuisses il dort depuis tant de temps que j’en oublie l’heure

l'espoir s'est noyé dans la tourbière glacée de ses idées noires

je me suis couvert et j'ai replié mon âme sous l'auvent frileux

quand viendra le jour il pourra couper les fleurs brûlées par le gel

dans ce corps usé mes pensées respirent mal étouffant mes rêves

109


traverser le gué j’aurais bien aimé le faire sans rompre mes os

petit déjeuner sur la paillasse encombrée de torchons humides

une sombre histoire que je lis entre les lignes de mes chairs pourries

peu à peu l’automne grignote les feuilles mortes qui encor résistent

je ris sous l'auvent puis seul je lève mon verre aux jours qu'il me reste

un peu impatient il attend que je le peigne pour aller dormir

souvenir d'été sous un auvent minuscule la nuit était douce

l'ivresse me gagne — dans les profondeurs du corps rit un scarabée

je repense à vous qui m'avez fait entrevoir les portes du ciel

souveraine et nue dans les pins échevelés la lune frissonne

ne plus y penser ce n'est pas si difficile mais je ne peux pas

ce soir il fait froid emmitouflé sous l'auvent je cherche mes mots

ou je ne veux pas cette volonté m'échappe et vous restez là

je rentre mon verre mon mégot ma solitude dans la pièce vide

dans le creux des songes un cadeau inespéré au bout de ma vie

première froidure qui m’éloigne de l'auvent — l’automne est plus triste

je vous laisse alors à vos espoirs de bonheur je ronge mes ailes

j'ai mal à mes rêves que le froid tient prisonniers de mes doigts de glace

soyez donc heureuse dans votre avenir d'espace et oubliez-moi

sur la plage de cendre le corps d'un rêve perdu gisant dans la nuit

le temps me tamise — je ne suis qu'un grain de sable perdu sur la dune

on the beach of ash the corpse of a lost dream lying in the night depuis les étoiles le froid tombe sur les feuilles qui meurent d’ennui

18 novembre 2018 le ciel ce matin s’est levé en sifflotant sur les carreaux froids

l'espoir tout à coup comme un glaçon dans un verre craque et se fissure 110


the hope suddenly like an ice cube in a glass cracks and falls apart

c'était un hiver quand le ciel était brillant mon cœur insouciant mais cet hiver-là ma trace était solitaire le long de l'estran

19 novembre 2018 le dieu des nuages confirme la trajectoire — direction nord-ouest

je suis remonté vers le seul café ouvert je me suis assis

il resterait bien sur le couvre-lit douillet — réveil difficile

j'ai passé commande d'un grand bol de larmes chaudes et d'un horizon

les couches d’hiver s’empilent dans les nuages — c’est le froid qui danse

je n'ai pas compris que je n'étais qu'une étape pour son seul périple

sur la tiédeur douce de son coussin préféré il rêve d’été

20 novembre 2018

l’automne est vaincu — subitement la banquise lamine mes os

le soleil se lève dans les feuilles métalliques d’un journal d’automne

au bord de la mer je marche en frôlant les vagues et le sel d'hiver

qu’aurait-il trouvé qu’il n’aurait pas découvert avant la balade

dans un autre temps la solitude du sable brisait ma tristesse

requiem d’automne — sur les feuilles qui se meurent le bruit de la pluie

la plage déserte et l'inquiétude des vagues apaisaient mes nerfs

sous les yeux fermés juste un bout de langue rose — note en noir et blanc

engoncé de laine sous la ouate des nuages je narguais l'hiver

j'écoute la pluie qui gifle les feuilles mortes musique cruelle

je pensais galets et rêvais de ricochets j'oubliais un peu

le vent se rapproche il s'agite sous l'auvent et me jette un sort

nous avions laissé nos empreintes parallèles dans le sable humide

la lune égarée teinte le ciel de nuages d'un rose lugubre

111


la pluie sans violence couvre les bruits de la route — j’écoute l’automne

douceur de l'automne à peine si l'on entend gémir le feuillage

verrière percée un filet d'eau insidieux qui frappe à la porte

un novembre tiède parfum de la pluie cessée dans la nuit paisible

le chat est rentré — avec une odeur de pluie il court se coucher

murmures lointains d'une ville qui s'endort son âme apaisée

j'avais attendu sous un petit parapluie qu'elle me rejoigne

au fond des impasses personne ne s'aventure que la nuit discrète

la pluie était douce même en ce mois de novembre de platanes nus

des lambeaux de brume de hasardent dans les cimes des arbres frileux

je l'ai embrassée sous ce minuscule abri nous avons marché

j'ai posé ma veste sur le dossier de la chaise où pèsent mes rêves

nous sommes entrés dans le hall d'un cinéma c'était Love Story

voyez-vous le ciel qui dévore les étoiles — je vois un navire aux larges voiles tendues sur une mer de lumière

21 novembre 2018

entre les nuages la constellation de l'ange apparaît enfin ses grandes ailes ployées et la tête qui chancelle

l’arc-en-ciel s’élance pour couronner Garlaban — un pin l’en empêche je suis bien trop lent pour arriver à capter ses subtilités

signe des étoiles ou vision de mon esprit la constellation est le guide de mes rêves dans la nuit incandescente

je mets dans mes verres citronnier et un cactus sans bouger de place les feux de l’amour ne semblent pas perturber le sommeil du chat

Dans cent millions d'années on trouvera des traces du passage de l'homme mais qui sera ce "on" ?

c’était un dimanche dans le parc des enfants rient et elle est passée

22 novembre 2018

112


un œil de lumière entre les nues menaçantes — le ciel en sursis

entre deux sanglots j'ai commandé des croissants pour les éponger

un brin de toilette avant de pouvoir poser son tas de fatigue

des cafés encore et elle reprenait pied dans l’alcôve tiède

pilier du portail — une tourterelle hautaine remplace le lion

je l'ai ramenée tout doucement à sa porte et je l'ai laissée

cette fois ça y est il s’est très bien endormi pour de longues heures

je m'en suis allé comment pouvais-je lui dire qu'elle me tuait

un voile de soie qui tamise sa lumière et la lune danse

23 novembre 2018 il pleut ce matin — une pluie si paresseuse que les flaques rient

l'espoir émietté — des graines de tournesol lancées aux pigeons

mon sphinx d’étagère s’est réveillé en sursaut quand je suis passé

douce et silencieuse cette nuit enchanteresse apaise mon cœur

le figuier résiste à la charge de la pluie — il rouille pourtant

la lanterne oscille les ombres alors sont prises d'un muet fou-rire

à quoi rêve-t-il dans le flou de sa torpeur — c’est un gros bébé

nous avons marché dans la ville illuminée jusqu'à l'aube pâle

chat et moi tristesse — les feuilles ploient sous la pluie et nous sous les ans

dans le premier bar nous nous sommes étalés sur la moleskine

lentement il glisse dans l’abîme de l’oubli — auvent des arômes

devant un café elle a fini son histoire et je l'écoutais

les bruits de la route comme une marée furieuse montent sous l'auvent

son chagrin d'amour sa détresse sa tristesse tout y est passé

uniformément les nues recouvrent le ciel et mon âme grise

il l'avait plaquée elle a dit que j'étais seul à pouvoir l'entendre 113


vie à la dérive je ne sais comment barrer la mélancolie

la pluie s'impatiente elle gonfle dans le ciel et soudain éclate

entre les averses les battements de mon cœur des coups de tonnerre

la voila qui tombe une ruée de criquets humide et glacée

une nuit blafarde soumise aux haillons de brume coule sur les murs

tombereau de pierres qui déboule dans le ciel collines meurtries

elle avait mon âge ou un peu plus jeune à peine dans la même classe nos regards se sont croisés s'en était fini de moi

enfant il le fut mais déjà vieux avant l'âge il perd la mémoire

j'étais pétrifié jamais je n'ai pu lui dire ce que j'espérais de ses yeux de nuit profonde et son sourire de sainte

brume de novembre — tu repousses les volets tu frottes tes yeux

24 novembre 2018

mist in November — you push the window shutters and you rub your eyes

j'aurais bien voulu qu'elle fasse un premier pas un geste vers moi mais elle restait lointaine et son regard me perçait

une gaze fine divague entre les collines — bâillement d’automne

ainsi passa l'an les saisons et les semaines d'un mutique élan que jamais je n'ai su prendre et qui maintenant me blesse

retour au fauteuil une petite toilette pour veiller sur moi un ciel sans couleur sans espoir et sans courage couvre la vallée

assis et pensif vieillard de longue mémoire il conte en silence

les petits nuages ont tenté de s’évader de leur prison grise

il connais la fin de cette histoire inutile qu'a été sa vie

regard dans le vague ou dans son monde intérieur — je ne saurais dire

du fond de la nuit qui accompagne les rêves le tonnerre gronde

dans mon vieux fauteuil la lampe veille sur nous — je m'égare en moi

l'orage s'approche tous les arbres du jardin retiennent leur souffle 114


j'ai perdu le fil d'une pensée cabossée mon esprit cahote

c'était un été ce n'en fut qu'un seul pourtant mais c'est sans regret que nous nous sommes quittés sur le bord du souvenir

l'ordre et le désordre s'emmêlent puis se démêlent dans ma tête floue

25 novembre 2018

écoute mon cœur qui bat qui vient et s'en va qui bégaie parfois

des lames d’argent coupent des tranches de ciel au goût bien glacé

la nuit de novembre — elle glisse sous la porte son fardeau humide

il a l’air soucieux mais c’est un grand comédien qui cache son rire

dans le grand salon les silences vont et viennent — qui les comprendra

pas sorti ce soir alors un air de dedans pour garder le rythme

le ronron du poêle répond à mes acouphènes — inquiétant silence

position d’attente il surveille bien la brosse — peur que la range

fermant le volet je vois la lune embrumée me faire un clin d'œil

le vent est tombé sur le jardin de pénombre — les feuilles se taisent

nous nous étendions sur la berge immaculée dans nos nudités en plein soleil de midi l'été était notre otage

silence intérieur — les tremblements de mes doigts, sons imperceptibles peu à peu les feuilles ont parsemé le vieux banc sans couvrir ma place

sur les rives lentes du petit ruisseau d'argent nos pensées coquines qui crissaient comme le sable d'une plage des tropiques

les brèves journées avec si peu de lumière — tristesse des soirs

nous nous observions sous le coin de nos sourires et nous attendions les papillons de son ventre se sont posés sur ma branche

fraicheur de la nuit elle incommoderait presque la mélancolie je ne voudrais pas me laisser séduire encore par la fée mensonge

c’était un accroc la parenthèse magique dans nos vie réglées comme un papier à musique et les heures de repas

j'ai souvent dormi là où j'étais malvenu — le champ des sirènes

115


cortège de nues où conduisez-vous la lune dans les cris du vent

il n'était pas tard mais nous avions bien trop bu pour prendre la route

les bras du fauteuil où je cultive mes rêves sont glacés ce soir

près des Catalans au début de la Corniche un hôtel sans mine un hôtel pour les amants clandestins sans papiers

j'ai fermé la porte aux rafales sinueuses qui giflent l'auvent

la chambre sans charme ouvrait sur la mer le port et au loin les îles

c'est un vent d'hiver chargé de glace et de griffes un vent hors saison

la fenêtre ouverte nous avons fait un amour incommensurable dans l'odeur du sel d'hiver et la musique des vagues

grignotée la lune par le vent et la nuit froide ne se défend plus je reste prostré en compagnie du silence et le bruit du sang

j'ai prié le vent de faire le tour du monde sans me décoiffer

elle n'aimait pas cette allure de rêveur qui m'allait pourtant elle criait 'au menteur' que je trompais tout le monde

un sursaut de vent — sous l'auvent les feuilles mortes grattent à la porte dans le vieux fauteuil sous la lampe paresseuse j'embrasse la nuit

j'avais beau lui dire que je rêvais tout le temps que j'étais ainsi que la vie sans rêve était une impossibilité

26 novembre 2018 là entre les arbres se plaçant en embuscade — nuages sournois

elle n'en croyait rien me harcelait de questions sur leur profondeur leur épaisseur leur couleur mais que pouvais-je répondre

assis sur la table avant que je ne le brosse — sa moue de dédain

les jours et les nuits devenaient insupportables quand je m'aperçus qu'elle aussi était un rêve faisandé un cauchemar

avant de partir le soleil incandescent salue le jardin filé rotatif — vitesse lente ou rapide ça dépend pour qui

rugir dans les branches qui se vrillent de frayeur comme un lion en rut

116


il s'est endormi comme un vieux chat fatigué à bout de mémoire

on lui avait dit de prendre le dernier train sur le dernier quai mais ils se ressemblent tous du même gris uniforme

la lune papote et la nuit lisse les plumes des chats dans le ciel

dans le hall désert personne à qui demander pas une âme morte qui pourrait lui faire un signe seulement des courants d'air

vautré sous la lampe d'un doigt hésitant je tape encore un tercet encor quelques gouttes dans le fond du dernier verre qui en doute encore

il prends sa valise en hésitant malgré tout se tient sur le bord du premier quai qu'il devine à travers la brume froide

battre les volets ça l'hiver sait bien le faire et on s'y croirait

27 novembre 2018

saute sur la voie et s'assoit entre les rails alors il attend qu'un train n'importe quel train le prenne en pleine poitrine

le vent qui balaie à la porte du soleil me gèle les pieds

un hachoir d'argent découpe le ciel transi en éclats de givre

grasse matinée — lentement il se réveille sur mon coussin rouge

le vent s'est calmé il a laissé sa colère pourrir dans le froid

cette étrange lune qui roule au-dessus des arbres sans jamais faiblir

pays des sirènes les vagues sont trop salées pour ma langue tiède

position bizarre mais qui demande à un chat de se bien tenir

un petit fanal une lueur chancelante flotte à ma surface

la route fut longue mais presqu'arrivé au bout on la trouve brève

je suis océan vaste étendue de néant et de nuit épaisse

dans le hall glacial il pose un petit bagage sur le sol glissant et d'un regard somnambule il cherche le dernier quai

les fées sont assises tout autour d'un être étrange un glaçon ardent que faire de lui de curiosité leurs ailes frissonnent et luisent 117


si elles tentaient il pourrait très bien le faire réchauffer leur thé

douce souvenance des pauses sur le vieux banc après le verger

28 novembre 2018

le vent s'est perdu dans les chemins de traverse et je l'ai suivi

le soleil élève sa splendeur sur les collines battues par le vent

au-dessus des chênes le chant furtif des étoiles pour les feuilles mortes

il se fout de tout des déserts et des famines là sur son coussin

j'étais bien trop vieux pour cette histoire rebelle — j'ai claqué le livre

un petit montage pour voir la lune en plein jour ça me fait sourire

il pleuvait si fort elle n'a pas vu mes larmes quand elle est partie

parfois il s’éveille mais le plus souvent il est dans des limbes tièdes

dans le salon tiède je regarde la télé éteinte et j'ai froid

dernières lueurs d’une trop vieille chandelle — repos de la nuit

il pleure de joie ou de tristesse on ne sait — le clown sans lumière

un vieux chien malade — le vent s'est couché au pied de la nostalgie

il gratte le sel de ses ongles malhabiles sur ses joues sans fard

sur la table un livre une feuille et un stylo — désordre des mots

29 novembre 2018

la nuit doucement chantonne d’une voix froide pour les ombres blêmes

filaments de laine — le ciel avec prévoyance se tricote un pull

le rêve était grand des crêtes d'espoir pulsaient sur l’estran désert

debout sur la table sur laquelle il a dormi — réveil difficile

j'ai compté les nuits et les jours et les semaines jusqu'à l'abandon

j’ai éternué le monde alors a dansé du sol au plafond

j'oublie les années qui me pèsent sur l'esquine — j'avais dix sept ans

il va faire fuir à l’affût sur la terrasse un vol d’étourneaux

118


au fond de mes tripes comme un arbre solitaire l’hiver prend racine

de longs bois flottés nous avons fait notre havre et passé l'hiver

j'admirais le prince des crapauds qui regardait une libellule

nous mangions le sel qui collait à nos écailles et buvions la brume

posée sur son nez on aurait dit une fée sur son destrier

le gel et le vent courraient sur nos os de laine nous étions au chaud

au bord de l'étang moucheron inoffensif je craignait sa langue

l'été revenu nous avons repris nos corps de touriste ingrat

quand une rainette furtive vint dans mon dos m'avalant tout cru

j'ai toqué la porte mais personne n'a ouvert j'ai poussé la porte et la terre de ma tombe a comblé mon corps putride

le poète mange sa plume il ne restait qu'elle pour calmer sa faim une étrange histoire celle de mes souliers qui se mêlent de tout

30 novembre 2018 un ciel hésitant le soleil pousse la couette maintenant il pleut

au bord de la nuit la lenteur du crépuscule échange son or

somnolence lente — mais cependant il est vif pour chasser croquettes

nous étions des ombres qui lentement sans passion passions en décembre

est-ce bien l’automne avec le vert des cyprès et des oliviers

j'avais mon sourire encore au bout de sa langue et je l'ai apprise

combien de douceur dans ce regard qui franchit l’huis de mon regard

quand viendra la nuit d'ouvrir le livre de contes je n'aurais plus d'ancre

la soirée me pèse — cette barre sur le front comme une prison

un vaisseau d'argent vapeur de bric et de broc vient frôler la lune

là dans l'embrasure un petit rêve innocent tente une sortie

mêlant nos embruns nous roulions comme des vagues sur la mer de sable 119


je les tiens au chaud toutes les belles pensées que l'on m'a offertes

au bord du sommeil la nuit a repris sa place de douce compagne

cinquante ans déjà et on se secoue un peu — tenir la distance

le chant de la pluie sur les tuiles mal scellées frêle somnolence

par le fenestron la nuit tente une percée — j'ai ma lampe torche -

peu à peu la nuit glisse dans l'humidité des âmes frileuses

éclair de génie

toutes les histoires ont commencé dans la fièvre et fini glacées

sur le banc humide songeur je me suis assis saluant les feuilles

le vieillard ermite qu'hébergent les roches froides rêvait d’un été

elle allait légère dans son sillage luisait un doux parfum d'elle

elle était si belle avant qu'un sort ne la change en froide gorgone

cette brume froide qui se pose sur les pierres — soir de cimetière

le vent était froid quand j'ai couvert la banquise de baisers ardents

en suivant ses traces il avait atteint la source — elle était tarie

01 décembre 2018

je chantais au vin au soir qui tombe en automne aux amours défuntes

elle part du cèdre pour un vol dans le ciel pur l’ombre tourterelle

ce soir je suis ivre libéré de mon angoisse libre de rêver

nous nous réveillons il attend que je me lève — odeur du café

je nourris ainsi les deux crabes venimeux qui rongent ma fin

l’automne promène sa mélancolie amère dans les branches mortes

je suis fatigué de prendre soin de mon corps — pour ce qu'il m'en reste

il avait trop faim j’ai pris soin de sa coiffure pendant qu’il mangeait

je veux être ivre et si demain la douleur m'arrache la tête au moins j'aurais été libre pendant un instant fugace

des miettes de jours luisent encore dans l’herbe — un don de la pluie

120


02 décembre 2018

ils semblent figés réfugiés l'un contre l'autre comme une statue leurs vêtements dégoulinent d'une humidité salée

lumière dissoute dans l’enfer froid des nuages — je respire à peine il entrouvre un œil quand je bouge pour me lever puis reprend la pose

un grand bateau blanc vient se ranger tout près d'eux luisant de lumière je sors du bar je m'approche je m'arrête à leur hauteur

