Š: estampe de Kuniyoshi
Chiyo-ni
Chiyo-ni
Chiyo Fukumasuya, née en 1703 à Matto, dans une famille de monteur de rouleaux de calligraphie et de peinture, a côtoyé, très jeune, peintres, poètes, calligraphes, clients de l'échoppe. Sensible à l'odeur si particulière de l'encre de Chine, à la beauté des pinceaux et des bâtons d'encre, et à l'atmosphère artistique de la boutique, elle compose son premier poème à six ans. A douze ans, son père l'envoie au service du maître de haïku Hansui, à Kanazawa, pour apprendre les caractères chinois et la composition poétique, choses utiles à l'entreprise familiale de montage de rouleaux. Élève de Shiko Kagami, disciple de Bashô, son nom commence à être connu dans les cercles littéraires et ses poèmes sont publiés dans des anthologies. Outre ses haïkus, Chiyo est aussi connue pour sa grande beauté. Le poète Rokyo compose ce poème en son honneur : ne fais pas tomber le voyageur de son cheval belle herbe Après le décès de ses parents et de son frère, elle tient la boutique familiale jusqu'à l'âge de cinquante ans, époque à laquelle elle confie à sa nièce Nao et à son mari Rokubei le soin de s'occuper du négoce pour se consacrer entièrement à la voie du haïku et fréquenter les cercles poétiques. En 1754, Chiyo devient bonzesse de l'école bouddhiste de la Terre Pure (Jodo Shinshu), se fait appeler Chiyo-ni (bonzesse Chiyo) et prend le nom bouddhiste Soen (jardin nu). Le jour de son ordination, elle se fait raser les cheveux et compose : le rouge à lèvres ma bouche a oublié ah! l'eau de source Chiyo-ni n'habite pas de façon permanente au temple, mais, en tant que bonzesse et artiste, se trouve en dehors du système cloisonné des classes et non concernée par les normes et codes sociaux imposés aux femmes d'alors. Elle devient plus active que jamais dans le milieu haïku. Son style est pur, sans artifice, sans ornement, parfaitement naturel comme sa vie. Chiyo-ni pratique la voie de l'harmonie avec la nature et cultive, à la suite de Bashô, l'élégance poétique (fuga no michi), la poésie comme art de vivre. Voie spirituelle et voie poétique se confondent. Son art s'épure et elle commence à voir les choses telles qu'elles sont.
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Chiyo-ni
Peu de temps avant de mourir, elle compose le poème qui sera le dernier écrit de sa main : l'eau est limpide et fraîche les lucioles s'éteignent rien d'autre Et dicte le dernier poème qu'elle compose : j'aurai vu la lune aussi à ce monde adieu En 1775, à soixante-douze ans, Chiyo-ni quitte ce monde flottant. D’après la traduction de Cheng Wing Fun : Bonzesse au jardin nu, de Chiyo-ni. (Moundarren 2005).
Ses publications :
1764 : Chiyo-ni kushu, Recueil des haïkus de Chiyo-ni (564 haïkus) 1771 : Haikai matsu no koe, Haïku du chant des pins (327 haïkus). Transcription phonétique : nekojita.
