Santōka

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©: Kyushu in November 1929 - Photo by Kazuo Yoshioka

Taneda Santōka

©:by Reireika Chikaki (Shimonoseki, 1933)


Santōka

Anthologie du poème court japonais Corinne Atlan & Zéno Bianu Au pied de la montagne sous un soleil bienveillant une rangée de tombe

Un corbeau graille — moi aussi je suis seul

Si loin le pays natal — les arbres bourgeonnent

Sur une pierre la libellule rêve en plein jour

Sur mon chapeau de jonc plop ! c’était un camélia

Sur mon bureau solitaire la libellule consent à se poser

Profond plus profond encore dans les montagnes bleues

Les herbes folles se couvrent d’automne — je m’assieds

Verse l’averse d’automne — j’ai longtemps fait cuire mes quelques grains de riz

Au milieu de la vie au milieu de la mort la neige sans répit

Verse l’averse d’automne — le chemin encore et toujours

Dans mon bol de fer en guise d’aumône la grêle

Automne le malheur et rien d’autre — je poursuis mon voyage

Mon pays natal détrempé par la pluie je le foule pieds nus

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Santōka

arbre nu sous le ciel bleu — silence de la mort

Le riz est délicieux — et le ciel bleu si bleu

la mort bientôt — sur les herbes folles tombent la pluie

Boue qui s’écoule s’éclaircit

Le poème court japonais aujourd’hui Corinne Atlan & Zéno Bianu

Une tomate dans ma paume — je l’offre au Bouddha je l’offre à mes parents morts

Seulement ce chemin où je marche seul

À soixante ans le cœur inapaisable je traverse la mer

Vague à l’âme — je bois un peu d’eau et je reprends ma route

haikuspirit.org Traduction : Gilles Fabre

C'était mon visage Sur ce miroir froid.

Mouillé de rosée matinale je vais par où je veux

Mendiant j'accepte le soleil brûlant

Seul regardant la lune qui s'enfonce derrière les montagnes

Le seau rempli d'eau de pluie Assez pour aujourd'hui

En silence, je mets Mes sandales en paille d'aujourd'hui

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Santōka

J'étends mes jambes : Il fait encore un peu jour

Dans le vent printanier, Un petit bol de mendiant.

Couchant - l'ombre du laboureur De plus en plus profonde.

Tous ensemble à cueillir les kakis manger les kakis

Toute la journée en montagne, Les fourmis aussi marchent.

Soleil, elle bêle ; Nuages, elle bêle Cette chèvre.

Pas un mot de la journée Le bruit des vagues.

Le reflet de la pièce d'un sen Jetée à mon intention.

Après une sieste, Où que je regarde : des montagnes.

Toute trempée Cette Pierre Indique le chemin.

Beau chemin Qui mène à un beau bâtiment, Un crématorium

C'est ainsi Il pleut, je suis trempé, je marche. Alors, quel chemin prendre ? Le vent souffle. Une part suffit : Je lave le riz. Je suis dans un village Où ils parlent Le dialecte de ma ville natale.

Allez ! faisons sonner La grande cloche du temple !

Ce long pont Si je l'emprunte Je suis dans mon village natal.

Je mendie en marchant seul : Le bruit de l'eau partout.

Eau de mon village natal ! Je la bois, Je me lave avec cette eau.

Fin de l'averse du soir : Je vais dans le champ de tomate, pour manger.

Oh ! ce pou Que j'ai attrapé, Il est si chaud !

Nul chemin hors celui-ci Je marche seul

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山頭火

SANTOKA (1882-1940)

zen saké haïku

(ed. Moundaren)

« Il n’y a rien de plus facile à dire ni de plus difficile à faire que de lâcher prise. Il ne s’agit là ni d’un mol abandon de soi ni d’une obéissance aveugle. Dans ce lâcher-prise réside la paix de l’esprit.» « Quand on mendie l’esprit doit ressembler aux nuages qui défilent, à l’eau qui coule. Si on reste trop longtemps dans le même endroit on s’enlise dans la routine. Mon esprit aspire à être comme l’eau, comme le ciel.» « Un contact prolongé avec les gens engendre l’attachement, le conflit et la haine. Pour me débarrasser des conflits intérieurs et de la haine, j’ai besoin de marcher. » « La sagesse est de voir le nouveau dans l’ordinaire, en s’accommodant du monde tel qu’il est. Il y a des trésors cachés dans l’instant présent. » « Le saké pour le corps Le haïku pour le cœur » Les trois vœux de SANTOKA  ne pas exiger l’impossible  ne pas regretter le passé  ne pas se culpabiliser