à l’abri des chênes les premières feuilles rousses soignent leur teinture

d'un coup de couteau rapide je les égorge et je jette à l'eau un passé sans avenir qui jamais ne s'est passé

début de la nuit dans un moment il viendra à côté de moi un froid crépuscule pointe ses rayons noircis au fond de mes yeux

l'eau grasse du port a englouti nos deux corps je revois encore le sang giclant de nos gorges pendant que je l'oubliais

dans le soir silence je déchiffre les cahots de mon cœur boiteux

il faisait si doux l'auvent était mon complice — je pensais à elle

assis sur un banc en haut de l'entrée du port la chanson des vagues

03 décembre 2018

épaisse tristesse d'une brume presque tiède posée sur mes yeux

le ciel embrasé de long filaments blanchâtres le jour bâille encore

dans un petit bar et le tumulte du port j'avale un café et un croissant en vitesse regard rivé vers le quai

sur le coussin rouge doucement il se réveille en bâillant aussi quelquefois l’automne se maquille de lumière se coiffe en printemps

la salle enfumée et moite mes yeux traversent la vitre graisseuse les palabres des dockers couvrent un peu mes pensées

un effet de nuit sur les taches du pelage le blanc paraît sombre

la salle se vide quand les chalutiers accostent sur le quai d'en face seul un couple d'amoureux patiente dans le brouillard

sous le crépuscule se cache l’âme assombrie d’une nuit d’automne

121


dans l'étroit silence se glisse furtivement l'envie de rêver

à l'ombre des étoiles s'épanouit un palmier sous lequel je rêve

les joueurs assis autour de la table immense ont posé leur mise

un petit vent frais pour tempérer la tiédeur de dessous l'auvent

le croupier cupide d'un geste ample et précis les attire à lui

sa peau d'abricot ses seins de pomme reinettes — le goût m’est resté

d'un coup d’œil il compte et les fourre dans ses poches ses yeux étincellent

sa robe écarlate sa démarche dans le sable m'ont fait chavirer

il manque une mise celle de l'ange là-bas en face de lui

j'ai cherché les rames et à retrouver mon souffle dans l'été d’arôme

qui sourit des ailes et qui attend sans mot dire que l'orage approche

04 décembre 2018 matin de décembre le ciel pourrait être bleu — il est juste là

d'un bond le croupier déjà traverse la table glissant jusqu'à l'intrus

il cache ses yeux pour ne plus voir la lumière de ses escapades

de son regard noir qu'il plonge jusque dans l’âme il le prend au col

sait-il où il va et qu'il bat d'un rythme faux mon cœur en désordre

alors l'angelo on ne verse plus au pot pour sauver sa mort

au mois de décembre j'ai cueilli dans le verger un grand désespoir

très calmement l'ange lui rétorque d'une voix à peine soufflée

je ne rêve plus tout ce que la nuit sait faire c'est des cauchemars

je serai la banque désormais tu n'es plus rien que cendre et vapeur

je cherchais un livre sur l'étagère du ciel un livre de nues

sur la table il reste un peu de cendre fumante et l'odeur du soufre

c'était une nuit froide pleine du murmure des ombres dissoutes

sans la moindre hâte de dessous son aile il tire un cigare et l'allume 122


une nuit salée on sent à peine le vent que la mer traverse

laissant leur cornette les fourmis en mal d’amour quittent le couvent

je sens sa caresse ses doigts gluants et glacés sa caresse immonde

décembre insouciant — l’automne s’est installé dans le pré fleuri

elle ouvre ma bouche elle glisse entre mes lèvres sa langue visqueuse

il sort de la sieste et s’étire longuement avant la toilette

sa peau de cadavre mêle à ma transpiration une odeur de cave

la barque tanguait roulait mais tenait toujours cap vers l'horizon

l'effroi me tisonne mais je ne peux pas bouger et son corps ondule

il aurait suffi d'une vague un peu plus forte pour qu'elle chavire

ses bras m'emprisonnent me pressent contre ses seins et son ventre flasques

mais le timonier maintenait ferme la barre dans les embruns froids

elle me vomit une bile aigre et amère au fond de la gorge

les rameurs souquaient à la limite des forces de leurs bras puissants

mon corps m'abandonne je ne peux plus me tenir et j'éclate en elle

le vent d'ouragan s'acharnait sur leur visage ruisselant de sel

et tout se dissout je viens de faire l'amour l'amour à la mort

ils faisaient un mètre mais ils reculaient de deux entre les rafales d'un coup la tempête se calme quand le bambin cesse de souffler

05 décembre 2018 un matin d’hiver dans un ciel de cristal bleu tintent les glaçons

il part en riant et enfin la feuille morte peut passer la flaque

le sphinx d’étagère me pose toujours la même énigme insoluble

la nuit est tentante sous le fanal de l'auvent je pars en voyage

c’était en été il pleuvait sur mon visage — l’orage était beau

the night is tempting and under the roof lantern I take a journey 123


je suis une étoile là dans la constellation qu'a créé un ange

mélange de cris et de sanglots venimeux de verres brisés

I follow a star here in the constellation built by an angel

les mots volaient bas mais nous relevions la tête et les cris pleuvaient

elle me soulève loin au delà de mes rêves et mes souvenirs

il était bien temps que la désolation cesse j'ai baissé les bras

and it lifts me up far and far beyond my dreams and my memories

et de Pulp Fiction nous sommes allés pleurer Ghost dans un ciné

06 décembre 2018

07 décembre 2018

le long de la haie le soleil inonde d’or le jardin d’automne

lever de soleil dans un ciel couvert de brume — sombre est la lumière

il dort et qu’importe les petits bruits que je fais à côté de lui

à côté de moi — satisfaction de le voir dormir apaisé

dans le petit bois l’automne reste à la porte — parfum d’herbe folle

couleurs de l’automne qui enlumine les feuilles de mélancolie

un léger sursaut curieux il dresse la tête puis il se rendort

surpris par un songe, il essaie de l’enfermer en fermant les yeux

l’automne chantonne il prend des airs de printemps de danse légère

j’ai ouvert les bras et seul un grand courant d’air s’est jeté dedans

il faisait trop chaud le temps était à l'orage et nos cœurs aussi

c'était le printemps au temps des coquelicots j'étais impatient

c'était le moment où la corde tendue casse de trop de colère

le pollen dansait dans la lumière timide qui frôlait les arbres

quand elle a rompu nous avons sombré tous deux dans notre rancœur

assis sur le banc où je rêvassais souvent j'égrappais le temps

124


la page marquée par une feuille de chêne je posais mon livre "Baltique" de Tranströmer qu'il faudrait que je reprenne

dans un livre j'ai trouvé une feuille de ginkgo encore plus desséchée que mon souvenir le chant des étoiles vient à moi comme l'écho d'un cri de douleur

des papillons jaunes caressaient les pâquerettes et les pissenlits

il pleuvait si fort l'orage était dans ma tête — la porte a claqué

le bourdonnement diffus des petites mouches m'agaçait un peu

je n'étais personne et me voilà moins que rien au seuil du néant

mais je somnolais et je me suis allongé sur les lames raides

08 décembre 2018

elle ne vint pas et je m'en moquai pourtant tant j'avais rêvé que j'attendais sur un banc dans les parfums du printemps

le soleil s’élève — une sorte de phénix l’extrait des ténèbres les jours se ressemblent je suis toujours envoûté par son existence

la nuit silencieuse écoute le vent qui froisse la jupe des arbres

l'ombre atteint l'auvent elle s'affale épuisée sous la lampe pâle

c'était un dimanche dans une boum de garage je m'emmerdais ferme elle a posé son béret et elle m'a embrassé

le vent est entré par les larmes de mes yeux dans les plis du crâne

elle sentait bon la fraise et le chèvrefeuille un parfum d'ado

bal de fin d'année les premières feuilles mortes dansent dans le vent

je savais rêver je n'ai jamais su parler quand il faut le faire

dans l'indifférence de son regard je lisais mon peu d'épaisseur

j'étais un idiot cœur battant gorge nouée j'ai choisi la fuite

des fruits venimeux puaient sur les arbres morts d'une terre usée

le poêle murmure dans mon dos je suis certain qu'il médit de moi

toutes ces années à butiner j'ai mangé ma part de pain blanc

125


frôler le désastre et ne rien en retirer qu'un nouveau désastre

elle prend sa main et l'entraine dans la cendre qui se mêle au vin

en y repensant parfois mon cœur joue encore à saute mouton

et tout devient sang dans l'auberge qui s'enflamme au feu des étoiles

une vapeur noire ondule dans la lumière de mes yeux rougis

serrés l’un à l’autre ils dansent jusqu’au matin au dessus des braises

09 décembre 2018

une aube se lève sur la charpente fumante et les cendres froides

entre les nuages on dirait qu’une hirondelle essaie de s’enfuir

il est temps pour eux de reprendre leur chemin de lourde poussière

reflet de lumière dans son œil de chat blasé — dehors ou dedans ?

reprendre la route laisser loin derrière soi l'ombre et le passé

armé de kleenex et de tisanes brulantes j'affronte l'auvent

un soir de décembre il y a déjà longtemps sa peau d'abricot frôlait mes mains maladroites mon cœur garde le noyau

le vent insolent a chassé les feuilles mortes jusque sous la porte

le porche timide m'a permis de l'embrasser de voir dans ses yeux une flamme incandescente et un désir de caresses

il ne fait pas froid l'automne s'est épuisé a bridé l'hiver venus d'un nord improbable les colonnes de nuages installent leur campement dans un ciel soumis

sur son lit étroit nous nous sommes étendus et nos vêtements ont volé aux quatre coins d'un univers d'aventure

sur la route sombre une auberge sans lumière s'ouvre au désespoir il s'assoit à table on lui sert un vin suri et des os de chien

nous avons cueilli les premiers fruits de nos corps notre adolescence se terminait dans la joie de son parfum d'abricot

devant l'âtre froid devant la braise épuisé danse une gitane

10 décembre 2018

126


dans mon vieux fauteuil patiné par tant d'années je distrais mes rêves

un petit nuage qui se cramponne aux collines résiste au mistral

j'étais un petit navire que l'appétit d'océan et de caresses du sel tenaillait sans cesse

la démarche fière sur la table du salon il cherche sa place violence du vent entre les branches sans sève il cri sa colère

juste après la pluie je sautais de flaque en flaque en riant très fort ce temps est bien révolu maintenant je les contourne

quand l'hiver frappait la rue fontaine des vents portait bien son nom

il pleut sur ma vie même quand il fait soleil j'ai les yeux humides

des lames de glace — le vent qui vient des collines hache la vallée

au bord de la mer sur le sable de la plage nous comptions les vagues

une feuille morte ou une branche pourrie peut cacher la lune

c'était au printemps juste avant que ne surgisse l'été des touristes

j'ai eu mal parfois mais je ne peux oublier que j'ai fait souffrir

quelques ricochets et le galet s'enfonçait avec nos espoirs

peu à peu en moi la vie se recroqueville et ses digues craquent

nous étions amis c'est ce que nous nous disions en mentant un peu

j'écoutais le vieux qui racontait les histoires que j'avais vécues

c'était le printemps mais l'été ne vint jamais et le sable crisse

si le vent s'apaise il a laissé sous l'auvent sa mixture froide

11 décembre 2018

12 décembre 2018

lever matinal — le soleil entre les arbres s’étirait encore

ils percent les nues pour l’instant sans grand dommage pour le vent du nord

à côté de moi il s’est endormi gardant la queue dans les yeux

est-ce une quenelle qu’il fait pendant qu’il se lave ou sa gymnastique

127


au bord du ruisseau sous un petit coin à l'ombre nous comptions nos pores

quand le jour se lève mon cœur se remet à battre comme par miracle

nus dans la douceur d'une soirée de juillet nos mains s'emmêlaient

les moineaux ont froid je voudrais bien les couvrir de chaudes pensées

elles suivaient l'ordre erratique de nos creux et nos rondeurs

13 décembre 2018 une serpillière à la propreté douteuse macule le ciel

nous faisions l'amour sous le voile des étoiles sans doute jalouses

sur le coussin rouge lentement il se réveille d’une nuit troublée

puis nous rentrions dans la fraicheur de la chambre éclaircir le monde

dans la nuit brumeuse la silhouette des pins mime leur fantôme

c'était un grand chêne qui ombrageait la clairière du pays des fées

il rêvait de vous même dans les nuits sans rêve il rêvait de vous

puis un grand vacarme résonna dans la forêt — l'arbre était tombé

blotties près du feu les filles de réconfort pansent leurs blessures avant de monter en chambre ou rejoindre l'écurie

sous de grosses pierres alors les fées s'enterrèrent avant de mourir un soir de septembre on peut les voir qui renaissent dans un vol d'aludes

dans la vieille auberge dans l'odeur du riz trop cuit et des fumées grasses les notes d'un shamisen interrompent le vacarme

sur le bord du gouffre je ne ferai pas ce pas même dans la nuit

le joueur de luth se met alors à chanter un conte connu de porte la nuit de femme de mari et d'assassin

le ciel s'est couvert la constellation de l'ange glisse entre mes mains je me sens si vieux que même mes souvenirs sentent la lavande

on y voit des ombres qui progressent dans la brume et la bruine froide tout le monde écoute l'homme à la voix de chemin creux

la nuit de décembre se vêt d’une robe froide et s’en va valser 128


il ouvre la porte alors entrent dans l'auberge de blêmes fantômes qui s'assoient sur les genoux des voyageurs sidérés

tous les spaghetti glissaient sur mon pantalon et sur mon veston il fallait voir la couleur de ma plus belle chemise

peu à peu ils prennent la forme de ces derniers et il les remplacent en écoutant les histoires du shamisen magicien

en face de moi elle est prise d'un fou-rire énorme et bruyant elle s'est presque étranglée en regardant mon état

dans la nuit ils sortent et s'égaillent dans le froid puis sous chaque porte de ce village endormi ils glissent un cauchemar

deux serveurs s'empressent de réparer les dégâts avec leur serviette sur la nappe et sur la moquette mais je ne savais que faire

qui s'en souviendra c'est ainsi toutes les nuits quand l'orage gronde sur les bambous qui fléchissent et les susukis craintifs

au bout d'un moment je finis par détacher de mes vêtements les brins de pâtes gluants et la bolognaise grasse

sur sa barque instable Charon compte sa monnaie — on le paie bien peu

j'étais si honteux que j'ai manqué oublier de payer la note et celle-ci a été bien plus salée que la sauce

je marchais dans la garrigue le romarin et le thym précédaient ma promenade — jardin des arômes

nous sommes partis et nous n'avions même pas pu boire un seul verre de ce Chianti si délicieux que l'on m'avait tant vanté

14 décembre 2018

et rentrés chez moi j'ai changé de vêtements je nous ai servi deux grands pur malt cacahuètes et j'ai ouvert une boîte

le ciel se craquelle comme une vieille faïence dans un vieux grenier il ouvre les yeux déjà très préoccupé des fracas du monde

frissons sous l'auvent il a gelé cette nuit — whisky sans glaçons

je voulais montrer comment on mange les pâtes avec la cuillère et je m'y suis si bien pris que j'ai renversé l'assiette

les arbres figés semblent retenir leur souffle dans la nuit glaciale

129


pas un seul murmure la nuit absorbe les bruits comme un jour de neige

toc-toc c'est l'hiver qui vient frapper à nos portes couvrons bien nos cœurs

poinçon dans l'oreille il charcute ma cervelle — besoin de crier

la glace a fondu dans l'abreuvoir des oiseaux — un don du soleil

où va-t-il le temps sautant de fil en aiguille sur un grain de sable

j'aurai bien aimé être un homme véritable — je reste un enfant portant depuis si longtemps un fardeau mélancolique

j'ai perdu le nord et mêm’ la rose des vents tant j'étais à l'ouest

il me reste encor de l'existence imparfaite à passer l'hiver

des étoiles brillent rouges des éclats du verre brisé dans ma paume

quelques moucherons tournant autour de la lampe apprennent à vivre

un verre en colère je l'avais serré si fort qu'il a éclaté

je fixe la led rouge et la télé éteinte — je vois le silence

restent à présent seulement des cicatrices mais je me souviens

pure poésie — elle naît dans les murmures de l'hésitation

tout ce sang versé qui se mélangeant au vin coulait sur la table

quel joyeux suicide un moucheron s'est noyé dans du single malt

c’était le tribut comme un sacrifice intime aux serments foulés

au bout de la vie il n'y a pas de chemin pour aller plus loin

15 décembre 2018

nous avions usé tout notre temps de parole — l’affaire était close

le ciel est figé seuls quelques petits nuages échappent au froid

16 décembre 2018

rester au dehors juste le temps nécessaire et après dormir

la pluie insistante triche en rebattant les cartes — même jeu minable

je passe mon doigt sur la plaie mal refermée elle saigne encore

130


il n’a même pas essayé d’ouvrir un œil — il connait le monde

il pleuvait sur l'herbe et je chantais dans les flaques — j'étais amoureux la brume du soir se lamente entre les arbres — un triste silence

j'écoute la pluie qui tristement me rappelle un amour d'automne

les feuilles scintillent dans la lueur de l'auvent — paix après la pluie

il y a longtemps que les histoires anciennes étaient enterrées

au lointain le vent — le bruit d'un train qui traverse la nuit sans étoile

mais goutte après goutte ce soir elles me reviennent dans ces flaques sales qu'elles remplissent sans joie en faisant des ronds dans l'eau