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Chiyo-ni
うら町の 鼾あかるし けふの月
dans la rue derrière des ronflements épanouis nuit de pleine lune
ura machi no ibiki akarushi kyô no tsuki
紅さいた 口もわするる 清水哉
le rouge à lèvres ma bouche a oublié Ah ! l’eau de la source
beni saita kuchi mo wasururu shimizu kana
そのわかれ 浮草の花祑 けしの花
adieu fleur du monde flottant fleur de coquelicot
sono wakare ukikusa no hana keshi no hana
清水すずし 蛍のさえて なにもなし
l’eau est limpide et fraîche les lucioles s’éteignent rien d’autre
seisui suzushi hotaru no saete nanimo nashi
月も見て 我はこの世ぺ かしく哉
j’aurai vu la lune aussi à ce monde adieu
tsuki mo mite ware wa kono yo o kashiku kana
鶴のあそび 雲井にかなふ 初日哉
batifolent les grues jusque dans le ciel premier soleil de l’année
tsuru no asobi kumoi ni kanafu hatsuhi kana
もれ出る 山又山や はつ霧
voilée, dévoilée montagne après montagne première brume de l’année
morederu yama mata yama ya hatsu kiri
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Chiyo-ni
屠蘇酒や 又とそまでの 遊びそめ
d’une coupe de saké épicé du nouvel an jusqu’à une autre coupe premier plaisir de l’année
tosozake ya mata toso* made no asobi some * saké épicé du nouvel an
梅が香や ことに月夜の おもしろさ
le parfum du prunier parfaitement envoûtant au clair de lune
umega kaoriya kotoni tsukiyono omoshirosa
手折らるる 人に薫るや 梅の花
pour celui dont la main en casse un rameau le parfum des fleurs du prunier
te oraruru hitoni kaoruya ume no hana
春雨や 美くしうなる ものばかり
pluie de printemps toute chose embellit
harusame ya utsukushi unaru mono bakari
道すがら 清水の種や けふの雨
sur la route semence d’eau de source la pluie d’aujourd’hui
michi sugara shimizu no tane ya kyô* no ame
adieu à Gosen
* kefu=>kyô
jusqu’à ce que son chapeau en bambou devienne papillon je reste attaché à lui
chyô hodono kasa ni naru made shitai keri
蝶ほどの 笠になるまで したひけり
adieu à Gosen les jeunes herbes 若くさや きれまきれまに entre chaque brin miroite l’eau 水のいろ
wakakusa ya kirema kirema ni mizu no iro
若草や 駒の寝起きの うつくしき
wakakusa ya koma no neoki no utsukushiki
dans les jeunes herbes les poulains couchés, debout splendeur
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Chiyo-ni
朝夕に 雫のふとる にの⽋哉
matin et soir les gouttes de rosée gonflent les bourgeons
asayû ni shizuku no futoru konome kana
結ふと 解ふと風の やなぎかな
emmêlé démêlé par le vent ah ! le saule pleureur
musubu futo tokufuto kaze no yanagi kana
le rossignol 鴬や また言ひなほし se reprend encore se reprend 言ひなほし
uguisu ya mata ihinahoshi ihinahoshi
駈出る 駒も足嗅ぐ すみれかな
les chevaux après le galop reniflent leurs pattes Ah ! les violettes
kakederu koma mo hashi kagu sumire kana
うつむいた 所が台や すみれ草
tête baissée sur l’autel du bouddha les violettes
utsumuita tokoroga dai ya sumirekusa
根を我つて 女子の欲や すみれ草
désir de femme profondément enraciné les violettes
ne o tsuite onago* no yoku ya sumire kusa * se lit aussi "joshi"
声たてぬ 時かわかれぞ 猫の恋
plus un bruit le moment de la séparation ? les chats en chaleur
koe tatenu toki ka wakarezo neko no koi
思ひわすれ 思ひ出す日そ 春の鹿
du temps passé oublié me revient le souvenir les biches au printemps
omoiwasure omoidasu hiso haru no shika
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Chiyo-ni
鍋墨の 行方はづかし かきつばた
la marmite couverte de suie honteuse au milieu des iris
nabezumi no yukue hazukashi kakitsubata
杜鵑 まだ白紙の あはれなり
le coucou la page blanche solitude
hototogisu mada shirogami* no aware nari *se lit aussi "hakushi"
足跡は 男なりけり 初櫻
ces traces de pas celles d’un homme les premières fleurs de cerisier
ashiato wa otoko narikeri hatsusakura
晩鐘を 空におさゆる さくらかな
le son de la cloche du soir immobilisé dans le ciel les cerisiers en fleurs
banshô o sora ni osayuru sakura kana
眼をふさぐ 道のおすれて 山さくら
les yeux accaparés en oublient le chemin les cerisiers de la montagne en fleurs
me o fusagu michi no osurete yama sakura
つくつくし ここらに寺の 跡もあり
au milieu d'un champ de prêles les ruines d'un temple écroulé
tsukutsukushi kokora ni tera no ato mo ari
蝶々や をなごの道の 後や先
papillon, papillon sur le chemin de la fillette derrière, devant
chôchô ya onago no michi no ushiro ya saki
蝶々や 何を夢見て 羽つかひ
papillon à quoi rêves-tu ? à frémir ainsi des ailes ?