Les trois joies de SANTOKA  étude  contemplation  haïku

しみじみしづかな 机の塵

calme mélancolique de la poussière sur le bureau

shimijimi shizukana tsukue no chiri

烏鳴いて わたしも一人

un corbeau croasse je suis seul moi aussi

karasu naite watashimo hitori

今日も郵便が来ない とんぼとぶとぶ

aujourd’hui encore pas de courrier les libellules volètent

kyômo yûbin ga konai tombo tobutobu

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Santōka

われいまここに 海の青さの かぎりなし

me voilà là où le bleu de la mer est sans limite

ware ima kokoni umi no aosa no kagirinashi

日ざかり泣いても 笑うても一人

en pleine chaleur que je pleure ou que je ris toujours aussi seul

hizakari naitemo waratemo hitori

こころおちつけば 水の音

mon cœur s’est calmé le bruit de l’eau

kokoro ochitsukeba mizu no oto

水に雲かげも おちつかせないものがあ る

dans l’eau le reflet des nuages la même impatience

mizu ni kumokage mo ochitsuka senai monoga aru

風の中 おのれをめつつ 歩く

dans le vent en m’assaillant de reproches je marche

kaze no naka onore o metsutsu aruku

さてどちらへ行かう 風が吹く

et maintenant de quel côté aller ? le vent souffle

sate dochira e ikau kazega fuku

どうすることも できない矛盾を風ふく

qu’y faire ? sur mes contradictions le vent souffle

dô suru kotomo dekinai mujun o kaze fuku

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Santōka

天の川ま 夜中の酔ひ どれは踊る

sous le fleuve céleste en pleine nuit ivre je danse

ten no gawa ma yonaka no yoi dorewa odoru

蝿を打ち 蚊を打ち 我を打ち

je frappe les mouches je frappe les moustiques je me frappe moi-même

hae o uchi ka o uchi ware o uchi

まいにちはだか てふてふやとんぼや

toute la journée nu papillons et libellules

mainichi hadaka tefutefu ya tonbo ya

ちんぽこもおそそも 湯いてあふれる湯

des bites et des chattes en train de bouillir affluence au bain public

chinpokomo ososomo atsuite afureruyu

心むなしく あらなみのよせては かへし

le cœur libre les vagues furieuses s’approchent se retirent

kokoro munashiku aranami no yoseteha kaeshi

いちにち物いはず 波音

toute la journée sans un mot le bruit des vagues

ichinichi mono iwazu nami oto

まつすぐな道で さみしい

le chemin tout droit solitude

matsu suguna michide samishii

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Santōka

へうへうとして 水を味ふ

allègre à l’eau je goûte

heu heu toshite mizu o ajifu

けふのおじるは 水ばかり

mon déjeuner d’aujourd’hui de l’eau

kyô no ojiruwa mizu bakari

生きてるることが うれしい水をくむ

heureux d’être en vie je puise de l’eau

ikite ruru kotoga ureshii mizu o kumu

ほろほろ酔うて 木の葉ふる

légèrement ivre les feuilles des arbres se dispersent

horo horo youte ki no ha furu

降るままぬれる ままで歩く

c’est ainsi il pleut je suis trempé je marche

furu mama nureru mamade aruku

あらしのあとの しづけさの蝿で

dans l’accalmie après la tempête les mouches

arashi no ato no shizukesa no haede

飲みたい水が 音たててるた

j’ai soif d’eau le bruit de la cascade

nomitai mizu ga oto tateteruta ?