17 décembre 2018 sculpteur de nuages le vent façonne leurs plumes jusqu’à l’étincelle

elles s'entremêlent tissent entre elles des liens douteux mais probables

sous le luminaire il patiente sans bouger sûr de son assiette

quand mon cœur volage bondissait de l'une à l'autre se croyant sincère

hiver sur la digue ses mots giflaient mon visage de griffes salées

étrange ce ciel dans la lumière violette — nuit après la pluie

elle me criait qu'elle ne supportait plus de rêver sans moi

ce n'était qu'un rêve nous marchions dans les venelles d'une ville morte

j'écoutais ses mots qui sans cesse revenaient comme les embruns

nous savions déjà que de nos âmes blotties naîtrait un fantôme

tantôt pleins de sel le plus souvent pleins de sable au fond de mes larmes

spectre inaccessible notre vie n'a pu durer que le temps d'un rêve

la mer me hurlait comme une amante jalouse alors j'ai plongé

j'étais un vieillard et toi frileuse menteuse tu n'étais que bonds

premier bar ouvert dans la lumière de l'aube je bois un café là bas sur le bord du quai un paquebot s'impatiente

comme on se rappelle le parfum de la lavande l'odeur de l'iris

131


dans la nuit paisible tombe une légère bruine sur les âmes calmes

le prendrai-je ou pas je laisse la décision à mon désespoir

c'était au printemps j'avais cueilli un iris pour marquer la page

sur le vent j'écris un conte sans importance emporté au loin

chantait la fontaine dans la joie de l'eau limpide et je m'abreuvais

mon doux chat poète la nuit sur le toit humide il baye à la lune

une ligne d'algues pour masquer l'essoufflement du sable en hiver

au bord de l'enfer des anges aux ailes noires hésitent encore

j'aimais son parfum comme on est fier d'apprendre une langue étrange

la robe de brume qui enveloppe la lune frémit dans les branches

le printemps disait venez entrez ma demeure ouvre son parfum mais après l'été torride l'automne a noyé tout ça

je restais assis sur la plage en espérant la dernière vague celle qui ferait de moi les ruines d'un vieux donjon

l'hiver est resté à la porte des saisons et depuis j'ai froid

18 décembre 2018 quelques bancs de brume au-dessus de la maison — le ciel en écharpe

le chant de la pluie amer et mélancolique dans la nuit d'hiver

il me tend le peigne et fixe sans impatience mes gestes trop lents

19 décembre 2018 il pleut ce matin sur le jardin vert encore encore trop vert

j'arrachais les pages d'un carnet rempli de notes que je lui glissais elle semblait apprécier ces mots témoins de tendresse

d’un geste subtil il me dit qu’il va pleuvoir et il se rendort

j'ai appris plus tard qu'au lieu d'enflammer son cœur ils allaient au feu

j'élève des loirs ainsi je ferai fortune car le loir est cher j'aime les jeux de mots laids car j'embête les gens bêtes

il y a longtemps j'étais un têtard docile — je suis un crapaud

132


j'ai croisé une ombre sur la route de l'enfer et c'était la mienne

odeur de fumée — mains tendues vers l'âtre maigre les vieux se réchauffent

sous l'auvent humide j'écoute le chant des gouttes qui suintent des feuilles

dans la pièce sombre je tourne les pages frêles de mes souvenirs

la ciel s'éclaircit la nuit se met à chanter avec les étoiles

quand je la voyais je l'imaginais toujours en coquelicot

vieillard fatigué je n'ai plus que l'énergie de me souvenir

elle avait pourtant un grand manteau vert sapin qui la serrait trop

fauteuil avachi — il supporte bien pourtant le poids de mes rêves

un visage blême et des yeux de braise éteinte sous des cheveux noirs

mon âme indocile refuse le mors tranquille souvent indolore de la vie que j'ai vécue pourtant je la vis encore

je ne sais pourquoi quand je la voyais si frêle mon cœur s'emballait j'aurais bien aimé la protéger dans mes bras — j'étais un nigaud

20 décembre 2018 c’est un ciel d’hiver charriant des nues frileuses parcourues de rides

son regard de fée n'a jamais croisé le mien — je fermais les yeux

respiration lente son sommeil est si profond qu’on le voit à peine

21 décembre 2018 c’est un ciel d’hiver entre étain poli et plomb qui tremble de froid

quand la nuit me ment je ris et me réfugie loin dans ses mensonges

sur le fenestron il essaie de profiter d’un pâle soleil

traversant le ciel comme un escargot d'argent — piste de la lune

une feuille morte seule tombée sur la table me tient compagnie

elle m'a mordu pourtant je veux la sauver des griffes du chat

mon esprit tendu comme la corde d'un arc espère une flèche

dans les herbes hautes qui miroitent sous la lune mon chat nuit et blanc

133


sur une autre rive il y avait c'est possible un port accueillant

ayant traversé la longue nuit du solstice le ciel se relâche

de ma main rugueuse je frotte mon front ridé — je me sens usé

le ciel était gris des filaments de nuages traversaient mes tempes

je traîne avec moi la boule que j'ai au ventre un sac de regrets

assis sur un banc je suivais un papillon d'un morne regard

il pleut sur la ville — dans les lueurs embrumées un chien chasse un rat

sans crainte du vent il allait de fleur en fleur dans les herbes hautes

un journal trempé se colle sur la vitrine de la librairie

elle était ainsi après avoir butiné mon rêve elle a fui

au coin de la rue tout près la baraque à frites semble prendre feu

je reste immobile attendant d'un papillon un coin de ciel bleu

une odeur de sel et de poisson pourrissant remonte du port

il manque des pages à l'histoire de ma vie elle est illisible

il fait sombre et froid je traverse cette ville qui m'est inconnue

la lune cruelle arrache des feuilles mortes le cri de leur ombre

partout où je vais je reste cet étranger qui ne sourit pas

l'instant est propice dans la pénombre et l'ennui à l'introspection

des lueurs brumeuses — c'est l'heure où les fées s'abreuvent de rayons de lune

hélas je dois dire qu'il n'y a rien en moi qui vaille à penser

j'ai marché longtemps sur les dunes de la vie jusqu'à m'ensabler

la route ondulait sous la chaleur d'un midi qui m'assassinait

22 décembre 2018

le goudron fondait sous mes pieds incandescents alors j'ai pris feu

sur le toit humide il cherche un peu de chaleur en fermant les yeux

peu à peu mes cendres sont retournées au bitume dans un dernier souffle

134


et je me retrouve à calfater la carène d’un ancien navire

démarche légère elle voletait sur l'herbe sans froncer les fleurs

empêchant le sel de ronger le bois fragile d'une caravelle

j'ai passé l'été accroché à ses cheveux comme un papillon

la mer traversée j'ai pu enfin reposer dans mon Amérique

elle était ma fée je n'étais que le parfum vibrant de ses ailes

avec un poème on peut franchir les espaces et boucler le temps

par dessus l'étang la gracieuse libellule salue les rainettes

quand un physicien commence à pincer des cordes il devient poète

ce soir je suis niais je m'invente des fadaises dignes d'un enfant

23 décembre 2018

sur la plage échoue un insolite manège de chevaux de bois

l’ample chevelure ébouriffée du soleil dans le ciel naissant

des châteaux de sable sortent alors les favouilles pour chasser les gueux

il reste endormi malgré le bruit que je fais avec le clavier

24 décembre 2018

sous le clair de lune le pré se met à danser au son du silence

de la même place le ciel revêt chaque jour un nouveau pourpoint

je goûtais ses lèvres sur lesquelles se mêlaient le sel et la fraise

dans le lavabo il adore s’abreuver près de la fontaine

sa peau était frêle comme le papier de soie qu'on craint de froisser

c’est un tweet sans marque parfois ça fait un bien fou d’être inaperçu

ses yeux sentaient bon les montagnes enneigées l'hiver en été

la lune a trop bu elle tremble dans la brume en levant mon verre

dans ma main sa main me semblait bien plus fragile qu'un coquelicot

la nuit sera courte dans les rires et l'ivresse on a tout le temps

135


la nuit sera longue sous les vieux cartons humides ils comptent les heures

le long du ruisseau un enfant suit la brindille jusqu'à l'océan

lueur de la lune sous l'auvent enténébré — l'esprit papillonne

elle était cruelle son sourire d'Érinyes m'a tranché la langue

sur les dalles froides une armée de feuilles mortes veille le silence

quand il entre en scène le montreur de marionnettes a les yeux qui pleurent

une histoire brève dont le souvenir pourtant prolonge les heures

changez de sujet — je ne peux parler de moi car je mentirai

l'écorce des pins conserve encore en hiver le chant des cigales

délicatement dans sa main elle brûlait la fée aux dents blanches

entre les créneaux de la forteresse en ruine un bruit de ferrailles

oublieux du ciel des démons aux lèvres closes mordent les licornes

quand la lune glisse derrière les collines la nuit s'épaissit

l'horreur est sans cri invisible dans l'impasse sous des cartons sales

sur le banc de bois s'assoit un rayon de lune juste sur mon ombre

divine paresse — flemme de limer mes ongles alors je les ronge

25 décembre 2018

26 décembre 2018

le cœur seulement sert de papier de Noël c’est bien suffisant

et le jour d’après l’hiver a repris sa place — le vol des corneilles

depuis hier au soir il semble n’avoir pas bougé — ah, si vous saviez !

il entrouvre un œil quand je le frôle en passant — bonjour le chaton

les berges du temps — chacun de ses grains de sable invente une histoire

au pied du rosier la tombe de la petite chatte s'égaie de pâquerettes

une tourterelle plane entre les oliviers nouvelle colombe

le roi est trop jeune par bonheur il a mémère pour veiller aux gains

136


parmi les décombres les ruines du vieux quartier nous montions des forts

un verre de trop demain je serai encore à côté de moi

nous faisions la guerre avec des sabres en bois et des lance-pierre

j'ai choisi ma bière un long tronc de désespoir creusé d'amertume

l'ennemi sans voix invisible et inventé était dans nos cris

27 décembre 2018 toujours cette brume sans épaisseur mais présente au dessus des routes

nous frappions des ombres à grands coups de bâtons frêles et de bouts de briques

mon chat lui aussi a répandu dans l’hiver son sommeil douillet

il faisait si chaud que la poussière de plâtre collait à nos peaux

au fond du grenier un sac de billes s'endort avec mon enfance

nous ne savions plus sur qui tombaient nos attaques nous ou les fantômes

l'espoir perd ses feuilles — nul ne sait s'il survivra au froid de l'hiver

nous gardions le fort de nos propres offensives nous gagnions toujours

j'ai froid je frissonne l'auvent que je chéris tant ouvert à l'hiver

après la bataille ma mère arrivait avec le pain du goûter

retour près du poêle le souvenir de l'été réchauffe mes mains

nuit sans équivoque l’hiver a dressé le camp— buée sur la vitre

la lune mangée par les ténèbres voraces pleure des étoiles

outrages du temps je ne cours plus quand je monte rejoindre mon lit

poussière de lune — entre les arbres dans l'herbe des joyaux scintillent

la nuit est légère — avachi dans mon fauteuil elle pèse à peine

dans l'aube brumeuse et glaciale de l'hiver silence des freux

j’ai du mal à lire les ans ont brisé ma vue comme un œuf de caille et si je pleure parfois ce n'est pas de nostalgie

l'été est passé madame aux cheveux d'ébène — l'hiver me poignarde

137


main droite main gauche ils lancent du grain aux moineaux de leurs mains ridées

il fait froid ce soir sous l'auvent mon ombre tremble — ou bien est-ce moi

sur le banc du parc au milieu des feuilles mortes un même sourire

j'ai peur de la nuit qui peut être la dernière — étrange pensée

ils ne parlent pas ils échangent leur mémoire épaule contre épaule

29 décembre 2018 quand l’œil se fatigue les paysages s’estompent — néant de lumière

tout emmitouflés dans le soleil de l'hiver silence complice

je pose un regard las et embué de larmes sur mon chat qui dort

le temps passe vite voila qu'ils doivent rejoindre les vieux leur coquille

28 décembre 2018

les ombres des pins les unes contre les autres blotties dans le froid

la plage du ciel une arête de poisson s’échoue vaporeuse

je casse la glace au-dessus de l'abreuvoir des oiseaux frileux

avant de dormir d’un bref regard il s’assure que je suis bien là

la nuit a gelé dans le ciel brillent encore des cristaux de glace

un matin d'hiver — tremblants les petits oiseaux s'ébrouent dans les pins

un matin d'hiver je l'attendais à sa porte qui ne s'ouvrait pas

le soleil malade hésite entre les collines — paresse en décembre

j'avais eu le temps dans le courant d'air glacial d'attraper un rhume

cette nuit encore j'ai parcouru les couloirs d'un rêve insoluble

elle, elle dormait bien au chaud sous la couette et n'entendait pas

la nuit bleue marine les grains de sel des étoiles des reflets sur l'eau

quand elle a ouvert je me suis précipité tout nu dans son lit

un silence opaque — dans la nuit froide et l'oubli une porte claque

je me suis vengé en posant mes pieds glacés sur ses pieds tout chauds

138


c'est ainsi que j'ai refilé un bon gros rhume au mari jaloux

la nuit sans nuage une porte large ouverte sur les galaxies

il pleut sur la digue et si fort que l'horizon lointain se dérobe

chemin en hiver les cailloux tintent et brillent dans le clair de lune

les bateaux à quai flottent sur la mer de brume le ciel les dissout

sur la vitre froide je souffle et d’un doigt je trace un cœur embrumé

là bas le fanal tout au bout de la jetée glisse dans la nuit

les roues du train claquent sur la jointure des rails — une branche craque

une nuit d'hiver de pluie glaciale et de brume j'attends un départ

quand j'étais enfant dans mon coin de pièce unique je rêvais d'espace

il ne viendra pas j'ai seulement fait un rêve et il fait trop froid

sur le pré blanchi deux pies âpres se disputent une souris morte

à travers la vitre les ténèbres sont profondes mon regard perdu

rives inconnues là où le vent essoufflé pose son bagage

un peu de soleil sous les chênes presque nus et mes mains frileuses

au poste frontière j'ai montré mon passeport il n'est plus valable

je pense à l'été l'été ancien et sucré de mon insouciance

sur un coin de nappe j'avais écrit un poème comme sur le sable

30 décembre 2018

et c'était sans doute le plus émouvant jamais écrit de ma vie

un matin d’hiver — quelques taches de soleil frôlent les façades c'est un chat garou toutes les nuits sous la lune il hante le pré

j'étais sous l'auvent quand un fantôme est venu se servir un verre

dans l'immensité froide qui coule du nord des goules de glace

nous avons parlé de tout de rien et du temps qui fuit je pensais à vous qui m'avez laissé perdu dans un hall d’aérogare

139


c'était en été il faisait une chaleur à fondre l'espoir

sait-il ce que c’est une année un siècle une heure un calendrier

l'hiver à présent joue une valse glacée dans les feuilles mortes

une brume fluide étire ses filaments sur le pré transi

31 décembre 2018

je fendrai le pôle sur un brise-glace russe jusqu'à Magadan et je foulerai la neige rouge de la Kolyma

couleurs barbouillées d’une année passée si vite le dernier matin il prend un peu l’air avant de rentrer dormir au chaud sur son lit

de Vladivostok par le transsibérien j'irai à Moscou puis dans les camps de Pologne à l'ombre des barbelés

nuit de nouvel an toute la vallée aboie — pétards inconscients

imprégné du sang d'une humanité brisée je traverserai de l'Allemagne à l'Autriche des rivières d'os

entre deux années froide est la nuit implacable pour les sans logis à l'abri des chênes au milieu des feuilles mortes les glands font la fête

pour ces hommes morts par la soif d'usurpateurs de la liberté j'immolerai l'animal qu'au fond de moi je nourris

une étoile brille bien plus que toutes les autres — ciel reconnaissant

je pourrai alors rentrer du vagabondage l'esprit apaisé dans mon Aubagne tranquille que je n'ai jamais quittée

silence peuplé d'étranges bruits de tuyaux ma respiration le jardin s'apprête à courir vers le printemps de l'année nouvelle

mon ombre a pâli je lui tapote les joues lumière d'hiver mélodie du poêle le chat dort sur mes genoux je ferme les yeux

01 janvier 2019 le premier matin il ressemble à s’y méprendre au dernier matin

la nuit silencieuse emmitouflé sous l'auvent un rêve prend vie

140


aussi sombre que la nuit et lourd de nuages gris

l'hiver passera comme auparavant tant d'autres ont perdu leurs griffes j'avance à pas lents dans les dernières ténèbres — ne pas trébucher

peu à peu la glace enveloppe le navire d'un manteau de givre et on ne distingue plus le fantôme ni les spectres

les années me pèsent or j'appréciais pourtant leur agilité

seulement un bloc de glace qui tourne et tinte au fond de mon verre

02 janvier 2019

dans le lourd silence du fauteuil qui m'enveloppe j'empile des mots

à travers les branches le soleil fend la lumière froide de l’hiver sans le moindre bruit il occupe tout l’espace de mon affection

un mot deux mots trois l'un après l'autre ils se glissent sur le fil inerte de mes pensées sans contrôle bien sûr ils sont insensés

un froid de banquise blême et noir de ténèbres traverse l'auvent

je pose mon verre sur la table de l'auvent une feuille morte

une jonque noire glisse sur la mer de glace dans la nuit sans lune

cette feuille morte qui grince au petit vent froid le cri d'une porte

à bord du silence un fantôme aux yeux sans fond s'accroche à la barre

j'éteins la télé que je ne regardais pas je n'ai pas sommeil

des spectres brumeux vont et viennent sur le pont sans raison précise

peu à peu la nuit qui traverse mes paupières éteint mon ennui

se croisant sans cesse ils longent le bastingage ou tendent les voiles

sur le guéridon je viens de poser mon verre — un autre peut-être ?