chôchô ya nani o yume mite hane tsukai
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Chiyo-ni
たんぽぽや 折々さます 蝶の夢
les pissenlits de temps à autre réveillent les papillons de leurs rêves
tanpopo ya oriori samasu chyô no yume
蝶は夢の 名残わけ人 花野哉
traces des rêves des papillons les fleurs dans les champs
chô wa yume no nagori wake hito hanaya kana
蝶々や なれも腹たつ 日のあらむ
papillon en colère comme tout le monde un jour ou l’autre
chôchô ya naremo onaka tatsu hi no aramu
転ろばても 笑うてばかり ひひな哉
même renversées ne cessent de sourire les poupées de la fête
korobatemo waratte bakari hihina kana
踞ばふて 雲を伺ふ> 蛙かな
accroupie elle observe les nuages la grenouille
uzukubatte kumo o ukagau kaeru kana
sous les nuages de pluie 雨雲に はらのふくるる ventre gonflé la grenouille 蛙かな
amagumo ni hara no fukururu kaeru kana
茶のはなや 此夕暮を 咲のばし
des théiers en fleurs la floraison prolonge le crépuscule
cha no hana ya kore yûgure o saki no bashi
かけたらぬ 女心や 土用干
jamais éteint mon cœur de femme j’aère mes vêtements
kaketaranu onnagokoro ya doyôboshi
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Chiyo-ni
釣杖の 糸にさはるや 夏の月
le fil de la canne à pêche effleure la lune d’été
tsuri tsue no ito ni saharuya natsu no tsuki
動ごかして みれど竹にも 暑哉
même dans les bambous qui frémissent quelle chaleur !
ugokashite miredo take ni mo atsusa kana
涼しさや 裾からも吹 薮たたみ
fraîcheur ! le bas de ma robe soulevé par le vent dans le bosquet de bambous
suzushisa ya susokara mo fuki yabutatami
夕顔や 物のかくれて うつくしき
le liseron du soir la grâce des choses cachées
yûgao ya mono no kakurete utsukushiki
夕顔や 女子の肌の 見ゆる時
le liseron du soir la peau d’une femme au moment où elle se découvre
yûgao ya onago no hada no miyuru toki
起きて見つ 寝て見つ⣊屋の 廣さ哉
je me lève je me couche si vaste la moustiquaire
okite mitsu nete mitsu kaya no hirosa kan
朝顔わ 蜘蛛の糸にも 咲きにけり
le liseron du matin malgré la toile d’araignée a éclos
asagao wa kumo no ito nimo sakini keri
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Chiyo-ni
朝顔に 釣瓶とられて 貰ひ水
le liseron au seau du puits s’est enroulé à mon voisin je vais quémander de l’eau
asagao ni tsurube torarete morai mizu
こばれては もとの水なり 紅の露
renversée ce n’est que de l’eau la rosée sur la fleur de centaurée
kobaretewa moto no mizu nari beni no tsuyu
行水に ぺのが影追ふ 蜻蛉かな
au-dessus du bain elle pourchasse son ombre la libellule
gyôzui ni o noga kage ou tonbo kana
川ばかり
juste au-dessus de la rivière où coule l’obscurité les lucioles
kawa bakari yami wa nagarete hotaru kana
Nuages de l’aube les lucioles de la nuit dernière déjà oubliées
shino no me ya tomeshi hotaru wo okiwasure
铗はながれて 蛍かな
しののめや とめし蛍を 置忘れ
Je compte les aiguilles de 松の葉も よみつくすほど pin jusqu’à 涼けり ressentir la fraîcheur
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matsu no ha mo yomitsukusu hodo suzushi keri
Chiyo-ni
澁かろか 知らぬど柿の 初ちぎり
Sera-t-il âpre ? je l’ignore encore le premier kaki cueilli
shibukaro ka shiranu do kaki no hatsu chigiri