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Santōka

dans mon chapeau en bambou aussi une fuite

翌も 漏り出したか

おとは しぐれか

ce bruit la pluie d’automne ?

kasa mo moridashitaka

otowa shigureka

http://www.manteaudetoiles.net/article-2539518.html L’Haïku-blog de Richard du matin au soir écoutant le bruit de mes pas je marche

ivre je m'endors avec les grillons

sur mes pieds fatigués une libellule s'est posée

j'ai soif d'eau le bruit d'une cascade

sur ma robe de moine toute déchirée des graines d'herbes

légèrement ivre les feuilles des arbres se dispersent

me voilà là où le bleu de la mer est sans limite

le goût de l'eau me pénètre le cœur voici l'automne

le corbeau croasse le corbeau vole nulle part où se fixer

j'ouvre la fenêtre la fenêtre pleine de printemps

la mort devant moi un petit vent frais

sur la table inondée de soleil j'écris une longue longue lettre

ma mort les herbes la pluie

de la montagne des fleurs blanches sur la table

dans mon village natal au profond de la nuit rêvant de mon village natal

le vent des montagnes dans la clochette un puissant désir de vivre 8


Santōka

qu'y faire? sur mes contradictions le vent souffle

ma silhouette vue de dos s'éloignant dans la pluie d'automne

mon passé mon avenir la clarté de la neige

http://ambatill.blog.lemonde.fr/2008/07/21/santoka-zen-et-haiku/

Le chemin Tout droit Solitude

Toute la journée Sans un mot Le bruit des vagues

Une pierre pour oreiller J'accompagne Les nuages

Le bruit incessant des vagues Ma vieille maison natale Si loin

Une libellule Posée sur mon chapeau en bambou, Je marche

Et maintenant, Dans quelle direction aller? Le vent souffle

Dans l'herbe, J'expose au soleil Les blessures du voyage

Ma silhouette vue de dos S'éloignant Dans la pluie d'automne

365 haïkus – Instants d’Éternité traduction Hervé Collet & Cheng Wing fun – Albin Michel j’ai du riz j’ai des livres j’ai même du tabac

comment me passer de saké ? les arbres en bourgeons les jeunes pousses d’herbes

j’ouvre la fenêtre la fenêtre pleine de printemps

urinant nonchalamment j’inonde les jeunes pousses d’herbes

dans la clarté matinale je sème des graines avant de partir en voyage

je marche, les boutons d’or je m’assois les boutons d’or 9


d’un insecte qui brûle l’odeur aromatique

laissés sur l’arbre deux ou trois kakis mûrs les nuages défilent

ivre avec les grillons je m’endors

assis avec le vent dans les herbes folles d’automne

au fin fond de la montagne nu

la nuit tombe nul village où passer la nuit je marche sous la pluie d’automne

toute la journée nu papillons et libellules

la pluie d’automne seul, la nuit me coupant les ongles

complètement nu exposé au soleil

de la lune lentement tombe une feuille de kaki

sous le fleuve céleste au cœur de la nuit ivre un homme danse

légèrement ivre les feuilles des arbres se dispersent

urinant je regarde en bas le village endormi

je m’allonge je me lève les feuilles mortes tombent

j’ai dormi tout mon soûl je détend mon corps dans la source chaude

les feuilles tombées plus proche encore la lumière du voisin

il fait chaud aujourd’hui au bureau de tabac pas de tabac

le corbeau croasse je suis seul moi aussi

me voilà là où le bleu de la mer est sans limite

au bain public nus la conversation s’anime

toute la journée sans un mot le bruit des vagues

trempé par l’ondée d’hiver l’ami que j’attendais est arrivé

aubergine, concombre, concombre, aubergine c’est tout ce que je mange fraîcheur !

au bureau de tabac pas de tabac une pluie froide tombe

la chaleur, la saveur d’une bouillie de taros l’automne est arrivé

la neige tombe sur mon ermitage tout seul j’allume un feu 10


Santōka

la neige tombe sur la neige quiétude

longue nuit toute la nuit un chien aboie

cassant des branches mortes ne pensant à rien

sous la couverture ouatée endormi je rêve de mon village natal

© : http://theworsthorse.com/hoodiemonks/hoodiemonks.html

que tout soit joyeux que tout soit triste les herbes poussent

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