parfois même ils sautent par dessus bord et s'enfoncent dans la glace sombre

j'ai recommencé à pisser un peu de sang — il me lâche pas

au bout du voyage enfin la jonque s'arrime à un brin de ciel

03 janvier 2019

141


le ciel tire à lui la couverture des nues — le soleil frissonne

le fleuve était large la rive était bien trop loin et le gué noyé

sur la tuile froide il dénombre les nuages qui se sont enfuient

en comptant les étoiles je me suis assoupi sur Aldébaran

j'attrape le froid de mes vieilles mains tremblantes il me mord les doigts

le ciel brille encore dans la lueur de charbon de la nuit d'hiver

c'était un printemps nous grimpions dans la garrigue et la nuit épaisse

un vent s'est levé qui poursuit les feuilles mortes jusque sous l'auvent

nous montions là-haut au sommet de la colline sur un rocher nu

il pleut des étoiles sur les feuilles insomniaques des vieux oliviers

nous allions attendre qu'une aurore fabuleuse embrase le ciel

le lutin marchait serrant la main d'une fée qui battait des ailes

nous avons atteint la place bien indiquée et bien en avance

je n'ai pas rêvé je l'ai tenue dans mes bras la fée aux yeux mauves

nous avons posé nos corps remplis de sommeil sur les jeunes herbes

par le fenestron la nuit d'hiver veut rentrer souiller mon sommeil

tous deux allongés nous nous sommes endormis sous le ciel d'étoiles

je suis un vieux spectre un vieux fantôme malade gorgé de mémoire

du lever du jour nous n'avons rien aperçu qu'un mutuel rêve

04 janvier 2019 le soleil se lève dans la bruine cotonneuse froide de l’hiver

mais quelle importance le soleil brillait en nous pour longtemps encore

reflet du coussin sur ses poils immaculés lever de soleil

la nuit grogne en moi comme une bête sauvage aux crocs acérés

au bord de la mer assis sur un banc de pierre ils comptent les vagues

je sens qu'elle ronge le peu de vie qu'il me reste et tout mon espoir 142


au soleil d'hiver elles viennent lentement mourir sur le sable

c'est un lieu paisible les moineaux sifflent gaiement dans un cimetière

ils sont là deux vieux leur regard à la fois vague et vif de malice

il y a des fleurs sur les dalles de granit souvent oubliées

plus tourné vers eux que sur ceux qui les entourent la main dans la main

silence serein rempli du chuchotement des vieux marronniers

ils ne disent rien et pourtant ils communiquent leur sérénité

d'une dalle à l'autre le frôlement des fantômes troquant leur mémoire

le soleil se couche à l'horizon brumeux ils ne bougent pas

coquilles gravées sur la pierre de calcaire qui sera la mienne

ils fixent toujours le ciel la mer qui rougeoient la plage et les vagues

mon père m'attend au fond du caveau humide nous jouerons aux dés

la nuit les surprends alors qu'ils se sont changés en statue de sel

même en plein été quel que soit le cimetière c'est toujours novembre

prenez donc ma main qu'importent les regards torves et dansons madame

05 janvier 2019 encore un matin où l’hiver mélancolique pèse entre les branches

je suis vieux je sais et vous êtes bien agile mais dansons madame

quand il me regarde il décortique mon âme en éclats de joie

la musique est faite pour rajeunir les esprits alors dansons-nous ?

sous l'auvent glacial je fume une cigarette — fumée ou buée

je ne veux rien d'autre surtout pas votre jeunesse seulement danser

cette nuit le ciel a recouvert mes pensées d'un linceul glacé

une seule fois mon rêve est votre sourire nous valsons madame ?

dans l'aube frileuse je marchais sur la banquise d'un rêve de glace

lentement je glisse sur l'allée de feuilles mortes entre les tombeaux

143


j'ai longtemps marché et le soleil de midi a fondu mes pieds

elle sert les cartes dans un grand éclat de rire — mon ombre facétieuse

la nuit est venue après le froid crépuscule je restais figé

elle sait d'avance avant d’avoir vu son jeu qu'elle va gagner

passant les ténèbres j'attendais avec patience que tout recommence

assis sur le banc je compte les feuilles mortes d'une seule branche

puis je suis resté comme un croc de la banquise bonhomme de neige

il y a trois saisons entre osselets et les billes celle des bagarres

les guerriers de glace ont traversé la garrigue dans l'odeur du thym

nous allions jouer sur les quais de la Joliette — rien à chaparder

au feu de l'auberge ils ont posé leur manteau et ont bu du vin

quand l'hiver se glisse dans les plis du souvenir même l'âme tremble

sous le banc boiteux ne reste d'eux à présent qu’un ruisseau de sang

on n'échange pas un passé sans consistance contre un avenir

06 janvier 2019

la voile gonflée ils allaient à l'aventure sur la flaque d'eau

levé depuis peu le ciel porte encor la marque des rides du drap

la lampe timide qui peine au-dessus de moi surveille mes rêves

encore embrumé dans le vacarme des songes il attend le calme

d'un regard distrait je parcours le dos des livres que j'ai déjà lus

le sang s’est figé dans le ciel du crépuscule — le ciel meurt à l’ouest

sur leurs étagères comme des bocaux de miel ils tentent les mouches

dans la fourmilière les fourmis sont endormies mais la reine veille

le figuier sans feuille avec son tronc torturé attend de guérir

un vent sans rafale couvre la rumeur du train couleur du silence

07 janvier 2019

144


si l’on ne prend garde au froid qui pourrait penser qu’on est en hiver

08 janvier 2019 lumière dehors panne de courant dedans pénombre et froidure

il prend tout son temps toilette méticuleuse avant de dormir

matin de janvier je n’imagine encor pas manquer de lumière

dodo mon gros chat — quand il s'endort dans mes bras le monde ronronne

le vent a forci la fureur des feuilles mortes glisse sous les tuiles

aiguilles de glace qui tricotent sur mes doigts des gants d'engelures

la nuit s'accommode malgré les fortes rafales des portes qui claquent

l’étrange pénombre enveloppe mes pensées de papier de soie

je les vois courir tout au long de la terrasse — mille feuilles mortes

infinie douceur — j'accompagne le silence d'un chant sans musique

en ouvrant mon cœur je l'ai laissé piétiné sur le paillasson

il gèle dehors — où dorment-ils les moineaux riant au soleil

un hiver mauvais quand le vent geint aux fenêtres et qu'il veut entrer

l'odeur du café couvre un relent de soupe — chaleur en cuisine

les heures s'égrènent — le long chapelet du temps bientôt se termine

la mer me surveille de son regard de sel vague — je suis une plage en hiver et mes galets crissent sous leurs pas sinistres

je somnole un peu pour laisser le temps aux rêves de finir leur verre

deux âmes tragiques qui inlassablement passent sur mes souvenirs

09 janvier 2019

au bout de la digue le fanal fuit dans la brume — une aube en hiver

le vent secoue l’aube peu à peu le ciel se vêt d’un soleil glacé

l'auvent est tout triste quand l'hiver vient me saisir de ses yeux de glace

il a pris sa place tout en haut de son donjon tout près de ses rêves

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tartine de nuit — le vent étale le froid sans hésitation

repos immuable mais il faudra que je songe à secouer sa couche

le vent se repose d'avoir battu la campagne par monts et par vaux

petite fenêtre — la nuit force sur la vitre pour pouvoir entrer

molle somnolence — les étoiles dans ma tête tintent doucement

musique lointaine en bas dans le salon vide Glenn Gould spielt nicht Bach

je suivais le vent sans savoir où il allait en tourbillonnant j'étais une jeune feuille amoureuse du mistral

du livre de contes il me reste quelques pages à noircir encore dans la nuit frissonnent les âmes des feuilles mortes et l'ombre des pins

il m'a laissée là à sécher dans la garrigue très loin du printemps

le vent s'est posé comme un papillon mourant sur les fleurs fermées

le feu avait pris dans son cœur adolescent il y brûle encore son corps se rétracte sous le feu des souvenirs il tisonne encore

un bout de papier le vestige d'un naufrage flotte sur la flaque et dans l'encre diluée le sillage d'un poème

il regarde l'heure elle ne reviendra pas en retard d'un mot

il était écrit avec la couleur des larmes d'un enfant perdu

la petite fille aux précieuses nattes brunes était une goule deux mauvais portraits de spectres imaginés perdus sur le mur

il y avait aussi au milieu du désespoir le filet de sang qu'il n'avait pu retenir de son cœur pulvérisé

et sur l'étagère un gobelet sombre éteint — douloureux fardeau

et j'imaginais que le papier me parlait qu'il voulait mon aide

10 janvier 2019

que pouvais-je faire il pleuvait fort ce soir-là d'un triste novembre accroché au parapluie moi-même je divaguais

hiver lumineux comme un glaçon le ciel brille dans les arbres nus

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11 janvier 2019

sur les feuilles mortes et entre les flaques grasses d'une vie en ruines

un ciel de métal qu’un soleil sans émotion ne réchauffe pas

j'entendais l'écho les froissements et les pleurs de ma propre histoire écrite dans la journée déchirée par les orages

il devient sujet au milieu de mes objets mais toujours le roi son rire frivole couvrait ma peau de frissons — le vent en hiver

j'ai pris le feuillet et tous deux sommes allés nous mettre à l'abri

il faisait si froid que mon cœur cessa de battre quand elle est entrée

le vent a lissé deux gros tas de feuilles mortes — un joli travail

l'eau dans la coupelle a commencé à geler — surface du ciel

silence du vent — un minuscule murmure dans la nuit des arbres

vieil homme frileux je serre autour de mon cou les ans pour écharpe

à l'étranglement du sablier retourné les grains se bousculent

la nuit se contracte prise dans la gangue froide d'un hiver féroce

la mélancolie a un goût de single malt — je m'en sers une autre

cousus sur le ciel de petits éclats de glace comme des étoiles

dans la pièce sombre et le silence feutré dansent mes fantômes ce soir je rameute la troupe des souvenirs aux rires d'enfant

la terre spongieuse ne gardera pas la trace de l'humanité

dans le sucrier je ramasse un grain d'espoir pour mon âme amère

tout ce que nous croyons éternel et immuable tout disparaitra

zéro-zéro-sept permis de tuer le temps — je foudroie ma montre

Mozart Babylone les livres saints les poèmes seront oubliés

elle virevolte — fumée de ma cigarette dans le vent glacial

et notre arrogance ne fera même plus rire — qui s'en souviendra ?

147


nous ne verrons pas l'agonie de nos enfants qui déjà suffoquent

quand elles se croisent elles murmurent des bribes incompréhensibles

12 janvier 2019

dans le noir j'écoute les miettes de leurs histoires et j'ai mal pour elles

le ciel s’est paré de verroterie de glace et d’un trait d’humeur

une nuit d'hiver enfin je l'ai rencontrée sous l'auvent glacé

même position — c’est à l’heure du sommeil que le monde est bon

mon ombre assoiffée mon ombre désespérée mon ombre insoluble

samedi midi — je bois la dernière tasse et le premier verre

quand j'étais grenouille je m'inventais des histoires de prince charmant

soleil de janvier — il me rejoint sous l’auvent pour briser la glace

crapaud devenu j'attends toujours le baiser d'une belle infante

ciel couleur d’été et je frotte mon visage de mes mains gantées

j’ai cru la trouver dans la vase de l’étang c’était un jouet

là dans la vitrine d'une fleuriste inconnue un bouquet séché

une poupée sale qui n’avait que trop servi pas une sirène

peu à peu l'hiver fatigué mordra moins fort la main du printemps

ses yeux se fermaient lorsque je la renversais c’était mécanique

des ombres austères à la chevelure hirsute errent dans la nuit

amère pénombre qui pleut sur mes souvenirs — je retiens mes larmes

déguisées en chênes elles trainent leur silence dans les feuilles mortes

ce soir de janvier il me revient sur les lèvres un goût d'abricot

chacune a son lot de souvenirs à porter indéfiniment

les jours sont plus longs mais je ferme les volets à l'heure d'hiver

des souvenirs gris parfois sanglants parfois blêmes et toujours pesants

13 janvier 2019

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comme un gong de bronze dans le ciel gris métallique le soleil résonne

je rêve de vous vous mes ombres sans visage au seuil de la nuit

fitness matinal — étirement de mâchoire avant le dodo

le temps m'est compté et un épicier avare garde la monnaie

le vent vient de l’ouest peut-être vient il du nord les feuilles hésitent

viens petit insecte viens déposer sur mon cœur ton humanité

assis en terrasse malgré le vent qui ricane — un café brûlant

je quitte la nuit et j'entre dans le sommeil par la porte étroite

mon ombre est absente partie sous d’autres tropiques au soleil de miel

14 janvier 2019 la froide lentille joue des rayons du soleil du vent et des nues

tiédeur sous l'auvent après avoir tant hurlé la brise murmure

m’en veut-il vraiment d’avoir passé une nuit sans pouvoir manger ?

crépuscule rouge — mis à nu dans les nuages les arbres s'embrasent

les dards du soleil ne parviennent pourtant pas à bloquer le vent

après avoir fait un tour complet de la terre la nuit se repose

encore le vent qui s'emmêle dans les branches — silence brisé

le fauteuil enrobe d'une douceur caressante ma soirée rêveuse

dans la pièce sombre les vieux meubles qui murmurent épient le silence

la lune frivole parmi ses jupons de brume danse en frémissant

la nuit est immense et du crépuscule à l'aube je navigue à vue

musique sans poids dans les ombres somnolentes je rêve en silence

pénombre soluble dans la nuit de mon hiver — la mélancolie

courant sous l'averse il n'a trouvé de refuge que sous ses baisers

sur une étagère les souvenirs alignés couverts de poussière

perdu dans l'hiver petit papillon de nuit en quête d'été

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ce soir-là il pleuvait c'est à peine si je sentais l'averse de sarcasmes

je m'assoie souvent sous les chênes dénudés — j'écoute l'hiver

j'ai fini de rire je m'étouffe maintenant entre les sanglots

au plafond trop haut des toiles d'araignée pendent — ex-voto des rêves

la route était sèche personne ne pouvait voir mes larmes couler

je sens son haleine qui frissonne sur mon cou — le passé me suit

c'était un navire aux voiles resplendissantes qui couvait la peste

étrange la vie — elle joue le mauvais tour de se terminer

le vieillard imberbe m’a raconté une histoire tirée par les cheveux

j'ai posé mes pieds sur la table du salon— sans réprobation

vers l'ombre promise nous marchons en plein midi sur l'odeur des morts

la lampe est penchée sur son ombre délaissée — lumière sans force

qu'on me laisse en paix mon asperger me démange et je n'ai plus d'ongles

j'ai tendu la main celle qui s'est agrippée ne la perdra pas

15 janvier 2019

l'hiver finira il pleuvra sur le jardin — les fleurs se préparent

lointaine rocaille garrigue et ciel bleu lavande quelques pins s’accrochent

elle était mirage une source imaginée sur le sable aride

près de l’âtre éteint il attend plein de patience le lit de mes bras

dans mon vieux fauteuil la nuit me conduit au fond de mon labyrinthe

je ne comprends pas — le poids de ma tête vide est lourd à porter

16 janvier 2019

l'hiver hésitait entre la douceur des flammes et l'ombre des pins

au fond la vallée traîne encore un peu de brume sur les arbres nus

des gouttes de nuit ruissellent sur mes paupières — j'ai éteint la lampe

comme un rituel guetteur sans mélancolie il chauffe les tuiles

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dans cette contrée tout au bout d'un autre monde les arbres sont gris

17 janvier 2019

entre les nuages la lumière de colère tente une évasion

dans les maisons froides la misère coule à flot sur les sols bourbeux

il fixe intrigué cet étrange œil de cyclope — en fait il s’en moque

le vent frappe aux portes et gifle les habitants qui jamais ne dorment

froid le vent murmure à l'oreille des grands chênes — les branches frissonnent

des coulées de cendre engrisaillent les moissons qu'ils laissent moisir

j'ai ouvert un rêve engoncé dans le fauteuil la nuit pour compagne

ce pays est le leur on leur dit qu'il y fait beau et ils le croient tous

dès les premiers mots j'ai su que j'avais affaire à un cauchemar

une pâquerette au milieu des herbes folles a perdu la tête

le bateau tanguait — crispé aux bras du fauteuil mon cœur chavirait

un hiver trop tendre qui me conduit sous l'auvent trop tôt dans la nuit

la mer était creuse trop forte pour mon esquif et je me noyais

la nuit s'est parée d'une brume aussi légère qu’un voile de soie

j'ai ouvert les yeux sur la couverture du livre de mon odyssée

papillons de nuit — les mots qui peuplent ma tête ne se posent pas

il fait doux ce soir dans la grande pièce obscure et pourtant j'ai froid

je n'ai pas acquis cette profonde sagesse qu'on prête à mon âge mais mes os grinçants me disent qu'il ne me faut plus rêver

dans les feuilles mortes qui courent après le vent mes rires d'enfant

18 janvier 2019

une dent qui bouge une épaule endolorie — le temps sans merci

un coup de pinceau un ciel de papier humide et la main du vent

le chat est rentré — il est temps pour tous les deux d'affronter la nuit

il n’est pas reclus dans une prison d’acier il joue à Zorro

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portrait sur le mur — un miroir au tain usé où je vois un mort

le ciel bleu profond s'est revêtu de joyaux aux lueurs tremblantes

l'histoire fut brève elle demeure pourtant clouée sur ma peau

la télé qui veille d'une petite lueur me fait un clin d'œil

dans le petit port le chant des drisses répond à l'odeur du sel

j'attends qu'il revienne de sa tournée d'inspection dans les herbes froides

les coques se frôlent s'effarouchent du roulis des barques plus lourdes

ils sont là qui tremblent se poussent et s'entremêlent mes souvenirs sombres

assis en terrasse un parasol recousu promettais son ombre

je pose mes cartes et mon ombre abat les siennes elle gagne encore

je tenais sa main pendant que refroidissaient nos deux cafés crèmes

une nuit d'hiver j'ai attendu que la neige lui ouvre la porte

nous ne disions rien nous laissions le temps au temps de passer sans nous

elle revenait après l'avoir attendue une vie entière

un bout de vacances la parenthèse magique d'un été précoce

cette nuit glaciale je suivais mon téléphone comme le messie

un après-midi nous reprendrons la navette pour ne plus nous voir

l'autoroute était la dernière barricade avant nos sourires

le froid est venu il s'invite sous l'auvent pour un thé glacé

quand elle est entrée une odeur d'hiver glacé l'avait précédée

le vent s'est caché sous un tas de feuilles mortes qui frémit encore

19 janvier 2019 des lueurs rosées dans les brumes matinales — soleil en suspens

dans la cendre froide les derniers mots d'une lettre jamais envoyée

on le voit à peine prendre soin de sa fourrure dans l’ombre complice

tisonnant la bûche les joues les yeux et mon âme constellés d'étoiles

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pincement de froid — la fenêtre mal fermée l'encre devient bleue