道の記の 筆にも結ぶ 清水かな
Pour mes notes de voyage mon pinceau aussi je trempe dans l’eau de source
michi no ki no fude ni mo musubu shimizu kana
清水には 裏も表も なかりけり
L’eau limpide ni dedans ni dehors
seisui ni wa uramo omotemo nakari keri
滝の音も 細るや峰に 蝉の声
Même le bruit de la cascade s’est affaibli le chant des cigales
taki no oto mo hosoru ya mine ni semi no koe
雨の音を 洗てすずし 松の蝉
Le son de la pluie à sa fraîcheur se rincent les cigales des pins
ame no oto wo arate suzushi matsu no semi
涼しさや 夜ふかき橋に しらぬ同士
Prenant le frais sur le pont, au milieu de la nuit des gens qui ne se connaissent pas
suzushisa ya yo fukaki hashi ni shiranu dôshi
簾下げて 誰が妻ならん 涼舟
Store en roseaux descendu la femme de qui prenant le frais sur une barque ?
misu sagete dare ga tsuma naran suzushi fune
拾ふもの みな動くなり 潮干潟
Tout ce qu’on ramasse bouge à marée basse
hirofumono mina ugoku nari shio kata
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Chiyo-ni
こぼれては 風拾ひ行 千鳥かな
Le vent qui passe les disperse les rassemble les pluviers
koborete wa kaze hirohi yuki chidori kana
Les oiseaux migrateurs わたり鳥 むつかしいほど braillards sur le départ 出ありきて
watari tori mutsukashii hodo dearikite
初雁や よいよながき 夜にかはり
Les premières oies sauvages les nuits sont de plus en plus longues
hatsu kari ya yoiyo nagai yonikahari
売られても 秋をわすねぬ 鶉哉
Même en vente au marché elles n’oublient pas l’automne les cailles
uraretemo aki o wasunenu uzura kana
Longue nuit 長き夜や かはりがはりに chacun son tour chantent les insectes 虫の声
nagaki yoya kahari gahari ni mushi no koe
秋風の 山をまはるや 鐘の声
Avec le vent d’automne qui tournoie dans la montagne le son de la cloche
akikaze no yama o miharuya kane no koe
をしなべて 声なき蝶も 法の場
Le papillon aussi silencieux cérémonie bouddhiste
oshinabete koe nakichô mo hô no ba
ゆふぐれを 余所に預けて もみち哉
Le crépuscule accaparé par les feuilles rouges des érables
yuugure o yoso ni azukete momiji kana
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Chiyo-ni
夢さめぬ 畳に菊の 咲しけふ
Interrompant mon rêve le chrysanthème sur le tatami vient d’éclore
yume samenu tatami ni kiku no sakishi kyô
三日月に ひしひしと物の 静まりぬ
Premier croissant de lune me pénètre imperceptiblement le silence
mikazuki ni hishihishi to mono no shizumarinu
待暮も 曙もなき 紙衣かな
N’attendant ni le soir ni l’aube non plus mes vieux vêtements
machi kure mo akebono mo naki shiginu kana
何着ても うつくしうなる 月見哉
Quelque soit l’habit qu’on porte il est élégant quand on contemple la lune
nani kitemo utsukushi unaru tsukimi kana
名月や 眼に置ながら 遠歩行
À la pleine lune d’automne mes yeux sont rivés longue promenade
meigetsu ya me ni okinagara tooi hokô
月の夜や 石に出て鳴 きりぎりす
Nuit de lune perché sur une pierre stridule un criquet
tsuki no yo ya ishi ni detenaki kirigirisu
名月に 帰て咄す 事はなし
Pleine lune d’automne de retour rien à en dire
meigetsu ni kaete hanasu kotobanashi
蚊帳の手を ひとつはずして 月見かな
Par un coin décroché de la moustiquaire ah ! la lune