la boule de poil comme un dé un domino sur le tapis rouge

reflet de la lampe sur l'écran de la télé — je change de chaine

la jonque remplie du vacarme des combats sentait le sang noir

je pose un vinyle sur mon antique platine — du bon vieux reggae

contre des fantômes les marins ne pouvaient rien et ils reculaient

odeur dans la pièce ce n'est pas de la ganja — un café tout simple

ils eurent l'idée folle de s'entretuer délaissant leur corps

un verre à vodka que je remplis de bourbon — un petit sourire

spectres devenus ils ont pu alors lutter à armes égales

une soirée lente dans le silence et la paix je retiens mon souffle

la jonque a pris feu et dans cet embrasement les flammes mordaient

mes cheveux sentaient les parfums de la garrigue — j’avais des cheveux

brumeuse soirée — lueurs blêmes de la lune dans le ciel trop pâle

je ne bouge pas au-dessus de moi dans l'arbre des feuilles frissonnent

un fleuve de lave une gorgée trop épaisse enflamme ma langue

petit funambule le long d'un fil l'écureuil franchit le jardin

le chat somnolent — son rêve attend que je vienne dormir près de lui

l'étroit fenestron permet pourtant à la nuit d'éclairer mon cœur

douceur du silence un parfum de tilleul chaud la pénombre autour

ce bruit dans la tête le long souvenir des vagues du sable en hiver

les ombres s'estompent dans les contours flous des meubles un rêve en partance

20 janvier 2019

le livre est tombé des mains qui n’ont pas écrit la fin de l'histoire

entre les nuages une pièce d’argent glisse jusqu’au cœur de l’aube

parfois je me dis que j'ai vécu trop longtemps mais ai-je vécu ? 153


pil' poil sur ma tête la lune a chassé les nues je suis démasqué

on le sentait lent mais le sablier se vide à toute vitesse

dernière gorgée je viens de poser mon verre au bord du sommeil

depuis quelques lignes la plume racle le fond du vieil encrier

21 janvier 2019

parfois je me glisse dans le ventre de la nuit quêter la lumière

sur la brume froide dans le ciel d’aigue-marine des cristaux de glace

la lune perchée sur les branches nues des chênes ombre des racines

par le fenestron il vient de rentrer couvert du soleil d’hiver

mon ombre dissoute dans l'écho de la pénombre le son du néant

la lune se lève sur le fil du katana le sang a séché

c'est un bruit sans corde sans cuivre et sans mélodie la voix des murmures

après le combat au moment du crépuscule règne du silence

22 janvier 2019

l'épave fumante dérive sur l'océan étrangement calme

l’hiver incrusté la houppelande de glace a figé le ciel

les corps ont brûlé l'odeur de chair calcinée flotte sur la brise

dans le flux d’air chaud il attend que je le peigne pour aller manger

pas un seul fantôme pour raconter cette histoire un sabre peut-être

de longues écharpes en travers du ciel d'hiver tremblements de lune

je sens dans mon ventre le froid d'un hiver sans fin si ce n'est la mienne

la nuit insondable et la lune solitaire un œil embué

la nuit semble claire mais je ne distingue plus l'ombre de mes mots

au bras de sa mère un enfant ne pleure plus la folie des hommes

la bouteille d'encre au fil des écrits se vide je n'en ai plus d'autre

partout le désert de la cendre et la fumée des villes en ruines

154


au milieu des corps les squelettes de béton crucifient les rues

elles parlaient fort avec un accent profond et des rires gras

et dans leurs poumons ceux qui respirent encore filtrent la poussière

premiers jours d'été premiers jours de nos vacances les derniers matins

je ferme les yeux je n'ai même plus la force de verser des larmes

j'écoute mon corps si bruyant dans le silence on dirait qu'il joue

sur le vieux bahut endormi depuis longtemps trône un vase vide

voilà bien longtemps que j'ai rangé mes jouets au fond du grenier

d'un doigt malhabile je tape sur le clavier un tercet stupide

le plumier en bois — j'ai retrouvé le stylo du premier poème

le ronron du poêle il dirige le silence comme un chef d'orchestre

le livre d'Histoire — jauni mon premier brouillon un coquelicot

23 janvier 2019

j'étais amoureux et je ne le savais pas — c’était un murmure

neige en embuscade dans le velours cauteleux de nues sardoniques

silence et pénombre je délaisse le vacarme de mes souvenirs

portrait d’un tyran heureux que son seul sujet comble ses caprices

c'est une nuit froide et l'hiver s'est engouffré dans un cœur saignant

au nez de la lune le vent déchire les nues une nuit inquiète

quand le chat s'endort dans le silence on entend des miettes de nuit

premiers jours d'été nous marchions le long du quai brillant de soleil

plus rien ne bouge la nuit a figé le vent au sort des étoiles

quelques vieux pêcheurs raccommodaient des filets encor plus vieux qu'eux

la lampe bascule sans vraiment s'en rendre compte du côté obscur

plus loin des matrones rangeaient sur l'étal de bois sardines et sars

tiédeur de la pièce — même le poêle a compris ce qu’est le silence

155


nous nous promenions un petit moment encore et nous rentrions

24 janvier 2019 la lune hier soir ayant pris des airs d’artiste sculptait les nuages

la fenêtre ouverte sur le chant lointain des vagues nous nous endormions

les chiens aboyaient et sur la plus haute tour il s’est réfugié

sur les feuilles mortes sous le regard de la lune mon corps s'évapore

une nuit plus froide l'hiver ne se laisse pas oublier ainsi

mon ventre trébuche j'ai beau serrer la ceinture je pisse du sang

une lune rouge et dans l'âtre à peine tiède la dernière braise

j'aime ce silence où enfin j'entends mon corps se penser vivant

la petite plage sous l'imposante falaise et nos corps blottis

je chasse la nuit d'un simple revers de main— j'ai soif de lumière

juste un peu de sable des galets longtemps roulés au sel de la mer

reflet de la lampe sur l'écran de la télé qui s'anime enfin

quelques bois flottés des bouts de liège et un bout une vieille épave

je rêve de pluie d'une grande pluie d'étoiles dans mon âme obscure

et nos deux serviettes faisant face à l'horizon désir de voyage

toutes mains tendues malgré leur volonté bonne sont des mains de spectres

fin d'après-midi nous rentrions nous doucher et faire l'amour

le jardin en friche ne peut plus compter sur moi — je suis une ruine

la petite chambre qui restait dans la pénombre était notre nid

dans la pièce sombre c'est à peine si je vois les miroirs obliques

le soir nous mangions de petits poissons grillés sur le port sonore

j'aimais cette histoire du poète et l'amoureuse guignol et la lune

nous buvions du vin au goût amer de résine nous étions heureux

on n'oublie jamais pour qui on aurait donné l'ombre de ses yeux

156


sa peau d'abricot cette peau douce et salée je m'y noie encore

entre ombre et pénombre l'armoire et ses étagères brillent sans lumière

25 janvier 2019

dans ma paume ouverte une pelote de lignes — des chemins d'acier

collines brumeuses — un hypothétique oiseau tente le grand saut

bouchez-vous le nez l'avenir sent le cadavre c'est le temps qui passe

au-dessus du vide il est plus léger qu’un rêve — il me le raconte

l'humanité disparue — comme un témoin du passé appuyé sur une ruine un fusil chargé

un très long couloir je serrais sa main craintive de mes doigts tremblants

au fond de la malle un vieux costume de scène celui d'un banquier

au bout du couloir une volée de marches jusqu’au palier sombre

26 janvier 2019

une porte rouge en grinçant elle s’écarte sur un gouffre noir

paresseux le ciel tire lentement à lui le duvet d’hiver

la lumière alors jaillit comme par magie dans la chambre claire

il s’est endormi sans même aller voir dehors le temps qu’il faisait

ce sera un nid pour nos deux corps d’oisillons pendant un été

le port était vide aucun bateau amarré sur le quai personne et pas d'oiseaux dans le ciel seule l'idée de la mer

janvier se termine sur des rails d’acier glacés — l'hiver suit son train

le vent a tourné au fond du couloir à droite — on l'a bien senti

sur le front de mer prête à manger l'océan une barque avide

le vieil olivier — quel joli tremplin docile pour l'écureuil roux

des éclats de rires et puis des éclats de voix des éclats de verre

bientôt sous les chênes assemblée des feuilles mortes — leur dernier conclave

la mer traversée je n'ai plus assez de larmes pour recommencer

27 janvier 2019

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entre les collines l’hiver couve malgré tout un petit brasier

et quand je rentrais le carreau de chocolat était mon festin

le gros Domino s’est endormi sur mes cuisses — je ne bouge plus

toutes ces lumières scintillant devant mes yeux — changer de lunettes

la barque roulait prenant la houle en travers — p'tit dej aux poissons

la pénombre grise comme un papillon de nuit au bord de mes yeux

je pose mon livre — en face dans le fauteuil mon ombre soupire

je me souviens d'elle et sa peau de fruit dorée — j'ai le cœur sucré

le dernier whisky la dernière cigarette un petit soupir

28 janvier 2019 le soleil se lève — un nuage dort encore aux bras du cyprès

un visage blême un regard aux cernes noirs — reflet dans la vitre

même position et toujours à la même heure — un chat routinier

murmure du vent dans les branches effeuillées le chant de l'hiver

dans mon sac de billes il y a la belle agate offerte autrefois

le poêle ronronne le chat qui s'est endormi rêve auprès de lui

j'en avais plusieurs celle-là je l'ai gardée toujours près de moi

un rai de lumière comme une ombre souvenue caresse ma joue

elle était baroque vraiment pas tout à fait ronde comme un œuf de caille

dans la cour d'école souverains de nombreux mondes nous jouions aux billes

cette agate-là jamais je ne l'ai sortie du sac de mes billes

au fond de ma poche je lustrait mon opinel comme un katana

je visais si mal je ne voulais pas la perdre ma belle imparfaite

grâce à lui j'avais soumis des îles lointaines et conquis l'Amérique

de quoi a-t-il peur le vent d'hiver qui s'affole dans les feuilles mortes

la règle de trois et Saint-Louis sous son chêne étaient mes vassaux

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dans un vase vide le fantôme d'une rose secoue son suaire

mon cœur bat sans moi il cahote dans les côtes peine dans les pentes

la soirée prolonge un silence ténébreux au seuil de la nuit

lueur de chandelle — entre les gifles du vent la lampe vacille

petite fenêtre — c'est à peine si la nuit me fait un clin d'œil

30 janvier 2019 le vent tord les nues dans les nattes du soleil — récré de dix heures

j'écoute le vent qui claque devant la porte et je m’impatiente

il s’est endormi malgré le bruit sur le toit — question d’habitude

les pieds sur la table les fesses dans le fauteuil et la tête ailleurs

29 janvier 2019

un petit sursaut — le cri d'un train dans la nuit surpris par son ombre

le matin d’hiver toujours égal à lui-même dans le ciel qui boude

un peu de tendresse dans l'échange d'un sourire — la vie me désarme

du bruit sur le toit — d’un regard plein de questions il cherche à comprendre

le vieux meuble craque — tant d'années pèsent sur lui et le bois se fend

une neige morte tombe et une brume froide glisse sur la nuit

trop d'hivers passés à raccommoder mon âme — le fil s'est usé

une porte claque — j'ai froid, non, pas sur la peau, mais mon ventre usé

un vase un bouquet — les épines cependant ont griffé mes doigts

les tempes fébriles qu'importe où mes yeux se posent reflets écarlates

une main tendue il l'aurait bien attrapée mais qui la tendra

ce bruit dans la tête un train sur des rails gauchis roule vers l'enfer

si j'étais un peintre j'échangerais mes pinceaux contre un nez de clown mais je ne suis qu'un rêveur et le cirque est dans ma tête

je soupçonne mon chat de s'ébattre sous la pluie pour que je le sèche

31 janvier 2019

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flèche entre les nues — le ciel se met à saigner les arbres s’enflamment

j’ai goûté aux fruits mûris au soleil sucré d’un été magique

le livre de conte ou mon dossier médical que veut-il ouvrir

il fait doux ce soir — l'hiver sous l'auvent humide a un goût d'avril

au bord du ruisseau dans la flaque encalminée un crapaud soupire

ciel inaccessible — les étoiles sous leur voile ont fermé la porte

poussière d'étoile ordonnance de l'hiver la bruine des neiges

l'orage de haine est tombé dru sur la terre où régnait la paix la paix n'est jamais qu'un rêve et le réveil sent le sang

le vent était jaune chargé du sable et des fables de mon cœur désert

sept kilos d'amour c'est peu pour cette tendresse que nous partageons

comme un galet gras je roulais dans un torrent de mélancolie

un train dans la nuit éclabousse tous mes rêves de cauchemars noirs

01 février 2019

j'avais dix-sept ans — entre l'enfant et l'adulte qui s’est égaré

brume et bruine se mêlent entre les branches figées — les collines pleurent

ne cherchez pas madame avec des phrases pompeuses à vous dédouaner

flibustier des rêves à la barre du sommeil il franchit le jour

ma main votre main ne se sont jamais quittées que pour un adieu

je pose le front encore un peu transpirant dans ma paume sèche

je rejoins la nuit au début du cauchemar revécu sans cesse

à travers la vitre sur les vieux carreaux noircis je compte les gouttes

le ciel était vide déserté par les étoiles mais tu étais là

il pleut sur l’hiver et les branches dénudées frissonnent de brume

02 février 2019

l’enveloppe brune — j’en extrais quelques photos que je range vite

sans éclat et lourds l’hiver accroche aux collines des lambeaux de pluie

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mon petit coquet apprécie le coup de peigne juste avant la sieste

c'était une étape nous avons repris la route qui mène au dédain

le chant de la pluie — des arpèges dans les arbres et les feuilles mortes

le vent se réveille — dans le ciel des monstres blancs dévorent la pluie

silence prégnant comme une angoisse égarée au fond de ma nuit

03 février 2019 le vent déchiquète la page blanche des nues — adieu au poème

silence craintif sous les tas de feuilles mortes l'âme de l'hiver

la pie sur le toit qui picore on ne sait quoi — mais il se rendort

la plume s'élance dans la quête du poème avec insouciance

la chambre douillette de pénombre et de silence — le chat qui ronronne

des portes qui claquent des talons sur les carreaux ma petite-fille

quelques feuilles brunes dans les chênes désolés — l'hiver s'enracine

un verre entamé des miettes dans le couloir ma petite fille

au cœur du silence je me raconte une histoire et je ris tout seul

l'évier qui déborde et tout mon amour aussi ma petite fille

l'été était nôtre— sous l'avant-toit de canisses nous le dégustions

j'ai donné tant d'ans au temps mais il est gourmand et il me dévore

une seule pièce un robinet dans un coin — le soleil dehors

j'aimais son sourire j'aimais sa peau d'abricot j'aimais tous ses fruits

autour la garrigue et ses parfums de poussière — odeurs de résine

sur la place vide nous nous tenions par la main et par le sourire

plus loin le ruisseau — seulement un filet d'eau au murmure frais

seul le bruit de l'ombre qui tombait sur notre table remplissait le temps

nous parlions si peu mais nos peaux se conjuguaient

l'odeur du tilleul comme nos verres de bière coulait sous la langue 161


dans la même langue

la lune ricane

je pose mon livre le chat vient sur mes genoux nous nous endormons

que le printemps vienne pour que je puisse revoir un coquelicot

déjà la nuit tombe — lentement nous émergeons bâillement sonore

j'éteins la télé la nuit envahit la pièce enfin je respire

il quitte mes cuisses — il a faim il me demande d'ouvrir le cellier

au bord du néant je recherche un point d'appui qui n'existe pas la cosmologie — tout ce que mon chat en sait tient dans son assiette

il sort promener rêvasser dans le jardin ou tout autre chose

05 février 2019

il va revenir quand la nuit sera profonde le sommeil pressant

marqué par les rides le soleil pousse le ciel dans les plis du drap

le ciel se craquelle les constellations se brisent la nuit me harcèle

avant d’entamer un long marathon de siestes toilette sommaire

un hiver sans force une nuit à peine froide — j'ai peur de l'été

le soleil s’élève par-dessus l’humanité sans la remarquer la nuit l’ensevelira dans le néant sans témoin

la nuit se patine sur un ciel de glace mauve — l'hiver est timide

06 février 2019

04 février 2019

une aube frileuse se dissimule à l’abri des collines noires

clin d’œil du soleil et les collines s’enflamment — sourire d’hiver

inquiet il surveille depuis l’étroite terrasse l’état des travaux

quelques gorgées d’eau chassent le goût de la nuit avant les croquettes

bruits et roulements — les routes de la vallée perdues dans la nuit

quelques pas sur l'herbe — la plainte des feuilles mortes déchire la nuit

filaments de nuits — sombres vents-coulis qui glissent

tout au bout du ciel entre l'ombre et les collines

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sous les paupières

elle marque encor la page des mots oubliables

bruler les étapes j'ai fait ça toute ma vie — le briquet est vide

les branches fredonnent dans le vent d'une nuit tiède un hymne au printemps

assis sur le sable le refrain mélancolique des vagues fourbues

08 février 2019 un lever tardif — le ciel était déjà haut sur son étagère

le soleil mangé par la courbe d'horizon crépuscule froid

soudain il s’éveille — que suit-il par la fenêtre quel rêve équivoque

les pensées glissant par le trou du sablier nostalgie du temps

la nuit s'évapore — dans la buée de mes lèvres le goût du passé

regard égaré les souvenirs emmêlés le fil de la vie

je traîne mon ombre dans un voyage sans but autour de ma chambre

début de la nuit ignorance du destin immobilité

mon lit est trop grand pour les rêves minuscules que cède la nuit

sur l'aile du vent j'ai essayé de glisser des mots malhabiles

la côte est en vue mais la jonque encalminée cède à la paresse

07 février 2019 ce matin le ciel un mille-feuille de brumes et une chandelle

les marins rêvassent aucun n'aura le courage de prendre une rame

il se fond dans l’air comme le chat du Cheshire le sourire en moins

couchés sur le pont ils attendent la bourrasque qui ne viendra pas

les feuilles d'orchis ont poussé sur le talus et bientôt leurs fleurs couvriront de magenta le tapis d'herbe nouvelle

la terre a cessé de tourner et il ne reste que le crépuscule c'est la fin du monde et tout l'univers connu plonge dans l'abîme

loin dans ma mémoire reviennent le bruit des vagues et son goût de sel

nous étions enfants — j'avais sa peau pour refuge

feuille de ginkgo -

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et ses yeux comme armes

tout semble immobile une secousse parfois fait trembler les rails

sur son front un dieu avait imprimé le sceau de sa délivrance

il se sert un verre allume une cigarette et attend son tour

dans le ciel d'hiver la murmuration des aigles signe la déroute

peut-être qu'un jour on cessera d'agiter cette boule à neige

pour franchir le fleuve pas de pont pas même un gué seulement l'espoir

la place était libre alors je me suis assis sur mon avenir

la rive était lente le limon devenu sable — j'y perdais ma trace

rangée de vinyles je tire de sa pochette les quatre saisons

09 février 2019 les coups d’un pinceau trempé dans un gobelet rempli d’une eau sale

fin d'après-midi — il pleuvait et j'avais froid quand elle est passée

il s’est installé sur le fauteuil réparé en attendant mieux

d'un doigt hésitant les mots coulent sur l'écran — mentent-ils vraiment ?