kaya no te o hitotsu hazushite tsukimi kana
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Chiyo-ni
二日三日 身に添いかぬる 袷かな
Deux-trois jours durant il sera mal ajusté au corps le kimono doublé
futsuka mikka mi ni sôikanuru awase kana
ともかくも 風にかせて かれ尾花
Quoiqu’il en soit au vent s’en remettent les fétuques flétris
tomokakumo kaze ni makasete kare obana
吹風の はなればなれや ふゆ木立
Le souffle du vent fendu, fendu par le bosquet d’arbres en hiver
fukikaze no hanarebanare ya fuyu kodachi
はつしぐれ 何所やら竹の 朝朗
Première pluie d’hiver sur des bambous quelque part à l’aube
hatsushigure nan se/sho yara take no asaborake
時雨るるや 一間にきのふ けふもくれ
Pluie d’hiver dans la même chambre qu’hier aujourd’hui aussi se termine
shigururu ya hitoma ni kinô kyô mo kure
はつ雪や もの書けば消え 書けば消え
Première neige ce que j’écris s’efface ce que j’écris s’efface
hatsuyuki ya monokakeba kie kakeba kie
花となり 雫となるや 今朝の雪
Elle devient fleur elle devient goutte d’eau la neige ce matin
hana to nari shizuku to naru ya kesa no yuki
雪の夜や ひとり釣瓶の 落る音
Nuit de neige seul le son du seau descendant dans le puits
yuki no yo ya hitori tsurube no otoru oto
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Chiyo-ni
声なくば 鷺うしなはむ 今朝の雪
Sans leurs cris des hérons on serait privé matin de neige
koe nakuba sagi ushinahamu kesa no yuki
野に山に 動くものなし 雪の朝
Sur champs et montagnes rien ne bouge matin de neige
no ni yama ni ugoku mono nashi yuki no asa
しなわねば ならぬ浮世や 竹の雪
Ploient en ce monde flottant les bambous sous la neige
shinawaneba naranu ukiyo ya take no yuki
我雪を 水にうつして にらみけり
Sous la neige mon reflet dans l’eau j’observe attentivement
ware yuki o mizu ni utsushite nirami keri
ころぶ人を 笑ふてころぶ 雪見哉
Ceux qui sont tombés rient de ceux qui tombent admirant le paysage sous la neige
korobuhito o waraute korobu yukimi kana
何事も 筆の住来や 冬籠
Toutes les nouvelles par échange de courrier réclusion hivernale
nanigoto mo fude no ôrai ya fuyu gomori
物ぬひや 夢たたみこむ 師走の夜
En train de coudre repliée dans le rêve fin de l’année
mono nuhi ya yume tatamikomu shiwasu no yo
鳥影も 葉に見て淋し 冬の月
Prenant l’ombre des oiseaux pour des feuilles solitude la lune d’hiver
torikage mo ha ni mite sabishi fuyu no tsuki
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Chiyo-ni
独り寝の さめて霜夜を さとりけり
Dormant seule réveillée par le gel nocturne pur ravissement
hitori ne no sameteshimoyo satori keri
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Chiyo-ni
Intégrale des haïkus de Chiyo-ni extrait de l'anthologie de Haïjins japonaises "Du rouge aux lèvres" traduit et présenté par Dominique Chipot et Makoto Kemmoku (ed. Poésie / Points)
Yaburu ko no nakute shoji no samusa kana Les shojis sont froids. Mon enfant n'est plus là pour les déchirer. Wakakusa ya kaeri ji wa sono hana ni matsu Jeunes herbes. Les fleurs attendront mon retour. Miru uchi ni wasurete shimau yanagi kana Tout en les regardant, je les oublie, les feuilles du saule pleureur !