assis à la porte le vieil impotent regarde le fleuve couler

il y avait son rire qui tournoyait dans l'été — l'hiver vint trop vite

ce soir-là il neige quelque part sur la campagne et sur le silence

la lampe en étain n'a jamais connu la flamme — potiche inutile

un train immobile lentement est recouvert de flocons épais

les ans ont passé — sur le gravier de l'allée le chiendent repousse

lumières diffuses dans la nuit fantomatique les fenêtres pleurent

la nuit ne veut plus recouvrir les hurlements de mes cauchemars

un seul passager dans un seul compartiment compte les flocons

une vie de rêves plus noirs les uns que les autres les yeux grands ouverts

il fume et il boit il ne sait pas où il va d'ailleurs il s'en moque

j'étais l'estuaire ensablé de ses désirs un fleuve tronqué 164


10 février 2019

j'aimais cette chambre au matelas capricieux et l'auvent d'arômes

soleil par endroit — mais aujourd’hui les nuages gagnent la partie

sur le vent chevauche l’odeur de neige lointaine d'un nord improbable

réveil plutôt lent — même avant de s’étirer il goûte le monde

sur le plateau tourne le disque cent fois joué d'un rêve rayé

silence sans poids — sur la table s'est posée une feuille morte

tombe dans mon cœur une pluie de vieilles larmes au sel sans saveur

j'ouvre la fenêtre — une envolée de moineaux avec mon sourire

la lumière est lente et la lampe qui vacille appelle la nuit

dans l'abreuvoir vide couvert de feuilles mortes une pie se baigne

12 février 2019

je faisais semblant de pêcher pourtant ma ligne n'avait pas d'appât

le soleil démêle un entrelacs de nuages frisé par le vent

nuit noire et profonde — le puits de mes souvenirs a perdu son seau

un bruit une odeur simplement un mauvais rêve il tourne la tête

le vent court la dune et au fond de mon regard la larme résonne

au bord de la nuit les rêves du papillon prennent leur envol

11 février 2019

écume des vagues au fond du ciel les nuages ont un goût de sel

les bras du cyprès bercent encore un nuage dans le ciel serein

posé sur le mur le parfum de la garrigue joue avec l'hiver

vigie impassible il surveille l’horizon du portail ouvert

mur de pierres sèches les mousses sont tes compagnes même en plein midi

accrochée aux branches la lune au premier quartier — un premier refrain

j'avais rêvé d'ailes mais ange aux plumes roussies le rêve s'enfuit

le vent a forci mais dans les branches du chêne des feuilles résistent

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bateau de papier tu ratures tous les mots pour passer le Styx

le ciel est strié des trainées de longs voyages et rêves de brume

j'avais fait naufrage au bord d'une flaque d'eau un soir de novembre

ombre du matin — il accroche la lumière et somnole encore

cette peau cuivrée au goût de sel et de sucre et ce grand soleil sur les ombres de ses plis dans lesquels je voyageais

15 février 2019

13 février 2019

sur la chaise vide à table en face de moi l'ombre devient flou

aboiements d'un chien feulement de la vallée je frissonne un peu

le ciel sans nuage et tranchant comme une lame — le soleil d’hiver

un liquide amer la bile mal distillée de la nostalgie

parti en voyage sur la barque du sommeil — brillants paysages

surface indistincte y flottent les souvenirs des âmes noyés

longtemps j'ai aimé des femmes molles et lentes — corps de feu qui couve égaré sous la chair blanche et s’embrase au premier souffle

j'aurais bien voulu hélas jamais je n'ai pu retenir mes larmes

les braises dans l'âtre ont gardé dans leur mémoire l'odeur de résine

lumière blafarde — dans la pénombre et les larmes je relis ses mots pourquoi ai-je conservé cette lame de papier

deux traces de pas se rapprochent puis s'éloignent — caprice du sable

la nuit prend patience elle ne craint pas le froid qui sourd de mes tripes

le vent me chuchote un secret si bien gardé que j'oublie déjà

mes mains de vieillard n'ont pas oublié ses cris de jeune gazelle

j'irai dès demain chercher mon vieux sac de billes au bout de l'enfance

il y avait des nuits où le temps passait si vite qu'on ne dormait pas

ce chemin étroit m'accompagne néanmoins au bout de l'ennui

sur le guéridon brusquement mon verre tremble — la nuit se rapproche

14 février 2019 166


une larme coule — lentement elle rejoint les rives du Styx

c'est toujours l'hiver — la nuit pose son silence sur les feuilles mortes

un peu de déprime beaucoup de mélancolie le sommeil s'enfuit

un cœur une flèche et un cupidon stupide l'amour empenné

derrière la vitre l'écureuil n'est pas venu me dire bonjour

17 février 2019 du ciel sans nuages s’élancent les rayons froids de brume sans poids

dans les viornes-tins des oiseaux si minuscules font trembler les feuilles

hiératiquement posé au bord de la table il dompte le temps

16 février 2019 matin sans chaleur — la brume entre les collines comme un souvenir

la nuit s'ennuage — l'ennui abuse d'un ciel pesant et livide

le même fauteuil — nous échangeons les chaleurs de nos somnolences

je me perds à l'aube dans un rêve où je suffoque sous le ciel salé

j'ai l'air bien pensif dans la lumière livide de mes acouphènes mais entre mes deux oreilles un grand vide est installé

parfois au souper nous mangions des cheveux d'ange — j'ai gardé les plumes

le regard se perd sur la crête des collines mon cœur bat si loin

l'ombre du tilleul nous paraissait si légère dans la chaleur moite le chemin restant à faire était pourtant bien trop lourd

l'ombre était féroce elle tranchait la lumière et l'odeur d'été

18 février 2019

les cailloux roulaient sous nos pas mal assurés — le ciel se mérite

sur le bord du puits sereine la mort attend qu'il se jette à l'eau

en toute conscience l'homme a escroqué la terre à coups de notaires

la lune insolente gonflée comme une baudruche garde le silence

les ombres diffusent à la lueur de la lune et l'esprit s'égare

les jours s'évaporent — les nuits sans même combattre déposent les armes

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plantée dans le sable une vieille croix de bois que la mer submerge

les premières feuilles pointent le bout de leur nez dans le lilas blanc

qui viendra s'asseoir à la dernière tablée boire un dernier verre

est-ce bien la fin ? déjà les fleurs d'amandier tombent sur le sol

odeur d'abricot et parfum d'iris sauvage — mémoire emmêlée

parfois sur un banc de la contre allée ombreuse nous posions nos rêves pour ne pas les fatiguer mais il était bien trop tard

estomac brûlant — je me retiens de vomir sur mes souvenirs

20 février 2019

peur des crépuscules je prolonge les veillées jusqu'aux aubes rouges

ce silence intime qui désespère et me mine — je n'ai plus la clé

sa main dans ma main nous nous asseyions souvent sur le bord du soir dans le silence et la paix des collines parfumées

dans la nuit farouche les ailes frêles des rêves ont laissé des plumes

les fleurs d'amandiers ont recouvert les cheveux du vieux moine zen

des rivières d'or coulant sur des lits de perles roulaient des diamants c'était un pays étrange où les rêves prenaient vie

19 février 2019

chant de la vallée — la nuit figée sous l'auvent entretient la peur

parole envolée — mais quand elle reviendra je vous sourirai

21 février 2019

du sommet du ciel la lune au regard glacé émiette ses dards

entre les collines écarlate elle se dresse au-dessus des ombres

dans la contre lune la silhouette des arbres érige un palais

c'est un vent lointain dont j'écoutais les histoires le long du chemin

dans la nuit lunaire le tapis de feuilles mortes devient de la soie

lié au destin l'avenir n'existe pas seul le présent passe

168


les petits bonheurs ceux qui nous ont fait sourire ont cette importance

23 février 2019 matin en lambeaux — la brume entre les collines sans bruit se déchire

taches sur les mains et rousseurs sur le visage — l'automne est passé

vigie attentive il guette avec impatience le printemps furtif

je ne compte plus et la sixième saison lentement s'efface

on sent dans les branches un fort désir de bourgeon une envie de vivre

22 février 2019

je ferme mon livre — les yeux me brûlent un peu sous la lampe terne

étrange pays que le pays de la nuit aux gares absentes

c'était une histoire de vent de désert de sable et d’iris aussi

j'ai ouvert un livre — une maiko joue du luth sous les sakura

au bord de la route il y avait une auberge retirée dans l'ombre parfaitement invisible où les rêves faisaient halte

la nuit prend ma main et guide ma rêverie vers la nostalgie le premier pollen sur la table de l'auvent j'ai tracé son nom

ils s'y reposaient des fatigues du chemin des combats menés contre des armées de spectres et de zombies déguisés

je ferme les yeux j'imagine son visage tout contre le mien

le vieil aubergiste leur servait contes et fables et versait du vin des vignes dans les nuages qui pétillait sur la langue

parfum d'abricot — sur ma peau je sens sa peau qui frissonne encore la branche encor nue comme un kanji sur la lune — pêcheur de lumière

c'était une auberge qui n'existait pas vraiment mais s'il le voulait un rêve y trouvait pitance avant de s'évaporer

je lève mon verre et mon ombre fait de même — nous nous saluons

dans la cheminée les flammes ont dévoré sa dernière lettre

brumes matinales coulant entre les collines — la vallée s'éveille

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le vase était vide — je l'ai rempli d'espérance mais les fleurs se fanent

syllabe de trop qui me perce le gosier — compter me rassure

sirène lugubre elle court et effarouche la vallée tremblante

silence de trop — la musique interrompue plonge dans la nuit

je range mes songes dans l'ordre de leur couleur du gris sombre au noir

25 février 2019 matin dans la brume l’haleine de la vallée est bien froide encore

oiseau sur la branche — dans cet équilibre instable l'histoire finit

il s’est rendormi après le petit salut aux tuiles du toit

24 février 2019 l’écharpe de nues s’étend mollement aux pieds du vieux Garlaban posture de sieste — à croire qu’il veut gagner un concours absurde

Macro climat serein. Galoubet et Buccin jouent le même refrain sur l'île aux enfants où tout le temps c’est le printemps.

l'année du cancer j'ai planté un olivier qui me le rend bien

un soir il neigeait ma voiture a patiné j'ai pris un congé

soirée sans secousse vers l'îlot des rêveries je tiens bon le cap

au bord de la mer par un soir d'hiver j'ai vu l'horizon se tendre

pénombre soluble et silence incandescent — papillons de nuit

la terre s'en fout — en un siècle nous avons banni tout espoir

les ombres des meubles dans le silence immobiles — des gouffres de nuit

je l'ai retrouvé dans un vieux livre de classe mon premier amour

mystère des nuits qui commencent dans la crainte d'égarer le jour

des îles si proches sur lesquelles rien ne pousse que la soif du large

douleur dans les dents — à peine si je peux mordre mes expirations

pas de vent ni bruit mais sur la route immobile la poussière épaisse

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une borne au loin — on ne la distingue pas mais elle est bien là

parfum de lilas — dans les bourgeons j'imagine la couleur des fleurs

rendez-moi le vent qui raconte des histoires que je peux comprendre

j'essaie de savoir quelle odeur aura l'oubli quand je serai mort

26 février 2019

tant de verres bus ! y en aura-t-il assez pour un seul poème ?

lentement les branches accompagnent les bourgeons tendus vers le ciel

27 février 2019

l’antenne télé sert peut-être de perchoir à quelques bouchées

le ciel ne sais plus avec quel pinceau jouer — une brosse ronde ?

à la fin du jour j'attends des heures qui viennent une délivrance

à table il médite comme un gros sage gourmand couvert de fourrure

la nuit le repaire des ombres enténébrées et rêves obscurs

la jeune princesse dissimulait son sourire derrière un tessen les lames d’acier pourtant scintillaient comme des crocs

une main tendue que je n'ai pas su saisir au-delà du gouffre

à l’abri des arbres les feuilles mortes pourrissent comme ma mémoire

elle va et vient se jouant d'un vent léger une feuille morte

je veille mon chat — sur le coussin il somnole d'un sommeil malade

sur la table instable j'ai nettoyé la poussière et les ronds dans l'eau

ses vibrisses brillent sa respiration se fige il rêve qu'il chasse

à travers la vitre le refrain mélancolique d'un rayon de lune

le poids de la nuit est tombé sur son pelage — je le vois à peine

à l'ombre des pins une fleur de pissenlit offre ses racines

son flanc est plus calme son souffle devient profond il s'endort vraiment

qu'il est maladroit ! mon cœur a raté la marche qui mène aux nuages

chemin sous la lune l'ombre démente des arbres ricane en silence

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28 février 2019

il frotte ses mains froides d'une terre aride l'une contre l'autre

brume matinale mêlée de fumées plaquées — l’air de la campagne

il plisse les yeux pour bien figer les collines mais le flou persiste

il attend peut-être que je lui fasse un shampooing mon petit dodu

sa peau d'abricot dans les rides de ses mains reste encor gravée

le vent prend son temps les dernières feuilles mortes tombent mollement

il sentait la joie qui coulait avec ses larmes un jour de printemps

vingt-huit février quinze degrés à minuit sacré thermomètre !

la barque arrimée au bord du quai de l'espoir n'est jamais partie

ma tête bourdonne une abeille dans l'oreille pille mes neurones

la feuille éreintée qui est tombée dans mon verre est ressortie ivre

le vent s'embourrasque les feuilles mortes s'abritent au seuil des ténèbres

02 mars 2019

01 mars 2019

entre les nuages le matin cherche une place à mettre au soleil

un lointain portique monte à l’assaut des nuages que le vent balaie

il se sent en forme suffisamment pour grimper manger sur l’évier

mon chat égaré dans l’ombre de ses pensées voyage insouciant

ainsi se termine un petit livre de contes écrits bien trop vite

là au fond du ciel une étoile s'illumine rouge de mon sang

le vent s'est calmé les feuilles mortes reposent en paix sur le pré

assis immobile sur le vieux banc de bois tiédi au soleil

pénombre propice aux gambades des pensées mais tout va trop vite

vieillard taciturne il se raconte des fables et ses rides tremblent

fierté d'écolier dans sa poche il y avait un opinel huit

une feuille morte s'est posée sur son béret pour l'apprivoiser

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son allure avait l'élégance d'une flèche qui atteint son but

fichu noir serré sur ses vêtements de veuve grand-mère de l'ombre

mais mal empennée elle était si sûre d'elle que j'ai débandé

04 mars 2019 retour des nuages ils ne pouvaient pas laisser gagner le printemps

j'ai brisé la corde détendue et dissonante perdue sans le sol

donc réfléchissons je bois ou bien je me couche dans le lavabo

à quoi sert un arc fut-il des meilleures fibres sans la corde à tendre

soirée indolente dans le silence furtif la lampe somnole

je voudrais poser mon âme et mon corps fourbus au bord de la route

les orchis fleurissent au bord du petit talus planté d'oléastres

dans le figuier nu sans craindre qu'on les remarque quelques pies papotent

il pleuvait ce matin-là je marchais sans parapluie sur le trottoir inondé et je l'ai croisée

03 mars 2019 toujours pas de feuilles pour parer les branches nues — l’hiver se déguise

entre les graviers le chiendent robuste gagne toute la terrasse

pause sur la table avant d’aller se poser sur son coussin rouge

s’il pouvait pleuvoir une douce pluie sans force et mélancolique

un premier crapaud dans la nuit sombre de mars fait des vocalises

c'est l'esprit de mars égaré dans les bourrasques qui vaincra l'hiver

le cœur bien au sec on les attend de pieds fermes folles eaux de mars

sur ma terre plate il n'y a pas de montagnes il n'y a rien

dans mes mains ridées la terre prend tout son sens et un arbre germe

je voudrais dormir et ne plus me réveiller — rester dans le rêve

je ne me souviens de ma vie sans importance que des jours de pluie

sept milliards d'humains sept milliards de revenants ne plus respirer

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comme des enfants nous gambadions sur la plage enfants nous étions

05 mars 2019 grimée en hameau lentement la ville avide ronge la garrigue

cet été était le repaire de nos jeux sa rose des vents

petit exercice — quelques pas dans la lumière et retour au lit

parmi les arômes au vent du sud nous laissions notre porte ouverte

un fier tourtereau déclame à sa tourterelle un bruyant poème

quand soufflait l'autan nous enfermions nos caresses sous un lit d'ivresse

odeurs de printemps dans le vent léger qui joue des feuilles naissantes

mais un vent du nord un soir d'automne mauvais nous a dispersés

l'herbe déjà haute n'attend plus qu'un peu de pluie pour frôler le ciel

06 mars 2019

phare minuscule — veilleuse de la télé que je n'éteins pas

mars se rit de nous — l’hiver bloqué par la porte des nuages froids

lumière cruelle dans le jardin du voisin — mais un grand silence

pour lui rien ne change — toujours l’heure de dormir quelle que soit l’heure

cadre un peu penché — on dirait que le voilier coule sur le mur

plus rien à dire je laisse à mon âme aphone le soin de conclure

sur la berge ombreuse absout de tous ses péchés un pêcheur sans canne

contre le volet le rideau de perles grogne après les rafales

jupon indécis va-t-il profiter du vent pour se soulever

je n'ai plus la force d'en poser sur la platine — rangée de vinyles

jeunesse insoumise et vieillesse sans courage un rien vous sépare

et ces deux gros baffles à quoi me servent-ils donc dans le grand silence

de mes lèvres closes un mot resté prisonnier tente une évasion

j'ai mis au grenier les souvenirs des voyages que je n'ai pas faits

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un gros coquillage essaie de me rappeler la chanson des vagues

malgré le printemps et le ciel ensoleillé il pleut sur mes rêves

comme un clandestin sur le marchepied du temps je voyage à l'œil

je vois sur l'écran une immense chevauchée la télé éteinte

nuit sous les étoiles sur la porte de la chambre ne pas déranger

lent épuisement de toutes les facultés — je grave ma pierre

hôtel de passage — seul dans la nuit il regarde le jour se lever

je déambulais sous l'allée de marronniers — le conte des morts

la fenêtre ouverte il écoute au loin les vagues mordre les rochers

l'alcool et les larmes d'aventures oxydées coulaient dans mon verre

un matin d'hiver le froid venu le saisir ne le lâche plus

en face de moi le mur blanchi à la chaux est devenu gris

puis il est parti un oiseau par la fenêtre oubliant le nid

un instant d'ivresse et on se réveille avec la gueule de bois

07 mars 2019

le bruit lent des vagues qui déroulent sur la plage leur mélancolie

il ne fait pas froid les rêves me tiennent chaud la nuit sous l'auvent

le château de sable peu à peu anéanti dans l'ordre du sel

une pensée folle efface d'un pas de danse la mélancolie

la gorge nouée par un garrot d'amertume je n'ai rien pu dire

bilan du labo — il va falloir que je cueille ces fleurs dans mon ventre

08 mars 2019

la nuit se faufile dans le cœur de mon silence — petite lucarne

déjà des bougeons tendent les nouvelles branches — l’archer et sa flèche

cueillies par le vent les dernières feuilles tombent entre les bourgeons

mon chat indistinct dans le bruit et le brouillard — photo du Cheshire

175


chaque jour son lot de surprises aujourd'hui mon chat m'offre un lapereau

aboiement d'un chien au loin sur la route sombre — la nuit intranquille

10 mars 2019

ouvrage du temps — même dans les cimetières les pierres s'effacent

au fond du vallon la brume se colle encore aux routes douteuses

sourire au passé et pleurer sur l'avenir qu'on sait sans espoir

rentré de balade ébouriffé – ça mérite un peu de coiffure

l'ombre se referme comme un couvercle de plomb dessus ma mémoire

la barque chavire et voilà comment on meurt noyé dans le Styx

j'avais dix-sept ans je ne voulais pas vieillir — comme le temps passe !

ces vieilles photos — mon regard d'enfant déjà si mélancolique

de fil en aiguille le suaire se referme sur l'âme endormie

les pieds sur la table j'attends que d'un bond mon chat saute sur mes cuisses

09 mars 2019

je glisse un CD — la béance de la nuit joue Bach par Glenn Gould

un ciel cent chemins qui ne mènent nulle part — nuage égaré

la langue du fleuve rassasiée des boues humaines ronge l'océan

quelques taches blanches — mon chat maquille la nuit d’un pinceau de rêves

depuis des années j'ai perdu le goût de lire et j'écris très mal

trop près de la lampe petit papillon de nuit ne t'approche pas

voilà dix mille ans que je me vois immobile sur le banc des chênes

petit lapereau par le gros chat apeuré tu ne crains plus rien

vite et par surprise je voudrais qu'elle survienne — j'en demande trop ?

douceur de la nuit propice aux enchantements de rêves promis

j'ai ouvert la main aucun oiseau n'est venu picorer mes pores

le vent me confie l'histoire de l'éléphant et de la souris

176


pénombre et silence accompagnent mon humeur au bord du sommeil

quelques fleurs encore sur le vieil abricotier — mémoire insoumise

le sel et les vagues — les bords de mer en hiver sont mélancoliques

gravés dans le sable les serments et les promesses des adolescents

prémisses du vent — au nord le ciel était rouge et mon cœur aussi

c'était la promesse d'un été sans concession — un été brisé

11 mars 2019

12 mars 2019

dans le ciel de vent les nuages malmenés s’enfuient vers le sud

même ciel brumeux sur la vallée qui s’étire et bâille en rêvant

prélude à la sieste une petite toilette est indispensable

fauteuil réparé voilà qui mérite bien la place au soleil

en pleine lumière le cri des pies qui convoitent un morceau de pain

elle avait six mots qu’elle agençait en bon ordre — puis elle est partie

quand le vent mugit les tourterelles se taisent le jardin aussi

contre le ciel blême le fantôme des grands pins l'ombre de la nuit

un temps favorable un peu de tonte aujourd'hui — je suis fatigué

couché sous les chênes le museau entre les pattes le vent se recueille

dans les lauriers-tins des milliers de fleurs écloses pour quelques abeilles

sur mes jambes lourdes une tonne de tendresse doucement ronronne

morne saison sèche — un mois de mars décevant couvert de poussière

derrière la vitre la nuit se met à grogner — je lui jette un sort

entre les étoiles mon esprit s'est élancé sans trouver la sienne

silence de l'âtre la bûche craque parfois — caresses des flammes

au creux de l'épaule le souvenir de sa tempe a laissé son manque

démarche légère j'ai arpenté le jardin un matin de mars

177


assis sur sa chaise il attend que je dépose son plat de croquettes

13 mars 2019 lissées par le vent la brume et les nues se tassent au fond du vallon

je ponds des tercets comme on poinçonne aux Lilas sans y prendre garde

un dernier regard par la petite fenêtre avant de dormir

le vent se tempête dans les tas de feuilles mortes — remise en désordre

murmure du vent — les bourgeons et leurs violons grincent dans la nuit

j'imagine au loin le soleil sur l'horizon orné d'un sourire

dans le courant d'air le pollen et la poussière dansent sous l'auvent

je sais être doux pourtant sans raison je griffe — mon chat m'a appris

au bord du regard une larme sans raison brouille la lumière

sans savoir pourquoi je suis de mauvaise humeur pourtant je me soigne

un coussin moelleux — le gros chat et sa paresse creusent leur repaire

le front douloureux je referme les paupières un feu d'artifice

de lentes gorgées peu à peu vident mon verre de larmes amères

première tarente — il semble que c'était hier que j'ai vu la dernière

ces années épaisses qui me collent au gosier comme un cri de haine

odeur d'herbe rase — je viens de me promener avec la tondeuse

lentement la barque en raclant le fond parfois suis le cours du fleuve

la lune passée s'est agrippée aux branchages avant de tomber

14 mars 2019 15 mars 2019

j'ai longtemps pleuré parfois des larmes de joie souvent de chagrin mais le temps irrémédiable a épuisé mon regard

un bal dans le ciel à la musique des nues — toujours pas de pluie il boit à la source — le domaine de mon chat est plein de déserts

course des nuages dans le ciel d’un bleu de Prusse — le vent gifle encore

178


les crapauds se plaignent d'un mois de mars trop aride — ils ont la toux sèche

souveraine et nue la lune a couvert mes yeux d'un linceul d'argent

j'ai semé du sel dans les sillons de mon cœur les vagues fleurissent

le chat s'est couché sur son coussin préféré à l'abri du vent

perclus de pénombre le silence geint craintif sur ma somnolence

dans les herbes hautes les orchis se sont cachés — odeur d'ail sauvage

en ouvrant mes mains pour une offrande à la vie le sable s'échappe

une étrange histoire de vent et de feuilles mortes griffe ma mémoire

son jupon de brume vaguement plissé la lune a des airs de fée

lent pourrissement de mon corps mal arrimé au quai de l'oubli

je monte à tâtons — réveiller le chat qui dort vous n'y pensez pas

je ne suis pas poète je chie les mots dans la douleur d'une constipation

17 mars 2019

je fuis et je fuis d'orifices mal fermés soumis à la fuite

ils étaient si proches mais la distance infinie en si peu de temps s’est creusée d’un gouffre immense une sorte de trou noir

écrire est un art que je ne maîtrise pas : je jappe et je crie

chassant les nuages le soleil est assez haut pour pendre la veste

16 mars 2019 au-dessus des toits entre la brume et nuages le soleil hésite

devant le grenier il attend que je lui ouvre pour son inspection

la petite sieste sur mes cuisses rembourrées il n’hésite pas

entre chien et loup le silence de la brume et souffle des arbres

des trains jouent des trompes l'un sans doute très pressé veut dépasser l'autre la symphonie ferroviaire n’enchante pas la vallée

les crapauds s'essoufflent à coasser dans le vent — que vienne la pluie ! petite lucarne qui ouvre sur les ténèbres du jardin aveugle

179


un filet de brume lie le chêne et l'olivier jusqu’à l’aube froide demain ou une autre nuit ce lien de gaze rompra

au fond de son cœur restait un noyau d'amour dur et desséché nous n'avions plus peur de l'orage et des tempêtes sa main dans la mienne

au bord du chemin les pissenlits matinaux m’offrent leur sourire

pour un seul sourire je vends la peau de cet ours qui bougonne en moi

j'ai donné aux mots une soirée de vacance ils n'en disent rien

j'ai le vague à l'âme depuis que j'ai égaré l'ombre de mes mots

dans le clair de lune l'ombre des branches frivoles taquine mon ombre

la vieille télé — lui manque-t-il des images depuis tout ce temps

pourquoi cette larme coule-t-elle sur ma joue quand je me souviens

l'ombre du crapaud contre le bahut de chêne — la sombre chimère

il y a longtemps un soir de mars il pleuvait sur ma solitude

la nuit s'effarouche des rafales insoumises qui plient dans les branches

éclat de charbon dans mon cœur incandescent — la nuit me fait mal

18 mars 2019

19 mars 2019

à grands coups de fouet il repousse les nuages loin dans les collines comme un cocher de télègue le vent aboie aux oreilles

soleil insipide — dans un ciel martyrisé les nues se bousculent il a retrouvé pour un seul matin sans doute son adolescence

griffées par le vent ensorcellement de nues autour du soleil

Les vieux Ils chassaient les loups avec des cailloux. Quand ils n'eurent plus de pierres, les loups n'en voulurent pas tant ils étaient maigres.

le fond de mes yeux est abreuvé de merveilles quand je vois ses yeux d'une rive à l'autre l'incertitude du gué attise la crainte

je baisse la garde la nuit en profite alors pour mordre au gosier

180


pour voir dans son cœur j'ai posé ma bouche humide sur son doux sourire pourtant j’étais si timide c’était un premier baiser

le ciel chante bleu et tisse un écrin de soie à la pleine lune un boulet d’années — j'avance si lentement le temps me dépasse

flotte dans la nuit l'air léger d'un printemps de fraîche musique

21 mars 2019

c'est la nuit de mars qui a piétiné mon cœur — je l'ai su trop tard

dans le ciel, rien sur les collines non plus — les arbres sans feuilles

la mélancolie la pénombre et le silence — pivots de ma vie

posé sur la table et à moitié somnolent il plisse les yeux

un chat assoupi — la mélancolie soyeuse ronronne à mes pieds

lune échevelée dans la houppelande bleue du ciel sans étoiles

hérissé d'épines comme une rose sauvage mon cœur se défend

lumière frileuse — elle attendrit sous l'auvent mes pensées nerveuses

20 mars 2019

voguer sur le vent jeter l'ancre n'importe où embraser le ciel

les nues se rassemblent au-dessus de la vallée — présage trompeur

il fait froid encore ivre de mélancolie je monte mon col

le nez sur un pied il respire son sommeil d’une lenteur douce

au fond du gosier ce goût de vieille défaite — le sel de mes larmes

le chat sur le toit dans cette nuit équivoque rêve au clair de lune

fauteuil avachi ses cousins ont pris la forme de mon avenir

souvenirs anciens rameutés par la marée — le cœur bat plus vire

22 mars 2019

preuve de la nuit — il fait si sec dans mon cœur et pourtant il saigne

le ciel flou de brume encore à l’heure tardive cache des secrets

parole éclatée — le murmure d’un sanglot noyé sous les vagues

l’évier du cellier la nouvelle découverte du chat des fontaines

181


assurément non je ne suis pas le poète de cette âme absurde dans les abysses des signes je ne suis qu’une virgule

la mare est petite un seul crapaud dans la nuit crie sa solitude un ballon d'enfant comme on n'en voit plus jamais la lune se lève

23 mars 2019 aussitôt levées les nuées en pyjama se frottent les yeux

la nuit me submerge une vague d'alcool fort draine mes paupières

petit coup de brosse avant d’aller au jardin pour son inspection

illusion de vivre ne rien faire pour mourir les algues du temps

au bout de la ligne comme une anguille ferrée les souvenirs gigotent ils glissent entre les doigts aussi fourbes que visqueux

un vieux cauchemar aux arêtes émoussées me tient lieu de rêve

25 mars 2019

rouge et essoufflée la lune escalade un arbre

table sous l'auvent le pollen poussière d'or me la rend précieuse

balade immobile la paresse m'accompagne

sous l'auvent le vent invente de vaines fables incompréhensibles

les pieds sur la table un rêve court dans ma tête la nuit me surprend quand je déterre un soupir

je sombre la nuit dans un cauchemar houleux couvert d'icebergs

la lampe chancelle je me raccroche à mon ombre

26 mars 2019

la flamme ronronne couchée sur son lit de braises

l’arbre de Juda s’est réveillé écarlate — je cherche un pendu

le bruit de la nuit respiration du silence

devant le grenier il se gorge de soleil — les carreaux rougissent

musique lointaine une soirée d'inconscience

une pluie de rires de mépris et de sarcasmes sur mon cœur percé j’ai ouvert un parapluie aux baleines disloquées

24 mars 2019 petite tarente sous les mallons de couvert il doit faire doux

182


sous l'auvent je fume une cigarette amère

la lune à l'affût des étoiles arrogantes

la lampe timide craint les ombres gigantesques

petite lucarne elle filtre les ténèbres

le soir me repose d'une journée de néant

frêles doigts du vent qui infatigablement sculptent les nuages

sur le banc de bois l'ombre des chênes somnole

au bord des paupières le froid amer de l'absence

dans le soliflore une rose s'ennuie ferme

sur la langue le goût de l'absente

carnet moleskine dans lequel nous dialoguions — les traces s'incrustent

dans la nuit frileux je resserre les cordons de mes souvenirs

les sables du temps figés dans l'oubli sans fond — plus un grain ne bouge

combien de soupirs vont précéder le dernier

une étoile rouge est dressée sur l'horizon — le ciel prend parti

28 mars 2019 feuilles du figuier qui pointent leurs jeunes pousses — torture des branches

dans mes tripes fluides l'envie de vivre résiste aux tristes marées

dans le rituel on sacrifie un peu d’eau avant de la boire

27 mars 2019 au bout des rameaux les jeunes feuilles insistent auprès du printemps

les nids endormis dans le silence et la nuit bruissent doucement le gros matou sur mes cuisses vient de dresser une oreille

sur le lac sans ride une barque est immobile elle est vide aussi absurdes les rames trainent inutiles corps sans vie

lumière de miel — sous la lampe du salon des lettres d'amour

je suis fatigué un vent souffre dans ma tête

l'histoire est finie — je poserais bien un point mais mon cœur hésite

le fauteuil creusé comme une vieille tempête

assis sur le banc je respire l'univers clos de mon jardin

183


l'ombre était complice et mon corps incandescent cherchaient sa tanière

penser à demain c'est penser à mon trépas — je pense au passé

mots de tous les jours pour la parole évidente — tercets sans énigme

combien de trésors qui ne valent pas un clou dans la vieille armoire

parfums à mes trousses je courais dans la garrigue — j'étais innocent

à mes pieds le vide incommensurable et vain d'un gouffre de sable

un bruit de rocaille comme une alarme essoufflée vient rayer la nuit

les chênes s'habillent le chant joyeux des oiseaux exalte les feuilles

la télé éteinte je rembobine le film de mes illusions

l'ombre de la fleur pose sur la coccinelle un voile léger

29 mars 2019

dans les viornes-tins le partage des oiseaux

un ciel sans couleur couvre l’ombre des collines saison languissante

30 mars 2019 les nuages passent indifférents et hautains sans espoir de pluie

le portrait d’un chat égaré dans l’univers des rêves félins

changement d’étage il retrouve son bol bleu — le retour aux sources

en plongée profonde je m’abreuve de l’eau sale de mes souvenances par lentes déglutitions je bois le sel de mes larmes mailles de mémoire — gout de sel et d'abricot mêlés sur mes lèvres

l'ombre du feuillage — des bouquets en noir et blanc que le vent caresse — toutes ces vieilles photos qui bruissent sous le couvercle

les photos passées d'une rencontre éphémère

le chant des oiseaux et le printemps sort de terre

arêtes tranchantes — mon cœur à mal supporté ses éclats de rires

petites gorgées le verre dure longtemps une heure éreintée en pause au bord de l'horloge

trop de passagers sur la barque de mémoire — naufrage du temps

184


couvert de fatigue je secoue mon existence

promesse de pluie — sera-t-elle enfin tenue par le ciel timide

personne ne peut imaginer le néant

un rêve pénible a agité ses vibrisses — le réveil inquiet

à l'ombre des pins un nuage de pollen

le ciel sans chaleur cède la place aux nuages — quand tomberont-elles les ondées tant espérées par les herbes déjà jaunes

saison des fleurs jaunes les pâquerettes patientent j'ai remis de l'ordre dans le tiroir poussiéreux

pour un verre d'eau la mélodie des crapauds — chanson pour la pluie

mois de mars sans pluie désespérance du pré et des fleurs atones

première hirondelle un éclair sous les nuages clin d'œil du printemps

le morne silence et la lumière sans joie — la mélancolie

fin d'après-midi — le soleil nous offre encore de longues lumières

31 mars 2019 au changement d'heure mon chat a perdu le nord

les feuilles des chênes s'enhardissent tout au long des nouveaux rameaux

où sont-ils allés tous les rêves oubliés

de petits points jaunes entre les troncs du verger festin des insectes

changer de trottoir pour ne plus la rencontrer

vient l'apaisement — soupirer quitter la route et sécher les larmes

01 avril 2019 dans le ciel malade le printemps est au chevet des nuages blêmes

la lampe de bronze la soirée devient pesante

patient il attend que je dresse le couvert il ne m’aide pas

chambre d'hôpital la fièvre sur les murs jaunes sur le banc de bois les fantômes se bousculent

le soleil sans force essaie de chasser les nues le ciel est tenace sous la menace il ne cède aucun éclat de nuage

pendue au plafond une toile d'araignée — refuge des songes

02 avril 2019 185


traverser à gué et se noyer malgré tout

de vieilles cassettes alignées dans un carton — l'ère des péplums

livre à peine ouvert et voir la dernière page

au détour d'un conte mon ombre a croisé la sienne

une main tendue quelle que soit l'intention c'est déjà une arme

les feuilles figées dans la crainte des fantômes

tout est vieux chez moi les objets et la mémoire

05 avril 2019 soleil sans chaleur l’eau froide du robinet m’a mordu les doigts mais il fallait bien pourtant arroser ce cœur flétri