Kareno yuku hito ya chiso miyuru made Jusqu'à ce qu'il disparaisse, je regarde marcher un homme dans la plaine nue. Beni saita kuchi mo wasururu shimuzu kana Je bois à la source, oubliant que je porte du rouge aux lèvres. Tsukimi ni mo kage koshigaru ya onago tachi Même pour admirer le clair de lune, les jeunes filles cherchent de l'ombre. Tsuki no yo ya ishi ni dete naku kirigirisu Clair de lune. Un criquet sur la pierre commence à chanter. Mizu no kaki mizu no keshitari kakitsubata L'eau les dessine, puis l'eau les efface, les iris. 16
Chiyo-ni
To no aite aredo rusu nari momo no hana Il n'y a personne. Pourtant les portes sont ouvertes ... Fleurs de pêcher. Asagao ni tsurube torarete morai-mizu Les volubilis enserrent le seau du puits. Je demande à mon voisin de l'eau. Kakima yori tonari ayakaru botan kana A travers la haie, je fais admirer à mon voisin les fleurs de pivoines. Tsurizao no ito ni sawaru ya natsu no tsuki Le fil de la canne à pêche effleure le clair de lune. Koe nakuba sagi ushinawan kesa no yuki S'il ne criait pas, je ne distinguerais pas le héron. Matin de neige. Okite mitsu nete mitsu kaya no hirosa kana Au lever, au coucher, je vois le vide de la moustiquaire. Tonbo tsuri kyo wa doko made itta yara Maintenant, jusqu'où est-il allé, mon petit, chasser les libellules ? Nuimono ni hari no koboruru uzura kana La pointe de l'aiguille cassée. Des cailles carcaillent. Kiku saite kyo made no sewa wasure keri Floraison des chrysanthèmes. Vite oubliés tous les soins prodigués à ce jour ! Ochi-ayu ya hi ni hi ni mizu no osoroshiki Après le frai, des truites descendent la rivière. Même l'eau peut être terrible ! 17
Chiyo-ni
Taoraruru hito ni kaoru ya ume no hana Les fleurs de prunier parfument même les hommes cassant des branches. Chocho ya onago no michi no ato ya saki Sur le chemin de la fillette, devant, derrière, des papillons volent. Koronde mo warote bakari hina kana Fête des poupées. Mon enfant rit sans cesse quand elles tombent. Yugao ya onago no hada no miyuru toki Gourdes à fleur nocturne. Une femme dévoile sa peau. Asago wa kumo no ito nimo saki-ni-keri Le volubilis s'épanouit aussi dans la toile d'araignée. Oshinabete koe naki cho mo nori no niwa Dans la salle d'exercice d'un temple, des papillons ... muets aussi.
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Chiyo-ni
Anthologie du poème court japonais Présentation, choix et traduction Corinne Atlan et Zéno Bianu (ed. Poésie/Gallimard)
les chevaux au galop reniflent leurs jarrets — un parfum de violettes
l’eau devient cristal les lucioles s’éteignent — rien n’existe
le fil de la canne à pêche atteint la lune d’été !
s’ils se referment au matin les volubilis — c’est par haine des hommes !