03 avril 2019 sous l'auvent silence les pensées font le ménage de mes nuits grinçantes la pluie commence à tomber sur les tuiles mal scellées

un coin de jardin entre l’ombre et le lumière d’un matin d’avril

petite fissure dans la muraille de nues — le jour en profite

douceur du soleil — dans ses pupilles fermées il fait provision

du donjon il guette les gouttes de pluie qui coulent sur la vitre froide

la nuit se recueille à la lueur des étoiles

la pluie sur l'auvent qui tout doucement fredonne la chanson des tuiles

silence des feuilles trop jeunes pour bruire encore

04 avril 2019

étrange bruit sourd qui secoue le mur aveugle

lumière tremblante les ombres furtives dansent

souvenirs d'été sourire de la mémoire

des frissons encore — le soir d'avril se souvient du bruit de l'hiver

je glisse un CD la platine se renfrogne lumière profonde — le requiem de Mozart secoue les ténèbres

jour après la pluie j'écoute l'herbe pousser

par la porte ouverte l'odeur du jardin humide

au milieu du pré je devine l'espérance des coquelicots

des matins d'avril s'échappe la nostalgie d'un parfum d'hiver

un chameau au mur cherche à sortir de son cadre

186


ombres du salon — je les surprends quelquefois au coin des paupières

sur la toile écrue pas même un coup de pinceau

06 avril 2019

07 avril 2019

sont venues les nues ambassades de la pluie promise au printemps

le ciel ne sait plus comment sculpter ses nuages — la pluie amnésique

retour à la source — sur ses vibrisses sensibles l’eau est une joie

du haut du donjon il attend les coups de brosse mais s’endort déjà

la nuit insoluble tourne autour du dernier verre de whisky doré petit papillon de nuit déjà ivre de lumière

j'ai offert ma peau à l'usure de la nuit et au temps complices devenue ruine de rides et amas visqueux et gras

le froid de la nuit s'est glissé sous le chandail épais de mes rêves

auprès de la lampe une tarente frileuse soigne ses écailles

j'écris le soleil à la lueur de l'écran

un cri de grenaille — une chouette s'est blottie dans la nuit humide

la pluie a cessé — bruit des branches qui s'ébrouent dans le froid humide

affronter la nuit plutôt que des cauchemars

j'ai fait un totem d'un vieux bout de bois flotté lissé par le sel

les crapauds dialoguent dans une mare cachée par la nuit humide

assis sur le sable j'ai essayé dans ma paume d'en compter les grains

le chat est rentré avec l'odeur de la nuit collée aux moustaches

les mains vers demain le regard dans le passé

des pierres d'eau froide pèsent sur les herbes hautes

un rai de lumière sous la porte de l'enfer

contre les ténèbres mes pensées tirent des bords

un fleuve de cendre explose dans mon gosier

brume dans mes yeux faut-il changer de lunettes

en buvant un verre je me raconte des fables et je ris tout seul

pénombre et oubli le silence du fauteuil

187


c'était un jour gris le vent d'est courbait l'échine du saule pleureur

l'encre a traversé le papier du vieux cahier — poésie dissoute

d'un index tremblant il me montre le tarif de la traversée

09 avril 2019 le matin d’avril se souvient des nues rêvées le mois précédent

ses seins abricot avait un goût de soleil dans l'obscurité

petit déjeuner puis quelques gorgées d’eau fraîche pour faire passer

du fond d’un tiroir je tire une vieille lettre au parfum d'iris

un petit vent froid souvenir d'un long hiver succède à la pluie sous l’auvent empénombré je me blottis dans les rêves

les verres se vident sur le zinc de la mémoire

08 avril 2019

lugubre une chouette au silence du crapaud répond c'est la nuit

des lambeaux de gaze s’accrochent encore aux feuilles juste défroissées

sa main et ma main l'une dans l'autre mêlées comptaient les étoiles

la toilette intime dévoile ses opinions — cuisse de quenelle

un torrent sourdait hors de ses cris assouvis

le soir nonchalant entraîne mon indolence dans le lit des songes je m’éveille et me demande si le monde existe encore

tremblant d'impatience avril fait la sourde oreille soirée sous la lampe je troque un instant mon livre contre une gorgée

le chat est sorti — rendez-vous avec la nuit je la suis des yeux hélas mon ombre est sournoise

avec le canif compagnon de mon enfance j'ai gravé ma canne

paré de joyaux le ciel profond de la nuit

petit acrobate il traverse le jardin sur un fil tendu

je suivais les rives le long de son estuaire d'une langue avide

les herbes sont hautes bientôt je pourrai rêver à l'ombre des fleurs

sur sa peau de cuivre brûlaient mes lèvres humides

188


silence profond j'entends le débordement du sang dans mes rêves

un soupir suffit pour qu'un rêve se déguise en cauchemar gris

l'envers de mon rêve jusqu'à la dernière goutte — verlan de mon verre

la petite plage au bord du petit ruisseau où j'ai bu son eau

son corps de sirène — là où mon cœur s'est noyé sur le bord du ciel

je lis sous la lampe et les lettres se maquillent en fourmis futiles

j'écoute la chanson rouge des galets roulés

11 avril 2019

10 avril 2019

un peu d’aquarelle sans trop d’imagination — ciel d’après la pluie

pâleur du soleil elle embrume les collines au loin dans le ciel

la lucarne ouverte sur la chanson du jardin — pensées vagabondes

il attend que claquent les serrures du grenier pour son inspection

dans le courant d'air le grincement des crapauds qui ferment la porte

minuscule insecte je pousse mon gros boulet de bouse et d'ennui sur les traces de Sisyphe dans la pente cahoteuse

odeur de la pluie sur le tas de feuilles mortes au milieu des tombes la façade humide dévoile des territoires aux contours solubles

sur la page vierge mes pensées tournent en boucle je reste infertile

le chat s'est couché il doit en avoir assez du pré détrempé

les mots sont restés tapis entre l'épaisseur de l'encre et la plume

sa peau veloutée était un fruit qui tentait ma langue curieuse

sa voix éraillée a accroché à mon cœur des noyaux de pêche

regard de charbon et ses lèvres entrouvertes je me consumais

ce n'est pas la nuit ce n'est que le crépuscule qui brouille mes yeux

quelques gouttes jouent sur les tuiles mal scellées — l'auvent se rebiffe

le fauteuil est large mais mon ombre à mes côtés prend toute la place

189


la nuit reste intacte — seul un éclat de lumière â travers la vitre

une fausse note le crapaud est enroué

13 avril 2019

je rêve pénombre et le silence répond

dans un ciel sans ride la pie tente l’aventure du pin au cyprès

sur les carreaux lisses glisse l'ombre de mon chat

une même soif toujours à la même source après les croquettes

un rêve fragile a laissé dans ma mémoire un éclat de rire

je ne souffre plus je ne ressens plus rien — serait-ce la mort qui vient prendre soin du corps d’un vieil homme tourmenté

le carnet fermé une larme prisonnière entre les feuillets sur ma peau demeure la mélodie de ses pores

le fier vent coulis sous la porte de l'entrée entre sans frapper

dans mes yeux brumeux le soleil de sa lumière

poussé par le vent le pollen dessine d’ improbables dunes

12 avril 2019 brume matinale — le soleil grimé en lune ne trompe personne

cris et châtiments par moment mon cœur s'arrête

oui, ferme les yeux respire le parfum frais d’un matin brumeux

la langue qui râpe — j'avais besoin de me taire à la fin les mots refusent de vouloir dire

la cuillère tinte sur le bord de la soucoupe — sirène de brume sirène de l’océan dans la vapeur je dérive

cheese ou ouistiti sourire de contrebande silence épaissi d'une longue somnolence

tiédeur de la nuit les crapauds et les grenouilles sont au rendez-vous

14 avril 2019

j'écoute la nuit qui doucement se murmure un clapotis d’eau

nuances de vert sous l’écharpe de nuages — printemps sur ses gardes

il pleut dans ma tête jusqu'au fond de la mémoire

le filtre yeux rouges devenu une émeraude — drôle de miracle

190


15 avril 2019

mon ombre diffuse qui pourtant n'est pas soumise à ma pesanteur se traine comme un boulet et couche les herbes hautes

le ciel se souvient de cette nuit aux étoiles trop grandes pour lui

les mots sont trompeurs — nous n’étions qu’un disait-elle

son regard se fige sur la petite lucarne remplie de pénombre

il y a longtemps que j'ai perdu la mémoire

16 avril 2019

nous étions enfants malgré nos gestes d'adultes

le ciel se fracture et les flammes amoureuses giflent le soleil

un soir ce fut tout ce qu'il est resté de nous

sous la lampe pâle et dans le bruit des pixels il s’est rendormi

mon chat sur les cuisses il ronronne à perdre haleine

l'oubli est tenace la mémoire elle, est vivace

en plissant les yeux parfois il me regarde et je lui souris

l'oubli espéré coupe à vif dans la mémoire — guerre de tranchée

à présent il dort dans l'insouciance feutrée du fauteuil usé

un instant fugace volé à l'éternité — le temps d'un sourire

mon chat de gouttière un chat extraordinaire mon chat mon poto mon seul ami ma tendresse

l'univers sphérique commence avec ma conscience finit avec elle

la télé éteinte la mémoire du néant

tout au fond du puits le ciel ronge les ténèbres

la barque qui tangue où va-t-elle me conduire

la lune essoufflée crache une vapeur de nues dans la nuit brumeuse

poussière oubliée dans la source d'une larme

dans la lune un petit lapin broute les étoiles

la brève conscience et la vague me submerge

je marche sans but le long des façades grises — l'ennui est rugueux

animal meurtri qui traverse le désert tu n'as donc plus soif ?

191


je savais courir sur les plages en hiver dans le sel glacial

les jeunes abeilles bourdonnent dans les lilas — moisson hasardeuse

allée de gravier — sur la tombe s’est posée une fleur fanée

petites fleurs jaunes — je ne saurai donc jamais leur donner un nom

ouvrir une porte sur les ténèbres glacées d'un néant jovial

toutes ces fleurs jaunes — autant de petits soleils perdus dans le pré

la nuit au salon le vieux fauteuil grince un peu

le chat est rentré — il est grand temps pour nous deux de soigner nos rêves

17 avril 2019

paupières fermées la clarté me monte au nez

dans le ciel rayé les souvenirs s’entrecroisent — traînées de voyages

des lueurs brumeuses larmes dans l'œil du village

sur les carreaux sales il expose sa fourrure aux yeux des nuages

rouge de colère l'œil de la télé éteinte

18 avril 2019

les petits crapauds se racontent des histoires — ça les fait marrer

une égratignure dans ciel trop délavée d’une brosse humide

la plage déserte — les souvenirs de l'hiver gravés dans le sable

on dirait qu’il rêve dans la pénombre discrète de l’après-midi

les chênes s'éveillent — le vert tendre du printemps prend de la hauteur

les mots sont rangés et le stylo se repose

épaisse pénombre — tous les meubles se rassemblent autour du fauteuil

à l'ombre des chênes feuille blanche feuilles vertes j'écris le printemps

j'ouvre le tiroir où j'avais rangé ses lettres — une odeur de cendre

de vieilles cassettes et la guerre des étoiles

sauvage la nuit a avalé les collines

reflet de la lampe sur le néant des ténèbres

un iris un seul a fleuri sur le talus — promesse d'oubli

le vieux banc de bois s'est refait une beauté — il me tend les bras

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des démangeaisons — de petites araignées tirent mes chaussettes

combien de merveilles tapies sous les feuilles mortes ont trouvé refuge

un petit crapaud sautille sur la terrasse au clair de la lune

le tian sur la pile où dessalait la morue avant le ragoût sur la vieille cuisinière un bruissement de légumes

mes mains se souviennent des ombres de son visage et du feu dans l'âtre

dans la rue en pente l'hiver brisait les conduits — de belles glissades

comme une aube blanche un nuage s'effiloche au feu de la lune

il fait doux ce soir le printemps reprend des forces — mon chat en profite

sur le petit mur il surveille le chemin par lequel j'arrive

sur le canapé un couple de coussins veille

ma peau qui s'écaille me ramène aux origines

parfum de lilas — le silence des crapauds berce sous l'auvent

20 avril 2019 la lune s’élève au-dessus de la vallée d’ombres silencieuses

c'est le dernier verre — à la fontaine des songes j'ai déjà trop bu

le long de mes cuisses comme dans une gouttière il est bien calé

la belle orientale avec sa voix de voyage à bord d'une jonque le goût des embruns tout au bout de son regard

la lampe vacille l'ombre de mes souvenirs frémit sous l'auvent

19 avril 2019

21 avril 2019

le ciel semble fuir sous les assauts du soleil — les nues se dépêchent

le ciel est bougon il n’a pas trouvé les œufs cachés dans le pré

regard dans le vague il est posé sur la table comme une potiche

toilette pascale pourquoi est-elle si longue il ne peut répondre

insolente et nue la lune enflamme le ciel d'un baiser d'argent

et je l’oublierai malgré ce peu de désir la vie c'est l'oubli

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il y avait ses yeux — combien de saisons encore avant d’oublier cent mille fois le soleil aura recouvert la terre

22 avril 2019

comme des enfants les parfums flous du printemps rient dans le jardin

sous le lampadaire puisant des révélations de ses yeux fermés

qui pourrait dormir dans l’ombre tranchante et crue d’une pleine lune

ce lent fleuve sale qui se couche sous les saules ce n’est qu’une vie

bercé par mes songes sur les rives du sommeil je pose mes hardes

Je ne le dirai plus que je rejoins la faux je dirai que je vais chercher des allumettes

dans le vent du sud quelques gouttes sablonneuses crissent sur le filtre

mon verre se vide au rythme du balancier de mes nostalgies

la plainte du vent couvre le cris des crapauds — requiem sinistre

une odeur d'encens de rhum et de fumées glauques planait la musique passé longtemps dépassé les vapeurs de la mémoire

le mur de béton des tarentes silencieuses carreaux de faïence craquelés comme un message

un reflet de cendre quand s'éclaire le miroir

la gorge serrée et le cœur pulvérisé

une chaise vide et sur la table un flacon vide lui aussi

fauteuil sous l'auvent dans la nuit et le vent fous

le vent se réveille à la tombée de la nuit pour aller danser

une ombre s'assoit sous la lumière incertaine je remplis son verre

une fleur des champs sauvage et désespérée est couchée dans l'herbe

nous parlons d'amours nécessairement futiles de la part des ombres

un épais silence avec la nuit les questions font beaucoup de bruit

nos verres se vident ainsi que nos cœurs éteints

au bord du regard le sable et le sel d'une larme

quand l'aube apparaît parée de lambeaux d'étoiles mon ombre s'incline

des rêves cloués sur les murs de la pénombre 194


et posant son verre sans bruit elle disparaît

pour qui te prends-tu ? le clown en habit de fête ressemble à un clown

le vent se souvient de ces ombres insoumises aux éclats de verre

sourire confus — dans le pot de confiture la trace d’un doigt

libres des éclairs elles errent dans la quête d'une ombre sans ombre

la chambre se vide les moutons que j'ai comptés dorment sous le lit

un sable infertile avec la crainte des vagues a franchi la mer

sourire à la nuit comme l'enfant que j'étais

je ferme le livre dont toutes les phrases lues attendent un point

donne moi la main oublions toutes les routes et rêvons ensemble

23 avril 2019 lumière d’orage quand les nues se resserrent pour braver le ciel

une amie a mal et tu ne sais pas t'y prendre pour la soulager les murs seront toujours là droits contre les mains offertes

entre ciel et tuiles il a trouvé le moyen d’atteindre le toit

silence du soir je m'invente des soupirs pénombre moelleuse les yeux clos sur la clarté

plus rien à dire mais attentif aux mots jusqu’au bout de l’ennui

je me sens si vieux et pourtant je sais que j'ai l'âge de mes rêves

24 avril 2019 une aube de pluie et les lourds nuages gris pèsent sur le cœur

un désir d'oubli — j'ai planté dans mon jardin des graines de vent

il ne reste plus qu’à se fondre dans la nuit — et la pluie le berce

25 avril 2019

le soir est venu pendre son manteau de vent au croc de mon crâne

le ciel se découvre il abat toutes les cartes et garde le pot

murmure du soir sur la route la poussière lentement se pose

à côté de moi il s’occupe de lisser son si doux pelage

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matin de printemps — un parfum subtil et frais en tient la promesse

le clapot des vagues courant le long de la coque — le sel du passé qui chantonne sur son erre odeur d’un soleil d’été

l’ombre du nuage que cisèle un vent léger frise le verger

ombre sur le mur — la lanterne prend des airs de cygne inquiétant

les étoiles bruissent entre les flocons de nues et la nuit frémit

la pluie qui frissonne sur les tuiles de l'auvent — mélodie sans note

un livre d'images au fond d'une vieille malle enfin assagi

feuille de ginkgo pour marquer la page vide et la fin du rêve

l'herbe se redresse après avoir bu la pluie

les crapauds se taisent la pluie est leur confesseur

délicatement j'ai coupé les pissenlits près de leurs racines

la pluie a cessé — les fleurs se sont refermées sur les perles d'eau

le jardin attend que je m'occupe de lui avec impatience

silencieux j'écoute le chant des gouttes qui gouttent des feuilles repues

voilà une année que je le guette impatient le chant du loriot

l'ombre me rejoint sous la lampe du salon — la nuit nous rassemble

le vent et les arbres me récitent des poèmes

27 avril 2019

26 avril 2019

la même couleur intemporelle immuable le ciel du printemps

un peu de vapeur et dans le ciel réfléchie la brume de l’aube

abritant son ombre il absorbe le soleil de ses yeux fermés

retour au coussin tous les jours à la même heure à côté de moi

le bourdon bourru lourdement quand il se pose fait frémir l'iris

sur le front de mer les barques tirées au sec rêvent de glaciers — au loin le soleil transpire des gouttes de plomb fondu

comme un ver de terre je me nourris d’un limon au goût de ténèbres

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boire le venin du long serpent de la vie

vols de pissenlits avant de céder la place aux coquelicots

le jeu de la vie les rêves comme les cartes d'un tarot fétide

quelques pâquerettes en effeuillant leur jupon se parlent d'amour

trouver un trésor en creusant profond en soi troublante chimère

l'hiver est passé ce fut presque une surprise de voir le printemps

le sort est étrange l'impression d'avoir perdu sans avoir joué

la lampe boiteuse lit le journal de la veille par dessus l'épaule

la nuit sans répit avec la force d'un cœur me secoue les côtes

odeur de résine dans la fourrure du chat des fleurs de cyprès

le vent se souvient des fables qu'il racontait quand j'étais enfant

une ancienne lettre innocente mais ouverte et tachée de sel

marcher dans la nuit et vénérer la lumière

le ciel était noir comme un océan cosmique la nuit sans étoiles

28 avril 2019 cousues de fil blanc les nues se plient dans un ciel de pâte brisée

cauchemar sans fin— sous le drap qu'il faut changer la transpiration

encore un peu flou il essaie de retenir un éclat de nuit

dans un corridor interminable et visqueux les pas d'un fantôme

assis dans le noir je me raconte des fables à dormir debout

des escaliers sombres escaladés dans l'angoisse au milieu des rats

épicier du temps j'égrène mes souvenirs au vent du néant

une pièce noire sans fenêtre et des cafards grouillant sur le sol

la jeune tarente sur le dossier de la chaise s'abrite du vent

réveil en sursaut en quête d'une lueur renégate et fourbe

la poutre se vrille et parfois les tuiles tintent — le temps manque un pied

crainte de dormir pourtant rompu de fatigue— aube sans remède 197


une ville est née dans mon imagination — une ville morte il se voit déjà sur le bord de l'horizon près à basculer elle avait l'allure d'une jeune infante hautaine au parfum de pute autour de la lune des flammèches de nuages soufflent les étoiles au fond de leur cale grâce aux errements des hommes les rats font la fête

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