lucioles lucioles ! dans la rivière les ténèbres coulent
du violet des nuages au mauve des iris ma pensée va sans cesse
Haïkus – Anthologie Texte français de Roger Munier –Préface de Yves Bonnefoy (collection Points / Poésie)
pluie de printemps – toute chose devient plus belle
touchée par le fil de la canne à pêche la lune d’été
sur la plage à marée basse tout ce qu’on ramasse bouge
sur la lande et la montagne rien ne bouge ce matin de neige
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Chiyo-ni
Manteau d’étoiles Haïku-blog de Richard http://www.manteaudetoiles.net/article-3610903.html
le parfum du prunier parfaitement envoûtant au clair de lune
du temps passé me revient le souvenir les biches au printemps
pluie de printemps toute chose embellit
le son de la cloche du soir immobilisé dans le ciel les cerisiers en fleurs
dans les jeunes herbes les poulains couchés, debout splendeur
les pissenlits de temps à autre réveillent les papillons de leurs rêves
désir de femme profondément enraciné les violettes
le vent qui passe les disperse les rassemble les pluviers
au parfum des fleurs je ne montre que mon dos changement de robe
première neige ce que j'écris s'efface ce que j'écris s'efface
jamais éteint mon cœur de femme j'aère mes vêtements
dormant seule réveillée par le gel nocturne pur ravissement
le liseron du soir la peau d'une femme au moment où elle se découvre
l'eau est limpide et fraîche les lucioles s'éteignent rien d'autre
le printemps reviendra sans fleurs tu ne seras plus que bois de chauffage
j'aurai vu la lune aussi à ce monde adieu
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Chiyo-ni
http://www.haikuspirit.org/chyioFR.html traduction Gilles Fabre
papillon — à quoi rêve-t-il quand il déploie ses ailes ? un papillon virevolte devant et derrière une femme qui marche
La Nouvelle Année vol de grues aussi haut que le ciel ~ premier lever du jour
matin et soir la rosée enfle sur les bourgeons
une montagne après l'autre se dévoile ~ premières bruines
le saule s'emmêle et se démêle au gré du vent tout ce que je ramasse est vivant à marée descendante accroupie la grenouille observe les nuages
Printemps enroulée autour du monde de cette fleur : la lune voilée
les chevaux au galop reniflent leurs pattes aussi — violettes sauvages
brume qui miroite au-dessus de la pierre mouillée
même le papillon ne bouge pas — messe bouddhiste
herbe verte — entre les brins la couleur de l'eau à celui qui la brise le parfum de la branche de prunier
Eté
être de ce monde et manger du riz blanc sous un prunier parfumé
elle effleure la canne à pêche la lune d'été
le son de la cloche du temple stoppé dans le ciel par les fleurs de cerisiers
la fraîcheur du bas de son kimono dans le bosquet de bambous
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Chiyo-ni
résonne dans la montagne — le timbre d'une cloche
elle prend aussi de l'eau du ruisseau pour son pinceau de voyage
champ en automne — certaines herbes fleurissent d'autres non
quand elle tombe elle redevient de l'eau la rosée de la fleur rouge
rêve inachevé — un chrysanthème bourgeonne dans la salle à tatami
le bruit de la cascade diminue dans les montagnes ~ le chant des cigales
les restes d'un rêve — un papillon dans un champ fleuri
ces femmes retournent dans les champs les cheveux défaits
j'ai également vu la lune et dis ainsi au revoir à ce monde
eau pure ~ pas de devant pas d'envers
belle-de-jour — l'ombre d'une lanterne encore discernable
Automne lueur de l'aube accrochée aux feuilles de l'érable
Hiver pleine lune — des pas dans la neige le bruit des pierres
pleine lune ~ je ne la quitte pas des yeux lors d'une longue promenade
le vent qui souffle fendu, fendu par les arbres nus
après avoir contemplé la lune je rentre chez moi ~ rien à dire lueur de lune — un grillon chante installé sur une pierre
pourquoi ce canard mandarin vole-t-il seul ? première pluie d'hiver
belle-de-jour — le seau du puits empêtré je voudrais de l'eau
fleurs de thé — leurs bourgeons retardent la tombée de la nuit
belle-de-jour — la vérité, c'est que cette fleur déteste les gens
il faut plier dans ce monde flottant — neige sur le bambou
le vent d'automne
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